ces bactéries qui dopent les plantes

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  • 8/10/2019 Ces bactries qui dopent les plantes

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    Sophie Healy-Thow, mer Hickey et Ciara Judgeviennent dtrercompenses pour leurs recherches sur lutilisation des bactriescapables de fixer lazote pour faciliter la croissance des crales.

    60- Sciences et Avenir - Novembre 2014 - N 813

    NATURE

    J de personnesaussi jeunes, aussi matures,

    aussi intelligentes. Jean Dna-ri, 74 ans, fait chapeau bas devantles trois lycennes irlandaises de16 ans qui viennent de remporterldition 2014 du Google ScienceFair, le concours scientifique dugant amricain de lInternet.mer, Ciara et Sophie ont en

    effet dmontr que des bactriesfixatrices de lazote de lair, appe-les rhizobiums, vivant sur lesracines des lgumineuses (plantes gousses, aussi appeles faba-ces) pouvaient amliorer la ger-mination des grains et favoriserla croissance des crales. Jes-saie de convaincre mes collgueschercheurs de les inviter en France

    pour une ventuelle collaboration ,poursuit le directeur de recherchemrite de lInra, lInstitut natio-

    nal de la recherche agronomique.Quont donc rellement dcou-vert ces jeunes filles pour mri-ter cette admiration ? La base deleur rflexion remonte des mil-lnaires, les gyptiens de la finde lAntiquit ayant dj remar-qu quune rcolte de riz tait

    meilleure aprs que le champ eutservi cultiver du trfle dAlexan-drie. En Amrique centrale, lespeuples prcolombiens asso-ciaient le mas et le haricot pourobtenir de meilleurs rendements.

    Empiriquement, les agriculturesdu monde entier ont donc utilispendant des sicles cette facultdes haricots, pois, luzerne, soja pousser sans engrais tout en am-liorant la qualit des sols.Mais ce nest qu la fin duesicle que lexplication a

    Ces bactries quidopent les plantes

    Le mcanisme de symbiose bactrienne permet certaines plantes de crotre fortement etde manire naturelle. quand une agriculture sans engrais chimique ? Explications.

    Par Loc Chauveau

    t trouve : cest en sassociant des bactries spcifiques queles lgumineuses ont obtenu cesproprits tonnantes. Il y a envi-ron 60 millions dannes, lorsquecette nouvelle famille de plantesest apparue, elles se sont en effetlies des bactries capables decapter le diazote de lair que lesvgtaux ne peuvent exploiter pour le transformer en ammoniac,

    quils peuvent assimiler (voir linfo-graphie p. 63). Ces plantes ont ainsiacquis un avantage adaptatif cer-tain puisque leur croissance nestpas limite par la disponibilit ennitrate des sols. Elles disposentau contraire dun norme garde-manger : les 78 % de diazote quicomposent latmosphre terrestre.Cest pourquoi les lgumineusesforment de grosses graines carelles ont de quoi fabriquer beau-coup de protines. Dans cette

    association bnfice mutuel, laplante fournit une niche protectriceet de lnergie aux bactries qui, enchange, synthtisent de lammo-niac pour leur hte , rsume JeanDnari.Les trois lycennes irlandaises,dotes dune solide fibre scienti-

    RHIZOBIUM Bactrie vivant dans les premierscentimtres du sol, capable de fixer lazotede lair et de le transformer en ammoniac

    pour sa plante hte. Il en existe plusieursdizaines despces vivant prfrentiellementavec certaines plantes.

    AZOTE lment chimique qui compose 78 % delatmosphre terrestre. Les minraux qui contiennentprincipalement de lazote sont les nitrates. Le procd

    Haber Bosch de synthse chimique de lammoniacexige de grandes quantits dnergie obtenue partirde la combustion de gaz naturel.

    SYMBIOSE Associationentre deux organismesvivants qui retirent de leurs

    changes un bnfice mutuel.Les deux partenairessont appels symbiotes .

    SCOTTSTUP

    PI

    1 milliardde bactries

    sont prsentes dans1 gramme de sol,appartenant 1 million

    despces.

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    N 813 - Novembre 2014 - Sciences et Avenir - 61

    NATURE

    Agronomie

    lescentes : faire reculer la faim

    dans le monde et rduire lutilisa-tion des engrais chimiques .Pour leur exprience, les troisamies ont utilis une dcouvertefaite Toulouse, prcismentpar le Laboratoire des interac-tions plantes-micro-organismes(LIMP), cofond en 1981 par JeanDnari : il existe des gnes spci-fiques aussi bien chez les bactriesque chez les plantes llaborationde la symbiose. Le laboratoire adabord dvelopp des outils gn-

    tiques capables de dterminer ceszones de lADN.

    Un mini-chromosome pour

    contrler la symbiose

    Choisie pour son petit gnome,Medicago truncatula(luzerne tron-que) est devenue un modle delaboratoire ainsi que sa bact-rie associe Sinorhizobium meli-loti. Nous avons ainsi montr quechez les rhizobiums, les gnes contr-lant la symbiose sont situs sur un

    mini-chromosome spcifique, partirduquel les gnes nod qui contrlent laspcificit dhte, linfection et la for-mation des nodosits ont pu tre clo-ns et caractriss , explique JeanDnari. Puis, les quipes toulou-saines ont montr que ces gnesnod contrlent galement la syn-thse et la scrtion de signauxde reconnaissance entre plante et

    bactries, appels facteurs nod,qui sont des lipochito-oligosac-charides (LCO), des molcules

    composes de chanes de lipideset de sucres.Quont fait les jeunes Irlandaises ?Chez elles, elles ont construit desincubateurs temprature contr-le et une chambre aseptise, odes graines de bl et dorge ont tmises germer dans de petits pots.Ces pots ont t inoculs avec desextraits infimes de LCO issus dedeux bactries testsR. legumino-sarumetR. japonicum. Les cher-cheuses en herbe nont pas oubli

    de crer un groupe tmoin sansinoculation et men la culture de

    fique, ont eu lide de sintresser ce sujet trs ardu lors dune sancede jardinage. La maman dmercultivait son potager, racontent-elles aujourdhui. Elle a trouv desnodules sur les racines de ses plantsde petits pois. mer a trouv a int-ressant et les a apports notre prof

    de sciences. La simple curiositse mue alors en exprience. Les

    jeunes filles font une recherchebibliographique et remarquentque si les vertus des rhizobiumssur les lgumineuses sont biendcrites, peu dexpriences ontt menes sur leur adaptationaux crales. Lide germe : vri-fier si cela marche aussi avec le

    bl. Avec deux buts bien en phaseavec leurs proccupations dado-

    DENISB

    RINGARD/BIOSPHOTO

    Des nodules de Rhizobium leguminosarum associs des plants de petits pois. Le fait de pouvoir synthtiser delazote en abondance explique la gnrosit des lgumineuses capables de produire quantit de grosses graines.

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    NATURE

    Agronomie

    MICRO-ORGANISMES

    Lincroyable biodiversit des sols

    Plus fort que la fortquatoriale ou la GrandeBarrire de corail !Les quelques centimtresde la couche suprieure dela crote terrestre reclent

    la plus forte biodiversitde la plante. Chaquegramme de sol contient enmoyenne un milliard dindividusappartenant un milliondespces de bactries. Et cemme gramme abrite 100 000champignons microscopiques ,dtaille Lionel Ranjardchercheur lUMRagrocologie de lInrade Dijon. Dans de tellesconditions, un inventaireespce par espce est

    impossible, dautant queles bactries voluent trs

    vite, mutent et changent loccasion des zones de leur

    ADN respectif. Nous avonspar ailleurs constat que chaqueespce occupe des micro-nichesdans le sol, des cosystmes

    favorables o les individus seconcentrent, ce qui signifiequils peuvent tre absentsdans les quelques grammesde sol voisins , poursuit

    Aurlie Deveau, spcialistede la microbiologie des solsforestiers lInra de Nancy.

    Au total, la biomasse desmicro-organismes duneprairie est suprieure cellede lherbe qui y pousse etde 10 vaches qui y

    brouteraient.

    Ces caractristiquesimpliquent lutilisation

    de techniques de mta-gnomique qui permettentde mesurer le nombredespces et leur abondance.LInra de Dijon a pu ainsidfinir les diffrences entre

    les sols forestiers, agricoleset de prairies. Quelquesenseignements en ontmerg. Ainsi, plus un terrainest alcalin, plus la biodiversitdes sols est importante. Lessols sableux sont pauvresen micro-organismes, aucontraire des terres argilo-limoneuses. LInra de Dijon adcoup lHexagone, la Corseet les dpartements doutre-mer en 2200 carrs de 16 kmde ct, o ont t prlevs

    et analyss des chantillonsde sol. Les rsultats,

    publis en 2013 dans NatureCommunications, montrentune biodiversit inversede celle des grands animaux.Plus homognes et peuperturbs, les sols forestiers

    favorisent la stabilit despopulations, tandis que lesperturbations apportespar les labours accroissentles diffrences entrecosystmes et favorisentlmergence dun plusgrand nombre despces.Opportuniste toujours,pathogne parfois, le plussouvent symbiotiques etutiles : les micro-organismesdu sol pourraient biense rvler lavenir comme

    des auxiliaires prcieuxde lhomme.

    deux groupes de plantes, lun

    petite chelle sous serre, lautredans le jardin de la maman dmeren plein air dans des bacs.En onze mois, les jeunes Irlan-daises ont men 125 expriencessur 9500 exemplaires de grainesdemandant 120 000 mesuresmanuelles. Elles ont ainsi notune augmentation de la vitesse degermination des graines de 40 %tandis que lorge inocule pr-sente une production majore de70 % de matire sche. Ces rsul-

    tats montrent un potentiel significa-tif daugmentation des rendementsdes cultures et une diminution despertes dues de mauvaises condi-tions mto , concluent, enthou-siastes, les laurates. Mais sansdoute un peu vite Car, si lini-tiative est remarquable, les rsul-tats, eux, doivent tre temprs. Nous constatons presque tou-

    jours que les rsultats en conditionde laboratoire ne se confirmentpas en pleine nature , prvient

    Guillaume Bcard, directeur

    du Laboratoire de

    recherche en sciencesvgtales (LRSV) deluniversit Paul-Saba-

    tier de Toulouse. Il fau-drait donc pouvoir mener de

    longs essais en conditions rellespour sen assurer. En outre, leschercheurs doutent que les deuxsouches bactriennes choisiespuissent sadapter aux sols agri-coles des pays pauvres que ciblentles jeunes filles.Si les laboratoires toulousains ne

    se sont pas lancs dans ce genredexprimentations, cest quilssont accapars par une autre piste,trs prometteuse, ouverte Tou-louse : lutilisation des symbiosesmycorhiziennes. Datant dil y aau moins 400 millions dannes,lassociation plante/champignonaurait permis rien de moins queladaptation des plantes aquatiquessur Terre (lire notre hors-srie n 179,octobre 2014). 330 340 millionsdannes plus tard, les bactries

    auraient pioch dans la mme

    Plants de petits pois et, grossis, leurs nodules. La couleur desnodules est due la prsence dhmoglobine, dont la fonction

    est mal connue mais semble ncessaire la fixation dazote.

    PHOTOS:PLAINPICTURE-BURGESS/SPL/COSMOS

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    Rhizobium

    PIDERMEde la racine

    CORTEXde la racine

    Poil racinaireabsorbant

    Boucleracinaire

    Rhizobium pig

    Foyerinfectieux

    Croissancedu cordondinfection

    BactrodeZone active de fixation

    du diazote

    Nodule

    Ramificationdu cordon

    dans les cellulesdu cortex

    Rhizobiuminfecte les cellules

    du cortex

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    NATURE

    Agronomie

    bote outils molculairespour raliser leur propre sym-biose avec les lgumineuses. Ainsi,ce sont les trois mmes gnes de laplante qui sont requis pour la sym-

    biose avec les bactries, commeavec les champignons. Et les rlessont complmentaires puisqueles bactries captent surtout dunitrate et les champignons du

    phosphore. Du coup, la commu-naut des chercheurs sur les bact-ries et celle sur les champignons, quine se parlaient pas, se sont mises collaborer , samuse GuillaumeBcard. Les scientifiques ont uneide simple en tte. Puisque 90 %des plantes terrestres lgumineusescomprises sont mycorhizes etont donc des gnes de reconnaissancedes LCO, il devrait tre plus facilede leur faire accepter une symbiosebactrienne , conclut Guillaume

    Bcard. Cest sur cette ide quat form en 2012, et pour cinq

    ans, le programme scientifiqueEngineering Nitrogen Symbiosisfor Africa (ENSA), financ par lafondation Bill et Melinda Gates.Le pool, compos de laboratoiresbritanniques, danois, amricainset franais, cherche les cls gn-tiques pour autoriser une sym-biose bactrienne sur le mas.Lambition est damliorer les ren-

    dements des paysans africains sansquils aient besoin dacheter desengrais chimiques, inabordablespour eux. Le rve des trois Irlan-daises est donc dj en marche,mais il emprunte une autre voieque la leurDe mme, certains se sont doreset dj lancs dans lutilisationindustrielle des bactries enagriculture. Dans la banlieue deToulouse, la socit Agrinutri-tion propose ainsi depuis 2012

    aux agriculteurs densemen-cer leurs sols de bactries fixa-

    trices dazote. Nous proposons

    ce que nous appelons la biodyna-misation azote des lots agricoles(BAIA), dtaille Cdric Cabanes,son PDG. Les agriculteurs nousenvoient un chantillon de leur solafin que nos chercheurs dterminentles populations bactriennes. Nousles multiplions et les renvoyons lexploitation pour quelles soientpandues sur les terres.

    Les multinationales attires

    par ce nouveau march

    Lan dernier, 5000 hectares ontainsi t traits. Le dbut esttimide mais les ambitions trsgrandes. Agrinutrition revendiqueun apport naturel de 20 50 kilosde nitrate par hectare, soit jusquun tiers de la fertilisation azoteannuelle et une hausse de produc-tion de 2,5 quintaux par hectare.Cest une tout autre chelle quese situe Novozymes, multinatio-nale danoise employant plus de6000 salaris dans le monde.

    Novozymes dveloppe depuisles annes 2000 des inoculatsenrichis en LCO pour acclrer

    la formation de nodosits dans lesgrandes cultures de lgumineusescomme le soja. Sur le soja, cesextraits pandus quelques diximesde milligramme par hectare permet-tent de se passer presque entirementdengrais chimique , tmoigneJean Dnari, qui a assist auxpremires expriences dans leWisconsin (tats-Unis).

    Novozymes vient de signer unaccord de partenariat 300 mil-

    lions de dollars (236 millions deu-ros) avec une autre multinationaleattire par un march de 2,3 mil-liards de dollars par an et avec unfort taux de croissance : Monsanto.Le gant amricain, spcialistedes biotechnologies agricoles etnotamment des trs contestsOGM, tente ainsi de mettre unpied dans ce secteur davenir.On se demande ce que peuvent

    bien en penser nos trois jeunesIrlandaises

    1,7 millionde tonnesdengrais

    chimiques ont tpandus en France en

    2011, soit 74 %des engrais utiliss

    cette anne-l.1 million de

    tonnesLa production

    de pois, luzerne etautres lgumineuses

    en France (2011).

    52 83 %des gaz effet

    de serreproduitspar

    lagriculturesont dusaux engrais azots.

    MICROBIOLOGIE

    Comment stablit la symbiose bactrienne

    Sur les racines des plantes, les bactries

    (rhizobiums), transforment un poil racinaire

    ( gauche) en nodule ( droite) fixateur dazote.

    par un mcanisme complexe dinfection . Au

    contact du poil racinaire, les bactries mettent

    un message chimique (facteur nod) qui avertit

    la plante de leur prsence et les autorise

    pntrer ses cellules. Le poil senroule et forme

    une boucle do un cordon dinfection part

    jusquau cortex de la racine o il se ramifie. Il

    y stimule les divisions cellulaires, ce qui induit

    la formation dun nodule au sein duquel se

    glissent les rhizobiums qui se sont galement

    multiplis. Devenus des bactrodes (sans

    fonction de reproduction, ce qui stoppe le

    gonflement du nodule), leur seule fonction

    est alors de transformer lazote de lair (N2ou

    diazote) en ammoniac (NH3), ce qui aide la

    plante pousser. Cette opration est cependant

    trs coteuse pour elle, puisquelle reprsente

    environ 30 % de sa production dnergie par

    photosynthse.

    BETTYLAFON