carnaval et cannibale de jean baudrillard
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JeanBaudrillardCarnaval
etcannibale
Jean BaudrillardCarnaval et cannibalesuivi deLe Mal ventriloque (inédit)
« On peut concevoir ainsi la modernité commel’aventure initiale de l’Occident européen, puiscomme une immense farce qui se répète à l’échellede la planète, sous toutes les latitudes où s’exportentles valeurs occidentales, religieuses, techniques,économiques et politiques. Cette “carnavalisation”passe par les stades eux-mêmes historiques, de l’é-vangélisation, de la colonisation, de la décolonisa-tion et de la mondialisation. Ce qu’on voit moins,c’est que l’hégémonie, cette emprise d’un ordremondial dont les modèles […] semblent irrésistibles,s’accompagne d’une réversion extraordinaire par oùcette puissance est lentement minée, dévorée, “can-nibalisée” par ceux qu’elle carna valise. »
J. B.
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9,50 €
ISBN 978-2-85197-862-2 SODIS 7233418
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Jean Baudrillard(1929-2007)
Il a enseigné la sociologie auxuniver sités de Nanterre et deDauphine (jusqu’en 1986). Bril-lant essayiste aux accents demoraliste sacrilège, il résumeen ces termes son itinéraire :« Pata physicien à 20 ans, situa-tionniste à 30, utopiste à 40,transversal à 50, viral etmétaleptique à 60, toute monhistoire. » Parmi ses nombreuxouvrages : La Société de con-som mation (1970) ; L’Échangesymboli que et la mort (1976) ;De la Séduction (1979) ; CoolMemories I – V (1987 – 2005) ;Amérique (1986) ; Le Crime par-fait (1994) ; La Transparence duMal (1990) ; D’un fragmentl’autre (2001) ; Le Pacte de luci -di té ou l’intelligence du Mal(2004) ; Pourquoi tout n’a-t-il pasdéjà disparu ? (2007). On lui doitégalement une œuvre pho-tographique importante.
Un Cahier de L’Herne lui a étéconsacré (2004).
Collection dirigée parLaurence Tacou etFrançois L’Yvonnet
Carnets à paraître
Ernest CœurderoyLa corrida
René GirardAnorexie et désirs mimétiques
Marcel HénaffLa ville qui vient
Du même auteur
Pourquoi tout n’a-t-il pasdéja disparu ?
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Jean Baudrillard
CARNAVALET CANNIBALE
suivi duMAL VENTRILOQUE
(inédit)
L’Herne
© Éditions de L’Herne pour « Carnaval et cannibale »,extrait du Cahier de L’Herne Baudrillard, no 84, 2004.© Éditions de L’Herne, 200822, rue Mazarine 75006 [email protected]
SOMMAIRE
Carnaval et cannibale ................. 8Le Mal ventriloque ..................... 37
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CARNAVAL ET CANNIBALEOU LE JEU DE L’ANTAGONISME
MONDIAL
On peut repartir de la fameuse for-mule de Marx sur l’histoire qui se pro-duit d’abord comme événementauthentique pour se répéter commefarce. On peut concevoir ainsi la mo-dernité comme l’aventure initiale del’Occident européen, puis comme uneimmense farce qui se répète à l’échellede la planète, sous toutes les latitudesoù s’exportent les valeurs occidentales,religieuses, techniques, économiques etpolitiques. Cette « carnavalisation »passe par les stades, eux-mêmes histo-riques, de l’évangélisation, de la colo-
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nisation, de la décolonisation et de lamondialisation. Ce qu’on voit moins,c’est que cette hégémonie, cette em-prise d’un ordre mondial dont les mo-dèles – non seulement techniques etmilitaires, mais culturels et idéologi-ques – semblent irrésistibles, s’accom-pagne d’une réversion extraordinairepar où cette puissance est lentementminée, dévorée, « cannibalisée » parceux mêmes qu’elle carnavalise. Le pro-totype de cette cannibalisation silen-cieuse, sa scène primitive en quelquesorte, serait cette messe solennelle deRecife, au Brésil, au XVIe siècle, où lesévêques venus tout exprès du Portugalpour célébrer leur conversion passive,sont dévorés par les Indiens – par excèsd’amour évangélique (le cannibalismecomme forme extrême de l’hospitalité).Premières victimes de cette mascaradeévangélique, les Indiens poussent spon-
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tanément à la limite et au-delà : ils ab-sorbent physiquement ceux qui les ontabsorbés spirituellement.
C’est cette double forme carnavales-que et cannibalique qu’on voit partoutrépercutée à l’échelle mondiale, avec l’ex-portation de nos valeurs morales (droitsde l’homme, démocratie), de nos princi-pes de rationalité économique, de crois-sance, de performance et de spectacle.Partout repris avec plus ou moins d’en-thousiasme, mais dans une totale ambi-guïté par tous ces peuples échappés à labonne parole de l’universel, « sous-déve-loppés », donc terrain de mission et deconversion forcée à la modernité, maisbien plus encore qu’exploités et oppri-més : tournés en dérision, transfigurés encaricature des Blancs – comme ces singesqu’on montrait jadis dans les foires encostume d’amiral.
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