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1 LES SYSTEMES DE QUOTAS AU SERVICE DE LA REDUCTION DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE RESUME POUR DECIDEURS Au delà de l’enjeu climatique, la réduction des émissions de carbone peut être un levier puissant de transformation de l’économie, vers un modèle d’économie sobre en carbone, plus largement vers une économie « verte », c'est-à-dire sobre en consommation de ressources, considérée comme la plus compétitive et la seule soutenable dans le futur. Parmi les outils de politique climatique, les systèmes de quotas d’émission sont aujourd’hui les principaux instruments à l’œuvre, à l’échelle internationale (protocole de Kyoto) et européenne (système européen d’échange de quotas ou European Union Emission Trading Scheme : EU ETS). Le protocole de Kyoto fixe, jusqu’à la fin 2012, un objectif moyen de réduction d’émissions de gaz à effet de serre aux 39 pays les plus industrialisés. Deux mécanismes facilitent l’atteinte des objectifs de ces pays : le Mécanisme pour un développement propre (MDP) qui finance des projets conduits dans des pays en développement, la Mise en œuvre conjointe (MOC) pour les réductions réalisées par des projets dans les pays développés. La politique climatique de l’Union européenne s’appuie principalement sur le système européen d’échange de quotas (EU ETS) qui couvre ses grandes industries et son secteur énergétique. Actuellement, elle permet d’utiliser des crédits carbone issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto et c’est principalement cette demande européenne qui a permis la réalisation de nombreux projets Kyoto. Pour l’avenir, le paquet énergie-climat européen organise la période 2013-2020 de l’EU ETS : il renforce l’objectif européen de réduction des émissions à 20 % en 2020 par rapport à 1990. Fait nouveau : au moins la moitié des quotas alloués sera vendu aux enchères dont les recettes seront affectées aux Etats membres. Un bilan positif pour le système européen d’échange de quotas Le système européen d’échange de quotas a déjà permis de réduire les émissions en Europe et dans le reste du monde. Les risques de délocalisations ne se sont pour l’instant que peu ou pas avérés. Pour les limiter, les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale continueront de recevoir à partir de 2013 une partie de leurs quotas gratuitement. L’expérience européenne montre également qu’un système de quotas échangeables est plus facile à mettre en place qu’une taxe carbone. Les deux systèmes sont en théorie économiquement équivalents mais les résistances lors des tentatives de mise en place d’une taxe carbone sont néanmoins beaucoup plus fortes, notamment parce qu’elle pèse directement sur la consommation des ménages. Enfin, les fraudes observées en 2009 et en 2011 sur l’EU ETS, si elles ont été enrayées, ont mis en évidence le besoin d’une régulation ad hoc du système et d’un renforcement des compétences communautaires de supervision. Vers un ensemble de systèmes de quotas morcelés au plan mondial, mais traduisant une extension des engagements nationaux ou régionaux La logique multilatérale du protocole de Kyoto laisse de plus en plus la place à une logique « bottom-up », où les Etats mettent en œuvre des politiques nationales unilatérales. L’Union

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Page 1: CDC Climat Dec 2011 Systèmes de quotas au service de la ...€¦ · ... considérée comme la plus compétitive et la seule soutenable dans le ... présidé par Christian de Perthuis,

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LES SYSTEMES DE QUOTAS AU SERVICE DE LA REDUCTION DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE

RESUME POUR DECIDEURS

Au delà de l’enjeu climatique, la réduction des émissions de carbone peut être un levier puissant de transformation de l’économie, vers un modèle d’économie sobre en carbone, plus largement vers une économie « verte », c'est-à-dire sobre en consommation de ressources, considérée comme la plus compétitive et la seule soutenable dans le futur.

Parmi les outils de politique climatique, les systèmes de quotas d’émission sont aujourd’hui les principaux instruments à l’œuvre, à l’échelle internationale (protocole de Kyoto) et européenne (système européen d’échange de quotas ou European Union Emission Trading Scheme : EU ETS).

Le protocole de Kyoto fixe, jusqu’à la fin 2012, un objectif moyen de réduction d’émissions de gaz à effet de serre aux 39 pays les plus industrialisés. Deux mécanismes facilitent l’atteinte des objectifs de ces pays : le Mécanisme pour un développement propre (MDP) qui finance des projets conduits dans des pays en développement, la Mise en œuvre conjointe (MOC) pour les réductions réalisées par des projets dans les pays développés.

La politique climatique de l’Union européenne s’appuie principalement sur le système européen d’échange de quotas (EU ETS) qui couvre ses grandes industries et son secteur énergétique. Actuellement, elle permet d’utiliser des crédits carbone issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto et c’est principalement cette demande européenne qui a permis la réalisation de nombreux projets Kyoto. Pour l’avenir, le paquet énergie-climat européen organise la période 2013-2020 de l’EU ETS : il renforce l’objectif européen de réduction des émissions à 20 % en 2020 par rapport à 1990. Fait nouveau : au moins la moitié des quotas alloués sera vendu aux enchères dont les recettes seront affectées aux Etats membres.

Un bilan positif pour le système européen d’échange de quotas

Le système européen d’échange de quotas a déjà permis de réduire les émissions en Europe et dans le reste du monde.

Les risques de délocalisations ne se sont pour l’instant que peu ou pas avérés. Pour les limiter, les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale continueront de recevoir à partir de 2013 une partie de leurs quotas gratuitement.

L’expérience européenne montre également qu’un système de quotas échangeables est plus facile à mettre en place qu’une taxe carbone. Les deux systèmes sont en théorie économiquement équivalents mais les résistances lors des tentatives de mise en place d’une taxe carbone sont néanmoins beaucoup plus fortes, notamment parce qu’elle pèse directement sur la consommation des ménages.

Enfin, les fraudes observées en 2009 et en 2011 sur l’EU ETS, si elles ont été enrayées, ont mis en évidence le besoin d’une régulation ad hoc du système et d’un renforcement des compétences communautaires de supervision.

Vers un ensemble de systèmes de quotas morcelés au plan mondial, mais traduisant une extension des engagements nationaux ou régionaux

La logique multilatérale du protocole de Kyoto laisse de plus en plus la place à une logique « bottom-up », où les Etats mettent en œuvre des politiques nationales unilatérales. L’Union

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européenne est en pointe, mais la Nouvelle-Zélande, le Japon et certains Etats nord-américains disposent également de systèmes d’échange de quotas opérationnels. L’Australie et la Californie ont des projets avancés, la Chine s’y prépare.

Le « monde carbone » de demain sera donc un ensemble de systèmes de quotas et de projets, au mieux coordonnés partiellement par des mécanismes de projets, onusiens ou nationaux et par des accords bilatéraux.

La France peut porter en Europe des propositions offensives pour dynamiser la politique climat malgré la crise

La France peut tirer parti de son appartenance au système européen de quotas, en articulant sa politique climatique nationale à des prises de positions dans les négociations européennes et internationales.

Le rapport du comité « trajectoires 2020-2050 » présidé par Christian de Perthuis, remis à la Ministre de l’écologie le 7 novembre 2011, comporte des propositions particulièrement pertinentes et consensuelles entre les parties prenantes consultées. Selon CDC Climat, qui a contribué à ces travaux, les points clés à retenir sont les suivants :

► Rallonger la prévisibilité de la politique climatique européenne par la définition de cibles contraignantes en 2025 et 2030.

► Renforcer le signal prix du carbone en l’étendant à l’ensemble de l’économie par des taxes et des mécanismes de projet.

► Développer au sein de l’Union européenne un mécanisme de projets « domestiques » dans les secteurs tels que l’agriculture, pour les inciter à réduire leurs émissions

► Améliorer la régulation du système européen d’échanges de quotas de CO2 par des règles d’évolution du plafond entre 2020 et 2030 de façon cohérente avec les objectifs de la feuille de route à l’horizon 2050.

► Renforcer la sécurité du marché européen par la mise en œuvre rapide d’une régulation spécifique sous l’égide d’une autorité européenne indépendante.

► Améliorer et prolonger les mécanismes de flexibilité dans un cadre international, notamment par des accords bilatéraux.

Deux propositions complémentaires visent à conforter le prix des actifs carbone, aujourd’hui au plus bas en raison de la crise économique :

► Soutenir le signal-prix sur l’EU ETS en introduisant dès 2013 un prix de réserve sur les enchères.

► Défendre au niveau européen l’introduction de restrictions qualitatives supplémentaires sur les crédits issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto, en veillant en particulier à ne plus accepter à partir de 2015 les crédits provenant des pays émergents qui ne s’engageraient pas dans le cadre du futur accord international.

Ci-joint : la note Les systèmes de quotas au service de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, Benoît Leguet, directeur de la recherche de CDC Climat – décembre 2011

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LES SYSTEMES DE QUOTAS AU SERVICE DE LA REDUCTION DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE

QUEL RETOUR D’EXPERIENCE APRES 10 ANS DE FONCTIONNEMENT ?

QUELLES PROPOSITIONS POUR EN TIRER LE MEILLEUR PARTI ? Benoît Leguet – Directeur de la recherche de CDC Climat – décembre 2011

Il est désormais acquis que nous assistons à l’augmentation inéluctable de la température moyenne de notre planète, qui provoque des modifications majeures du cycle de l’eau : fréquence des précipitations, fonte des calottes glaciaires, hausse du niveau des mers etc. Cette augmentation de la température est liée à l’accroissement de la quantité de gaz à effet de serre (GES)1 dans l’atmosphère, lui-même induit par le développement des activités humaines émettrices : utilisation des énergies fossiles, processus industriels, dégradation d’écosystèmes, - notamment forestiers - qui stockaient auparavant du carbone. Impossible d’imaginer annuler complètement ce changement du climat du fait de la durée de vie des gaz à effet de serre déjà émis dans l’atmosphère ; mais il est possible d’en limiter l’ampleur en réduisant au plus vite nos émissions. Ainsi, le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat (GIEC), préconise-t’il de réduire nos émissions d’origine anthropique de 50 % d’ici à 2050 pour avoir des chances de limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2°C par rapport à celle de l’ère préindustrielle.

Cette réduction drastique ne peut être atteinte par des ajustements à la marge. Elle demande à revoir l’ensemble de nos modes de production, notamment en matière d’énergie - nos consommations d’énergies fossiles représentant environ les deux tiers de nos émissions - et de gestion des écosystèmes naturels - le tiers de nos émissions provenant du système agroforestier et de la déforestation en particulier. Instaurer des politiques climatiques appelle donc une modification majeure du fonctionnement de nos économies.

Si le coût des dommages que le réchauffement climatique peut provoquer à terme paraît encore abstrait à certains, notamment en période de crise financière, les bénéfices d’une politique de réduction des émissions de GES s’observent dès à présent, bien au delà du seul enjeu climatique.

Une politique climatique bien conçue peut ainsi être un levier puissant de transformation de l’économie, par ses bénéfices latéraux tels que, dans le domaine énergétique et industriel, l’innovation technologique, le choix de spécialisations d’avenir, l’efficacité et l’indépendance énergétique, Dans les domaines agricole et forestier, elle induit réduction de la pollution chimique et des risques sanitaires et préservation de la biodiversité,

Ainsi, des pays tels que l’Allemagne et la Chine, aux ambitions industrielles élevées, font de l’objectif climatique, mesuré par la réduction de leurs émissions de GES, un axe central de leur transition économique vers un modèle qui devient moteur dans la compétition internationale : l’économie « verte », sobre en carbone.

1 Le dioxyde de carbone (CO2) représente environ 77 % des gaz à effet de serre émis. Viennent ensuite le méthane (CH4, 14 %), le protoxyde d’azote (N2O, 8 %) et les gaz fluorés (1 %). Source : GIEC, 2007.

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Pour permettre cette transition, les pouvoirs publics disposent de plusieurs outils complémentaires : fixer des normes d’émissions pour chaque type de production ou imposer un prix à ces émissions. La théorie et la pratique nous apprennent que le plus efficace est d’imposer un prix aux émissions, soit par des taxes carbone, soit par des mécanismes de quotas échangeables. De tels systèmes de quotas existent depuis 10 ans à l’échelle internationale et européenne.

Comment ont-ils fonctionné et quels en sont les enseignements ? Quelles propositions pour en tirer le meilleur parti ?

Sommaire

1. Les systèmes de quotas échangeables : un outil efficace de politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre

2. Les systèmes de quotas et crédits carbone échangeables aujourd’hui : principes et résultats

2.1. Le protocole de Kyoto : réduction des émissions des pays développés

2.2. Les mécanismes de projet du protocole de Kyoto : une réduction de 1,5 milliard de tonnes de CO2 d’ici à 2012, au Nord et au Sud

2.3. Le système européen de quotas échangeables : une première mondiale qui a déjà réduit les émissions

2.4. Bilan du protocole de Kyoto et de l’EU ETS

3. Les systèmes de quotas carbone échangeables demain : un monde carbone fragmenté, mais avec des mécanismes d’échange de crédits

4. Perspectives : enjeux et propositions pour la France et l’Europe2

4.1. Allonger la prévisibilité de la politique climatique par la définition de cibles européennes contraignantes en 2030 et renforcer sa crédibilité par la mise en place d’une gouvernance rénovée

4.2. Renforcer le signal prix du carbone en l’étendant à l’ensemble de l’économie et en améliorant la régulation du système européen d’échanges de quotas de CO2

4.3. Améliorer et prolonger les mécanismes de flexibilité dans un cadre international et développer leur utilisation au sein même de l’Union européenne

4.4. Deux propositions complémentaires : conforter le système européen d’échange de quotas, afin d’assurer une transition fluide entre le régime de Kyoto et le régime post-2012.

2 Les dix premières propositions présentées dans cette section sont issues du rapport « Trajectoires 2020-2050 », fruit du groupe de travail éponyme présidé par Christian de Perthuis. Elles nous paraissent constituer les propositions clés pour l’avenir national et européen de la lutte contre le changement climatique.

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1. Les systèmes de quotas échangeables : un outil efficace de politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Les économistes s’accordent sur le fait que pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les outils les plus efficaces aux points de vue à la fois environnemental et économique sont les outils permettant de donner un prix aux émissions. En effet les coûts de réduction des émissions (coûts d’abattement) sont relativement hétérogènes selon les secteurs considérés, la taille des émetteurs, etc. Un système complet de normes serait donc démesurément complexe et coûteux à établir et à contrôler, même s’il peut être adapté à certains domaines. Instaurer au contraire un prix pour les émissions de gaz à effet de serre présente un double intérêt :

Pour les pouvoirs publics, il consiste, selon le principe du pollueur-payeur, à faire payer par l’émetteur le coût du dommage (de la nuisance) qu’il infligeait à l’ensemble de la société jusqu’alors gratuitement ;

Pour les émetteurs, il fournit un signal économique commun3, intégrable dans leurs décisions opérationnelles ou d’investissement. Les émetteurs peuvent ainsi comparer leur intérêt à réduire leurs propres émissions ou à payer le prix du carbone. Devraient donc normalement être entreprises toutes les réductions d’émissions dont le coût est inférieur au prix demandé par les pouvoirs publics pour les émissions de gaz à effet de serre.

En théorie, deux instruments sont équivalents pour établir ce signal prix : les taxes carbone ou les systèmes de quotas échangeables.

Les taxes carbone sont un prélèvement financier public assis sur la quantité d’émissions de GES. Elles donnent un prix à chaque tonne émise. Les émetteurs réduisent leurs émissions tant que le coût de cette réduction (coût marginal) est moins élevé que le prix de la taxe. Si l’on peut déterminer a priori le rendement d’une taxe carbone, on ne connaît pas précisément à l’avance le volume des émissions finales. Le bénéfice fiscal est donc plus sûrement atteint que le bénéfice environnemental. Des taxes carbone ont été mises en place dans plusieurs pays européens, en particulier dans les pays scandinaves ou encore en Irlande ; l’Europe a pour l’instant échoué à instaurer un tel instrument malgré une tentative au cours des années 1990. Elle réfléchit actuellement à la création d’un taux minimal d’imposition des émissions de CO2 sur les consommations d’énergies fossiles. Ce type de taxation est relativement aisé à concevoir sur le papier. Si elle porte sur tous les émetteurs, y compris les ménages, elle est un moyen de diffuser le prix du carbone à l’ensemble de l’économie et d’orienter la consommation vers des biens et services à faible intensité de carbone. Elle se heurte néanmoins à un problème d’acceptabilité et de justice sociale : elle risque en effet de peser sur le niveau de consommation sans pouvoir l’orienter et ce d’autant plus si les recettes sont versées au budget de l’Etat plutôt que d’être redistribuées aux

3 Par ailleurs l’impact des gaz à effet de serre n’est pas circonscrit géographiquement : quelle que soit sa provenance, chaque tonne de gaz à effet de serre émise aggrave le changement climatique. Il est donc possible d’utiliser un même instrument pour toutes les émissions.

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entreprises ou aux consommateurs4. En Europe, les obstacles politiques à la création de toute fiscalité communautaire rendent peu probable à moyen terme la mise en œuvre d’une taxe à l’échelle de l’Union.

Plutôt que de fixer directement un prix des émissions de gaz à effet de serre, les systèmes de quotas échangeables permettent aux pouvoirs publics de déterminer un volume maximal d’émissions pour des entités émettrices. Ce plafond est matérialisé par des quotas d’émissions. En général un quota représente le droit d’émettre une tonne de gaz à effet de serre exprimée en équivalent-CO2

5. Les quotas sont distribués aux émetteurs couverts par le système, soit gratuitement, soit à titre payant. Ces émetteurs peuvent être des entreprises comme dans le système européen d’échange de quotas décrit ci-après, des pays comme dans le protocole de Kyoto, voire des citoyens. Ces quotas sont ensuite échangeables sur des marchés organisés (bourses du carbone) ou directement entre émetteurs, de gré à gré. La possibilité d’acheter et vendre fait apparaitre un prix explicite pour les quotas de CO2. A l’issue d’une période déterminée, les émetteurs doivent restituer à leur autorité régulatrice une quantité de quotas correspondant à leurs émissions sur la période.

Principe de fonctionnement d’un système de quotas de GES échangeables

Source : CDC Climat Recherche.

Les systèmes d’échange de quotas permettent aux acteurs concernés de choisir, par un arbitrage économique, entre réductions internes des émissions et vente ou achat de quotas, de façon à ce que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre soient faites là où elles ont le plus faible coût économique. La réduction des émissions de gaz à effet de serre correspondra dans tous les cas au niveau d’ambition choisi par l’autorité politique via le plafond d’émissions, fixé ex ante, matérialisé par la quantité de quotas distribués. Un système de quotas est un outil de politique publique, plus souple et dans certains cas moins difficile à mettre en œuvre qu’une taxe, mais visant les mêmes objectifs, et assurant de surcroît l’atteinte de l’objectif environnemental.

4 Pour un panorama des expériences européennes en matière de taxes carbone, voir la présentation de Jérémy Elbèze et Christian de Perthuis de la Chaire Economie du Climat sur http://www.chaireeconomieduclimat.org/wp-content/uploads/2011/02/11-02-12-FLM-n20-Elbeze-De-Perthuis.pdf

5 Les différents GES sont comparés par le biais d’un étalon conventionnel, qui est la « tonne-équivalent CO2 ».

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2. Les systèmes de quotas et crédits carbone échangeables aujourd’hui : principes et résultats

Dans la pratique, différents dispositifs fondés sur ce principe ont été mis en place : le protocole de Kyoto, les « mécanismes de projets » du protocole de Kyoto et le système européen d’échange de quotas.

2.1. Le protocole de Kyoto : réduction des émissions des pays développés

Le protocole de Kyoto signé en 1997 impose pour la première fois au plan international un objectif de limitation d’émissions de gaz à effet de serre. Cette limitation concerne néanmoins uniquement les émissions des 39 pays les plus industrialisés, qui doivent être réduites d’au moins 5 % sur la période 2008-2012 par rapport à 1990. Les pays en développement et les pays émergents n’ont pas d’engagements d’émissions.

L’objectif d’émissions pour la période 2008-2012 est différencié pour chaque pays développé, dont l’Etat reçoit une quantité correspondante de quotas appelés Unités de Quantité Attribuée (UQA). Pour atteindre l’objectif de réduction, les Etats développés doivent mettre en place des politiques de mesure, vérification et réduction de leurs émissions nationales. S’il s’écarte de son objectif, un Etat peut acheter ou vendre des UQA à d’autres pays.

Les objectifs fixés par le protocole de Kyoto par pays figurent en annexe.

Au-delà de l’échange de quotas d’émissions, deux dispositifs prévus par le protocole de Kyoto facilitent également l’atteinte de leurs engagements par les pays soumis à quotas. Portant le nom générique de « mécanismes de projet », il s’agit du Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) et de la Mise en Œuvre Conjointe (MOC), détaillés ci-après. Ils permettent aux pays qui manquent de quotas pour couvrir leurs émissions d’acheter des « crédits » carbone générés par des projets réducteurs d’émissions.

In fine, les Etats développés doivent donc disposer d’autant d’UQA et de crédits carbone que leurs émissions réelles entre 2008 et 2012 pour être en conformité.

La France doit ainsi respecter un plafond d’émissions de 565 millions de tonnes d’équivalent-CO2 par an sur la période 2008-2012 et a donc reçu au 1er janvier 2008 la même quantité d’UQA. Après 2012, elle devra remettre autant d’actifs carbone que ses émissions effectives entre 2008 et 2012. Pour cela elle pourra utiliser son allocation initiale d’UQA assortie éventuellement de l’achat d’autres UQA et de crédits issus de mécanismes de projets Kyoto. En pratique, la France a émis en 2009 517 millions de tonnes d’équivalent CO2, ce qui représente une baisse de plus de 8% par rapport à 1990. Sur la période 2008-2012, la France devrait disposer d’un excédent d’UQA. Si cela se confirme, elle pourra les revendre à d’autres Etats développés.

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2.2. Les mécanismes de projet du protocole de Kyoto : une réduction de 1,5 milliard de tonnes de CO2 d’ici à 2012, au Nord et au Sud

Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) permet de transformer en crédits des réductions d’émission obtenues grâce à des projets conduits dans des pays en développement (énergie renouvelable, destruction de méthane, réduction de gaz industriels). Les réductions d’émissions sont vérifiées et validées par les Nations Unies. Les crédits appelés URCE (Unité de réduction certifiée des émissions) ou CER en anglais (Certified Emission Reductions) correspondent à l’économie d’émissions réalisée grâce au projet par rapport à un scénario de référence. Les crédits sont délivrés au porteur du projet, dans le cadre d’un encadrement du pays hôte.

L’acheteur des crédits peut les utiliser pour la conformité à son plafond d’émissions, le porteur de projet en tire un revenu qui contribue à son financement. L’acheteur est donc intéressé si le coût du crédit est inférieur à celui de ses propres émissions, ce qui permet de réaliser, via les projets, des réductions moins coûteuses économiquement.

Aujourd’hui, plus de 3 500 projets ont été enregistrés par les Nations-Unies dans le cadre du MDP. Ces projets, principalement situés dans les pays émergents, devraient réduire les émissions d’environ 1,3 Gt d’ici à 2012.

Les projets de Mise en œuvre conjointe (MOC) complètent ce dispositif : ces projets, réducteurs d’émissions dans des secteurs non couverts par l’EU ETS (agriculture, bâtiment, transport…), sont négociés entre deux pays développés signataires du protocole de Kyoto et génèrent des Unités de réduction d’émission (URE) ou ERU (Emissions Reduction Units). Les 400 projets développés dans ce cadre pourraient générer environ 200 Mt de réductions d’émissions sur la période 2008-2012. La Mise en œuvre conjointe (MOC) peut s’appliquer également dans un cadre national, et faire bénéficier de crédits carbone des projets sur le territoire national. Elle a été mise en place avec succès en France, sur la période 2008-2012, et bénéficie aujourd’hui à une vingtaine de projets français.

Principe de fonctionnement d’un mécanisme de projet (MDP ou MOC)

Source : CDC Climat Recherche

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2.3. Le système européen de quotas échangeables : une première mondiale qui a déjà réduit les émissions

Les Etats de l’Union européenne ont décidé de mettre en commun leurs engagements dans le cadre du protocole de Kyoto par une politique communautaire, Cette politique climatique européenne s’appuie principalement sur le système européen d’échange de quotas*, dit EU ETS (European Union Emissions Trading Scheme). Ce système fixe un plafond pour les émissions de CO2 de plus de 11 000 sites industriels européens, appartenant aux secteurs les plus émetteurs : la production d’énergie (production d’électricité et de chaleur, raffinage…), les industries minérales (ciment, chaux, verre, céramique), la métallurgie (acier, fer) et le papier.

Ce plafond se matérialise par la distribution chaque année de quotas* aux sites industriels. 1 quota, également appelé EUA (European Union Allowance) = 1 tonne de CO2.

Répartition des allocations de quotas européens par secteur en 2008 (en millions de quotas et en % du total)

Source : CDC Climat Recherche, à partir du CITL.

La conformité des sites industriels est vérifiée chaque année : chacun d’eux restitue le nombre de quotas européens équivalent à ses émissions de CO2 de l’année passée. Pour cela, chaque site industriel a pu acheter ou vendre des quotas* selon ses besoins, en comparant le coût de la réduction de ses propres émissions au coût d’achat de quotas et crédits sur le marché.

L’EU ETS a été organisé en trois périodes :

- 2005-2007, phase d’apprentissage : environ 2,3 milliards de quotas ont été alloués chaque année, presque intégralement de manière gratuite. Les émissions annuelles de CO2 se sont

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portées à 2,1 milliards de tonnes, dégageant un surplus annuel de 160 millions de quotas. Ce surplus ne pouvait pas être utilisé en phase 2, le prix du quota de première période est donc tombé à zéro en 2007. Malgré cela, les réductions d’émissions sur la première phase ont été estimées à environ 70 Mt de CO2 par an.

- 2008-2012, correspondant à la première période d’engagement du protocole de Kyoto : l’allocation, plus contraignante, atteint 2,1 milliards de quotas chaque année. Les quotas sont alloués gratuitement. En complément, les sites industriels peuvent utiliser des crédits carbone issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto, en moyenne à hauteur de 13,5 % de leur allocation.

C’est principalement cette demande européenne qui a permis le développement des nombreux projets Kyoto, en donnant une valeur incitative aux réductions d’émissions effectuées hors du périmètre direct de l’EU ETS, dans les pays en développement et, en Europe, dans des secteurs tels que l’agriculture, l’efficacité énergétique des bâtiments et des transports…

Malgré la crise économique, qui a conduit en 2009 à des émissions inférieures de 11 % aux allocations, la possibilité de conserver les quotas inutilisés de phase 2 pour les utiliser en phase 3 (2013-2020) permet aujourd’hui au prix des quotas européens de se maintenir à un niveau de l’ordre de 10 €, après avoir connu une moyenne de l’ordre de 25 € avant la crise de 2009.

Evolution du prix des actifs carbone utilisables sur le système européen de quotas de CO2 (EU ETS)

Source : CDC Climat Recherche, à partir de données BlueNext, ECX et Point Carbon.

- 2013-2020 : le paquet énergie-climat adopté par le Conseil européen en décembre 2008 prévoit un renforcement de la contrainte de réduction des émissions. L’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre est fixé à – 20 % en 2020 par rapport à 1990. En cas d’accord climatique international satisfaisant, cet objectif pourrait être porté à –

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30 %. Au moins la moitié des quotas distribués sera mise aux enchères. Les industriels européens sont également autorisés à utiliser, pour une partie de leur conformité plus restreinte que précédemment, des crédits carbone générés par les mécanismes de projets du protocole de Kyoto..

Passage aux enchères de quotas à partir de 2013 : autant d’efficacité, plus d’équité ?

Des marges de manœuvre financières pour les Etats-membres

Sur les phases I (2005-2007) et II (2008-2012) du système européen de quotas de CO2 échangeables, l’allocation de quotas s’est faite sous forme gratuite. A partir de la phase III (2013-2020), l’allocation des quotas se fera en règle générale sous forme payante et par enchères nationales organisées par chaque Etat-membre.

Il convient de noter que ce changement de mode d’allocation ne modifiera en rien le prix observé des quotas sur le marché. Le prix du quota correspond en effet au coût marginal de réduction des émissions: il est indépendant du mode d’allocation des quotas. Plus largement, les différents acteurs soumis à quotas, continueront à comparer le prix observé sur le marché avec leur propre coût de réduction des émissions. Les réductions d’émissions auront donc lieu chez les mêmes acteurs, que ceux-ci soient soumis aux enchères ou non.

En revanche, l’introduction d’enchères réduit le risque de surallocation de quotas. Elle crée pour les Etats membres de nouvelles recettes publiques potentiellement importantes, puisqu’elle crée de nouvelles recettes provenant des industriels sous quotas. La directive quotas impose aux Etats membres d’utiliser au moins 50% du revenu des enchères pour contribuer directement aux objectifs du paquet Energie-Climat : réduction des émissions de gaz à effet de serre, développement des énergies renouvelables, promotion de l’efficacité énergétique. Par ailleurs, une réserve européenne de 300 millions de quotas sera mise aux enchères afin de favoriser le déploiement de technologies « à faible contenu carbone ».

Les enchères, à la condition que le prix du carbone soit soutenu, offrent donc l’occasion à l’Union, comme aux Etats-membres d’affecter de nouvelles recettes à une politique de transition vers une économie sobre en carbone.

2.4. Bilan du protocole de Kyoto et de l’EU ETS

Au final, que retenir de ces premières années de fonctionnement ?

Nous disposons déjà de près de sept ans de recul sur le système européen d’échange de quotas et de dix ans de recul sur les mécanismes de projet du protocole de Kyoto. Parmi les points à retenir :

- L’EU ETS – et tout système de quotas échangeables - n’est pas un marché financier mais une politique publique. Le « marché » est créé de toutes pièces par l’autorité publique, qui en fixant un objectif politique de plafond d’émissions de gaz à effet de serre, crée une rareté et donne un prix au CO2. Il s’agit donc véritablement d’une politique publique portant sur les industries soumises au système. Pour respecter cet objectif à moindre coût, elles sont autorisées à échanger des quotas. Le

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signal-prix observé sur le « marché » ne fait que refléter le niveau d’ambition futur du système, la confiance qu’ont les acteurs dans sa pérennité, donc la crédibilité de la politique publique.

- Le système fonctionne et a déjà permis de réduire les émissions. Le signal-prix observé sur l’EU ETS modifie en effet les comportements des acteurs, ce qui est bien le but recherché. Des réductions d’émissions ont eu lieu : en Europe dans les installations couvertes par l’EU ETS et dans les secteurs non couverts par l’EU ETS, via le mécanisme de Mise en œuvre conjointe mis en place par le protocole de Kyoto ; dans le reste du monde, à travers des transferts Nord-Sud via le Mécanisme pour un développement propre.

- L’introduction du signal-prix du CO2 modifie les règles du jeu économique et fait des perdants à court terme, pour lesquels il est possible de réduire les impacts négatifs. Les craintes liées à des contraintes différenciées par zones, qui pourraient conduire certains industriels européens à relocaliser leurs activités dans des zones où le carbone n’a pas de prix, ne se sont néanmoins pour l’instant que peu ou pas avérées. Les allocations ont été essentiellement faites à titre gratuit, ce qui a sans doute contribué à réduire le risque. A partir de 2013, les allocations seront essentiellement attribuées aux enchères, mais les secteurs soumis à risque de « fuite carbone » recevront une partie de leurs quotas gratuitement, afin de faciliter la transition vers une décarbonation de leurs outils de production.

- L’introduction du signal-prix du CO2 fait également des gagnants à court et à long terme. Il incite à développer les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les procédés « bas-carbone », et plus largement crée une demande pour des services et des biens « verts », porteurs de croissance dans les nouveaux secteurs de l’économie verte.

- L’EU ETS est un système « ouvert » qui s’est déjà relié avec succès à d’autres systèmes de quotas, ou à des mécanismes de projet. Ce point est crucial dans la perspective du monde carbone futur, qui sera vraisemblablement un monde fragmenté : l’EU ETS pourrait servir, à travers des mécanismes de projet ou autres mécanismes sectoriels, de « station d’accueil » pour arrimer les différentes politiques publiques climatiques.

- En pratique, il est plus aisé de mettre en place un système de quotas échangeable qu’une taxe carbone sur les secteurs énergétiques et industriels. Les deux systèmes sont en théorie économiquement équivalents et conduisent aux mêmes réductions d’émissions. Les recettes publiques sont également identiques, si les quotas sont mis aux enchères. Les résistances lors des tentatives de mise en place d’une taxe carbone au niveau européen (années 1990) ou national (comme en France en 2009) sont néanmoins beaucoup plus fortes. Si elle a des vertus pédagogiques, la taxe semble donc moins à même d’orienter rapidement l’économie vers un modèle sobre en émissions.

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Besoin de régulation ad hoc du système d’échange de quotas

Les fraudes observées en 2009 puis en 2011 sur l’EU ETS (fraude à la TVA, vols de quotas par phishing) ne sont pas spécifiques à l’EU ETS, et ont déjà été observées sur les transactions portant sur d’autres biens.

Elles ont été facilitées par la nature des quotas de CO2, biens de grande valeur mais très faciles à échanger et par un éclatement des responsabilités de réglementation, supervision et contrôle entre la Commission européenne et chacun des Etats membres.

La fraude à la TVA a été enrayée à partir de 2009 par une modification du régime de TVA sur les quotas (d’abord à l’échelle des Etats puis à celle de l’Union).

Les mesures de sécurité (protection des accès, contrôle des opérateurs et traçabilité des quotas) renforcées par la Commission européenne et les Etats membres, font, depuis les vols du début 2011, l’objet de renforcements continus.

Néanmoins, ces malversations ont mis en évidence le besoin d’une régulation ad hoc du système, lié à sa nature d’outil de politique publique.

Un renforcement des compétences communautaires serait de nature à faciliter et améliorer la supervision du système d’échange.

3. Les systèmes de quotas carbone échangeables demain : un monde carbone fragmenté, mais avec des mécanismes d’échange de crédits

L’atteinte d’un accord international post-2012 n’est aujourd’hui pas garantie. Il est peu probable q’une deuxième période d’application du protocole de Kyoto soit instaurée et encore moins qu’elle commence au 1er janvier 2013. Néanmoins, la logique « top-down » qui a prévalu pour le protocole de Kyoto est remplacée par une logique « bottom-up », dans laquelle les Etats mettent en œuvre des politiques nationales ou régionales unilatérales. L’Union européenne, dans le cadre du paquet climat-énergie, a ainsi annoncé ses objectifs de réduction d’émission à horizon 2020. Si les degrés d’ambition varient, d’autres zones géographiques ont également déjà assigné des objectifs de réduction à des pans de leurs économies, par le biais de systèmes de quotas échangeables : la Nouvelle-Zélande, le Japon ou encore certains Etats nord-américains (notamment le Regional Greenhouse Gas Initiative du Nord-Est des Etats-Unis) ont d’ores et déjà des systèmes opérationnels. D’autres systèmes de quotas de carbone se mettent en place progressivement dans d’autres régions du monde. L’Australie, la Californie ou la Chine ont des projets avancés de tels systèmes d’échange de quotas. Ces systèmes de quotas sont en règle générale couplés à des mécanismes de projet, permettant de réduire davantage les coûts de conformité.

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Notes : O = obligatoire ; F = facultative. Les marches du carbone en gris clair correspondent à des projets. Les systèmes en place sont en gris foncé ; leur date de démarrage est précisée entre parenthèses. La ligne en pointillé représente le lien entre les provinces canadiennes et les Etats américains de la Western Climate Initiative (WCI). Sauf mention contraire, le périmètre « toute l’économie » exclut les émissions des secteurs agricole et forestier.

Source : CDC Climat Recherche.

Par ailleurs, les négociations internationales, si elles n’accouchent pas d’un accord mondial, pourraient néanmoins aboutir à adopter un mécanisme pour financer la réduction des émissions liées à la déforestation tropicale, qui représentent aujourd’hui environ un cinquième des émissions mondiales. Ce mécanisme appelé Redd+ pourrait comporter un mécanisme de crédits et être relié à un ou plusieurs systèmes de quotas, qui apporteraient des financements complémentaires.

Le « monde carbone » de demain sera donc un ensemble de systèmes de quotas et de projets, non coordonnés, ou le cas échéant coordonnés a minima par des mécanismes onusiens. L’enjeu est d’assurer la convergence, sur le moyen terme, des différents systèmes. Favoriser la connexion entre ces différents systèmes d’échange de quotas permettrait d’améliorer leur efficacité par un recours aux sources de réduction d’émissions les moins coûteuses, ce qui limiterait le coût de l’objectif environnemental. Par ailleurs la connexion des différents marchés permettrait de limiter les distorsions de concurrence entre les émetteurs contraints et leurs concurrents situés dans des zones sans régulation (contrainte ou incitation) des émissions de gaz à effet de serre. Cette inégalité de traitement fait craindre une délocalisation des productions, ce qui aurait deux conséquences. Premièrement, une perte de compétitivité économique des pays cherchant à faire baisser leurs émissions, puisque les industries concernées par le système des quotas relocaliseraient leurs activités dans des zones où elles n’ont pas d’obligation de réduction des émissions. Deuxièmement, une moindre efficacité environnementale du système,

WCI (2013) O - toute

l’économie

Alberta (2007) O - production

d’électricité, cible en intensité

California (2013) O - toute

l’économie

RGGI (2009) O - production

d’électricité

EU ETS (2005)O – Industries et

production d’électricité

CRC (2010)O –

utilisateurs d’énergie

Provinces et villes chinoises

(2013)

Japon national ETSs (1997)

Voluntary, energy Local ETSs (2010)Mandatory, energy

Corée du sud(2015)

O – toute l’économie

Taïwan (2015)

Australie (2012)O – toute

l’économie

Nouvelle-Zélande (2010)

O – tout l’économie, agriculture et forêt

GGAS (2003)O - énergie

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puisque les émissions ne sont in fine pas réduites mais uniquement déplacées vers des zones où le carbone n’a pas de prix : on parle alors de « fuites de carbone ». Des accords bilatéraux, tels que pratiqués par le Japon ou prévus par l’Europe, peuvent compléter cette approche afin de réduire le risque de fuites de carbone.

Néanmoins, à court terme, les perspectives de liaisons directes entre systèmes restent lointaines, les conditions économiques et les efforts de réductions demandés étant relativement hétérogènes. La mise en place d’un engagement de réduction des émissions au niveau international serait un facteur positif, qui permettrait de favoriser la convergence des systèmes régionaux et locaux vers un système unique de quotas. Par ailleurs une interconnexion indirecte serait plus envisageable à court terme, si deux systèmes d’échange de quotas choisissent d’autoriser le même type de crédits carbone issus de projets de réduction des émissions pour la conformité des émetteurs contraints : le rôle des mécanismes de projet après 2012 ne sera donc plus seulement utile mais deviendra essentiel.

4. Perspectives : enjeux et propositions pour la France et l’Europe

Comme on l’a vu, définir un prix du carbone conduit à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’une manière efficace économiquement. Associés à des politiques adaptées en matière énergétique et de recherche et développement, et de compensation sociale, les systèmes d’échange de quotas contribuent également à faire émerger de nouveaux processus et de nouvelles solutions technologiques pour la mise en place d’une économie à faible contenu carbone acceptable par les citoyens.

L’objectif sera désormais de convaincre les principaux pays émergents dans le cadre des négociations internationales, de se donner des objectifs nationaux de réduction des émissions. Il conviendra également de dégager les financements nécessaires à l’adaptation des pays en développement aux impacts du changement climatique. Là encore, les systèmes d’échanges de quotas auront leur place : en passant à des modes d’allocation des quotas payant, les autorités publiques, à la base de ces objectifs de réductions d’émissions, pourraient dégager des sources de financement additionnelles, utiles en ces temps de restrictions des budgets publics.

Dans le cadre des perspectives de fragmentation mentionnées, l’Europe doit poursuivre la voie sur laquelle elle s’est engagée. Différentes propositions permettraient d’en tirer le meilleur parti et d’aider l’Europe a prendre sa place et à préserver sa compétitivité dans la transition vers une économie plus sobre en carbone.

La France doit articuler sa politique climatique à des prises de positions dans les négociations européennes et internationales.

Le rapport du comité « trajectoires 2020-2050 » présidé par Christian de Perthuis, remis à la Ministre de l’écologie en novembre 2011, comporte à cet égard des propositions particulièrement pertinentes, sur lesquelles ont convergé l’ensemble des parties prenantes réunies par le comité. CDC Climat, qui a contribué à ces travaux, reprend ici les propositions qui lui paraissent constituer les orientations clés pour l’avenir national et européen de la lutte contre le changement climatique. Suite à la conférence de Durban, du 28 novembre au 10

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décembre 2011, nous renforçons par ailleurs ces propositions avec deux propositions propres à CDC Climat, visant à plus court terme à conforter le système européen d’échange de quotas, afin notamment d’assurer une transition fluide entre le régime de Kyoto et le régime post-2012.

4.1. Allonger la prévisibilité de la politique climatique par la définition de cibles européennes contraignantes en 2030 et renforcer sa crédibilité par la mise en place d’une gouvernance rénovée

PROPOSITION 1

Au-delà de la nécessaire clarification de l’objectif à 2020, définir dès maintenant un objectif ambitieux de réduction des émissions européennes pour 2030, compatible avec la feuille de route proposée par la Commission qui prévoit une réduction à cet horizon d’au-moins 40 à 45 %. Décliner cet objectif entre secteurs ETS et hors-ETS, et entre Etats membres, afin de donner une vision claire des efforts à fournir sur le long terme aux différents acteurs.

PROPOSITION 2

Fixer dès maintenant les seuils règlementaires, européens ou français, à l’horizon 2030 correspondant aux émissions des automobiles et des poids lourds, aux rendements des équipements énergétiques, aux normes de construction et de rénovation des bâtiments, etc.

PROPOSITION 3

Définir pour la France des cibles intermédiaires non contraignantes sur des périodes de plusieurs années, déclinées au plan sectoriel et cohérentes avec le cadre européen afin de renforcer le pilotage des trajectoires. Ces cibles devraient faire l’objet, à intervalles réguliers, d’une évaluation de l’adéquation entre les moyens mis en oeuvre et les résultats obtenus par la structure de gouvernance envisagée dans la proposition suivante avant leur examen par le Parlement.

PROPOSITION 4

Mettre en place une structure nationale de gouvernance indépendante qui regroupe les expertises scientifiques et économiques requises et associe les différentes parties prenantes pour débattre à l’amont des orientations de la politique climatique, veiller à leur continuité et s’assurer de leur évaluation afin de les réorienter si nécessaire.

4.2. Renforcer le signal prix du carbone en l’étendant à l’ensemble de l’économie et en améliorant la régulation du système européen d’échanges de quotas de CO2

PROPOSITION 5

Introduire la valeur du carbone dans les secteurs hors-ETS pour l’ensemble des émissions de CO2 liés à l’énergie idéalement pour l’ensemble de l’Union européenne, mais retenir la voie nationale si les délais de concrétisation s’avéraient impossibles, notamment par la mise en œuvre de mécanismes de projets domestiques, comme développé à la proposition 10.

PROPOSITION 6

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Redynamiser le système européen d’échanges de quotas de CO2 par la fixation de règles définissant l’évolution du plafond entre 2020 et 2030 de façon cohérente avec les objectifs de la feuille de route à l’horizon 2050.

PROPOSITION 7

Conformément aux préconisations du rapport Prada, renforcer la sécurité du marché européen par la mise en oeuvre rapide d’une régulation spécifique au système d’échange de quotas de CO2 qui en garantisse l’intégrité et la prévisibilité sous l’égide d’une autorité européenne indépendante.

4.3. Améliorer et prolonger les mécanismes de flexibilité dans un cadre international et développer leur utilisation au sein même de l’Union européenne

PROPOSITION 8

Obtenir la poursuite et l’amélioration des mécanismes de projet issus du protocole de Kyoto, si possible dans le cadre d’un accord plus large intégrant une nouvelle période d’engagement et incluant les principaux pays émetteurs.

PROPOSITION 9

Négocier des accords bilatéraux avec des États ou des blocs régionaux en favorisant les pays qui s’engagent réellement, les pays les moins avancés (PMA) et les pays méditerranéens, et les approches programmatiques.

PROPOSITION 10

Prendre appui sur les expériences conduites en France, en Allemagne, en Suède et en Espagne pour mettre en place un mécanisme de projets « domestiques » à l’échelle européenne dans les secteurs diffus, en application de l’article 24 bis de la directive ETS. Veiller à ce que le schéma évite tout double comptage, limite les effets d’aubaine et s’applique en priorité aux secteurs qui sont insuffisamment aujourd’hui incités à réduire leurs émissions comme l’agriculture pour les autres gaz que le CO2.

4.4. Deux propositions complémentaires : conforter le système européen d’échange de quotas, afin d’assurer une transition fluide entre le régime de Kyoto et le régime post-2012.

Depuis la publication du rapport du comité « trajectoires 2020-2050 », deux éléments sont venus compléter le tableau brossé dans les sections précédentes : la conférence de Durban et l’impact de la crise économique sur le système européen d’échange de quotas.

Premier élément : la conférence de Durban, qui a largement été saluée comme un succès de la diplomatie européenne. Le principe d’une deuxième période d’engagement de Kyoto est acté, même si le périmètre est réduit par rapport à la première période d’engagement et les modalités précises restent à définir. A moyen terme, les pays émergents s’engagent par

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ailleurs à intégrer un accord ayant force légale, cet accord devant être négocié d’ici à 2015. Ce résultat conforte les mécanismes de projet du protocole de Kyoto comme étant la monnaie carbone multilatérale par excellence.

Deuxième élément : la crise économique, qui a eu un impact fort sur le cours du quota européen de CO2, dont le prix a oscillé sur le dernier mois entre 7 et 8 €. Le prix du crédit issu des mécanismes de projet du protocole de Kyoto a suivi, passant sous la barre des 5 €. Cette observation appelle deux remarques. D’abord, un faible prix du quota européen, s’il ne met pas en risque l’atteinte de l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2020, n’incite pas à l’investissement « bas-carbone ». Il met donc en risque l’atteinte d’objectifs ambitieux à plus long terme. Maintenir sur l’EU ETS, à court terme, un prix compatible avec les objectifs de long terme semble donc une priorité. Ensuite, le faible prix du crédit Kyoto amoindrit une des propriétés du système européen d’échange de quotas : la capacité à exporter le signal-prix observé sur l’EU ETS vers des pays ou des secteurs non soumis à l’EU ETS. Il convient donc de maintenir cette capacité à exporter le signal-prix, permettant de renforcer le processus multilatéral, en donnant la priorité aux crédits issus de projets à haute qualité environnementale et aux pays jouant le jeu du multilatéralisme.

PROPOSITION 11

En complément de la proposition 1, soutenir le signal-prix sur l’EU ETS en introduisant dès 2013 un prix de réserve sur les enchères.

PROPOSITION 12

En complément de la proposition 9, défendre au niveau européen l’introduction de restrictions qualitatives supplémentaires sur les crédits issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto, en veillant en particulier à ne plus accepter à partir de 2015 les crédits provenant des pays émergents qui ne s’engageraient pas dans le cadre du futur accord international.

A propos de CDC CLIMAT

CDC Climat est la filiale de la Caisse des Dépôts créée en 2010 pour lutter contre le changement climatique en tant qu’investisseur de long terme. Elle développe des services à l’économie du climat, notamment via des participations et investit dans des crédits carbone de grande qualité, directement ou par l’intermédiaire de fonds carbone. Son équipe de recherche sur l’économie du changement climatique est internationalement reconnue. www.cdcclimat.com

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Annexe 1

Objectifs d’émissions des pays développés au titre du protocole de Kyoto et distance à l’objectif

Source : CDC Climat Recherche et MEDDTL, 2011.

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Annexe 2 : Glossaire

CCNUCC : Convention-cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques. En anglais, UNFCCC : United Nations Framework Convention on Climate Change

CER : Unité de Réduction Certifiées des Emissions (URCE en français), générée par le MDP. En anglais CER Certified Emission Reduction

ERU : Unité de Réduction des Emissions (URE en français), générée dans le cadre de la MOC. En anglais ERU : Emission Reduction Unit

EUA : Quota européen de CO2, attribué dans le cadre du SCEQE – EU ETS. En anglais, European Union Allowance

GES : Gaz-à-effet de serre. En anglais GHG : Greenhouse gas(es)

MDP : Mécanisme pour un développement Propre. En anglais, CDM: Clean Development Mechanism.

Les projets MDP s’appuient sur le même principe que les projets MOC, mais sont mis en œuvre dans des pays non soumis à contrainte Kyoto. Une fois le projet approuvé et enregistré auprès du Secrétariat de la CCNUCC et les réductions d’émissions vérifiées par une entité indépendante, les participants aux projets MDP reçoivent la quantité correspondante de CER, créés ex-nihilo. Leur principal débouché tient au fait qu’ils sont acceptés par le marché européen des quotas, pour une part de la conformité des assujettis.

MOC : Mise en œuvre conjointe. En anglais JI : Joint Implementation.

Les projets MOC supposent la participation de deux pays soumis à contrainte Kyoto. Ils génèrent des URE correspondant aux réductions d’émissions de GES. Ils ne créent pas de nouveaux crédits mais entraînent le transfert des unités de réduction d’un pays de l’Annexe B vers un autre : pour chaque crédit transféré et ajouté aux quotas du pays récipiendaire, la quantité équivalente de quotas est annulée dans le pays hôte.

SCEQE : Système communautaire d’échange de quotas européen. En anglais EU ETS : European Union Emissions Trading Scheme

UQA : Unité de quantité Attribuée. En anglais AAU : Assigned Amount Unit

URCE : Unité de réduction Certifiées des Emissions, générée par le MDP. En anglais CER Certified Emission Reduction

URE : Unité de Réduction des Emissions, dans le cadre MOC. En anglais ERU : Emission Reduction Unit