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Charles Baudelaire Les pièces condamnées et le procès du poète

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Charles Baudelaire

Les pièces condamnées et le procès du poète

Nom: Zografou Du Parnasse au symbolismePrénom: Sotiria Enseignante: Ioanna PapaspiridouN° étidiant: 1564/2016/00161« Si tu as envie d’écrire, aujourd’hui, quoi que ce soit sur Baudelaire et plus particulièrement sur les Fleurs du Mal, sache à l’avance que tu deviens vaniteux et que tu perds ta peine. C’est ce que, à mon avis, doit se dire celui qui compte entreprendre un essai sur l’œuvre poétique de Baudelaire. Il devra se dire que tout a déjà été écrit (en règle générale) par d’autres ; et même très bien écrit, et ainsi il ne lui reste presque rien à écrire ; et que dans le meilleur des cas il répétera des choses qui ont déjà été dites, sinon répétées mille fois, des dires insérés dans le cadre de réflexion de quelqu’un d’autre et dans des objectifs variés… ». C’est avec ces

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mots que Yiorgos Kendrotis choisit d‘amorcer son épilogue dans sa traduction des Fleurs du Mal, et ce sont ces mots exacts qui me sont venus en tête quand j’ai bien pris conscience du sujet que j’allais aborder…

Dans cet exposé, je présenterai dans une première partie l’aventure éditoriale du recueil en question et les premières critiques qu’il a reçues, dans une deuxième partie je parlerai du procès des Fleurs du Mal de Baudelaire et dans une troisième partie, je tenterai de faire une brève présentation des six pièces condamnées du recueil.

Les Lesbiennes étaient le premier titre que Baudelaire avait choisit pour son recueil. Les poèmes « Femmes damnées » et « Lesbos » justifieraient son choix, mais ils n’ont pas été inclus dans la première édition du recueil.

Les limbes étaient un autre titre que Baudelaire avait pensé donner à son œuvre, car il voyait le monde dans une situation d’attente et de crépuscule, au seuil de l’Enfer. Cependant, il l’a rejeté parce qu’il renvoyait à un contexte religieux et qu’il y avait déjà un recueil de poèmes de Georges Durand avec ce titre.

C’est en 1857, dans le café Lemblin, qu’il a baptisé son recueil Les Fleurs du Mal, suivant le conseil de son ami, écrivain et critique littéraire, Hippolyte Babou.

Or, la partie difficile c’était de trouver un éditeur qui voudrait publier cette édition scandaleuse. Cet éditeur fut Auguste Poulet-Malassis, socialiste des barricades qui fut arrêté et emprisonné pendant les évènements de 1848.

En 1857, la maison d’édition Poulet-Malassis et De Broise publie Les Fleurs du Mal en 1300 exemplaires.

Le 5 juillet 1857,Gustave Bourdin publie dans Le Figaro un libelle contre Baudelaire où il écrit : « Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais elles sont incurables. »

Ce fut à partir de ce libelle qu’un scandale est créé aux dépens du poète et de son éditeur. Un procès est alors entrepris contre eux pour « outrage à la morale publique », à l’issue duquel le tribunal décide la suppression de six poèmes du recueil en cas de réédition

En août 1857, l’édition censurée est mise en circulation et est épuisée en un an. Les Fleurs du Mal sont réédités par la maison d’édition Poulet-Malassis et De Broise

le 24 mai 1861 en 1500 exemplaires. Cette deuxième édition inclut un poème introducteur non numéroté s’adressant au Lecteur et 126 poèmes numérotés et répartis en six parties. Il est par ailleurs orné d’un portrait de Baudelaire gravé par Félix Bracquemond.

En 1866, Poulet-Malassis publie à Bruxelles 28 poèmes répartis en six parties : Les Épaves (Ta συντρίμματα του ναυαγίου). Le frontispice de l’édition est orné par une œuvre de Félicien Rops. Dans cette édition, sont inclus les six poèmes condamnés de la première édition de 1857.

La troisième édition des Fleurs du Mal, portant l’épigraphe « édition définitive »est une édition posthume de décembre 1868. Cette fois-ci, c’est l’éditeur Michel Lévy qui se charge de l’édition du livre. Théophile Gautier préface l’édition avec un essai intitulé Charles Baudelaire. L’édition est ornée d’une gravure d’Adrien-Jean Nargeot et méditée par Théodore de Banville et Charles Asselineau, qui ont supprimé, de leur propre initiative, les poèmes condamnés de 1857 afin que l’éditeur n’ait pas de problèmes avec la vente du livre.

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Or, l’édition définitive que Baudelaire avait conçue n’a jamais vu le jour, malgré son désir que le livre soit jugé dans son ensemble.

La réputation de l’écrivain, de son éditeur et Des Fleurs du Mal ne fut rétablie qu’avec la sentence judiciaire de 1949.

L’édition la plus importante après 1868 est celle de Claude Pichois, dans les éditions parisiennes Gallimard, qui a été publiée dans les années 1975-1976. Elle est basée sur l’édition de 1861, accompagnée Des Épaves de 1866 et de l’Apport de la troisième édition des Fleurs du Mal de 1868. Ainsi, l’Œuvre Complète du poètecomporte au total 164 poèmes.

Les critiques se sont montrés très réticents à l’égard de la première édition des Fleurs du Mal de 1857. Alors que le théoricien de Dante, Jules Barbier D’Aurevilly, exprime explicitement son admiration pour les poèmes de Baudelaire en l’appelant « Dante d’une époque déchue », Théophile Gautier, à qui les poèmes étaient dédiés, préfère garder le silence et n’apporte nullement son soutien au poète pendant le procès. Même Sainte-Beuve procède à un éloge modéré du poète, agrémenté de conseils. Victor Hugo est le seul à se montrer enthousiaste à l’égard des poèmes de Baudelaire ayant bien compris leur modernité. Dans sa lettre du 30 août 1857, il écrit à Baudelaire « Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles », alors que le 6 octobre 1859 il lui écrit « Vous créez un frisson nouveau ».

Le Procès

Le 20 août 1857, le substitut du procureur Ernest Pinard prononce devant le Tribunal correctionnel de la Seine son réquisitoire. Six mois plus tôt, il avait demandé pendant le procès de Gustave Flaubert la condamnation de ce dernier pour son roman Madame Bovary. En parlant de Baudelaire, il dit que celui-ci « n’appartient pas à une école. Il ne relève que de lui-même. Son principe, sa théorie, c’est de tout peindre, de tout mettre à nu. Il fouillera la nature humaine dans ses replis les plus intimes ; il aura, pour la rendre, des tons vigoureux et saisissants, il l’exagèrera surtout dans ses côtés hideux ; il la grossira outre mesure, afin de créer l’impression, la sensation. Il fait ainsi, peut-il dire, la contrepartie du classique, du convenu… »Le substitut anticipe par la suite sur les objections des protecteurs de Baudelaire, selon lesquelles le livre serait triste et l’auteur aurait voulu dépeindre le mal et ses trompeuses caresses pour s’en préserver. Dès lors, on devrait voir un enseignement au lieu d’y voir une offense. À ces objections, il oppose l’argument que : « l’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle, qu’il veut en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée par de mâles efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra facilement le goût des frivolités lascives, sans se préoccuper de l’enseignement que l’auteur veut y placer. »Enfin, le substitut demande aux magistrats de réagir par un jugement« contre cette fièvre malsaine qui porte à tout peindre, à tout décrire, à tout dire, comme si le délit d’offense à la morale publique était abrogé, et comme si cette morale n’existait pas » et il conclut son réquisitoire par l’exhortation suivante : « Soyez indulgent pour Baudelaire, qui est une nature inquiète et sans équilibre. Soyez-le pour les imprimeurs, qui se mettent à couvert derrière l’auteur. Mais donnez, en condamnant au moins certaines pièces du livre, un avertissement devenu nécessaire. »

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La plaidoirie fut assurée par Gustave Gaspard Chaix d’Est-Ange. Dans sa défense, il cite  : « le poète vous prévient par son titre, qui est là, comme en vedette, pour annoncer la nature et le genre de l’œuvre ; c’est le mal qu’il va vous montrer, la flore des lieux malsains, les fruits des végétaux vénéneux, son titre vous le dit, — comme ce titre de l’Enfer, lorsqu’il s’agit de l’œuvre du Dante — mais il va vous montrer tout cela, pour le flétrir, pour vous en donner l’horreur, pour vous en inspirer la haine et le dégoût. » Par la suite, il lit l’épigraphe du recueil qui, à son avis, résume la pensée de l’auteur :

« On dit qu’il faut couler les exécrables chosesDans le puits de l’oubli et au sépulchre encloses, Et que par les escrits le mal ressuscitéInfectera les mœurs de la postérité ;Mais le vice n’a point pour mère la science.Et la vertu n’est pas fille de l’ignorance. »

(Th. Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, livre II.)

ainsi que les premiers vers du poème « Au lecteur » qui marquent encore plus nettement sa pensée :

« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,Occupent nos esprits et travaillent nos corps,Et nous alimentons nos aimables remords,Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux ;Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas. Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. »

Selon lui, Baudelaire déclare la guerre aux vices et aux bassesses de l’humanité, et lance une malédiction à toutes les hontes qui « occupent nos esprits et travaillent nos corps ». Le poète tient le langage élev d’un moraliste qui entre en communication avec le lecteuré pour stigmatiser la sottise, l’erreur, le péché et la lésine...Enfin, Baudelaire, par l’intermédiaire de son avocat, avance ses propres arguments pour défendre son cas. Il se demande s’il est juste de vouloir brusquement punir en lui une liberté de pensée et d’expression qui existe déjà depuis près de trente ans dans la littérature. Il fait par ailleurs la distinction entre la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit obéir et la morale des arts qui est tout à fait différente, ainsi qu’entre la liberté pour le génie et la liberté très restreinte pour les polissons. Il considère aussi qu’il lui était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter l’agitation de l’esprit dans le mal. Enfin, il condamne la morale prude, bégueule et taquine du régime napoléonien qui ne tend à rien moins qu’à créer des conspirateurs et il ironise sur l’abominable hypocrisie de cette morale qui irait jusqu’à dire que « DESORMAIS ON NE FERA QUE DES LIVRES CONSOLANTS ET SERVANT À DEMONTRER QUE L’HOMME EST NE BON ET QUE TOUS LES HOMMES SONT HEUREUX. »

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À l’issue de ce procès, Baudelaire et ses éditeurs sont lavés de l’accusation d’ « offense à la morale religieuse », mais ils sont condamnés pour « délit d’outrage à la morale publique », et se voient infliger respectivement une amende de 300 et 100 francs. En outre, le Tribunal décrète la saisie des exemplaires publiés ainsi que la suppression de 6 pièces du recueil en cas de réédition : « Lesbos », « Femmes damnées, (Delphine et Hippolyte) »,« Le Léthé », « À celle qui est trop gaie », « Les Bijoux » et « Les Métamorphoses du Vampire ». Ces poèmes condamnés pour « un réalisme grossier et offensant pour la pudeur » et des « passages ou expressions obscènes et immorales » resteront interdits de publication en France jusqu'en 1949. En novembre 1946, la Société des gens de lettres demande la révision du jugement de 1857 devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation française. Le 31 mai 1949, un arrêt annule la condamnation de 1857.Dans ses attendus, la Cour énonce que : « les poèmes faisant l’objet de la prévention ne renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les libertés permises à l’artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des Fleurs du Mal et apparaitre aux premiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ».

Les pièces condamnées

« Lesbos » et « Les femmes damnées » sont selon le substitut Ernest Pinard à lire toutes entières car on y trouvera dans leurs détails les plus intimes mœurs des tribades. Dans « Femmes damnées », le poète met en scène Hippolyte, jeune ingénue se donnant à l’expérimentée Delphine, et tandis que la première confie à son amante son inquiétude et ses tourments d'avoir commis une faute si délicieuse, la seconde tente de la convaincre qu'il est vain de chercher des tourments dans l'amour et que l’abandon aux délices, même interdites, est la meilleure des philosophies. L’amour de l’homme est ici rejeté et conçu comme une brutalité bestiale. Le poème se termine par cinq quatrains dans lesquels Baudelaire décrit le châtiment qui attend celles qui ont osé briser ce tabou de la passion défendue, à savoir la mise au ban de la société des hommes d’êtres assimilés à des bêtes sauvages. C’est enfin ce poème qui a inspiré le tableau de Gustave Courbet, Le Sommeil ou Les Dormeuses, ou encore Paresse et luxure.

Dans « Le Léthé », la femme adorée, peut-être Jeanne Duval, se présente comme une « âme cruelle et sourde », un « tigre adoré », un « monstre aux airs indolents » dont les baisers sont associés au fleuve Léthé apportant l’oubli. Le poète, innocent martyr, se laisse entrainer dans l’abime de sa couche et goûte la mort en suçant un corps carnivore, venimeux et sans cœur. Lors du procès, le substitut signale la strophe finale du poème :

« Je sucerai, pour noyer ma rancœur,Le népenthès et la bonne ciguëAux bouts charmants de cette gorge aiguë Qui n’a jamais emprisonné de cœur. »

Dans « À celle qui est trop gaie », l’amant dit à sa maitresse :

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« Ainsi je voudrais, une nuit,Quand l’heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne, Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné,Et faire à ton flanc étonnéUne blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !À travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T’infuser mon venin, ma sœur ! »

Baudelaire laisse libre cours à un fantasme sadique dont la femme aimée, ici Apollonie Sabatier, est la victime. Le poète instaure avec l'objet de son amour une relation violente et sadique où le plaisir sensuel est lié à la destruction et l’humiliation. L’amante est associée à une fleur de la Nature insolente que le poète a envie de punir parce qu’il la désire sans pouvoir la posséder. Il doit alors façonner la femme à son image, remodeler son corps, lui imposer un autre sexe et lui « infuser son venin », dans un mouvement orgasmique. Corrompue, la femme quitte son état céleste pour devenir une créature à la merci du poète. C’est ainsi que la fusion entre ces deux êtres devient possible. Baudelaire nous livre dans ces vers sa conception corrompue du désir selon laquelle la fusion des êtres ne peut se faire que par le mal et la dégradation.

Dans « Les Bijoux », Baudelaire décrit une femme nue, parée uniquement de bijoux, et s'offrant à l'amour du poète. Ernest Pinard signale trois strophes qui « pour le critique le plus indulgent, constituent la peinture lascive, offensant la morale publique ».

« Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristalOù, calme et solitaire, elle s’était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessinLes hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin.Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe ! »

Dans ces vers, les parties les plus sensuelles du corps féminin (bras, jambe, cuisse, reins, ventre, seins) éveillent le désir charnel du poète et la danse de son amante, comparée à celle des « anges du mal », vient déranger son âme, calme et solitaire. Les bijoux désignent

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dans ce poème le corps féminin et provoquent en ce sens le furieux désir du poète tout en créant une impression d’érotisme et de sensualité débordants.

Enfin, le substitut cite les vers suivants des « Métamorphoses du Vampire » :

« La femme cependant, de sa bouche de fraise,En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc : - « Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants, Et fais rire les vieux du rire des enfants.Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés, Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés, Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste, Timide et libertine, et fragile et robuste,Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi,Les anges impuissants se damneraient pour moi !

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,Et que languissamment je me tournai vers ellePour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! »

Il s’agit d’un poème dans lequel l'auteur aborde le thème de la femme en l'associant principalement à la sensualité charnelle et à la mort. Il passe d'une description sensuelle de la femme à une description repoussante d'un corps en putréfaction. En effet, tandis que dans les premiers vers se dessine le portrait d’une femme prédatrice au charme indéniable, dotée d’un érotisme enivrant, par la suite cette même femme devient une anti-muse, une femme-vampire repoussante et dotée d’un pouvoir mortifère. La figure féminine incarne ainsi à la fois l’amour et la mort, la volupté et la violence, mais finit par se métamorphoser en un objet de répulsion puni pour ses péchés.Ernest Pinard adresse alors la question suivante aux magistrats : « croyez-vous qu’on puisse tout dire, tout peindre, tout mettre à nu, pourvu qu’on parle ensuite du dégoût né de la débauche et qu’on décrive les maladies qui la punissent ?Ainsi achève-t-il sa citation des passages portant selon lui offense à la morale publique et défiant le sens de la pudeur.

En guise de conclusion, ces Fleurs condamnées de Baudelaire, maudites et parasites, lambeaux du vice et de la sensualité, ne font que mettre à nu les côtés les plus obscurs et profonds de l’Homme. Elles pourraient alors choquer ou indigner à toute époque tout lecteur puritain ou ignorant, fermant les yeux devant la vraie nature humaine polymorphe, à la fois corrompue et angélique, vile et grandiose, par peur d’assumer ses propres désirs, sentiments et culpabilités. Pour ces lecteurs, Charles Baudelaire aurait pu ajouter, d’après la recommandation de son ami Charles Asselineau, les vers suivants de Théophile Gautier :

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« Et d’abord, j’en préviens les mères de familles, Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles Dont on coupe le pain en tartines. »