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L'DITORIAL DE DAOUD BOUGHEZALA

LA FRANCE CONTRE LES FACHOS

Tremblez, braves gens, les loups sont entrs dans Paris. Daprs Mediapart, une petite caste de commentateurs presse tout propos des centaines de milliers de personnes issues de l immigration de fournir les preuves de leur appartenance la nation.

Sous la plume de Franois Bonnet1, lorgane dEdwy Plenel dresse la liste des porte-voix de la France du ressentiment et des obses-sions xnophobes: les Ivan Rioufol, Alain Finkielkraut, ric Zemmour, ric Conan, lisabeth Lvy [NDLR: merci pour la pub!] forment lhabituelle rafle la Prvert des gazettes antifascistes. De Laurent Joffrin en Aymeric Caron, la profession de vigilant reste promise un bel avenir ditorial : on le sait depuis longtemps, lantiracisme est le dernier marqueur identitaire dune gauche qui ne cherche mme plus rguler le march quelle contestait nagure.

Concdons Franois Bonnet davoir allg le casting des forcment coupables Houel-lebecq, Guilluy et Micha ont chapp la fatwa. En revanche, il a ajout Marianne la liste des torchons quun honnte homme ne saurait lire. La faute un numro consacr aux complices de l islamisme qui, daprs Mediapart, est le reflet de cette France cloi-sonne et vermoulue de 2015. Sont notam-ment reproches Marianne ses attaques contre Beur FM, accuse de diffamer les caricaturistes de Mahomet.

Que vous soyez un chevnementiste orphe-lin, comme ric Conan, un rac grand teint la Ivan Rioufol ou une desperada inclassable comme notre patronne, gare au couperet. Appeler les Kouachi et Couli-baly par leur nom sans habiller ces victimes de l apartheid dexcuses sociales vous expose aux joies du bcher.

Damned, ces salopards sont partout! Aprs les attentats de Paris, na-t-on pas vu le maire social-dmocrate de Rotterdam Ahmed Aboutaleb, dorigine marocaine, lancer aux enfants dimmigrs un tonitruant Love it or leave it?

Mais au fait, pourquoi tant de haine? Pour pas grand-chose en vrit. En fait, Edwy a confi Franois une corve un rien pril-leuse, celle de dfendre un produit maison baptis Notre France. Ce projet artistique dont on nous assure quil est dun immense intrt est une srie de 15 vidos cosigne par Patrick Artinian, collaborateur rgulier du site, et par Louise Oligny, photographe et vidaste qubcoise accueillie en rsidence par la Maison de la solidarit du Mont-Mesly, un quartier HLM de Crteil.

Je comprends que Franois Bonnet meure denvie de nous faire dcouvrir 15 vidos artistiques sur le bonheur de vivre en cit sensible. Perso, je prfre visionner en boucle le dernier clip de Drake ou me vautrer dans mon canap avec un paquet de chips et un roman dItalo Svevo. Et si a se trouve, plus dun abonn de Mediapart partage cette coupable prfrence.

Alors, pour vendre ses vidos pas trs funky, la Maison Plenel agite ses arguments publici-taires rituels. Et voil lisabeth enrle dans une rclame faon fifties, et dans le rle de la sorcire ! Zemmour vous dgote? Lvy vous enrage ? Finkielkraut vous exaspre ? Achetez mon sirop miracle et multiculturel! Si vous tes des millions avoir ce rflexe salvateur, alors la France sera sauve. Et les finances de Mediapart aussi.

1. Contre la France du ressentiment et des obsessions xnophobes , Franois Bonnet, Mediapart, 27 mai 2015.

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3L'ditorial de Daoud BoughezalaLa France contre les fachos

10Le moi de BasileBasile de Koch

12IUT de Saint-Denis, on touche le fond !Jean-Paul Lilienfeld

14Ne tirez pas sur la police !Christopher Caldwell

18L'antiracisme, idologie d'tatMathieu Bock-Cot

22Pologne : tre une mre fministe, c'est pas si facilePaulina Dalmayer

24Vers la paix civileHerv Algalarrondo

26Qui est zombie ?lisabeth Lvy

30Tafta, naufrage transatlantiqueLaurent Gayard

34Lettonie : Il faut que jeunesse se casseThomas Girondel

39L'esprit de l'escalierAlain Finkielkraut

DCONSTRUIRE L'COLE,QUI A EU CETTE IDE FOLLE ?

44L'cole pour personnelisabeth Lvy

Directeur de la publication Gil Mihaely

Directrice de la rdactionlisabeth Lvy

Rdaction en chefDaoud Boughezala, Marc Cohen, Jacques de Guillebon, Jrome Leroy (pages culture), Pascal Bories.

RdactionFranois-Xavier Ajavon, Cyril Bennasar, Rgis de Castelnau, David Desgouilles,Roland Jaccard, Guillaume Nicoulaud, Basile de Koch, Charlotte Libert-Hellman,Agns Catherine Poirier, Luc Rosenzweig, Frdric Rouvillois.

CorrectionJosette Rolinat

Secrtaire de rdactionCcile Michel

Ont particip ce numroHerv Algalarrondo, Rachel Binhas, Mathieu Bock-Cot, Jean-Paul Brighelli, Christopher Caldwell, Laurent Cantamessi, Paulina Dalmayer, Kevin Erkeletyan, Alain Finkielkraut, Laurent Gayard, Thomas Girondel, Jean-Luc Grau, Jean-Paul Lilienfeld, Patrick Mandon, Jean-Luc Neulat, Olivier Ranson, Philippe Raynaud, Benot Rayski, Janie Samet.

Direction artistiqueAymeric Dutheil

IconographieAlexandre Denef

Marketing et commercialCharles Lvy (charles@causeur.fr)01 84 79 01 35

PublicitKamat Rgie - Dominique Olivierdolivier@kamateregie.com 01 47 68 59 43 / 06 87 06 62 32

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SOMMAIRE N 25 JUIN 2015

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4840 ans de rformesDu collge unique la thorie du genrePascal Bories

50Gnration dsorienteDaoud Boughezala

54Natacha Polony L'cole ne combat pas les ingalits, elle les cache Propos recueillis par

Daoud Boughezala et Gil Mihaely

60Mritocratie, l'cole du crime ?Jrome Leroy

62Pseudo-galitPhilippe Raynaud

66Olivier ReyInstruire pour reconstruirePropos recueillis par Daoud Boughezala et

Paul Piccarreta

68Rforme du collge : la leon allemandeLuc Rosenzweig

70Rforme partout, russite nulle partJean-Paul Brighelli

74Banlieue, la loi du plus faibleBenot Rayski

76Maths, o est le problme ?Jean-Luc Neulat

78Classes privilgiesKevin Erkeletyan

CULTURE & HUMEURS

84Gaultier, corsaire du corsetPatrick Mandon

86L'art de l'enfance Janie Samet

88Un hussard rouge ?Jrome Leroy

92La Parisienne libreFrdric Rouvillois

94Politique-frictionJrome Leroy

96Les carnets de Roland Jaccard

98Le journal de l'ouvreuse

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AUTOCRITIQUE LECTRIQUEPar Marc Cohen

Si Amsterdam est la Jrusalem des fumeurs de cannabis, Oslo est celle des followers de la voiture propre. Plus pour longtemps, si a se trouve. La Norvge envisage de rduire srieusement les innombrables mesures gouver-nementales en faveur des vhicules lectriques.Il faut dire que, dans la lutte contre les missions de carbone, elle navait pas fait les choses moiti. Exemption de TVA, taxes dimportation rduites, gratuit du stationnement, des pages et des ferries ainsi que des bornes de recharge, et droit dutiliser les couloirs de bus! Rsultat, un vhicule sur cinq immatricul en Norvge en 2015 est 100% lectrique, record du monde. On ajoutera, que l-bas, les vhicules propres le sont rellement. Toute llectricit locale est dorigine hydrau-lique ou olienne. Pas dhypocrisie nergtique comme en Allemagne ou aux tas-Unis, o lon fait tourner les centrales fuel et charbon pour alimenter les fantasmes de bonne conduite planet-friendly.Mais alors, pourquoi veut-on supprimer un systme qui fonctionne ? Parce quil marche trop bien. La multipli-

Beaucoup de choses ont t dites lors de la rcente panthonisation de Germaine Tillion, rsistante de la premire heure, ethnologue de renomme mondiale. Certaines choses, en revanche, ont t tues, notamment ses rflexions sur les socits arabes.

En 2009, un an aprs la mort de Tillion, Christian Bromberger, spcialiste deth-nologie mditerranenne, a publi dans la revue LHomme un article consacr ses rflexions dans ce domaine, notam-ment travers Le Harem et les cousins. Pour Bromberger, cet ouvrage nova-teur publi en 1971 est un grand livre drangeant qui met le doigt l o a fait mal.

Selon lui, lapport majeur de Germaine Tillion est davoir expos la spcificit des structures matrimoniales dans le monde mditerranen et le fait que celles-ci fonctionnent selon un schma inverse des structures lmentaires de

la parent dcrites par Claude Lvi-Strauss. Autrement dit, les socits musulmanes du pourtour mditerra-nen manifestent une prdilection pour le vivre entre soi afin de garder toutes les filles de la famille pour les garons de la famille travers le mariage avec un parent trs proche appartenant votre ligne . Comme disait Ibn Khaldoun, cit par Bromberger, la noblesse, lhon-neur ne peuvent rsulter que de labsence de mlange . En prohibant lchange, les rpubliques mditerranennes des cousins , selon lexpression de Tillion, sont ancres dans lendogamie patrilinaire.

Concrtement, dans ce genre de rpu-bliques , les hommes considrent leurs devoirs de solidarit avec tous leurs parents en ligne paternelle comme plus importants que leurs autres obligations y compris, bien souvent, leurs obligations civiques et patriotiques.

Et la modernisation ? Lurbanisation, lcole, lintroduction de ltat moderne dans ces contres ? Selon Germaine Tillion, qui connaissait ces socits depuis les annes 1930, ces changements nont fait quaggraver la situation. Pour lethnologue et ancienne rsistante, le bdouin embourgeois, priv de la protection des grands dserts vides et de lappui inconditionnel des cousins-frres, se rabat ds lors sur tous les ersatzs de protection que ses moyens et son imagi-nation lui offrent : barreaux de fentre, serrures compliques, chiens mchants, eunuques... et voile . Le professeur Bromberger a raison: Germaine Tillion a bien mis le doigt l o a fait mal

GERMAINE TILLION

INDIGNE DU PANTHON?

Par Gil Mihaely

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cation des voitures lectriques dans les couloirs rservs a considrable-ment ralenti la vitesse moyenne des autobus dans le centre dOslo. Or les transports collectifs sont, eux aussi, une priorit cologique, et concernent cent fois plus de citadins que la voiture lectrique. Certains transports en commun en viennent mme oublier les lgendaires traditions scandinaves dquanimit et disent des gros mots aux chauffeurs colos. Sont particuli-rement viss les heureux propritaires dune limousine lectrique Tesla S (voir ci-contre) 160 000 euros, dont la moiti est finance sur fonds publics.La Norvge tant une dmocratie atypique o les pouvoirs publics sont lcoute des citoyens, mme mcon-tents, le gouvernement a dcid de reconsidrer compltement le dossier.Nul ne sait pour linstant si les mesures incitatives seront supprimes ou seule-ment redimensionnes. Mais personne

en Norvge nenvisage de rtropda-lage radical visant favoriser le gasoil au dtriment du kilowatt. Pas question

de remplacer des locomotives lec-triques par des autocars diesel. a, cest en France, je crois

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TMC diffusera partir du 3 juin une srie gros budget de la BBC, The Musketeers . Il sagit bien sr dune adaptation du roman presque ponyme dAlexandre Dumas. Presque, car toute indication sur le nombre de mousque-taires a disparu. Expliquer aux ados cibles explicites de la srie que ces trois-l sont quatre paraissait sans doute trop hasardeux aux producteurs. On remarquera aussi que, dans un souci avou de moderniser luvre, on a choisi de confier lun des rles-

Causeur, on ne sest jamais priv dcrire tout le mal quon pensait du rap en gnral, et de Joey Starr en particulier. Raison supplmen-taire de saluer la bravoure de celui-ci lorsquelle se manifeste. Le 3avril, sur Canal+, dans lmission Clique de Mouloud Achour, il sest lch grave

sur lattentat de Charlie Hebdo: Il y a un truc sur lequel je rigole pas: moi, je suis fier dtre franais (). Pour moi, on a tu des gens pour ce quils avaient dire, cest chaud (). Il y a une partie du monde qui vit une poque un peu plus loin que le mdival, qui essaie de nous imposer a.Un parti-pris exempt de chichis qui a scotch son intervieweur, Mouloud Achour. Celui-ci a alors remarqu que, contrairement Joey, les rappeurs avaient t trs silencieux aprs lat-tentat de Charlie, ce qui est au mieux un euphmisme, au pire un mensonge. Nos plus grandes stars du hip-hop se sont illustres par leurs punchlines pas trs Charlie, renvoyant Charb,

Cabu, Wolinski, Honor et Tignous dans lenfer des blasphmateurs.

Commenons par Abd Al Malik, chevalier des Arts et Lettres depuis 2008 : Soyons honntes, dans notre pays, les caricatures de Charlie Hebdo ont clairement contribu la progres-sion de l islamophobie, du racisme et de la dfiance envers tous les musulmans.

Poursuivons avec Akhenaton, pour qui les dessins de Charlie Hebdo reprsen-tant Mahomet sont du mme acabit que les caricatures des juifs entre les deux guerres . En bon relativiste, le leader dIAM juge de surcrot que les djihadistes, a correspond ce qutaient les punks . Certes, certes, condition toutefois docculter ce pan essentiel de la culture punk quest la bire.

Concluons ce best of avec Booba : Quand on joue avec le jeu, faut pas stonner de se brler. () Il y a une diffrence entre la libert dexpression et l insulte. Tu peux me critiquer, criti-quer mon disque. Mais si tu me dis tes quune merde, attends-toi te prendre une tarte. Et l, ils ont dit le Coran cest de la merde.

quand la compil Jirai rapper sur vos tombes?

COUP DPE DANS LEAUPar Marc Cohen

titres un acteur noir, ce qui devrait ravir les amateurs de quotas. Mais lantiracisme ne fait pas forcment bon mnage avec linculture. Sinon on

naurait pas choisi Porthos, qui est le seul abruti des quatre, et mchamment prtentieux avec a, pour faire le mous-quetaire multicul. Que fait la Licra?

JOEY NE NIQUE PAS CHARLIE

Par Daoud Boughezala

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Je suis de Roubaix, et cest la ville la plus algrienne de France. Et au lyce, il y avait la cour avec des Algriens et la cour des Blancs.

Moi, donc, je ne parle pas larabe, et je le regrette, parce que je me dis que je nai pas

rellement habit la ville o je suis n.

Le ralisateur Arnaud Desplechin au magazine Society, n6, 15-28 mai 2015.

LE CH'TI DU MOIS

HARCLE-MOI SI TU PEUXPar Pascal Bories

Julie Lalonde, une confrencire spcialiste du harclement sexuel , a eu un peu de mal porter la bonne parole dans le prestigieux Collge mili-taire royal de Kingston, au Canada. Parmi le millier de cadets garons et filles quelle tait venue sensibiliser, certains nont semble-t-il pas apprci son prche, et le lui auraient fait savoir par des commentaires sexistes . Scandalise, Mlle Lalonde sest plainte immdiatement auprs de la direction de lcole avant dexiger sur Twitter des sanctions exemplaires.

Autres lieux, autres murs : la mme semaine, dans un restaurant de Moscou, une jeune et jolie serveuse

subissait les assauts lourdingues dun client sans doute plus habitu lal-cool de patate quaux posies dAnna Akhmatova.

Lgrement importune par plusieurs tentatives de contact non sollicites, au niveau du dcollet puis des fesses, la

demoiselle a rgl le problme coups de porte-menu en bois massif en pleine poire. Limportun na pas eu le temps denvoyer un tweet de protestation. Il est tomb raide, K.-O.

votre avis, laquelle de ces deux tech-niques est rellement dissuasive?

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OBROTHERSMercredi 12mai

a y est, les frres Coen ont dbarqu sur la Croisette!

Cest bien simple, Ethan et Joel sont des idoles pour moi surtout Joel, le plus fl des deux. Dans mon Panthon personnel, ils sont au cinma ce que les frres Mael (Sparks) sont la musique et Matt Stone & Trey Parker (South Park) au dessin anim. Dans leur uvre, jad-mire particulirement la splendide suite Fargo (1996) / The Big Lebowski (1998) / OBrother (2000).

Barton Fink en revanche, qui leur valut la Palme dor en 1991, reste mes yeux lun de leurs pires films; le seul qui mait laiss un sentiment de malaise toujours pas dissip. Jai mme appris pourquoi: selon les frres, cest un film trs inspir de Polanski. Or les Polanski suscitent souvent chez moi le mme genre de malaise ( part Oliver Twist).

Mais quimportent mes tats dme ; les frres Coen reviennent, et ils sont contents ! Il y a de quoi, dailleurs : les voil coprsidents du jury de la Slec-tion officielle, rien que a ! Et en plus, cest bien mrit. Pour moi qui nai boud quune de leurs uvres sur 16, comment ne pas les comparer leurs collgues, pour lesquels cest si souvent linverse?

RUDE JOURNE POUR LES KINGJeudi 14mai

Srie noire pour la musique, euh, afro-amricaine. On apprend aujourdhui la mort de B.B. King, qui suit de peu celle de Ben E. King. Jen suis sincre-ment triste mme si personnellement je porte dj le deuil dOtis Redding depuis dcembre 1967.

Quant vous, connaissez-vous mme lexistence de ces deux King et, si oui, tes-vous sr(e) de ne pas les confondre? Testez votre culture musicale en rpon-dant un simple quiz!

De ces deux personnages,A BB KingB Ben E. King,

lequel

1 jouait de la guitare en plus de chanter?

2 a crit le standard universel Stand by Me (avec Leiber & Stoller, a va de soi)?

3 a t dcor successivement par Clinton et Bush?

4 tait considr comme une lgende du rhythm n blues?

5 tait considr comme le Parrain du blues, avec soixante ans de carrire et 50albums son actif?

Solutions: 1A/2B/3A/4B/5A.

Apprciation: 3 bonnes rponses et plus : Youre my

man, nigger! 1 ou 2 bonnes rponses: Cest dj pas

mal, vu le niveau gnral1. 0 bonne rponse : Visiblement, vous

confondez les deux avec le crooner amricain blanc Solomon King, inter-prte notamment de She wears my ring (1968)2.

COMMENT JE NAI PAS INTERVIEW LES FRRES COENVendredi 15mai

Je men suis rendu compte un peu tard: non seulement il ny a pas de rubrique cinma dans Causeur, mais ce nest pas moi qui la tiens. Du coup, je regrette moins de navoir pas crois les frres Coen Cannes ; daprs ce quon me dit, de toute faon je naurais pas pu les interviewer.

LE MOI DE BASILE :

LE MOIS LE PLUS COURT

Autant men expliquer tout de suite, parce que

mes lecteurs les plus attentifs finiront bien par le remarquer : ce journal

ne commence qu la mi-mai. Auparavant, jtais plong dans lcriture dun petit

bouquin urgent dont jene vous dis que a.

Merci donc la Gnrale de mavoir autoris faire un mini-Moi, plutt que de devoir meubler en

publiant mes meilleursSMS et mes notes

de lingerie.

Par Basile de Koch

Ben E. King.

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tte), la longue, a doit tre dprimant.

UN AUDIARD PALMDimanche 24mai

La Palme Jacques Audiard! Vous me direz: a aurait pu tre pire. Tale of Tales par exemple, ou La Fort des songes, le dernier navet de Gus Van Sant, qui les cultive depuis vingt ans. Aprs tout, son Elephant avait bien t palm en 2003, et entre nous ctait une sacre daube.

Dune faon gnrale jai rarement apprci les Palmes dor, hormis Pulp Fiction, Underground et Le vent se lve. Le reste? Trop souvent du morbide (Le Ruban blanc), du mortel (Wintersleep) ou les deux pour le prix dun (Amour) On peut dj sestimer heureux quand, au moins, le laurat a un nom rigolo, comme Apichatpong Watzefukat-choum (dont jai oubli, en revanche, le titre du chef-duvre).

Quant Audiard Jr, dordinaire je ne suis pas trop client, surtout depuis le triomphe de son trs survalu Prophte, magistrale leon de virtuosit creuse. Je nai pas vu Dheepan (jtais pris ce soir-l), mais bon : si les frres Coen lont choisi, jirai le voir rien que pour eux.Nempche ! Faut-il quil soit con, le Jacques, pour avoir compar dans son speech les Coen aux Dardenne ! la place des coprsidents, je lui aurais fait manger ses lunettes puisquil tait venu sans chapeau.

TOUCHE PAS MON DESPOTE!Lundi 25mai

Jaime fleurir les tombes dsertes Il y a un an mourait Wojciech Jaru-zelski et qui sait qui ctait ? Un

Je me console en dcouvrant les inter-views de mes amis virtuels publis le mme jour dans Le Monde et Le Figaro. lire ces deux entretiens, on se dit que dcidment, dans ce genre dexercice, lintervieweur est aussi important que linterview. Si les questions tombent plat, si le courant ne passe pas, a donne le pensum du Monde, au titre dj dbandant : La comptition favorise la discussion. Ah! vraiment? Si cest a lide matresse de cette pleine page, autant emballer la salade avec!

Face des questions somnambuliques du genre Comment abordez-vous laspect comptitif du Festival ? , que vouliez-vous que fissent les frres de la Cte? Ils rpondent soit par des platitudes lasses, soit par de joyeuses conneries.

Vous pourriez faire un film de safari?Jol : Oui, bien sr, cest plutt une bonne ide.Ethan: On a aussi pens faire un film de cheval parlant.

Mme quand les Coen se foutent ouverte-ment de sa gueule, le journaliste mondain enchane imperturbablement sur sa ques-tion suivante. tout prendre, on samuse plus dans Le Figaro, o lintervieweur ne sest pas pris les doigts dans le frigo.

De quelle manire comptez-vous mener votre prsidence?Ethan: Nous avons lintention de donner des ordres contradictoires, puis dobser-ver o a nous mne. Cest notre mthode.

Jol : Cest exactement ce que nous faisons dans nos films Lordre surgit toujours du chaos!

Quel est votre film franais favori?Jol : LArrive dun train en gare de La Ciotat.Ethan: Quel film!

Au terme de ce test comparatif, il appa-rat non seulement que les frres Coen peuvent tre, quand ils veulent, de sacrs plaisantins comme jaime, mais que Le Figaro est un meilleur journal que Le Monde y compris au niveau de la culture, comme disait Serge July.

Dun autre ct, il faut comprendre le quotidien du couchant : incarner le camp du Bien (mme seulement dans sa

Wojciech Jaruzelski.

dictateur lunettes noires, un tratre, un patriote et de quel pays? moins que ce ne ft le gagnant de lEurovision 1981?

En ce qui me concerne, et malgr mon antisovitisme furibard de lpoque ou cause de lui jai toujours considr le gnral non pas comme un dictateur dguis en patriote, mais comme un patriote devenu dictateur pour viter le pire son pays. Ptainisme, dira-t-on. Sauf que cest linverse! Sans doute le coup dtat du camarade Jaruzelski a-t-il pargn la Pologne une inva-sion sovitique la mode Prague ou Budapest.

Une version conteste par Walesa et les siens, bien sr ; mais combien de temps une rvolution du genre Solidar-nsc aurait-elle tenu face aux chars de Brejnev? Et avec quels dgts? Gouver-ner cest choisir, et le moindre mal est lennemi du pire. Sans compter qutre polonais, ces cinq cents dernires annes, cest savoir sadapter.

loccasion de la perestroka, notre despote a dailleurs ouvert avec loppo-sition des ngociations qui menrent, ds 1989, une transition pacifique vers la dmocratie.

Cest seulement partir de 2007 que la justice polonaise commencera cher-cher des poux sur le crne du vieux gnral, la retraite depuis dix-sept ans. Seule lHistoire me rendra justice un jour , rptait-il amrement au cours de ses dernires annes. Voil qui est fait, Wojciech!

1. Qui ne baisse pas seulement en latin et en grec, comme le croit cet optimiste de Finkielkraut.

2. Et de My Yiddish Momme (1969).

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IUT DE SAINT-DENIS, ON TOUCHE LE FOND !

Je mappelle Mayol. Je suis une star de lapne, et je suis en train de battre mon propre record: dix-huit mois en apne. Personne ne la jamais fait. Dix-huit mois et ma 30emenace de mort. Guiness Book, me voil! Youpi!

Au dbut, je nesprais pas faire aussi bien. a a dmarr mollement. Le Crous me saisit officiellement parce quune association dtudiants, LOuverture, vend des sand-wiches sans autorisation. Quasiment une affaire dtat, donc Mais je suis directeur de lIUT, je dois faire respecter la loi. Je dcide de rcuprer les cls de leur local, le seul de lta-blissement, afin quil soit partag avec dautres associations et syndicats tudiants.

3 fvrier 2014. Rendez-vous avec les reprsentants de LOuverture, qui doivent me rendre les cls. Sont en retard Ah, non! Ma porte souvre brusquement. Pourraient frapper, quand mme!

Police! Alerte la bombe! vacuation de lIUT, fouille: pas de bombe, mais une trentaine de tapis de prire dans le local de lassociation.

Ce nest pas parce quil y a un tapis de prire dans les locaux dune association quil y a une mosque clandestine derrire..., quil y a une monte du communautarisme, a dclar Jean-Loup Salzmann, prsident de Paris-XIII, dont dpend mon IUT. Et celui qui va rouler Jean-Loup avec des petites ruses stigmatisantes, il est pas n!

5fvrier 2014. Pneus crevs sur le parking de lIUT.

En prenant mes fonctions, jai plong dans la paperasserie. On est apniste ou on ne lest pas. Et jai mis au jour un systme trange dans le dpartement de Rachid. Des contrats signs avec des vacataires qui nont jamais donn de cours. Dautres qui ont t embauchs pour des matires qui ntaient tout simplement pas au programme... Bref, jai assaini tout a. Dans ma spcialit, il est important que lair soit pur.

Arrte tout, tu vas mourir. Quinze lettres damour lIUT! Chaque fois, jai dpos une plainte. Mont bien aid, au

PAS DAMALGAME

commissariat : Changez rgulirement ditinraire, dans la mesure du possible. Cest quoi, lunit de mesure du possible?

Quand je suis stress, il me faut du grand bleu. Immersion. Trois ans plus bas. Juin 2012, Rachid Zouhhad me remplace la tte du dpartement TC. Moi, je deviens directeur de lIUT. Sympa, Rachid. Il est venu dner chez moi, je suis all dner chez lui.

15mai 2014, premire lettre de menace mon domicile.

Cest bientt la fin. Tu vas mourir, toi, ta femme et tes enfants. Cest une fatwa. On appelle tous les musulmans la respecter.

Un malade qui samuse faire le corbeau et qui se dit islamiste parce que cest la mode! Ce nest pas parce quil se dit islamiste quil lest. On ne la lui fait pas, Jean-Loup!

Aprs un an, Rachid a fait un gros mnage: plus aucune femme nexerce la fonction de directeur des tudes. Toutes remplaces par des hommes, dont certains travaillaient avec lui depuis dix ans. Idem pour la gestion des personnels. Vingt-trois vacataires recruts, dont plusieurs navaient ni les titres ni les comptences pour assurer des enseignements ce niveau, des enseignants permanents en sous-service, des heures non faites et non rattrapes La somme des heures litigieuses reprsente 196000euros.

Face ces dysfonctionnements, je place le dpartement sous tutelle en mars 2014, et le conseil de linstitut vote la destitu-tion de Rachid Zouhhad.

Ma bote aux lettres : facture EDF, pub, et ma photo avec Mort crit sur le front. Ten dis quoi Jean-Loup?

Je suis le premier appeler un chat un chat. Mais peut-on parler dune monte du communautarisme Saint-Denis? Ni plus ni moins quailleurs.

Vous voulez menfoncer? Je me laisse couler jusqu 2005

LIUP, dirig par le mme Rachid, avait alors connu des dra-pages trangement semblables : insuffisances chroniques

Par Jean-Paul Lilienfeld

Est-il bien raisonnable de laisser un cinaste draisonnable commenter chaque mois lactualit en toute libert ?

Assurment non. Causeur a donc dcid de le faire.

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dorganisation, recrutement des vacataires non rigoureux. Alain Neuman, le prsident de Paris-XIII de lpoque, avait dmantel cet IUP dans un contexte de menaces trange-ment semblables.

Lair est trop vici, je remonte 2006 Des sanctions disci-plinaires svres sont prononces contre Rachid et son orchestre

Je nage trois ans plus haut 2009. Les sanctions sont annules. Jean-Loup Salzmann, le nouveau prsident de Paris-XIII, a prfr affecter Rachid et son orchestre lIUT de Saint-Denis. Il sait trs bien qui il a affaire, mon Jean-Loup

21mai 2014. Nuit.

Sortie dune runion. Deux balzes. Distribution de coups de poings On tavait prvenu Ils partent en courant. Lunettes casses, il au beurre noir, ITT. Jean-Loup? Tes l ? Jeaaaan-Louuuuup?...

Besoin de respirer. Je remonte vite. Janvier 2013. Javais oubli avoir reu ce mail de Rachid qui flotte entre deux eaux : il me deman-dait une faveur pour Omar Jellouli, le prsident de las-sociation LOuverture, en me promettant quil demanderait un retour dascenseur Jellouli. Il fallait en plus que je fasse croire que ctait un service demand par la fac

Encore un truc bien clean. Droit comme la premire lettre de son nom de famille, Rachid

Euh, nan? Il ny aurait quand mme pas une petite connivence de rien du tout entre lui et Omar, le prsident de lassociation LOuverture?! Naaaan!... Jean-Loup?...

Au niveau daot 2013, je me stabilise devant lpave du Haut Conseil lintgration. Une plaque : Ci-gt le rapport de la Mission lacit sur lenseignement suprieur, coule par ltat. Je palme autour du vestige. Genevive Fioraso, la ministre de lEnseignement suprieur de lpoque, map-parat, bullant en boucle qu aucune universit na saisi le ministre au sujet de la lacit: cest donc que a ne pose pas de problme. Quon ninvente pas des problmes l o il ny en a pas!

Derrire elle, Jean-Loup nage dans le sens de sa ministre. On ne traite pas un non-problme par une loi, le rapport du HCI est dconnect des ralits.

Et, soudain, Jean-Louis Bianco surgit : La Mission lacit a t remplace par lObservatoire de la lacit. Que je prside. La France na pas de problme avec sa lacit. Cest donc pour

traiter de linexistence de ces problmes que jai t nomm par Franois Hollande.

Dcembre 2014, les menaces reprennent Chez moi. Un livre de Harun Yahya, Le Mensonge de lvolution. En Arabe. Pas grave, la seule chose que je dois comprendre, cest la couverture: une tte de mort.

Janvier 2015, la une de Charlie Hebdo Tout est pardonn, avec crit en travers: Pas partout, pas lIUT. Trois fois, je lai reue.

Ma voiture vandalise mon domicile, vitre casse et feuilles A4 jetes sur les siges avec le mot

MORT.

Mon courrier : Cest bientt la fin. Trois fois aussi. Doivent

aimer les trilogies ces gens-la. Le Parrain, par exemple

Capture dcran de mon interview sur iTELE. Avec les yeux crevs

Ce soir, ils ont sonn mon interphone. Personne na parl. Ctait juste pour dire quils savent o me trou-

ver...

Je palme jusqu lair libre. Je suis fatigu par mon apne.

Fatigu de ce quotidien sous tension. De la peur qui a gagn ma

famille. Des prcautions prendre pour les sorties scolaires, des cauchemars de mes

enfants.

Je mcroule sur le sable. Je suis trs seul sur cette plage.

Cling. Jai reu un SMS. Encore des menaces de mort. Carr-ment sur mon tlphone ! Et puis six autres SMS de six de mes enseignants. Eux aussi ont reu des menaces de mort. caractre antismite. Sauf mon collgue musulman. Lui, on lui reproche de renier sa communaut. Et enfin, une de mes collaboratrices a trouv ltoile de David tague sur la porte de son bureau.

Jen ai marre. On est le 24 mai 2015. Je mappelle Mayol. Samuel Mayol. Vous pouvez faire tout ce que vous voudrez, je ne dmissionnerai pas. Si jtais dcourageable, il y a long-temps que jaurais t dcourag. Mais un apniste sait quon ne peut jamais toucher le fond

Un chat ! Un chat ! Des cris me font me retourner. Un chaaaaat!!!! La voix sapproche. Mon Jean-Loup merge en haut de la dune, poursuivant un matou affol.

Il navait pas menti, mon Jean-Loup. On peut lui faire confiance. Il appelle bien un chat un chat

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Journaliste amricain, spcialiste des questions politiques et sociales europennes, Christopher Caldwell publie rgulirement dans leFinancial Times, le Weekly Standard, le New York Times, Slate et Atlantic Monthly. Son dernier livre,Une rvolution sous nos yeux - Comment l'Islam va transformer la France et l'Europe, a t publi aux ditions Du Toucan lautomne 2011.

Rassemblement pour dnoncer lamort de Freddie Gray, Baltimore,

28 avril 2015.

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outes les villes ont un Michael Brown! Ce slogan a t scand par des milliers de Noirs amricains lors des rcentes meutes urbaines. Brown, un gant 130kg de 18 ans, a t tu lt dernier par un policier de Ferguson (Missouri) aprs avoir cambriol avec violence une boutique de cigares. Selon les protestataires, Brown a t abattu de sang-froid alors quil avait les mains en

lair et implorait: Ne tirez pas! Les protestataires ont raison de souligner quune srie dincidents impliquant des jeunes hommes noirs et des policiers ont eu lieu dans tout le pays. Mais cest tort quils affirment que Brown avait lintention de se rendre. Les enquteurs locaux ont confirm la version du policier: ses mains ont mme t rafles par les balles.

Lenqute diligente par le ministre de la Justice na pas invalid ces conclusions. Mais cela na pas arrt les manifestations, au contraire: maintenant, toute arrestation litigieuse devient une affaire politique. Des leaders noirs sinquitent dune rsurgence du racisme anti-noir et appellent un nouveau mouvement des droits civiques pour le combattre dans la rue. Alors mme que plusieurs indicateurs suggrent une amlioration de la coexis-tence raciale lection et rlection dun prsident noir, dclin de la sgrgation rsidentielle, hausse des mariages mixtes, les tats-Unis se retrouvent au bord dune nouvelle crise raciale.

En avril, Baltimore, ville en pleine dliquescence quelque 55 kilomtres au nord-est de Washington, a t le thtre dmeutes dclenches par la mort de Freddie Gray. 18ans, le jeune homme avait un casier judiciaire charg avec quatre arrestations pour la seule anne 2015. Il est mort dans des circonstances encore indtermines des suites de blessures au dos, aprs avoir tent dchapper un policier. Les enquteurs

NE TIREZ PAS SUR LA

POLICE ! Par Christopher Caldwell

Les meutes de Ferguson et Baltimore ont fait renatre les vieux discours sur

les flics racistes avides de sang afro- amricain. Les faits invalident cette

thse en noir et blanc.

pensent quil sest bless en se dbattant au cours dun transfert mouvement (a rough ride), une pratique policire visant humilier et puiser des suspects en les brinquebalant menotts larrire dun fourgon lanc vive allure. la vraie nouveaut, cest que les bavures sont filmesGray nest que le dernier des Mike Brown. Il y a dabord eu Trayvon Martin, abattu en Floride par le policier auxiliaire George Zimmerman dont la version des faits (et les contusions srieuses) ont convaincu le jury quil se trouvait en situation de lgitime dfense. Puis Eric Garner, un vendeur de cigarettes la sauvette qui avait rsist son arrestation Staten Island (New York) avant de mourir asphyxi au cours dune bagarre avec un policier. Et il y a eu aussi Walter Scott, automobiliste tu en Caroline du Sud en essayant dchapper un contrle de police. Il a t abattu dans le dos, comme le montre une vido particu-lirement choquante de la scne. Les vies des Noirs comptent! Black lives matter: le mot dordre du mouvement de contestation est sans ambigut. Ces incidents pourraient pourtant navoir pas grand-chose voir avec les prjugs raciaux de la police. Du reste, le problme nest pas nouveau, mais avec lomniprsence des tlphones portables il est plus visible, plus mdiatis et plus dnonc. En ralit, dans un pays de 300millions dhabitants o les armes sont lgion, une poigne de bavures dues lincomptence ou la brutalit policires en cinq ans nest peut-tre pas si inquitante.

Lennui, cest que nombre de donnes basiques qui seraient ncessaires la bonne comprhension de la situation restent taboues, en particulier celles qui concernent la dimension raciale de la criminalit aux tats-Unis. Selon le FBI, 9millions darrestations ont t effectues en 2013, dont 400 000 pour crimes violents: alors que les Noirs ne constituent que 13% de la population amricaine, ils reprsentent 39 % des individus interpells pour crimes violents, 52 % des auteurs prsums dhomicides et 56 % des personnes arrtes pour vol main arme. titre de comparaison, au cours de la dernire dcennie, la proportion dAmricains dorigines hispanique et asiatique dans les arrestations a notablement diminu, au point de passer en dessous de celle des Blancs. Enfin, la politique de discrimi-nation positive mene depuis des dcennies a port ses fruits: les forces de police qui procdent aux arrestations sont trs largement composes de Noirs.

Et, pourtant, la lgende a la vie dure parmi les Noirs et une partie des lites: la surreprsentation des Noirs dans les arrestations serait due au racisme et ce quon appelle en France les

T LA POLITIQUE DE DISCRIMINATION POSITIVE A PORT SES FRUITS : LES FORCES DE POLICE QUI PROCDENT AUX ARRESTATIONS SONT TRS

LARGEMENT COMPOSES DE NOIRS.

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contrles au facis. Dans le cas de Trayvon Martin par exemple, le procs na nullement prouv que George Zimmerman avait agi par racisme, bien quavocats et militants aient dploy une nergie considrable pour le dmontrer.

Zimmerman est le fils dun immigr latino-amricain, le quartier dans lequel il avait choisi de vivre est peupl 20% par des Noirs, aussi est-il difficile de voir dans son geste un remake de la vieille sgrgation sudiste. Lorsquil a repr Trayvon Martin, il a commenc par appeler la police pour demander de laide. Certains, estimant ses motivations suspectes, nen ont pas moins cherch alourdir encore la barque. Benjamin Jealous, prsident de lAssociation nationale pour lavancement des personnes de couleur (National Association for the Advance-ment of Colored People) a affirm que les appels de Zimmerman la police visaient de faon disproportionne de jeunes hommes noirs. Malheureusement, cette disproportion est le lot quotidien de chaque policier.

LAdministration Obama dfend galement la thse selon laquelle les jeunes Noirs seraient cibls cause de leur couleur de peau. Le prsident lui-mme a dclar, peu aprs la mort de Trayvon Martin, que sil avait eu un fils, il ressemblerait

Trayvon. Le chef du dpartement de la Justice Eric Holder qui a pris sa retraite depuis a lui aussi voqu le jeune homme en utilisant son prnom, Trayvon. Ce mme Holder, que lhisto-rien Michael Eric Dyson dcrit comme un homme parfaite-ment intgre sur la question raciale [Holder est noir NDLR], sest rendu Ferguson lautomne dernier pour rencontrer la famille de Mike Brown. Peu de choses mont autant boule-vers, a-t-il confi aprs ce rendez-vous, prcisant quil avait discut avec eux non pas comme un ministre, mais comme un pre . Manifestement, lAdministration Obama donne beau-coup dimportance aux symboles, tout particulirement quand il sagit des questions raciales. la mort de Nelson Mandela, les tats-Unis ont mis leurs drapeaux en berne pendant trois jours et le prsident a assist aux obsques en Afrique du Sud.

LADMINISTRATION OBAMA AFFIRME QUE LES JEUNES NOIRS SERAIENT

CIBLS CAUSE DE LEUR COULEUR DE PEAU.

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En revanche, au lendemain de la mort de Margaret Thatcher ou de lattentat contre Charlie Hebdo, Washington sest content denvoyer une dlgation de second ordre aux clbrations. Certes, la situation dans les quartiers pauvres des tats-Unis est tendue, ambigu, aussi est-il difficile pour tout prsident de trouver la rponse approprie. Aussi tragiques soient ces morts violentes, il faut rappeler que la plupart des victimes sont de jeunes hommes qui rsistent une arrestation. En manifestant sa sympathie, souvent pendant que des meutes continuent de faire rage, lAdministration accrdite dans une partie de la population amricaine lide quelle encourage le dsordre. chaque fois, des rcits mettant en question la version officielle se propagent rapidement. Des photos de Trayvon Martin en gangster, avec une arme feu, ou en train de consommer de la drogue, enregistres sur son propre tlphone portable, ont t diffuses sur Internet. Tout comme la liste des 18arrestations de Freddie Gray, la vido o lon voit Mike Brown commettre un vol ltalage et malmener le commerant peu avant sa mort. Dans ce contexte, il nest gure surprenant que Dan Donovan, le procureur qui a jou un rle dcisif dans lacquittement du policier new-yorkais impliqu dans la mort dEric Garner, ait t ce mois-ci lu au Congrs la faveur dune lection partielle. Sur la question raciale, depuis le vote des lois sur les droits civiques dans les annes 1960, le gouvernement fdral sest octroy une large panoplie de pouvoirs dexception. Le dpar-tement de la Justice en a fait un usage abondant. Lautomne dernier, Ferguson, il a pouss le chef de la police la dmis-sion, alors mme que le rapport dfinitif sur la mort de Mike Brown ntablissait aucune preuve de racisme, ni mme de faute professionnelle. Il est vrai quau passage, on avait dcouvert que la police municipale arrondissait ses fins de mois en racket-tant les auteurs de dlits routiers (forme de corruption assez rpandue dans la police amricaine), et que les automobilistes noirs taient plus souvent contrls que les autres (ce qui arrive souvent).

Antiracisme ou clientlisme ?La diabolisation de la police municipale de Ferguson dmocra-tiquement lue et son dmantlement constituent clairement un abus de pouvoir. Si, au moment de la mort de Michael Brown, 50 des 53 policiers de Ferguson taient blancs, cela na rien voir avec le racisme et tout avec le changement dmographique et sociologique de la ville : en 1990, Ferguson tait aux trois quarts blanche, aujourdhui, elle est deux tiers noire. La fonc-tion publique est tout simplement en dcalage avec la dmogra-phie. De mme, la police de Washington reste majoritairement noire alors que, pour la premire fois depuis les annes 1950, les Afro-Amricains sont redevenus minoritaires dans la ville. Quoi quil en soit, jusqu lan dernier, Ferguson tait considre comme une success story un coin prospre et sympathique accueillant des classes moyennes de toutes origines. Difficile de dire, cependant, si ses habitants taient suffisamment tolrants pour embrasser cette Amrique de plus en plus diverse ou trop pauvres pour la fuir.

Aprs laffaire Freddie Gray Baltimore, ce systme de pouvoir dexception en matire raciale a atteint des sommets dans

labsurde. En effet, il a t conu pour empcher le pouvoir suppos blanc par dfinition de dfendre des lois ou des mesures racistes. Le problme, cest qu Baltimore tous ceux qui dtiennent un pouvoir politique significatif sont noirs : la maire, le chef de la police, le conseil municipal et son prsident ainsi que lruptive procureur de la Rpublique Marilyn Mosby. Au niveau fdral, la plupart des dirigeants amens traiter la crise Baltimore le sont aussi : le prsident, le ministre de la Justice sortant ainsi que sa remplaante Loretta Lynch.

Quand MmeMosby a annonc louverture de poursuites contre la police locale, elle a fait cette dclaration : Aux citoyens de Baltimore, aux manifestants de tous les tats-Unis, je dis : jentends votre appel. Pas de paix sans justice! Lennui, cest que ceux que Mosby qualifie de manifestants, dautres les appellent meutiers. Plus grave encore, ces propos renouent avec la justice expditive des foules grgaires que combattait prcisment le Mouvement pour les droits civiques.

Il se trouve, enfin, que trois des six policiers mis en cause pour leur responsabilit par ngligence dans la mort de Freddie Gray sont noirs. Les charges les plus lourdes psent sur Caesar Goodson, le conducteur du fourgon, que le New York Times dcrit comme gentil et sociable. Ces faits nont pas empch la maire de Baltimore, Stephanie Rawlings-Blake, dexiger que le dpartement de la Justice ouvre une enqute pour discrimi-nations raciales dans les pratiques et comportements, afin de dterminer si sa police, qui est 50% noire, ne serait pas raciste sans le savoir ni le vouloir.

Dans la politique municipale amricaine, les enqutes de ce genre sont souvent, derrire lapparence de la confrontation, lenjeu de combines et tractations de coulisses. Aprs lenqute sur la police de Baltimore, la maire pourrait opportunment recevoir de ses amis politiques de la Maison-Blanche lordre daccorder des ressources supplmentaires ses amis politiques sur le terrain. Ainsi naura-t-elle pas assumer la responsabilit de son clientlisme.

Les tensions raciales aux tats-Unis affaiblissent la police. Aujourdhui, dans des situations qui exigent du courage physique, les policiers sont en prime exposs la menace de poursuites judiciaires. Au bout du compte, ils se diront que a ne vaut pas le coup de prendre des risques. Du reste, la dmo-bilisation semble dj luvre : fin avril, on recensait dj Baltimore 12 homicides de plus quau cours de lanne 2014. Il est vrai quen matire de violence urbaine, Baltimore a une longue tradition, mais nous sommes bien au-del de ce problme end-mique. Cest une crise majeure. Et elle na pas fini de saggraver.

LE MAIRE DE BALTIMORE A EXIG QUON OUVRE UNE ENQUTE POUR

DTERMINER SI SA POLICE, QUI EST 50 % NOIRE, NE SERAIT PAS RACISTE

SANS LE SAVOIR.

Dploiement policier lors de la marche contre lesviolences policires Baltimore, 25 avril 2015.

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a cause est entendue. Le procs de lantiracisme a t fait et refait. On a maintes fois dmontr ses effets corrosifs sur le dbat public, sur lequel il fait planer une logique du soupon. On sait aussi comment il a permis de recycler, en lui donnant un autre nom, un antifascisme devenu anachronique. On connat ses ttes de Turc, de Paul Yonnet Pierre-Andr Taguieff en passant par Alain

Finkielkraut et bien dautres. Il suffit dobserver, serait-ce pour le dplorer, que le vivre-ensemble multiculturel ne marche pas, pour tre frapp de mauvaise rputation. On pourrait croire que le rel a offert une amre victoire aux sceptiques de la diversit, aux malheureux de lidentit. On se tromperait. Lantiracisme aurait d tre mis en droute par les faits, il a gagn dans les ttes. Il est au pouvoir dans la plupart des tats occidentaux.

Dun pays lautre, quelques rapports commands dmi-nentes personnalits tablissent les lignes de force et jalonnent les progrs de cet antiracisme dtat. Ds 2000, en Grande-Bretagne, le rapport Parekh fournissait un mode demploi pour la reconstruction multiculturaliste de ltat. Au Canada, depuis 2008, cest le rapport Bouchard-Taylor, ralis la suite de la crise des accommodements raisonnables au Qubec, qui inspire la doctrine officielle. On y trouve une dfinition assez complte du multiculturalisme comme doctrine applique qui conjugue trois lments: un rcit historique de lavnement de la diversit, une sociologie des discriminations et des rapports entre majorit et minorits, et une srie de politiques publiques visant parachever la mutation diversitaire de la dmocratie. En France, le rapport Tuot, remis en 2013 Jean-Marc Ayrault, prconisait plutt une mise jour multiculturaliste du

LANTIRACISME, IDOLOGIEDTAT Par Mathieu Bock-Cot

Pour dlgitimer ltat-nation, nos lites politiques veulent riger le multiculturalisme en norme intangible.Et quiconque sy oppose est qualifi de raciste.

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Mathieu Bock-Cot est sociologue (Ph.D), charg de cours HEC Montral et chroniqueur au Journal de Montral. Il est notamment lauteur de La Dnationalisation tranquille (Boral, 2007), de Fin de cycle (Boral, 2012) et dExercices politiques (VLB, 2013).

socialisme franais. Mais, sur le fond, il tait de la mme eau que le prcdent qubcois.

Mme diagnostic, mme remde: dans des socits dsormais structures par la diversit, la seule solution politique, cest le multiculturalisme, qui doit convertir les peuples aux joies du mlange. Et, pour y parvenir, il doit terrasser lennemi toujours prompt relever la tte: le racisme. Reste encore comprendre ce que lantiracisme nomme racisme. Or, loin den fournir la dfinition prcise qui serait ncessaire, lantiracisme englobe le racisme dans le vaste ensemble des discriminations engen-dres par diffrents systmes dexclusion comme le sexisme ou, selon la nouvelle obsession du jour, lhtro-sexisme. La lutte contre les discriminations, objectif dcrt incontestable, est donc devenue, avec le concours notable des mdias, lune des grandes tches de notre temps.

Multiculturalisme ou barbarieLe multiculturalisme dtat repose donc sur un rcit fondateur: celui des crimes de lOccident, qui obtiendra sa rdemption par la reconnaissance de la diversit, laquelle se constitue voire sinstitue en dynamitant les systmes discriminatoires qui niaient son existence mme. Il sagit ds lors de faire voler en clats le roman national en montrant que les institutions auxquelles nous accordions traditionnellement notre confiance taient les instruments dinsupportables rapports de domi-nation. Cest ainsi que, dans de nombreux pays, lcole a t somme denseigner une histoire pnitentielle appelant les populations autochtones faire repentance.

On laura compris, le racisme tel que le voient et le combattent les antiracistes nest pas seulement une opinion sotte quil faudrait discrditer ou une doctrine terrifiante quil faudrait combattre. Il nest pas un phnomne individuel, mais une structure sociale. tienne Balibar, une figure majeure de la sociologie antiraciste, soutient mme quil est le principe partir duquel sest consti-tu ltat-nation occidental. Do linvention paradoxale dune socit juge raciste sans quil soit ncessaire dy trouver des racistes concrets et o lon peut, en consquence, pratiquer lanti- racisme plein temps sans encourir le moindre risque.

Grce cette trouvaille thorique et politique, la sociologie antidiscriminatoire sest impose au fil des ans comme une sociologie dtat. Autrement dit, elle constitue la principale grille de lecture des rapports sociaux sur laquelle se fondent les politiques publiques. Cest partir delle que lappareil admi-nistratif prtend saisir le rel pour mieux le transformer. Pour cette cole de pense, toute forme dingalit sociale, culturelle ou conomique est le produit dun systme discriminatoire dont la moindre disparit statistique entre communauts vient confirmer lexistence. Dailleurs, une fois installe lide que la

discrimination est systmique, ces communauts sont invites semparer du concept pour analyser et amliorer leur situa-tion. Cest ainsi qu intervalles rguliers les apparatchiks de lantiracisme gouvernemental se dsolent du faible nombre de plaintes pour discriminations recueillies par les agences cres pour orchestrer la lutte contre ces odieuses survivances de lordre ancien. On excite ainsi le sentiment dinjustice, on flatte le sentiment victimaire des mcontents. Ltat multicul-turel juge de sa russite laune des dnonciations rcoltes par ses agents, supposes prouver la fois que les injustices sont une ralit et que la dynamique qui aboutira les corriger est enclenche par la revendication dgalit porte par les minorits. Dans ces conditions, il nest gure tonnant que les groupes se dcouvrant victimes dun systme discriminatoire se soient multiplis avec le temps.

Les rapports sociaux sont analyss la lumire du binme conceptuel majorit-minorits la premire ayant structurel-lement tendance tyranniser les secondes. tant entendu que la majorit, culturelle ou sexuelle, a impos ses propres rfrences lensemble de la socit, il convient de la dpouiller promp-tement de ces privilges honteux. Les esprits les moins subtils appelleront au renversement de lhomme blanc htrosexuel et mort (DWEM, dead white european male), sans trop chercher cacher quils entendent prendre leur revanche sur lhistoire et substituer une oppression une autre. Mais, pour toute la socio-logie antidiscriminatoire et pour ses porte-parole mdiatiques, il sagit de dcoupler la citoyennet de lidentit nationale, et de toute forme dhritage culturel particulier. Il faut en tre conscient: la politique multiculturelle ne vise rien de moins que la neutralisation, puis le dmantlement et le renversement des privilges majoritaires. En clair, pour raliser la dmocratie, elle sape lun des piliers de la dmocratie. Ainsi, si certains groupes immigrs peinent trouver leur place dans la socit daccueil, ce nest pas parce quils rechignent sen approprier les murs, mais parce que ces murs, bien trop pesantes, sont attentatoires la diversit.

On doit donc tout faire pour arracher la socit sa culture, en instaurant notamment une distinction radicale entre le droit et les murs. Les institutions publiques et, dans la foule, les organismes privs sont sommes de traquer et dradiquer en leur sein toute trace didentit culturelle ou, pour tre plus prcis, de lidentit culturelle majoritaire. La nation daccueil est, au mieux, une communaut parmi dautres, ceci prs quelle est coupable. En somme, lantiracisme relook en lutte contre les discriminations veut contraindre les socits occi-dentales remettre zro le compteur de lHistoire.

LE MULTICULTURALISME DTAT REPOSE SUR UN RCIT FONDATEUR : CELUI DES CRIMES DE LOCCIDENT, QUI NOBTIENDRA SA RDEMPTION

QUAVEC LA RECONNAISSANCE DE LA DIVERSIT.

Prophets of Rage, Keith Haring, 1988.

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Manifestation contre la xnophobie dtat , Toulouse, 4 septembre 2010.

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La volont, manifeste de faon rcurrente, de dchristiani-ser le calendrier et les ftes qui le ponctuent sinscrit claire-ment dans cette dnationalisation de lidentit collective. En revanche, puisquil faut marquer le plus clairement possible la prsence de lAutre dans lespace public, on offre une recon-naissance maximale ses symboles identitaires. Dans lespace public, dlivr de lemprise majoritaire, toute hirarchie entre les cultures est bannie quoique, dans les faits, cette neutra-lit fantasme se traduise souvent par une simple inversion des vieilles hirarchies, lidentit trangre tant tenue comme meilleure par essence.

Cest ainsi que la socit devient vritablement inclusive, conformment aux rquisitions du rapport Tuot qui suggre que, pour avancer vers cet horizon, la France doit souvrir pleinement sa composante arabo-musulmane issue de lim-migration. On se rappelle aussi Martin Hirsch qui soutenait que lintgration serait une russite quand un grand nombre de catholiques nommeraient leurs enfants Mohamed. Cette proposition pour le moins caricaturale nen est pas moins exemplaire de linversion du devoir dintgration qui carac-trise le multiculturalisme dtat: ce nest pas limmigr de sacculturer et de sintgrer son pays daccueil, cest celui-ci de transformer radicalement ses institutions et sa culture pour accommoder la diversit.

SOS RacistesLantiracisme a donc t larme idologique qui a permis aux lites gouvernantes de faire avancer subrepticement en France et de dployer triomphalement au Canada le multicultura-lisme politique. Dope par largent et le discours publics, la lutte contre les discriminations est convoque comme preuve de lexistence de lordre raciste quelle combat. Dans cette logique absurde, lantiracisme a besoin de racisme. Et plus encore de racistes. Lennemi quil faut dnoncer et punir doit avoir un nom et un visage.

Heureusement, de vrais racistes qui sassument comme tels, on nen trouve pas tant dans lOccident du plus jamais a. De toute faon, le raciste visage dcouvert nintresse pas la sociologie antiraciste, ce quelle aime, cest faire tomber les masques. Elle sest donn pour mission de mettre nu la structure raciste des grands principes de la modernit poli-tique et, plus encore, de dsigner les nouveaux ennemis de lhumanit.

Dans le champ des ides, lennemi prend deux formes : le racisme universaliste et le racisme diffrentialiste. Le premier, au nom dune conception abstraite de lgalit, interdit toute politique de rparations visant corriger les ingalits struc-

turelles entre les communauts. Le libralisme comme le rpu-blicanisme ne sont que les prte-noms des privilges du majo-ritaire. En refusant de reconnatre la situation discriminatoire des minorits, en les condamnant linvisibilit, les dfenseurs de luniversalisme ne cherchent qu reconduire leurs posi-tions dominantes, peut-tre sans le savoir. Pour les aptres de la diversit, il ny a pas de mritocratie possible dans une socit structure par une culture majoritaire. La discrimina-tion positive est la rponse au blocage systmique dont seraient victimes les minorits. Elle a donc une fonction majeure qui consiste dvoiler le mensonge de lgalit rpublicaine.

Le racisme diffrentialiste, quant lui, est souponn dessen-tialiser les identits. Celui qui ose envisager que toutes les cultures ne soient pas compatibles entre elles est accus de rompre lunit fondamentale du genre humain, comme sil naturalisait les cultures, la manire de races dont on nose-rait plus dire le nom. Cest le grand paradoxe de lantiracisme, qui invite la reconnaissance de lAutre mais vide son identit de tout contenu. Cette faon de penser interdit toute rflexion sur les consquences de limmigration massive et, aujourdhui, toute rflexion portant sur la difficile intgration de lislam dans les pays occidentaux.

Ds lors quil est interdit de poser la question des diffrences culturelles collectivement acceptables, seul le refus de lAutre exprim par des socits occidentales ethnocentres explique les difficults de la cohabitation. Laboutissement logique de la sociologie antidiscriminatoire, cest que lexistence mme de frontires sparant des groupes humains diffrents, porteurs dhritages et de murs diffrents, est illgitime. Dans un futur radieux, il ny aura plus de diffrence entre le citoyen et ltran-ger et lidentit culturelle sera compltement privatise.

Bien entendu, ne pas adhrer bruyamment la sociologie anti-discriminatoire vous fait vite passer pour un collabo incons-cient de lordre raciste. Finkielkraut disait que lantiracisme est le communisme du xxiesicle. La formule est juste. Il y a au cur de lantiracisme une prtention totalitaire, pour peu quon ne rserve pas ce mot au vingtime sicle et quon le dfinisse par la prtention une reconstruction intgrale de la socit partir dune idologie devant absorber tout le rel, de sorte quaucune relation sociale ne se drobe aux prescriptions du pouvoir. Naturellement, plus le rel rsiste sa conversion idologique, plus lidologie se radicalise et plus le contrle social sintensifie. Partout, ce ne sont que lois, tribunaux, sanc-tions, appels punir la plus infime dviance verbale: ce nest plus la pratique de la discrimination que lon traque, mais sa suppose apologie, mme indirecte (ainsi, un admirateur de Napolon est-il dsign comme dfenseur de lesclavage). Lan-tiracisme pousse la criminalisation du dsaccord.

Lantiracisme est rvolutionnaire et fabrique par effet de contraste des contre-rvolutionnaires quil peut exclure de lhu-manit. Mais le travail est sans fin, puisquil y aura toujours, en dernire instance, des hommes et des femmes qui se cabreront contre cette dconstruction de leur mode de vie et de ce quils croient tre leur culture donc toujours des fascistes fusti-ger. La lutte finale, encore une fois, se ralisera dans la rvo-lution permanente. Avec cette singularit, toutefois, quau-jourdhui elle se dploie grce ltat. Et quelle saccomplit au nom de la dmocratie.

DOPE PAR LARGENT ET LE DISCOURS PUBLICS, LA LUTTE CONTRE LES

DISCRIMINATIONS EST CONVOQUE COMME PREUVE DE LEXISTENCE DE LORDRE RACISTE QUELLE COMBAT.

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maginons linimaginable. Par exemple, des fministes admettant que la plupart des Franaises se proccupent dautres sujets que labolition de la prostitution et lex-tension de la PMA aux couples homosexuels. Ou faisant leur autocritique publique dans les mdias. Ou encore expliquant dans une tribune quil ne sert rien que les femmes accdent au pouvoir si, une fois au sommet, elles

semploient mener une politique machiste , cest--dire insensible aux problmes rels de la majorit des femmes. Cette remise en cause inconcevable en France lheure actuelle sest pourtant produite en Pologne. Incroyable mais vrai: les fmi-nistes locales du moins une de leurs factions ont procd un examen de conscience et avou stre trompes sur quelques questions essentielles. Et lon se prend rver que cette rafra-chissante agitation dides traverse les frontires pour venir un jour contaminer les militantes dOsez le fminisme!.

En Pologne, tout est parti dune question trs simple, que les fministes franaises nont pas (encore ?) os formuler : pourquoi les femmes, profondment attaches aux acquis du fminisme, rechignent-elles se dclarer elles-mmes fmi-nistes? Pour ceux qui lignorent, prcisons quil sagit l dune atteinte un tabou puissant. Car, jusqu prsent, les fmi-nistes et pas seulement polonaises considraient que toutes les femmes souscrivent naturellement lidologie fmi-niste, de prfrence radicale, bien que certaines dentre elles ne le manifestent pas. La veille de la Journe internationale

de la femme est alors paru, dans un supplment mensuel du quotidien Gazeta Wyborcza, un texte sign par deux femmes influentes et mancipes: Aneta Borowiec et Natalia Waloch- Matlakiewicz. Armes dhumour et desprit critique, elles y dnonaient tenez-vous bien les drives du fminisme polonais dans sa mouture daprs 1989. Un sisme!

Bien sr, des diffrends existaient dj entre les courants no- libral et nomarxiste, mais ces dames veillaient jusqualors laver leur linge sale en famille, discrtement. La premire entorse la rgle date de 2014, lorsquune des figures de proue du mouvement fministe, Agnieszka Graff, a saut pieds joints dans lextravagance en devenant mre. Aussitt, MmeGraff a ralis que traverser Varsovie avec une poussette exigeait plus de courage et dintelligence qucrire un article sur le sexisme la tl. Dlaissant ses thmes de prdilection lexclusion des femmes de la sphre publique aprs la chute du communisme, les liens entre le nationalisme polonais et la construction de lidentit de genre, la lgalisation de lIVG, elle a alors publi un livre courageusement intitul Mre fministe. Comme de juste, louvrage a provoqu lire de ses copines, qui laccusaient de conservatisme, autant dire de la tare suprme, nhsitant pas pour loccasion collaborer avec la presse mainstream.

POLOGNE TRE UNE MRE

FMINISTE,CEST PAS SI FACILE

Par Paulina Dalmayer

Contrairement leurs consurs franaises, les fministes polonaises se remettent en question. Exit la fixation

sur les gender studies ou la parit, place aux vrais problmes des vraies femmes.

Osez lalterfminisme !

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Sinterroger, comme Agnieszka Graff, sur les paradoxes dun pays qui glorifie le modle familial sans se donner les moyens dune politique familiale ambitieuse contreviendrait-il aux intrts des femmes ? Le doute a merg. Magdalena Sroda, ancienne haut(e)-commissaire pour lgalit entre les femmes et les hommes au cabinet social-dmocrate de Marek Belka et initiatrice du mouvement populaire Le Congrs des femmes, juge la question sans intrt: les femmes ne disposent-elles pas de machines laver et de services domicile? Graff sinsurge, remarquant avec beaucoup de bon sens que lesdits services domicile, outre quils sont rservs une poigne de privil-gies, sont quasi exclusivement assurs par des femmes qui justement peinent concilier leur travail et leurs obligations de mres. Qui aurait pens que cet change venimeux alimen-terait, une anne plus tard, un dbat de fond cathartique? moins que laffaire ne se transforme en crpage de chignons

La violence et la radicalit sont en effet les deux pchs capitaux des fministes polonaises, qui font fuir nombre de sympathi-santes potentielles. Approuver la lgalisation de lIVG est une chose, dont plus de la moiti des Polonaises reste convaincue de la justesse, y compris des catholiques pratiquantes. De l applaudir la provocation dune Katarzyna Bratkowska qui, en

2013, avait publiquement annonc sa dcision de recourir un avortement clandestin pendant le rveillon de Nol? Certai-nement pas! Si les Polonaises revendiquent le droit de pouvoir interrompre en toute scurit les grossesses non voulues ou dangereuses pour leur sant, elles tiennent tout autant celui de passer sereinement les ftes de Nol aux cts des enfants quelles ont souhait mettre au monde. Quand cet anticlricalisme outrancier en fait rire certaines, dautres se demandent de quelle manire elles pourraient concilier leur foi avec un enga-gement fministe. Et elles ne comprennent pas non plus en quoi manifester sous une pancarte Jai une chatte! les aide-rait trouver un travail ou une place dans une crche.

Mais rien ny fait. Combien avez-vous de copines qui ont avort ? Et combien en avez-vous qui galrent pour rcuprer une pension alimentaire ?, interrogent deux journalistes de Gazeta Wyborcza dans un texte intitul Nomen Omen , La banque de la colre . Les fministes polonaises ont donc, comme chez nous, tendance tre btement ct de la plaque. Quand, en 2005, le gouvernement social-dmocrate a supprim le Fonds alimentaire destin aux femmes les plus dmunies et aux mres clibataires, elles ne se sont pas prci-pites pour en faire une cause nationale. Zbigniew Mikolejko, philosophe lAcadmie des sciences de Varsovie et connu dun large public grce ses feuilletons publis dans ldition polonaise de Newsweek, va plus loin. Reconnaissant aux fmi-nistes le mrite davoir souvent pos un diagnostic juste des rapports sociaux en Pologne, il les invite sintresser dsor-mais lexploitation des femmes par les femmes. Et pointe du doigt la zone grise dans laquelle subsistent les innombrables jeunes filles au pair et autres aides domicile.

Comment expliquer que personne ne se souvienne dune grande action fministe jetant la lumire sur le fait que trois quarts des Polonaises mnent bien leurs grossesses dans des cabinets privs, en raison du manque de structures adaptes dans les tablissements publics ? Simplement parce quune telle action na pas eu lieu ! , renchrit lcrivain Marcin Sieniewicz. Il ny a pas sen tonner. Crme de la crme de llite polonaise, les fministes placent leurs priorits ailleurs la parit sur les listes lectorales, lintroduction des gender studies dans lenseignement suprieur, lorientation de davan-tage de femmes vers les filires scientifiques. Cest sans doute utile. Reste savoir ce qui pourrait pousser devenir fministe une vendeuse de Tesco paye au lance-pierre.

En attendant que le scandale dclench par la tribune publie dans Gazeta Wyborcza provoque un changement dattitude des premires concernes, les Polonaises continueront sintres-ser davantage au boudadhisme quau fminisme. Dommage, puisque malgr leurs travers et leurs ratages, les fministes polonaises peuvent se vanter de quelques belles conqutes, comme la rcente ratification par le Snat de la Convention du Conseil de lEurope sur la prvention et la lutte contre la violence lencontre des femmes. On commence nanmoins sennuyer de voir les fministes se mobiliser toujours en oppo-sition un groupe social ou un phnomne. Une mobilisa-tion en faveur de, la solidarit fminine par exemple supposer quelle existe tomberait point.

Manifestation fministe loccasion de la journe desfemmes, Varsovie, 10 mars 2013.

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VERS LA PAIX CIVILE

Par Herv Algalarrondo

Emmanuel Todd a tort de caricaturer les partisans de la lacit. Mais il a raison

dappeler certains accommodements avec lislam, condition oblige de la

rconciliation nationale.

ui est Emmanuel Todd? La colre qui sexprime dans les pages de son dernier livre, Qui est Charlie?, a davan-tage obscurci sa personnalit quelle ne la claire. Vu le rythme de ses excommunications, on en vient parfois se demander quelle mouche la piqu. En fait, cest assez simple : Todd est un amoureux du de la France. Un amoureux fou, qui se sent totalement trahi. La France, il la clbre dans de nombreux

ouvrages comme la patrie de lgalit, capable de fondre dans un mme creuset des gens venus de tous les horizons. Depuis le 11janvier, il voit en elle la patrie de lintolrance. Il le dit dans les dernires lignes de son livre, qui sonnent comme un aveu douloureux: Jai longtemps eu une foi absolue dans la capacit de mon pays assimiler les immigrs de toutes origines juifs, Asiatiques, musulmans et Noirs. Je dois avouer que le doute menvahit depuis peu.

On peut discuter linfini de certaines de ses assertions : les manifestants du 11 janvier taient-ils tous des islamophobes qui signorent? Est-ce vraiment leuro qui ferait basculer, quasi mcaniquement, les jeunes musulmans des banlieues dans lanti- smitisme? Mais, sur le fond, le diagnostic de Todd rejoint le sentiment gnral: la France peine devenir une socit multi-culturelle. En 1998, loccasion de la victoire de la France la Coupe du monde de football, on avait ft lavnement dun pays black, blanc, beur . Aujourdhui, le miroir scaille : les enfants dimmigrs dorigine africaine sont massivement condamns au chmage ; les catgories populaires tradition-nelles sont relgues la priphrie des mtropoles et votent souvent Front national; la France catholique, pourtant dchris-tianise zombie, comme dit Todd, vit mal lmergence dun islam peru comme conqurant ; on peut nouveau tre tu en France parce quon est juif.

Notre vivre-ensemble fonctionne mal. Or, ce niveau, lor-donnance du docteur Todd est empreinte dune grande sagesse quand il enjoint la Rpublique de choisir la voie de laccom-modement. Nous devons accorder lislam ce qui a t accord au catholicisme lpoque de la lacit triomphante , crit-il.

Et Todd de nous presser den finir avec cette nouvelle religion dmente, le lacisme radical, qui est la vraie menace, davantage selon lui que le fondamentalisme islamique.

Bien entendu, les partisans de la Rpublique une et indivisible ont tordu le nez. Pour eux, pas question de toucher la loi de 1905 sur la sparation de lglise et de ltat. Cest lislam de sadapter la Rpublique, pas le contraire, proclament-ils, linstar dric Ciotti, lun des leaders de lUMP. La France serait comme a, et pas autrement. Aux nouveaux arrivants de sen accommoder. Nombre dhistoriens sont prts reconnatre avec Todd que la IIIeRpublique sest montre conciliante avec la religion catholique quelle na pas compltement relgue la sphre prive: voir la concidence des vacances scolaires et des ftes religieuses. Mais les religions minoritaires se sont coules dans le moule, commencer par les juifs. Aux musulmans, expliquent les partisans de la Rpublique laque, den faire autant ou de faire leurs valises.

Ce raisonnement a un grand dfaut: ignorer le rel. Les musul-mans se comptent aujourdhui par millions. Il existe de facto aujourdhui en France ce que Todd appelle justement une province musulmane , clate certes, mais o les adeptes du prophte sont souvent majoritaires. On est en droit de le regretter, de faire une nime fois comme ric Zemmour le procs du regroupement familial, mais cest une donne incontournable: la France nest plus seulement la fille ane de

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lglise, elle est devenue une petite-nice de lislam, comme beaucoup dautres pays europens.

Est-ce dire quil faudrait fouler au pied la loi de 1905? Bien sr que non. Il y a dans lislam des prceptes que la France ne saurait accepter, comme la condition infrieure de la femme. Mais il sagit darriver pragmatiquement, comme en 1905, un compromis historique, pas seulement avec lislam, mais avec len-semble des religions: le catholicisme na plus vocation rester une sorte de reli-gion officielle, derrire ltendard de la lacit.

Prenons la question la plus actuelle, celle du blasphme. Caroline Fourest en fait un droit fondamental. Emmanuel Todd refuse quil sapplique la religion des plus faibles . La plupart des commen-tateurs se sont rangs aux cts de la premire : en France, lanticlricalisme est considr comme un des beaux-arts. Nous avons cependant le droit douvrir les yeux : pourquoi les tlvisions

a appauvri la France, en combattant par exemple les langues rgionales. Cet intgrisme est aussi largement respon-sable dune page peu glorieuse de notre histoire: la France a t lun des derniers pays dEurope accorder le droit de vote aux femmes. Nos valeureux rpublicains les souponnaient dtre des grenouilles de bnitier, qui rallieraient le parti de la calotte.

La mondialisation et la construction europenne viennent chahuter le modle franais. Sur tous les plans. Sur le plan conomique, notre colbertisme appa-rat moins adapt que le libralisme. Sur le plan socital, le communautarisme anglo-saxon apparat plus respectueux des diffrences qui sexhibent de facto un peu partout. Notre identit nationale serait-elle en danger? Elle doit sadapter aux nouvelles donnes. En annonant sa dcision de devenir aussi franais, Daniel Cohn-Bendit a expliqu quon tait entr dans lre des identits multiples. Fini le temps des mutilations. Dsormais, je a le droit dtre plusieurs.

Comme laffirme Todd, cest a ou laffrontement et le dpart des minorits. Le dpart des musulmans qui iront vivre leur religion ailleurs; le dpart des juifs, traumatiss par les assassinats denfants de Toulouse et la tuerie de lHy-per Casher : beaucoup ont le sentiment que la communaut nationale na pas pris la mesure de la violence des agressions quils ont subies, certains sinterrogent comme Todd sur la renaissance dun antismitisme qui dpasserait celui des banlieues : pourquoi la France rpubli-caine na-t-elle pas ragi lexpulsion de fait des juifs de Seine-Saint-Denis?

Un matre mot doit nous guider dsor-mais: le respect. Nous sommes en droit dexiger des musulmans quils respectent nos valeurs fondamentales, quils construisent un islam de France respec-tueux des autres communauts. Mais, en contrepartie, les musulmans aussi ont droit au respect : nous ne pouvons pas pitiner leurs croyances pour le fun, comme dit Todd. Il a raison dajouter: La France ne peut plus exiger de certains citoyens pas seulement les musul-mans, estimons-nous pour notre part un degr intolrable de renonciation ce quils sont. Laissons la dfense de la lacit pure et dure Marine Le Pen et Jean-Luc Mlenchon. Faisons plutt le choix dune lacit moderne et tolrante.

COMME LE DIT TODD, NOUS NE POUVONS PAS PITINER LES CROYANCES DES

MUSULMANS POUR LE FUN .

Fte sur les Champs-lyses aprs lavictoire franaise en coupe du monde 1998.

anglaises et amricaines ont-elles refus de montrer le numro de Charlie paru aprs le massacre? Pour ne pas offen-ser certains tlspectateurs. LAngleterre et les tats-Unis seraient-ils pour autant menacs de devenir des rpubliques isla-miques? Qui le croit srieusement?

Contrairement Todd, nous ne distin-guons pas une bonne vieille lacit, bien rpublicaine, et un douteux nouveau lacisme qui serait lapanage de vilains norpublicains , hritiers de Vichy. Depuis 1789, un certain intgrisme laque

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QUI ESTZOMBIE ?

Par lisabeth Lvy

Je nai plus lheur de pouvoir dbattre avec Emmanuel Todd. Si nous

tions autrefois amis, il me reproche aujourdhui mes ides islamophobes.

Mais quand il convoque la science pour valider rhtorique victimaire des islamistophiles, on a envie de lui dire,

comme Jsus : Quas-tu fait de tes talents ?

mmanuel Todd na pas de chance: il est de gauche, donc il vit dans un milieu de gauche de centre gauche, prcise-t-il sur France Inter. La plupart du temps, cest trs agrable: appartenir au camp des gentils, a donne le droit dinsulter en boucle et de calomnier en bande un tas de mchants Sarkozy, Zemmour, Finkielkraut, Merkel, La Manif pour tous, la roue tourne. Je ne me

rappelle pas lavoir entendu soffusquer de lunanimisme satis-fait qui, intervalles rguliers, se dchane contre lune ou lautre de ses ttes de Turc. Et il ne me cause plus, rapport mes mauvaises ides islamophobes il faut croire que lexogamie intellectuelle, ce nest pas son truc. Il faut dire quen plus de ne pas penser comme lui, je ne suis mme pas un savant. Todd, cest du srieux, il lit lavenir dans les courbes de la France, on ne peut pas lutter.

Jusquau 7janvier, Todd sentendait merveille avec ses copains de centre gauche, des gens sympas qui sont pour le mariage gay, adorent le rap et sont abonns Mediapart. Daccord, ils se disputaient souvent sur lEurope, mais, en 2012, ils taient tous hollandistes, et mme, dans le cas de Todd qui rvait de New Deal, hollandiste rvolutionnaire. Alors, il na pas lhabitude de se faire engueuler dans les dners, ni de se faire chahuter France Inter.

Et puis il y a eu ces attentats, Charlie et lHyper Cacher et, surtout, il y a eu le 11 janvier, quand 4millions de gogos ont dfil en croyant dfendre la Rpublique, ou la libert, ou quelque chose dapprochant, alors quen vrai, ils ne se mettaient ensemble que pour rclamer le droit de blasphmer sur Mahomet, personnage central de la religion dun groupe faible et discrimin. Et nallez pas lui faire le coup de Voltaire quon assassine: le blasphme, affirme notre savant, devrait tre qualifi dincitation la haine religieuse, ethnique ou raciale. Des caricatures de Mahomet! Que fait la Justice? Il est vrai qu la fin de son livre, il prcise, dans un grand accs dcumnisme rconciliateur, que, dans lheureuse pers-pective dun accommodement de la Rpublique avec lislam, le droit au blasphme est absolu. Dlit ou droit, il faudrait savoir. Passons.

Le 11janvier, donc, Todd a eu un flash totalitaire. Rappelez- vous, il flottait dans lair une odeur dInquisition, un relent de Vichy. Dopes aux bons sentiments, les foules marchaient au pas et ses copains de centre gauche tenaient lil ceux qui osaient braver lordre nouveau et dire quils ntaient pas Charlie. Todd raconte son exprience initiatique du dsaccord en milieu progressiste. Quand jai annonc que je nirais pas manifester, jai entendu des horreurs dans mon environne-ment proche, on ma accus dtre un mauvais Franais.

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LE 11 JANVIER, TODD A EU UN FLASH TOTALITAIRE .

A A D LUI FAIRE TOUT DRLE, DHABITUDE CEST LUI QUI DNONCE

LA MAUVAISE FRANCE.

Emmanuel Todd.

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Pour la premire fois de ma vie, jai eu peur de mexprimer. a a d lui faire tout drle, dhabitude cest lui qui dnonce la mauvaise France.

De son calvaire, notre savant a fait un livre, un livre savant, avec des cartes et des courbes, dont il est trs satisfait. Nem-pche, sil ntait pas de gauche, il naurait pas eu se donner tout ce mal. En effet, il lui aurait suffi de sortir un peu de son environnement proche pour observer quailleurs, dans le mien par exemple, on ntait pas oblig de communier. On avait le droit de se moquer de lair compass des animateurs de Canal+, avec leurs T-shirts Je suis Charlie enfils par-dessus leurs vtements. On avait le droit de ne pas vouloir manifester. On avait le droit de ne pas en tre. Le 10 janvier, jai publi un texte disant que je ntais plus trs sre daller marcher. Lambiance fusionnelle, avec la ritournelle des grands mots, les promesses que plus jamais a et la prolifration plantaire des Je suis Charlie commenaient me taper sur les nerfs. Moi et mes copains pas-de-gauche (enfin, pas tous), on tait partags, on avait envie dy croire mais on ntait pas dupes. Le 11janvier, il y avait dj pas mal de goguenards dans les rues. Aprs, le prsident nous a demand, avec des accents chur-chilliens, de garder pieusement lesprit du 11 janvier. Et puis il nous a conseill daller faire les soldes, parce quon nallait quand mme pas y passer lanne. Cela dit, si Todd tait sorti

de chez lui, a lui aurait plu, dentendre le Premier ministre dclarer que tout a, ctait la faute lapartheid, donc notre faute nous.

En ralit, ds le jour de lattentat, quelques-uns de mes aviss confrres faisaient du Todd sans le savoir. Les vrais respon-sables, proclamaient-ils, ntaient pas les islamistes mais les islamophobes. Rien ne serait arriv si on navait pas laiss Finkielkraut dire quil y a un problme avec lislam, rptait Plenel, la moustache tremblante. Dommage, vraiment, que Todd ait rat tout a, il se serait senti moins seul.

Sauf que justement, il voulait se sentir seul. Seul contre tous. Pour pouvoir jouer les prophtes maudits, il lui fallait une France lobotomise. Il lui a fallu quatre mois pour linventer. Dbut mai, il est ressorti de sa bote trs remont, avec un livre annonc comme un brlot. Depuis, toute la France la entendu vituprer, de plateau en studio, les vieux, les riches et les Bas-Bretons (faon de parler). Les journalistes qui osaient le contredire se faisaient rembarrer sans mnagement: Vous navez pas lu mon livre! sinon, tu saurais o est la vrit. Le Premier ministre, lui, la fait lire par ses conseillers, qui lui ont rdig une tribune pour rpondre cest son nouveau hobby, Valls, il aime bien nous dire ce quil faut lire. Moi, si le Premier ministre me rpondait, je serais un peu flatte, mais

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Todd, a la mis en rage, alors il la trait de ptainiste, et toc. Il est comme a, il adore pater le bourgeois. Un jour, je lai entendu insinuer que les meurtres de Merah taient peut-tre le rsultat dune basse manuvre des services sarkozystes. Un garnement narcissique qui conjugue la suffisance du premier de la classe et linsolence du cancre.

Dans ces conditions, pourquoi participer la cure? Dabord, il ny a pas de cure. Dans les mdias, on linterroge avec df-rence mme quand il part en vrille et se rpand en impr-cations jappelle a son genre entonnoir sur la tte. On le contredit poliment. On le prend au srieux, peut-tre pas toujours raison dailleurs. Nempche, avec laffaire Char-lie, il a nerv pas mal de monde, y compris votre servante. Moi aussi il ma nerve, mais pas pour les mmes raisons. Ses copains de centre gauche, socialistes tides et petits bourgeois frileux quil accable de son mpris, sont blesss ou furieux parce quils naiment pas quon blasphme sur leur 11janvier. Il a dcrt que ctait une imposture, a les a vexs. Pas moi. Sur ce coup, je suis comme Todd, je ne crois pas au 11janvier. Notez que jaimerais bien. Seulement, il y a quelques raisons de craindre que lesprit de rsistance nait t que le masque festif du dsir de soumission. Le livre de Todd est lune de ces raisons. Par une petite farce de la gnalogie, ce juif athe et assimilationniste est, avec Edwy Plenel, Claude Askolovitch et dautres, lune des ttes de file du parti de lAutre (trou-vaille que jenvie Alain Finkielkraut). On pourrait aussi bien parler de parti des Musulmans , puisque Todd, comme Plenel et Askolovitch, se pose explicitement en dfenseur de la minorit musulmane victime de lislamophobie hargneuse des classes moyennes. Bref, sa grille de lecture de laprs- Charlie ressemble beaucoup celle qui a cours dans une certaine gauche pnitentielle, antilaque et fanatiquement intolrante. Dans les milieux islamistes et crypto-islamistes, chez les Indi-gnes de la Rpublique, le Todd 2015 doit faire un tabac.

Faute de temps et plus encore dnergie pour entrer dans le maquis des assertions non dmontres, des contre-vrits et des propos dlirants, entrelards, soyons honntes, de quelques considrations stimulantes, on se contentera de rsumer le propos grands traits. Le dcor que Todd a plant depuis longtemps, ce sont les deux France, inscrites dans lhis-toire des structures familiales. La France centrale et mditer-ranenne, de tradition athe et rvolutionnaire, est galitaire, aimable, tolrante ; la France priphrique, qui resta long-temps catholique et antirpublicaine, naime pas lgalit, elle aime lautorit. Or, je vous le donne en mille, le 11janvier, cest

la mauvaise France qui sest le plus mobilise. Et comme elle ne peut pas avoir de bonnes raisons, elle devait en avoir dautres, caches et inavouables, qui taient de sen prendre aux musul-mans, boucs missaires de ses aigreurs.

Rsumons: la France qui tait Charlie et qui a dfil le 11janvier Paris et dans les grandes villes, cest la France priphrique des rgions anciennement catholiques, berceau de ceux que Todd appelle les catholiques-zombies. Les cathos-zombies ne savent plus quils ont t catholiques, mais, de ce pass oubli, ils ont conserv les rfrences ingalitaires et les structures auto-ritaires. En somme, catho un jour, salaud toujours. Certains se sont sentis insults par le mot zombie, ils ont eu tort: pour Todd, cest catho qui est insultant. Mais puisque nous avons tous des origines dont notre inconscient a conserv les traces, nous sommes tous des zombies Cro-Magnon-zombies, juifs-zombies... Du reste, cest peut-tre cette conversion des appar-tenances manifestes en hritages latents qui nous a permis de fonder des nations qui les transcendent: les cathos-zombies ne sont pas des Franais-zombies. La blague, avec Todd, cest que ces lointaines origines deviennent des dterminismes impla-cables. Au passage, il pose une question fondamentale que les Franais ont perdue de vue, habitus quils sont vivre dans un monde sans Dieu. Une socit peut-elle fonctionner sans croyance commune? En effet, aucun pays na chass aussi radi-calement Dieu de la Cit que la France, aucun nest gouvern par des lites aussi activement athes. Mais la France, nous dit Todd, a mal sa religion disparue, comme on souffre dun membre amput, ce qui explique que les questions religieuses soient si explosives dans un pays si fier de sa lacit.

On a lidologie de son anthropologie : le catho-zombie est donc volontiers norpublicain, systme plus proche de Vichy dans son concept que de la IIIeRpublique qui dfinit, nous explique Todd, une Rpublique dexclusion et fait de la lacit une arme punitive contre qui vous savez. Sociologiquement, enfin, le catho-zombie appartient ces classes moyennes gostes, encore relativement pargnes par la crise, qui ont mis en place lEurope de Maastricht. Bref, pour Todd, il coche toutes les cases. Face cet odieux personnage, limmigr musulman, qui a import ses structures familiales galitaires (galitaires pour les garons mais on ne va pas sarrter ce dtail), est naturellement outill pour sassimiler en douceur la France centrale. Si on pousse cette logique son terme, ce ne sont pas les musulmans, porteurs de valeurs virilo- galitaires, qui posent des problmes au pacte rpublicain, mais les Bretons et autres Franais priphriques. On commence par tudier des cartes et on a soudain limpression de se retrouver dans un asile de fous sans savoir quel moment a eu lieu la sortie de route. Le monde que dcrit Todd possde une sorte de logique interne, mais il na rigoureusement aucun rapport avec le rel. Pour un savant, lexprience sensible nexiste pas, ma-t-il dit un jour alors que je linterrogeais sur les discordances entre ses courbes et la vraie vie. Todd observe la loupe, mais il ne voit rien, ni le sparatisme croissant dune partie des musulmans, ni les revendications identitaires, ni la haine de la France. Certes, il consent dsormais recon-natre lantismitisme des banlieues, mais pour conclure quil est lexpression daspirations galitaires frustres. Il faut les comprendre. Quoi quil en soit, comme dit le prsident, a na rien voir avec lislam. En attendant, on finit par se demander si Emmanuel Todd nest pas devenu un intello-zombie.

SA GRILLE DE LECTURE DE LAPRS- CHARLIE RESSEMBLE BEAUCOUP

CELLE QUI A COURS DANS UNE CERTAINE GAUCHE PNITENTIELLE, ANTILAQUE ET

FANATIQUEMENT INTOLRANTE.

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