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    ROMAINGUILLOUX -PSYCHOLOGUE

    UNCERVEAU,COMMENTAMARCHE?(XVIII)

    MAIS FAIS DONC ATTENTION !

    La phrase qui tue ! Toutes les personnes qui souffrent ou ont souffert de quelquetrouble dys que ce soit lont entendue plus que de raison. Et cest peut-tre laphrase qui fait le plus mal, parce que justement elles s'efforcent de faire attention,elles font mme tellement attention que cela puise leur nergie et que, du coup,elles font encore plus derreurs ! Simplement, les mcanismes qui permettent de"faire attention" sont souvent soit surchargs, soit en difficult. Il est donc tempsde nous interroger sur ce que cest vraiment, cette fameuse attention .

    Dabord, lattention fait rfrence une autre fonction importante : la conscience.On peut dire que dune certaine manire, notre conscience se comporte un peucomme un projecteur qui mettrait en lumire une partie prcise, mais limite denotre environnement, pour le traiter comme il se doit. Ce qui veut dire aussiquelle en laisse une autre partie dans lombre et mme qu'elle en rejette unepartie dans l'ombre ! Et nous allons voir que cest au fond le problme essentiel denotre attention : mettre en lumire ce sur quoi il est ncessaire de porter toutes noscapacits de traitement, mais aussi dcider ce quil faut laisser dans lombre, au

    moins temporairement, parce que a parasiterait le traitement principal.

    Et cest pas tout, encore faut-il quune partie de ce qui est laiss dans lombre restefacilement accessible, parce quon peut en avoir besoin. Il faut le garder en quelquesorte en arrire-plan.

    On ne sait pas trs bien en quoi consiste la conscience. On commence connatreles structures crbrales qui sont indispensables pour que nous soyons conscients,mais la nature mme de la conscience, ce qui dune certaine manire est constitutifde lhumain, cela recle encore bien des mystres. Et je serais dailleurs tent de dire tant mieux .

    Par contre les mcanismes de lattention, ce qui en quelque sorte dirige laconscience, on commence les connatre relativement bien. Cest en fait unensemble de systmes assez complexes, et qui pour une bonne part chappent notre volont.

    TOUT DABORD, POUR POUVOIR ETRE ATTENTIF, IL FAUT ETRE EVEILLE !

    Et chacun sait quon peut tre plus ou moins bien rveill Ce niveau dveil, enquelque sorte, cest le premier des mcanismes de lattention, lavigilance. Alors,

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    comment a marche, ce truc l ? On la dj plus ou moins abord dans un chapitreprcdent (chapitre 2, page 18) lorsquon a parl de la formation rticule. Je vousavais parl d'un "systme espion" qui n'analyse pas ce qui se passe, mais prvientqu'il se passe quelque chose. Attardons-nous un peu sur le fonctionnement de ce

    systme espion.Prenez un chat qui dort. Claquez des doigts. Il se rveille, constate qu'il ne se passerien d'intressant, et se rendort. Recommencez l'exprience un peu plus tard. Ilouvre un il, dresse une oreille, et replonge. Au bout de quelques expriences, leclaquement de doigts ne lui fait mme plus bouger la pointe de l'oreille. Il s'esthabitu ce signal, et son systme de contrle de la vigilance l'ignore totalement.Par contre un autre bruit un peu diffrent le fera ragir.Le claquement de doigts produit un bruit caractristique, qui laisse une empreinteprcise (vous vous souvenez, mes fameux "filets de capture") dans sa mmoire. Aubout de quelques expriences, on pense que les structures suprieures de son

    cerveau, celles qui analysent la rponse qu'on doit faire tel ou tel bruit, ont envoy la formation rticule le message: pas la peine de me rveiller pour a . Et dsque la signature du claquement de doigt est reconnue, la rticule inhibe l'envoid'un message d'alerte. Si au lieu du claquement de doigts, le chat avait entendu lecouinement d'une souris, il y a fort parier que sa raction aurait t fort diffrente,et qu'il aurait t sur le pied de guerre dans les secondes qui suivent. Donc, mmes'il n'analyse pas le contenu du signal, le systme de rglage de la vigilance reconnatla signature de certains signaux pertinents et non pertinents, et adapte de faonquasi automatique sa rponse cette pertinence.

    Mais comme rien n'est simple en ce bas monde, si le chat est ce jour l d'humeurbadine, et que vous avez l'habitude de jouer avec lui, il pourra fort bien interprtervotre claquement de doigts comme une invitation jouer, et sa raction alors serafort diffrente.Remarquons au passage que, sans doute, on ne claque pas deux fois exactementpareil des doigts (et sans doute une souris ne couine pas deux fois de manireexactement semblable). Pourtant la signature qu'en retiendra le systme de

    vigilance sera unique pour cette catgorie de bruits. Retenez bien cetteremarque, elle va prendre de l'importance par la suite. Cette notion de signature de signaux est fondamentale pour comprendre le fonctionnement attentionnel. Un

    peu comme si le "filet de capture" dont nous avons dj beaucoup parl avait unetiquette, une signature qui fait que notre organisateur central va dcider de l'activerou non.

    Mme si c'est un peu plus compliqu chez nous que chez le chat, en particulierdans notre manire de ragir un signal quelconque, notre systme nerveux demammifre a gard ce mcanisme d'habituation qui classe comme non pertinent unsignal rpt lorsque ce signal n'a pas d'importance vitale. Les tches monotones etrptes entranent donc une baisse de la vigilance, et ceci partir de bases

    neurologiques bien tablies. Et c'est bien la capacit de notre cerveau treoprationnel qui s'en trouve affecte. Dans l'histoire notre volont n'a aucune part.

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    Ou plutt, la seule part que peut avoir notre volont est de neutraliser ce systmede baisse automatique de la vigilance, en se forant rester attentif et cela aun cot en terme d'nergie attentionnelle. Ce mcanisme de la vigilance avidemment pour fonction principale d'conomiser la ressource attentionnelle.

    Mais il peut avoir des effets pervers : la monotonie d'une tche, nous l'avons vuavec l'exemple du chat, peut faire baisser la vigilance. Cela peut avoir desconsquences catastrophiques pour un conducteur routier par exemple, sur uneautoroute au paysage monotone, avec des alternances de bandes latralesrgulirement espaces, le retour priodique des bornes kilomtriques, etc J'ai lesouvenir d'une jeune fille handicape, dans l'tablissement o je travaillais, que nousavions emmene prendre le train pour la premire fois de sa vie (elle devait avoir 11ou 12 ans cette poque). Elle s'en faisait une fte, se promettant de ne pas perdreune miette du voyage. Au bout de 3 kms, elle sombrait malgr une lutte acharne

    dans un profond sommeil dont elle ne s'est rveill qu'arrive au terminus! Savigilance n'avait pas rsist au roulement rgulier du train. Sa dception l'arrivetait grande !

    A l'inverse, si la rticule ascendante n'est pas freine, elle envoie des signaux pourtout un tas de choses non pertinentes, et l'enfant (ou l'adulte) ne parvient pas conomiser sa ressource attentionnelle, qu'il dilapide rapidement en portant sonattention sur des choses tout fait sans rapport avec la tche en cours.

    Sans oublier que les stratgies de lutte contre la perte de vigilance peuvent elles-mmes avoir des effets pervers. Lorsque vous devez effectuer un voyage monotonesur une autoroute peu encombre, seul au volant, vous avez recours diversesstratgies pour ne pas risquer l'endormissement : mettre la radio, vous intresser aupaysage, compter le nombre de rapaces perchs sur les poteaux de clture del'autoroute, faire de savants calculs de moyenne que sais-je. Mais attention ! Si vousvous laissez trop absorber par ces tches, de ne pas rater la bretelle que vous deviezprendre pour sortir, ou pire, d'emboutir la voiture devant qui se trane une allureinusite sur une autoroute !

    Mais certains lves qui ont des difficults maintenir leur vigilance peuvent aussirecourir, sans s'en rendre compte, de telles stratgies, en portant attention toutce qui les entoure, mme (surtout) aux dtails les moins pertinents avec la tche encours. Ils rejoignent alors, dans leur comportement, les lves dont le systmeinhibiteur fonctionne mal, et se montrent aussi agits, dissips, mais pour uneraison inverse : parce que cela leur permet de se tenir "veills". Et quand, sous lamenace d'une punition, par exemple, ils se tiennent tranquilles , leur esprit netarde pas s'embrumer, et ils perdent leur vigilance.

    Comme vous pouvez le voir, cette affaire de rglage de la vigilance, qui est enquelque sorte le degr d'veil de base, est dj une affaire assez complique.

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    On sait par ailleurs que ce degr de vigilance est sous l'influence d'une multitude defacteurs : il varie selon des cycles (heures de la journe, priodes de la vie, etc)et est influenc par diffrentes substances (alcool, caf, etc).

    LA RESSOURCE ATTENTIONNELLE

    Qu'est-ce que c'est au juste ce truc-l ? Intuitivement, on sait bien que nos capacitsd'attention sont limites, et qu' certains moments, elles sont puises. Maismalheureusement, on ne dispose pas actuellement d'un modle dfinitif (si tant estqu'un modle dfinitif puisse jamais exister en quelque domaine que ce soit !) pourdcrire le fonctionnement de cette ressource1. Pourtant, c'est un point central, carles mcanismes que nous allons aborder par la suite (attention soutenue, focalise,partage, etc) sont tous dpendants de la ressource disponible. Un des grosproblmes qui se posent concrtement aux psychologues cliniciens est l'absence

    d'une mthode permettant de mesurer tant la ressource disponible un momentdonn chez une personne prcise que la quantit de ressource attentionnellencessite par telle ou telle tche.

    Mais je veux l insister fortement sur deux points qui me tiennent cur :1. La mme tche exige pour la mme personne une quantit de ressources

    diffrentes selon qu'elle utilise plus ou moins de processus automatiss.J'ai pas mal insist au cours des chapitres prcdents sur ces notionsd'automatisation, et je vous invite en particulier relire ce que j'ai crit sur les

    scripts et les schmas au chapitre 12 en particulier. Pour vous en convaincre,rappelez-vous vos premires leons de conduite, lorsque rien n'tait encoreautomatis !

    2. L'automatisation mme des tches se fait selon des styles et desprocessus diffrents pour chaque personne, et en consquence lesprocessus automatiss n'conomisent pas la ressource attentionnelle dela mme faon. Qu'est-ce que cela veut dire concrtement ? Eh bien toutsimplement que lorsque votre mode de fonctionnement est diffrent du modede fonctionnement "standard", vous parviendrez vous construire desprocessus automatiques pour traiter les mmes tches, mais outre que cela vous

    prendra plus de temps d'apprentissage, les automatismes mis en place pourrontrester plus gourmands en nergie attentionnelle. Et lorsqu'une personne dys parvient trouver ses compensations pour traiter les tches danslesquelles elle est en difficult, ces compensations peuvent s'avrer trs efficacesen elles-mmes, mais leur fonctionnement grve la ressource attentionnelle.Contrairement ce qu'on pense souvent, cela ne se traduira pas forcment parune lenteur d'excution, mais par une limitation dans le traitement des tchesncessitant la mise en uvre de l'attention divise (voir ci-dessous) c'est direla plupart des tches de la vie courante, et singulirement celles qui concernent

    1 Pour une description des diffrents modles de la ressource, voir J.F. Camus, La psychologie cognitive de l'attentionArmand Colin 1996, Chapitre 4, pp. 59 61.

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    les apprentissages scolaires. Cela implique que, par exemple, un dyslexique bienpris en charge, et qui est parvenu automatiser correctement les tches delecture, pourra ne plus tre dyslexique selon les tests, mais souffrir encoretrs srieusement des limites attentionnelles que les compensations mises en

    place, adaptes et efficaces par ailleurs, entraneront. Ce point doitabsolument tre pris en considration par les instances qui dcident desaides et amnagements apporter aux lves en difficult. Etmalheureusement, encore une fois, on ne dispose pas actuellement -dumoins ma connaissance - d'outils pour mesurer l'tendue de ce

    problme.

    LES MECANISMES DE L'ATTENTION

    Bon, aprs ces hors d'uvres, allons voir d'un peu plus prs comment tout cela

    fonctionne. Mais pour vous mettre dans le bain, je vous propose une petiteexprience: allez sur le site suivant, vous trouverez une petite vido. Deux quipesd'tudiants, les noirs et les blancs, se font des passes de ballon. Dmarrez la vido,comptez prcisment le nombre de passes que se font les blancs, et gardezsoigneusement ce nombre en mmoire pour la suite. (l'exprience ne peutfonctionner que si vous regardez la vido avant de lire la suite de cet article).http://viscog.beckman.uiuc.edu/grafs/demos/15.html

    Le problme qui se pose continuellement notre esprit est assez simple au fond :

    on n'a pas la capacit de tout traiter, il faut donc focaliser nos capacits detraitement sur les lments les plus pertinents de la situation dans laquelle on estplongs. Et rejeter tous les lments non pertinents. Mais en mme temps, il fautaussi, prendre en compte les lments de l'environnement qui peuvent soit apporterdes lments intressants au traitement de la tche en cours, soit donner desinformations plus vitales sur notre scurit. Il est vident que si vous tes en trainde faire un problme de mathmatiques et qu'un tremblement de terre survient,l'information danger vous fera vite abandonner la beaut des mathmatiquespour la recherche d'une solution de scurit !!!

    Donc, le dilemme que doit rsoudre en permanence notre esprit se situe entre : focaliser l'attention sur un lment limit et prcis de son activit, pour pouvoir

    le traiter correctement,

    tout en laissant juste assez pntrer les lments trangers ce point central dela tche pour pouvoir les prendre en compte si ncessaire, soit qu'ils apportentdes lments complmentaires pour la tche en cours, soit qu'ils donnent desinformations vitales pouvant tre prioritaires sur la tche en cours.

    Au fait, avez-vous pu compter le nombre de passes des "blancs" dans la petite

    vido ci-dessus ? Oui ? Trs bien, maintenant, peu m'importe le nombre que vousavez trouv, ma question est : avez-vous vu le gorille ? Sinon, retournez voir cette

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    vido, sans plus vous occuper du nombre de passes des personnages Vous serezsurpris ! La plupart des gens qui n'ont pas de problmes attentionnels particulier nevoient pas le gorille lors qu'ils centrent leur attention sur le nombre de passes. Jeme souviens, la premire fois que j'ai vu cette vido, c'tant dans un congrs voici

    quelques annes, et elle tait prsente par le regrett J.F. Camus. Sur tout l'amphi,seules une ou deux personnes avaient vu le gorille ! Pour ma part, je me souviensavoir simplement eu l'impression que quelque chose me gnait un momentlorsque je m'efforais de compter les passes. Parmi ceux qui voient le gorille, il y aceux qui du coup ont perdu le fil , et ne sont pas parvenus compter les passes,et ceux, rares, qui ont pu maintenir la consigne tout en remarquant cet pisode.Une autre vido, pas mal non plus, que vous pouvez aller consulter sur :http://pontt.over-blog.org/article-10447221.htmlpermet galement de mesurer la puissance des mcanismes de l'attention focalise.

    Maintenant que nous avons en quelque sorte pos le problme, voyons un peu lesdiffrentes composantes et les diffrents mcanismes en jeu.

    LES COMPOSANTES DE L'ATTENTION :

    On parle gnralement d'intensit et de slectivit.

    Intensit

    Donc, une des premires conditions de l'attention, c'est d'tre vigilant. C'est--direen tat d'veil de base suffisant. Nous venons d'en parler, je n'y reviens pas.Il faut aussi tre capable de mobiliser nos ressources attentionnelles dans unprocessus d'attention soutenue. L'attention soutenue est en charge de maintenirun niveau d'intensit attentionnel suffisant pour la ralisation des tches en cours.Et de grer cette fameuse ressource dont on sait surtout qu'elle est limite. En fait,je parle de la ressource, mais dans beaucoup de modles thoriques, il y auraitplusieurs types de ressource, qui seraient lis aux modalits d'entre (visuelle,auditive, etc), aux types d'encodage (spatial, verbal), aux phases de traitement(encodage, traitement central, organisation de la rponse), au type de rponse

    (motrice, verbale) Et ce qui, d'aprs ces modles, poserait le plus problme, c'estl'interfrence entre ces types de ressources plutt que l'puisement d'une ressourceunique. Ces modles restent trs thoriques et trs discuts. Mais quand on saitcombien les stratgies de contournement mise en place par toutes les personnes dys s'appuient gnralement sur des croisements de toutes ces modalits encause, on mesure quel point ces stratgies psent sur la gestion des ressources,donc de l'attention soutenue. Et aussi, nous le verrons plus loin, l'attention diviseet la gestion des tches multiples2.

    2 Pour plus de prcisions sur ces modles, on peut consulter avec profit Camus (voir la note 1 de ce chapitre) ouThomas et Willems, troubles de l'attention, impulsivit et hyperactivit chez l'enfant, Masson, 1999 - 2001, pp. 40 et suivantes.

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    Mais l'attention soutenue doit tre aussi taye par deux sortes d'lments :

    Ce qui se passe dans l'environnement, et qui a un rapport avec la tche en cours.Par exemple, vous tes en train de peiner sur un devoir, et le matre inscrit autableau un lment qui peut vous aider. Il faut le prendre en compte. Mais pour

    cela, il faut qu'un systme ait prvenu : "attention, il se passe quelque chose autableau", et qu'un autre systme ait jug trs rapidement de l'intrt ou non decet lment pour le prendre en compte ou au contraire l'vacuer. C'est ce qu'onappelle "l'alerte phasique".

    Et puis un tat d'alerte interne, en quelque sorte, qui va permettre de mainteniren tat de fonctionnement optimal de toutes nos fonctions cognitives enrapport avec la tche en cours. Cette alerte, on l'appelle alerte tonique . C'estelle qui permet de maintenir l'attention soutenue en bon tat defonctionnement.

    Bon, pour mieux comprendre, imaginez que vous tes dans une pice sombre, avecun certain nombre de tches effectuer.Vous disposez de deux lampes : l'une ne s'allume que quand il se passe quelquechose de nouveau et s'teint tout de suite. Elle claire toute la pice pendant untemps trs court o il vous faut prendre une dcision puis elle s'teint.L'autre lampe s'allume le temps que vous voulez mais a trois autrescaractristiques plus ennuyeuses :

    elle n'a qu'un pinceau trs fin et n'claire qu'une toute petite partie de la scne(celle que vous voulez utiliser).

    Elle puise rapidement son nergie, et il faut de temps en temps donner un tourde manivelle pour qu'elle continue d'clairer

    Quand on veut dplacer le pinceau lumineux sur un autre objet, il faut teindrela lampe et la rallumer.

    L'attention soutenue, c'est en fait la capacit de notre systme cognitif (entre autres,l'administrateur central de la mmoire de travail) fournir la ressourceattentionnelle suffisante pour l'excution de la tche. Elle est donc videmment unecondition sine qua non pour qu'une tche puisse tre mene bien. Mais pas la

    seule.

    Slectivit:

    Mme l'intrieur du pinceau attentionnel de l'veil tonique, il y a des lmentsqui sont pertinents pour la tche en cours, et d'autres qui ne le sont pas. Lacomposante slectivit va avoir pour tche de slectionner et mettreparticulirement en lumire les lments pertinents. Elle ne peut fonctionner que sielle dispose de la ressource attentionnelle suffisante, et elle en est grosseconsommatrice.L'attention focalise donc doit grer les processus d'engagement etd'inhibitionpour mener bien la tche en cours. Elle s'appuie sur des processus

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    cognitifs, et suppose que les lments ncessaires soient maintenus dans lammoire de travail.

    Qu'est-ce qui est prioritaire dans la scne en cours ? Sur quoi faut-il engager en

    priorit nos capacits en ressource cognitive pour ne pas les gaspiller (car elles sontextrmement limites par rapport la somme de sollicitations qui nous assaillent enmme temps dans les conditions les plus banales) ? Telles sont les principalesquestions auxquelles notre attention slective doit rpondre en permanence, et trsrapidement.Et elle doit rajuster ses choix en permanence lors de l'avancement de la tche encours, y compris en effaant des donnes primes qui risqueraient d'encombrer lammoire de travail.Et puis, vous vous souvenez, dans le chapitre 3 Es-tu maladroit , nous parlionsdes fonctions excutives, qui organisent nos squences de gestes. L'attention

    focalise est en prise directe avec ces problmes, en particulier pour ce quiconcerne la prise d'informations visuelles.Et dernire tche impartie l'attention focalise, la gestion du dplacement dupinceau attentionnel.

    a en fait du boulot, tout a ! Et le fonctionnement de ce module de notreattention, c'est un peu un iceberg: en arrive notre conscience une toute petitepartie, celle qui ncessite des prises de dcisions complexes. L'essentiel fonctionnetout fait en dehors de notre conscience. Ce qui explique par exemple que, dans la

    vido prcdente, on ait compltement ignor le gorille. Sans doute notre attentionfocalise en a eu connaissance, juste le temps de le dcrter non pertinent , maiselle a dclench le mcanisme d'inhibition sans que l'on ait la moindre ideconsciente du droulement de ce processus.

    J'insiste sur ce point : les difficults attentionnelles sont tellement peucontrlables par notre conscience que les personnes qui en souffrent ressentent demanire trs douloureuse leur impuissance mieux faire attention et l'injusticedu reproche qui leur est fait, alors qu'elles mettent toute leur nergie faire de leurmieux. Mais continuons.

    J'ai parl tout l'heure de deux processus d'engagement et d'inhibition. Voyons-lesde plus prs.

    L'engagement, c'est la dcision de porter le pinceau attentionnel sur telle outelle partie de la scne traiter et de l'allumer. On a vu en effet tout de suite quece pinceau ne se dplace qu'teint. Ce processus d'engagement est donc uneopration trs importante, mais aussi trs complexe et qui peut tre mise en prilpar des grains de sables que l'on n'imagine pas.

    Mais, sans doute encore plus importante, l'inhibition est la vritable chevilleouvrire du fonctionnement attentionnel. En effet, vous vous souvenez de la

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    premire lampe, celle de l'veil phasique , elle se dclenche ds qu'il se passequelque chose dans l'environnement, et claire toute la scne, en particulier donc cequi vient de se passer d'une lumire vive, mais courte ( un feu de paille , disait J.F.Camus). Si chaque fois que quelque chose de nouveau intervient le pinceau

    attentionnel se dplace, aucun traitement suivi ne peut plus se faire.

    Mais on n'est pas au bout de nos peines en ce qui concerne l'attention. En effet, ilest bien rare qu'on ait traiter une seule tche la fois. Dans la vie courante,comme dans les acquisitions scolaires, le fonctionnement en tches multiples estplutt la rgle que l'exception. Par exemple, conduire en parlant avec quelqu'un,tlphoner et prendre des notes, mais aussi grer les diffrentes squences detraitement des donnes d'un problme de maths, ou traiter en mme temps dansune traduction, en dbut d'apprentissage d'une langue trangre, la recherche devocabulaire et l'application des rgles de grammaire.

    Cette attention rpartie sur plusieurs tches est encore mal comprise, et les modlesthoriques ne sont pas compltement satisfaisants. Mais la question laquelle sesont attaqus la plupart de ces modles est de savoir comment pouvait se faire lagestion de la ressource attentionnelle (toujours elle !).Les modles actuellement les plus convaincants supposent que les tches effectuer sont rparties sur diffrents plans, qui sont appels occuper le devantde la scne selon les besoins. Par exemple, je discute avec mon voisin (ma voisine)tout en conduisant. La conduite soutenue par les processus automatiss occupe peude ressource attentionnelle, et je peux disserter tant que je veux. La conversation est

    en avant-plan, et la conduite en arrire-plan. Mais que survienne un carrefour que jene connais pas bien, la conduite et la recherche de la bonne direction viennent enavant-plan. De mme, je dois traduire une phrase en anglais ou en allemand, larecherche du mot juste vient en avant-plan, puis passe l'arrire-plan le temps quej'examine les accords lui infliger, et le placement correct lui assigner dans laphrase.La ressource serait partage en temps normal selon une rgle grossirement de 2/3- 1/3 : les deux tiers de la ressource la tche d'avant-plan, et le tiers restant latche d'arrire-plan. Mais si pour une raison indtermine la tche d'avant-planncessite une affectation de la quasi-totalit de la ressource, la tche en arrire-plan

    risque de ne pas pouvoir maintenir son activation. Ce modle a t utilis entreautres pour analyser la dangerosit du tlphone portable en voiture. Et ce serait undes cas o l'attribution d'une ressource suprieure aux 33% rglementairesinterviendrait, perturbant alors le bon maintien de la tche en arrire-plan (enl'occurrence la conduite). La dtection des stimuli traiter en priorit se fait alorstrs mal, et en matire de conduite automobile, c'est vraiment trs grave. D'autantqu'il y a lors du passage d'une tche l'autre un petit temps rfractaire , un dlaide quelques millisecondes pour passer d'une tche l'autre. En voiture, cesmillisecondes peuvent avoir des consquences graves.

    Maintenant qu'on a fait une revue des diffrents processus en jeu, voyons un peuquelles consquences il faut en tirer.

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    Comme d'habitude, les mcanismes que l'on a dcrits reposent sur unecollaboration de diffrentes structures crbrales : on a vu le rle de la formationrticule dans l'veil et la vigilance, l'veil phasique s'appuie sur les structurespostrieures du cerveau (lobe postro-parital l o sont situes en particulier les

    zones de traitement des signaux visuels et auditifs, colliculus suprieur dont nousavons dj parl dans la prise d'information visuelle, en particulier concernant le plan de la scne visuelle). L'veil tonique, et les mcanismes de l'inhibition, dontnous avons vu combien ils taient importants, mettent en jeu plutt les structuresantrieures du cerveau (lobes frontaux, cortex pr-frontal, impliqu aussi dans laconstruction du geste, etc). Je n'insiste pas trop sur les localisations, dont lacomplexit dpasse le cadre de ce travail. Ce qu'il faut surtout avoir bien prsent l'esprit, c'est que l'attention reprsente un EQUILIBRE entre toutes ces structures, etque ces structures sont branches en quelque sorte en parallle avec celles quitraitent les informations venues de nos organes des sens, et celles qui nous

    prparent l'action. Et c'est cet quilibre que des grains de sables peuvent venirperturber.

    Si la VIGILANCE est en dfaut, la personne risque de louper des informationsindispensables pour le bon droulement des tches auxquelles elle est confronte.C'est ce qui nous arrive lorsque nous sommes fatigus, ou lorsque nous conduisonslongtemps sur une autoroute monotone par exemple. C'est ce qui peut arriver aussiparadoxalement un lve qui a dcroch par rapport ce que dit le matre, etqui renonant y comprendre quelque chose, se contente de laisser la classe se

    drouler sans lui ! La voix du matre a alors le mme effet soporifique qu'unemusique monotone, et mme lorsque le matre s'efforce de donner des indicespermettant tous de mobiliser au mieux leurs connaissances, il les rate et s'enferredans son dcrochage . Mais sans aller jusque-l, nous avons tous un "seuil" destimulation en dessous duquel les informations ne "rveillent" plus notresystme cognitif. Et ce seul est variable

    Selon les individus (et leurs "grains de sables") Selon l'tat de sant de l'individu Mais aussi selon ses tats passagers de fatigue ou de "forme", les moments de la

    journe et les cycles circadiens (jour-nuit), ultradiens (les diffrents cyclesauxquels rpond notre organisme au cours de la journe).

    Si L'EVEIL PHASIQUE est troubl, ce sont les vnements pertinents qui surviennentdans l'environnement qui ne seront pas pris en compte. Au nombre de ceslments pertinents, il peut y avoir les remarques du matre, pour un lve, oudiffrents indices donns ici ou l par la situation. C'est--dire que la personne quien souffre, et qui sera partie sur le traitement d'un lment de la situation, seraenglue dans ce traitement, et si les donnes de la situation changent, elle ne saurapas remettre jour le traitement en cours. Elle semblera un peu borne dans son

    raisonnement, incapable de souplesse et de flexibilit. Elle sera victime non de

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    manque d'attention, mais d'une sur attention qui bloque ses capacits adapterson raisonnement.

    Si L'EVEIL TONIQUE est en difficult, ce sera la capacit de maintenir son attention

    oprante sur une tche donne qui posera problme et la personne qui ensouffre perdra le fil de ce qui se passe, bien malgr elle, et la souffrance qu'elleressentira de cet tat de fait s'ajouteront les remarques dsobligeantes de sonentourage.

    Mais si c'est L'ATTENTION FOCALISEE qui ne fonctionne pas correctement, il y a debonnes chances que ce soit la composante inhibition du systme attentionnel quisoit en difficult. C'est ce qui se passe souvent dans l'hyperactivit. C'est alors unesorte d'incapacit ignorer les stimulations de l'veil tonique, et la personne ne peuts'empcher de rpondre toutes les stimulations de l'entourage. Du coup, son

    attention fluctue continuellement, zappant sans cesse d'une stimulation l'autre.Toute activit suivie en devient impossible, du moins trs difficile. Pouss auparoxysme, la personne verrait le singe, dans la vido du dbut, mais ne pourraitpeut-tre mme pas le mentionner si on lui demande de raconter la scne, parceque sitt remarqu le singe, son attention aura t attire par une passe des noirs,ou une autre passe des blancs

    Pour ce qui concerne L'ATTENTION DIVISEE, (fonctionnement en tches multiples),elle est trs dpendante, nous l'avons vu, de la ressource attentionnelle. Tout

    d'abord, elle ne peut pas fonctionner si la composante inhibition est en dfaut.Dans ce cas, la ressource s'parpille sur les diffrents stimuli objets des zappingssuccessifs. Mais si une des tches est particulirement gourmande en nergie, ellepeut monopoliser toute la ressource, et la rcupration de la tche en arrire plandevient trs difficile. C'est en particulier ce qui peut se passer lorsqu'un dys estengag sur une tche qui rclame la mise en uvre de compensations tropgourmandes en ressource. C'est une des raisons pour lesquelles les dys (mmeaprs rducation) ont souvent des difficults attentionnelles, mme si ce n'est pasforcment un dficit de leurs fonctions attentionnelles.

    Remarquons aussi que la gestion de tches multiples est sous la dpendance dessystmes attentionnels, mais galement de la mmoire de travail. Et il est souventtrs difficile de dmler lorsqu'il y a des problmes cognitifs, ce qui provient deproblmes purement mnsiques, ou de problmes attentionnels. D'ailleurs, lefameux organisateur central de la mmoire de travail, est-ce un moduleattentionnel, ou un module mnsique ? C'est l'objet d'un dbat qui n'est pas prsd'tre clos.

    Voil, peut-tre qu'aprs avoir lu ce chapitre, vous tournerez 7 fois votre langue

    dans la bouche avant de dire mais fais donc attention ! , non ?

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