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Cet autre en moi Récit José-Manuel Alejo

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Cet autre en moi

Récit

José

-Man

uel A

lejo

25.1

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 330 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 25.1 ----------------------------------------------------------------------------

Cet autre en moi Récit

José-Manuel Alejo

764428

Roman psychologique

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A Laure, à Philippe,

Que j’aime tous deux d’un « amour unique » … et qui m’entraînent à Vivre.

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« Dès lors, notre effort tend vers la seule beauté, c’est-à-dire vers le simple, le grand ; vers la sévérité, la spontanéité reconquises et le style. Mais le style et la spontanéité, Phaidros, entraînent la griserie et le désir… C’est à l’abîme qu’ils mènent…

Car le poète n’est pas capable de durable élévation, il n’est capable que d’effusions. »

Thomas Mann in « La mort à Venise »

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Et tout commence un « lendemain »

Ramassant mes affaires en toute hâte (on m’attend au journal), je me saisis d’un bloc et d’un crayon et griffonne ces quelques lignes au goût de mélodrame trop souvent joué :

Lendemain de cuite, 11h du matin, je me réveille lourdement dans cette maison amie, au silence pourtant pesant, presque hostile… Je ne me souviens pas de m’être couché là, pas plus que des longues heures de fête qui ont précédé, ni de ce que j’ai dit ou fait, ni des gens, de ces gens connus ou inconnus que j’ai pu bassiner, injurier, malmener sans vergogne…

Je me fais peur ! L’angoisse et la honte m’envahissent, me prennent à la gorge et me serrent le cœur…

Le « pourquoi j’en suis là ? » est un ennemi connu… Il faudrait seulement lui déclarer, enfin, la guerre !

Dans ma vie, jusqu’ici, j’ai tout nié : le rejet de ma mère, l’absence de mon père, mon homosexualité, mes incapacités à gérer tant de choses en moi et autour de moi.

A la place, j’ai composé un personnage fort, en paix

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avec lui-même, s’investissant auprès des autres, rangé, marié, père de famille, engagé…

Mais depuis peu, tout semble s’écrouler : mes images d’avant, mes certitudes, ma carapace, mon mariage et mon hétérosexualité… Je n’en peux plus !

Et je ne sais quoi faire de ce passé faussé que je ne pourrais renier, ni de cet aujourd’hui encombrant que je reçois, perplexe, comme un cadeau empoisonné !

En permanence, j’essaye de retrouver celui que je croyais connaître hier et qui semblait si rassurant, le plus souvent. Mais tout ce qui me ramène au passé : famille, souvenirs, rencontres, amours, vie de couple… semble empreint de douleur, de regrets et de mort.

Si je n’ai plus de passé, ni vraiment de présent qui me fasse vivre, comment demeurer ? Ou plutôt, ce que j’ai de beau, de neuf, de fort dans le présent : les enfants, les amis, la confiance que l’on m’accorde… je le saborde et je le piétine, comme volontairement, même si c’est inconscient. Je n’arrive pas à y croire vraiment et à m’en sentir digne, maintenant que je ne ressemble plus à ce modèle figé qu’on m’a brandi, toute ma vie durant, comme l’unique acceptable.

Parfois, je consens à espérer, ou à me bercer d’illusions, ou à y croire… que sais-je ? Mais le plus souvent, au fond de moi, je désespère. Alors, certains soirs, je noie tout dans l’alcool pour ne pas voir, dans le miroir, que je ne suis que moi-même : ce « compromis » qui ne sait pas vraiment me satisfaire.

Et je ne choisis pas de boire ! Je choisis même souvent de ne pas boire (permanence d’une peur), ou de ne pas boire

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trop… au début… mais la limite reste fuyante, je ne la perçois pas, je bascule seulement dans la douce inconscience et l’apaisant oubli… mais surtout dans l’arrogance, l’excès, la connerie…

C’est comme si je m’appliquais à démontrer que je suis capable du pire. Comme si je disais (et parfois, je le dis) : « il ne faut pas m’aimer, ça ne vaut pas la peine, voyez ce que je suis ! »

Désormais – long et douloureux chemin, peut-être – je veux guérir, je veux vivre en harmonie avec moi-même et avec les autres, et je veux, pour un temps, prendre de la distance, laisser la paix aux autres, à ceux que j’aime.

Je veux pouvoir revenir vers eux, un jour, et leur dire : « regardez comme je vais bien, comme je suis redevenu digne de votre amour, voyez comme j’ai retrouvé tout ce qui est bon en moi, pour pouvoir mieux vous l’offrir. »

Si je n’en étais pas capable, il vaudrait mieux que je me retire… je ne veux plus vous faire souffrir !

Peut-on m’aider en ce moment ? Un médecin, un psy… un prêtre, un ami ?

Amis, je préfère vous épargner (même si votre absence est souffrance), échanger des messages et vous savoir fidèles… de loin. J’espère vous retrouver pour redécouvrir le plaisir du partage, la confiance restaurée, et le respect aussi.

Vieux marin fatigué, au soir de la tempête, je veux refaire le point et reprendre mon cap, et seul, hisser ma voile pour qu’un vent plus clément me mène à bon port, en un dernier voyage… voyage à cours de vie… voyage en écriture…

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Je ne partirai jamais si loin, qu’en rentrant en moi-même !!

Yann

… C’est de retour chez moi, ce soir-là que je commençais, résolument, ce récit-thérapie…

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Prologue

Depuis mon adolescence, écrire n’a jamais été pour moi un problème. Je fais partie de ces handicapés incapables d’écrire trois lignes pour donner des nouvelles à des amis ou s’inquiéter de leur vie, mais je fais aussi partie de ces écorchés vifs qui ne peuvent garder pour eux ce qui leur tient à cœur ou leur fait mal. (Parler n’est pas facile : à qui ? pour quoi ? Les mots, à l’oral, souffrent de n’être pas toujours maîtrisés, et la réaction de l’interlocuteur présent – ne serait-ce qu’une larme, un souffle ou un sourire – peut dévoyer le plus résolu des discours).

On épanche alors son cœur et sa souffrance sur le papier qui les absorbe comme un buvard. Le buvard prend tout, ne laisse rien et la trace s’imprime, sombre et imprécise souvent, mais tellement précieuse, comme un souvenir.

Au fond, qu’importe ce que le lecteur reçoit ou comprend de l’auteur… ce qui compte c’est, pour l’un comme pour l’autre, la convocation aux frontières de soi-même, la provocation, l’émotion ressentie, le retour sur son propre vécu, sur sa propre recherche… L’écriture est

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un miroir : elle ne nous renvoie vraiment que notre propre image, mais elle nous aide aussi, parfois, à mieux la percevoir.

* * *

Bougies soufflées, cinquante ans célébrés, moi, Yann, père de famille respectable, chrétien actif et journaliste professionnel reconnu, je me décide enfin à me confronter à la page blanche – oh, pas celle qui accueille chaque jour la réflexion tant attendue de mes lecteurs, mais celle, beaucoup plus angoissante, qui doit accueillir le récit de ce que fut ma vie, douloureuse et belle, conflit permanent entre lui et moi, entre moi et cet autre en moi -

Voilà plus de vingt ans que je retarde ce moment : pas prêt, pas assez au clair avec moi-même, avec la vie, avec mes convictions, pas assez de courage surtout (la vérité est insolente et cruelle)…

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1 Adresse…

A tous ceux que j’ai fait souffrir… je ne peux que demander pardon et dire que je ne voulais pas, que je ne savais pas… futilité des mots, face à un cœur qui saigne !

A tous ceux que j’ai aimés (les mêmes, parfois)… je ne peux que dire que j’ai toujours été sincère, je ne sais pas faire autrement, ni aimer à moitié… un amour maladroit, envahissant, faute de savoir le dire, d’accepter de le vivre pleinement, peur de me donner cœur et corps à la fois !

A mon père… je t’aimais et tu m’aimais aussi… Alors pourquoi tout ce silence, pas un mot important entre nous, aucune intimité ?… nous avions tant à partager, à nous dire, à comprendre, je t’admirais, aurais voulu te ressembler et tu es parti à soixante quinze ans, après trente cinq années de vivre ensemble, sans un dernier adieu, sans la moindre forme de testament, comptant juste sur moi pour prendre soin de maman !

A ma mère… j’ai pris soin de toi, maman, comme j’ai pu, avec indulgence, pendant ces cinq années où tu lui as

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survécu. Je ne crois pas que tu m’aimais, pas plus que tes autres enfants. Tu n’aimais que toi et lui, cela remplissait ta vie, ta vie où tu l’enfermais, où tu nous enfermais, à grands coups de principes, de ménage et de convenances. Ta vie où personne ne venait jamais, sauf un ou deux cousins bien incapables de relever le niveau. Ta vie où nous comptions « parce que c’est comme cela qu’il faut »… être marié, avoir des enfants, des enfants polis et sages, des enfants propres sur eux et qui rentrent dans le moule… des enfants qui surtout ne soient pas « autrement » que ce qui est convenable, que ce qui est avouable… « Que vont penser les gens ? ».

Maman, j’ai cru aimer la vie que tu me proposais, papa ne disait rien, comme toujours, et ça m’encourageait, mais, cette vie-là, je ne l’aimais pas.

J’ai cru t’aimer aussi – « on aime toujours sa mère » – et je ne t’aimais pas !

Et je ne vais jamais pleurer sur votre tombe, comme le font les gens bien et tous les bons chrétiens. Il n’y a pas eu assez d’amour échangé, de vérité vécue et partagée, de souvenirs brûlants pour qu’un bouquet de fleurs déposé sur le marbre prenne vraiment du sens dans le cœur de l’enfant, l’enfant que je ne suis plus – l’ai-je jamais été ? -

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2 Et tant d’amour brisé !

Parler de mes années d’enfance serait bien inutile, mes sœurs et moi avions « tout ce qu’il faut et beaucoup de chance dans la vie », disait ma mère. Et elle n’avait pas tort, considérant un peu la vie comme une carte de fidélité où peu à peu l’on tamponne des cases pour constater un jour que, ayant beaucoup dépensé, l’on a droit à un cadeau de merde mais qui vous comble tant puisqu’on ne l’a pas payé !

Nous allions donc, heureux et tamponnant nos cases : obéissance, politesse, réussite dans les études, sérieux, catéchisme, bonne présentation et surtout rien qui ne donne à dire ou à penser « aux gens » en général et à quelques uns en particulier.

Pour éviter d’avoir à dire ou à penser, nous ne parlions de rien (de rien d’important) et n’émettions pas d’opinion : rien de politique si ce n’est quelques réflexions communes aux « gens comme nous », quelques principes sociaux-chrétiens « parce qu’il en fallait », aucune allusion à la sexualité, au plaisir, au désir, et de l’amour la seule

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vision « convenable » : celle du couple papa-maman ou maman-papa que l’on ne voyait jamais séparément, ni se disputer, ni se contredire en quoi que ce fut d’un peu sérieux.

Papa aurait eu beaucoup à dire et à nous apprendre, mais maman souvent parlait pour lui ou avant lui. Il allait dans son sens, patient et diplomate, quoiqu’il fût beaucoup plus intelligent et cultivé qu’elle. « Par amour », il s’est tu toute sa vie, se rangeant à l’avis de la femme qu’il aimait et qui avait eu le mérite immense de l’attendre cinq ans, fidèlement, après leurs fiançailles, alors qu’il était prisonnier en Allemagne, dans un camp d’officiers. Ce sacrifice originel, et si rare au demeurant, avait eu sur sa vie un poids considérable : elle lui avait offert cela ; en échange, il lui offrirait, toute sa vie durant, son silence, son respect, la concession de ses désirs, de ses opinions, de ses rêves même. Il sacrifiait aussi, mais sans s’en rendre vraiment compte, une part importante de la vie et du bonheur de ses enfants qu’il privait d’un vrai père, un père en face à face.

J’étais un bon élève, et, sans trop travailler, arrivais à mes 14/20 de moyenne (« ce qui était bien le minimum quand on avait mes capacités », surtout en comparant à mes sœurs dont l’une avait été définitivement classée, sans être consultée, dans le groupe de « celles qui ne feraient pas de longues études, n’ayant pas de grandes capacités »)… Qui étais-tu, toi, ma pauvre petite mère, pour juger des capacités de tes enfants à faire les études que tu n’avais jamais faites ou même envisagées ? Et toi, papa, comme toujours, trop lent à te prononcer, tu t’étais fait devancer par « l’avis de maman » et avais dirigé ma sœur vers le

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premier Brevet Professionnel dont « un ami bien placé » avait dit que ça pourrait lui convenir. Et nous voilà organisés en deux camps : les intellos dont on attendait beaucoup quant à leurs études et à leur réussite sociale et l’aînée (oh, terme lourd de conséquences !) qui aurait toujours un métier en mains et pour qui on pouvait espérer un « bon mariage » qui, de toutes façons, lui éviterait de travailler – comme maman -

Pour mon autre sœur et moi, les intellos, la barre était haute et les exigences à la hauteur de l’incapacité de maman à juger de la difficulté de ce qui nous était demandé. Pour les maths (catégorie cause perdue, en ce qui me concernait), nous travaillions avec papa : instant rare et tant apprécié de moi, alors que, assis à son bureau Empire, sur sa chaise, et lui tout près de moi, nous vivions enfin un moment tous les deux. Sa cigarette se consumant lentement dans le gros cendrier en verre de Venise dégageait une odeur âcre qui se mélangeait curieusement avec celle de son after-shave que j’aimais tant. Il était là, rien que pour moi, d’une patience et d’une douceur infinies. Il pouvait y passer une heure ou deux sans renoncer, ne se rendant pas compte que, plus que de comprendre, ce qui m’importait était de partager cela avec lui. Je n’ai jamais progressé, me suis fermé de plus en plus aux mathématiques… allez savoir pourquoi ?

L’autre grand moment était la promenade du dimanche. Par chance, maman était affligée d’épouvantables maux de tête qui, avant elle, avaient eu raison de son père (un colosse, patriarche, misogyne, chasseur et bon vivant) et qu’elle m’a légués pour que je n’oublie pas que j’étais son fils. Quand venait le début

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d’après-midi du dimanche, elle disait immanquablement à mon père : « emmène le petit, il faut que je me repose, il va me déranger, je souffre trop ». Et mon père, sur un signe, me prenait par la main, et nous allions au petit jardin public, tout en haut de ce grand boulevard parisien, dans le quinzième arrondissement. Quelle fierté, ma main dans la sienne, de gravir la pente, tête haute quand nous croisions quelqu’un qui le saluait respectueusement ou chaleureusement.

Mon père, avant de connaître ma mère, avait beaucoup d’amis. Jeunes, ils les avaient fréquentés ensemble. Mais, très vite, ils s’étaient éloignés d’eux, renfermés sur eux-mêmes, sur « leur amour », « leur famille », « leur vie privée »… privée de tout, par conséquent ! Les gens que nous saluions étaient donc essentiellement des connaissances : gens du quartier, voisins, commerçants, gens sans importance dont nous connaissions la vie par la rumeur et sur qui maman faisait ses commentaires aux seules fins éducatives de nous montrer ce qu’il conviendrait pour nous d’être ou de ne pas être. Mais chacun de ces saluts, en notre promenade dominicale était pour moi la reconnaissance due à papa : reconnaissance de sa valeur propre, de son être provisoirement dissocié de celui de maman et qui retrouvait donc toute sa richesse, sa vie, sa liberté.

Je lui posais mille questions, il répondait prudemment, ne s’avançant jamais sur une décision à venir qu’il ne prendrait de toutes façons pas seul, il disait : « on verra… » Cet « on verra », pourtant, n’était pas un non, première victoire partielle qui signifiait qu’il était prêt à défendre la cause ou le projet devant la juridiction

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maternelle (lui dont c’était le métier). Nous passions un moment au jardin tous les deux et il s’étonnait toujours (papa naïf) que je ne cherche pas à jouer avec les autres enfants. Parfois, il allait même jusqu’à demander pour moi : « il peut jouer avec vous ? » Je lui savais gré de cette démarche, mais préférais tellement rester auprès de lui, même sans rien dire ou à se lancer un ballon.

Il n’était plus sportif, cinquante cinq ans à mes douze ans. Il ne m’aurait pas appris le bricolage, il n’en savait pas grand chose lui-même à part le chatterton et quelques clous pour rafistoler un meuble qu’il préférait ensuite jeter et à qui il rachetait bien vite un remplaçant (souvent plus cher et plus beau), pour « faire plaisir à maman ». Il ne m’apprenait pas non plus grand chose de la religion qu’il ne pratiquait pas lui-même, pas plus que maman, et dans laquelle, pourtant, sans doute par tradition, ils tenaient beaucoup l’un et l’autre à ce que nous soyons éduqués. Ainsi, tous les dimanches, nous allions à la messe, mes deux sœurs et moi, habillés en dimanche et notre carte de messe à faire tamponner dans la poche (tiens ? encore ?), mais jamais ils ne nous accompagnaient, sauf, exceptionnellement, aux grandes fêtes, et encore… Un jour, audacieux, je lui posais la question : « pourquoi vous nous envoyez et vous n’y allez pas ? » « C’est notre façon à nous, mais je prie tous les jours ». Ce fut la seule discussion que j’eus avec mon père sur le sujet, brève, laconique, comme toujours, on ne se livre pas, ne parle pas de soi, ça ne regarde personne. Malgré cela, mon désir de lui ressembler, à lui-lui pas à lui-papa-maman, ne cessait de croître en même temps que celui de correspondre à ce que je pouvais deviner qu’il attendait de moi. Je me nourrissais de ce trop peu de lui pour me construire moi-même et

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j’écartais peu à peu de ma vie celle qui l’écartait, lui aussi, de la sienne : maman.

La cassure symbolique s’est faite en deux temps, alors que j’avais onze ans : J’ai dit que j’étais un bon élève, excepté en maths, bien sûr. Or, il s’est trouvé qu’ayant fait l’impasse sur un chapitre de la composition d’histoire géographie, le sujet est tombé justement sur cette partie du programme. Résultat catastrophique pour « un élève comme moi » : 04/20. Je ne peux pas décrire très précisément aujourd’hui ce que fut ma panique d’alors… C’était un mélange de peur des représailles, d’angoisse de décevoir, de honte par rapport à l’image que j’avais imprimée de moi-même, de confusion devant une situation jamais affrontée. La seule idée qui me vint donc fut de rajouter un 1 devant le 4 de la note, avant de faire signer le bulletin par mes parents… ce que je fis. Je ne saurais pas dire non plus si je ressentais de la culpabilité, je crois que j’avais, en fait, au fond du cœur, le sentiment (avéré) que je réagissais de la bonne manière en fonction de la manière dont mes parents étaient capables, eux, de réagir.

Tout se passa bien, dans un premier temps. Mes parents signèrent et me rendirent le bulletin, sans beaucoup de commentaires : maman ne s’épanchait pas en compliments puisque « c’était bien le minimum ». Le problème vint plutôt de ce que la technique de l’époque n’était pas aussi au point que celle d’aujourd’hui : il me fallait, avant de rendre le bulletin signé au collège, faire disparaître le 1 frauduleux. La solution était le corrector : des liquides contenus dans deux petits flacons séparés qu’il fallait passer l’un après l’autre sur les éléments à effacer.