chapitre 1. introduction. la gouvernance mondiale : une id

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Chapitre 1. Introduction. La gouvernance mondiale : une id´ ee neuve pour une n´ ecessit´ e ancienne ´ Elisabeth Tovar 6 f´ evrier 2009 Manuels et r´ ef´ erences sp´ ecifiques ` a ce chapitre * Adda, Jacques (2001) “ ´ Economie mondiale : les multiples facettes du pouvoir”, in Alternatives ´ Economiques, Qui gouverne l’´ economie mondiale ?, Hors S´ erie n˚47, pp. 12-16 Andr´ eani, G. (2001) “Gouvernance globale : les origines d’une id´ ee”, in Politique ´ Etrang` ere, n˚2001/3, pp. 549-568 Coussy, J. (2002) “Biens publics mondiaux : th´ eorie scientifique, r´ ealit´ emergente et instruments rh´ etoriques”, in Constantini (dir) Les Biens publics mondiaux. Un mythe l´ egitimateur pour l’action collective ? Chapitre 3, pp. 67-99. Hugon, P. (2002) “Quelles actions collectives dans la mondialisation?”, in Kaul, I., Grunberg, I. et Stern, M.-A.(dirs.), Les biens publics mondiaux. La coop´ eration au XXI e si` ecle, Paris, Economica, pp.101-116 Kaul, I., Grunberg, I. et Stern, M.-A.(dirs.) (2002) Les biens publics mondiaux. La coop´ eration au XXI e si` ecle, Paris, Economica, 272 p. Laffont, J.-J.(1988) Fondements de l’´ economie publique. Vol 1. Cours de th´ eorie micro´ economique, Paris, Economica, 281 p. * Moreau-Defarges, P. (2001) Mondialisation et gouvernance, in Cahiers Fran¸ cais, n˚305 (Mondia- lisation et in´ egalit´ es), pp. 74-78 Moreau-Defarges, P. (2008) La Gouvernance, Paris, PUF, coll. Que Sais-je ?, 127 p. Stray, J. (2001) “Le syst` eme mondial de Susan Strange”, in Probl` emes ´ Economiques, n˚2724, pp. 19-24 * Siro¨ en, J.-M. (2006) “Vers une gouvernance ´ economique mondiale ?” in Cahiers Fran¸ cais, n˚335 (Les politiques ´ Economiques), pp. 50-54 * Tooze, Roger (2001) “Les quatre ´ ecoles de la gouvernance mondiale”, in Alternatives ´ Economiques, Qui gouverne l’´ economie mondiale ?, Hors S´ erie n˚47, pp. 22-25 1

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Page 1: Chapitre 1. Introduction. La gouvernance mondiale : une id

Chapitre 1. Introduction. La gouvernance mondiale : une idee neuve

pour une necessite ancienne

Elisabeth Tovar

6 fevrier 2009

Manuels et references specifiques a ce chapitre

* Adda, Jacques (2001) “Economie mondiale : les multiples facettes du pouvoir”, in AlternativesEconomiques, Qui gouverne l’economie mondiale ?, Hors Serie n 47, pp. 12-16

Andreani, G. (2001)“Gouvernance globale : les origines d’une idee”, in Politique Etrangere, n 2001/3,pp. 549-568

Coussy, J. (2002) “Biens publics mondiaux : theorie scientifique, realite emergente et instrumentsrhetoriques”, in Constantini (dir) Les Biens publics mondiaux. Un mythe legitimateur pour l’actioncollective ? Chapitre 3, pp. 67-99.

Hugon, P. (2002) “Quelles actions collectives dans la mondialisation ?”, in Kaul, I., Grunberg, I. etStern, M.-A.(dirs.), Les biens publics mondiaux. La cooperation au XXIe siecle, Paris, Economica,pp.101-116

Kaul, I., Grunberg, I. et Stern, M.-A.(dirs.) (2002) Les biens publics mondiaux. La cooperation auXXIe siecle, Paris, Economica, 272 p.

Laffont, J.-J.(1988) Fondements de l’economie publique. Vol 1. Cours de theorie microeconomique,Paris, Economica, 281 p.

* Moreau-Defarges, P. (2001) Mondialisation et gouvernance, in Cahiers Francais, n 305 (Mondia-lisation et inegalites), pp. 74-78

Moreau-Defarges, P. (2008) La Gouvernance, Paris, PUF, coll. Que Sais-je ?, 127 p.

Stray, J. (2001) “Le systeme mondial de Susan Strange”, in Problemes Economiques, n 2724, pp.19-24

* Siroen, J.-M. (2006) “Vers une gouvernance economique mondiale ?” in Cahiers Francais, n 335(Les politiques Economiques), pp. 50-54

* Tooze, Roger (2001) “Les quatre ecoles de la gouvernance mondiale”, in Alternatives Economiques,Qui gouverne l’economie mondiale ?, Hors Serie n 47, pp. 22-25

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1 La notion de gouvernance mondiale : definition

1.1 Il n’y a pas de visage de la gouvernance mondiale

Depuis la fin de la guerre froide il y a 15 ans, le monde a vecu une phase d’intensification de lamondialisation : mondialisation economique, mondialisation financiere, mondialisation culturelle. Lecadre dans lequel s’effectuent les echanges economiques, les metissages culturels, les transactionsfinancieres n’est plus, comme jusqu’aux deux tiers du XXeme siecle, l’Etat, mais la planete toutentiere. Il y a une dichotomie entre la realite des processus sociaux et l’echelle a laquelle on tente deles controler par l’action publique.

Parce qu’il n’existe pas d’Etat mondial, il n’y a pas de visage a mettre sur la“gouvernance mondiale”.

Le pouvoir de Ban Ki-moon, le Secretaire General de l’Organisation des Nations Unies, est faible :il n’exerce vraiment qu’une sorte de magistere moral.

Si Dominique Strauss-Khan, le President actuel du Fonds Monetaire International, possede uneinfluence indeniable sur les economies des pays en developpement, son domaine de competencesreste limite. De meme, les presidents de la banque centrale americaine (Paul Bernanke) et europeenne(Jean-Claude Trichet) ont une tres grande influence sur le commerce international, on ne peut pasnon plus dire qu’ils gouvernent le monde. Les responsables politiques les plus puissants de la planete(Barack Obama, Hu Jintao. . .) ont un poids determinant sur la securite mondiale, sur la guerre (ycompris commerciale) et sur la paix ; pourtant, ne serait-ce que parce qu’ils sont en concurrence lesuns avec les autres, ils ne gouvernent pas le monde. Peut-on dire alors que les firmes multinationales,par exemple celle de Bill Gates, gouverne la planete ? En materialisant la competition des espacesgeographiques, elles incarnent la mondialisation, mais elles ne servent pas de regulateur mondial.Pas plus que le cartel de pays le plus puissant de tous, l’OPEP, capable d’imposer un baril de petrolea 130 dollars, ne regule l’ensemble des processus economiques et sociaux du monde.

1.2 Definition de la notion de gouvernance

La notion de gouvernance mondiale a ete creee pour englober l’ensemble des acteurs, des organisa-tions et des mecanismes qui participent a la regulation des processus sociaux qui se produisent al’echelle supra-nationale. Parce que cela renvoie a une realite proteiforme,elle est difficile a cerner eta definir. Ci-dessous, voici deux definitions qui peuvent convenir :

Definition de la notion de “gouvernance”

“La gouvernance designe la somme des differentes facon dont les individus et les institutions, publicset prives, gerent leurs affaires communes. C’est un processus continu de cooperation et d’accommo-

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dement entre interets divers et conflictuels. Elle inclut des institutions officielles et les regimes dotesde pouvoirs executoires tout aussi bien que les arrangements informels sur lesquels les peuples et lesinstitutions sont tombes d’accord ou qu’ils percoivent etre de leur interet” (Definition proposee parla Commission sur la Gouvernance Globale presidee par Willt Brandt, 1995).

Definition de la “gouvernance mondiale”

“La gouvernance mondiale touche a tous les processus par lesquels des regles collectives internatio-nales sont elaborees, decidees, legitimees, mises en oeuvre et controlees. Le champ d’etude ainsidefini est vaste. Mais il a l’avantage d’obliger a s’interroger sur tous les acteurs susceptibles d’in-fluencer ces differentes etapes et a ne pas se contenter d’analyser le role des Etats et des institutionseconomiques internationales, comme le FMI ou l’OMC”. (Definition proposee dans le numero speciald’Alternatives Economiques, 2001).

1.3 Plan suivi dans le cours

Dans ce cours, on va etudier plusieurs aspects de la gouvernance mondiale, en insistant sur les aspectsde la gouvernance mondiale economique.

Dans le reste de l’introduction, (1) je vais presenter les elements qui expliquent la necessite del’existence d’une regulation (notamment economique) a l’echelle supra-nationale. Ensuite, je (2)reviendrai brievement sur les formes passees qu’a pu prendre la gouvernance “mondiale” et (3)j’expliquerai pourquoi la notion de “gouvernance mondiale” a tant de succes aujourd’hui.

La suite du cours est organisee de la facon suivante.Dans une premiere grande partie, qui occuperala plus grande partie du cours, j’etudierai les trois grands elements de la regulation economiquemondiale : regulation monetaire avec l’etude du Systeme Monetaire International (chapitre 2), regu-lation des echanges commerciaux (chapitre 3), regulation du developpement et de la lutte contre lapauvrete (chapitre 4). Ensuite, dans une deuxieme grande partie, je traiterai des defis actuels de lagouvernance mondiale, au travers de trois autres chapitres : les nouveaux acteurs de la gouvernancemondiale et la montee des contestations (chapitre 5), la gouvernance mondiale face a la crise actuelle(chapitre 6) et enfin s’il nous reste du temps, la gouvernance mondiale de l’environnement (chapitre7).

2 Pourquoi a-t-on besoin de regulation a l’echelle mondiale ?

Independamment de la mondialisation, des mecanismes de regulation sont necessaires au niveaumondial, d’abord parce qu’il est parfois necessaire de deminer les relations entre Etats, et ensuiteparce que quelque chose doit remplir certaines des fonctions economiques traditionnelles de l’Etat al’echelon mondial.

2.1 Le necessaire deminage des relations entre Etats

Depuis le traite de Westphalie en 1648 (qui conclut la Guerre de Trente ans et scelle l’apaisemententre puissances catholiques et protestantes en Europe), l’Etat-Nation est reconnu comme la seuleunite politique souveraine. Cela signifie que, sur un territoire donne, il peut dire la loi et reguler tousles aspects de l’activite humaine : sociale, economique, culturelle, en exercant ce que Max Weberappelle “le monopole de l a violence legitime”.

Si tous les Etats sont souverains sur leur territoire, des regles sont necessaires lorsqu’ils entrent enrelation. Le necessaire “deminage” des relations inter-etatiques s’effectue a deux niveaux.

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2.1.1 La regulation de la paix et de la guerre et le maintien de la securite collective :zoom sur l’ONU

Dans le systeme de gouvernance actuel, c’est le role de l’Organisation des Nations Unies, fondee en1945, au lendemain de la deuxieme Guerre Mondiale.

L’ONU combine a la fois un conseil des Etats les plus puissants (le conseil de Securite, ou siegentcomme membres permanents avec droit de veto les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la Chineet la France 1) et un parlement de l’ensemble des Etats-Nations (l’Assemble generale, ou chaque paysdispose d’une voix). Elle est representee par son Secretaire General (aujourd’hui le Sud-Coreen BanKi-moon).

L’ONU n’a pas le pouvoir de contraindre des Etats souverains a renoncer a la guerre ou a suivreses recommandations, comme en temoignent les nombreux conflits qui se sont deroules depuis safondation : guerre entre l’Ethiopie et l’Erythree, entre les USA et le Nord-Vietnam, entre l’Inde et lePakistan, entre Israel et les pays limitrophes, invasion de Chypre par la Grece (1974), guerres entrel’Iran et l’Irak, conflit entre l’Equateur et le Perou. . ..

De plus, la representativite des membres permanents du Conseil de Securite, anterieure a la decolo-nisation car heritee de la Seconde Guerre Mondiale, est tres contestable. Le fait qu’ils disposent d’undroit de veto leur permet de bloquer toute intervention de l’ONU dans des conflits qu’ils considerentcomme leur “domaine reserve”.

En revanche, l’ONU peut fournir, sous trois conditions, des forces d’interposition :– le consentement des parties au conflit a l’intervention ;– l’impartialite des casques bleus face aux forces en presence ;– la limitation de l’usage de la force par les Casques bleus a des fins de legitime defense uniquement

(doctrine revue apres les massacres commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda alors que des Casquesbleus etaient presents).

Elle permet egalement de limiter les consequences des conflits sur les populations civiles, via le HautCommissariat des Nations unies pour les refugies (1951).

La Cour de Justice Internationale de La Haye (1946) a pour fonction “de regler conformement audroit international les differends [entre Etats] qui lui sont soumis”(art. 38 de son statut). Ses decisionssont obligatoires. En cas de non-execution par l’une des parties, le Conseil de securite peut etre saisipar l’autre partie. La saisine de la Cour de La Haye n’est pas automatique : les Etats en causedoivent accepter son arbitrage.

1. Les autres membres actuels sont l’Autriche, le Burkina Faso, le Costa Rica, la Croatie, la Jamahiriya arabelibyenne, le Japon, le Mexique, la Turquie, l’Ouganda et le Viet Nam.

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Figure 1 – Les conflits internationaux, guerres civiles et troubles interieurs qui ont bouleverse le monde dansles annees 1990 (source : site du Monde Diplomatique)

Figure 2 – La presence de l’ONU dans les pays en conflit en 2000 (source : site du Monde Diplomatique)

Surtout, l’ONU exerce un magistere moral et fournit un cadre de dialogue et de negociation pourtrouver des issues aux conflits et d’eviter leur extension a d’autres Etats voisins.

Au total, la gouvernance mondiale de la securite collective est le produit de la combinaison de la loides Etats les plus puissants, les membres du Conseil de Securite voyant leur autorite contestee pardes puissances regionales montantes) et d’une democratie des Etats dont les decisions sont incarneespar l’ONU.

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2.1.2 L’encadrement des echanges economiques inter-nationaux

La deuxieme fonction de la regulation internationale est d’encadrer les echanges economiques entreEtats. Cet aspect sera plus longuement developpe dans le reste du cours. Pour que les Etats puissentcommercer, il faut qu’un certain cadre juridique commun existe : systeme garantissant la conversionde leurs monnaies respectives, systeme validant au niveau international le respect des droits depropriete et des brevets deposes au sein de chaque pays. . . Alors que la mondialisation economiquesuppose une concurrence economique grandissante entre les pays, il faut aussi trouver des regles etun organe d’arbitrage pour dire ce qui est acceptable en matiere de droit du travail et de protectioncommerciale et pour eviter toute forme de concurrence “deloyale” entre Etats.

Au total, une des fonctions de la gouvernance mondiale est de fournir des regles, des lieux de discus-sion, des institutions d’arbitrage permettant de reguler les relations entre Etats. Au-dela de ce roleinter-etatique, on assigne egalement a la gouvernance mondiale des fonctions qui sont traditionnel-lement devolues aux Etats-Nation eux-memes.

2.2 Fonctions economiques traditionnelles de l’Etat et necessite d’un“regulateurmondial”

Depuis Musgrave (1959), on reconnaıt trois motifs d’intervention de l’Etat dans l’economie : (1)allocation des ressources en presence de biens publics, (2) redistribution de la richesse et (3)stabilisation de l’activite economique (3). Toutes ces fonctions sont traditionnellement exerceespar les Etats sur le systeme socio-economique qui existe a l’interieur de leurs frontieres, mais ellesdoivent egalement etre exercees a l’echelle supra-nationale.

2.2.1 Allocation des ressources en presence de biens publics

a) La notion de bien public En premier lieu, l’intervention d’un regulateur mondial est neces-saire en presence de biens publics mondiaux et d’externalites. On parle de bien public lorsqu’unbien possede une caracteristique de non rivalite et/ou de non excludabilite.

La non rivalite signifie que l’utilisation d’un bien par un agent ne limite pas son utilisation parun autre agent. Par exemple, le fait qu’un etudiant suive le cours d’amphi n’empeche pas un autreetudiant de le suivre en meme temps. Un autre exemple est la defense nationale, ou la lumiere fourniepar un phare.

La non exclusion signifie qu’il n’est pas possible d’exclure des agents economiques de l’utilisation dubien. Cela n’est plus le cas pour le cours d’economie, mais cela reste vrai pour la defense nationaleou la lumiere du phare.

Si un bien est a la fois non rival et non excludable, on parle de bien public pur. S’il ne possede qu’uneseule de ces deux caracteristiques, il est un bien public imparfait. S’il n’en possede aucune, il s’agitd’un bien prive.`````````````Excludabilite

RivaliteOui Non

Oui bien public pur bien de club, reseauNon bien commun bien prive

Table 1 – Biens prives et biens publics : une typologie

Les biens publics mondiaux possedent les memes attributs de non rivalite et/ou de non excludabiliteque les biens publics nationaux. On peut leur ajouter trois caracteristiques supplementaires (cf. Kaul

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et al, 2002) :

1. Ils ne concernent pas seulement un pays ou un groupe localise de pays

2. Ils ne concernent pas seulement un groupe socio-economique

3. Ils ne concernent pas seulement la generation actuelle

La liste (non exhaustive) des biens publics mondiaux est la suivante (Hugon, 2002) :– biens publics purs : paix et securite collective, resultats de la recherche fondamentale, couche

d’ozone, climat, eradication des epidemies, ressources genetiques, diversite culturelle et linguis-tique, patrimoine de l’humanite

– biens de club : internet, brevets– biens communs : ressources halieutiques, biodiversiteLe marche ne peut, seul, produire des biens publics : on parle de defaillance du marche. En effet,en l’absence de toute reglementation, il n’est pas rationnel pour un agent economique de financer laproduction des biens publics, ni meme de cooperer pour se mettre d’accord pour produire les bienspublics. Deux mecanismes sont a l’oeuvre.

b) La necessite de l’intervention publique en presence de biens publics blanc

Le probleme du passager clandestin

Ce probleme a d’abord ete evoque par David Hume (1739, Traite de la nature humaine) et developpepar Hardin (1968) dans son ouvrage The Tragedy of the Commons, dans lequel il montre que lesbergers qui partagent un paturage collectif ont rationnellement interet a accroıtre sans cesse leurtroupeau, alors que cela entraıne le surpaturage et la degradation des sols. En presence d’un bienpublic dont ils profiteront de toute facon de l’existence, les agents economiques n’ont pas interet aparticiper a son financement.

Bien plus, Olson (1971) montre que les agents meme altruistes n’ont pas interet a reveler leurdisponibilite a payer pour le bien collectif, car ils risquent d’etre charges par les autres d’assurer latotalite du financement.

Au total, le signal qui parvient aux fournisseurs potentiels du bien public est qu’il y a pas de de-mande pour le bien, de sorte que celui-ci n’est jamais produit en quantite suffisante, ce qui nuit al’ensemble de la collectivite.

Figure 3 – Sous-production en presence d’un bien public : illustration graphique

Le probleme du dilemme du prisonnier

Meme si les agents tentent de se coordonner pour produire le bien public, ils risquent d’echouer par

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manque d’information. C’est ce qu’illustre le celebre dilemme du prisonnier 2 (Dresher et Merill, 1950pour le concept et Tucker, 1950 pour l’histoire des deux prisonniers), ou deux suspects sont arretespar la police. Nous sommes aux Etats-Unis, ou il est possible de negocier la peine encourue pourfaire avouer les suspects. Comme la police n’a pas assez de preuves pour les inculper, elle decide deles interroger separement et de leur faire la meme offre (voir tableau 2).

“Si tu refuses de denoncer ton complice mais que lui te charge, il beneficiera d’un arrangement avecle procureur ; tu ecoperas de 5 ans de prison et ton complice sera libre. Si tu denonces alors qu’ilse tait, c’est toi qui sortiras libre alors qu’il ecopera de 5 ans de prison. Si vous vous denoncezmutuellement, vous aurez chacun 3 ans de prison. Si vous vous taisez tous les deux, vous aurez 1 ande prison chacun.”

ASe tait Denonce

B

Se tait (1,1) (0,5)Denonce (5,0) (3,3)

Table 2 – Le dilemme du prisonnier

Independamment de la strategie de son complice, chacun des deux suspects a toujours interet adenoncer l’autre : pour A, si B decide de se taire, il est plus interessant de le denoncer et ainsi sortirlibre au lieu d’ecoper d’un an de prison. Si B decide de le denoncer, il est plus interessant de ledenoncer de son cote et de faire 3 ans de prison au lieu de 5. Puisque le raisonnement est identiquepour B, dans ces conditions les deux suspects (s’ils sont rationnels) vont se denoncer mutuellementet ecoper de 3 ans de prison alors que s’ils avaient pu communiquer et cooperer, ils n’auraient faitqu’un an.

Le dilemme du prisonnier illustre les difficultes rencontrees par les agents rationnels pour cooperer,alors meme que s’ils etaient capables de cooperation leur bien-etre a tous en serait ameliore.

Dans le contexte national, l’existence de defaillances des marches les problemes de l’action collectivedecentralisee justifie l’intervention de l’Etat, qui decide du bien public et est capable d’inciter lesagents economiques a adopter des comportements optimaux (via la reglementation ou la fiscalite)ou de le faire a leur place (recherche publique, entreprises publiques).

Or il n’existe pas au niveau mondial d’autorite disposant du “monopole de la violence legitime” alorsmeme qu’il existe des biens publics dont l’echelle n’est plus nationale mais mondiale.

Une des fonctions de la gouvernance mondiale est de remedier a la defaillance des marches et depermettre la production des biens publics mondiaux. Dans ce cours, on examinera au chapitre 7 lesenjeux de la gouvernance mondiale d’un bien public mondial pur : l’environnement.

2.2.2 Redistribution des ressources

Une deuxieme fonction de l’Etat est de permettre la redistribution des ressources : pour des raisonsd’ethique politique et sociale (ou simplement pour garantir un minimum de paix sociale), la collec-tivite peut decider de mettre en place un systeme de prelevements (l’impot) et de transferts pour serapprocher d’une distribution des revenus qui paraıt plus souhaitable.

Apres la deuxieme Guerre Mondiale, la plupart des pays developpes ont mis en place des systemesd’Etat-Providence afin :– d’assurer les individus contre les aleas de la vie (maladie, vieillesse, grossesse, accidents)

2. Pour plus d’informations sur le dilemme du prisonnier et tous les jeux qui en derivent, voir le Repere de NicolasEber.

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– de garantir un niveau de vie minimum a l’ensemble de la population (construction de logementssociaux, allocations chomage, puis RMI. . .)

Les graphiques ci-dessous presentent des elements chiffres donnant une idee de l’ampleur des trans-ferts redistributifs a l’oeuvre dans les pays europeens (source : comparatif social europeen, http ://-www.eurocompar.eu/).

Le resultat le plus marquant de cette politique est la reduction des inegalites internes aux pays (cf.figure ??).

Figure 4 – Evolution des differentes formes d’inegalite (source : site de l’observatoire des inegalites)

Par comparaison, au niveau mondial, non seulement les inegalites entre pays sont tres importantesmais elles augmentent notablement. Une des fonctions de la gouvernance mondiale peut donc etrede contribuer a la reduction de ces inegalites. De fait, c’est cette fonction que remplissent (avec plusou moins de succes, comme on le verra dans le chapitre 4) les aides au developpement.

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Figure 5 – PIB par habitant en 2005 (source : Banque Mondiale)

Figure 6 – Les inegalites de revenu dans le monde en 1998 (source : site du Monde Diplomatique)

2.2.3 Stabilisation de l’activite economique

La troisieme fonction de l’intervention de l’Etat dans l’economie est de limiter les variations conjonc-turelles du rythme de la croissance. Concretement cela signifie que, lorsqu’il en a les moyens, l’Etatdoit “lisser” les fluctuations economiques. Dans les phases de ralentissement conjoncturel, il doitsoutenir la croissance, afin de lutter contre le chomage dont on sait qu’il peut avoir des effets pe-rennes (effets d’hysteresis). Dans les phases de surchauffe, il doit ralentir la croissance pour eviterle developpement de l’inflation. Les deux armes de stabilisation dont dispose l’Etat sont la politiquebudgetaire et la politique monetaire.

Theorie des cycles economiques On distingue differents types de cycles.

1. les tendances seculaires ou trends d’une periode d’un siecle par reference aux travaux de F.Braudel

2. les mouvements de longue duree de type Kondratiev de l’ordre de 25 a 45 ans ; ils correspondentaux grands cycles technologiques des “revolutions industrielles”

3. les cycles classiques ou cycles courts de type Juglar qui durent 6 a 10 ans et comportent 4

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Figure 7 – L’Indice de Developpement Humain en 1998 (source : site du Monde Diplomatique)

Figure 8 – Aide publique au developpement (source : OCDE)

phases : expansion, crise, depression, reprise

4. le cycle Kitchin qui dure 40 mois et qui seraient principalement liees aux variations de stock lapart des entreprises. Ainsi, en periode de croissance, les entreprises ont une double preoccupa-tion : offrir sur le marche une production correspondante au niveau de la demande et constituerdes stocks de securite pour parer a toute penurie. En periode de recession, celles-ci reduisentnon seulement leur production, mais procedent egalement au destockage, ce qui accentue leralentissement de l’activite

5. les mouvements saisonniers comme la production agricole

Les graphiques presentes dans les figures ?? et ?? presentent les cycles de Kondratiev et les cyclesde Juglar (PIB etats-unien).

Cycles de Kondratiev– L’apparition des engins a vapeur– Les trains et rails– Electricite et l’apparition des voitures– Invention des avions et commencement des appareils electroniques– Les nouvelles technologies telles que l’Internet, le numeriqueSelon Kondratiev, la phase ascendante (phase A) s’accompagne progressivement d’un exces d’inves-tissement (realise par les entreprises pour faire face a la concurrence), ce qui provoque une hausse des

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prix (les industriels repercutent leurs couts de production sur les produits) et des taux d’interet (quiaugmentent face a la forte demande de monnaie). Il s’ensuit donc un declin de l’activite economique(phase B) durant laquelle les prix baissent (car il y a exces d’offre parallelement a une baisse de lademande) ainsi que les taux d’interets (la baisse de la consommation et des investissements entraıneune baisse de la demande de monnaie), ce qui permet une purge du systeme et prepare le terrainpour une nouvelle phase de croissance.

Peu satisfait par cette explication, Joseph Schumpeter propose une autre theorie pour expliquerl’alternance des phases A et B. Il relie les fluctuations de l’economie a l’apparition d’innovationsmajeures (qui surviennent par « grappes ») donc au progres technique. Ainsi, selon lui, la phaseA correspond a la periode de diffusion et d’amortissement des nouvelles innovations. Durant cetteperiode, la demande de biens est forte, ce qui permet une augmentation generale de la productionet assure donc la croissance economique. Peu a peu, lorsque les agents economiques sont equipes ennouveaux produits, la demande baisse, alors que la concurrence entre les entreprises est de plus enplus rude. On parvient alors au point de retournement du cycle. La phase B correspond a l’eliminationdes stocks, a la fermeture des entreprises et des filieres les moins rentables (ce que Schumpeter appellele phenomene de « destruction creatrice ») et a la preparation d’une nouvelle vague d’innovations.

Critique a l’encontre des cycles de Kondratieff :

Les cycles ne permettent pas en effet d’expliquer toutes les grandes crises.

D’autre part, comme indique precedemment, les fluctuations de l’economie sont parfois la conse-quence de causes exogenes : les guerres, epidemies, catastrophes naturelles peuvent affecter la crois-sance economique et ainsi remettre en cause la theorie des cycles, qui ne peut en aucun cas prevoirce type d’evenements.

Enfin, la prise en compte d’une telle theorie pourrait conduire a des attitudes fatalistes de la partdes agents economiques : a quoi bon s’efforcer de trouver des solutions de sorties de crises, si lasituation est vouee a s’ameliorer d’elle-meme ?

Figure 9 – Un cycle economique

Les Business cycles

Des economistes s’accordent a distinguer quatre phases dans le cycle : la phase ascendante, la crise,la phase descendante et la reprise. Toutefois, dans la realite, il est difficile de distinguer avec precisionces phases, qui sont souvent imbriquees.

La phase ascendante

Egalement appelee « phase A », « phase d’essor », « expansion », « boom » ou « prosperite ».

Cette periode est caracterisee par une hausse de la production, qui s’accompagne d’une ameliorationdes salaires, de l’emploi et des benefices. Les entrepreneurs investissent alors pour accroıtre leurs

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capacites futures de production.

Toutefois, au fur et a mesure de l’expansion, les producteurs se heurtent a differents obstacles quiremettent en cause la poursuite de la croissance : hausse des couts de production, des taux d’interet,des prix, et baisse de la consommation (engendree par la hausse des prix). Parce que les stockss’accumulent, il s’ensuit une baisse des prix, qui pousse les industriels a reduire leur production, alicencier... Le spectre de la crise guette alors l’economie.

La crise

Il s’agit du point de retournement du cycle (ou « point d’inflexion »). Selon les epoques et lecontexte economique, les crises peuvent etre de differentes natures et causees par differents facteurs :on distingue par exemple les crises de l’Ancien Regime - dues a une sous-production agricole - descrises de surproduction.

La phase descendante

Egalement appelee « phase B », « contraction », « ralentissement » « recession » ou « depression »selon sa gravite.

Durant cette phase, l’economie se restructure tout en cherchant les moyens de sortir de la recession.Les industries devenues vielles sont les plus touchees, et il en va de meme pour les methodes detravail et de production (taylorisme, toyotisme ect). C’est ainsi generalement durant cette periodeque les innovations apparaissent, permettant par la suite le retour de la croissance.

La reprise

A l’inverse de la crise, il s’agit du point de retournement entre la phase descendante et la phaseascendante.

La theorie des cycles se heurte a differents problemes, qui remettent en cause sa per-tinence.

Le probleme de la superposition des cycles :

Les trois differents types de cycles se superposent et peuvent donc conduire a des erreurs d’interpreta-tion. Par exemple, l’economie peut se situer simultanement dans une phase A de cycle de Kondratieffet dans une phase B de cycle de Juglar, ce qui peut fausser les previsions du retour de la croissance.

D’une maniere plus generale, il est difficile de prevoir la succession des cycles et la duree precise dechaque phase, meme s’il existe des signes avant-coureurs de la venue d’une crise : hausse des prixet des salaires, importante speculation... Cette limite pose le probleme de l’utilite de la theorie descycles, qui peut alors etre consideree comme uniquement constatative (et donc denuee d’interet dansune optique de planification).

Le phenomene de disparition des cycles :

Durant la periode des « Trente Glorieuses », on a assiste a une disparition des cycles economiques : laperiode de croissance, intense, n’a connu que de tres faibles fluctuations, ce qui contredit la pertinencede la theorie des cycles majeurs et mineurs, ou, du moins, montre les limites d’une telle theorie, quine peut s’appliquer qu’imparfaitement a la realite.

Les cycles peuvent avoir trois origines.

1. La premiere est d’ordre exogene. Dans ce cas, c’est l’environnement qui est a l’origine du cycle :accident climatique, interdependance croissante des economies qui propage les cycles d’activited’un pays a l’autre, des chocs politiques, les politiques economiques ou bien encore les echeanceselectorales a l’origine de cycles politico-economiques.

2. Une deuxieme origine est endogene c’est-a-dire lie a l’activite economique elle-meme. Les fac-teurs declencheurs peuvent etre l’accumulation du capital, le partage de la valeur ajoutee,

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Figure 10 – Les cycles de Kondratiev

Figure 11 – Les cycles de Juglar (economie americaine)

le developpement des innovations (explication schumpeterienne des cycles Kondratiev), unemodification ou choc que peut subir les fondamentaux d’une economie (gout des menages,techniques disponibles, dotations en ressources des agents).

3. Une troisieme origine est financiere. C’est le cas pour les cycles d’endettement. l’expansionconduit a une croissance des credits qui lorsque l’activite se retourne a pour consequence undesendettement et un approfondissement de la depression (comme actuellement).

Aujourd’hui, les determinants des retournements de cycle echappent largement aux cadres nationaux,tout comme les moyens de la politique economique contra-cyclique (comme on le verra en detail dansle chapitre 6 consacre a la gouvernance de la crise actuelle). Pour lutter contre des crises (ou lessurchauffes) devenues mondiales, il est necessaire que la regulation s’opere a une echelle superieurea celle des Etats.

En conclusion, tous les elements presentes dans cette section conduisent a dire qu’une certaine formede regulation politique et economique est necessaire un echelon supra-national.

3 Breve histoire des formes de la gouvernance “mondiale”

Meme si la notion de “gouvernance mondiale” est un concept nouveau, apparu dans les annees 1990,d’autres formes de regulation supra-etatiques se sont succede par le passe (voir l’article de JacquesAdda dans Alter Eco, 2001, dont est tire le tableau ??).

3.1 Panorama des formes passees de la gouvernance “mondiale”

L’ere des cites marchandes (1000-1450). Au tournant du premier millenaire, le commerceinternational se developpe en Europe en prenant appui sur des cites-Etat. Celles-ci s’affranchissentdes reglements corporatistes et du pouvoir feodal et du mode production dominant a l’epoque (agri-culture autarcique et guerres de conquete). Les grandes familles de banquiers venitiens et genois

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Phase du developpe-ment historique du ca-pitalisme

Nature de l’economieinternationale

Type de domination Mode de regulationIdeologie economiquedominante

Montee en puissancedes marchands (1000-1450)

Formation del’economie-mondeeuropeenne

Domination des mar-chands organises enligues ou en cite-Etats

Concurrentiel a l’exte-rieur, institutionnel al’interieur

Corporatisme

Montee en puissancedes Etats-Nation etdesenclavement plane-taire (1450-1800)

Economie internatio-nale et coloniale

Domination des Etatset equilibre des forces

Monopoliste a l’exte-rieur, concurrentiel al’interieur

Mercantilisme

Industrialisation, co-lonisation et imperia-lisme (XIXe)

Economie internatio-nale et imperiale

Hegemonie britan-nique (Etat et firmes)

Concurrentiel a l’exte-rieur et a l’interieur

Liberalisme

La grande regression(1914-1945)

Dislocation de l’eco-nomie mondiale

Crise hegemoniqueMonopoliste a l’exte-rieur, concurrentiel al’interieur

Nationalisme

Apogee du fordisme,montee en puissancedes multinationales etindustrialisation peri-pherique (1945-1973)

Economie internatio-nale (Etat et firmes)

Hegemonie americaineInstitutionnel a l’inte-rieur et a l’exterieur

Keynesianisme

Irruption et crise de lamondialisation (1973-. . .)

Economie mondiale etregionale

Rivalite hegemonique(Etats-Unis, Europe,Japon, Chine. . .)

Concurrentiel a l’inte-rieur et a l’exterieur

Liberalisme

Table 3 – Mondialisation et pouvoir (tire de J. Adda, Alter Eco, 2001)

developpent des instruments financiers pour couvrir les echanges inter-nationaux ; elles financentegalement les grands seigneurs feodaux qui luttent pour asseoir leur autorite. Dans cette periodel’opposition se fait entre ces grandes familles implantees dans toute l’Europe, qui adoptent des reglesde gestion identique et se developpent a la maniere d’un reseau et le pouvoir politique attache auxroyaumes et seigneuries.

L’alliance des Princes et des marchands (1450-1800). A partir de 1450, les Etats-Nationeuropeens commencent a se structurer (Espagne, France, Angleterre) et le cadre national devient lenouveau perimetre de la regulation de l’economie. L’alliance des princes et des marchands qui s’es-quisse au niveau national leur permet d’asseoir leur autorite et de financier leur politique exterieure.En echange, les marchands obtiennent le demantelement des corporations, l’unification et surtout laprotection des marches interieurs et la protection de leurs entreprises commerciales internationales.Le mode d’organisation de l’economie interne des Etats devient de plus en plus concurrentiel et dansle meme temps l’Europe commence a decouvrir et a conquerir le monde. Les colonies (espagnoles etportuguaises en Amerique du Sud, francaises et anglaises en Amerique du Nord) servent de reservoirde matieres premieres et surtout d’or pour nourrir la politique mercantiliste des Etats europeens. Cesderniers controlent leurs echanges et cherchent a maintenir une balance des paiements positive. Acette periode, la “gouvernance” de l’economie s’exerce avant tout l’interieur de chaque Etat-Nation,avec l’alliance des acteurs economiques (marchands et producteurs) et du pouvoir politique. La poli-tique economique etrangere est fondee sur une notion de conquete (des colonies, des metaux precieux,des marches. . .) et non de cooperation ou de regulation conjointe des echanges internationaux.

L’hegemonie britannique. Au debut du XIXe siecle, l’Angleterre change la donne. Elle connaıtune revolution industrielle en avance sur le reste des pays europeens et qu’elle domine par ailleursmilitairement. Elle developpe ses propres colonies (l’Inde est soumise en 1757) et se repose surune flotte hegemonique. Elle n’a plus interet a conserver une attitude protectionniste, et a besoind’ecouler ses produits. Elle devient la championne du libre-echange commercial. Les autres payseuropeens, et notamment la France et la Prusse, ne tardent pas a rejoindre ce mode de production.Du point de vue des flux financiers, les transferts sont importants entre les centres et les peripheries.Pendant cette periode de “premiere mondialisation” les echanges commerciaux se developpent maisl’intervention des pouvoirs publics sur les processus economiques reste tres faible tant au niveaunational qu’au niveau international. La “gouvernance mondiale” reste synonyme de “laisser-faire”.

1914-1945. Le capitalisme en crise. La montee des imperialismes remet en question le mode deregulation concurrentiel de l’economie. Apres la crise de 1929, les Etats se replient sur leurs empires

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coloniaux et le commerce international decline.

3.2 Ce qui a change en 1945 : la solidification institutionnelle de la gouvernancemondiale

Au lendemain de la seconde guerre mondiale s’opere un changement notable dans la facon dont lagouvernance mondiale est structuree. Face au liberalisme du XIXe siecle et au repli nationalistede l’entre-deux-guerres, le monde connaıt une institutionnalisation de la gouvernance politique desprocessus economiques.

Au niveau national d’abord, les bases de l’Etat-Providence sont poses dans les pays libres (Eu-rope, Etats-Unis, Amerique Latine) : financement des retraites, allocations chomage, assurancessante, accidents. . .. De plus, l’intervention directe de l’Etat dans l’economie est necessaire pour lareconstruction de l’Europe et du Japon. De grandes entreprises nationales apparaissent, dont lamission est de fournir les biens publics d’infrastructures (EDF-GDF, la SNCF en France) neces-saires pour le developpement des economies. La pensee keynesienne structure la regulation internede l’economie, pilotee par une gouvernance tripartite, ou Etat, syndicats et organisations patronalesnegocient la gestion de la protection sociale, l’apparition d’un salaire minimum et le developpementdu droit du travail.

Au niveau international , l’alliance militaire et la cooperation des pays pendant la guerre de-bouche naturellement sur la volonte de creer des institutions qui permettraient de continuer a s’en-tendre sur les grands defis de l’apres-guerre - y compris les defis economiques. C’est une periode oula gouvernance mondiale s’institutionnalise et une galaxie d’organisations internationales se creeeentre 1944 et le debut des annees 50.

L’ONU succede a la Societe des Nations pour incarner la cooperation politique inter-nationale (1945).Les accords de Bretton Woods (1944) voient la naissance du Fonds Monetaire International et dela mise en place d’un systeme monetaire international ou la fluctuation des monnaies est censeeetre solidement ancree au dollar (ce que l’on developpera dans le chapitre 2). Elles voient aussi lacreation de la Banque Mondiale (dont on presentera l’action au chapitre 4). Enfin, les accords duGeneral Agreement on Tarifs and Trade (GATT, 1947) posent les bases de la regulation du commerceinternational (dont on developpera les principes et la posterite dans le chapitre 3).

D’autres institutions (que l’on n’aura pas le temps de presenter dans le cadre de ce cours) sontcreees : l’OIT (Organisation mondiale des travailleurs, 1946), l’OMS (Organisation mondiale dela sante, 1948), la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 1945),l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture, 1945), l’AIEA(Agence internationale de l’energie atomique, 1957). . .

Parallelement a cette gouvernance mondiale institutionnalisee, une certaine cooperation inter-etatiquese met en place pour aider a la reconstruction (plan Marshall) puis, apres la decolonisation, entre lesanciennes puissances coloniales et les pays nouvellement independants ou entre l’URSS et les paysdu bloc sovietique.

Ce sont ces institutions qui structurent encore la gouvernance des relations politiques et economiquesaujourd’hui alors que, depuis une trentaine d’annees, le contexte politique, economique et ideologiquea radicalement change. Dans un contexte de mondialisation economique et culturelle et alors queles grands blocs politiques qui structuraient les relations internationales jusqu’a la chute du mur deBerlin en 1989 on cesse d’exister, une regulation economique mondiale est devenue un besoin vital.Parallelement, avec les decolonisations, la montee de puissances emergentes, l’irruption de nouveauxacteurs capables d’influer sur les decisions supra-nationales et les processus de regionalisation eco-

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nomique et politique, le mode de gouvernance “institutionnelle” herite de l’apres-guerre est de plusen plus affaibli et conteste.

4 La gouvernance mondiale en 2009 : un besoin vital de plus enplus conteste

4.1 La mondialisation entraıne un besoin accru de gouvernance

La mondialisation des trente dernieres annees bouleverse l’emprise des Etats et des organismes insti-tutionnels de la gouvernance mondiale sur les processus politiques et economiques. On developperadans le chapitre 3 les principales caracteristiques de la mondialisation. Dans son article de 2001 dansles Cahiers Francais (Mondialisation et gouvernance), Philippe Moreau Desfarges liste les effets dela mondialisation sur l’exercice du pouvoir.

Commerce et enrichissement. Avec l’industrialisation, la creation de richesse n’est plus liee ala seule production du secteur primaire (agriculture et mines). Le progres scientifique et techniqueassocie au commerce permettent un enrichissement mutuel (cf. figure ??). Desormais, une croissancede la production est possible, mais en retour c’est la stabilite des systemes economiques qui estconditionnelle a cette croissance. On est passe de societes marquees par une stabilite des modes deproduction economiques et une hierarchisation politique permettant de distribuer les ressources a dessocietes ou les perspectives economiques sont en perpetuelle expansion et ou une vision decentraliseeet individualiste des rapports sociaux peut s’epanouir. Cela signifie que le pouvoir des Etats n’estplus absolu et que la contestation de la regulation politique et economique peut venir de l’interieur.

Figure 12 – Evolution de la production mondiale entre l’an mil et aujourd’hui (source : Moreau-Desfarges,2001)

Flux et reseaux : la disparition du spatial. L’explosion des echanges, amplifiee aujourd’huiavec Internet, modifie la question du pouvoir. Les rapports horizontaux se multiplient (entre in-dividus, entre entreprises, entre Etats) et remettent en question l’exercice du pouvoir bati tradi-tionnellement sur des rapports verticaux (citoyens → responsables elus → justiciables. . .). Avec lamondialisation, le pouvoir doit gerer les desaccords et les equilibres entre differents acteurs dontcertains echappent a son emprise. Les Etats, qui disposent du monopole de la violence legitime surleur territoire, ne peuvent exercer leur influence au-dela.

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Democratisation. Avec la decolonisation et la diffusion du mode de gouvernement democratiquedans le monde, des groupes auparavant exclus de l’expression politique peuvent peser sur les decisionspolitiques et economiques : femmes, populations des pays en developpement et des pays emergents. . .Il est plus difficile de trouver un consensus politique.

Competition. Le mode de regulation socio-economique actuel est fondee sur l’ouverture et lacompetition economique ; encore faut-il que l’on puisse organiser cette competition.“L’essentiel residedans l’etablissement et la mise en oeuvre de normes donnant non seulement a chacun sa chancemais encore aidant les perdants a repartir. La gouvernance, c’est donc egalement l’organisation de lacompetition mise au point par la negociation de regles du jeu precises mais souples pour tenir comptede la diversite des protagonistes (. . .) ; instauration de dispositifs de surveillance et de sanction ; enfinsolidarites l’egard de ceux qui s’adaptent mal au jeu.”

4.2 La gouvernance mondiale existante est de plus en plus contestee

La contestation du mode de gouvernance actuel s’opere sur plusieurs fronts, et les critiques quilui sont faites developpement parfois des arguments contradictoires. Dans cette sous-section, on secontente de passer en revue les principaux elements de cette critique, qui sera developpee dans lechapitre 6 du cours.

La critique des resultats de l’action des institutions internationales. Un premier elementde critique concerne les resultats obtenus par les institutions internationales dans le domaine de com-petence qui est le leur. A l’ONU, on reproche sa faiblesse et son incapacite de prevenir les conflits(Soudan aujourd’hui, mais aussi ex-Yougoslavie, Rwanda, voire Irak et conflit Israelo-palestinien. . .).A l’OMC on oppose la domination grandissante des firmes multinationales sur les pays en develop-pement et les effets de la mondialisation sur les pays les moins avances, mais aussi sur la biodiversite,la protection des peuples premiers. . .. Au FMI, on reproche son action dans les plans d’ajustementstructurel et son incapacite a prevenir les crises monetaires et financieres.

De nouveaux acteurs disposent d’un poids politique international. Avec la mondialisa-tion, les firmes multinationales se developpent et leur pouvoir sur les economies des pays ou elless’implantent devient tres important. Au niveau inter-national, elles deviennent capable d’influencerles grandes institutions internationales. Alors que l’ONU disposent de peu de moyens, les Organi-sations Non Gouvernementales (ONG) se substituent souvent a l’action publique internationale etsont devenues des piliers presque “institutionnels” de la gestion des conflits et du developpement.Dans le meme temps, elles portent les opinions de la “societe civile mondiale” sur le debat publicinternational, court-circuitant ainsi les Etats dont la fonction est pourtant de representer l’opinionpublique. Par ailleurs, les Etats tentent de resister a la mondialisation en faisant bloc dans desunions regionales. L’Union europeenne est l’element le plus abouti et le plus complet de ce processusde regionalisation, mais on peut citer le Mercosur en Amerique Latine, l’ALENA en Amerique duNord ou encore l’ASEAN en Asie. Tous ces agents entre en concurrence avec et se substituent a lagouvernance “institutionnelle” et leur action participe de la “gouvernance mondiale” telle qu’elle aete definie dans la premiere section de ce chapitre.

La legitimite d’une gouvernance mondiale trop “liberale” ou trop“occidentale” est re-mise en question. Enfin, la legitimite meme des instances en charge de la gouvernance mondialeest contestee. Le mouvement altermondialiste, parfois soutenu par les ONG, parfois par certainsEtats, conteste l’influence du liberalisme economique sur le mode de regulation de l’economie mon-diale (cf. manifestations contre l’OMC). Parallelement, un certain discours altermondialiste critique

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la faiblesse des institutions internationales et appelle de ses vœux la mise en place d’un veritablegouvernement mondial designe selon une procedure democratique et qui soit non tributaire des Etatset capable de contrer le pouvoir des multinationales. A l’oppose, les puissances emergentes (Inde,Chine, Bresil, Afrique du Sud. . .) contestent la repartition des pouvoirs au sein des institutionsinternationales (Conseil de Securite de l’ONU, par exemple) voire meme aussi parfois la vocationuniverselle des principes fondateurs des organisations internationales.

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