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12 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Octobre - novembre - décembre 2013 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation MISE AU POINT L’arthrose se traduit au niveau du cartilage articu- laire par une altération qualitative et quantitative de la matrice extracellulaire. Le stress mécanique et le stress inflammatoire sont les principaux régulateurs de l’activité biologique du cartilage articulaire en condition physiologique et pathologique. L’étude de la mécanotransduction du cartilage arti- culaire permet de mieux comprendre les liens entre stress mécanique et activité biologique du cartilage, et surtout d’isoler des cibles d’intérêt pouvant devenir à terme des biomarqueurs du cartilage sain et arthrosique. Les traitements non pharmacologiques sont le pilier de la prise en charge de l’arthrose et visent princi- palement à moduler les contraintes mécaniques sur les articulations symptomatiques. Osteoarthritis leads to a qualitative and quantitative alteration of extra cellular matrix components. Mechanical and inflammatory stresses are the main regulators of cartilage biological activity in healthy and pathological conditions. Studying the mechanotransduction of articular car- tilage leads to a better understanding of the links between mechanical stress and cartilage biological activity. This could be of a great interest in order to isolate targets of interest and potential biomarkers of healthy and osteoarthritic cartilage. Non pharmacological treatments are the key point to treat osteoarthritis in order to modulate sympto- matic joint loading. Mots-clés : Cartilage - Arthrose - Stress mécanique - Mécanobiologie - Recommandations Keywords: Cartilage - Osteoarthritis - Mechanical stress - Mechanotransduction - Guidelines POINTS FORTS HIGHLIGHTS Cartilage articulaire, stress mécanique et arthrose Articular cartilage, mechanical stress, and osteoarthritis Elissar El Hayek 1 , Caroline Chauvet 1 , François Rannou 1, 2 1 Laboratoire de pharmacologie, toxicologie et signalisation cellulaire, INSERM UMR-S-747, université Paris- Descartes, Sorbonne Paris-Cité. 2 Service de rééducation, AP-HP, hôpital Cochin. Le cartilage articulaire est un tissu conjonctif spécia- lisé, d’origine mésenchymateuse, non vascularisé et non innervé. Il assure, grâce à ses propriétés de résis- tance aux forces de compression et à son élasticité, le glissement entre les surfaces osseuses et l’amortisse- ment des pressions dues au mouvement en condition physiologique. Il est également un tissu acteur et cible de l’arthrose. Enfin, son activité est principalement régulée par le stress inflammatoire et le stress méca- nique, soulignant le rôle majeur en thérapeutique des traitements non pharmacologiques visant à contrôler le stress mécanique et des traitements à visée anti- inflammatoire. Composition du cartilage articulaire Le cartilage articulaire est composé d’un seul type de cellules, le chondrocyte, entouré d’une matrice extra- cellulaire. Il est dit “hyalin” (du grec ancien “qui a la transparence du verre”), car sa richesse en protéo- glycanes lui confère un indice de réfraction élevé qui rend les fibres de collagène invisibles. Dans des conditions physiologiques, le chondrocyte maintient l’homéostasie du cartilage, c’est-à-dire un équilibre entre la synthèse et la dégradation des composants de la matrice extracellulaire. La matrice extracellulaire du cartilage articulaire est principalement composée d’eau (60 à 80 %) et de macromolécules (20 à 40 %) telles que les fibres de collagène, les protéoglycanes et les pro- téines non collagéniques. L’eau existe sous une forme liée aux protéoglycanes, par l’intermédiaire des cations (liaisons ioniques). Sous cette forme, l’eau assure la consistance élastique du cartilage. Les protéoglycanes sont donc les principaux acteurs de l’hydratation du cartilage. Les protéines collagéniques sont représen- tées par les collagènes de types II, VI, IX et XI. Le colla- gène de type II est le collagène majoritaire du cartilage articulaire. On distingue, dans le cartilage, 2 types de protéo- glycanes : les protéoglycanes de haut poids moléculaire, com- posés d’un noyau protéique ou core protein liée de manière covalente à 1 ou plusieurs chaînes de glyco- saminoglycanes (GAG) permettant d’emprisonner des molécules d’eau. Ce caractère hydrophile de la matrice extracellulaire lui confère sa capacité d’amortissement des contraintes mécaniques. Parmi les GAG, on peut citer la chondroïtine sulfate et le kératane sulfate qui sont présents en grande quantité dans le cartilage. L’aggrécane représente 90 % des protéoglycanes du cartilage. Les aggrécanes s’associent dans le milieu extracellulaire à une molécule d’acide hyaluronique (GAG non sulfaté). L’aggrécane et l’acide hyaluronique contribuent donc à la lubrification et la viscoélasticité du cartilage ;

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Page 1: Cartilage articulaire, stress mécanique et arthrose · 13 Figure 1. Représentation de l’équilibre entre l’anabolisme et le catabolisme au sein du cartilage articulaire. En

12 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Octobre - novembre - décembre 2013

Actualités en Médecine Physiqueet de Réadaptation M I S E A U P O I N T

▸ L’arthrose se traduit au niveau du cartilage articu-laire par une altération qualitative et quantitative de la matrice extracellulaire.

▸ Le stress mécanique et le stress infl ammatoire sont les principaux régulateurs de l’activité biologique du cartilage articulaire en condition physiologique et pathologique.

▸ L’étude de la mécanotransduction du cartilage arti-culaire permet de mieux comprendre les liens entre stress mécanique et activité biologique du cartilage, et surtout d’isoler des cibles d’intérêt pouvant devenir à terme des biomarqueurs du cartilage sain et arthrosique.

▸ Les traitements non pharmacologiques sont le pilier de la prise en charge de l’arthrose et visent princi-palement à moduler les contraintes mécaniques sur les articulations symptomatiques.

▸ Osteoarthritis leads to a qualitative and quantitative alteration of extra cellular matrix components.

▸ Mechanical and infl ammatory stresses are the main regulators of cartilage biological activity in healthy and pathological conditions.

▸ Studying the mechanotransduction of articular car-tilage leads to a better understanding of the links between mechanical stress and cartilage biological activity. This could be of a great interest in order to isolate targets of interest and potential biomarkers of healthy and osteoarthritic cartilage.

▸ Non pharmacological treatments are the key point to treat osteoarthritis in order to modulate sympto-matic joint loading.

Mots-clés : Cartilage - Arthrose - Stress mécanique - Mécanobiologie - Recommandations

Keywords: Cartilage - Osteoarthritis - Mechanical stress - Mechanotransduction - Guidelines

PO

INT

S F

OR

TS

HIG

HL

IGH

TS

Cartilage articulaire, stress mécanique et arthroseArticular cartilage, mechanical stress, and osteoarthritisElissar El Hayek1, Caroline Chauvet1, François Rannou1, 2

1 Laboratoire de pharmacologie,

toxicologie et signalisation

cellulaire, INSERM UMR-S-747,

université Paris-Descartes, Sorbonne

Paris-Cité.2 Service

de rééducation, AP-HP,

hôpital Cochin.

Le cartilage articulaire est un tissu conjonctif spécia-lisé, d’origine mésenchymateuse, non vascularisé et non innervé. Il assure, grâce à ses propriétés de résis-tance aux forces de compression et à son élasticité, le glissement entre les surfaces osseuses et l’amortisse-ment des pressions dues au mouvement en condition physiologique. Il est également un tissu acteur et cible de l’arthrose. Enfi n, son activité est principalement régulée par le stress infl ammatoire et le stress méca-nique, soulignant le rôle majeur en thérapeutique des traitements non pharmacologiques visant à contrôler le stress mécanique et des traitements à visée anti-infl ammatoire.

Composition du cartilage articulaireLe cartilage articulaire est composé d’un seul type de cellules, le chondrocyte, entouré d’une matrice extra-cellulaire. Il est dit “hyalin” (du grec ancien “qui a la transparence du verre”), car sa richesse en protéo-glycanes lui confère un indice de réfraction élevé qui rend les fi bres de collagène invisibles. Dans des conditions physiologiques, le chondrocyte maintient l’homéo stasie du cartilage, c’est-à-dire un équilibre entre la synthèse et la dégradation des composants de la matrice extracellulaire. La matrice extracellulaire du cartilage articulaire est principalement composée d’eau

(60 à 80 %) et de macromolécules (20 à 40 %) telles que les fi bres de collagène, les protéoglycanes et les pro-téines non collagéniques. L’eau existe sous une forme liée aux protéoglycanes, par l’intermédiaire des cations (liaisons ioniques). Sous cette forme, l’eau assure la consistance élastique du cartilage. Les protéoglycanes sont donc les principaux acteurs de l’hydratation du cartilage. Les protéines collagéniques sont représen-tées par les collagènes de types II, VI, IX et XI. Le colla-gène de type II est le collagène majoritaire du cartilage articulaire.On distingue, dans le cartilage, 2 types de protéo-glycanes :• les protéoglycanes de haut poids moléculaire, com-posés d’un noyau protéique ou core protein liée de manière covalente à 1 ou plusieurs chaînes de glyco-saminoglycanes (GAG) permettant d’emprisonner des molécules d’eau. Ce caractère hydrophile de la matrice extracellulaire lui confère sa capacité d’amortissement des contraintes mécaniques. Parmi les GAG, on peut citer la chondroïtine sulfate et le kératane sulfate qui sont présents en grande quantité dans le cartilage. L’aggrécane représente 90 % des protéoglycanes du cartilage. Les aggrécanes s’associent dans le milieu extracellulaire à une molécule d’acide hyaluronique (GAG non sulfaté). L’aggrécane et l’acide hyaluronique contribuent donc à la lubrifi cation et la viscoélasticité du cartilage ;

Page 2: Cartilage articulaire, stress mécanique et arthrose · 13 Figure 1. Représentation de l’équilibre entre l’anabolisme et le catabolisme au sein du cartilage articulaire. En

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Figure 1. Représentation de l’équilibre entre l’anabolisme et le catabolisme au sein du cartilage articulaire. En conditions physiologiques, le chondrocyte maintient l’homéostasie du car-tilage en assurant l’équilibre entre la synthèse (anabolisme) et la dégradation (catabolisme) des composants matriciels. L’Il-1β et le TNFα sont des facteurs cataboliques alors que l’IGF-1, la BMP et le TGF-β sont des facteurs ana boliques. En conditions pathologiques, sous l’effet d’un stress mécanique extrême et/ ou d’un stress infl ammatoire, se crée un déséquilibre entre l’anabolisme et le catabolisme en faveur du catabolisme, conduisant à la dégradation du cartilage et à la pathogenèse des maladies ostéoarticulaires comme l’arthrose.

Stress mécanique extrêmeStress infl ammatoire

Maintien de l’homéostasie du cartilage

Dégradation du cartilage

Anabolisme (IGF-1, BMP

et TGF-β)

Anabolisme (IGF-1, BMP

et TGF-β)

Catabolisme (IL-1 β, TNF-α)

Catabolisme (IL-1 β, TNF-α)

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Actualités en Médecine Physiqueet de Réadaptation

• les protéoglycanes de bas poids moléculaire comme le syndécan, la décorine et le biglycane sont formés également d’une core protein axiale sur laquelle se fi xe un petit nombre de GAG. Ils sont surtout présents dans l’espace péricellulaire. Ces protéoglycanes inter-agissent avec des molécules d’origine et de nature variées (collagènes, fi bronectine, certaines cytokines ou protéases). Ils permettent l’ancrage des cellules à la matrice extracellulaire et participent à la modu-lation de l’activité d’un certain nombre de molécules en péricellulaire.Les propriétés biomécaniques du cartilage sont direc-tement liées à la composition de sa matrice extracellu-laire. Les fi bres de collagène donnent sa rigidité au tissu et les protéoglycanes assurent son hydratation, indispensable à son rôle amortisseur.

Renouvellement des protéines matricielles

L’homéostasie du cartilage dépend d’un équilibre entre l’anabolisme (synthèse des composants matriciels) et le catabolisme (dégradation des composants matri-ciels par les enzymes protéolytiques). Ces 2 processus sont assurés par les chondrocytes. En conditions physiologiques, le chondrocyte maintient l’équilibre matriciel qui est nécessaire à l’adaptation du car-tilage aux différents stress auxquels il est soumis. L’homéostasie du cartilage dépend du stress méca-nique et des différents facteurs de croissance et cyto-kines. Ces facteurs ont un rôle proanabolique comme IGF-1 (Insulin-like Growth Factor 1), BMP (Bone Mor-phogenetic Protein) et TGF-β (Transforming Growth Factor β), ou bien un rôle procatabolique comme IL-1β (interleukine 1 β) et TNF-α (Tumor Necrosis Factor α). En conditions pathologiques, le stress mécanique et/ ou le stress infl ammatoire peuvent induire un déséqui-libre entre l’anabolisme et le catabolisme (catabolisme excessif et/ ou anabolisme insuffi sant), conduisant à la patho genèse des maladies ostéoarticulaires comme l’arthrose (fi gure 1).

Cartilage articulaire arthrosiqueL’arthrose est défi nie comme une pathologie se carac-térisant par une dégradation du cartilage, une infl am-mation locale modérée de la membrane synoviale et des modifi cations de l’os sous-chondral (1). La dégra-dation du cartilage résulte d’un déséquilibre entre la synthèse et la dégradation des composants matriciels. Ce déséquilibre est induit par un stress mécanique excessif et/ou un stress infl ammatoire.Une altération qualitative et quantitative de la matrice extracellulaire est observée au cours de l’arthrose. En effet, le réseau collagénique est déstabilisé et une diminution de la quantité de collagènes et de protéo-glycanes, notamment d’aggrécane, est observée. Cela est dû à la dégradation du collagène et des protéo-glycanes par les enzymes protéolytiques comme les

métalloprotéinases matricielles (MMP) et les aggré-canases. Ces modifi cations matricielles altèrent les propriétés mécaniques du cartilage de résistance à la compression et d’élasticité.Par ailleurs, au cours de l’arthrose, les chondrocytes acquièrent un phénotype procatabolique. Ce phénotype est caractérisé par une augmentation de la production des facteurs cataboliques qui favorisent la dégrada-tion du cartilage, comme les enzymes protéolytiques (MMP et aggrécanases) et les facteurs pro-infl amma-toires (prostaglandine E2 [PGE2], oxyde nitrique [NO] et IL-1β) et une diminution de la synthèse des com-posants matriciels comme le collagène de type II et l’aggrécane (fi gure 2, p. 14) [2, 3].De plus, les chondrocytes arthrosiques expriment des collagènes atypiques qui caractérisent le carti-lage immature, comme le collagène de type I et l’iso-forme IIA du collagène de type II, et qui marquent la perte du phénotype chondrocytaire différencié (4). Les chondrocytes arthrosiques expriment également des marqueurs d’hypertrophie chondrocytaire comme le collagène de type X et le facteur proangiogénique VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), absents dans le cartilage articulaire mature normal (5). Le rôle de ces marqueurs dans la pathogenèse de l’arthrose n’est pas encore bien connu. Une augmentation de la quantité de collagène de type X est associée au phéno mène de calcifi cation des couches profondes du cartilage au cours de l’arthrose et le VEGF participe à la dégrada-tion du cartilage en induisant l’expression de MMP-1 et MMP-3 (6).En cas d’arthrose, les chondrocytes, initialement quiescents, prolifèrent et forment des amas cellulaires, ou “clusters” au niveau des couches superfi cielles du cartilage. Ce phénomène est suivi d’une diminution du nombre de chondrocytes qui résulte de leur mort par apoptose et nécrose.

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Figure 2. Schéma de la modifi cation du phénotype des chondrocytes et de la destruction progressive du cartilage au cours de l’arthrose. Le stress mécanique excessif induit la sécrétion des cytokines pro-infl ammatoires (IL-1β et TNFα) surtout par les chondrocytes et les macrophages infi ltrant la membrane synoviale. Sous l’effet des stress mécanique et infl ammatoire, les chondrocytes et les cellules de la membrane synoviale acquièrent un phénotype procatabolique et pro- infl ammatoire. Ce phénotype est caractérisé par une augmentation de la production des médiateurs de l’infl ammation et de la dégra-dation matricielle comme les MMP, la PGE2 et le NO, qui entraîne une destruction de la matrice, inhibe la synthèse des protéines matricielles et entretient l’infl ammation locale. Au cours du développement de l’arthrose, on observe également une avancée du front de calcifi cation et la formation d’ostéophytes au niveau de l’os sous-chondral.

Stress infl ammatoire (IL-1β, TNFα)

Destruction de la matrice (↑ dégradation, ↓ synthèse)

Médiateurs de l’infl ammation et de la dégradation

(MMP, PGE2, NO, etc.)

Stress mécanique

Dégradation de la matrice extracellulaire

Avancée du front de calcifi cation

Synoviocyte

Macrophage

Membrane synoviale

Cavité articulaire

Cartilage articulaire

Chondrocyte articulaire

Tide-mark

Os sous-chondralFormation d’ostéophytes

Couche calcifi ée

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Toutes ces modifi cations phénotypiques participent à la perte de l’équilibre entre l’anabolisme et le catabolisme de la matrice extracellulaire conduisant à l’altération de l’homéostasie cartilagineuse.

Enzymes protéolytiques et arthrose

Les chondrocytes sont capables de synthétiser de très nombreuses protéases qui ont la capacité de dégrader les protéines matricielles qui les produisent. La syn-thèse de ces protéases est fortement augmentée au cours de l’arthrose.Parmi ces protéases, les métalloprotéinases jouent un rôle majeur. Elles sont divisées en 2 groupes : les MMP et les aggrécanases (ou ADAMTS [a disintegrin and a metalloproteinase with thrombospondin motifs]) [7]. Les MMP sont fortement impliquées dans la dégrada-tion de la matrice extracellulaire (notamment le colla-gène de type II et l’aggrécane) au cours de l’arthrose. Leurs produits de dégradation sont retrouvés dans le cartilage arthrosique et le liquide synovial.

Les aggrécanases sont les enzymes qui dégradent les aggrécanes. Elles appartiennent à la famille des ADAMTS. Les 2 principales aggrécanases présentes dans le cartilage sont l’ADAMTS-4 (aggrécanase-1) et l’ADAMTS-5 (aggrécanase-2). Seule la première est inductible, notamment par l’IL-1β ou des fragments de fi bronectine (8).

Interleukine 1β et arthroseLa quantité de cette cytokine pro-infl ammatoire aug-mente considérablement dans les liquides synoviaux des patients arthrosiques. Elle est produite essentielle-ment par les chondrocytes et les macrophages infi ltrant la membrane synoviale. Le stress mécanique excessif est connu pour être capable d’induire l’expression de cette cytokine (9). La présence de fragments de protéo-glycanes dégradés dans la cavité articulaire joue aussi un rôle déclencheur de la synthèse d’IL-1β.L’Il-1β, par l’intermédiaire de voies de signalisation, active la transcription de gènes cibles qui codent pour des médiateurs de l’infl ammation et de la dégrada-tion matricielle comme : la NO synthase inductible

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Figure 3. Schéma représentatif des différentes étapes de la mécano-transduction dans les chondrocytes. Le stimulus mécanique active les mécanorécepteurs, situés au niveau de la membrane plasmique des chondrocytes, qui, à leur tour, activent différentes voies de signalisation comme la voie MAPK et la voie IKK. Les facteurs de transcription agissant en aval de ces voies de signalisation régulent l’expression des gènes cibles qui sont principalement impliqués dans la synthèse ou la dégradation de la matrice extracellulaire, selon le type de contrainte mécanique appliquée.

Stimulus mécanique

Mécanorécepteurs (intégrines, canaux ioniques)

Voies de signalisation (comme la voie MAPK, IKK)

2d messager (comme Ca2+, PLC, PKC, FAK, AMPc)

Facteurs de transcription (AP-1, HIF-1, NF-kB, SOX-9)

Gènes cibles(synthèse/dégradation de la matrice extracellulaire)

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(iNOS) qui produit le NO, la COX-2 et la prostaglandine E synthase-1 microsomale (mPGES-1). Ces 2 dernières enzymes sont impliquées dans la voie de synthèse des eicosanoïdes aboutissant notamment à la production de PGE2, le principal eicosanoïde responsable de la douleur et de l’infl ammation dans les pathologies arti-culaires. NO et PGE2 stimulent également l’expression et l’activité des MMP (MMP-3, MMP-9 et MMP-13) et induisent l’apoptose des chondrocytes. Ces 2 média-teurs contribuent donc à la dégradation du cartilage et à la progression des maladies ostéoarticulaires comme l’arthrose.

Le cartilage articulaire est un tissu mécanosensible

Le cartilage est en permanence soumis au stress méca-nique. Ce dernier infl uence fortement l’activité méta-bolique des chondrocytes et régule l’homéo stasie de la matrice extracellulaire. Les 2 principaux types de contraintes mécaniques appliquées sur le cartilage sont la compression et le fl ux liquidien. Sous l’effet de la compression, les chondrocytes, principalement ceux des couches superfi cielles, subissent un étirement dans un plan perpendiculaire à l’axe de la compres-sion. Le fl ux liquidien, créé par l’eau présente dans la matrice extracellulaire, engendre des forces de cisail-lement qui s’appliquent principalement sur la mem-brane plasmique des chondrocytes des couches les plus superfi cielles du cartilage (10).Les contraintes mécaniques sont caractérisées par plusieurs paramètres : leur fréquence, leur intensité et leur durée. Ces paramètres dépendent du poids de l’individu, de son tonus musculaire et de son activité physique. En position debout statique, l’intensité de la compression appliquée sur le cartilage est d’environ 0,7 MPa (mégapascal), lors de la marche elle est com-prise entre 5 et 10 MPa. Lors d’un exercice physique, la compression appliquée sur le cartilage peut atteindre 18 MPa.Différents modèles in vitro ont été utilisés afi n d’étu-dier la réponse des chondrocytes aux contraintes mécaniques et de caractériser les acteurs molé-culaires de la mécanotransduction (11). In vivo, des études expérimentales ont montré que les contraintes mécaniques d’intensité et de fréquence modérées (comme celles générées par les articulations au cours de la marche ou l’exercice physique modéré) sont des contraintes physiologiques qui ont des effets anabo-liques sur le cartilage. Au contraire, les contraintes extrêmes, c’est-à-dire de fréquence nulle, appelées contraintes statiques (par exemple les contraintes exercées sur les articulations de personnes obèses en position debout prolongée) ou de fréquence ou d’intensité très élevées (la pratique d’activités spor-tives intenses et de haute compétition comme l’ath-létisme) ont des effets cataboliques sur le cartilage. Chez l’homme, les études épidémiologiques montrent que la pratique d’activités physiques intenses au cours de la vie augmente le risque d’arthrose. En revanche,

l’activité physique modérée, comme la marche, a un effet préventif contre le développement de l’arthrose. Une marche quotidienne améliore signifi cativement la fonction du genou et diminue la douleur, mettant en évidence au moins un effet symptomatique de la marche dans l’arthrose.Les études in vitro, in vivo chez l’animal et cliniques chez l’homme mettent donc en évidence l’effet délé-tère de l’exercice intense sur les articulations ainsi que l’intérêt thérapeutique de l’exercice modéré dans les pathologies articulaires comme l’arthrose.

Mécanotransduction dans le cartilage articulaire

Les contraintes mécaniques sont reçues par le cartilage et transformées au niveau de la matrice extra-cellu-laire en des forces détectables par les chondrocytes par l’intermédiaire de mécanorécepteurs situés au niveau de la membrane plasmique de ces cellules (12). Ces mécanorécepteurs vont activer des seconds messagers qui, à leur tour, vont activer des voies de signalisation. Il en résulte une activation transcriptionnelle et donc une néosynthèse protéique (fi gure 3). Une compréhension fi ne des mécanismes moléculaires impliqués dans la mécanotransduction des chondrocytes va permettre d’identifi er de nouvelles cibles thérapeutiques et bio-marqueurs dans les pathologies articulaires.

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ConclusionLe stress mécanique est un élément fondamental de l’homéostasie articulaire. Il est essentiellement généré par les contraintes liées au poids, à la gravité et à l’activité physique. À nous, cliniciens, de permettre à

nos patients, par les exercices physiques et la perte de poids, de s’améliorer cliniquement et au niveau struc-tural. Les exercices doivent être considérés comme une modalité thérapeutique à part entière, d’autant plus que, par rapport aux traitements pharmacologiques, les effets indésirables sont quasiment inexistants (13) !

Références bibliographiques1. Goldring MB, Goldring SR. Osteoarthritis. J Cell Physiol 2007;213(3):626-34.2. Goldring MB, Marcu KB. Cartilage homeostasis in health and rheumatic diseases. Arthritis Res Ther 2009;11(3):224.3. Bertrand J, Cromme C, Umlauf D, Frank S, Pap, T. Molecular mechanisms of cartilage remodelling in osteoarthritis. Int J Biochem Cell Biol 2010;42(10):1594-601. 4. Lahm A, Kasch R, Mrosek E et al. Semiquantitative analysis of ECM molecules in the different cartilage layers in early and advanced osteoarthritis of the knee joint. Histol Histopathol 2012;27(5):609-15.5. Wei F, Zhou J, Wei X et al. Activation of Indian hedgehog promotes chondrocyte hypertrophy and upregulation of MMP-13 in human osteoarthritic cartilage. Osteoarthritis Cartilage 2012;20(7):755-63.6. Bertrand J, Nitschke Y, Fuerst M et al. Decreased levels of nucleotide pyrophosphatase phosphodiesterase 1 are associated with cartilage cal-cifi cation in osteoarthritis and trigger osteoarthritic changes in mice. Ann Rheum Dis 2012;71(7):1249-53.7. Cawston TE, Young DA. Proteinases involved in matrix turnover during cartilage and bone breakdown. Cell Tissue Res 2010;339(1):221-35.8. Lin EA, Liu CJ. The role of ADAMTSs in arthritis. Protein Cell 2010;1(1):33-47.9. Rai MF, Sandell LJ. Infl ammatory mediators: tracing links between obesity and osteoarthritis. Crit Rev Eukaryot Gene Expr 2011;21(2):131-42.10. Gabay O, Hall DJ, Berenbaum F, Henrotin Y, Sanchez C. Osteoarthritis and obesity: experimental models. Joint Bone Spine 2008;75(6):675-9.11. Rannou F, Poiraudeau S, Revel M. Cartilage: from biomechanics to physical therapy. Ann Readapt Med Phys 2001;44(5):259-67.12. Ramage L, Nuki G, Salter, DM. Signalling cascades in mechanotransduction: cell-matrix interactions and mechanical loading. Scand J Med Sci Sports 2009;19(4):457-69. 13. Rannou F, Poiraudeau S. Non-pharmacological approaches for the treatment of osteoarthritis. Best Pract Res Clin Rheumatol 2010;24(1):93-106.

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