chapitre ii – les pouvoirs du juge pénal dans l'inexécution des

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http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 98 Chapitre II – Les pouvoirs du juge pénal dans l’inexécution des conventions. 96. Le corpus d’incriminations concernant directement ou indirectement l’exécution de la convention demeure important, malgré quelques mesures de dépénalisation. L’abus de confiance est bien sûr l’exemple qui vient spontanément à l’esprit de chacun : l’infraction est constituée si le bien est détourné alors qu’un contrat obligeait à le restituer. Les obligations de payer les créanciers sont garanties grâce à des infractions aussi diverses que le faux monnayage ou la banqueroute dont la dépénalisation en 1985 fut très relative 1 . Le contrat de société est protégé, par exemple, par l’abus de bien social, le contrat de consommation, par les infractions de fraudes et de tromperies. Le droit pénal du travail contient de nombreuses obligations pénalement sanctionnées concernant l’hygiène ou la sécurité. Les infractions de violence ou d’homicide involontaire peuvent intervenir en cas de dommages survenus au cours d’un contrat de transport, d’une convention de soins ou à la suite d’un contrat de construction mal exécuté. De nombreux professionnels tels que les médecins, les avocats ou les commissaires aux comptes se voient imposer des obligations au secret. Cette liste n’est qu’un faible aperçu. Ces infractions en grand nombre sont la manifestation d’un retour au droit et d’une responsabilisation des contractants, en particulier des professionnels qui doivent mener leurs activités avec prudence et probité 2 . Ici encore, le critère de l’équilibre marque de son empreinte le champ d’action du droit pénal : la sanction pénale est souvent encourue lorsque l’un des contractants a profité de l’ignorance de l’autre, de ses connaissances particulières ou de sa puissance économique, pour se permettre des défaillances dans l’exécution du contrat. La force obligatoire de la convention s’impose plus énergiquement au contractant dominant – sorte de « noblesse oblige » - et, en imposant l’exécution de nombreuses obligations auxquelles les contractants n’auraient pas pensé a priori, le juge pénal peut participer au mouvement de « forçage du contrat » 3 , largement perceptible en droit civil. Le juge civil a ainsi pu imposer de nombreuses obligations de sécurité ou d’information aux contractants afin de rééquilibrer les conventions. Les obligations d’information sont largement relayées par le droit pénal 4 ; il en est de même des obligations de sécurité, par exemple, et le juge pénal n’en reste pas là puisque bien d’autres obligations sont envisageables. Pourtant, l’effectivité de ces nombreuses dispositions n’atteint pas les niveaux que pourrait laisser attendre une telle profusion de textes ; le contentieux est d’autant plus réduit que les dispositions présentent un caractère récent et technique. Les victimes ignorent parfois leurs 1 Voir infra n° 132. 2 Voir supra n° 18. Ces exigences croissantes effraient tant les professionnels que l’expression paradoxale de « risque pénal » connaît un certain succès ; on la retrouve ainsi comme intitulé d’un ouvrage destiné aux professionnels : L’entreprise et le risque pénal : infractions réprimées, Publications fiduciaire, Paris, 1996. Voir aussi J.-P. Antona, P. Colin, F. Lenglart, La prévention du risque pénal en droit des affaires, Dalloz 1997 ; C. Heurteux, Prise de risque par l’entrepreneur et droit pénal, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 169. 3 Expression célèbre de L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H. 1933, chron. p. 89. 4 Voir supra n° 63 et s.

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Page 1: Chapitre II – Les pouvoirs du juge pénal dans l'inexécution des

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98

Chapitre II – Les pouvoirs du juge pénal dans l’inexécution des conventions.

96. Le corpus d’incriminations concernant directement ou indirectement

l’exécution de la convention demeure important, malgré quelques mesures de dépénalisation.

L’abus de confiance est bien sûr l’exemple qui vient spontanément à l’esprit de chacun :

l’infraction est constituée si le bien est détourné alors qu’un contrat obligeait à le restituer. Les

obligations de payer les créanciers sont garanties grâce à des infractions aussi diverses que le

faux monnayage ou la banqueroute dont la dépénalisation en 1985 fut très relative1. Le contrat

de société est protégé, par exemple, par l’abus de bien social, le contrat de consommation, par

les infractions de fraudes et de tromperies. Le droit pénal du travail contient de nombreuses

obligations pénalement sanctionnées concernant l’hygiène ou la sécurité. Les infractions de

violence ou d’homicide involontaire peuvent intervenir en cas de dommages survenus au

cours d’un contrat de transport, d’une convention de soins ou à la suite d’un contrat de

construction mal exécuté. De nombreux professionnels tels que les médecins, les avocats ou

les commissaires aux comptes se voient imposer des obligations au secret. Cette liste n’est

qu’un faible aperçu. Ces infractions en grand nombre sont la manifestation d’un retour au

droit et d’une responsabilisation des contractants, en particulier des professionnels qui doivent

mener leurs activités avec prudence et probité2. Ici encore, le critère de l’équilibre marque de

son empreinte le champ d’action du droit pénal : la sanction pénale est souvent encourue

lorsque l’un des contractants a profité de l’ignorance de l’autre, de ses connaissances

particulières ou de sa puissance économique, pour se permettre des défaillances dans

l’exécution du contrat. La force obligatoire de la convention s’impose plus énergiquement au

contractant dominant – sorte de « noblesse oblige » - et, en imposant l’exécution de

nombreuses obligations auxquelles les contractants n’auraient pas pensé a priori, le juge pénal

peut participer au mouvement de « forçage du contrat »3, largement perceptible en droit civil.

Le juge civil a ainsi pu imposer de nombreuses obligations de sécurité ou d’information aux

contractants afin de rééquilibrer les conventions. Les obligations d’information sont largement

relayées par le droit pénal4 ; il en est de même des obligations de sécurité, par exemple, et le

juge pénal n’en reste pas là puisque bien d’autres obligations sont envisageables. Pourtant,

l’effectivité de ces nombreuses dispositions n’atteint pas les niveaux que pourrait laisser

attendre une telle profusion de textes ; le contentieux est d’autant plus réduit que les

dispositions présentent un caractère récent et technique. Les victimes ignorent parfois leurs 1 Voir infra n° 132. 2 Voir supra n° 18. Ces exigences croissantes effraient tant les professionnels que l’expression paradoxale de « risque pénal » connaît un certain succès ; on la retrouve ainsi comme intitulé d’un ouvrage destiné aux professionnels : L’entreprise et le risque pénal : infractions réprimées, Publications fiduciaire, Paris, 1996. Voir aussi J.-P. Antona, P. Colin, F. Lenglart, La prévention du risque pénal en droit des affaires, Dalloz 1997 ; C. Heurteux, Prise de risque par l’entrepreneur et droit pénal, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 169. 3 Expression célèbre de L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H. 1933, chron. p. 89. 4 Voir supra n° 63 et s.

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droits et les juridictions, passablement encombrées, hésitent peut être à se lancer dans de

nouveaux contentieux tant que les plaintes et les besoins ne se font pas pressants.

Il demeure que l’omniprésence du droit pénal a permis de policer les pratiques,

parfois de façon un peu inattendue. La société se contractualise, la loi s’élaborant de plus en

plus fréquemment autour d’un consensus5. L’individualisme crée le désir chez chacun de fixer

sa propre norme ou de se voir appliquer une norme particulière, en parfaite harmonie avec ses

besoins et ses aspirations. Par ailleurs, il n’est plus question pour quiconque de subir les

conséquences des activités, voire de la cupidité des autres ; les personnes faibles s’organisent

et les actions de groupes (de consommateurs, de syndicats, …) sont désormais possibles. Il

devient indispensable et urgent, pour tout professionnel, de connaître parfaitement la

réglementation en cours ; faire savoir à ses clients qu’il porte la plus grande attention à leur

droit devient même un argument publicitaire. L’ensemble de ces facteurs contribue à

l’émergence de conventions, chartes, codes, élaborés par des secteurs professionnels de plus

en plus nombreux et garantissant la « bonne conduite » de chacun des adhérents : ceux-ci

s’engagent à respecter la loi dont les dispositions sont fréquemment rappelées dans ces

conventions, ainsi que des stipulations particulières que le corps professionnel a jugé bon

d’édicter.

Le juge pénal peut connaître de nombreuses inexécutions contractuelles qui

font l’objet plus ou moins directement d’incriminations pénales (section 1). Certaines

inexécutions de conventions non incriminées peuvent-elles intéresser le juge pénal ? En effet,

il convient de se demander si les juridictions répressives ont la possibilité de sanctionner

l’inexécution des conventions d’autodiscipline qui, pour la plupart, contiennent de

nombreuses dispositions rappelant ou complétant le droit pénal des conventions (section 2).

5 Voir supra n° 1.

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Section 1 – Le juge pénal et l’inexécution incriminée par la loi pénale.

97. Dans certaines conditions, l’activité du juge pénal vient sanctionner une

inexécution contractuelle. Quelles sont les exigences communes du juge pénal et du juge

civil ? Plusieurs points de convergence entre inexécution contractuelle et droit pénal sont

envisageables : on peut penser qu’une sanction pénale serait utile lorsque l’inexécution de la

convention trouble l’ordre public ou bien lorsque c’est une obligation de résultat qui est

inexécutée. L’intervention du juge pénal est-elle recommandée lorsque la défaillance du

contractant intéresse l’ordre public ? Ce critère semble peu éclairant puisque le juge civil est

lui-même chargé de la protection de l’ordre public. Il est vrai cependant qu’une sanction

pénale de la force obligatoire des conventions avait été envisagée dès l’antiquité6. « La

violation du contrat apparaissant comme le non-respect d’un devoir moral, susceptible de

troubler l’ordre social, les conditions de l’intervention du droit pénal semblent réunies »7.

Violation d’un devoir moral, en effet, puisque la confiance du créancier est déçue ; trouble de

l’ordre social puisque l’inexécution déjoue les prévisions économiques et crée une forme

d’insécurité juridique. Mais il n’existe pas de sanction pénale de la violation de l’article 1134

du Code civil qui édicte la force obligatoire des conventions8. Le principe contemporain de

légalité criminelle interdirait une incrimination aussi large9.

L’intervention du juge pénal est-elle fonction du type d’obligation contractuelle

inexécutée ? L’intensité de l’obligation , que les auteurs ont pu qualifier de « moyens » ou de

« résultat », ne semble pas avoir d’influence sur le rôle du juge pénal10. Si une incrimination

sanctionne une inexécution contractuelle, celle-ci pourra être de résultat (restituer un objet

préalablement confié pour l’abus de confiance) ou de moyens (l’omission de porter secours est

utilisée en matière médicale où la convention est réputée, en matière civile, ne comporter pour

l’essentiel que des obligations de moyens). L’inexécution de l’obligation contractuelle, quelle

que soit son intensité, devra toujours être démontrée dans l’éventualité où cette inexécution

constitue le résultat pénal de l’infraction ou l’un de ses éléments matériels. Il en est de même

en matière civile : comme en droit pénal, la démonstration de l’inexécution devra toujours être

rapportée devant le juge civil, puisqu’elle constitue le dommage. La distinction entre

obligation de moyens et de résultat ne joue qu’en droit civil, lorsque l’inexécution est traitée

par le système de la responsabilité contractuelle ; elle module les exigences de preuve : la

recherche d’un fait générateur de cette inexécution, intervenu dans la sphère d’autorité du

contractant défaillant, est obligatoire si l’obligation transgressée est de moyens, alors que si

l’obligation est de résultat, la seule inexécution suffit pour la mise en œuvre du régime de

6 Deprez, Rapport sur les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en droit civil et commercial français, Travaux de l’association Capitant, T. XVII, 1964, p. 31. 7 M. Muller , L’inexécution pénalement répréhensible du contrat, thèse Paris II, 1977, n° 1. 8 M. Muller , préc., n° 1. 9 M. Ancel, L’inexécution des contrats et le droit pénal, rapport général, Travaux de l’association Capitant, T. XVII, 1964, p. 294. 10 Contra : M. Muller , préc., n° 12 et s.

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réparation. Pour le juge pénal, cette distinction civiliste des obligations contractuelles ne

connaît pas d’écho. Les exigences de preuve ne sont pas dictées par l’intensité de l’obligation

mais par le nombre d’éléments définissant l’infraction.

Ces critères de l’atteinte à l’ordre public ou de l’ampleur de l’obligation

inexécutée sont inopérants. Comme en matière de formation de la convention, la juridiction

pénale peut intervenir dans le domaine de l’inexécution contractuelle si des textes

d’incriminations sanctionnent ces exécutions défectueuses11. Cette évidence ne suffit pas à

cerner avec précision le champ d’action du juge répressif. L’étude attentive des points de

rencontre du droit contractuel et du droit pénal montre que la notion de fait générateur,

d’influence croissante dans le droit civil de l’inexécution, est aussi la clé indispensable pour

décrire le champ d’action de la juridiction pénale.

98. De nombreuses incriminations contiennent, parmi leurs éléments

matériels ou moraux, des comportements susceptibles d’être à l’origine d’une inexécution

contractuelle12. Le juge répressif peut sanctionner l’inexécution de multiples obligations

ajoutées à la convention par les lois pénales afin que l’autonomie de la volonté n’aboutisse pas

à un trop grand déséquilibre des contractants. Cependant, l’étude des statistiques révèle que

leur effectivité dans le contentieux est parfois mince. Selon M. Carbonnier, l’ineffectivité est

double : « non seulement la transgression est restée dépourvue de sanction, mais la

prohibition n’a pas su empêcher la transgression »13. Le second aspect de la proposition

semble contestable. L’émergence des Codes de bonne conduite au sein des corps

professionnels concernés par le « risque pénal » montre une certaine mobilisation et

l’évolution des mœurs est manifeste dans le domaine des affaires14 : la responsabilisation des

dirigeants sociaux est indispensable à une économie performante15.

Il est cependant probable que de nombreuses transgressions restent dépourvues

de sanction : le contentieux intéressant les infractions de création récente est peu

volumineux16. Le juge pénal n’est-il pas handicapé dans son action par le caractère

pléthorique des textes prévoyant une sanction pénale ? Rappelons « qu’aujourd’hui, en

France, aucun spécialiste, aucune banque de données juridiques ne peut donner la liste

exhaustive des infractions, même en se limitant aux crimes et délits ou aux seules infractions

11 Voir supra n° 31. 12 Voir les exemples précédemment donnés. 13 J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ 1998, 9ème éd., p. 126. 14 Voir supra n° 18. P. Bezard, L’objet de la pénalisation de la vie économique, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Colloque Dalloz 1997, p. 11, spéc. p. 16. A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 272 et s. 15 Déjà cités supra n° 18 : C. de Boissieu, Les risques collectifs encourus par le système économique et financier, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 179. Dans le même sens, S. Mogini , Droit pénal, contrôle des marchés et autorégulation des acteurs, même ouvrage, p. 185, spéc. p. 192. Sur les avantages du droit de la concurrence pour l’économie libérale : G. Farjat , La notion de droit économique, in Droit et économie, APD, T. 37, p. 27, spéc. p. 36 et s. MM. Truche et Buthurieux, Droit pénal et comptabilité de l’entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 109, spéc. p. 121. 16 Voir les statistiques infra n° 124 et s.

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punissables d’emprisonnement »17. Le législateur, débordé par les sollicitations, pare au plus

pressé, résolvant les problèmes au cas par cas. Désireux de garantir les dispositions nouvelles

de la meilleure efficacité, il choisirait la sanction pénale à cette fin18 : les textes sont de type

réglementaires et interventionniste19 ; ces incriminations ne seraient pas de vraies règles de

droit pénal, porteuses d’un projet et de morale20. Si le droit pénal conserve une certaine

efficacité dans ses secteurs traditionnels, où la norme pénale a une véritable fin de

moralisation, il n’en a guère lorsque cette norme est ravalée au rang de technique, où elle est

seulement « le moyen de rendre effectif des ensembles normatifs autonomes »21.

Il convient de nuancer ces observations pessimistes en rappelant la progression

régulière et constante du nombre de condamnations pour infraction aux règles économiques et

financières. Ceci signifie peut-être que ces infractions suscitent peu à peu une moindre

indulgence : le caractère particulièrement grave de ces comportements apparaît et la

juridiction pénale se voit progressivement dotée de moyens pour les sanctionner. Le

législateur compte de plus en plus sur l’activité des juridictions répressives pour modifier les

comportements dans le monde des affaires. Ces secteurs de délinquance sont apparus

relativement récemment et les sanctions civiles ou commerciales paraissent peu dissuasives.

C’est en cela que le principe de nécessité de la loi pénale peut être considéré comme respecté

par le législateur qui impose de lourdes sanctions pour des comportements que l’on veut tenter

d’éradiquer à l’aide de menaces impressionnantes22, non seulement parce que le joug d’une

sanction pénale donne de la publicité à la mesure légale, mais aussi parce que ces normes

correspondent bel et bien à un besoin de moralisation de la vie contractuelle23. Après avoir défini quels peuvent être les points de rencontre du droit

contractuel et du droit pénal, dans le but de sérier théoriquement le domaine d’action de la

juridiction pénale, (paragraphe 1) il convient d’en préciser les principales incriminations,

quelles obligations elles ajoutent aux conventions et d’en vérifier l’effectivité (paragraphe 2).

17 M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 33. Voir aussi les références citées supra n° 17, p. 37 : M. Delmas-Marty, Les conditions de rationalité d’une dépénalisation partielle du droit pénal de l’entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 89. J. Deveze, De la diversité des sources du droit pénal de l’entreprise, même ouvrage, p. 15. 18 M. Delmas-Marty, le flou du droit, préc., p. 44. B. Vatier, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 4 ; P. Devedjian, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, même revue, p. 7. 19 Sur la confusion entre le droit et l’Etat et l’Etat-providence en matière juridique, voir L. Cadiet, Le spectre de la société contentieuse, in Mélanges Cornu, PUF 1994, p. 36. 20 Voir supra n° 20. 21 M. Delmas-Marty, préc., p. 174. Dans le même sens, notamment, M.-T. Calais-Auloy, La dépénalisation en droit des affaires, D. 1988, Chron. p. 315. G. Stéfani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 7. R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 8. A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261. A. Garapon, D. Salas, La République pénalisée, Hachette, 1996, p. 96. J.-F. Verny, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 16. 22 Contra : B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 391 et s. 23 Voir supra n° 18 et 20.

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Paragraphe 1 – Points de rencontre du droit contractuel et du droit pénal.

99. Comme pour la formation de la convention24, le juge pénal n’intervient

que si un texte d’incrimination correspond à l’incrimination d’une inexécution contractuelle.

Il n’est pas nécessaire que le texte d’incrimination prévoie l’inexécution parmi ses éléments

matériels. L’inexécution d’une convention est sanctionnée par la juridiction pénale dès que le

fait générateur de l’inexécution fait partie de l’incrimination. Le fait générateur de

l’inexécution est la notion la plus opérationnelle pour caractériser les pouvoirs du juge pénal

(A). Cependant, le juge civil envisage des faits générateurs divers, tels que la faute, le fait

d’une chose ou d’autrui ; tous ne peuvent intéresser le juge pénal. Nous rechercherons dans

quels cas la notion de fait générateur pourra coïncider avec la définition d’une infraction (B).

A – Importance de la notion de fait générateur.

100. Le pouvoir du juge pénal dépend de l’existence et de la formulation

d’un texte d’incrimination. La juridiction répressive ne peut être juge de l’inexécution

contractuelle que lorsqu’une infraction la sanctionne. Plusieurs hypothèses peuvent alors être

envisagées : l’inexécution elle-même peut correspondre au résultat pénal, au dommage que

veut éviter le législateur (ou le juge quand telle est son interprétation du texte) ; c’est le cas,

par exemple, des filouteries, ou de certaines infractions contenues dans le Code de la

consommation. Parfois, l’inexécution est un élément matériel de l’incrimination comme c’est

le cas pour l’abus de confiance ou les tromperies. Enfin, certaines infractions sanctionnent les

inexécutions par le fait du hasard : l’atteinte à l’intégrité corporelle peut être invoquée à

l’occasion de l’exécution défectueuse d’un contrat de transport ou de construction. De

nombreuses infractions coïncident directement avec des inexécutions contractuelles ou en sont

seulement l’origine.

Dès lors, pour que la juridiction pénale ait un pouvoir en matière d’exécution

contractuelle, il suffit que l’origine de l’inexécution corresponde aux éléments matériels et

moraux d’une infraction ; il n’est pas nécessaire que l’inexécution elle-même soit envisagée

par le texte d’incrimination, ce qui restreindrait par trop le champ d’action du juge pénal. Par

exemple, si le texte sanctionne la non-exécution de l’obligation de restituer un bien par

l’infraction d’abus de confiance, l’origine de cette inexécution doit correspondre aux éléments

matériels et moraux de cette incrimination. Si le juge sanctionne une atteinte à l’obligation de

sécurité du médecin, l’origine de cette inexécution doit correspondre aux éléments

constitutifs, matériels et intentionnels, des blessures, voire de l’homicide par imprudence. En

termes civilistes, cette origine de l’inexécution est le fait générateur, notion appartenant au

système de responsabilité civile. La responsabilité n’est qu’un moyen parmi de nombreux

24 Voir supra n° 31.

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autres de traiter l’inexécution contractuelle ; le choix du juge civil est vaste : exception

d’inexécution, résolution, exécution forcée, etc. Cependant, c’est seulement, lorsqu’il choisit

d’appliquer la responsabilité contractuelle que le juge civil examine véritablement l’origine et

la nature de l’inexécution25. Or c’est sur l’inexécution elle-même, ainsi que sur l’événement

qui l’a provoquée, qu’il est possible de caractériser avec précision le champ d’action du juge

pénal par comparaison avec celui du juge civil. L’origine de l’inexécution peut toujours être

caractérisée de la même manière que l’on caractérise les « faits générateurs ». Pour que le

recours à une sanction pénale puisse être envisagé, il faut que l’origine de l’inexécution,

normalement traitée par le juge civil, recouvre les composantes matérielles et morales d’une

infraction.

Certaines incriminations envisagent directement une inexécution contractuelle,

sans qu’il soit nécessaire d’en déterminer l’origine. Conformément au principe de légalité

criminelle, l’élément matériel devrait être décrit précisément par le texte. Si l’inexécution de

la convention fait l’objet d’une infraction, le juge pénal devrait exiger la preuve de l’acte

illicite à l’origine de l’inexécution. Pourtant, les textes contemporains accusent quelques

faiblesses pour la formule « par quelque moyen que ce soit ... ». Il arrivera donc que cet acte

illicite à l’origine de l’inexécution fasse partie de ces « moyens quelconques ». C’est le cas,

par exemple, dans l’infraction de tromperie. L’article L. 213-1 du Code de la consommation26

dispose : « Quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le

contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit,... ». Une tromperie lors de la livraison

constitue bien une inexécution contractuelle qu’a voulu éviter le législateur, mais la preuve de

l’acte illicite précis à l’origine de cette inexécution est superflue. En général, la preuve de

cette origine ne sera exigée que si elle est détaillée parmi les éléments matériels de

l’infraction.

101. Le fait que les juridictions répressives soient amenées, quoi qu’il en

soit, à examiner l’inexécution contractuelle et ses origines, a peut-être contribué à l’émergence

de la notion de fait générateur dans le droit civil des contrats. La recherche attentive de

l’origine de l’inexécution dans le domaine de la responsabilité contractuelle n’a échappé à

personne. Alors que jadis les juges se contentaient de la notion d’inexécution fautive, la faute

étant bien souvent présumée ou relevant de la fiction27, la jurisprudence analyse aujourd’hui

attentivement le fait générateur, admettant que l’inexécution puisse être due au fait d’une

chose ou au fait d’autrui28.

Les autres régimes de traitement civil des inexécutions contractuelles ne

nécessitent pas, en principe, cet examen du fait générateur pour leur mise en œuvre. Certains

25 Voir infra n° 339. 26 Texte qui codifie l’article 1er de la loi du 1er août 1905, modifié par la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978. 27 Pour un exemple de pseudo-défaillance humaine, Cass. 1re civ., 2 juin 1981, JCP 1982, II, 19912. 28 Voir infra n° 104.

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semblent pourtant connaître cette même tendance, de façon peut être moins légitime. Par

exemple, la résolution pour inexécution peut être conventionnelle grâce à une clause

résolutoire, ou judiciaire grâce à l’article 1184 du Code civil29. Le juge civil, lorsqu’il procède

à l’examen d’une demande en résolution judiciaire, n’examine pas en principe l’origine de

cette inexécution. Celle-ci peut toujours être la faute, le fait d’une chose ou le fait d’autrui,

intervenu dans la sphère de responsabilité du contractant défaillant, mais le juge ne le

recherche pas, de même que l’indiffère un événement extérieur, dit de force majeure30. Dès

lors, la résolution est encourue par la simple constatation de l’inexécution. Il convient

cependant de nuancer ces propos en signalant un élément, dans l’arrêt rendu par la première

chambre civile de la Cour de cassation le 4 janvier 199531, qui semble indiquer que le juge

civil s’oriente peut être vers une considération qualitative de l’inexécution. En effet, la cour

précise que « les retards de paiement constituaient une inexécution fautive suffisamment

grave pour justifier la résolution du contrat de vente ». La jurisprudence, jusqu’alors, se

contentait d’évaluer la gravité de l’inexécution, en termes quantitatifs, sans en rechercher

l’origine et encore moins, comme ici, l’origine psychologique.

Quoi qu’il en soit, l’origine de l’inexécution en matière pénale peut toujours

être caractérisée de la même manière que l’on détermine, en responsabilité civile, les « faits

générateurs ». Pour que le recours à une sanction pénale puisse être envisagé, il faut que

l’origine de l’inexécution, normalement traitée par le juge civil, recouvre les composantes

matérielles et morales d’une infraction.

B - Les faits générateurs de l’inexécution intéressant le juge pénal.

102. Tous les faits générateurs ne peuvent correspondre à des faits

susceptibles d’être incriminés. Seule une origine fautive de l’inexécution semble susceptible

de correspondre aux éléments matériels et moraux d’une infraction (1). Puis il convient de

distinguer, parmi les fautes retenues par le juge civil, celles qui sont susceptibles de concerner

le juge pénal (2).

29 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrats, préc., n° 1665. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 624. 30 Comme l’a établi l’arrêt fondateur de la chambre civile de la Cour de cassation du 14 avril 1891 : « L’article 1184 ne distingue pas entre les causes d’inexécution des conventions et n’admet pas la force majeure comme faisant obstacle à la résolution pour le cas où l’une des deux parties ne satisfait pas à son engagement ». D.P. 1891, 1, p. 329, note Planiol ; S. 1894, 1, p. 391. Plus récemment, dans le même sens : Cass. 1re civ., 2 juin 1982, GP 1982, 2, pan. 363 ; Bull. civ. I, n° 205 ; RTD civ. 1983, p. 340, obs. Chabas. Cass. 1re civ., 12 mars 1985, Bull. civ. I, n° 94, RTD civ. 1986, p. 345, obs. Mestre. 31 Bull. civ. I. n° 14. Dans le même sens, notamment, Cass. 1re civ., 10 octobre 1995, pourvois n° 94-10. 649 et n° 93-14. 581. Ces arrêts rejoignent la position d’auteurs classiques qui pensaient que la résolution ne pouvait intervenir qu’en cas d’inexécution fautive : J. Carbonnier, Les obligations, préc. n° 191 ; G. Marty, P. Raynaud, Droit civil, les obligations, T. II, Les effets par P. Raynaud et P. Jestaz, Sirey 2ème éd. 1989, n° 329 ; Mazeaud (H., L., J.), F. Chabas, Leçons de droit civil, T. II, 1er vol., Obligations théorie générale, par F. Chabas, 8ème éd. 1991, n°1100 . Contra : B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrats, préc., n° 1668. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 629.

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1 - La faute, seul fait générateur de l’inexécution intéressant le juge pénal.

103. Parmi les trois faits générateurs retenus par les juridictions civiles, seule

la faute peut intéresser le juge pénal. Pour que l’inexécution puisse être envisagée par le juge

pénal, elle doit revêtir toutes les composantes de l’infraction, à commencer par une

composante psychologique puisque dans toute infraction, il faut un élément moral. L’article

121-3 du nouveau Code pénal dispose à cet égard : « Il n’y a point de crime ou de délit sans

intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence,

de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui »32. Or, en matière

contractuelle, l’inexécution peut être due à une chose ou à un préposé du débiteur : « La faute

n’est qu’un cas particulier d’exécution défectueuse du contrat, cas à côté duquel il faudrait

faire place ... à la défaillance des choses utilisées »33 et ajoutons : au fait illicite de la

personne que l’on s’est substituée pour l’exécution. La jurisprudence civile admet aujourd’hui

explicitement divers faits générateurs en matière de responsabilité contractuelle34 : la faute,

bien sûr, mais aussi le fait d’autrui35 et, depuis peu, le fait des choses. En effet, l’arrêt de la

première chambre civile de la Cour de cassation du 17 janvier 199536 précise : un

établissement d’enseignement est responsable contractuellement des dommages qui sont

causés aux élèves, « non seulement par sa faute, mais encore par le fait des choses qu’il met

en œuvre pour l’exécution de son obligation contractuelle ».

104. A priori, seule l’inexécution contractuelle due à une faute pourra être

éventuellement considérée par le juge pénal. On a pu parler d’admission jurisprudentielle de la

responsabilité pénale du fait d’autrui37. L’hypothèse la plus courante est la suivante : un

membre du personnel d’une entreprise viole des prescriptions légales pénalement sanctionnées

en matière de droit du travail, de droit des sociétés, de droit fiscal, ... à l’occasion de son

activité dans l’entreprise. Le commettant peut-il être déclaré personnellement et pénalement

32 Cette nouvelle disposition élimine d’ailleurs tout risque d’imprécision quant à l’élément moral de l’infraction, et donc, toute entorse au principe de légalité criminelle, comme on pouvait en rencontrer par le passé. Il arrivait, en effet, que le législateur incrimine un comportement, sans préciser si la sanction était possible quand l’infraction résultait d’une simple imprudence : ainsi, l’article 44 de la loi du 27 décembre 1973 sur la publicité mensongère ne disait pas si l’inexécution devait avoir été intentionnelle ou pas. 33 N. Dejean de la Bâtie, JCP 1968, II, 15698, in fine. 34 G. Viney, Introduction à la responsabilité civile, LGDJ 1995, 2ème éd., n° 169 et s. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 557. 35 Cass. 1re civ., 18 janvier 1989, Bull. civ. I, n° 32, RTD civ. 1989, p. 330, obs. P. Jourdain ; 4 juin 1991, JCP 1991, II, 21730, note J. Savatier : la cour relève que le contrat médical a été conclu entre le patient et une fondation, et que le médecin en cause était salarié de la fondation. C’est donc la fondation qui doit réparer contractuellement les dommages subis par le patient du fait du médecin salarié ; plus récemment, Cass. com. 7 juin 1994, Bull. civ. IV, n° 205 ; D 1994, IR, 184, dans le domaine banquaire. La jurisprudence ne passe plus, comme elle a pu le faire dans des arrêts tels que celui du 18 juillet 1983 (Bull. civ. I, n° 209, p. 186), par une pseudo défaillance du cocontractant de la victime : ici, la responsabilité du chirurgien était engagée, implicitement pour le fait anormal de l’anesthésiste, mais explicitement parce que le chirurgien était tenu de faire bénéficier la patiente de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. 36 Cass. 1re civ., 17 janvier 1995, D. 1995, p. 350 note Jourdain ; JCP 1995, I, 3853, n° 14, obs. G. Viney ; H. Groutel, Obligation de sécurité et fait des choses, Responsabilité civile et assurance, 1995, n° 16 ; JCP 1996, I, 3944, Chron. Viney n° 6 ; RTD civ. 1995, p. 634, obs. P. Jourdain. 37 Voir notamment M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 54 et s.

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responsable de ce fait commis par autrui ? Une réponse positive, comme en donnaient

jusqu’alors les juges, semble peu conforme à l’article 121-1 du nouveau Code pénal qui pose

le principe général suivant : « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». Ce

principe était jusqu’alors affirmé, non par le Code pénal, mais par la jurisprudence elle-

même38. On en retrouve les racines dans l’ancien droit lorsque Loysel affirmait : « En crime, il

n’y a point de garants ». Cependant, le législateur a admis la responsabilité pénale du fait

d’autrui : ainsi, l’article 25 de la loi du 15 juillet 1975 incrimine les entrepreneurs qui ont

sciemment laissé méconnaître les dispositions légales, par toute personne relevant de leur

autorité ; en matière de publicité mensongère, l’annonceur pour le compte duquel on fait la

publicité, est responsable à titre principal de l’infraction commise (article 40 de la loi du 27

décembre 1973). Hors ces cas prévus par la loi, la jurisprudence a montré ses faveurs pour la

responsabilité pénale du fait d’autrui en refusant par principe aux dirigeants d’invoquer une

délégation de pouvoir : celle-ci était exclue, presque systématiquement ; elle n’était admise

que très rarement, pour certaines infractions, si le chef d’entreprise démontrait qu’il avait été

mis dans l’impossibilité de connaître les agissements coupables de ses préposés, par ailleurs

pourvus de compétence et d’autorité39.

Les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 1993

ont marqué une nette évolution40, ouvrant largement les portes de la délégation de pouvoir,

qui devient admissible par principe, quelle que soit l’infraction : « Sauf si la loi en dispose

autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de

l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a

délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens

nécessaires ». La responsabilité pénale du fait d’autrui voit son domaine diminuer

considérablement. Déjà inadmissible avant le nouveau Code pénal, elle le devient d’autant

plus sous l’égide de l’article 121-1, accompagné de l’article 121-3 qui exige un élément

moral, une intention ou une imprudence (donc une faute) pour toute infraction. Les motifs du

projet de nouveau Code pénal, déposé en 1986, montraient que, si les parlementaires

38 Cass. crim., 16 décembre 1948, Bull. crim. n° 291. R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 489. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 345. 39 Pour des décisions refusant par principe les délégations de pouvoir : Cass. crim., 13 janvier 1981, Bull. crim. n° 18 (fraudes commerciales) ; Cass. crim., 22 janvier 1990, Bull. crim. n° 38 (infraction en matière fiscale) ; Cass. crim., 19 décembre 1977, Bull. crim. n° 402 et 17 juillet 1990, Bull. crim. n° 287 (infractions économiques). Décisions admettant par exception, souvent grâce à une autorisation des textes, la preuve d’une délégation à un préposé « investi de la compétence et pourvu de l’autorité nécessaire » et d’une impossibilité totale de connaître les méfaits de ce préposé : Cass. crim., 12 janvier 1988, Bull. crim. n° 15 (droit du travail, hygiène et sécurité) ; Cass. crim. 2 février 1982, Bull. crim. n° 36 (publicité fausse) ; Cass. crim., 20 octobre 1986, Revue des sociétés 1987, p. 48, note B. Bouloc (droit des sociétés). L’arrêt Cass. crim., 29 janvier 1985, JCP 1985, II, 20491, rattache la faute à la seule qualité de chef d’entreprise, pourtant dans le cadre de l’application de l’article L. 263-2 du Code du travail, prévoyant la possible responsabilité d’un préposé : la présomption de responsabilité du fait d’autrui prend ici un tour irréfragable. Voir J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 38 ; D. Bayet, La responsabilité pénale du chef d’entreprise à l’issue des arrêts de plénière de la chambre criminelle, GP 20 juillet 1993, 2, doctrine p. 923. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 355. A. Supiot, Le juge et le droit du travail, thèse Bordeaux I, 1979, p. 623 et s. 40 Cass. crim., 11 mars 1993, Bull. crim. n° 112 (cinq arrêts), Bull. Joly 1993, p. 666, note M.-E. Cartier ; Rev. sc. crim ; 1994, p. 101, obs. Bouloc ; GP 20 juillet 1993, 2, doctrine p. 923, D. Bayet. Confirmation : Cass. crim., 3 mai 1995, Bull. crim. n° 162 (infractions économiques).

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n’entendaient pas revenir sur la responsabilité pénale du fait d’autrui retenue par la

jurisprudence, ils voulaient tout au moins dans ce Code, empêcher que cette présomption ne

devienne irréfragable41.

La présomption de responsabilité demeure, sans doute parce qu’on ne peut

réduire cette responsabilité pénale du dirigeant à une simple responsabilité du fait d’autrui : si

le dirigeant ne parvient pas à démontrer qu’un préposé détenait le pouvoir et les compétences

nécessaires pour remplir les obligations, il est nécessairement fautif. C’est donc une

responsabilité pour faute préalable du commettant qui est alors sanctionnée. « L’entrepreneur

est le principal responsable puisque sans sa négligence son préposé se serait conformé aux

prescriptions textuelles »42. Les lois qui permettent ce type de responsabilité « du fait

d’autrui » autorisent d’ailleurs le dirigeant à prouver son absence de faute43. Il demeure que,

s’il est possible de reprocher moralement l’infraction au dirigeant, les faits matériels sont

accomplis par autrui et « prêtés » ensuite au dirigeant, car sa faute est la cause de l’élément

matériel44.

105. En droit pénal, contrairement au droit civil, un pur fait matériel anormal

ou un fait illicite d’autrui, intervenus dans la sphère d’autorité du contractant défaillant, ne

suffisent pas : il leur manque une composante morale. Le droit pénal pourra envisager la

responsabilité pour faute personnelle ou pour fait d’autrui, si cette dernière est fondée sur une

faute personnelle du commettant. La faute personnelle est donc le seul fait générateur

d’inexécution, éventuellement pris en compte dans une incrimination. Mais elle demeure

insuffisante, admise dans son strict sens civiliste, puisqu’elle est alors privée de sa

composante d’imputabilité45. Elle ne pourra être traitée par le juge pénal après quelques

« compléments ».

2 – Le type de faute intéressant le juge pénal.

106. La faute personnelle civile est conçue dans son seul élément objectif et

matériel : le fait illicite, à l’exclusion de toute considération pour l’élément subjectif, moral46,

41 F. Desportes, F. Le Gunehec, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal, JCP 1992, I, 3615, n° 31. 42 W. Jeandidier, Droit pénal général, Montchrestien 1991, n° 307. Dans le même sens, J. Larguier, P. Conte, préc. n° 38 ; G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 359. 43 Par exemple, l’article L. 263-2 du code du travail, traitant des infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs. 44 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 366. 45 L’élément d’imputabilité est désormais rejeté par le droit civil positif, dans un mouvement amorcé dès les années soixante. Les arrêts suivants suppriment la notion d’imputabilité dans la garde pour l’adulte inconscient et l’enfant : Cass. 2e civ., 18 décembre 1964 (Trichard), D. 1965, p. 191, et Cass. ass. plén., 9 mai 1984 (Gabillet), JCP 1984, II, 20255, note Dejean de la Bâtie, D. 1984, p. 525, concl. Cabannes, note F. Chabas. L’article 489-2 du Code civil (datant de 1968), et Cass. ass. plén. 9 mai 1984 (Lemaire et Derguini), références préc., suppriment l’imputabilité dans la faute. L’arrêt Cass. 2e civ., 7 juin 1989, D 1989, p. 559, confirme et généralise cette dernière position, en précisant que la faute traitée par la loi de 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, est une faute civile ce qui implique que la composante d’imputabilité ne doit pas être prise en compte. 46 Contra : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 691.

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puisqu’on ne tient plus compte de l’imputabilité47. Elle peut consister en un comportement

individuel anormal, en un maniement anormal d’une chose ou en une direction défaillante

d’autrui : des comportements différents de ceux du « bon père de famille » dans les mêmes

circonstances. En matière contractuelle, il suffit que le contractant ait matériellement commis

l’acte anormal à l’origine de l’inexécution pour être dans l’obligation de réparer cette

inexécution48. Dès lors et paradoxalement, la « faute » au sens civiliste n’équivaut pas à

l’élément moral de l’infraction, mais à son élément matériel. Plus qu’une faute, elle est

devenue en réalité un simple fait personnel illicite.

En droit pénal, la sanction exprime un blâme social : un jugement de valeur est

porté sur l’auteur de l’acte49. Pour que cette faute civile, générant l’inexécution, puisse donner

lieu à une sanction, elle doit être accompagnée de toutes les composantes de l’élément moral,

qui sont plus nombreuses que celles qu’envisageait l’ancienne notion civiliste de faute. Or, en

droit pénal, l’élément moral conserve deux composantes : la culpabilité et l’imputabilité. La

culpabilité, qui peut consister en l’intention d’arriver à un certain but pénalement

répréhensible ou bien en une imprudence incriminée, occasionne une gradation de la faute que

l’on retrouve en droit civil des conventions. Cependant, alors que son rôle en droit civil

demeure très secondaire, l’intention ou l’imprudence devront être démontrées devant la

juridiction pénale (a). L’imputabilité, ignorée dorénavant en droit civil, constitue encore une

tâche supplémentaire du juge pénal (b).

a - La culpabilité.

107. La culpabilité consiste en une faute au sens pénal du terme : l’intention

ou l’imprudence50. L’intention doit être entendue au sens strict : peu importent les raisons ou

les mobiles de l’acte, il s’agit de la simple intention d’arriver au résultat interdit par la loi

pénale. C’est une tension de la volonté vers un certain but51. L’imprudence est un relâchement

de cette volonté, de la vigilance52. Entre les deux peuvent exister des fautes pénales

intermédiaires : le dol indéterminé, lorsque l’individu commet délibérément un acte qu’il sait

illicite, mais que cet acte produit un résultat plus important que celui qu’il avait prévu ; le dol

éventuel, lorsque l’individu commet délibérément une imprudence en prévoyant les

conséquences, mais espérant pouvoir l’éviter53. Le droit pénal utilise une gradation des fautes,

47 Voir notamment F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 565 et s. G. Viney, La responsabilité : conditions, LGDJ 1982, n° 440 et s. P. le Tourneau, L. Cadiet, Droit de la responsabilité, Dalloz Action 2ème éd. 1998, n° 3065 et s. 48 Cette démonstration ne devant être faite qu’en cas d’inexécution d’une obligation dite de moyens. 49 P. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 349. M.-L. Rassat, Droit pénal, PUF 1987, n° 250. 50 R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 541 et s. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 253 et s. M.-L. Rassat, préc., n° 253 et s. 51 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 381. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 542. M.-L. Rassat, préc., n° 253. 52 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 385. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 567. 53 Voir supra n° 37.

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seule la faute intentionnelle pouvant toujours être prise en compte. Rappelons que le délit

commis par imprudence ne peut entraîner une condamnation que si le texte d’incrimination a

prévu cette possibilité54. Le juge a tenté parfois d’assimiler une imprudence très grossière à

une intention et a prononcé une culpabilité même si le texte d’incrimination ne l’avait pas

prévue. C’est le cas en matière de dol indéterminé comme de dol éventuel55. Il y aura ainsi dol

éventuel lorsqu’un dirigeant de droit d’une société laisse toute latitude à un dirigeant de fait

qui commet des malversations. Il y aura dol indéterminé si une personne gifle une autre et

provoque le décès de cette dernière qui est cardiaque56. Ces cas d’imprudence devraient

empêcher le juge de prononcer la culpabilité en vertu du principe « nullum crimen sine lege »,

si la faute par imprudence n’est pas prévue par le texte d’incrimination. Mais la juridiction

pénale ne respecte pas toujours cette règle et prononce des sanctions dans le silence des

textes57.

Une telle gradation des fautes existe aussi en droit civil. La notion de faute

contient le comportement personnel anormal comme seul élément l’illicéité. Mais en plus de

cette notion de faute, le juge civil utilise la gradation des fautes lorsqu’il applique le régime

contractuel : la faute peut être légère (imprudence), lourde (négligence grave), ou dolosive

(conscience de nuire au cocontractant)58. De cette gradation des fautes dépend l’étendue de la

réparation devant le juge civil : l’article 1150 (qui limite la réparation aux dommages

prévisibles) et les clauses limitatives de responsabilité sont écartées si la faute occasionnant

l’inexécution est dolosive ou inexcusable59. En matière d’accident du travail, la réparation ne

dépasse certains plafonds que lorsque la faute est inexcusable60.

108. Alors que la gradation des fautes n’est pas évoquée systématiquement

en responsabilité contractuelle, une preuve de l’existence de l’intention ou d’une imprudence

doit toujours être rapportée devant la juridiction pénale. Cependant, les infractions dites

« matérielles », dont on a dit qu’elles étaient constituées dès que le résultat matériel est

constaté, sont-elles toujours d’actualité ? De nombreux textes imposent des obligations

légales supplémentaires dans certaines conventions, par exemple en matière d’environnement,

d’urbanisme, de droit du travail ou de droit des sociétés. Leur violation est constitutive

d’infraction de type disciplinaire, que la doctrine qualifie de « matérielle » car souvent, ces

textes ne donnent aucune précision concernant l’élément moral ; la sanction semble encourue

dès que le résultat matériel de l’infraction est atteint, même sans intention délictueuse61. Or,

54 Article 121-3 du Code pénal, modifié par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996. 55 Voir supra n° 37. 56 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 394 et s. 57 Voir les exemples jurisprudentiels cités par P. Conte et P. Maistre du Chambon, préc. n° 394 et s. 58 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 550. 59 En vertu de l’adage « Culpa lata dolo aequiparatur » : la faute lourde équivaut au dol. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 1998, p. 856. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 551 et 599. 60 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 879 et 884. 61 M.-L. Rassat, Droit pénal, PUF 1987, n° 258. R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 555 et s.

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selon l’article 121-3 du Code pénal, une infraction ne peut être sanctionnée que si elle a été

commise intentionnellement, à moins que le texte d’incrimination ne précise que

l’imprudence est punissable. Seules les contraventions commises par imprudence peuvent être

sanctionnées sans que le texte ne précise cet élément moral. Ces infractions matérielles,

souvent constitutives de délits, ne devraient être sanctionnées qu’avec la preuve d’une

intention.

Des auteurs se sont demandés si l’article 121-3 transformait alors en délits

intentionnels tous ces types de délits dits « matériels » situés hors Code62. Selon M. Pradel 63,

il faut distinguer les infractions intentionnelles, les infractions par imprudence et les

infractions matérielles. L’article 121-3 supprime effectivement les infractions matérielles et

n’admet plus que les délits intentionnels ou par imprudence si le texte d’incrimination le

précise. L’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 confirme d’ailleurs cette

conception des choses. Il édicte que les délits non intentionnels réprimés par des textes

antérieurs au nouveau Code pénal sont des délits punissables « en cas d’imprudence, de

négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». La réforme de l’article

121-3 par la loi du 13 mai 1996 renforce encore cette évolution puisque le texte précise que

l’élément moral peut consister en un « manquement à une obligation de prudence et de

sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences

normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses

compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait »64. La précision exigée par

l’article 121-3 a été rajoutée à ces anciens textes et l’élément moral devient nécessairement

l’imprudence ; celle-ci doit être démontrée. Ceci rétablit le respect de la légalité criminelle

quant à l’élément moral et réhabilite le droit français auprès de la Cour européenne des droits

de l’homme de Strasbourg qui avait déclaré, le 7 octobre 1988, à l’occasion de l’arrêt

Salabiaku : « Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit ... les Etats

contractants (ne doivent cependant pas) dépasser les limites raisonnables prenant en compte

la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »65. Dès lors, le caractère

« matériel » de ces infractions sous l’empire de l’ancien Code pénal n’existe plus depuis

l’avènement de l’article 121-3. Pour obtenir sanction de ces infractions, l’élément matériel se

prouve par la seule constatation de l’inexécution de l’obligation ; l’élément moral, une

imprudence selon la loi d’adaptation, doit être démontré, comme pour toute autre infraction.

109. De nombreux auteurs considéraient, avant même l’avènement du

nouveau Code pénal, que ces infractions n’étaient pas purement matérielles : l’élément moral

62 F. Desportes, F. Le Gunehec, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal, JCP 1992, I, 3615, n° 25. 63 J. Pradel, Le nouveau Code pénal, partie générale, ALD 1993, commentaire législatif, p. 186, n° 45. 64 C. Ruet, Commentaire de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence, Rev. sc. crim. 1998, p. 23. 65 CEDH, 7 octobre 1988, Série A n° 141-A, Rev. sc. crim. 1989, p. 167, obs. Teitgen.

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était présumé par la jurisprudence66. Cette présomption de l’imprudence était justifiable

puisque « lorsqu’une infraction est commise, dès lors que la preuve d’un cas de force majeure

n’est pas rapportée, l’origine ne peut en être, sauf intention délictueuse, qu’une

imprudence »67. Pourtant, la lecture des arrêts confirme que la seule constatation de l’élément

matériel suffisait au prononcé de la sanction à l’exclusion de toute présomption d’élément

moral. Ainsi, un arrêt de la chambre criminelle de 1987 a pu affirmer que « l’intention

coupable n’est pas un élément constitutif de l’infraction » aux dispositions de l’ordonnance du

1er décembre 1986 concernant la facturation68.

Cette jurisprudence a disparu aujourd’hui : les juges exigent la preuve formelle

d’une imprudence ou tentent même de caractériser une intention. Ainsi, toujours en matière de

facturation, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déclaré en 1994 que « la seule

constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou

réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-

3 alinéa 1 du Code pénal »69. Les juges recourent à une présomption d’intention, présomption

admise par l’arrêt Salabiaku précédemment évoqué, qui précise que la présomption de

l’élément de culpabilité, bien motivée (ici l’intention), n’est pas contraire au principe de

présomption d’innocence. La présomption de l’élément moral évoquée précédemment se

rencontre dans certains arrêts70. Ainsi, on considère que le dirigeant d’entreprise, s’il n’a pas

jugé bon de déléguer71, s’est estimé en mesure d’assumer l’ensemble de ses prérogatives et de

ses obligations. L’élément moral est donc constitué par le simple fait qu’il a laissé commettre

l’acte répréhensible ou qu’il l’a ignoré, car il aurait dû savoir72.

Si on veut que l’inexécution contractuelle, dont on souhaite obtenir réparation

par l’action civile, corresponde à l’infraction envisagée par le juge pénal, il sera nécessaire de

passer par la faute prouvée. Or, chacun sait que les juridictions civiles admettent, selon la

doctrine classique, que la faute soit présumée lorsque le créancier est tenu d’une obligation

dite de résultat73. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’une présomption, non pas seulement de la faute,

mais du fait générateur de l’inexécution contractuelle quel qu’il soit : qu’il s’agisse du fait de 66 P. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 387. M.-L. Rassat, Droit pénal, PUF 1987, n° 258 ; Contra : R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 555 et s. 67 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 387. Les auteurs rappellent, comme argument, le fait que la présomption est admise pour les contraventions par l’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal puisque l’article 339 de la loi d’adaptation précise que, par définition, si la vigilance avait été suffisante, le résultat ne se serait pas produit. 68 Cass. crim., 16 novembre 1987, Bull. crim. n° 408. Voir aussi Cass. crim., 30 mars 1922, S. 1922, 1, p. 332 ; Cass. crim., 27 avril 1938, S. 1938, 1, p. 776 : la preuve formelle de l’attention, de la vigilance et de la prévoyance n’empêchent pas la sanction. 69 Cass. crim., 25 mai 1994, Bull. crim. n° 203, deuxième arrêt. Voir aussi Cass. crim. 7 novembre 1994, Bull. crim. n° 354, en matière de contributions indirectes ; 14 décembre 1994, Bull. crim. n° 415, Droit pénal 1995, comm. 98, obs. J.-H. Robert, en matière de publicité mensongère. 70 B. Bouloc, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev. sc. crim. 1995, p. 465 ; Les techniques probatoires d’analyses des comportements économiques, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économiques, Dalloz 1997, p. 81, spéc. p. 84. 71 Voir supra n° 104 et s. 72 D. Cohen, Le chef d’entreprise est-il délinquant ordinaire ?, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économiques, Dalloz 1997, p. 71, spéc. p. 75. 73 J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 156. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 554 et 555.

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la chose, d’autrui, ou d’une véritable faute. En tout état de cause, à l’occasion d’une action

devant le juge pénal, la défaillance personnelle dans l’exécution défectueuse du contrat devra

être prouvée, qu’il s’agisse d’obligation de moyens ou de résultat.

La notion civiliste de faute en matière d’inexécution rejoint la notion d’élément

matériel (le comportement anormal) et la notion d’élément moral dans sa composante de

culpabilité. L’élément moral en droit pénal contient aussi un élément d’imputabilité qui

constitue l’élément supplémentaire indispensable pour qu’une faute civile, à l’origine d’une

inexécution contractuelle, intéresse la juridiction pénale.

b - L’imputabilité.

110. L’imputabilité consiste non seulement à vouloir l’acte, mais également

en l’aptitude à en comprendre la portée. Cette notion d’imputabilité permet de reprocher à

l’auteur l’élément matériel de l’infraction car il a conscience de la gravité de ses actes

accomplis volontairement74. C’est la raison pour laquelle les enfants et les déments qui

commettent les actes matériels décrits dans une incrimination et ce, de façon intentionnelle ou

imprudente, ne peuvent être traités dans les mêmes conditions que les personnes possédant

toutes leurs facultés de discernement75. Il en est de même des personnes agissant sous la

contrainte76.

Cette notion d’imputabilité faisait partie des composantes de la faute civile au

sens classique, mais n’est plus exigée aujourd’hui77. La situation est différente en droit pénal

puisque, pour pouvoir envisager la faute à l’origine de l’inexécution dans un texte

d’infraction, cet élément d’imputabilité devra pouvoir y être relevé. Ceci est indispensable

puisque toute infraction suppose un élément moral. Dès lors, la faute à l’origine de

l’inexécution devra toujours comporter un élément d’imputabilité prouvé. Le problème ne se

posera guère dans le domaine contractuel puisque peu d’infractions pénales prennent le relais

des règles civiles concernant la capacité.

111. La question de l’imputabilité demeure cependant posée au sujet des

personnes morales, incapables de discernement, dont le nouveau Code pénal a consacré la

responsabilité pénale dans certaines infractions78. Cette réforme était prônée de longue date79.

La personne physique gérante ou dirigeante de la personne morale accomplit l’acte

74 P. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 350 et s. G. Levasseur, L’imputabilité en droit pénal, in IVe congrès de l’association française de droit pénal, Rev. sc. crim. 1983, p. 1, spéc. p. 13. 75 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 416 et s. M.-L. Rassat, préc., n° 259 et s. R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 586 et s. 76 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 363 et s. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 579. 77 Voir supra n° 105 note 45. 78 Article 121-2 du Code pénal. 79 Par exemple, A. Mestre, Les personnes morales et le problème de leur responsabilité pénale, Thèse Paris, 1899. Il n’est pas inutile de rappeler que ce type de responsabilité existait dans l’ancien droit ; voir M. Delmas-Marty , Le flou du droit, PUF 1986, p. 56.

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répréhensible au bénéfice de la personne morale et conformément à sa volonté80. Les

personnes morales sont plus considérées comme fictives et ont une volonté juridique propre,

distincte de celle de leurs membres81. Les décisions sont prises au terme de discussions, de

débats, menant à des décisions de compromis, de statu quo, ne pouvant être considérées

comme le reflet de la volonté d’une seule personne82. Le développement de grande société,

donnant de l’assise à la notion de personne morale s’est accompagné de l’apparition d’une

criminalité spécifique83. Il est donc envisageable de leur infliger des sanctions (amendes,

confiscations ou dissolution).

Pourtant, l’utilité de ces sanctions pose question : n’ayant certainement aucun

rôle amendant, elles ne semblent guère dissuasives non plus84. La dissolution de la personne

morale sera peu prononcée en ces temps de chômage et une telle dissolution n’empêche pas

les associés de fonder une autre société85. Quant aux amendes, leur portée dissuasive est

réduite puisqu’elles seront subies par une collectivité d’associés et « seront facilement

répercutées sur la clientèle » ; elles risquent « d’être perçues par les dirigeants sous un angle

purement économique, sans référence morale (à quand, dans les bilans, des provisions pour

condamnations futures ?) »86. La sanction touche des innocents, personnes physiques, qui

travaillent, vivent grâce à cette personne morale ou y ont des intérêts, et subissent les

conséquences d’une infraction à laquelle ils sont demeurés étrangers et qu’ils n’auraient pu

empêcher87. Cette innovation n’a même pas d’utilité pour la réparation des victimes en cas

d’insolvabilité de la personne morale directement coupable de l’infraction. La responsabilité

civile des personnes morales en cas d’infraction commise par leurs dirigeants et dont elles ont

pu bénéficier existait avant cette réforme pour les infractions dites « matérielles »88.

Par ailleurs, cette responsabilité pénale des personnes morales est

manifestement un cas de responsabilité pour autrui dont nous avons déjà dit bien du mal89. Le

lien de causalité entre la personne morale et l’infraction est nécessairement indirect puisque

l’intervention matérielle, la volonté ou l’imprudence d’une des personnes physiques qui la

compose, même si son identité est difficile à déterminer, sont nécessaires90 ; la personne

80 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 300. 81 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 303. M. Delmas-Marty, préc., p. 58. Cass. civ., 28 janvier 1954, D 1954, p. 217, note Levasseur, JCP 1954, II, 7978, concl. Lemoine : « La personnalité civile n’est pas une création de la loi, elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite d’être juridiquement protégés ». 82 M. Delmas-Marty, préc., p. 58 ; J. Léauté, Rapport général sur les infractions économiques, Travaux H. Capitant, T. XV, p. 617. 83 R. Merle, A. Vitu , préc., n° 597. 84 Contra : R. Merle, A. Vitu , préc., n° 597. 85 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 372. 86 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 372. 87 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 302. P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 371. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 596. 88 Cass. crim., 24 décembre 1864, S. 1866, I, p. 464 ; 6 mars 1958, D. 1959, p. 465 ; 25 avril 1968, JCP 1969, II, 16100, note Puech. 89 Voir supra n° 104. 90 En ce sens, P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 370.

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morale, malgré toute la réalité et l’absence de facticité dont on veut bien la doter, n’est pas

capable de discernement et la question de l’imputabilité n’est pas envisageable.

Certes, la responsabilité pénale de la personne morale n’empêche pas les

poursuites à l’encontre de la personne physique qui a personnellement commis l’acte

litigieux91. Cependant, les travaux préparatoires et les auteurs prônent de ne poursuivre le

dirigeant qu’en cas d’acte manifestement intentionnel92, ce qui exclut toute poursuite pour les

infractions par imprudence, notamment les infractions dites jadis matérielles. De fait, les

montages complexes de sociétés permettent de mieux dissimuler les responsabilités93. La

responsabilité pénale des personnes morales est manifestement une réaction contre

l’« inflation pénale » et une tentative d’échapper à ces diverses incriminations94. L’article 121-

2 dispose d’ailleurs qu’une personne morale ne peut être responsable que des infractions

commises par ses organes dirigeants. Cette esquive ne sera pas toujours possible : la

responsabilité pénale des personnes morales n’est pas systématique dans le droit des contrats

puisqu’elle a été écartée du droit de la consommation95 et du droit économique96 ; les

personnes morales subissent néanmoins les sanctions du Conseil de la concurrence, de nature

pénale97. Il demeure que cette innovation rompt avec la personnalité des peines et la nécessité

d’un élément moral ; elle oublie la dimension morale et amendante de la peine pour y

substituer une sanction collective, donc peu dissuasive …

Cette présentation du champ d’action de la juridiction pénale en matière

d’inexécution contractuelle montre que la loi pénale, ici encore, lui octroie des pouvoirs lui

permettant d’accompagner et d’influencer les grandes évolutions du droit contemporain des

conventions : par exemple, l’émergence du fait générateur dans la sanction de l’inexécution

contractuelle ou l’évolution des structures et des responsabilités dans le monde des affaires.

L’étude de certaines infractions permettra d’en vérifier l’effectivité dans le contentieux. Paragraphe 2 - Les lois pénales, sanctions d’inexécutions contractuelles.

112. Les infractions permettant la sanction d’inexécutions contractuelles sont

multiples. Certaines infractions, certes, influent sur le contrat ou protègent le contractant au

stade de l’exécution, mais seulement de façon entièrement « accidentelle ». Le but du

législateur, comme celui du juge, est complètement étranger à la préservation de l’exécution : 91 Article 121-2, alinéa 3 du Code pénal. 92 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 315. J. Pradel, Le nouveau Code pénal, partie générale, ALD 1993, commentaire législatif, p. 163, spéc. p. 192. 93 J.-F. Barbiéri, Morale et droit des sociétés, Petites affiches 1995, n° 68, p. 13, n° 10 et s. 94 Voir supra n° 15 et s. En ce sens, P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 375. 95 Cass. crim., 30 octobre 1995, Bull. crim. n° 336, JCP 1996, II, 22639, note Guery et Acomando ; JCP 1996, II, 22640, note J.-H. Robert. 96 L’article 17-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, qui prévoyait la responsabilité pénale des personnes morales, fut abrogé par une loi du 1er février 1994, avant même son entrée en vigueur (prévue pour le 1er mars 1994). 97 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 307 ; Voir infra n° 404.

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homicide involontaire, vol ayant lieu dans un magasin, etc. Ces infractions préservent un

secteur de l’ordre public éloigné de quelconques considérations contractuelles. Des

incriminations sont spécialement élaborées pour sanctionner l’inexécution d’obligations

contractuelles posées par la loi : c’est le cas en droit du travail pour les infractions tenant à

l’hygiène ou à la sécurité, ou en droit de la consommation avec les fraudes et les tromperies,

l’abus de confiance. Le juge pénal est destiné à participer au « forçage » du contrat, dénoncé

de longue date, consistant à ajouter au contrat de nombreuses obligations non envisagées

spontanément par les contractants98. L’inexécution des conventions peut avoir pour origine

une atteinte à la personne (A) ou une atteinte aux biens (B).

A - Les atteintes à la personne.

113. Les atteintes aux personnes correspondant à l’inexécution d’une

convention peuvent appuyer certaines obligations de sécurité imposées par les juges civils à

l’occasion de la recherche d’une responsabilité contractuelle (1). Ces atteintes peuvent aussi

se manifester par l’inexécution d’une obligation au secret (2).

1 - Les obligations de sécurité.

114. La juridiction pénale peut utiliser des incriminations classiques et

sanctionner des comportements qui n’ont, a priori, rien à voir avec la notion de convention,

mais qui peuvent occasionnellement intervenir dans le cadre de l’inexécution de certaines

obligations contractuelles. Ainsi, les violences ou atteintes involontaires à la vie99 peuvent être

subies dans un cadre contractuel : un défaut de construction, un accident lors d’un transport,

un geste malheureux du chirurgien, etc. Tous ces événements occasionnent des préjudices

corporels, voire des décès, qui caractérisent l’exécution défectueuse de l’obligation de sécurité

comprise dans la convention100 et peuvent correspondre aux éléments de qualification d’une

des infractions précitées. Le but n’est sans doute pas de sanctionner une inexécution

contractuelle ou un quelconque aspect du droit des conventions, mais de préserver l’intégrité

du corps humain. Cependant, le juge pénal qui examine la poursuite tiendra compte de la

qualité des personnes lors de l’examen des éléments de l’infraction ; or l’imprudence sera plus

clairement caractérisée si le contractant défaillant est un professionnel.

Ces atteintes à la personne à l’occasion d’une inexécution contractuelle peuvent

être encore plus aisément réprimées grâce à deux innovations majeures du nouveau Code

98 « forçage du contrat » dénoncé par Josserand, au sujet des obligations de sécurité insérées dans les contrats par la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle (L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H. 1933, chron. p. 89). 99 Articles 221-6 et 222-19 du Code pénal. 100 Par exemple, une obligation de sécurité fut imposée dans les contrats de transport dans le célèbre arrêt de Cass. civ, 21 novembre 1911, D.P. 1913, 1, 249, note L. Sarrut , S. 1912, 1, 73, note Lyon-Caen.

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pénal : l’infraction de mise en danger d’autrui101 et la responsabilité pénale des personnes

morales, précédemment évoquée102. La mise en danger d’autrui permet de sanctionner plus

facilement les défaillances dans l’exécution de l’obligation de sécurité car la prise d’un risque

délibéré suffit, sans qu’il soit nécessaire de constater le résultat de cette imprudence (comme

c’est le cas dans les violences ou l’homicide involontaire). Les sanctions peuvent être

encourues même si le risque pris ne s’est pas concrétisé, ou s’il s’est traduit par des

dommages matériels ou corporels légers, dont il ne résulte aucune incapacité de travail103. La

responsabilité pénale des personnes morales n’est envisageable qu’à titre particulier, lorsqu’un

texte d’incrimination prévoit cette possibilité. C’est précisément le cas des violences et de

l’homicide involontaire ou des mises en danger d’autrui104. La possibilité de poursuivre une

personne morale pour ces infractions d’imprudence105 fera sans doute écran et empêchera la

poursuite des dirigeants devant les juridictions répressives. Certes, la poursuite conjointe de la

personne morale et de ses dirigeants est expressément prévue par l’alinéa 3 de l’article 121-2 :

la responsabilité pénale des personnes morales ne doit pas permettre l’impunité des dirigeants

malfaiteurs. En réalité, les dirigeants ne seront pas poursuivis conjointement avec la personne

morale s’ils n’ont commis qu’une imprudence106. Ils pourront éviter de se voir reprocher des

violences ou un homicide par imprudence et seule la personne morale sera pénalement

réprimée. On peut objecter que ce qui est concevable pour le complice (auquel on ne peut

reprocher une imprudence) l’est moins pour l’auteur. C’est aux dirigeants de se montrer

vigilants, plus qu’à la personne morale, abstraite.

Le cadre de l’acte médical se prête particulièrement à un rapprochement avec

des infractions classiques107. L’exécution des actes doit être exempte de fautes, tout

particulièrement au plan de la technique d’exécution108 : la jurisprudence, depuis 1936109,

impose au médecin de donner des soins « consciencieux, attentifs, conformes aux données

acquises de la science ». Dès lors, un acte médical commis sans précaution qui provoque une

blessure, une mutilation, voire le décès du patient est susceptible d’être qualifié de violence ou

d’homicide involontaire110 ; des négligences ou des imprudences peuvent caractériser de la

part du médecin une mise en danger111 de la personne ou une omission de porter secours112.

101 Article 223-1 du Code pénal. 102 Article 121-2 alinéa 1 du Code pénal. Voir supra n° 110. 103 M. Pralus, Le délit de risques causés à autrui, JCP 1995, I, 3830, n° 4. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 303 et s. 104 Articles 222-21, 221-7 et 223-2 du Code pénal. 105 La mise en danger d’autrui est toujours une infraction par imprudence. Y. Mayaud, Du caractère non intentionnel de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui, Rev. sc. crim. 1996, p. 651. 106 J. Pradel, Le nouveau Code pénal, partie générale, ALD 1993, commentaire législatif, p. 163, spéc. p. 192. 107 G. Giudicelli-Delage, Droit à la protection de la santé et droit pénal en France, Rev. sc. crim. 1996, p. 13. 108 Voir R. Nerson, Le respect par le médecin de la volonté du malade, Mélanges Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 863. 109 Cass. civ., 20 mai 1936, D.P. 1936, 1, p. 88, concl. Matter , rapport Josserand, note E. P. ; S. 1937, 1, p. 321, note Breton ; G.P. 1936, 2, p. 41. 110 Qualification retenue par exemple dans l’arrêt Cass. crim. du 18 novembre 1976, JCP 1977, II, 18617 : un chirurgien ne s’était pas assuré qu’un lavage d’estomac avait été effectué avant une anesthésie ; 30 mai 1991, Bull. crim. n° 232 : opération pratiquée sur un transexuel sans respecter le protocole médical recommandé par une partie de la doctrine médicale ; 7 juillet 1993, Droit pénal 1993, comm. n° 265 : négligence d’un chirurgien.

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Les infractions classiques ont souvent paru suffisantes à la sanction

d’inexécution d’obligations de sécurité. Cependant, le législateur a parfois spécialement

légiféré afin de favoriser la prévention des accidents, imposant de nombreuses obligations de

sécurité particulières. Contrairement aux infractions classiques qui n’interviennent que par

hasard en matière d’inexécution contractuelle, ces infractions ont pour objectif, non seulement

la préservation de l’intégrité physique, mais aussi, l’exécution d’une obligation contractuelle

légalement imposée. Ainsi, de telles obligations ont été élaborées afin de garantir plus

précisément la sécurité des patients : l’innocuité des produits est particulièrement surveillée

par le Code de la santé publique qui prévoit de nombreuses sanctions pénales113. Le contrat de

travail contient ainsi de nombreuses obligations conventionnelles impératives concernant la

sécurité des salariés, l’hygiène,...114 assorties de sanctions pénales115. On remarque alors que

ces obligations de sécurité pénalement sanctionnées entrent en concours avec l’infraction

précédemment évoquée de mise en danger d’autrui116. Les auteurs, comme les juridictions, se

demandent si ces infractions doivent être cumulées. Ce cumul semble avoir les faveurs de la

circulaire du 14 mai 1993, mais n’emporte pas l’adhésion de la doctrine en raison du principe

« non bis in idem »117. Le droit de la consommation peut aussi être évoqué au titre de

l’obligation de sécurité puisque l’atteinte à la santé humaine est constitutive d’une

circonstance aggravante des délits de tromperies et falsification118.

Les obligations de sécurité sont susceptibles de recevoir le soutien pénal. Ces

sanctions sont d’autant plus susceptibles d’intervenir lorsque le contractant victime joue un

rôle passif dans la réalisation de la convention (contrat de construction, de transport,

médical,...) et présente donc un certain état de faiblesse ou de vulnérabilité. Toutes ces

infractions poursuivent les mêmes objectifs que les diverses règles en matière de santé, de

travail, de consommation, etc. évoquées lors de l’étude de la formation de la convention ; elles

se situent dans les mêmes corpus législatifs et ont été élaborées de façon concomitante. Nous

constatons encore une fois que la distinction entre la formation et l’exécution de la convention

n’a aucune signification en droit pénal. De semblables dispositions protectrices imposent des

obligations au secret.

En ce sens, B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy 1990, p. 94 et s ; R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., p. 559, note 1 ; C. Barberger, Protection du corps humain et / ou protection du corps médical ?, Petites affiches 1996, n° 25, p. 4, spéc. p. 6. 111 Articles 223-1 et s. du Code pénal. 112 Article 226-6 alinéa 2 du Code pénal. 113 Par exemple, les produits pharmaceutiques sont sounis à une autorisation de mise sur le marché (articles L. 601 et s.). 114 Articles L. 230-2 et s. du Code du travail. 115 Articles L. 263-2 à L. 263-7 du Code du travail. 116 M. Puech, De la mise en danger d’autrui, D. 1994, chron., p. 157. M. Pralus, Le délit de risques causés à autrui, JCP 1995, I, 3830, n° 9 et s. 117 C’est la position des deux auteurs précités. Pour un auteur favorable au cumul, B. Bourdeau, Mise en oeuvre de l’article 223-1 du Code pénal, ALD 1994, comm. leg., p. 188. 118 Articles L. 213-2 et L. 213-3 du Code de la consommation.

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2 - Les obligations au secret.

115. Le secret n’est pas un devoir exclusivement contractuel : on l’exige, par

exemple, des jurés119. Mais il constitue une obligation imposée à de nombreux contractants

puisque rattachée, la plupart du temps, à leur fonction professionnelle. La confidentialité est

ainsi rappelée par la loi aux médecins dans l’article 45 du Code de déontologie médical, ainsi

qu’aux banquiers dans l’article 57 de la loi du 24 janvier 1984. Les contrats eux-mêmes

peuvent imposer un secret à l’un des contractants : par exemple, le client d’une banque est

tenu de garder secret le code de sa carte de crédit. La loi pénale étend considérablement le

champ de cette confidentialité puisque l’article 226-13 du Code pénal en fait une règle

générale applicable à toutes les personnes investies d’une fonction ou d’une mission, même

temporaire, qui détiennent une information à caractère secret120. Les sanctions prévues

peuvent alors concerner de nombreuses personnes : c’est le cas des policiers, des membres des

administrations fiscales, des avocats, etc. et beaucoup d’acteurs du monde des affaires121

puisque les sanctions sont encourues par le banquier, le commissaire aux comptes122, l’agent

de change, l’expert comptable, etc.123 La règle pénale n’a pas seulement ici un rôle d’appui du

droit des conventions. Elle est initiatrice d’obligations. L’obligation au secret est destiné à

protéger le contractant déposant du secret, son cocontractant dépositaire ne pouvant le lui

opposer124 : ainsi, le secret médical ne peut être opposé au patient lui-même, d’autant plus que

de nombreuses obligations d’information sont imposées au médecin. Seul le consentement du

déposant peut autoriser la levée du secret125.

116. Cependant, si cette obligation au secret est préservée et encouragée par

le droit pénal, elle ne peut pas toujours jouer à son encontre. L’article 226-14 précise les

limites du secret, qui disparaît avec l’autorisation de la loi, comme toute autre infraction, mais

tout particulièrement lorsque le secret gêne la bonne marche de la justice126. Certes, comme le

précise l’article 109 du Code de procédure pénale, le secret peut être invoqué par la personne

citée à témoigner. Pourtant, toutes ces obligations n’ont pas la même valeur et la loi comme la

jurisprudence ont limité sa portée. Ainsi, l’article 57 de la loi du 24 janvier 1984 imposant le

secret bancaire interdit que la confidentialité soit opposée à l’autorité judiciaire agissant dans

119 Article 304 du Code de procédure pénale. 120 L’ancien article 378 du Code pénal ne visait que les professions de santé ; la jurisprudence avait élargi la liste des personnes concernées. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 374. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 36. 121 C. Gavalda, Le secret des affaires, Mélanges Savatier, Dalloz 1965, p. 291. 122 Article 457 de la loi du 24 juillet 1966. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 386. R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial, T. I, préc., n° 1001. W. Jeandidier, préc., n° 273. 123 M.-L. Rassat, préc., n° 375. W. Jeandidier, préc., n° 37. 124 P. Salvage, Le consentement en droit pénal, Rev. sc. crim. 1991, p. 699, n° 8. 125 P. Salvage, préc. ; F. Warembourg-Auque, Réflexions sur le secret professionnel, Rev. sc. crim. 1978, p. 246, spéc. p. 245. 126 M.-L. Rassat, préc., n° 384.

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120

le cadre d’une procédure pénale127. La même interdiction est opposée aux commissaires aux

comptes128.

Le secret médical se voit reconnaître une noblesse certainement plus grande

puisqu’il est décrit par la jurisprudence comme « général et absolu »129, deux qualités qui

furent écartées en matière de secret bancaire130. Pourtant, cette obligation du médecin supporte

de nombreuses exceptions. Les dispositions du Code de déontologie suggèrent que ce secret

ne puisse jouer à l’encontre des intérêts du patient : celui-ci doit être informé le plus

précisément possible de son état, tant que cette révélation ne va pas à l’encontre de son intérêt.

Le secret n’est concevable que dans l’intérêt thérapeutique ou psychologique du malade131 et

son accès au dossier médical prévu par la loi doit être autorisé, nonobstant d’éventuels intérêts

contraires du médecin132, craignant par exemple la révélation d’une erreur ou d’une faute. De

plus, les autres médecins participant à la prise en charge du patient ne peuvent se voir opposer

la confidentialité des informations133. C’est principalement en dérogation à ce secret médical

que dispose l’article 226-14 du Code pénal : l’information des autorités judiciaires de sévices

ou privations subies par une personne jeune ou vulnérable est vivement encouragée et le

médecin doit, avec l’accord de la victime, porter à la connaissance du procureur de la

République les violences sexuelles qu’il peut soupçonner au regard des sévices qu’il

constate134. La jurisprudence admet des exceptions en multiples circonstances135, parfois très

contestables puisqu’un médecin a pu se défendre en justice contre une escroquerie au moyen

d’un certificat, en révélant des faits confidentiels justifiant de sa bonne foi136. L’usage de

l’information ne s’est pas fait ici dans l’intérêt du patient.

La juridiction pénale a le pouvoir de sanctionner l’inexécution d’obligations

imposées par la loi aux contractants, dans le but de protéger le contractant le plus vulnérable.

Ce rééquilibrage des conventions est observable aussi dans le domaine des atteintes aux biens.

B - Les atteintes aux biens.

117. Afin que les juges répressifs puissent sanctionner les inexécutions

contractuelles provoquées par une atteinte aux biens, les infractions classiques, dites

« astucieuses »137, ont souvent subi quelques adaptations dans le but d’accroître leur efficacité

et leur domaine dans la convention. Ces infractions bénéficient d’une effectivité certaine dans

127 W. Jeandidier, préc., n° 168. 128 J. Larguier, P. Conte, préc., n° 385. W. Jeandidier, préc., n° 273. 129 Cass. crim., 8 mai 1947, Bull. crim. n° 124 ; 5 juin 1985, D. 1986, IR, 120, obs. Pradel, Bull. crim. n° 218. 130 Cass. crim., 30 janvier 1975, JCP 1975, II, 18137, note Gavalda ; Rev. sc. crim. 1975, p. 1011, obs. Vitu . 131 Article 35 du Code de déontologie médicale. 132 Article 46 du Code de déontologie médicale. 133 Article 45 du Code de déontologie médicale. 134 Mais l’article 434-3 du Code pénal exempte les médecin de l’obligation de dénoncer les sévices à enfants. Sur cette difficulté, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 384. 135 Honorat et Melennec, Vers une relativisation du secret médical, JCP 1979, I, 2936. 136 Cass. crim 20 décembre 1967, D. 1969, p. 309, note Lepointe. 137 Dénomination adoptée par l’Annuaire statistique de la justice, Documentation française, éd. 1998.

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le contentieux (1). Elles sont relayées par de multiples incriminations, souvent de facture plus

récente et affiliées directement à la législation économique et financière qui, ici encore,

impose des obligations supplémentaires aux contractants, atténuant ainsi l’autonomie de la

volonté ; le but est de protéger le contractant faible. Ces infractions, plus récentes et

nécessitant pour leur répression de moyens d’investigation plus précis, souffrent d’une

certaine ineffectivité (2).

1 - Les infractions « astucieuses » contre les biens.

118. De nombreuses incriminations d’atteintes aux biens peuvent sanctionner

des inexécutions contractuelles. Il convient cependant de se demander si la sanction de ces

inexécutions avait une place dans l’esprit et les préoccupations du législateur lors de

l’élaboration de ces textes. Les infractions qui nous intéressent ici sont essentiellement ce que

l’annuaire statistique de la justice appelle les infractions «astucieuses» contre les biens,

expression recouvrant les infractions d’abus de confiance, les filouteries, ou les

détournements, mais aussi les escroqueries, extorsions ou chantages. Il convient de préciser en

quoi certaines intéressent l’exécution de la convention (a) puis de vérifier leur effectivité (b).

a – Inexécutions contractuelles et infractions « astucieuses » contre les biens.

119. L’abus de confiance réprime une forme d’inexécution contractuelle : le

refus de restituer le bien confié à l’occasion d’un contrat prévoyant cette obligation de

restitution. Le nouveau Code pénal autorise une répression beaucoup plus large : alors que

l’ancien texte donnait une liste de contrats nommés comme cadre obligatoire au détournement

du bien par l’agent, l’article 314-1 du nouveau Code pénal n’exige plus de cadre contractuel

précis. Il suffit de démontrer qu’il existait une obligation de restituer à la charge du

prévenu138.

L’infraction d’abus de confiance sanctionne-t-elle de façon spécifique

l’inexécution d’un contrat ? Le préjudice de la victime consiste-t-il seulement en l’inexécution

d’une obligation contractuelle : la non-restitution ? Ce serait peut-être donner un rôle trop

important à cet élément matériel qu’est le contrat qui semble être seulement le théâtre de

l’infraction et non son enjeu. Le préjudice de la victime est dû au détournement, plus qu’à une

inexécution contractuelle139. D’ailleurs, en cas de nullité du contrat, donc, des obligations 138 W. Jeandidier, Abus de confiance, Juris-classeur pénal, articles 314 -1 à 314 –4 ; Droit pénal des affaires, préc., n° 13 et s. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 130 et s. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 177. 139 M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, T. II, PUF Thémis 1990, p. 35 : « Il ne faut pas considérer l’infraction d’abus de confiance comme la sanction pénale de l’inexécution du contrat, car c’est le détournement de la chose – d’où résulte indirectement seulement l’inexécution – qui consomme l’infraction ». Contra, C. Souweine, Le domaine de l’abus de confiance dans le nouveau Code pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 303, n° 3 ; J. Léauté, Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la jurisprudence relative au vol, à l’escroquerie et à l’abus de confiance, Mélanges Patin, Cujas 1966, p. 233.

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qu’il contient, le préjudice ne disparaît pas du simple fait de cette nullité : une condamnation

peut être obtenue140. Dès lors, cette infraction protège, certes, le contractant d’une éventuelle

inexécution, mais cette protection n’est qu’une conséquence secondaire. Pour la doctrine

traditionnelle, cette incrimination sanctionne une forme d’atteinte à la propriété141, d’autres

atteintes pouvant être portées par vol ou escroquerie. La protection de la confiance dans les

relations d’affaires semble aussi essentielle : « En réalité, la loi pénale n’entend pas, en

réprimant l’abus de confiance, voler au secours du contractant menacé : elle veut protéger la

confiance accordée et qui, il faut le reconnaître, est la même, que le contrat soit valable ou

nul »142.

Cependant il demeure que le législateur a cru bon d’élaborer une infraction

spécifique contre les atteintes à la propriété intéressant plus particulièrement une inexécution

contractuelle. La protection du contractant était une motivation essentielle et cet objectif est

renforcé avec le nouveau texte. Comme au sujet de l’escroquerie143, la comparaison des

découpages de l’ancien et du nouveau Code pénal montre que le législateur porte aujourd’hui

un moindre intérêt pour la propriété puisque ces infractions défendent plus les « biens », en

général, que cette institution ; or les obligations contractuelles sont des biens. Certes, le

nouveau texte sur l’abus de confiance ne précise plus une liste définie de contrats ; mais c’est

pour mieux sanctionner l’ensemble des situations contractuelles défaillantes.

L’éventail des situations contractuelles intéressant la juridiction pénale pourrait

s’étendre au point d’englober les contrats ayant entraîné un transfert de propriété. Le

législateur ne précise plus le titre de la remise dans l’incrimination de l’abus de confiance ;

selon Mme Souweine, il sera possible d’admettre la constitution de cette infraction lorsque le

contrat emporte remise de la propriété du bien144, ce qui était jusqu’alors inenvisageable. Cet

auteur évoque le cas où le contrat transmet la propriété à titre de garantie145, ou accompagne

ce transfert de « l’obligation pour l’accipiens de donner au bien une affectation spéciale »146.

Rappelons que la définition du détournement consiste toujours en une interversion de titre,

conformément à la définition de Garçon, mais sans qu’il soit nécessaire de faire référence à un

comportement semblable à celui d’un propriétaire.

Le critère de définition de l’élément matériel de l’abus de confiance s’est

déplacé. Alors que, dans l’ancien Code pénal, l’infraction n’existait que dans le cadre de

140 Voir infra n° 188 et s. 141 Garçon, Code pénal annoté, article 408, n° 1 et 12, p. 176. 142 J. Larguier, P. Conte, préc., n° 207. 143 Voir supra n° 60. 144 C. Souweine, Le domaine de l’abus de confiance dans le nouveau Code pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, spéc. n° 28 et s. Voir aussi infra n° 204. 145 Le cas envisagé est celui des bordereaux Dailly, bordereau de cession de créances professionnelles servant de sûreté au banquier, qui doit alors le conserver jusqu’à la date d’échéance du crédit, date à laquelle il devra le rétrocéder. Il y aura abus de confiance si le banquier transmet le bordereau en propriété avant la date d’échéance ou après complet remboursement du crédit. 146 Les exemples donnés, entre autres, sont ceux de la propriété transmise en vue de l’exécution d’un contrat d’entreprise, d’une donation à charge, ou de la cession d’une entreprise accompagné d’un plan arrêté dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire.

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certains contrats nommés (on se penchait donc sur le moment de conclusion du contrat afin de

le qualifier), dans le nouveau Code pénal, il s’agit de démontrer l’obligation de restituer.

L’examen du moment de la conclusion du contrat est simplifié, le juge s’attachera moins à

vérifier la définition du contrat en cause et la preuve de sa réelle existence ; son exécution

défectueuse comptera davantage. Le législateur a souhaité protéger plus largement les

contractants, quel que soit le contrat qu’ils aient conclu ; l’inexécution contractuelle est

devenue une préoccupation à part entière du droit pénal.

120. Certaines infractions décrivent précisément des comportements

caractérisant l’inexécution d’obligations contractuelles : c’est le cas de diverses grivèleries,

regroupées sous la qualification de filouteries, qui consistent en l’inexécution de l’obligation

contractuelle de paiement du prix147. Ces infractions, à la dénomination agréablement

surannée, sont pourtant relativement récentes. Elles consistent en un refus de payer des

boissons, aliments (loi de 1937), chambre d’hôtel, transport (taxi ...), ce qui demeure

classique, mais aussi les carburants et lubrifiants de véhicules. Le texte du nouveau Code

pénal offre cependant de nouvelles possibilités de répression puisque sont condamnés ceux

qui consomment en sachant qu’ils sont dans l’impossibilité de payer, ainsi que ceux qui

auraient la possibilité d’exécuter leurs obligations mais refusent de le faire. Le texte de

l’ancien Code pénal ne prévoyait pas le refus d’exécuter, qualifié de faute dolosive par les

juges civils148. Il est vrai que les peines prévues de six mois d’emprisonnement et 50 000

francs d’amende semblent s’adresser beaucoup plus aux débiteurs solvables animés d’une

réelle intention de nuire, qu’à des personnes, certes faisant preuve d’un certain aplomb, mais

de toute façon insolvables. Or il est vrai que la jurisprudence ne poursuivait que les personnes

qui consommaient sachant qu’ils étaient dans l’impossibilité de payer149, respectant ainsi

scrupuleusement le texte de l’article 401 (ce dont on ne peut que la louer). Elle refusait de

sanctionner du chef de filouterie les individus qui refusaient absolument de payer alors qu’ils

auraient eu des ressources suffisantes, ou ceux qui ont prétexté ne pas avoir d’argent alors que

le contraire fut démontré150. L’infraction de filouterie connaîtra peut-être un certain

renouveau, grâce à un domaine d’application élargi. Cette nouvelle disposition tendrait à

confirmer l’opinion d’auteurs qui affirmaient que ces infractions révélaient, plus qu’un refus

d’exécuter, un véritable refus de contracter151.

L’infraction de détournement d’objets gagés ne semble pas poser de difficulté

quant à ses objectifs contractuels. La création de cette incrimination vise directement à assurer

147 Article 313-5 du Code pénal. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 174. J.-Y. Lassalle, Filouteries, Juris-classeur pénal, article 313-5. 148 par exemple, Cass. 1re civ., 4 février 1969, G.P. 1969, 1, p. 204 ; CA Paris, 15 septembre 1992, D 1993, p. 48, note Delebecque. 149 Cass. crim., 24 novembre 1900, Bull. crim. n° 551 ; 21 avril 1976, Bull. crim. n° 120 ; 17 mars 1987, GP 1987, 2, somm. p. 294 note Doucet. 150 C.A. Toulouse, 10 mars 1881, DP 1881. 2. 187. 151 M. Muller , L’inexécution pénalement répréhensible du contrat, Thèse dactyl. 1977, Paris II, n° 19.

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la bonne exécution du contrat de gage, puisqu’elle interdit au donneur de gage de détruire ou

détourner l’objet du gage152. Le créancier est ainsi mieux assuré de conserver une sûreté

efficace. Cette infraction menace l’inexécution du contrat de gage et améliore les chances

d’exécution du contrat principal, que le contrat de gage vient garantir.

Ce bref aperçu des infractions « astucieuses » contre les biens permet de

démontrer leur intérêt pour la sanction des inexécutions contractuelles. Ces infractions sont-

elles utilisées par les juridictions pénales ?

b - Effectivité des infractions « astucieuses » contre les biens.

121. Les statistiques issues de l’étude du casier judiciaire livrent des chiffres

de condamnation pour ces infractions par année153. Cette appellation comprend l’abus de

confiance, les filouteries ou les détournements, mais aussi des infractions intéressant la

formation des contrats : les escroqueries, extorsions ou chantages. Une fois encore, nous

constatons que cette distinction entre la formation et l’exécution de la convention est

didactique et n’a aucun intérêt pour la juridiction pénale. Nous étudierons ici l’effectivité des

infractions tenant à la formation de la convention comme à son exécution et correspondant à

l’intitulé :

1987 1988

(amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995

(amnistie) 1996 Ensemble des condamnations Pour infractions "astucieuses" contre les biens

17605 9259 14570 16373 16415 17321 17771 14358 8150 11104

Escroquerie 6468 3971 5680 6185 6147 6555 6916 6214 3861 4988 Extorsion de fonds, chantage 800 481 647 651 713 820 833 837 807 1360

Abus de confiance 5206 2962 4315 4748 4697 4868 5198 4180 2310 2862

Détournement,

destruction d’objet

saisi, gagé

2374 962 1729 2253 2354 2598 2530 1541 490 467

Filouteries, ensembles 2757 883 2199 2536 2504 2480 2267 1586 682 1427

Filouterie d’hôtel 1094 387 959 1166 1161 1218 1152 779 273 539

Filouterie d’aliments 907 309 698 730 734 662 567 341 210 388

Autres filouteries 756 187 542 640 609 600 575 466 199 500

152 Article 314 -5 du Code pénal. 153 Chiffres cités par l’Annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 137 et éd. 1998, p. 141, ou calculés d’après les chiffres cités dans cet annuaire.

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Ajoutons que le nombre de condamnations pour délits est (très)

approximativement de 450000 par an154. Les années 1988 et 1995 sont marquées par

l’amnistie présidentielle155 et le passage de l’année 1993 à 1994 par l’entrée en vigueur du

nouveau Code pénal qui influence souvent notablement les statistiques.

Il est hélas malaisé de porter une appréciation sur ces chiffres, en particulier en

ce qui concerne l’effectivité des dispositions en matière d’abus de confiance, détournements

ou filouteries. Les condamnations semblent, certes, d’un nombre assez élevé, mais cette

criminalité est-elle, en réalité, correctement réprimée ? Il est probable que le nombre de

condamnations est sans doute très éloigné de la criminalité réelle puisque toutes les affaires ne

font pas l’objet de plaintes et que beaucoup peuvent faire l’objet de classements sans suite156,

de relaxes, ou de traitements hors du système judiciaire classique157. Il est seulement possible

d’affirmer que ce texte est utilisé par les juridictions répressives et ne reste pas lettre morte.

En particulier, l’abus de confiance, très lié au contrat, représente environ un quart des

condamnations relatives aux infractions dites « astucieuses » contre les biens.

122. Les condamnations existent. Mais les juridictions répressives se

montrent-elles d’une grande sévérité envers ce type de délinquance ? Les peines encourues

sous l’empire de l’article 408 de l’ancien Code pénal étaient un emprisonnement de deux mois

au moins, dix ans au plus et une amende de 3600 francs au moins, 2 500 000 francs au plus ;

en cas de circonstances aggravantes, le maximum de ces peines est porté à dix ans

d’emprisonnement et 5 000 000 francs d’amende. Les mêmes peines étaient encourues pour le

détournement d’objets saisis ou gagés (article 400). En matière de filouterie (article 401), les

peines prévues étaient l’emprisonnement de six jours à six mois et une amende de 500 à

15000 francs. Considérons comme de lourdes peines les sanctions encourues pour l’abus de

confiance ou le détournement, celles encourues pour les filouteries pouvant être alors

qualifiées de plus légères. Le tableau suivant rappelle le nombre de condamnations pour

infractions « astucieuses » contre les biens. Puis nous précisons la proportion, en pourcentage,

de ces infractions, traitées par le juge pénal, qui encouraient, dans le texte d’incrimination, de

lourdes peines158 et des peines plus légères159. Enfin, nous indiquons quelle est la proportion

de ces condamnations pour infractions « astucieuses » contre les biens qui contenaient des

peines d’emprisonnement et des peines d’amende (sans oublier que des condamnations

peuvent prévoir les deux types de peine).

154 Annuaire éd. 1994, p. 141. 155 L’amnistie de 1995 étant plus restrictive (loi n° 95-884 du 3 août 1995) : sont exclues de l’amnistie, notamment, les délits de mise en danger d’une personne (article 25, 8°), les corruptions, trafics d’influence, ingérences, prises illégales d’intérêt, … (article 24, 4°), les délits en matière de concurrence et de bourse (article 25, 22°). 156 Annuaire éd. 1994, p. 79 : 87 % des affaires transmises au Parquet furent classées sans suite en 1992. 157 Voir notre deuxième partie. 158 Les escroqueries, l’abus de confiance ou de blanc seing, le détournement, la destruction d’objets saisis ou gagés, les extorsions de fonds et chantages. 159 Les filouteries.

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1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Condamnations pour infractions "astucieuses" contre les biens

17605 9259 14570 16373 16415 17321 17771 14358 8150 11104

Infractions traitées, encourant une lourde peine

84,5 % 90,5 % 85 % 84,5 % 85 % 86 % 87 % 89 % 91,5 % 87 %

Infractions encourant une peine plus légère 16 % 9,5 % 15 % 15,5 % 15,5 % 14,5 % 13 % 11 % 8,5 % 13 %

Emprisonnements 72 % 79,5 % 73 % 74 % 74 % 75,5 % 76 % 74,5 % 83,5 % 77 %

Amendes 20,5 % 15,5 % 21,5 % 20,5 % 19,5 % 17,5 % 17 % 16,5 % 10,5 % 14 %

Peines de substitution, mesures d’éducation, dispenses de peines

7,5 % 5 % 5,5 % 6 % 7 % 7 % 7 % 8,5 % 6 % 9 %

Cette liste de chiffres peut paraître bien fastidieuse mais les énumérer année

après année permet de montrer la régularité des taux. Cependant, afin de résumer, il convient

de souligner que, en moyenne, de 1987 à 1993 160, 85 % de ces infractions « astucieuses »

contre les biens, traitées par le juge répressif, encouraient une lourde peine, 15 % une peine

plus légère.

L’abus de confiance et les détournements d’objets saisis ou gagés, nous

intéressent plus particulièrement, puisqu’ils touchent à l’exécution contractuelle en toutes

circonstances. Ces infractions représentent environ la moitié des condamnations parmi les

infractions traitées encourant une lourde peine. Mais il est probable que le juge pénal traite à

peu près de la même manière l’ensemble de ces infractions.

Si l’on observe que

- 73,6 % de ces condamnations prononcent des peines d’emprisonnement,

- 20 % une peine d’amende,

et que les dispenses de peine ou les peines personnalisées ne représentent qu’une faible

proportion, voisine de 6 %, il est possible de conclure à une relative sévérité du juge pénal.

Celui-ci, en particulier, n’hésite pas à prononcer des peines d’emprisonnement.

123. Pourtant, une analyse plus détaillée des peines prononcées permet

d’infirmer ce sentiment. Le tableau suivant présente la proportion de peines

d’emprisonnement en fonction de leur taux. Nous avons choisi de regrouper les peines de

moins de trois mois à six mois d’emprisonnement d’une part et les peines de six mois

jusqu’aux peines de cinq ans et plus d’autre part : cela correspond à peu près à la classification

« peines lourdes », « peines plus légères » que nous avons retenue précédemment pour classer

les infractions. Nous indiquons la proportion des condamnations pour infraction « astucieuse »

contre les biens sanctionnées par de lourdes peines d’emprisonnement, et la proportion de ces

160 Sans compter l’année 1988 dont les chiffres sont trop influencés par la loi d’amnistie.

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infractions sanctionnées par des peines d’emprisonnement plus légères. Quelques détails

supplémentaires sont apportés en ce qui concerne les peines d’amendes et les mesures de

personnalisation161.

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

Emprisonnements

fermes ou assortis de

sursis partiel, moins de

3 mois à 6 mois

19,7 % 15,1 % 13,9 % 17 % 19,7 % 20,1 % 19,2 % 16% 13,7 % 13,9%

Fermes ou sursis partiel,

6 mois et plus 13,9 % 26,3 % 16,8 % 12,9 % 11,9 % 11 % 11,5 % 13 % 24,2 % 18 %

Sursis total 38,3 % 38 % 42,4 % 43,8 % 42,3 % 44,4 % 45,2 % 45,6 % 45,4 % 45 %

Moyennes des peines

d’amende en francs 2636 f. 5752 f. 5086 f. 4436 f. 4344 f. 4549 f. 4504 f. 4938 f. 7879 f. 6303 f.

Peines de substitution

ou mesures éducatives 4,3 % 3 % 3,1 % 3,4 % 3,8 % 3,7 % 3,8 % 5,5 % 5,3 % 6,8 %

Dispenses de peine 3,2 % 2 % 2,2 % 2,6 % 3,1 % 3,2 % 3,4 % 3,2 % 0,7 % 2,16 %

Afin de simplifier, en moyenne de 1987 à 1993 162, 18 % des condamnations

prévoient des peines d’emprisonnement de moins de six mois, dont la moitié ont une durée de

moins de trois mois ; les sursis représentent 43 % des condamnations ; 13 % de ces

condamnations infligent des peines de plus de six mois. Ces chiffres peuvent être mis en

perspective avec ceux précédemment énumérés. Alors que les infractions encourant de lourdes

peines d’emprisonnement (2 mois à 10 ans) représentent 85 % des condamnations pour

infraction « astucieuse » contre les biens, seules 13 % de ces condamnations infligent des

peines de plus six mois d’emprisonnement. L’ancien Code pénal prévoyant des seuils

minimums pour les peines, ceux-ci pouvant pourtant être franchis grâce à la prise en compte

de circonstances atténuantes. La prise en compte de ces circonstances peut en partie expliquer

la moindre sévérité des juges. En ce qui concerne les amendes, leur taux, en moyenne est de

4260 francs. Rappelons que les infractions aux lourdes sanctions encourent des amendes de

3600 à 2 500 000 francs et les infractions aux sanctions plus légères encourent des amendes

de 500 à 15000 francs. Les amendes approchant des seuils les plus hauts doivent être

prononcées de façon rarissime. Le juge pénal s’en tient à des taux de peine relativement bas.

L’impression première de sévérité des juridictions répressives laisse plutôt place à un

sentiment de relative clémence. Même si les textes, apparemment, jouissent d’une certaine

effectivité, leur application par la juridiction pénale se révèle plutôt modérée.

161 Sources : annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 137 et 1998, p. 141. 162 Moyenne calculée hors année 1988, comme précédemment.

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Les infractions classiques intéressant l’exécution de la convention – comme

celles intéressant la formation du contrat – bénéficient d’une importante effectivité dans le

contentieux, même si les juges se montrent très modérés quant aux sanctions. Le législateur a

instauré de nombreuses infractions plus spécifiques, dans le domaine économique et financier.

Ces infractions, plus récentes, ne bénéficient pas d’une telle reconnaissance contentieuse.

2 - Les infractions à la législation économique et financière.

124. De nombreuses infractions ont été élaborées dans le but d’assurer une

exécution correcte des conventions dans le domaine économique ou financier : sont

concernées les obligations promises expressément et envisagées par les contractants, mais

également certaines obligations légales supplémentaires imposées pour rétablir l’équilibre

entre contractants et prestations. Un arsenal permet de sanctionner des inexécutions

contractuelles spécifiques aux contrats de travail, de société, ou de consommation. Cependant,

le contentieux existe-t-il réellement ? Il semble que le faible nombre de plaintes et le manque

de moyens des instances judiciaires ne permettent pas la constatation et la sanction correcte de

ces infractions. Nous donnerons quelques éléments de statistiques concernant la sanction de

ces divers types d’infractions présentés en particulier (a). Puis, une étude statistique plus

globale permettra de constater l’ineffectivité de ces sanctions pénales dans le domaine

économique et financier (b).

a – Inexécutions contractuelles et infractions économiques et financières.

125. Le droit pénal sanctionne essentiellement l’obligation contractuelle de

livrer une chose correcte (α). Des contrats plus sensibles se sont vus adjoindre des obligations

susceptibles d’être pénalement sanctionnées (β).

α - Les tromperies.

126. Le législateur a spécifiquement incriminé le mensonge sur l’objet du

contrat, au stade de la fabrication ou au stade de la commercialisation, avec la loi du 1er août

1905163 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services164. Celles-ci ont

lieu la plupart du temps lors de la formation du contrat165. Certes la victime perçoit le

163 Codifiée et modifiée dans le Code de la consommation aux articles L. 213-1 à L. 217-10. 164 J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 194 et s. R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 1050. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 408. D. Garreau, Fraudes : tromperies et falsifications, Juris-classeur concurrence consommation, fasc. 1010. 165 Voir supra n° 40. l’article 1 de la loi, aujourd’hui article L. 213-1 du Code de la consommation qui définit la tromperie dispose : « Quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant ... soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises, ... soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du

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mensonge concernant le bien objet du contrat, lors de l’exécution ; mais les éléments

constitutifs de l’infraction, matériel et intentionnel, sont réunis plus tôt, puisqu’ils visent à

obtenir le consentement de la victime à un contrat dont l’objet ne répondra pas à son attente.

Pourtant, cette loi sur les fraudes et falsifications n’exclut pas les tromperies ayant lieu au

stade de l’exécution du contrat, ce qui met en échec, une fois encore, la distinction entre

formation et exécution du contrat. En effet, l’article L. 213-1 du Code de la consommation

sanctionne les tromperies « sur la quantité des choses livrées ou leur identité par la livraison

d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ».

Le principe d’effet relatif des conventions166 connaît des exceptions en matière

pénale : la tromperie à l’encontre du sous-acquéreur est punie de la même façon que celle du

contractant direct ; la seule exigence concernant la victime est qu’elle soit partie à un contrat,

même si ce n’est pas celui dans le cadre duquel le coupable a opéré. Quant au coupable lui-

même, sa qualité de contractant n’est pas exigée : la loi de 1978 qui a modifié le texte de 1905

considère comme éventuel coupable « quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat ». Dès

lors, les tromperies commises à l’occasion de prestations de services167, de mandats,

commissions, courtages ou entreprises ont pu être sanctionnées168, en plus de la vente, seul

contrat initialement envisagé dans le texte de 1905. Enfin, l’incrimination ne protège pas

seulement les consommateurs, mais tout contractant quelle que soit sa qualité. Le champ de

protection est très étendu, un état de faiblesse particulier de la victime n’étant pas requis.

127. Le texte exige un élément moral intentionnel : les termes de « fraude »

ou de « tromperie » sont significatifs de l’intention de l’auteur, comme le confirment les

travaux préparatoires169. Rappelons que l’article 121-3 du Code pénal exige que l’élément

moral de toute infraction consiste en une intention ; la simple imprudence ou négligence,

même consciente170, ne peut être admise que si le texte d’incrimination en dispose

expressément. En matière de tromperie, le prévenu doit avoir eu le désir de tromper son

cocontractant, L’imprudence est insuffisante : le texte d’incrimination ne la mentionne pas.

Ceci est du reste confirmé, par exemple, par l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de

cassation du 10 mai 1993171, selon lequel la conscience du caractère inexact des qualités

prêtées au produit est indispensable. Pourtant, la jurisprudence a souvent joué de

présomptions, se contentant de la simple constatation que le débiteur n’avait pas vérifié que la

produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre, sera puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 250 000 francs ou de l’une des deux peines seulement » 166 Article 1165 du Code civil. 167 Cass. crim., 17 mars 1993, Bull. crim. n°123, D 1933, IR 144, JCP 1994, II, 22192, note Couvrat, RTD com. 1994, p. 145, obs. Bouzat, Contrats, conc., consom., 1993, 164, G. Raymond. 168 D. Garreau, préc., n° 21. W. Jeandidier, préc., n° 409. 169 J.-A. Roux, Traité de la fraude dans la vente des marchandises, 1925, n° 80 et s. ; J. Vivez, note JCP 1966, II, 14663. 170 La « mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». 171 Contrats, conc., consom., novembre 1993, n° 204 : un producteur de vin vendait des bouteilles étiquetées « vin sans alcool » alors que l’administration lui avait déconseillé cette appellation, lui suggérant celle de « vin désalcoolisé ».

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prestation réelle correspondait à la prestation promise. Par exemple, un arrêt du 17 mars 1993

de la chambre criminelle de la Cour de cassation172, a condamné pour tromperie un agent de

voyage qui n’avait pas vérifié la prestation promise. Celle-ci comprenait, entre autres, une

villa meublée en Sicile, dont le linge de table convenu se réduisait à un torchon ; la chambre

au rez-de-chaussée n’était pas, contrairement au prévisions, indépendante de la salle de séjour.

L’élément moral, ici appelé « mauvaise foi », pouvait se déduire du fait que le prévenu s’est

« soustrait à l’obligation qui lui incombait personnellement de procéder aux contrôles

nécessaires pour vérifier la réalité des prestations ou leur exécution ». Ce type de

jurisprudence ne date pas d’hier. Certes, la jurisprudence ancienne refusait d’admettre la

fraude lorsque l’élément intentionnel n’était pas rapporté173. Ainsi, malgré une obligation de

vérifier la quantité et la composition du produit vendu, l’importateur du produit ne pouvait se

voir condamner pour fraude, sur la simple constatation qu’il n’avait pas exécuté cette

obligation de vérifier et que la quantité du produit en question était très différente de celle

indiquée sur l’emballage. Cependant, l’importateur recevait les produits déjà emballés par le

fabricant. Or, il semble que l’élément moral était présumé, dès cette époque, si le prévenu

avait eu un rôle direct dans la préparation du produit : le grossiste chargé d’emballer les

produits a été condamné car il n’avait pas vérifié correctement le poids des produits qu’il

emballait174. De même, un fabricant de pâtes alimentaires avait vendu des « pâtes aux œufs »

ne respectant pas la quantité d’œufs prévue par décret. Ce non-respect était dû à une

défaillance de la machine chargée de mélanger la pâte, mais la Cour de cassation confirma la

condamnation175.

Les comportements précédemment décrits peuvent être qualifiés, au pire, de

négligences grossières. Ils ne peuvent être assimilés qu’à des imprudences et certainement pas

à des intentions176. La jurisprudence s’est contentée d’une imprudence, d’une absence de

« diligences normales compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses

compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait »177 : la condamnation du

professionnel a lieu en raison d’une mauvaise utilisation de ses pouvoirs178. Il est remarquable

que la jurisprudence en matière de fraude ne parle ni d’intention ni de négligence lorsqu’elle

caractérise l’élément moral. A ces termes de droit pénal sont préférés le terme civiliste de

« mauvaise foi »179 qui rappelle tout autant l’article 1134 alinéa 3 du code civil que la notion

d’élément moral : ceci confirme que le problème de l’inexécution contractuelle est bien

172 Bull. crim. n° 123, préc. 173 Par exemple, Cass. crim., 8 décembre 1965 et 18 janvier 1966, JCP 1966, II, 14663, note J. Vivez. 174 Cass. crim., 5 janvier 1966, JCP 1966, II, 14663, note J. Vivez. 175 Cass. crim., 18 janvier 1966, JCP 1966, II, 14663, note J. Vivez. 176 Contra, J. Vivez, note préc. 177 Article 121-3 du Code pénal. 178 Voir supra n° 109. 179 Voir tous les arrêts précédemment cités.

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présent à l’esprit du juge, même si l’objectif essentiel de l’infraction est, plus largement, la

protection de la loyauté dans l’activité économique dont la stabilité dépend de la confiance180.

128. En matière de fraudes, les statistiques ne distinguent pas, c’est évident,

les tromperies pouvant intervenir lors de la formation du contrat ou lors de la livraison. Le

nombre de condamnations pour tromperies sur la marchandise s’élève à environ mille cinq

cents par an, pour tout type de fraudes181, représentant les deux tiers de l’ensemble des

condamnations pour fraudes et 13 à 15 % de l’ensemble des condamnations pour infraction à

la législation économique et financière182. La seule conclusion, bien maigre, pouvant être

apportée, est que cette incrimination des tromperies ne reste pas lettre morte ; d’autant plus

que l’observation des bulletins criminels de la Cour de cassation montre que quelques affaires

arrivent, presque tous les ans, devant la plus haute juridiction.

Contre cet objet, dont les qualités doivent être intègres et clairement connues,

doit être versée une somme. Le droit pénal protège aussi des obligations légales particulières.

β - Les obligations légales particulières.

129. Les agents économiques sont vivement conviés par l’Etat à élaborer des

conventions ou se voient imposer des obligations lorsqu’ils se mettent dans certaines

situations contractuelles183 : contrat de consommation, de travail, de société, etc. La

juridiction pénale a souvent la charge de surveiller le respect par les contractants d’une grande

partie de ces obligations qui sont de véritables obligations contractuelles. Les branches de

droit concernées sont très diverses et l’énumération de quelques exemples semble utile. Il est

remarquable que le législateur ait imposé ces obligations essentiellement dans des contrats à

exécution successive où l’une des parties peut se trouver en état de faiblesse par rapport au

contractant auquel ces obligations sont imposées. De nombreuses obligations supplémentaires

sont intégrées au contrat de société (I) et au contrat de travail (II), dont l’inexécution entraîne

des sanctions pénales.

I - Contrats de société.

130. Il est possible de dénombrer environ cent trente délits et une vingtaine

de contraventions en droit des sociétés, une part importante concernant l’inexécution184 : par

180 R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 1044 ; M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, PUF Thémis, 3ème éd. 1990, p. 35. 181 Annuaire statistique de la justice, éd. 1994, p. 149 et éd. 1998, p. 153. 182 Ces calculs ont été effectués à partir des données des annuaires de statistique de la justice précités, en retranchant du nombre de condamnation pour infractions à la législation économique et financière le contentieux sur les chèques sans provision, traité aujourd’hui par le système de la transaction pénale. 183 Voir supra n° 89. 184 B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 377 et s., spéc. p. 383.

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exemple les règles attachées aux sociétés anonymes, concernant l’information des membres de

la société185 ou la participation des associés aux assemblées186. D’autres dispositions

concernent les infractions du dirigeant : abus des biens ou du crédit de la société187, délit de

comptabilité188, distribution de dividendes fictifs189, … Les mandataires sociaux ont des

obligations particulières concernant la direction et l’administration de la société. Nous

évoquerons ici plus précisément l’abus de biens sociaux, faute de gestion ayant lieu pendant la

vie normale de la société, et la banqueroute, faute de gestion ayant lieu en période de graves

difficultés.

131. L’abus de bien social sanctionne l’utilisation abusive, par le dirigeant de

la société, d’un bien appartenant à la société. A ce titre, cette infraction est très proche de

l’abus de confiance et sanctionne une mauvaise exécution du contrat de société. Cette

incrimination et l’interprétation qu’en a fait la jurisprudence connaissent une fronde doctrinale

peu commune190. La définition de cette infraction aurait été considérablement élargie au point

de paralyser l’activité des chefs d’entreprises et les juges auraient même supprimé tout délai

de prescription191. Cette infraction suppose que l’usage du bien ou du crédit de la société soit

contraire à l’intérêt de celle-ci, mais aussi soit conforme à l’intérêt du coupable (ou d’une

entreprise dans laquelle il est intéressé). Or les juges ne chercheraient plus si l’acte litigieux

manifeste la poursuite d’un intérêt personnel ; le caractère contraire à l’intérêt social ne serait

même plus vérifié puisqu’il découlerait directement du caractère illicite de l’acte192. Le

caractère contraire à l’intérêt social serait apprécié, non pas au moment de l’acte, moment où

un certain risque et une incertitude du résultat du choix opéré existent, mais ultérieurement, en

fonction de son résultat positif ou négatif pour la société193.

Pourtant, la jurisprudence recherche toujours l’intérêt personnel apporté par

l’acte litigieux, même si cet intérêt n’est que moral, tel que le prestige ou la notoriété194. Cette

notion d’intérêt personnel, critiquée par les pourfendeurs de l’abus de bien social195, n’a rien

de spécifique à cette jurisprudence196. Certes, le caractère illicite de l’acte (la corruption d’un 185 Articles 438 et 439 de la loi du 24 juillet 1966. R. Merle et A. Vitu , Droit pénal spécial, T. 1, préc., n° 972. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 388. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 247 et s. 186 Articles 440 à 448 de la loi du 24 juillet 1966. R. Merle et A. Vitu , préc., n° 978. J. Larguier, P. Conte, préc., n° 389. W. Jeandidier, préc., n° 252 et s. 187 Articles 437-3° et 4°, 425-4° et 5° de la loi du 24 juillet 1966. 188 Notamment les bilans inexacts, articles 425-3°, 437-2° et 460 de la loi du 24 juillet 1966. 189 Articles 437-1°, 460 et 425-2° de la loi du 24 juillet 1966. 190 Voir notamment C. Heurteux, Prise de risque par l’entrepreneur et droit pénal, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 169 ; B. Vatier, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches n° spécial 1996, n° 12, p. 4 ; L’abus de biens sociaux, Colloque de l’Institut de formation continues du Barreau de Paris, Paris, 13 juin 1996, Rev. sc. crim. 1997, p. 498 ; B. Bouloc, Le dévoiement de l’abus de biens sociaux, RJ com. 1995, p. 303. 191 D. Cohen, Le chef d’entreprise est-il délinquant ordinaire ?, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 71, spéc. p. 76 ; C. Heurteux, préc., spéc. p. 172. 192 B. Vatier, préc., spéc. p. 6. 193 B. Vatier, préc., p. 5 ; D. Cohen, p. 74. 194 Cass. crim. 20 mars 1997, Rev. des sociétés 1997, p. 581, obs. B. Bouloc. 195 C. Heurteux, préc., p. 171. 196 A. Roger, La notion d’avantage injustifié, JCP 1998, I, 102, spéc. n° 14 et s.

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homme politique par exemple) suffisait à considérer celui-ci comme contraire à l’intérêt

social197, même s’il était démontré arithmétiquement qu’il a apporté un avantage : le risque de

sanction pénale, fiscale et l’atteinte au crédit de la société contrebalançaient forcément ce gain

objectif198. La jurisprudence est revenue sur ce raisonnement un peu automatique199 : des

sommes utilisées à des fins illicites, mais de façon non occultes et dans l’intérêt de la société,

ne constituent plus forcément un abus de bien social ; les sommes prélevées de façon occulte,

en revanche laissent présumer l’abus de bien social dans le seul intérêt du dirigeant. D’une

façon générale, une prise de risque anormale est répréhensible200. S’il est vrai que l’intérêt de

la société est parfois considéré rétrospectivement, aux vues des résultats de l’acte201, la Cour

de cassation rappelle régulièrement que l’intérêt de l’acte pour la société doit être considéré au

moment de sa commission202. Enfin, les délais de prescription existent bien : ils ont une durée

de trois ans, comme tous les délits203. On reproche à la prescription de courir du jour où

l’infraction est apparue et a pu être constatée204, ce qui permet des poursuites longtemps après

la date de commission des faits. Mais ces règles sont identiques à celles de l’abus de

confiance ; elles sont une application de l’adage selon lequel « la prescription ne court pas

contre de celui qui ne peut agir » et sont indispensables compte tenu des pouvoirs dont

disposent les dirigeants et en particulier ceux, légitimes, dont ils disposent sur les objets ou

sommes détournés, ce qui ne rend possible l’apparition des faits qu’à la suite de passations de

pouvoir205.

132. L’infraction de banqueroute sanctionne certaines fautes dans la gestion

d’une entreprise qui connaît de graves difficultés. Elle a vu son influence renforcée en 1985,

quoiqu’on ait pu parler de dépénalisation206. Il est vrai que la loi du 25 janvier 1985, modifiant

les procédures de redressement et de liquidation judiciaire, n’a conservé que quatre cas de

197 La Cour de cassation affirmait de façon un peu automatique que L’usage des biens d’une société est nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite » : Cass. crim., 22 avril 1992, D 1997, p. 589, note B. Bouloc. 198 Pour un retour à une position moins systématique et plus argumentée, Cass. crim., 27 octobre 1997, JCP 1998, II, 10017, note Pralus. T. Dalmasso, L’arrêt Carignon : un retour à la rigueur ?, Petites affiches 1997, n° 146, p. 30. 199 Cass. crim., 11 janvier 1996, D. 1997, chron. p. 323, obs. M. Dobkine. Cass. crim., 6 février 1997, D. 1997, J., p. 334, note J.-F. Renucci. 200 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 261. 201 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 375. Voir cependant Cass. crim., 6 février 1997, D. 1997, J., p. 334, note J.-F. Renucci : cet arrêt précise qu’un « véritable bilan coût-avantage » doit être effectué pour évaluer l’atteinte à l’intérêt social (M. Dobkine, Réflexions itératives à propos de l’abus de biens sociaux, D. 1997, chron. p. 323). 202 Cass. crim. 16 janvier 1989, Bull. crim. n°17, D 1989, p. 415, note Cosson, JCPE 1990, 15677, n°16, obs. Viandier et Caussain ; 2 décembre 1991, Droit pénal 1992, 101. 203 Article 8 du Code de procédure pénale. 204 Cass. crim., 13 janvier 1970, D. 1970, p. 345, note J.-M. R ; Revue des sociétés 1970p. 474, note J. H. 205 M. Dobkine, Réflexions itératives à propos de l’abus de biens sociaux, D. 1997, chron. p. 323. 206 Voir supra n° 28 et, notamment, W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n°217. M. Delmas-Marty , Les conditions de rationalité d’une dépénalisation partielle du droit pénal de l’entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 89. J. Azema, Droit pénal et relations interentreprises, même ouvrage. F. Derrida, La dépénalisation dans la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, Rev. sc. crim. 1989, p. 658. A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 267 et s.

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banqueroute, correspondant à l’ancienne « banqueroute frauduleuse ». Seul un cas de

« banqueroute simple obligatoire » est encore pénalement sanctionné et voit sa sanction

aggravée207. Les autres cas de « banqueroutes simples » (les cas les moins graves, pour

lesquels le législateur n’exigeait pas d’intention délictueuse) disparaissent totalement ou sont

sanctionnés par la faillite personnelle.

Pourtant, cette dépénalisation est fort relative et le nombre de situations

pénalement réprimées a augmenté. Des auteurs doutent même que cette réforme de 1985 aille

réellement dans le sens d’une dépénalisation208. Les comportements les plus graves sont

toujours incriminés ; la loi du 10 juin 1994 a même ajouté un cas supplémentaire de

banqueroute : le fait de tenir une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au

regard des dispositions légales209. La réforme de 1985 a plutôt procédé à une simplification et

à un allégement du dédale des vingt-sept cas de banqueroute de degrés divers existant

antérieurement. De plus, les peines d’un des quatre cas de banqueroute ont été aggravées210.

Les personnes auxquelles peuvent être appliqués ces cas de banqueroutes sont beaucoup plus

nombreuses à partir de 1985 : aux commerçants, antérieurement seuls justiciables, ont été

ajoutés les artisans, les agriculteurs, les personnes qui dirigent ou liquident en droit ou en fait

une personne morale ayant une activité économique, les personnes physiques représentants

permanents de personnes morales qui dirigent des personnes morales ayant une activité

économique211 ; la qualité de dirigeant de société de bourse est une circonstance

aggravante212. Les comportements de tout débiteur susceptible d’atteindre la loyauté et la

confiance des relations d’affaires sont énergiquement sanctionnés par le droit pénal.

Enfin, la loi de 1985 subordonnait la poursuite pour banqueroute à l’ouverture

d’une procédure de redressement judiciaire, ce qui limitait l’action de la juridiction pénale. La

jurisprudence récente semble reprendre son indépendance et affirme que « pour déclarer

constituer le délit de banqueroute, le juge répressif a le pouvoir de retenir … une date de

cessation des paiements autres que celle fixée par la juridiction consulaire »213. Tous ces

éléments ne vont pas dans le sens d’un allégement de la répression.

207 Il s’agit de l’achat en vue de revente en dessous du cours, ou l’emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, afin d’éviter une procédure de redressement judiciaire. 208 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 507. F. Derrida, Droit pénal et difficultés des entreprises, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 205. 209 Ce cas avait été dépénalisé en 1985 et n’était plus sanctionné que par la faillite personnelle. 210 Pour la banqueroute consistant en l’achat en vue de la revente au-dessous du cours et de l’emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds. Les articles 127-3 et 131-2 de la loi de 1967 les réprimaient au titre de banqueroute simple obligatoire ; les sanctions encourues étaient donc un mois à trois ans d’emprisonnement et une amende de 5000 à 100 000 francs. L’article 402 du Code pénal prévoit aujourd’hui un emprisonnement de trois mois à cinq ans et une amende de 10 000 à 200 000 francs. 211 Article 196 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985. 212 Article 199 de la loi du 25 janvier 1985, mod. 16 décembre 1992 ; cet article porte le maximum des peines encourues à sept ans d’emprisonnement, et 700 000 francs d’amende. Les peines normales prévues sont de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 francs d’amende (article 198). 213 Cass. crim. 18 novembre 1991, JCP 1993, II, 22102, note M.-C. Sordino ; GP 12-13 août 1992, p. 7, note J.-P. Marchi. F. Derrida, Renaissance de la "faillite virtuelle" ?, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 95. Voir infra n° 258 et s.

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135

133. En matière de contrats de société, Mme Delmas-Marty relève que les

cent trente délits et vingt contraventions que contient le droit des sociétés reçoivent une bien

timide application. Seules environ mille cinq cents infractions sont relevées par la police

judiciaire, sur les deux millions pouvant être potentiellement commises214. Les infractions

recevant condamnation en matière de législation des sociétés sont essentiellement la

banqueroute, les délits en matière de comptabilité et de gestion (comprenant les abus de biens

sociaux) et l’exercice illégal d’une profession, cette dernière infraction touchant plutôt la

formation du contrat. Les statistiques sont les suivantes :

(les proportions de banqueroutes et de délits en matière de gestion et comptabilité sont

calculés par rapport au nombre de condamnations en matière de législation sur les sociétés).

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

Ensemble des condamnations pour

infractions en matière de sociétés

et de commerces 215

7884 6779 9902 11438 11117 12080 12640 10841 5455 8617

Ensemble des condamnations pour

infraction à la législation sur les

sociétés

2005 1649 1807 1955 2096 2141 2106 1889 1457 1354

Banqueroute 51,6 % 55,7 % 60,6 % 56,7 % 55,8 % 55,8 % 54,6 % 54,1 % 58,3 % 50,4 %

Gestion et comptabilité

délictueuse 24,5 % 26,6 % 21,5 % 22,6 % 25,1 % 22,8 % 29,6 % 29,6 % 29,9 % 33,2 %

Les pourcentages de condamnation pour les infractions de banqueroute ou

d’infraction en matière de gestion et de comptabilité sont relativement importants alors que le

nombre de condamnation est peu important. Il semble que les infractions concernant le

contrôle des sociétés (modification de capital social, dispositions sur les titres, droit des

participations en capital,...) sont très peu utilisées. On n’en trouve d’ailleurs pas trace dans les

bulletins de la chambre criminelle de la Cour de cassation. La proportion de condamnations

pour abus de biens sociaux représente plus de 50 % des condamnations pour délit de gestion

et de comptabilité, atteignant plus de 80 % en 1995 et 1996216.

134. Quelques chiffres permettent d’évaluer la sévérité des juridictions

répressives (les pourcentages représentent les proportions de condamnations pour infraction à

la législation sur les sociétés concernées par l’emprisonnement, les amendes,...) :

214 M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires T. II, PUF Thémis 1990, p. 342. B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 383. 215 Cette catégorie comprend, outre les infractions à la législation sur les société, les fraudes et contrefaçons, les infractions en matière de concurence et de prix, et des contraventions relatives à l’information du consommateur, au stockage des marchandises,... Voir Annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 149 et éd. 1998, p. 153. 216 Annuaire satistique de la justice éd. 1998, p. 153.

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136

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

Ensemble des

condamnations pour

infraction à la

législation sur les

sociétés

2005 1649 1807 1955 2096 2141 2106 1889 1457 1354

Emprisonnement 58,9% 64,7 % 69,6 % 67,5 % 64,7 % 63,7 % 69,1 % 64,7 % 70,6 % 69,7 %

Moins de 6 mois (ferme

ou sursis partiel) 5,2 % 5,3 % 6,6 % 7,1 % 5,9 % 7,4 % 4,8 % 5 % 5,9 % 5,1 %

6 mois à moins de 1 an

(ferme ou sursis partiel) 5,5 % 7,1 % 7,8 % 4,8 % 5,5 % 4,9 % 4,4 % 4,5 % 6,8 % 5,1 %

1 an et plus (ferme ou

sursis partiel) 5,8 % 7,1 % 5,3 % 6,9 % 5,1 % 5,3 % 4,8 % 5,4 % 6 % 7 %

Moyenne de la partie

ferme

10

mois

10,8

mois

9,1

mois

10,5

mois

9,6

mois

8,8

mois

9,7

mois

10,2

mois

9,5

mois

10,8

mois

Emprisonnements

assortis du sursis total 42,3 % 45,2 % 49,8 % 48,8 % 48,3 % 46,2 % 55,1 % 49,8 % 51,9 % 52,4 %

Amendes 38 % 30,4 % 26,6 % 27,5 % 29,4 % 29,3 % 23,9 % 26,8 % 23,5 % 24 %

Moyenne de l’amende

ferme, en francs

10016

f.

13463

f.

22375

f.

14703

f.

14357

f.

16707

f.

17968

f.

24132

f.

28769

f.

20146

f.

Si l’on compare ces chiffres avec les chiffres des condamnations par type

d’infraction, on constate que le juge se montre d’une sévérité toute relative. Pour résumer, si,

en moyenne, 65% des condamnations pour infraction à la législation des sociétés infligent des

peines d’emprisonnement, 47 % de ces condamnations ne prononcent que du sursis total. Ces

condamnations sont édictées par le législateur et prononcées par le juge pénal pour effrayer les

« cols blancs ». Les peines d’amende sont prononcées dans 30 % des condamnations en

moyenne. Elles semblent assez élevées (18 260 francs en moyenne) si on les compare avec

celles prononcées pour les infractions de type classique217 et passent du simple au double en

dix ans. Mais cette impression de sévérité s’atténue si on considère que l’infraction de

banqueroute, qui concerne plus de la moitié des condamnations218, était punie dans l’article

402 de l’ancien Code pénal d’une amende de 10 000 à 200 000 francs. De plus, ces moyennes

ont été calculées en tenant compte des chiffres de l’année 1988, l’amnistie présidentielle

n’ayant apparamment pas soulagé le monde des affaires.

217 Voir supra n° 122. 218 Voir supra n° 133.

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137

Le contrat de travail, comme le contrat de société, génère des obligations

particulières pénalement sanctionnées.

II - Contrats de travail.

135. Le contrat de travail contient aussi de nombreuses obligations

conventionnelles impératives sur les modalités d’exécution du contrat de travail219 : les

infractions peuvent concerner le temps de travail (le nombre d’heures de travail maximal, les

repos, les congés payés220), le paiement du travail (les retenues sur salaires sont interdites) ou

la sécurité du travail (avec les nombreuses dispositions en matière d’hygiène). De nombreuses

infractions concernent les modalités à respecter en ce qui concerne le travail des enfants,

essentiellement employés comme mannequin ou dans des spectacles221. Il s’agit

essentiellement des infractions d’omission222. Ces mesures tendent à ce que l’employeur

exécute ses obligations et n’exige pas plus du salarié que ce que le contrat de travail et la loi

imposent. Pour généraliser, on considère ici tous les faits qui entraînent, devant le Conseil des

prud’hommes, une sanction autre que l’annulation du contrat, ou la modification d’une de ses

conditions essentielles.

La force obligatoire des conventions collectives en droit du travail reçoit aussi

un soutien pénal important223. L’employeur est tenu d’une obligation de négocier les salaires,

la durée et l’organisation du travail une fois par an avec les organisations syndicales

représentatives224. Cette obligation de négocier est pénalement sanctionnée par l’article L.

153-2 du Code du travail qui érige l’absence de négociation en délit d’entrave. Il est malaisé

de savoir exactement quelle attitude de l’employeur peut être sanctionnée car le texte procède

par de nombreux renvois. Selon M. Puech, la simple inertie de l’employeur qui omettrait plus

ou moins volontairement de provoquer cette négociation n’encourt pas la sanction225. L’auteur

précise que les articles L. 132-28 et L. 132-29 auxquels renvoie cette disposition laissent

penser que, si l’initiative de l’employeur est encouragée, c’est aux syndicats qu’appartient en

dernier ressort de provoquer les négociations. L’entrave commence si l’employeur refuse de

faire suite à la demande du syndicat, soit en ne transmettant pas la demande dans les huit jours

aux autres organisations représentatives, soit en ne convoquant pas ces organisations dans les

quinze jours suivant la demande. L’obligation de négocier des employeurs et des organisations

représentatives est pénalement sanctionnée, mais l’exécution de bonne foi de cette obligation

219 C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, Droit pénal du travail, Dalloz 1997, n° 811 et s. 220 notamment les articles R. 262-1 à R. 262-8 du Code du travail. 221 Articles L. 261-1 à L. 261-6 du Code du travail. C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, préc., n° 392. 222 R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial, T. II, préc., n° 1118. 223 C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, préc., n° 1384 et s. G. Lyon-Caen, Jean Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis 1996, 18ème éd., n° 852. 224 Articles L. 132-25 alinéa 1, L. 132-28 et L. 132-29 du Code du travail. 225 M. Puech, L’obligation, au regard du droit pénal, d’engager une négociation annuelle dans les entreprises, Droit social 1984, p. 49.

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ne bénéficie pas de soutien pénal. L’employeur (comme les syndicats) n’est pas tenu de faire

des propositions sérieuses et une attitude totalement passive ne l’expose à aucune

répression226. Une sanction pénale préservant la qualité des négociations eut été délicate à

mettre en œuvre : comment mesurer le caractère sérieux des propositions de part et d’autre ? A

fortiori , les négociateurs ne sont pas tenus d’aboutir à un accord. La part du droit pénal

s’avère bien ténue.

Cette part est plus importante dans l’exécution des conventions collectives,

grâce à l’article L. 153-1 du Code du travail. Une sanction est encourue lorsque ne sont pas

exécutées les dispositions d’une convention qui dérogent à un texte de loi, à condition que ce

texte autorise expressément les dérogations227. La sanction sera la même que celle prévue par

le texte en question. On appliquera à l’inexécution de la convention la sanction prévue pour

l’inexécution de l’obligation légale écartée. Cette situation est ainsi envisageable en matière

de durée du travail, de congés ou de seuils d’effectif gouvernant la représentation du

personnel228. Si une convention y déroge et n’est pas exécutée, c’est la sanction pénale prévue

dans ces textes qui sera prononcée.

136. En matière de contrat de travail, Mme Serverin229 affirme que le nombre

de condamnations pénales s’élève à environ 13000 par an, de 1990 à 1992. Ces

condamnations ne représentent que 2,5 % de l’ensemble des condamnations prononcées par

les juridictions répressives. Ces chiffres très faibles montrent la faiblesse de la répression,

faiblesse d’autant plus impressionnante que les infractions constatées sont très nombreuses :

les inspecteurs du travail ont relevé environ un million d’infractions en 1991, seule 3 % ayant

fait l’objet d’un procès verbal. Dès lors, la faiblesse de la répression ne vient pas des juges230.

De plus, ce grand nombre d’infractions relevées montre que si les sanctions pénales ne sont

pas appliquées, le droit pénal est cependant utilisé et respecté ... grâce aux personnes chargées

de constater les irrégularités. La régularisation de la situation, obtenue grâce à une mise en

demeure, est préférée à une sanction pénale, ce qui est sans doute préférable.

Les textes sont peu appliqués ... et peu d’entre eux sont appliqués. Mme

Serverin relève dans son étude que les condamnations sont concentrées sur un petit nombre

d’infractions : l’hygiène, la sécurité et le travail clandestin (celui-ci intéresse plutôt le stade de

la formation du contrat). Il est possible de relever 579 infractions différentes en droit du

travail ; seules 241 ont fait l’objet d’une condamnation au cours de l’une des trois années

226 Cass. crim, 4 octobre 1989, Droit social 1990, p. 154, obs. J. Savatier ; D 1989, IR 309 : la chambre criminelle a refusé la condamnation d’un employeur qui avait imposé comme préalable la dénonciation des accords antérieurs et avait adopté au cours des discussions une « attitude passive, voire systématiquement opposante n’ayant permis aucune discussion de fond » 227 Voir infra n° 164 et s. 228 Articles L. 212-2 alinéa 3 ou L. 412-21, ... du Code du travail. Pour une liste plus complète, voir Y. Chalaron, La sanction pénale du droit conventionnel : une nouvelle base ?, Droit social 1984, p. 508. 229 E. Serverin, L’application des sanctions pénales en droit social : un traitement juridictionnel marginal, Droit social, 1994, p. 656, n° 1. 230 E. Serverin, préc., n° 4. Voir infra n° 519, sur le rôle de l’inspection du travail.

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1990, 1991 ou 1992231. Ceci montre que l’arsenal législatif pénal est fort loin d’être utilisé

dans sa totalité. Les statistiques232 révèlent que les condamnations pour infractions aux règles

d’hygiène et de sécurité représentent environ 40 % des condamnations pour tout type

d’infraction à la législation du travail et de la sécurité sociale. On relève aussi un certain

nombre de condamnations pour entrave à la représentation des salariés (deux cents à trois

cents par an) et des contraventions aux règles des congés (environ mille par an). Notons que le

nombre de condamnations est en constante augmentation : pour 4145 condamnations en 1987,

on en a 6432 en 1989, 6722 en 1991, 7215 en 1993, 7562 en 1995 et 8926 en 1996233.

Les condamnations sont-elles sévères ? Il semble que le juge pénal souhaite

davantage effrayer que punir, comme le montrent les statistiques suivantes234 :

1990 1991 1992

Ensemble des

condamnations en droit

social

13337 13342 12743

Emprisonnement,

(Sursis total)

14.4%

(12%)

16.15%

(13.55%)

18.63%

(15.88%)

Amendes,

(Fermes)

81.6%

(74.66%)

79.53%

(72.19%)

76.49%

(69.56%)

Montant moyen de

l’amende ferme en francs 5212 f. 5553 f. 5384 f.

Le juge pénal prononce très rarement des peines d’emprisonnement fermes. Les

peines d’amende sont fréquentes et fermes, mais les sommes exigées sont relativement

faibles. Il faut cependant remarquer que la proportion de peines d’emprisonnement s’accroît,

au détriment semble-t-il des peines d’amende. La sévérité pourrait augmenter dans ce secteur

du droit pénal.

Après une étude de l’effectivité des textes par type d’infraction, il convient

d’étudier de façon plus globale cette effectivité des textes d’infraction dans le domaine

économique et financier.

231 E. Serverin, préc., p. 655. 232 Annuaire statistique de la justice, éd. 1994, p. 147. 233 Annuaire statistique de la justice, éd. 1994, p. 147 et éd. 1998, p. 151. 234 Extraits des tableaux 3 et 4 de l’étude de Mme Serverin, préc.

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b - Ineffectivité des infractions dans le domaine économique et financier.

137. Les statistiques plus globales permettent de penser que ces textes du

domaine économique et financier pâtissent d’une certaine ineffectivité (α), que nous tenterons

d’expliquer (β).

α - Les indications statistiques.

138. L’ineffectivité est un phénomène qui touche l’ensemble du droit pénal :

les criminologues distinguent la criminalité réelle, le nombre de crimes commis, de la

criminalité apparente, le nombre de crimes portés à la connaissance de la police, et de la

criminalité légale, le nombre de crimes effectivement sanctionnés par les tribunaux235. Or la

seule criminalité apparente est estimée classiquement comme étant quatre fois plus importante

que la criminalité légale236 ; ce qui est, en soi, un chiffre fort hasardeux puisque le taux de

répression des infractions varie en fonction du type d’infraction, du type de victime, de la

sensibilité de l’opinion publique face à telle infraction (car la police fait partie de cette

opinion), etc.237. Ce chiffre est d’autant plus hasardeux que les infractions que nous étudions

ici font partie de celles susceptibles d’être commises par des « criminels en col blanc »,

bénéficiant d’une impunité plus grande, quoique inévaluable238.

Si on observe les statistiques issues du Casier judiciaire239, on peut supposer

que l’ineffectivité est plus grande encore en matière économique et financière : malgré

l’existence d’un très grand nombre d’incriminations en droit du travail, des sociétés, en

matière de fraudes et contrefaçons, de concurrence ou de prix, le nombre de condamnations en

justice parait très faible, surtout si l’on compare ce nombre aux condamnations pour des

infractions plus classiques. Par exemple, en 1992, le nombre de condamnations pour

infraction à la législation économique et financière s’élevait à 18642, soit à peine plus que les

condamnations pour les seules infractions d’abus de confiance et d’escroqueries (17321

condamnations). Le chiffre était plus élevé les années précédentes en raison de la prise en

charge par le juge pénal de l’ensemble du contentieux en matière de chèques sans provision.

Mais si l’on retranche ces condamnations, le nombre obtenu est alors comparable240. Un

tableau présentera ces chiffres de façon plus claire.

235 R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 12 et s. 236 J. Carbonnier, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, in Flexible droit, LGDJ 1992, p. 130. 237 J.-P. Delmas-Saint-Hilaire, cours de criminologie, Licence de droit / Certificat de sciences criminelles, Bordeaux, 1990-1991. 238 B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 383. 239 Annuaire statistique de la justice éd. 1994 et 1998. 240 Annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 111 et éd. 1998, p. 115.

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1987 1988

(amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995

(amnistie) 1996

Infractions économiques

et financières 63579 31116 42215 52427 37769 18642 19542 19500 15542 18448

Idem, hors contentieux en

matière de chèques sans

provision

(chèques)

15299

(48280)

13126

(17990)

16431

(25784)

17419

(35008)

17574

(20195)

18548

(94)

19525

(19)

19500

(0)

15542

(0)

18448

(0)

Escroqueries, abus de

confiance 17605 9259 14570 16373 16415 17321 17771 14358 8150 11104

Les chiffres sont inférieurs en 1988 en raison de l’intervention de l’amnistie

présidentielle. Cependant, les infractions classiques voient leur répression davantage perturbée

par l’amnistie présidentielle en 1988, amnistie qui a, semble-t-il, moins d’incidence sur les

infractions économiques et financières.

Il convient de remarquer cependant une progression constante, régulière et très

importante du nombre de condamnations en matière économique et financière241 (abstraction

faite de l’ensemble du contentieux en matière de chèque), progression qui ne peut être

remarquée pour des infractions plus familières ; le tableau suivant, où les chiffres ont été

calculés sur une base de cent infractions en 1987, en fait la démonstration, grâce à quelques

exemples comparatifs.

1987 1988

(amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995

(amnistie) 1996

Infractions économiques

et financières,

hors l’ensemble du

contentieux des chèques

110000 110033,,44 112255,,33 112277,,44 112299,,99 113355,,88 114444,,99 115511,,55 112299,,22 114488,,88

Vols, recels 100 51,3 82,3 87,7 87,6 92,2 87,6 71,7 49,5 73

Escroqueries, abus de

confiance 100 52,6 82,8 93 93,2 98,4 100,9 81,6 46,2 63

Infractions sur les

stupéfiants 100 84,5 97,4 101,4 97,2 108,5 111,8 102,2 102,6 117,2

Blessures involontaires 100 91,5 93,3 84,7 82,5 81,7 72,6 66,8 62,9 57,7

Malgré cette progression constante, il demeure que sur l’ensemble des

condamnations pour délit, les infractions en matière économique et financière242 ne

241 Pour un constat identique, voir J.-F. Barbiéri, Morale et droit des sociétés, Petites affiches 1995, n° 68, p. 13. 242 Hors contentieux des chèques sans provision.

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représentent que 3 à 4 % des condamnations, alors que, par exemple, les atteintes aux biens en

représentent 30 à 40 %, les atteintes aux personnes, environ 13 % et les seules infractions à la

circulation et aux transports, entre 20 et 30 % selon les années.

Il convient de tenter une explication de l’ineffectivité particulière des

incriminations en matière économique et financière, mais aussi de l’accroissement régulier de

la répression.

β – Tentatives d’explications.

139. Comment peut-on expliquer que ces textes soient moins appliqués que

les incriminations classiques ? La profusion de textes est souvent mise en avant243. La

compétence rationne materiae du juge pénal souffre d’imprécision, en particulier quant à son

critère. S’il est possible de présumer de la compétence des juridictions commerciales qui

s’occuperont, pour ce qui nous concerne, des contrats commerciaux (sous réserve –

seulement ! - de la définition de la commercialité retenue) ou des juridictions prud’homales

qui traiteront des contrats de travail, il est déjà moins aisé de définir le domaine porté à la

connaissance des juridictions civiles, qui, approximativement, s’occuperont des affaires

personnelles, mobilières et immobilières. Comment alors définir la compétence du juge pénal

? Si l’on en croit l’article 111-1 du Code pénal les affaires les plus « graves » lui sont

réservées. Cette disposition consacre, certes, la traditionnelle division tripartite entre les

infractions ; cependant cette classification ne se fait plus en fonction de la peine encourue,

mais en fonction de la gravité de l’infraction : « Les infractions pénales sont classées, suivant

leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». Ce critère, pourtant, n’est guère précis, pas

plus que la notion de « matière pénale »244 utilisée dans l’article 6 de la Convention

européenne des droits de l’homme.

De nombreux discours soutiennent que le droit pénal n’a nullement sa place en

matière économique245, ce qui justifierait une ineffectivité de ces textes246. Mais ils sont

contredits par les chiffres puisque, peu à peu, le contentieux économique et financier prend sa

place. Le nombre de condamnation est en constante augmentation et l’accroissement le plus

remarquable est le fait des incriminations sur la concurrence, les prix et sur les sociétés247.

1989 1990 1991 1992 1993

Concurrence, prix 100 107,2 114,3 117,5 142,8

Sociétés 100 108,2 116 118,5 116,5

243 Voir supra n° 15 et les références citées. 244 Sur cette notion, M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 317 et s. Voir infra n° 402 et s. 245 Voir supra n° 18 et 20, les références citées. 246 A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 266. 247 Calculs effectués à partir des données des Annuaires statistique de la justice éd. 1994 et éd. 1998.

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Le filtre des autorités chargées de constater les infractions et de les réprimer

administrativement joue aussi un rôle important dans les statistiques puisque le nombre

d’infractions parvenant au juge pénal est nécessairement plus faible. Le Conseil des

opérations de bourse, Le Conseil de la concurrence, l’Inspection du travail, … mènent des

procédures que nous croiserons à nouveau dans nos développements248. Ces autorités

permettent d’assurer l’effectivité de textes que les juridictions classiques, compte tenu de leurs

faibles moyens ne peuvent prendre correctement en charge249.

140. Il semble que l’origine de l’ineffectivité relative réside en partie dans

l’attitude des victimes. Serait-ce « la propension au compromis, l’indulgence et même la

recherche du moindre effort »250 ? Appliquer cette appréciation de M. Carbonnier au

contentieux économique et financier qui nous occupe, est peut-être sévère pour un certain

nombre d’infractions qui sont perpétrées à l’encontre de personnes économiquement plus

faibles que le coupable. Certes, les phénomènes classiques de tolérance du dommage par les

victimes jouent pour ce type d’infractions, mais sans que l’on puisse parler de recherche du

moindre effort : outre les frais et le temps que nécessitent une procédure, un salarié craindra

de perdre son emploi ; un associé hésitera à se plaindre de son coassocié au risque que les

scandales n’éclaboussent ses affaires ; un consommateur s’accommodera du dommage subi à

raison, par exemple, d’une boite de conserve avariée, même si celle-ci pouvait être le

révélateur d’une fraude importante251. La criminalité réelle est sans doute beaucoup plus

importante que la criminalité légale ou apparente, même si l’existence de groupements de ces

personnes peut corriger en partie cet état de faiblesse, grâce aux droits d’agir en justice qui

leur sont reconnus peu à peu252. Les victimes ne portent pas plainte en nombre suffisant et il

arrive même parfois qu’elles ne puissent avoir conscience d’être victime : M. Bouloc cite

l’exemple du vendeur d’actions qui cède ces titres à un prix lui semblant intéressant, à une

personne « initiée » qui possède des informations qu’il n’a pas253. On peut aussi évoquer la

situation d’un associé qui ne peut connaître les malversations commises par les dirigeants.

Cette inconscience de l’état de victime peut aussi venir de la méconnaissance de la

réglementation pénale : la personne se sentant vaguement victime d’un événement qui lui

semble injuste, ne saura pas toujours si elle doit s’adresser au juge pénal.

248 Voir infra n° 427 et s., 514 et s. 249 J.-F. Barbiéri, Morale et droit des sociétés, Petites affiches 1995, n° 68, p. 13, n° 33 et s. 250 J. Carbonnier, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, in Flexible droit, LGDJ 1998, 9ème éd., p. 131. 251 J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 429. 252 Sur les associations de consommateur, J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, préc., n° 491. Sur les syndicats, G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis, 1998, 19ème éd., n° 568 et s. 253 B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 384.

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Les pouvoirs de la juridiction pénale sont croissants et l’inexécution de la

convention est, de plus en plus, amenée à connaître une sanction pénale. Le juge répressif

participe ainsi aux grandes évolutions du droit des conventions, telles que le « forçage » du

contrat, l’évolution des rapports de pouvoir ou la recherche d’équilibre entre les contractants.

Les contractants prennent peu à peu conscience de leurs obligations et, par crainte des

représailles judiciaires, élaborent des conventions pour le corps professionnel auquel ils

appartiennent. La juridiction pénale peut-elle participer à la sanction d’une inexécution de ce

type de convention ?