baudrillard, jean - simulacres et simulations

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Aujourd'hui l'abstraction n'est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept, La simulation n'est plus celle d'un territoite, d'un être référentiel, d'une substance. Elle est la génération par les modèles d'un réel sans otigine ni réalité : hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit. C'est désormais la carte qui précède le territoire - prlcmùm des simulacres - c'est elle qui engendre le territoire et s'il fallait reprendre la fable, c'est aujourd'hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l'étendue de la carte. C'est le réel, et non la carte, dont des vestiges subsistent çà et là, dans les déserts qui ne SOnt plus ceux de l'Empire, mais le nôtre. Le désert du réel "à-même, E!ZJC oz *f- Jean Baudrillard i al 1 Simulacres et simulation 'i }.. x Galilée

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Aujourd'hui l'abstraction n'est plus celle de la carte, dudouble, du miroir ou du concept, La simulation n'est plus celled'un territoite, d'un être référentiel, d'une substance. Elle est lagénération par les modèles d'un réel sans otigine ni réalité :hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit.

C'est désormais la carte qui précède le territoire - prlcmùm dessimulacres - c'est elle qui engendre le territoire et s'il fallaitreprendre la fable, c'est aujourd'hui le territoire dont les lambeauxpourrissent lentement sur l'étendue de la carte. C'est le réel, etnon la carte, dont des vestiges subsistent çà et là, dans les désertsqui ne SOnt plus ceux de l'Empire, mais le nôtre. Le désert du réel"à-même,

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E!ZJC oz *f-

~ Jean Baudrillardial

1Simulacres et simulation

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Galilée

Page 2: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

© 1981, ~DrnONS G"'LIL~f.. 9 rue Linnt, 7S00S Paris.

En .pp~ica,ion de 1. loi du II mars 1957, il esl inle,dil dc fcproduile inltgrneme~l

d~~~::~~uklrotî; :;~~ ;~'~;:::';; t~~~~~~;:,~~s~5~~SISBN2-7186-0210-tj ISSNOIS2-3678

La précession des simulacres

Le simlilacre n'est jamais ce qui cache lavérité - c'est fa vérité qui cache qu'il n'yen apas.

Le simulacre est vrai.

l'Ecclésiaste

Si nous avons pu prendre pour la plus belle allé­gorie de la simulation la fable de Borgès où [es carto­graphes de l'Empire dressent une carte si détailléequ'elle finit par recouvrir très exactement le territoire(mais le déclin de l'Empire voit s'effranger peu à peucette carte et tomber en ruine, quelques lambeaux érantencore repérables dans les déserrs - beauté métaphy­sique de cette abstraction ruinée, rémoignant d'unorgueil à la mesure de l'Empire et pourrissant commeune charogne, retournant à la substance du sol, un peucomme le double finit par se confondre avec le réel en

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vieillissant), cette fable est révolue POUt nous, et n'aplus que le charme discret des simulacres du deuxièmeordre 1.

Aujourd'hui l'abstraction n'est plus celle de lacarte, du double, du miroir ou du concept. La simula­tion n'est plus celle d'un territoire, d'un être référentiel,d'une substance. Elle est la génération par les modèlesd'un réel sans origine ni réaliré : hyperréel. Le territoirene précède plus la carte, ni ne lui survit. C'est désormaisla carte qui précède le territoire - préceJsion des simu­lacres -, c'est elle qui engendre le territoire et, s'ilfallait reprendre la fable, c'esr aujourd'hui le territoiredont les lambeaux pourrissent lentement SUI l'l'renduede la carre. C'est le réel, et non la carte, dont des ves~

tiges subsistent çà et là, dans les déserts qui ne SOntplus ceux de l'Empire, mais le nôtre. Le désert du réellui-même.

En fait, même inversée, la fable est inutilisable.Seule subsiste peut-êt're l'allégorie de l'Empire. Carc'est avec le même impérialisme que les simulateursactuels tement de faire coïncider le réel, tout le réel,avec leurs modèles de simulation. Mais il ne s'agit plusni de carre ni de territoire. Quelque chose a disparu:la différence souveraine, de l'une à l'autre, qui faisait lecharme de l'abstraction. Car c'est la différence qui faitla poésie de la carte et le charme du territoire, la magiedu concept et le charme du réel. Cet imaginaire de lareprésentation, qui culmine et à la fois s'abîme dans leprojet fou des cartographes d'une coextensivité idéalede la carre et du territoire, disparaît dans la simulation

1. Cf. J. Baudrillard, L'échange Jymbo/ique et la mOTt,«L'ordre des simulacres ", Paris, Gallimard, 1975.

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_ dont l'opération est nucléaire et génétique, plus ducour spéculaire et discursive. C'est toute la métaphysiquequi s'en va. Plus de mitoir de l'être et des .a~p,a~ence~,

du réel et de son concept. Plus de coextenSlvlte Imagi­naire: c'est la miniaturisation génétique qui est ladimension de la simulation. Le réel est produit à partirde cellules miniarurisées, de matrices et de mémoires,de modèles de commandement - et il peur être repro­duit un nombre indéfini de fois à partir de là. Il n'aplus à être rationnel, puisqu'il ne se mesure plus àquelque instance, idéale ou négative. Il n'est pl.usqu'opérationnel. En fait, ce n'est plus du réel, pUIS~

qu'aucun imaginaire ne l'enveloppe plus. C'est un hype~­

réel, produit de synthèse irradiant de mod~les combi­natoires dans un hyperespace sans atmosphere.

Dans ce passage à un espace dont la courburen'est plus ceile du réel, ni celle de .la :éri~é, l'ère dela simulation s'ouvre donc par une liqUldatlon de touSles référentiels - pire: par leur résurrection artificielledans les systèmes de signes, matériau plus ductile quele sens, en ce qu'il s'offre à tous les systèmes d'équiva­lences, à toures les oppositions binaires, à toute l'algèbrecombinatoire. Il ne s'agit plus d'imitation, ni de redou­blement, ni même de parodie. Il s'agit d'une substitut~on

au réel des signes du réel, c'est-à-dire d'une opérauonde dissuasion de tout processus réel par son doubleopératoire, machine sign~létique métasta~le, progra~­

matique, impeccable, qUI offre touS les signes ~u re:1et en court-circuite toutes les péripéties. Plus JamaISle réel n'aura l'occasion de se produire - telle estla fonction virale du modèle dans un système de mort,ou plutôt de résurrection anticipée qui ne laisse plusaucune chance à j'événement même de la mort. Hyper-

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réel désormais à l'abri de l'imaginaire, et de tomedistinction du réel et de l'imaginaire, ne laissant placeq.u'à la récurre.nec orbitale des modèles ct à la générationsimulée des différences.

L'irréférence divine des images

. Dissimule~ est feindte de ne pas avoir cc qu'ona. Simuler est femdre d'avoir ce qu'on n'a pas. L'unrenvoie à une présence, l'aUtre à une absence. Mais lachose est plus compliquée, car simuler n'est pas feindre:« Celui qui feint une maladie peut simplement se mettreau lir et faire croire qu'il est malade. Celui qui simuleun.e maladie en détermine en soi quelques symptômes. "(Littré.) Donc, feindre, ou dissimuler, laissent intactle principe de réalité: la différence est toujours claireelle n'est que masquée. Tandis que la simulation reme~en ,cause la différence du «vrai» et du "faux », du« reel» et de l' "imaginaire ». Le simulateur est-iln;alade ou non, puisqu'il produir de "vrais" symp­romes? On ne peut ni le trairer objectivement commemalad~, ni comme non-malade. la psychologie et lamédecine s'arrêtent là, devant une vériré de la maladiedésor~ais inrrou:able. Car si n'importe quel symptômetx:ut etre « prodUit », et ne peut plus être reçu comme unfait de n~ture, alors toute maladie peur être considéréecomme slmulable et simulée, et la médecine perd sonsens, car elle ne sait trairer que les maladies" vraies»par leurs causes objectives. la psychosomatique évolue

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r

d'une façon louche aux confins du principe de maladie.Quanr à la psychanalyse, elle renvoie le symptôme del'ordre organique à l'ordre inconscienr celui-ci denouveau est censé être "vrai ", plus vrai que l'autre_ mais pourquoi la simulation s'arrêterait-elle auxportes de l'inconscient? Pourquoi le «travail» del'inconscient ne pourrait-il être « produit» de la mêmefaçon que n'importe quel symptôme de la médecineclassique? Les rêves le sont déjà.

Bien sûr, le médecin aliéniste prétend qu' « ily a pour chaque forme d'aliénation mentale un ordreparticulier dans la succession des symptômes que lesimulateur ignore et dont l'absence ne saurait tromperle médecin aliéniste ». Ceci (qui date de 1865) poursauver à tout prix le principe d'une vérité et échapperà l'interrogation que pose la simulation - à savoir quela vérité, la référence, la cause objective ont cessé d'exis­tet. Or que peur faire la médecine avec ce qui flotteen deçà ou au-delà de la maladie, en deçà ou au-delà dela santé, avec le redoublement de la maladie dans undiscours qui n'est plus ni vrai ni faux? Que peut fairela psychanalyse avec le redoublement du discours del'inconscient dans un discours de simulation qui ne peutplus jamais être démasqué, puisqu'il n>est pas faux non

plus 2 ?Que peut faire l'armée avec les simulateurs?

Traditionnellement elle les démasque et les punit, scionun principe clair de repétage. Aujourd'hui elle peutréformer un très bon simulareut comme exactement équi-

2. Et qui, lui, n'est pas susœpcible de résolution dansle transfert. C'est l'emmêlement de ces deux discoms qui rendla psychanalyse interminable.

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valent à un homosexuel, à un cardiaque ou à un fou« vrais ». Même la psychologie militaire recule devantles clartés cartésiennes et hésite à faire la distinctiondu faux et du vrai, du symptôme «produit» et dusymptôme authentique. « S'il joue si bien au fou, c'estqu'il l'est. » Et elle n'a pas tort : dans ce sens, tousles fous simulent, et cette indistinction est la pire dessubversions. C'est contre elle que la taison classiques'est armée de toutes ses catégories. Mais c'est elleaujourd'hui qui de nouveau les déborde et submerge leprincipe de vérité.

Au-delà de la médecine et de l'armée, terrainsd'élecrion de la simulation, l'affaire renvoie à [a religion.er au simulacre de la divinité: «Je défendis qu'il y eûtdans les temples aucun simulacre parce que la divinitéqui anime la natute ne peur être représentée. » Juste­ment elle le peut. Mais que devient-elle lorsqu'elle sedivulgue en icônes, lorsqu'elle se démultiplie en simu­lacres? Demeure-t-elle l'instance suprême qui simple­ment s'incarne dans les images en une théologie visible?Ou bien se volatilise-t·elle dans les simulacres qui,seuls, déploient leur faste et leur puissance de fasci­narion - la machinerie visible des icônes se subsrituantà l'Idée pure et intelligible de Dieu? C'est bien cedont avaient peur les iconoclasres, dont la querellemillénaire esr encore la nôtre aujourd'hui'. C'est bienparce qu'ils pressentaient cette toute-puissance dessimulacres, cette faculré qu'ils Ont d'effacer Dieu de laconscience des hommes, et cette vérité qu'ils laissententrevoir, desrructrice, anéanrissante, qu'au fond Dieun'a jamais été, qu'il n'en a jamais existé que le simu-

3. Cf. M. Perniola, lcôneJ, Vùùms, Simulacres, p. 39,

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lacre voire que Dieu lui-même n'a jamais été que sonprop~e simulacre - de là venait leur rage à ~étrui~eles images. S'ils avaient pu croite que celleS-CI ne faI­saient qu'occulter ou masquer l'Idée platonicienne deDieu, il n'y avait pas de quoi les dérruire. ~n pe~r

vivre de l'idée d'une vérité altérée, Mais leur desespolfmétaphysique venait de l'idée que les images necachaient rien du tout, et qu'elles étaient en sommenon pas des images, teiles qu'en elles.-mêmes le mod.èleoriginal les change, mais bien des SImulacres parfaits,rayonnants pour roujours ~e leur fascinatio~ ~rop~e.

Or il faut conjurer à tout pnx cette mort du referentleldivin.

On voit que les iconoclastes, qu'on accuse demépriser et de nier les images, étai7nt ceu~ qui ~Ieur

accordaient leur juste prix, au conualre des Iconolatresqui n'y voyaient que reflets et se co~ten,ta~7nt devénérer Dieu en filigrane. Mais on peut dIre a 1Inverseque les iconolâtres furent les esprits les plus moder­nes, les plus aventureux, puisque, sous couleur d'u~e

transparition de Dieu dans l~ mi~o.ir des im~~e~, lisjouaient déjà sa mort et sa dlspatlt,lOo dan~ 1eplpha­nie de ses représentations (dont lis savalCnt peut­être qu'elles ne représentaient plus rien, qu'elles étai~nt

un jeu pur, mais que c'était précisément là le ~rand ,eu_ sachant aussi qu'il est dangereux de demasquerles images, puisqu'elles dissimulent qu'il n'y a rienderrière).

Ainsi feront les Jésuites, qui fonderont leur poli­tique sur la disparition virtuelle d~ Dieu et ~ur lamanipulation mondaine et spectaculaire des consCl.ences_ évanescence de Dieu dans l'épiphanie du pouvOIr -,fin de la transcendance qui ne sert plus que d'alibi à

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une stratégie tour à fait libte des influences et dessignes. Derrière le batoque des images se cache l'émi­nence grise de la politique.

Ainsi l'enjeu aura toujours été la puissance meur­trière des images, meurtrières du réel, meurtrières deleur propre modèle, comme les icônes de Byzance pou­vaient l'êrre de l'identité divine. A cette puissancemeurtrière s'oppose celle des représentations commepuissance dialectique, médiation visible et intelligibledu Réel. Toute la foi et la bonne foi occidentale se sontengagées dans ce pari de la représentation: qu'unsigne puisse renvoyer à la profondeur du sens, qu'unsigne puisse J'échanger contre du sens et que quelquechose serve de caution à cet échange - Dieu bien sûr.Mais si Dieu lui-même peut être simulé, c'est-à-dire seréduire aux signes qui en font foi? Alors tout le systèmepasse en apesanteur, il n'est plus lui-même qu'un gigan­tesque simulacre - non pas irréel, mais simulacre,c'est-à-dire ne s'échangeant plus jamais contre du réel,mais s'échangeam en lui~même, dans un circuit ininter­rompu dont ni la référence ni la circonférence ne SOnt

nulle part.Telle est la simulation, en ce qu'elle s'oppose à

la représentation. Celle-ci part du principe d'équiva­lence du signe et du réel (même si cette équivalenceest mopique, c'est un axiome fondamental), La simula­tion part à l'inverse de l'utopie du principe d'équi­valence, part de la nfgation radicale du signe commevaleur, part du signe comme réversion et mise à mortde toute référence. Alors que la représentation tented"absorber la simulation en l'interprétant comme faussereprésentation, la simulation enveloppe tout l'édifice dela représentation lui-même comme simulacre.

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Telles seraient les phases successives de l'image:- elle est le reRet d'une réalité profonde- elle masque et dénature une réalité profonde- elle masque l'absence de réalité profonde- elle est sans rapport à quelque réalité que ce soit:

elle est son propre simulacre pur.Dans le premier cas, l'image est une bonne

apparence - la représentation est de l'ordre du sacre­ment. Dans le second, elle est une mallvaise appa~

rence - de l'ordre du maléfice. Dans le troisième, ellejOlie à être une apparence - elle est de l'ordre dusortilège. Dans le quatrième, elle n'est plus du tout del'ordre de l'apparence, mais de la simulation.

Le passage des signes qui dissimulent quelquechose aux signes qui dissimulent qu'il n'y a rien, marquele tournant décisif. Les premiers renvoient à une théo­logie de la vérité et du secret (dont fait encore partiel'idéologie). Les seconds inaugurent l'ère des simulacreset de la simulation, où il n'y a plus de Dieu pour recon­naître les siens, plus de Jugement dernier pour séparerle faux du vrai, le rée! de sa résutrection artificielle, cartout est déjà mort et ressuscité d'avance.

Lorsque le réel n'est plus ce qu'il était, la nostal­gie prend tOut son sens. Surenchère des mythes d'ori­gine et des signes de réalité. Surenchère de vérité,d"objectivité et d"authenticité secondes. Escalade du vtai,du vécu, résurrection du figuratif là où l'objet et lasubstance ont disparu. Production affolée de réel et deréférentiel, parallèle et supérieure à l'affolement de laproduction matérielle: telle apparaît la simulation dansla phase qui nous concerne - une stratégie du réel, denéo-réel et d'hyperréel, que double partout une stratégiede dissuasion.

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Ramsès, Of{ la rémrrection en rose

L'ethnologie a frôlé sa mort paradoxale le jourde 1971 où le gouvernement des Philippines décidade rendre à leur primirivité, hors d'atteinte des colons,des touristes et des ethnologues, les quelques dizainesde Tasaday qu'on venair de découvrir au fond de lajungle, où ils avaient vécu pendant huit siècles sanscontact avec le reste de l'espèce. Ceci à Ilnitiative desanthropologues eux-mêmes, qui voyaient à leur cOntaetles indigènes se décomposer immédiatement, commeune momie à l'air libre.

Pour que vive l'erhnologie, il faut que meureson objet, lequel se venge en mourant d'avoir été« découvert» et défie par sa mort la science qui veut lesaisir.

Toute science ne vit-elle pas sur ce glacis para­doxal auquel la vouent l'évanescence de son objet dansson appréhension même, et la réversion impitoyablequ'exerce sur elle cet objet mort? Telle Orphée, ellese retourne toujours trop tôt, et, telle Eurydice, sonobjet retombe aux Enfers.

C'est contre cet enfer du paradoxe que lesethnologues Ont voulu se prémunir en refermant lecordon de sécurité de la forêt vierge autour des Tasaday.Personne n'y touchera plus: le gisement se refermecomme une mine. La science y perd un capital précieux,mais l'objet sera sauf, perdu pour elle, mais intaCt ensa « virginité ". Il ne s'agit pas d'un sacrifice (la sciencene se sacrifie jamais, elle est toujours meurtrière), maisdu sacrifice simulé de son objet afin de sauver son prin-

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cipe de réalité. Le Tasaday congelé dans son essencenaturelle va lui servir d'alibi parfait, de caution étet­nelle. Ici commence une anri-ethnologic qui n'en finiraplus et dont ]auJin, Castaneda, Clastres sont des témoi­gnages variés. De toute façon, l'évolution logique d'unescience est de s'éloigner toujours davantage de sonobjet, jusqu'à se passer de lui: son autonomie n'en estque plus famastique, elle atteint à sa forme pure.

L'Indien ainsi renvoyé au ghetto, dans le cer­cueil de verre de la forêt vierge, redevient le modèle desimulation de toUS les Indiens possibles d'avant l'ethno­logie. Celle-ci se donne ainsi le luxe de s'incarnerau-delà d'elle-même, dans la réalité .. brute .. de cesIndiens tout entiers réinventés par elle - des Sauvagesqui doivent à l'ethnologie d'être encore des Sauvages:quel retournement, quel triomphe pour cette sciencequi semblait vouée à les détruire!

Bien sûr, ces Sauvages-là sont posthumesgelés, cryogénisés, stérilisés, protégés à mort, ils SOntdevenus des simulacres référentiels, et la science elle­même est devenue simulation pure. Même chose auCreusot, dans le cadre du musée or éclaté .. où on amuséifié sur place comme témoins «historiques» deleur époque des quartiers ouvriers entiers, des zonesmétallurgiques vivantes, une culture tOut entière,hommes, femmes, enfants compris - gestes, langages,usages compris, fossilisés vivants comme dans une prisede vue. Le musée, au lieu d'être circonscrit comme lieugéométrique, est partout désormais, comme une dimen­sion de la vie. Ainsi l'ethnologie, au lieu de se cir­conscrire comme une science objective, va désotmais,libérée de son objet, se généraliser à toutes chosesvivantes et se faire invisible, comme une quatrième

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dimension partout présente, celle du simulacre. Nomsommes tous des Tasaday, des Indiens redevenus cequïls étaient, c'est-à-dite tels qu'en eux-mêmes l'ethno­logie les a changés - Indiens simulacres qui procla­ment enfin la vérité universelle de l'ethnologie.

Nous sommes tous passés vivants dans la lumièrespectrale de l'ethnologie, ou de l'ami-ethnologie quin'est que la fotme pute de l'ethnologie triomphale, sousle signe des différences mortes, et de la résurrection desdifférences. II est donc d'une grande naïveté d'alletchercher l'ethnologie chez les Sauvages ou dans quelqueTiers Monde - elle est ici, partout, dans les métropoles,chez les Blancs, dans un monde tout entier recensé,analysé, puis reJ1Jt1âté artificiellement JOUS fu upèceJdu réel, dans un monde de la simulation, de l'hallucina­tion de la vérité, du chantage au réel, du meurtre detoute forme symbolique et de sa rétrospection hysté­rique, historique - meurtre dom les Sauvages, noblesseoblige, Ont fait les frais les premiers, mais qui s'estdepuis longtemps élargi à rouees les sociétés occiden­tales.

Mais du même coup l'ethnologie nous livre saseule et dernière leçon, le secret qui la tue (et que lesSauvages connaissent bien mieux qu'elle) : la vengeancedu mort.

L'enfermement de l'objet scientifique esr égal àcelui des fous et des morts. Et de même que lasociété entière est irrémédiablement contaminée parce miroir de la folie qu'elle s'est clic-même tendu, ainsila science ne peut que mourir contaminée par la mortde cet objet qui est son miroir inverse. C'est elle quile maîtrise en apparence, mais c'est lui qui l'investiten profondeur, selon une réversion inconsciente, ne

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donnant que des réponses mOrtes et circulaires à uneinterrogation mOrte ec circulaire.

Rien ne change lorsque la société brise le miroirde la folie (abolit les asiles, rend la parole aux fous, etc.)ni quand la science semble briser le miroir de son objec­tivité (s'abolir devant son objec, comme chez Casta­neda, etc.) er s'incliner devant les «différences... Ala forme de renfermement succède celle d'un dispositifinnombrable, diffracté, démultiplié. A mesure que l'eth­nologie s'effondre dans son inscirution classique, elle sesurvit dans une ami-ethnologie dont la tâche est deréinjecter partout de la différence-fiction, du Sauvage­ficrion, pour cacher que c'est ce monde-ci, le nôtre,qui est redevenu sauvage à sa façon, c'est-à-dire dévastépar la différence et par la mort.

C'est de la même façon, sous le prétexte desauver l'original, qu'on a interdit les grottes de Lascauxaux visiteurs, mais qu'on en a construit l'exacte répliqueà cinq cents mètres de là, pour que touS puissent lesvoir (on jette un coup d'œil par le judas sm la grotteauthentique, puis on visite l'ensemble reconstitué). Ilest possible que le souvenir même des grottes d'origines'estompe dans l'esprit des générations futures, maisil n'y a d'ores et déjà plus de différence: le dédouble­ment suffit à les renvoyer toutes deux dans l'artificiel.

Ainsi toute la science et la technique se sontmobilisées récemment pour sauver la momie de Ram­sès JI, après l'avoir laissée pourrir quelques dizainesd'années au fond d'lm musée. L'Occident est saisi depanique à ridée de ne pouvoir sauver ce que l'ordresymbolique avait su conserver pendant quarante siècles,mais loin du regard et de la lumière. Ramsès ne signifierien pour nous, seule la momie est d'un prix inesti-

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mable, car elle est cc qui garantit que l'accumulation aun sens. Toute notre culture linéaire et accumulatives'effondre si nous ne pouvons pas stocker le passé enpleine lumière. Pour cela il faut sottit les Pharaons deleur rombe et les momies de leur silence. Pour cela ilfaut les exhumer et leur rendre les honneurs militaires.Elles SOnt du même coup la proie de la science et desvers. Seul le secret absolu leur assurait cette puissancemillénaire - maÎtrise de la pourriture qui signifiait lamaîtrise du cyde total des échanges avec la mort. Nousne savons plus que mettre notre science au service de laréparation de la momie, c'est-à~dire restaurcr un orcltevisible, alors que l'embaumement était un travail myrhi­que visant à immortaliser une dimension cachée.

Il nous faut un passé visible, un COntinuumvisible, un mythe visible de l'origine, qui nous rassuresur nos fins. Car nous n'y avons au fond jamais cru.D'où cette scène historique de la réception de la momieà l'aéroport d'Orly. Parce que Ramsès était une grandefigure despotique et militaire? Certes. Mais surtoutparce que notre culture rêve, derrière cette puissancedéfunte qu'elle cherche à annexer, d'un ordre quin'aurait rÎen eu à voir avec elle, et elle en rêve parcequ'clle l'a exrerminé en l'exhumant C01mne son proprepassé.

Nous sommes fascinés par Ramsès comme leschrétiens de la Renaissance l'étaient par les Indiensd'Amérique, ces êtres (humains ?) qui n'avaient jamaisconnu la parole du Christ, JI y a eu ainsi, dans lesdébuts de la colonisation, un moment de stupeur etd'éblouissement devant cette possibilité même d'échap­per à la loi universel1c de l'Evangile. De deux chosesl'une alors: ou on admertait que cetre Loi n'était pas

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universelle, ou on exterminait les Indiens pour effacerles preuves. En général, on se contentait de les convertir,ou même simplement de les découvrir, ce qui suffiraità leur extermination lente,

Ainsi, îI aura suffi d'exhumer Ramsès pourl'exterminer en le muséifiant. Car les momies ne pour~

rissent pas par les vers: elles meurent de transhumerd'un ordre lem du symbolique, maître de la pourritureet de la morr, vets un ordre de l'hisroire, de la scienceet du musée, le nôtre, qui ne maîtrise plus rien, quine sait que vouer ce qui l'a précédé à la pourriture età la mort et chercher ensuite à le ressusciter par lascience. Violence irréparable envers tous les secrets,violence d'une civilisation sans secret, haine de touteune civilisation contre ses propres bases.

Et tout comme pour l'ethnologie jouant à sedessaisir de son objet pour mieux s'assurer dans saforme pure, ainsi la démuséification n'est qu'une spiralede plus dans l'artificialité. Témoin le cloître de Saint­Michel de Cuxa, qu'on va rapatrier à grands frais desC10ysters de New York pour le réinstaller dans « sonsite original », Et tous d'applaudir à certe resritution(comme à l' «opération expérimenrale de reconquête destrottoirs" des Champs-Elysées n. Or, si l'exportationdes chapiteaux fur en effet un acte arbitraire, si lesC10ysrers de New York SOnt bien unc mosaïquc arrifi~

cielle de toures les cultures (selon une logique de la cen­tralisation capitaliste de la valeur), la réimportarion surles licux d'origine, elle, est encore plus artificielle: c'estle simulacre total qui rejoint la «réalité» par unecirconvolution complète.

Le cloître eûr dû rester à New York dans uneambiance simulée qui du moins ne trompair personne.

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Le rapatrier n'est qu'un subterfuge supplémentaire, pourfaire comme si rien ne s'était passé et jouir de J'hallu­cination rétrospective,

Ainsi, les Américains se flattent d'avoir ramenéle nombre des Indiens à celui qu'il était avant laConquête. On efface tour et on tecommence. Ils se flat­tent même de faire mieux et de dépasser le chiffreoriginel. Ce sera la preuve de la supériorité de la civili­sation; elle produira plus d'Indiens que ceux-ci n'étaientcapables de le faire. (Par une dérision sinistre, cettesurproduction est encore une f.'lçon de les dérruire : carla culture indienne, comme toute culrure rribale, reposesur la limiration du groupe et le refus de toure crois­sance « libre », comme on le voir dans Ishi. Ji Ya donclà, dans leur « promotion» démographique, un pasde plus dans J'extermination symbolique,)

Ainsi partout nous vivons dans un univers étran­gement semblable à l'original - les choses y SOntdoublées par leur propre scénario. Mais ce double nesignifie pas, comme dans la tradition, l'imminence deleur mOrt - elles SOnt déjà exputgées de leur mOrt,et mieux encore que de leur vivant; plus souriantes,plus authentiques, dans la lumière de leur modèle, telsles visages des funeral homes.

Hyperréel et imaginaire

Disneyland est un modèle parfait de tous leso~~res,de simulacres enchevêtrés. C'est d'abord un jeud illUSIOns et de phantasmes; les Pirates, la Frontière,

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le Future World, etc. Ce monde imaginaire est censéfaire le succès de l'opération. Mais ce qui attire lesfoules, c'est sans doure bien davantage le microcosmesocial, la jouissance religieuse, miniaturisée, de l'Amé­rique réelle, de ses contraintes et de ses joi~s. On parqueà l'extérieur, on fait la queue à l'intérieur, on vousabandonne totalement à la sortie. La seule fantasma­gorie, dans ce monde imaginaire, est celle de la tendresseet de la chaleur inhérente à la foule, et celle d'un nombresuffisant er excessif de gadgets propres à entretenirl'affect mulritudinaire, Le contraste avec la solitudeabsolue du parking - véritable camp de concentra­tion - est roral. Ou plurôt : à l'intérieur, rout unéventail de gadgets magnédse la foule en des flux diri­gés - à l'extérieur, solitude dirigée sur un ~eul gadget.:l'automobile, Par une extraordinaire coïnCIdence (maiscela tient sans doute de l'enchantement propre à cetunivers), ce monde enfanrin surgelé se trouve avoir éréconçu et réalisé par un homme lui-même aujourd'huicryogénisé: Walt Disney, qui attend sa résurrection parmoins 180 degrés centigrades,

Partour donc à Disneyland se dessine le profilobjectif de l'Amérique, jusque dans la morphologie desindividus et de la foule. Toutes les valeurs y sont exal­tées par la miniature et la bande dessinée. Embaumées etpacifiées. D'où la possibilité (L. Marin l'a très bien faitdans Utopiques, jeux d'espaces) d'une analyse idéologiquede Disneyland: digest de i'american way of life, pané­gytique des valeurs américaines, transposirion idéa­lisée d'une réalité contradictoire. Certes, Mais ceci cacheautre chose Ct cette trame «idéologique» sert elle­même de couverture à une simulation de troisièmeordre: Disneyland esr là pour cacher que c'est le pays

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« réel,." toute l'Amérique « réelle» qui est Disneyland(un peu comme les prisons SOnt là pour cacher quec'est le social tout entier, dans son omniprésence banale,qui est carcéral), Disneyland est posé comme imaginaireafin de faire croire que le reste est réel, alors que toutLos Angeles et l'Amérique qui l'entoure ne sont déjàplus réels, mais de l'ordre de l'hyperréel et de la simu­lation, Il ne s'agit plus d'une représentation fausse dela réalité (l'idéologie), il s'agit de cacher que le réeln'est plus le réel, et donc de sauver le principe deréalité,

L'imaginaite de Disneyland n'est ni vrai nifaux, c'est une machine de dissuasion mise en scènepour tégénérer en contre-champ la fiction du réeL D'oùla débilité de cet imaginaire. sa dégénétescence infantile,Ce monde se veut enfantin pour faire croire que lesadultes SOnt ailleurs. dans le monde « réel ». et pourcacher que la véritable infantilité est partout, et c'estcelle des adultes eux~mêmes qui viennent jouer ici àl'enfant pour faite illusion sur leur infantilité réelle.

Disneyland n'est d'ailleurs pas le seuL Enchan~

ted Village, Magic Mountain, Matine World LosAngeles est encerclée de ces sortes de centrales imagi­naites qui alimentent en réel, en énergie du réel uneville dont le mysrère est justement de n'être plus qu'unréseau de circulation incessante, itréelle - ville d'uneétendue fabuleuse, mais sans espace, sans dimensions.Autant que de centrales électriques et atomiques, autantque de studios de cinéma, cene ville, qui n'est pluselle-même qu'un immense scénario, et un travellingperpétuel, a besoin de ce vieil imaginaire comme d'unsystème nerveux sympathique, fait de signaux d'enfanceet de phantasmes truqués.

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Disneyland: un espace de régénération de l'ima­ginaire comme ailleurs, et ici même, les usines de traite­ments de déchets. Partout il faut aujourd'hui recyclerles déchets, et les rêves, les phantasmes - l'imaginaitehistorique, féerique, légendaire des enfants et des adultesest un déchet, la première grande déjection toxiqued'une civilisation hyperréelle. Disneyland est le proto­type de cene fonction nouvelle sur le plan mental.Mais du même ordte sont rous les instituts de tecyclagesexuel, psychique, somatique, qui puUulent en Cali­fornie. Les gens ne se regardent plus, mais il y a desinstituts pour ça. Ils ne se touchent plus, mais il y a lacontactorhérapie. Ils ne marchent plus, mais ils fontdu jogging, erc. Partout on recycle les facultés perdues,ou le corps perdu, ou la socialité perdue, ou le goûtperdu de la nourriture. On réinvente la pénurie,l'ascèse, la naturalité sauvage évanouie: natural food,health food, yoga. Se vérifie, mais au second niveau,l'idée de Marshall Sahlins, selon qui c'est l'économiede matché, et non du tout la nature, qui sécrète lapénurie: ici, aux confins sophistiqués d'une économiede marché triomphale, se réinvente une pénurie/signe,une pénurie/simulacre, un comportement simulé desous-développé (y compris dans l'adoption des thèsesmarxistes) qui, sous couleur d'écologie, de crise del'énergie et de ctitique du capital, ajoute une dernièreauréole ésOtérique au triomphe d'une culture exotérique.Peut-être cependant une catastrophe mentale, uneimplosion et une involution mentale sans précédentguettent-elles un système de ce genre, dont .les signesvisibles seraient cene obésité étrange, ou l'mcroyablecohabitation des théories et des pratiques les plusbizarres, répondant à l'invraisemblable coalition du

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luxe, du ciel et du fric, à l'invraisemblable matérialisa­tion luxueuse de la vie et aux contradictions introuva­bles,

Uincantation politique

:Watergate. Même scénario qu'à Disneyland(effet d'Imaginaire cachant qu'il n'y a pas plus de réalitéau-delà qu'en deçà des limites du périmètre artificiel) :ici effet de scandale cachant qu'il n'y a aucune différenceentre les faits et leur dénonciation (méthodes identiqueschez les hommes de la CJA et chez les journalistesdu Washington Post). Même opération, tendant à régé­nérer à travers le scandale un principe moral et politique,à travers l'imaginaire un principe de réalité en perdition.

La dénonciation du scandale est toujours unhommage rendu à la loi, Et Watergare a surtout réussià imposet l'idée que Watergate était un scandale- dans ce sens ç'a été une opération d'intoxication pro­digieuse. Une bonne dose de réin jecrion de moralepolitique à l'échelle mondiale. On pourrait dire avecBourdieu: {( Le propre de tour rapport de forces estde se dissimuler en tant que rel et de ne prendre toutesa force que parce qu'il se dissimule en tant que tel",en l'entendant ainsi: le capital, immoral et sans scru­pules, ne peur que s'exercer derrière une superstructuremorale, et quiconque régénère cetre moralité publique(par l'indignation, la dénonciation, etc.) travaille spon­tanément. pour l'ordre du capital. Ainsi les journalistesdu Washmgton Post,

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Mais ceci ne serait encore que la formule del'idéologie, et quand Bourdieu l'énonce, il sous-entendle « rapport de force» comme vérité de la dominationcapitaliste, et il dénonce ce rapport de force lui-~ême

comme scandale - il est donc dans la même pOSitiondéterministe et moraliste que les journalistes duWashington Post. Il fait le même travail de purge et derelance d'un ordre moral, d'un ordre de vérité oùs'engendre la véritable violence symbolique de l'ordresocial, bien au-delà de rous les rapports de force, quin'en sont que la configuration mouvante et indifférencedans la conscience morale et politique des hommes.

Tout ce que le capital nous demande: c'est dele recevoir comme rarionnel ou de Ic combattre au nomde la rarionalité, dc le recevoir comme moral 0" de lecombattre au nom de la moralité, Car c'est la mêmechose, ce qui peut se lire sous une autre forme: jadis ons'employait à dissimuler un scandale - aujourd'huion s'emploie à cacher que ce n'en est pas un,

Watergate n'est pas un scandale, c'est ce qu'ilfaut dire à tout prix, car c'est ce que tout le mondes'cmploie à cacher, cette dissimularion masquant unapprofondissement de la moralité, de la panique moraleau fur et à mesurc qu'on s'approche de la (mise en)scène primitive du capiral : sa cruauté instantanée, saférocité incompréhensible, son immoralité fondamen­tale - c'est ça qui est scandaleux, inacceptable pourle système d'équivalence morale et économique qui estl'axiome de la pensée de gauche, depuis la théorie desLumières jusqu'au communisme. On impute cerre pen­sée du contrat au capical, mais lui s'en four absolu­ment - il est L1ne entteprise monstrueuse, sans prin­cipes, un point c'est tout. C'est la pensée « éclairée"

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qui cherche à le contrôler en lui imposant des règles.E,t tou.te la. récri~ination qui tient lieu de penséerevolut/onnalre r~vlent aujourd'hui à incriminer le capi­~al de ne pas sUivre la règle du jeu. «Le pouvoir estmjuste, sa. justice est une justice de classe, le capitalnous exploite, etc. " - comme si le capital était lié parun contrat à. la socié~é ~u'il régit. C'est la gauche quire~~ au ~apltal le miroir de l'équivalence en espérantqu Ji va s y prendre, se prendre à cette fantasmagorie ducontrat social et remplir ses obligations envers la sociétéentière (du même coup, pas besoin de révolution: ilsuffit que le capital se range à la formule rationnelle del'échange).

Le capital, lui, n'a jamais été lié par contrat àcette société qu'il domine. Il est une sorcellerie durapport social, il esr un défi à la société et il doit luiêtre répondu comme tel. Il n'est pas 'un scandale à~éooocer s:lo,o la rationalité morale ou économique,li est un defi a relever selon la règle symbolique.

La négativité en spirale - moebius

Wat,ergate n'a d~nc été qu'un piège tendu parle système a ses adversaires - simulation de scandaleà des fins régénératrices. Ceci est incarné dans le filmpar le personnage de « Deep Throat ", dont on a ditqu'il érait l'éminence grise des républicains manipulantle~ journalisres de gauche pour se débarrasser deNixon - pourquoi pas? Toutes les hypothèses SOnt

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possibles, mais celle-ci est superRue : la gauche fait trèsbien d'elle-même, et spontanément, le travail de ladroire. Il serait d'ailleurs naïf de trouver là une amèrebonne conscience. Car la droite fait elle aussi spomané­mem le travail de la gauche. Toutes les hypothèses demanipulation sont réversibles dans uo tourniquet sansfin. Car la manipulation est une causalité Rorrame oùposirivité et négativité s'~ngendre~t et ,se recouv,ren;,OlJ il n'est plus d'actif 01 de pasSIf. C est par 1arretarbitraire de cette causalité tournoyante que peut êtresauvé un principe de réalité politique. C'est par simula­tion d'un champ perspectif restreint, conventionnel, oùles prémisses et les conséquences d>un acte ou d'unévénement sont calculables, que peut se maintenir unevraisemblance politique (et bien sûr l'analyse « objec­tive ", la lutte, erc.). Si on envisage le cycle entier den'importe quel acte ou événemem dans un système oùia continuité linéaire et la polarité dialectique n'existentplus, dans un champ détraqué par la simulation, toutedétermination s'envole, tout acte s'abolit au terme ducycle en ayant profité à tout le monde et s'étant ventilédans toutes les directions.

Tel attentat à la bombe en Italie est-il le faitdes extrémistes de gauche, ou provocation d'extrêmedroite, ou mise en scène centriste pour déconsidér~r

tOUS les extrêmes terroristes et ravaler son pouvoirchancelant, ou encore scénario policier et chantageà la sécurité publique? Tout cela esr vrai en mêmeremps, et la recherche de la preuve, voire l'objectivitédes faits, n'arrête pas ce vertige de l'interprétation.C'est que nous sommes dans une logique de la simu­lation, qui n'a plus rien à voir avec une logique desfaits et un ordre des raisons. La simulation se caractérise

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par une précession du modèle, de tous les modèlessur le moindre fait - les modèles som là d'abord leurcirculation, orbitale comme celle de la bombe, con;tituele véritable champ magnétique de l'événement. Les faitsn'ont plus de trajectoire propre, ils naissent à l'inter­section des modèles, un seul fait peut être engendré partOuS les modèles à la fois. Cette anticipation, cetteprécession, ce court-circuit, certe confusion du fait avecson modèle (plus d'écart de sens, plus de polarité dialec­tique, plus d'électricité négative, implosion des pôlesantagonistes), c'est elle qui laisse place à chaque foisà toute~ le~ interprétations possibles, même les plusconrradlctOires - toutes vraies, au sens où leur véritéest de s'échanget, à l'image des modèles dom ellesprocèdent, dans un cycle généralisé.

les communistes s'en prennent au parti socia­liste comme s'ils voulaient briser l'Union de la gauche.Hs accréditent J'idée que ces résistances viendraientd'une exigence politique plus radicale. En fait, c'estparce qu'ils ne veulent pas du pouvoir. Mais n'en veu­lent-ils pas dans cette conjoncture, défavorable pour lagauche en général, ou défavorable pour eux à j'intérieurde l'Union de la gauche - ou n'en veulem~ils plus,par définition? Quand Berlinguer déclare: « Il ne fautpas avoir peur de voir les communistes prendre le pou­voir en Italie », ceci signifie à la fois:- qu'il n'y a pas à avoir peur, puisque les communistes,

s'ils arrivent au pouvoir, ne changeront rien à sonmécanisme capitaliste fondamental;

- qu'il n'y a aucun risque qu'ils arrivent jamais aupouvoir (pour la raison qu'ils n'en veulent pas) _ etmême s'ils l'occupent, ils ne feront jamais quel'exercer par procuration;

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_ qu'en fait, le pouvoir, un véritable pouvoir n'existeplus, et donc aucun risque à ce que quiconque leprenne ou le reprenne;

_ mais encore: Moi, Berlinguer, n'ai pas peur de voitles communistes prendre le pouvoir en Italie - cequi peut paraître évident, mais pas tant que ça,puisque

_ ça peut vouloir dire le contraire (pas besoin de psy­chanalyse pour ça) : j'ai peur de voir les commuOistesprendre le pouvoir (et il y a de bonnes raisons àcela, fût-cc pour un communiste).

Tour cela est vrai simultanément. C'est le secretd'un discours qui n'est plus seulement ambigu, commepeuvent l'être les discours politiques, mais qui traduitl'impossibilité d'une position déterminée de pouvoir,l'impossibilité d'une position déterminée de discours,Et cette logique n'est ni d'un parti ni de l'autre. Elletraverse touS les discours sans qu'ils le veuillent.

Qui dénouera cet imbroglio? Le nœud gordienpouvait au moins se trancher. La bande de Moebius,elle, si on la divise, résulte en une spirale supplémen­taire sans que soit résolue la réversibilité des surfaces(ici la continuité réversible des hypothèses). Enfer de lasimulation, qui n'est plus celui de la torture, mais dela torsion subtile, maléfique, insaisissable, du sens 4

_ où même les condamnés de Burgos sont encore uncadeau fait par Franco à la démocratie occidentale quitrouve l'occasion de régénérer son propre humanismechancelant, et dont la ptotestation indignée en retourconsolide le régime de Franco en soudant les masses

--4.Ceci ne résulte pas forcément en un désespoir dusens, mais aussi bien en une improvisatio~ de sens, de non-sens,de plusieurs sens simultanés qui se détrUIsent.

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espagnoles contre cette intervention étrangère? Où estla vérité dans tOut cela, quand de telles complicitésse nouent admirablement à l'insu même de leursauteurs?

Conjonction du système et de son extrême alter­native comme des deux extrémités d'un miroir courbecourbure « vicieuse" d'un espace politique désarmai;aimanté, circularisé, rêversibilisé de ia droite à la gauche,tOrsion qui est comme le malin génie de la commu­tation, toUt le système, l'infini du capital, s'est repliésur sa propre surf,1.ce : transfini? Et n'en est-il pas demême du désir Ct de l'espace libidinal? Conjonction dudésir et de la valeur, du désir et du capital. Conjonctiondu dési~ et de la loi, jouissance ultime métamorphosede la 101 (ce pourquoi elle est si généreusement à J'ordredu jour) ; seul le capital jouit, disait Lyotard, avant depenser désormais ,que nous jouissons dans le capital.Atterrante versatilIté du désir chez Deleuze, retourne­ment énigmatique qui porte le désir « révolutionnairepar lui-même, et comme involontairement, en voulantce qu'il veut", à vouloir sa propre répression et àinvestir des systèmes paranoïaques et fascistes? Torsionmaligne qui renvoie cette révolution du désir à la mêmeambiguïté fondamentale que l'autre, la révolution histo­rique.

Tous les référentiels mêlent leurs discours dansune compulsion circulaire, moebienne. Sexe et travailfurent il n'y a pas si longtemps des termes farouchementopposés; ils se résolvent tous les deux aujourd'hui dansle même type de demande. Jadis le discours sur l'histoireprenait sa force de s'opposer violemment à celui denature, celui de désir à celui de pouvoir _ aujourd'huiils échangent leurs signifiants et leurs scénarios.

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Il serait trop long de parcourir tout l'éventail dela négativité opérationnelle, de tous ces scénarios dedissuasion qui, tel Watergate, tentent de régénéter unprincipe moribond par le sca~dale, le phantasme, lemeurtre simulés - sorte de traItement hormonal par lanégativité et par la crise. Il ~'agit toujours de faire .lapreuve du réel par l'imaginaIre, la preuve de la vé.ntépar le scandale, la preuve de la loi par la transgress~on,

la preuve du travail par la grève, la preuve du systemepar la crise et celle du capital par la révolution, commeailleurs (les Tasaday) la preuve de l'ethnologie par ladépossession de son objet - sans compter;la preuve du théâtre par l'anti-théâtre,la preuve de l'art par l'anti-art,la preuve de la pédagogie par l'anti-pédagogie,la preuve de la psychiatrie par l'anti-psychiarrie,.etc.

Tour se métamorphose en son terme Inversepour sc survivre dans sa forme expurgée. Tous lespouvoirs, toutes les institutions parlent d'eux-mê~~es pardénégation, pour tenter par simulation de mort d echap­per à leur agonie réelle. Le pouvoir peut mettre enscène son propre meurtre pour retrouver une lueurd'existence et de légitimité. Ainsi des présidents améri­cains: les Kennedy mouraient parce qu'ils avaientencore une dimension politique. Les autres, Johnson,Nixon, Ford, n'ont eu droit qu'à des attentats fantoches,à des meurtres simulés. Mais il leur fallait quand mêmecette aura d'une menace artificielle pour cacher qu'ilsn'étaient plus que des mannequi~s de pouvoir. Le ~oi

devait mourir jadis (1e dieu aUSSI), c'était là sa PUIS­sance. Aujourd'hui il s'efforce misérablement de fairesemblant de mourir, afin de préserver la grâce dupouvoir. Mais celle-ci est perdue.

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Chercher du sang frais dans sa propre mort,relancer le cycle par le miroir de la crise, de la négativitéet de ranti-pouvoir : seule solution-alibi de tOUt pouvoir,de toute institution tentant de briser le cercle vicieuxde son irresponsabilité et de son inexistence fondamen­tale, de son déjà-vu et de son déjà-mort.

La stratégie du réel

Du même ordre que l'impossibilité de retrouverun niveau absolu du réel est l'impossibilité de mettre enscène l'illusion. L'illusion n'est plus possible, parce quele réel n'est plus possible. C'est tout le problèmepolitique de la parodie, de l'hypersimulation ou simula­tion offensive, qui est posé.

Par exemple: il serait intéressant de voir sil'appareil répressif ne réagirait pas plus violemment àun hold-up simulé qu'à un hold-up réd? Car celui-cine fait que déranger l'ordre des choses, le droit depropriété, tandis que l'autre attente au principe mêmede réalité. La transgression, la violence som moins gravescar elles ne contesœnt que le partage du réel. La simu­lation est infiniment plus dangereuse car elle laissetoujours supposer, au-delà de son objet, que l'ordre etla loi tl/x-même! pourraient bien n'être que simulation.

Mais la difficulté est à la mesure du péril.Comment feindre un délit et en faire la preuve? Simu­lez un vol dans un grand magasin: comment persuaderle service de contrôle qu'il s'agit d'un vol simulé?

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Aucune différence «objective» : ce sont les mêmesgestes, les mêmes signes que pour un vol réel, or lessignes ne penchent ni d'un côté ni de l'autre. Pourl'ordre établi, ils SOnt tOujours de J'ordre du réel.

Organisez un faux hold-up. Vérifiez bien l'in­nocence de vos armes, er prenez l'otage le plus sûr, afinqu'aucune vie humaine ne soit en danger (car alors onretombe dans le pénal). Exigez une rançon, et faitesen sorre que l'opération ait tout le retentissement pos­sible - bref, serrez au plus près la « vérité _, afin detester la réaction de l'appareil à un simulacre parfait.Vous n'y arriverez pas : le réseau de signes artificielsva s'emmêler inextricablement avec des éléments réels(un policier va tirer réellement à vue; un client de labanque va s'évanouir et mourir d'une attaque cardia­que; on va vous verser réellement la rançon bidon),bref, vous allez vous retrouver sans le vouloir immédia­tement dans le réel, dom l'une des fonctions est pré­cisément de dévoret toute tentative de simulation, deréduire tOut à du réel - c'est même ça l'ordre établi,bien avant l'entrée en jeu des institutions et de lajustice.

Il faut voir dans cerre impossibilité d'isoler leprocessus de simularion le poids d'un ordre qui ne peutvoir et concevoir que du réel, patce qu'il ne peut fane·tionner nulle part ailleurs. Une simulation de délit, sieHe est avérée, sera ou punie plus légèrement (parcequ'elle n'a pas de «conséquences lO) ou punie commeoffense au ministère public (par exemple si on a déclen­ché une opération de police «pour rien») - maisjamais comme JÎ1mdation puisque justement en cant quecelle aucune équivalence avec le réel n'est possible, ecdonc aucune répression non plus. Le défi de la simula-

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t!on est. irrelevable par le pouvoir. Comment punir lasimulation de vertu? Pourtant elle est aussi grave enta.nt ~ue .telle. que la .sir~lUlation de crime. La parodiefait ~ éqUIvalOIr soumission et transgression, et c'est làle cClme le p.lus grave, puisqu'il annule la différence oùse fonde la 101. L'ordre établi ne peut rien COntre celac~r la lo~ est un simulacre du deuxième ordre alors que l~Simulation est du troisième ordre, au~dclà du vrai etd.u faux, au-delà des équivalences, au-delà des distinc~tlOns rationnelles sur lesquelles fonctionnent tout socialet tout pouvoir. C'est donc là, au défaut du réel qu'ilfaut viser l'ordre. '

, C'est bien pourquoi celui-ci choisit toujours lere~l. .Dans le doute, il préfère toujours certe hypothèse(amsl ~ l'armée, .on p~éfère prendre le simulateur pourun vr,~1 fou). Mal.s cecI devient de plus en plus difficile,car s II est. pratl~uement impossible d'isoler le pro­cessus de slmulatlOn, de par la force d'inertie du réelqui nous emoure, l'inverse est aussi vrai (et cctteréversibilité mêmc fair partie du dispositif de simulationet ~'i~puissance du pouvoir) à savoir qu'il est désor­mats lmpossi~1e d'isoler le processus du réel, ni de faite lapreuve du reel.

, . C'est ainsi que tous les hold-up, détournementsd aVions, etc.: SOnt désormais en quelque sorte des~old~up de Simulation, au sens où ils som d'avanceinscrItS dans le déchiffremem et l'orchestration rituelsdes media, anticipés dans leur mise en scène et leursconséquences possibles. Bref, où ils fonctionnent commeun ~nsemble de signes voués à leur seule récurrencede ~Ignes, et non plus du toUt à leur fin « réelle ». MaisceCI ne les rend pas inoffensifs. Au COntraire c'est entant qu'événements hyperréels, n'ayant plu~ exacre-

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ment de contenu ni de fins propres, mais indéfinimentréfractés les uns par les autres (comme aussi bien lesévénements dits historiques: grèves, manifestations,crises, etc. )), c'est en cela qu'ils SOnt incontrôlablespar un ordre qui ne peut s'exercer que sur du réelet du rationnel, sur des causes et des fins, ordre réfé­rentiel qui ne peut régner que sur du référentiel, pou­voir déterminé qui ne peut régner que sur un mondedéterminé, mais qui ne peut rien sur cette récurrenceindéfinie de la simularion, sur cette nébuleuse enapesanteur n'obéissant plus aux lois de la gravitationdu réel, le pouvoir lui-même finissant par se démantelerdans cet espace et devenant une simulation de pouvoir(déconnecté de ses fins et de ses objectifs, er voué àdes effets de pouvoir et de simulation de masse),

La seule arme du pouvoir, sa seule stratégieconrre certe défection, c'est de réinjecrer partout duréel et du référenriel, c'est de nous persuader de laréalité du social, de la gravité de l'économie et desfinalités de la production. Pour cela il use de préférencedu discours de la crise, mais aussi, pourquoi pas ? decelui du désir. «Prenez vos désirs pour la réalité! »

peut s'entendre comme l'ulrime slogan du pouvoir car,dans un monde irréférenriel, même la confusion duprincipe de réaliré et du principe de désir est moins

som ell~~~ê~;~~d~~s \:~;r~~~~~ble~~~fiTm deè~;ta~~~;;t~q~l~même style (et de la même valeur) que ceux qui font actuel­lement les beaux jours d'Hollywood. lnucile d'imerpréter labo­rieusement ces films dans leur rapport à une crise sociale« objective» ou même à un phantasme «objectif» de ca[3S­

nophe. C'est dans J'aune: sc:ns qu'il faut dire que c'est le sociallui-même ql/i, dans le discours actuel, s'organise se/on linscénario de film de catastrophe. (Cf. M. Makarius, La Siratigie dela calastrophe, p. 115.)

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dangereuse que l'hyperréaliré contagieuse. On resteentre principes, et là le pouvoir a toujours raison.

L'hyperréalité et la simulation, l'lies, SOnt dissua­sives de tout principe et de toute fin, elles rerournentcontre le pouvoir cerre dissuasion qu'il a si bien utiliséependant longremps. Car enfin, c'est le capital qui lepremier s'est alimenté, au fil de son histoire, de la des­rructuration de rout référentiel, de route fin humainequi a brisé toutes les distinctions idéales du vrai et d~faux, du bien et du mal, pour asseoir une loi radicaledes équivalences et des échanges, la loi d'airain de sonpouvoir. Lui le premier a joué la dissuasion, l'abstrac­tion, la déconnexion, la déterrirorialisation, etc, et si~'est lui q.ui a fomenté la réalité, le principe de réalité,Il est aUSSI le premier à l'avoir liquidé dans l'extermina­tion de toute valeur d'usage, de toute équivalence téelle,de la ptoduction et de la richesse, dans la sensationmême gue nous avons de l'irréalité des enjeux et dela toute-puissance de la manipulation. Ot, c'est cettemême logique qui se radicalise aujourd'hui Contre lui, Etlotsqu'il veut combattre cerre spirale catastrophique ensécrétant une dernière lueur de réalité, sur laquellefond~r ~ne der?ière lueur de pouvoir, il ne fait qu'enmultlpller les sIgnes et accélérer le jeu de la simulation.

Tant que la menace historique lui venait duréel, le pouvoir a joué la dissuasion et la simulationdésintégrant toutes les contradictions à force de pro~dunion de signes équivalents. Aujourd'hui où la menacelui vient de la simulation (celle de se volatiliser dans le~eu des ~ignes) le pouvoir joue le réel, joue la crise, jouea refabnquer des enjeux artificiels, sociaux, économi­ques, politiques. C'est pour lui une question de vie oude mort. Mais il est trop tard.

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De là l'hystérie caractéristique de notte temps:celle de la production et de la reproduction du ~éel.

L'autre production, celle des valeurs et des marchandIses,celle de la belle époque de l'économie politique, n'aplus de sens propre, depuis longtemps. Ce ~ue touteune société cherche en cominuant de prodUIre, et desurproduire, c'est à ressusci.ter le rée~ ~ui lui échappe,C'est pourquoi cette produc/Jon «matenelle» est aUJour­d'hui elle-même hyperréelle, Elle retient tous lestraits tout le discours de la production ttaditionnellemais 'elle n'en est plus que la réfraction démultipliée(ainsi les hyperréalistes fixent dans u.ne ressemblancehallucinante un réel d'où se sont enfUIS tout le sens etle charme, toute la profondeur et l'énergie de la.repré­sentation). Ainsi partout l'hyperréalisme de la SImula­tion se traduit par l'hallucinante ressemblance du réelà lui-même.

Le pouvoir lui aussi ne produit plus depuislongtemps que les signes de sa ress.embl~nce. Et .ducoup, c'est une autre figure du poUVOI~ qUI se déplOie,:celle d'une demande collective des Hgnes du pOUVOir_ union sacrée qui se refait autOur de sa disparition.Tour le monde y adhère plus ou moins dans la terreurde cet effondtement du politique, Et le jeu du pouvoiren vient à ne plus être que l'obsession critique dupouvoir _ obsession de sa mort, obsessio~ de sa survie,au fur et à mesure qu'il disparaît. lorsqu'Il aura totale­ment disparu, nous serons logiquement dans l'halluci­nation tOtale du pouvoir - une hantise telle qu'elle sepr.ofile déjà partOut, exprimant à la fois la compulsionde s'en défaire (personne n'en veut plus, tout le mondele tefile aux autres) et la nostalgie panique de sa pene.Mélancolie des sociétés sans pouvoir: c'est elle déjà qui

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a suscité le fascisme, cette overdose d'un référentielfort dans une société qui ne peut venir à bout de sontravail de deuil.

Avec l'exténuation de la sphère politique, lePrésident devient de plus en plus semblable à ceMannequÎn de PouvoÎr qu'est le chef dans les sociétésprimitives (Clastres).

Tous les présidents ultérieurs payent et cOnti­nuent de payer le meurtre de Kennedy comme sic'étaient eux qui l'avaient supprimé _ ce qui esr vraiphantasmatiquement, sinon dans les faits. JI faut qu'ilsrachètent cette rare er cette compliciré par leur meurtresimulé. Car celui-ci ne peUt plus être que simulé. Lesprésidents Johnson, Ford Ont tous été l'objet d'attentatsratés, dont on peut penser qu'ils Ont été sinon mis enscène, du moins perpétrés par simulation, Les Kennedymouraient parce qu'ils incarnaient quelque chose: lepolitique, la substance politique, alots que les nouveauxprésidents n'en sont plus que Ja caricature et Ja peJli­cuje famoche - curieusement ils Ont tous, Johnson,Nixon, Ford, cette gueule simiesque, les singes du pou­voir.

La mort n'est jamais un critère absolu, mais dansce cas elie est significative: l'ère des James Dean, desMarilyn Monroë et des Kennedy, de ceux qui mouraientréellemem justement parce qu'ils avaient une dimen­sion mythique qui implique la mort (pas par roman­tisme, mais par le principe fondamental de réversion et

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" ) _ cette ère est révolue. C'es.t désor~aiscl ,echange ar simulation, de l'esthétique géne.ra­l'ere du me~rtr~ p. n du meurtre-alibi _ résurrectiontisée de la s!mu atlO, . 'est plus là que pour sanc­allégoriq~e d~ la.mo~~ qp~!u~oir qui, sans cela, n'a plustionner IIllStitUtlün, . ,de substance ni de reabte autonome.

C mises en scène d'assassinats présidentielses 'II 'nalent le sratut de

sont ré~éla~ri.c~s ~a~:cid~net :e~':;;ositiOn politique, latoure negatlvlte e . . îmulacre repous­«gauche », le discours crm,que, er~~ ~ s briser le cerclesoir par lequel. le .pouvolrd:s:~n irresponsabilité fon­vicieux de son lOexlsten~e, ouvoÎr flotte commedamentale de sa« flottaison ». Le l' 1 h' 'es

la monnai'e,. comme le l~ng~g~'é cO:~:ul:: sréc:~:~n~C'est la cr~tlq~e e~elaré~l~~:t~:ltpo~voir, Si elles s'exté­encore un ant~:~son ou pour une autre, le pouvoir n'a

~~:~~:~~~u~i:n que de les ressuSCÎter artiflciellement,

de les h~~~~~i~i:~i que les exécutions espagnoles serve~t1· 'une démocratie libérale OCCI-

encore, cl,e stimUt:~~~ea valeurs démocratique agonisant,dentale, a un sys b. de rem s encore? LaDu sang .frais, mais rOL1;oc~:jr~e~e pours:r irrésisrible­dégradation de toUS es i1ement les « forces révolution­

m~nt: ce niea~~~tè~~t ~e processus (c'est même souvent~~~~e:r:e~uc'est le système lui-même qui exerce sur ses

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Page 20: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

propres Structures cette violence annulatrice de toutesubstance et de toute finalité. Il ne faut pas résister àce processus en cherchant à affronter le système et à ledétruire, car lui qui crève d'être dépossédé de sa mort,n'attend de nous que cela: que nous la lui rendions, quenous le ressuscitions par le négatif Fin des praxisrévolutionnaires, fin de la dialectique, _ Curieusement,Nixon, qui n'a même plus été trouvé digne de mourirpar le moindre déséquilibré occasionnel (et que lesprésidents soient assassinés par des déséquilibrés, cequi est peut~êtte vrai, ne change rien à l'histoire: larage de gauche de détecter là-dessous un complot dedroite soulève un faux problème _ la fonction deporcer la mort, ou la prophétie, etc., Contre le pouvoir,a toujOUtS été exercée, depuis les sociétés primitives,par des déments, des fous ou des névrosés, qui n'enSOnt pas moins porteurs d'une fonction sociale aussifondamentale que ceUe des présidents), s'est trouvé pour­tant rituellement mis à mort par Watetgate, Watergate,c'est encore un dispositif de meurtre rituel du pouvoir(l'institution américaine de la Présidence est bien pluspassionnante à ce titre que les européennes: elle gardeautoUt d'elle toute la violence et les viciSsitudes despouvoirs ptimitifs, des rituels sauvages). Mais déjàl'impeachment n'est plus l'assassinat: il passe par laConstitution, Nixon est quand même arrivé au but dontrêve tout pouvoir: être pris assez au sérieux, constituerpOur le groupe un danger assez mortel pour être unjour destitué, dénoncé et liquidé, Ford n'a même pluscette chance: simulacre d'un pouvoir déjà mort, il nepeut plus qu'accumuler COntre lui les signes de la réver­sion par le meurtre - en fait, il est immunisé par sonimpuissance, ce dont il enrage.

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A l'inverse du rite pri~itif, q~i prélvoi~l~ ~~:~·fi . Ile du toi (le toi ou e ce.

officielle et sacn Cie de son sacrifice), l'imaginaire poli­rien sans la prom::s~e plus en plus dans le sens detique moder;a:her le plus longremps possible l~ ~?rtretarder, de b 'on s'est accrue depUIS 1eredu chef d'E.tat. Cet~ 0 t:~~rs charismatiques: Hitler,des révolutions ,et an:

s:s d'héritiers «légiti~es~, d,e

Fran:o, Mao, n a~ ~oient forcés de se survivre wde­filiation d: poUVOl~, se _ le mythe populaire ne ve~tfini~ent a eu~-memes Ainsi les pharaons déjà: c'étaItjamais les crOIre morts. A e qu'incarnaient lestOujours une seu~e et meme personn

pharaons successifs. mme si Mao ou Franco étaie.ntTout se ~asse ~o. et remplacés par leur SOSie,

déjà m,orts plusIeurs. ~l~e cela ne change strictementDu pOl~t de vue ,poli; ~it'le même ou l'autre, pourvurien qu un chef d Eta de tOute façon longtempsqu'ils se ress~mblent. Il} ;orte lequel _ n'est que lequ'un chef d Et~t --=-m: l~t ue cela seul lui donne lesimul~cre de lU1-~e d ' ouv~ner. Personne n'accorde­po~votr et .Ia qualai ti~~nt la moindre dévorion à uneralt le mOlOdre as~enr à son' double, lui étant roujourspersonne delle, C:s Ce m the ne fait que rta­déjà 1n9rt, que va 1allégeance,.: e te;ps la déception deduire la persistance et en .m~m d .l'exigence de la mort sacflficldle u roI.

. là· aucune de nosNous en msOe::e:o~ou:;a~~i1 d~ deuil du réel,

sociétés ne sait

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Page 21: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

du pouvoir, du social lui-mê1m, qui est impliqué dansla même déperdition, Et c'est par une recrudescenceartificieUe de tOUt cela que nous tentons d'y échapper,Ce/a finira même sans doute par donner le socialisme,Par une torsion inattendue et une ironie qui n'est pluscelle de l'histoire, c'est de la mort du social que surgirale socialisme, Comme c'est de la mOrt de Dieu quesurgissent les religions. Avènement retors, événementpervers, réversion inintelligible à la logique de la raison.Comme J'est ce fait que Je Pouvoir n'est en somme pluslà que pOur cacher qu'iJ n'yen a plus. Simulation quipeut durer indéfiniment, car, à la différence du « vrai»pouvoir gui est, ou a été, une structure, une srtatégie,un rappon de force, un enjeu, celui-ci n'érant plusque l'objet d'une demande sociale, Ct donc objet de laloi de l'offre et de la demande, n'est plus sujet à laviolence et à la mort. Complètement expurgé de ladimension politique, il relève, comme n'importe quelleautre marchandise, de la production et de la consom_mation de masse, Toute étinceiJe a disparu, seule lafiction d'un univers politique est sauve.

Il en est de même du travail. L'étincelle de laproduction, la violence de ses enjeux n'existent plus.Tout le monde produit encore, et de plus en plus, maisSUbtilement le travail est devenu autre chose: un besoin(comme l'envisageait idéalement Marx mais pas du tOUtdans le même sens), J'objet d'une « demande» sociale,comme le loisir, auquel il s'équivaut dans le dispatchinggénéral de la vie. Demande exactement Proportionnelleà la perte de J'enjeu dans le procès de travail 6. Même

6. A ce fléchissement de J'investissement de travail cor_respond une baisse parallèle de J'investissement de conSomma_tion. Finie la valeur d'usage ou de presrige de J'automobile,

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our le pouvoir: le scénario de travailpéripétie que Pele réel de travail, le réel d.e ~ro­est l~ pour ~acher 1~ le réel de la grève rou;- aUSSI ble~,ductlon, a disparu. A du travail, mais son pole alternatifqui n'est plu~ un ~rretlle de l'année sociale. Tout s~ passedans la s~anslOn tlt~:it «occupé », après déclaratl~n decomme SI c~lacun aoste de travail et repris, comme li estgrève, son heu et p accu ation « autogérée », I~ pro­de rigueur dans unte dans Pies mêmes termes qu aupa­duction exactemen (l'étant virtuellement)ravant, tout en se déclara~:e et en

en état de ~tè,ve pcrm:~:êve' de science-fiction : par~outCe~1 n est pas du rocès de travail. Et dune

il s'agit d une d~ublurerève ~ grève incorporée commedoublure du proces de gb' comme la crise dans la pr~­l'obs?lescence ,dans I~:; ;1::; ni grève, ni travail, mal~ductlOO. ,Il n y a Pd ux c'est-à-dire tOut aut~e chose.simultan~ment les -/ u~ trompe-l'œil, un scenodrameune magie de t,:aval , ur ne pas dire un mélodrame),de la pro~uctlon c~r:e sur la scène vide du .social:,dramaturgie :ol~e de l'idéologie du travail -: 1ethi-

Il ne s agit plu~ 1 . le procès « reel » deque traditionnelle qUI occu teralt

ait nettement l'objet defini le discours amoureux qu.i op~ autre discours prend .la'ouissanœ à J'objet, de travaJ;<w~1 fur l'objet tk ((J:1i~mmatto~~lève qui est un d~irourf tk :ctif contraignant, pUfltatn (usezvisant à un réLOves.tlSse~entre séc'urité, la vitesse, c'est dé.passé,moins d'essence, vellle~ ~ ~o~es des voitures feignent de s ada

PIetc), auquel les carac~ nstlir interversion des pôles., L~ tra,,:a~ter Retrouvet un enjeU p. 1 voiture devient 1obJet. d.ude~ient l'objet d'un bcSOl~, a reuve de l'indifférenClat.JOntravail Il n'y a pas de meilleure Pme lissemenr du «droit.»de to~s les enjeux, .Ces~tar leI ~:e s/signale le désinvestls-

~:m:~~edea~a :r~~;~J~iC~qe~;~ra

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travail et le processus «objectif» d'exploitation _ maisdu scénario de travail. De même il ne s'agit plus del'idéologie du pouvoir, mais du scénario de pouvoir.L'idéologie ne correspond qu'à une malversation de laréalité par les signes, la simulation correspond à uncourt-circuit de la réalité et à son redoublement parles signes. C'est toujours la finalité de l'analyse idéolo­gique que de restituer le processus objectif, c'esr tou­jours un faux problème que de vouloir restituer lavérité sous le simulacre.

C'est pourquoi le pouvoit est au fond tellementd'accord avec les discours îdéologiques et les discourssur l'idéologie, c'est que ce Sant des discours devérité - toujOUtS bons, même et surtOut s'ils sontrévolutionnaires, à opposet aux atteintes mortelles dela simulation.

La fin du panoptique

C'est encore à cette idéologie du vécu, d'exhu­mation, du réel dans sa banalité de base, dans sonauthenticité radicale, que se réfère l'expérience améri­caine de TV-vérité tentée en 1971 sur la famille Loud ;sept mois de tournage inintetrompu, trois cents heuresde prise directe, sans script ni scénario, l'odyssée d'unefamille, ses drames, ses joies, ses péripéties, non Stop_bref, un document historique «brut », et le «plusbel exploit de la télévision, comparable, à J'échelle denotre quotidienneté, au film du débarquement sur la

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Lune». La chose se complique du fait que cetre familles'est défaite pendant le tournage: la crise a éclaté, lesLoud se sont séparés, etc. D'où ['insoluble controverse:la TV est-elle responsable? Qu'en aurait-il été s; la TVn'avait pas été là ?

Plus intéressant est le phantasme de filmer lesLaud comme s; la TV n'était pas là. Le triomphe duréalisateur était de dire: « Ils ont vécu comme si nousn'étions pas là.» Formule absurde, paradoxale - nivraie, ni fausse: utopique. Le «comme si nous n'étionspas là» équivalant au « comme si vom y étiez ». ~'est

cette utopie, ce paradoxe qui a fasciné les vingt millIOnsde téléspectateurs, beaucoup plus que le plaisir « per­vers» de violer une intimité. 11 ne s'agit ni de sectetni de pervetsion dans l'expérience «vérité », maisd'une sorte de frisson du réel, ou d'une esthétique del'hyperréel, frisson d'exactitude vertigineuse et truquée,frisson de distanciation et de grossissement à la fois, dedistorsion d'échelle, d'une transparence excessive.Jouissance d'un excès de sens, quand la barre du signedescend en dessous de la ligne de flottaison habituelledu sens: l'insignifiant est exalté par la prise de vue.On y voit ce que le réel n'a jamais été (mais «commesi vous y étiez »), sans la distance qui fait l'espacepetspectif et notre vision en profondeut (mais «plusvrai que nature ,,). Jouissance de la simulation microsco­pique qui fait passer le réel dans l'hypertéeJ. (C'est unpeu comme ça dans le porno aussi, dont la fascinationest plus métaphysique que sexuelle.)

Cette famille d'ailleurs étair déjà hyperréel1e depar sa sélection même: famille américaine idéale-rypi­que, demeure californienne, trois garages, cinq enfants,statut social et professionnel aisé, housewife décorative,

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standing uppetmiddle. C'est cette perfection statistiqueen quelque sorte qui la voue à la mort. Héroïne idéalede l'american way of life, elle est, comme dans lessactifices antiques, choisie pour être exaltée et mourirsous les feux du medium, moderne fatum. Car le feudu ciel ne tombe plus sur les cités corrompues, c'estl'objectif qui vient découper comme un laser la réalitévécue p~ur la ~ettre à mOrt. « Les Laud; simplementune famille qUI a accepté de se livrer à la rélévision etd'en mourir", dira le réalisateur. 11 s'agir donc biend'un processus sacrificiel, d'un spectacle sacrificiel offertà vingt millions d'Américains. Le drame lirurgique d'unesociété de masse.

. :V~v~rité. Terme admirable dans son amphibo-logie, s agit-li de la vériré de cette famille ou de lavérité de la TV ? En fait, c'est la TV qui est la véritédes Laud, c'est elle qui est vraie, c'est elle qui fait vrai.Vérité q~j n'est plus ceHe, réflexive, du miroir, ni celle,perspectlv,e, du ~ystème panoptique et du regard, maiscelle m~nlpulatrtce, du test qui sonde et interroge, dulaser qUl tate et qui découpe, des matrices qui gardentvos séquences perforées, du code génétique qui com­mande à vos combinaisons, des cellules qui informentvon.e univers sensoriel. C'est à cette vérité-là que lafa.mllle Laud est ,~oumis~ par le medium TV, et il s'agitbien en ce sens a une mise à mort (mais s'agit-il enCOtede véri té ?).

Fin du système panoptique. L'œil de la TVn'est plus la source d'un regard absolu, et l'idéal duCOntrôle n'esr plus celuj de la transparence. Celui-cisuppose encore un espace objecrif (celui de la Renais­sa,nec) er la t~ute-puissance d'un regard despotique.C est encore, sinon un système de renfermement, du

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moins un système de quadrillage. Plus su~t.il, mais to~­

jours en extérioriré, jouant sur l'OppOSition du .volret de l'être vu, même si le point focal du panoptiquepeue être aveugle,

Auere chose quand avec les Laud .... Vous neregardez plus la TV, c'est la TV qui vous regarde(vivre) », ou encore: .... V~us n'éc?urez p!us Pas dePanique, c'est Pas de Pam~ue qUi vous ,ecoure" ­virage du dispositif panoptlque d~ sur;elilan,ce (S~r­

veiller et punir) à un système de dlSsu~slon, ou ~~ dJ~­tinction du passif et de l'actif est abolie. Plus d Impe­ratif de soumission au modèle, ou au regard. «Vousêtes le modèle!" .: C'est Vous la. majo,rité! : Telest le versant d'une socialité hyperréallste, ou le reel.seconfond avec le modèle, comme dans l'opérati~n statis­tique, ou avec le medium, comme d~ns l'o~ratlon t.?ud.Tel est le stade ultérieur de la relation SOCiale, I~ notre,qui n'est plus celui de la persuasion (l'è.r~ ~laSSlque d.ela propagande, de l'idéologie, de la p~.bllclte, ~tc.) malScelui de la dissuasion: « Vous êtes 1mformatlon, vousêtes le social, c'est vous l'événement, vous êtes concer­nés vous avez la parole, etc. " Retournement par lequelil devient impossible de localiser un~ inst~nce~ dumodèle, du pouvoir, du regard, du medium lUi-meme,puisque vous êtes roujours déjà de l'autre c?té. PI~s

de sujet, plus de point focal, plus de .centr~ ni de péri­phérie; pure flexion ou inflexion clrcu~alfe. PI~s deviolence ni de surveillance: la seule «information ",virulence secrète, réacrion en chaîne, implosion lenteet simulacres d'espaces où vient encore jouer l'effet de

réel. Nous assistons à la fin de l'espace perspectif etpanoptique (hypothèse morale encore et solidaire de

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tomes les. analyses classiques sur l'essence « objective»du po~v.o~r), et donc à l'abolition même du Jpectaculaire,La télevlslOn,. par exemple dans le cas des Loud, n'eStplus un medIUm spectaculaire. Nous ne sommes plusd.ans .la soci~té du spectacle, dom parlaiem les Situa_tJ(:~n?IStes, nI ,dan~ le t.ype d'aliénation et de répressionspecJfiq~~s qu elle ImplIquait. le medium lui-même n'estplus. saISIssable en tam que tel, et la confusion dumedJUm et du message (Mac Luhan) 1 est la première

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grande formule de cette ère nouvelle, Il n'y a plus demedium au sens littéral: il est désormais insaisissable,diffus et diffracté dans le réel, et on ne peut même plusdire que celui-ci en soit altéré,

Une telle immixtion, une telle présence virale,

images du social et du privé (J, Donzelot, La Police fks familles,Paris, Minuit, 1977),

Impossible désormais de poser la fameuse question :«D'où parlez-vous?,. - « D'où savez-vous? ,. «D'où tenez­vous votre pouvoir? ", sans s'emendre immédiatement répon­dre: «Mais c'est tk vous (à partir de vous) que je parle,._ sous-emendu, c'est vous qui parlez, c'est vous qui savez, c'estvous le pouvoir. Giganresque circonvolution, circonlocution de laparole, qui équivaut à un chamage sans issue, à une dissuasionsans appel du sujet supposé parier, mais laisse sans téponse,puisqu'aux questions qu'il pose on lui répond inéluctablement:mais 1I0ftS êtes la réponse, ou: voue question est déjà uneréponse, etc. - toute la sophistique strangulacoire de la capta­tion de parole, de l'aveu forcé sous couleur de liberté d'expres­sinn, du rabattemenr du sujet sur sa propre interrogation, de laprécession de la réponse sur la question (toute la violence del'imerprétation esr là, et celle de l'autogestion consciente ouinconscience de la «parole »),

Ce simulacre d'inversion ou d'involution des pôles, cesubterfuge génial qui est le secret de tout le discours de la mani­pulation et donc, aujourd'hui, dans cous les domaines, le secretde tout nouveau pouvoir dans l'effacement de la scène dupouvoir, dans l'assomption de toutes les paroles d'où estrésultée cette fantastique majorité silencieuse qui est la caracté­ristique de narre temps - tout ceci a sans doute commencédans la sphère politique avec le simulacre démocratique, c'est­à-dire la substitution à l'instance de Dieu de l'instance dupeuple comme source du pouvoir, et au pouvoir comme ima­llalion du pouvoir comme représentation. Révolution ami-coper­nicienne : plus d'instance transcendante ni de soleil ni de sourcelumineuse du pouvoir et du savoir - tout vient du peupleet tout y tetourne. C'est avec ce magnifique reodage quecommence de se mettre en place, depuis le scénario du suffragede masse jusqu'aux fantômes actuels des sondages, le simulacreuniversel de la manipulation.

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endémique, chronique pani ue d .puisse en isoler les 'eŒ q , u medl~m, sans qu'ons:,ulptures publiciraires a~sla~ ~pecw~hsé, tel!es ces1evénemem filtré par le mediu ~ I.espace. Vide, de

~ dan~ I~ vie, diSSOlution de la7ie da:lSt°!;~lOn ~e latlon chimIque indiscernable; nous so~ a - solu­Loud voués non pas à l" . , mes tous des~iolence. Ct au chamage d~;r:~~an~tad~: pression, à ~a~ .Ieur mduction, à leur infilt' , modèle~, malSdhsible. ration, a leur VIOlence

. Mais il faut prendre gard ,.d.lscours impose; il ne s'a it ni de au rou~ ne.ga~lf qu: leVirale. Il faut plutôt p:nser 1: malad.le 01 d affectIOné.taiem, ~ans l'orbite externe, un: ::~la comme :'i~stIque qUi commande à la mucatio d ,de code gene~roUt comme l'autre code microm

n,u re:l en hyperréel,

au passage d'une s hère' ol:culalre, commandegénétiqu:, du sign~1 pr~gr;:~~eé~tat1ve, du sens à celle,

C est tout le mode traditi 1est en question' d .onne de ca~salité qui« actif », critiq~e,m~o~t:~~ect~lf~ déterm.in~ste,. modela cause et de l'effet, de l'act]etqd e - ~lstJnctlon dede l'objet, de la fin et des mo en u p~sslf, du sujet etqu'on peut dire . 1 TV y s. C est sur ce modealiène, la TV nous'm:nipul n~ll;,;garde,. la TV nousr~ste dans tOUt cela tribut:i're

ade 1nous mfo~me ... On

tique des media, celle d'un a a ,c~nceptlon analy­cace, celle d'une informatf~~t :,xteneur a.cti( et effi­comme poim de fuite l'hori ~erspectlve» avec

Or il faut concevoirz~: ~~ reel et du sens.comme un effet où s" . sur le mode ADNI~ dérermination, sel::an:;~~ss;:t~es ~Ies advers,es de

rlOn nucléaire du vieux schéma pol:~r~oqn~i ~:i:;:~:~~

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toujours une distance minimale entre une cause et uneffet, entre un sujet et un objet: la distance du sensprécisément, l'écart, la différence, le plus petit écartpossible (PPEP 1), irréductible sous peine de résorp­tion dans un processus aléatoire ec indéterminé dont lediscours ne peut plus même rendre compee, puisqu'il estlui-même un ordre déterminé.

C'est cet écart qui s'évanouit dans le procèsdu code génétique, où l'indétermination n'est pas telle·ment celle du hasard des molécules que ceUe de l'abo­lition pure et simple de la relation. Dans le processus decommandement moléculaire, qui « va » du noyauADN à la « substance» qu'il « informe », il n'y a pluscheminement d'un effet, d'une énetgie, d'une détermina­tion, d'un message. «Ordre, signal, impulsion, mes·sage" : toll[ ceci essaie de nous rendre la chose intelli­gible, mais par analogie, retranscrivant en termesd'inscription, de vecteur, de décodage, une dimensiondonc nous ne savons rien - ce n'esr même plus une« dimension », ou c'est peut-être celle-là la quatrième(laquelie se définit d'ailleurs, en relativité einseeinienne,pat l'absorprion des pôles distÎncts de l'espace et dutemps). En fait, tout ce processus ne peut s'entendrepour nous que sous forme négative plus rien nesépare un pôle de l'autre, l'initial du terminal, il y acomme une sorte d'écrasement de l'un sur l'autre, detélescopage fantastique, d'effondrement l'un dans l'autredes deux pôles traditionnels: implosion - absorptiondu mode rayonnant de la causalité, du mode différentielde la détermination, avec son électricité positive etnégative _ implosion du sens. C'est là où la simulationcommence.

Partout, dans n'importe quel domaine, politique

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;~~l~~j~:e, ~sychologique, médiatique, où la distinctioncl l . po es ne peur plus être mainrenue on entrel:en~a~~;ulation, cr.d?oc da~s l,~ m~nipula~ion abso-

cl. ijpas la passlvlté, malS 1mdminction de l'actifet ~ paw. l'ADN réalise cette réduction aléatoire~~x;;e~eu dde la substan~e vivante. La télévision, dans

fi.. p , cs Lo~d, attemt elle aussi cette limite indé­

nt~1Ve ou ceux-CI ne som vis-à-vis de la TV . l .~oms . a:tif~ ou passifs qu'une substance v7~a~t~ ~~est vl~-a-vIS de son code moléculaire Ici r

~cule n.ebuJeuse indéchiffrable dans ses éiémen;r .a, ~nemdéchlffrable dans sa vérité. S simp es,

L'orbital et le nucléaire

"l'a~théose de la simulation: le nucléaire Pourtam, 1equ.lhbre,de la terrcur n'est jamais que le ~ersan;

:~~~t~~u~~rel'i~t~~e"SyStème de diss~asion qui s'estv' ~ ,dans tous les Interstices de lab~:a7~:~pe~sed?ucle~lre ne .fdit que sceller le systèmed . e a ISSuasIOn qUI est au cœur des medialee ~o:lOlence sa,ns c~n~équ:nc~s qui règne partout dan~

de, du dispoSItif aleatolre de rous les ch' .~?US, SOnt faits. ~s moindres de nos comporteme:::s~~~1egles par ~es signes neutralisés, indifférents é uivaen.ts" des signes à somme nulle comme le s~n~ ceu~~UI r~glent la « stratégie des jeux}) (mais la v" bequatlon est ailleurs et l'inconnue' eClta levariable de sim l.' '. est Justement cette

u atlon qUI faH de l'arsenal atomique

lui-même une forme hyperréelle, un simulacre qui nousdomine toUS et réduit tous les événements « au sol» àn'être que des scénarios éphémères, transformanr la viequi nous est laissée en survie, en un enjeu sans enjeu,_ même pas en une traite à valoir sur la morr : en unetraite dévaluée d'avance),

Ce n'est pas la menace directe de destrucrionatomique qui paralyse nos vies, c'est la dissuasion quiles leucémise, Et cette dissuasion vient de ce que mêmele clash atomique réel est exclu - exclu d'avancecomme l'éventualité du réel dans un système de signes.Tout le monde feint de croire à la réalité de cette menace(on le comprend de la part des militaires, tout le sérieuxde leur exercice est en jeu, et le discours de leur«stratégie »), mais justement il n'y a pas d'enjeuxstratégiques à ce niveau, et toute l'originalité de lasituation est dans l'impwbabilité de la destruction.

La dissuasion exclut la guerre - violence archaï­que des systèmes en expansion. La dissuasion, elle, estla violence neutre, implosive, des systèmes métastablesou en involution, Il n'y a plus de sujet de la dissuasion,ni d'adversaire, ni de stratégie - c'est une structureplanétaire d'anéantissement des enjeux. La guerre ato~

mique, comme celle de Troie, n'aura pas lieu. Le risquede pulvétisation nucléaire ne sert que de prétexte, àtravers la sophistication des armes - mais cette sophis­tication outrepasse tellement n'imporre quel objectifqu'elle est elle-même un symptôme de nullité -, à lamise en place d'un système universel de sécurité, deverrouillage er de contrôle dont l'effet dissuasif ne visepas du tout le clash atomique (celui-ci n'a jamais étéen cause, sauf sans doute dans les tout premiers tempsde la guerre froide, lorsqu'on confondait encore le dis-

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positif nucléaire avec la guerre traditionnelle) mais bienla probabilité beaucoup plus large de toUt événementréel, de tout ce qui ferait événement dans le systèmegénéral et en briserait l'équilibre. L'équilibre de la ter­reur, c'est la terreur de l'équilibre.

" La dissuasion n'est pas une stratégie, elle circules echange entre les protagonistes nucléaires très

exactement comme les capitaux internationaux danscette zone orbitale de spéculation monétaire donc lesf1~x suffisenc à concrôler tous les échanges mondiaux.AInsi la monnaie de destrtlction (sans référence dedestruction réelle, pas plus que les capitaux flottantsn'ont de référent de production réelle) qui circuie surl'orbite nucléaire suffit à Contrôler toute la violencect les conflits potenciels du globe.

, ~e qui se trame à l'ombre de ce dispositif, sousle pretexte d'une menace «objective» maximale, ergrâce à cette épée nucléaire de Damoclès, c'est la mise aupo.inr du système maximal de contrôle qui ait jamaiseXisté. Et la satellisation progressive de toute la planètepar cet hypcrmodèle de sécurité.

la même chose vaut pour les centrales nucléairespacifiques. La pacification ne fait pas de différence entrele civil et le militaire: partout où s'élaborent des dis­positifs irréversibles de conttôle, partoUt où la notionde sécurité devient toute-puissance, partout où la normede sécurité remplace l'ancien arsenal de lois et de vio­lence (y compris la guerre), c'est le système de ladissuasion qui grandit, et autour de lui grandit le déserthistoriqu.e, social et politique. Une involution gigan­tesque fait se contracter tous les conflits, toutes les fina­Jit~s, to~s les affrontements à la mesure de ce chancageqUI les mtetrompt tous, les neutralise, les gèle. Aucune

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révolte, aucune histoire ne peuvent plus se d~pl~yer

selon leur propre logique puisqu'elles enco~rent 1a~ean­tissement. Plus aucune stratégie n'est po.s~lb.le, et l, es~a­lade n"est qu'un jeu puéril laissé aux militaires. Len/eupolitique est mort, seuls restent .des si~ulacres deconflits et d'enjeux soigneusement C1rConSCClts.

L' «aventure spatiale» a joué exacteme~t lemême rôle que J'escalade nucléaire. C'est pourquoI ellea pu si facilement la relayer dans les années 1960 (Ken­nedy/Khrouchtchev), ou se développer parallèlementsur un mode de « coexistence pacifique ». Car quelleest la fonction ultime de la course à l'espace, de laconquête de la lune, du lancement .des. satel\i~es ? Sinonl'institution d'un modèle de gravItation universel, desatellisation donc le module lunaire es~ l'embryon p:r­fait: microcosme programmé, où rIen ne pe~t e~re

laissé au hasard. Trajectoire, énergie, calcul, phYSIOlogie,psychologie, environnement - rien ne peut êrre laisséà la contingence, c'est l'univers coral de l~ n?rme - laLoi n'y existe plus, c'est l'immanence operatIOnnelle decous les détails qui fait loi. Univers expurgé de co~ce

menace de sens en état d'asepsie et d'apesanteur - c estcette perfectio~ même qui est fascinante. Car ,l'exalta­tion des foules n'allait pas à l'événement du debarque­ment sur la Lune ou du cheminement d'un homme dansl'espace (ceci serait plutôt la fi~ d'un rêve antérieur)non, la sidération va à la perfection de la program~a­

tion et de la manipulation technique. A la m~rvelJle

immanente du déroulement programmé. Fasci~atlon parla norme maximale et la maîtrise de la probabllit~. Ver­tige du modèle, qui rejoint celui de la mort, mais sanseffroi ni pulsion. Car si la loi, avec son aura de. tr~ns­

gression, l"ordre, avec son aura de violence, dratnalenr

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enc~re un imaginaire el"VefascJOe, sidère, et fait jn~olue:s, la ,norn:e, ,elle, fixe,phantasme plus sur la minutie d,toUt IrnagznaJre. On ne~éb~e.rvance est vertigineuse. C ul~ pr;~ramme. Sa seule

radIance. e e un monde sans

~r, c'est le même mod' l ,. '"g;a~matlque,de sécurité et de d.

te d.znfazlilbilité pro­

reglt a~jourd'hui l'extension du l:su~lon ~axi~ales guir~tombéc nucléaire; l'opérari ~Jal.. C est la la vraienI,que sert de modèle à 1'0 é o~ mm.utleuse de la rech­lCi non plus, rien ne Set: p r;fJon ~lOutieuse du sociald'aiJj~urs cela la sOCiajjsa~i~ us !~/JSé au hasard, c'es~des sœdes, mais qui est eor / qUI a commencé depuisa:célér~e. vers une limite r:e'odésorma~s dans sa phaserevOlUtlOn)~ mais qui pour iïns~a croyaIt exp.losive (laprocessus Invetse imp/' if,' nt se ttadun par ungénéralisée de tO~t h o~)d mévetsible ; dissuasiontransversalité, de tout:~tn~lit; toUt aCCident, de toUteruptute ou complexité dans ,de to.Ut: :o.nrradiction,la norme, vouée à 1 une SOClahte Irradiée parmécanismes d'informa;iotra~sp~~nce signalétique deset nucléaire n 'om pas d nfi n an, Jes modèJes spatialde la lune, ni la su 'r' ~ ,os .~ro~res ; ni la découvertevérité, c'est d'être ~sl'::~dl~lre .et stratégique. Leurte~rs modèles d'un système ~:SCO~t s~mulation, les vec­mem.es les puissances vedettes d tole plané~aire (dontpas lIbres _ tOUt Je monde est s:tce .s:é~afJo ne Sont

. Résister à l'évidence' d elllse) ,qUl est sarellisé n'esr p J '. a~s la satellisation, celui__ as ce uz qu on croit, Par l'inscrip_

poJlurio~ ~:7txes;s;~~~s les ~m?es sont propres' leurIrradienr lorJqrl'elle.r n'exPIOJe~ep:a~urJté er de comrÔle qu~~~;~

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rion orbitale d'un objet spatial, c'est la planète Terrequi devient satellite, c'est le principe terrestre de réalitéqui devient excentrique, hyperréel et insignifiant. Parl'instanciation orbitale d'un système de contrôle commela coexistence pacifique, ce SOnt tous les micro-systèmesterrestres qui sone satellisés et perdent leut autonomie.Toutes les énergies, toUS les événements sont absotbéspar cette gravÎtation excentrique, rout se condenseet implose vers le seul micro-modèle de contrôle (lesatellite orbital), comme invetsement, dans l'autredimension biologique, rout converge et implose sur lemicro-modèle moléculaire du code génétique. Entre lesdeux, dans cetre fourchene du nucléaire et du généti­que, dans l'assomption simultanée des deux codes fon­damentaux de la dissuasion, tout principe de sens estabsotbé, rout déploiement du réel est impossible.

La simultanéité de deux événements au moisde juillet 1975 illustrait ceci d'une façon éclatante: laréunion dans l'espace des deux supersarellites améri­cain et soviétique, apothéose de la coexistence paci­fique - la suppression par les Chinois de l'écritureidéogrammatique et le ralliement à terme à l'alphabetromain. Ce derniet signifie l'instanciation «orbitale»d'un système de signes abstrait et modellisé, dansl'orbite duquel vont se résorber toutes les formes,jadis singulières, de style et d'écriture. Satellisation dela langue: c'est la façon des Chinois d'encret dans lesystème de la coexistence pacifique, lequel s'inscrit dansleur ciel juste en même temps par la jonction des deuxsatellites. Vol orbital des deux Grands, neutralisation ethomogénéisarion de tous les autres au sol.

Pourtant, malgré cette dissuasion par l'instanceorbitale - code nucléaire ou code moléculaire -, les

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événements COntinuent au sol l ' .de pl~s en plus nombreuses,' éte:n~e~IPéti,es Sant même~ondlal de cOntiguÏté et de si ~~ne le ~rocessustIan. Mais subtilement ils n'Ontmultanelté de .J'm{orma~plus que l'effet duplex dl' plus de sens, ds ne Santplus bel exemple ne peUt:' a simulation au sommet, Lepui;qu'e1!e fut à l'jnterse;;;~nq~~ul~ gU~rre d.u Vi.êt~nam« rev~lutlOnnaire» maximal et d enle.u hJstonque etcette mstance dissuasive l e la mise en place deson évolUtion n'a-t-elle '2u,e, sens a eu cette guerre, ettaire dans l'événement hist:;~ de scelle~ la fin de l'his~de notre époque? Ique culmmam et décisif

, Pourquoi cette guerre si d '{eroce, s'est~eJle dissipée d'un' , u;e, SI longue, sienchantement? JOur a 1autre Comme par

Pourquoi cette défai '.r:vers de. l'histoire des Etat;~~::nc~me (le plus grandrepercuSslOn interne en A ,. ) n a~t-elle eu aUCunement signjfié l'échec d 1 men~~e? 51 elle avait vrai­.Unis, elle eût nécessair:m:~:rateg~eplanétaire des Etats_lOterne et le système 1" ausSI bouleversé l'équilibreété. po Itlque américain. Il n'en a rien

Autre chose donc a eu 1"{on~ n'aura été qu'un é isod l~U. Cette guerre aupaClfiq.ue. Elle aura ma~ué I~a~~uclal de la coexistencela coexIStence pacifiq La. ,nement de la Chine à~btenue et concrétisé~:u fij ~n;mtervention de la Chinetmage par la Chine d'un ':od:gU~S an~ées, l'appren_passage d'une stratégie de ' 1 .vivendI mondial, led:un partage des {orees et r~vo UtlOn, mondiale à ceHed une alternative radicale à l':tte;:~lres, l~ .transition~n SYStème désormais ré lé ' ce ~lltJque danstian des rapports Pékin~~ ~ur 1essentiel (normalisa_

ashlOgron): c'était cela l'en~

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jeu de la guerre du Viêt-nam et, en ce sens, les Etats-Unisont évacué le Viêt-nam, mais ils ont gagné la guerre.

Et la guerre a pris fin « spontanément» lorsquel'objecti{ a été atteint, C'est pourquoi elle s'est défaite,disloquée avec une telle facilité.

Ce même ravalement est déchiffrable sur leterrain. La guerre a duré tant que n'ont pas été liquidésles éléments irréductibles à une saine politique et disci­pline de pouvoir, celui-ci fût-il communiste, Lorsqu'enfinla guerre est passée aux mains des troupes régulièresdu Nord et a échappé à celle des maquis, la guerre peuts'arrêter: eHe a atteint son objectif. L'enjeu est donccelui d'une relève politique. Lorsque les Vietnamiens omfait la preuve qu'ils étaient plus porteurs d'une subver­sion imprévisible, on peut leur passer la main. Quece soit un ordre communiste n'est pas grave au fond:celui-ci a fait ses preuves, on peut lui faire confiance.Il est même plus efficace que le capitalisme dans laliquidation des structures pré-capitalistes «sauvages»et archaïques.

Même scénario dans la guerre d'Algérie.L'autre aspect de cette guerre et de route guerre

désormais : derrière la violence armée, l'antagonismemeurtrier des adversaires - qui semble un enjeu devie ct de mort, qui se joue comme tel (sinon on nepourrait jamais envoyer les gens se faire crever la peaudans ce genre d'histoire), derrière ce simulacre de lutteà mort et d'enjeu mondial sans pitié, les deux adversairessont fondamentalement solidaÎres contre autre chose,innommé, jamais dit, maÎs dont le résultat objectifde la guerre, avec la complicité égale des deux adver­saires, est la liquidation totale: les structures tribales,communautaires, pré-capitalistes, toutes les formes

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d'échange, de langue, d'organisation symboliques, c'estcela qu'il faut abolir, c'est cela dont le meurtre estJ'objet de la guerre - et celle-ci dans son immense dis­positif spectaculaire de morc, n'est que le medium dece ptocessus de rationalisation terroriste du social _, lemeurtre SUt lequel va pouvoir s'instaurer la socialité,peu importe son obédience, communiste ou capitaliste,Complicité totale, ou division du travail entte deuxadversaires (qui peuvent même consentir pOUt cela dessacrifices immenses) à même fin de ravalement et dedomestication des rapports sociaux.

« Les Nord-Vietnamiens Ont reçu des conseilspour se prêter à un scénario de liquidation de la pré­sence américaine au Cours duquel, bien Sûr, il fautsauver la face, »

Ce scénario: les bombatdemenrs exrtêmemenrdurs sur Hanoï, Leur caractère insuppottable ne doit pascacher qu'ils n'éraient qu'un simulacre pour permettreaux Vietnamiens de sembler se prêrer à un compromiset à Nixon de faire avaler aux Américains le retrait deleurs troupes. Tout étair acquis, rien n'étair objective_ment en jeu que la vraisemblance du montage final.

Que les moralisres de la guerre, les tenants deshautes valeurs guerrières ne se désolent pas trop : laguerre n'est pas moins atroce pOur n'être que simulacre,on y souffre encore bien dans sa chair, et les mOrtser les anciens combattants y valent largement les auttes,Cer objectif-là est toujours bien rempli, de mêmeque celui de quadrillage des territoires et de socialitédisciplinaire. Ce qui n'existe plus, c'est l'adversité desadvetsaires, c'est la réalité des causes antagonistes, c'estle sérieux idéologique de la guerre. C'est aussi la réalitéde la victoire ou de la défaite, la guerre étant un

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. he bien au-delà de ces apparences.procesS~eqt~iu~;I~~:n, la pacification (~u la dissuasion)

. domine aujourd'hui est au-dela de la guerre etqUI tOU~ix elle est l'équivalence à tout instanr d.e l.ade. a p 'la uerre.« La guerre, ~'est la pai~'" disaitpaix eltl dL: g. les deux pôles différentiels ImplosenrOrwe, a aUSSI, '1' simul­l'un dans l'autre, ou se recyel.enr l,un a~tre -radie ettanéité des conrradict.oires q~l ~St a la fOlS~~acom lè­la fin de toute dialectique. AmSI peut-on? . Plitement à côté de la vérité d'une guerre: a..savOlt, ~u ~i:

était finie bien avanr de s'achever, qu II a ete, Ile' re au cœur même de la guerre, et qu e

6~ a la ~~et 'amais commencé, Bien d'au.cres événe:n a peut eere J ., ) n' nt jamalS commence,roeors (la crise pétrohere, etc. 0". 'fi . Il

. . .n n comme pénpetles artl cie es,~m:~~t~;:~~é~rs:~z~ et artCfac~s d'~istoir~, de ~atastro­phes et de crises destinés à malOt:n;e~7a l~;et:I~~~~aer7~historique sous hyp~ose, Tous le , our maintenirofficiel de l'informatIOn ne s?n~ ~a qU,e Pe réalité desl'illusion d'une événementlalite, d un "

. , ob'ectivitê des faits. Tous les evenementsen~:u:, l~r:~e rev~rs, ou on s'aperçoit (les communistes~oau ouvoir" en Italie, la redécouv~_rt.e posthume,, ~es goulags et des dissidents sovietiques, comm.e

retro, ntem oraine par une ethnologlC mO[l­~el1jepr~;~: ~odiffér~ncc" ~erdue des Sauvage~) q,uet:~tes' ces choses arrivent trop tard, avec une h~sto~r:de retard, une spirale de retard, qu'~lIes ont s,U1se

leur sens longtemps à l'avan.ce et ne VI~::; ~~eéVé~:~

effervescence artificielle de ~Igneesd~~eune équivalencemenrs se succèdent sans loglqu , . dïf<'rencetotale des plus contradictoires, da~s u~e ln ~i1: n'enprofonde à leurs conséquences (mais c est qu

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Ont plus; ils s'épuisent dans leur promotion spectacu_laire) - toUt le film de l' «actualité» donne ainsil'impression sinistre de kitsch, de rétro et de porno àla fois - ceci sans doute tout Je monde le sait, etpersonne ne l'accepte au fond. La réalité de la simulationest insupportable - plus cruelle que le Théâtre de laCruauté d'Artaud, qui était encore l'essai d'une drama­turgie de la vie, le dernier sursaut d'une idéalité ducorps, du sang, de la violence dans un système quidéjà J'emportait, vers une résorption de tous les enjeuxsans une trace de sang. Pour nous Je tour est joué.Toute dramaturgie, et même touce écriture réelle de lacruauté, a disparu. La simulation est maîtresse, et nousn'avons plus droit qu'au rétro, à la réhabilitation f.1.0­

tomatique, parodique de tous les référentiels perdus.Tous se déroulent encore autour de nous, dans lalumière froide de la dissuasion (y compris Artaud, quia droit comme toUt le reste à son revival, à une exis­tence seconde comme référentiel de la ctuauté).

C'esr pourquoi la prolifération nucléaire n'estpas un risque de plus de clash ou d'accident atomique- sauf dans l'intervalle où les «jeunes" puissancespourraient être tencées d'en faire un usage non dissuasif,« réel" (comme J'one fait les Américains à Hiroshima_mais précisément eux seuls Ont cu droit à cette « valeurd'usage" de la bombe, tous ceux qui y accéderonedésormais seront dissuadés de s'en servir par le faitmême de la posséder). L'entrée dans le club atomique,si joliment nommé, efface très rapidement (comme lasyndicalisation pour le monde ouvrier) toute velléitéd'intervention violence, La responsabilité, le contrôle,la censure, l'auto-dissuasion croissent toujours plus viteque les forces ou les armes dont on dispose: tel est le

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, dre social. Ainsi la possibilité même d~secret de 10\ un a s en abaissant une manett,e fa : tparalyser rou., PJ l'électricité n'utiliseront JamaiSque les teC~l:I,:~:n:ou~ le myrhe de la grèv; tota~e ercette a~me ' , ui s'écroule au moment meme ou lesrévolutIOnnaire qd nnés _ mais hélas justement parcemoyens en sont 1°. ont donnés, C'est là rout leque les moyens Ul, en s

procès ~~1:t ~~~~a:~:; à fait probable de voir un jourlé ' xporter centrales, armes et

les puissance~ nue aires e 1 s latitudes, Au contrôlebombes atomiques ,~oe~: ~:~:::t:gie bien plus efficace depar la m~nace sucee bombe et par la possession de lapacification par la, ant acheter leurb b Les« petites" pUIssances, croy , cl 1

om e, tonome achèteront le ViruS e af~rce ~e frappe au re dissuasion. Même chose p,ourdissuaSIOn, de leur t~~ ue nous leur livrons déjà :les centrales atom i neu~ons désamorçant toUte vi ru­autant de b,ombes , d'ex losion. En ce sens, lelence histotlque, tout nsque p accéléré dïm­nucléaire inaugure partout UA ~to~e~su,~ absorbe touteplosion, il congèle rout autour e UI, 1

énergie Z;v~~cléaire est à la fois le point culmi~ant de, l 'rnisation des systemes de

l'énergie dispoOlbJ; et ,a ~:x~errOUiliage et le contrôlecontr~le de :oute energle~ême (et sans doute plus vitegrandISSent a la mesu~e, 'b' ' Cc fut déjà l'apo­encore) que les ,virrual;:s li er~~~~:s~ncore le paradoxerie des révolutions m eroes, , '1 t à leurb 1 du nucléaire. Les énergies se conge en ,

a sa u d'ssuadent elles-mêmes. On ne VOItpropre feu, elles se l, 1 ouvoir quelle stratégie,plus du, to~t quel ~roJe':~~i~ed~riète c~tte clôture, cetre

;;:It:~i~~ I~~a:t~~~~e' d'un système par ses propres

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forces. désorm.ais neutralisées, inutilisables, inimelli i­bles, ~~exp!oslves, - si.non la possibilité d'une explOJfon~ers I.tn~erteur, d une Implosion où toutes ces éner iess.ab~!Jra'e~t d,ans. un processus catastrophique (au ;nshtteral, c est-a-dl~e au sens d'une réversion de tourI~ cycle vers un ~oJOt minimal, d'une réversion des éner­gIes vers un seUIL minimal).

L'histoire: un scénario rétro

Dans une période d'histoire violente et actuelle(disons l'entre-deux-guerres et la guerre froide), c'estle mythe qui envahit le cinéma comme contenu imagi­naire. C'est l'âge d'or des grandes résurrections despoti­ques et légendaires. Le mythe, chassé du réel par la vio­lence de l'histoire, trouve refuge au cinéma.

Aujourd'hui, c'est l'histoire elle-même qui enva­hit le cinéma selon le même scénario - l'enjeu histo­rique chassé de notre vie par cette sorte de neutralisa­tion gigantesque, qui a nom coexistence pacifique àl'échelle mondiale, et monotonie pacifiée à l'échelle quo­tidienne _, cette histoire, exorcisée par une société àcongélation lente ou brutale, fête sa résutrection enforce sut les écrans, selon le même processus qui y faisaitjadis revivre les myrhes perdus.

L'histoire est notre référentiel perdu, c'est-à-direnotre mythe. C'est à ce titre qu'elle prend la relève desmythes sur l'écran. L'illusion serait de se réjouir decette « prise de conscience de l'histoire par le cinéma ",

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comme on s'est réjoui de l' « enttée de la politiqueà l'université ". Même malentendu, même mystification.La politique qui entre à l'université est ceUe qui Sartde l'histOire, c'est une politique rétro, vidée de sa subs­tance et légalisée dans son exercice superficiel, aire dejeu et terrain d'aventure, cette politique-là est commela sexualité ou la formation permanente (ou comme lasécurité sociale en son temps): libéralisation à titreposthume.

Le grand événement de cette période, le grandtraumatisme, est cette agonie des référentiels forts,l'agonie du réel et du rationnel qui ouvre sur une ère dela simulation, Alors que tant de générations, et sin­gulièrement la dernière, Ont vécu dans la foulée del'histoire, dans la perspective, euphorique ou cata~tro­

phique, d'une révolution - aujourd'hui on a l'impres­sion que l'histoire s'est retirée, laissant derrière elle unenébuleuse indifférente, traversée par des flux (?), maisvidée de ses références. C'est dans ce vide, que refluentles phantasmes d'une histoire passée, la panoplie desévénements, des idéologies, des modes rétro - non plustellement que les gens y croient ou y fondent encorequelque espoir, mais pour simplement ressusciter letemps où au moinJ il y avait de l'histoire, au moins ily avait de la violence (fût-elle fasciste) où au moins ily avait un enjeu de vie ou de mort. Tout est bon pouréchapper à ce vide, à cette leucémie de l'histoire et dupolitique, à cette hémorragie des valeurs - c'est à lamesure de cette détresse que tous les contenus som évo­cables pêle-mêle, que toute l'histoire antérieure vientressusciter en vrac -, aucune idée force ne sélectionneplus, seule la nostalgie accumule sans fin : la guerre, lefascisme, les fastes de la belle époque ou les luttes

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, lutionnaires, tout est équivalem et se mêle sans dis­:~~~tion dans la même exalt~tion morose et f~~;b~e~d la même fascination retro. Il y a p~urt

a~:ilè e de l'époque immédiatem::nt revolue (lef~(is:e la guerre, l'jm~édiat apres-guerre - les. nomb:ables films qui se Jouent là ont pour nous ~nlOarfum plus proche, plus pervers, plus dense, ~,us~rouble). On peut l'expliquer ~n .évoqua~t (hypotfée~~

o eut-être elle aussi) la theone freudienne du tlr~ti~m~. Ce trauma (perte des référentiels) est se~blable: la décollverte de la différence des sexe.s chez 1;,n~a~~,a i rave aussi profond, aussi irrévetslble : la etlc 1­

aus.song

d'~n objet intervient pour occulr~r cette~aét~ouverte insupportable, mais précisém:nr, dit Freud,

objet n'est pas n'importe lequel, c est souvent le~:~nier objet entr'aperçu avant la découverte ~r~uma­tisante. Ainsi l'histoire fétiehis~e sera, de p.re~e;enc~

He .mmédiatemenr antérieure a notre ere « Irre éren~~elle\'. D'où la prégnan~e du fascis~e,et de laugu:~:~cl ns le rétro - coïnCidence, affimte pa,s d .

aliti ue il est naïf de conclure de l'év~cat1o,n faSCiste[0un qre~ouveau actuel du fascisme (c est Justement

aree u'on n'y est plus, parce qu'on est dans autre~hose, ~ui est encore moj~s drô~e, c'est. pour c~~:~~~le fascisme peut redevemr fasclOant dans safiltrée, esthétisée par le rétro \).

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cinéma ~'~~~;~jre fair ainsi son emré,e triomphale aule même SOrt. posthume (Je terme « hIstorique}) a subi

. un moment, un monument un con rèsune figure ." historjqu~s» som par là même désigné;comme ~ossJles). ~a rémjecrion n'a pas valeur de grisede consClen,ce m~ls de nostalgie d'un référentiel c;duapparue:CCI .nc/slgnifie pas que J'histoire ne SaitJamai's

li cm ma comme temps fon comme ractuel, comme insurrection et non co~m ,P oce~susDans le « réel» comme au ciné .. e resurr~ctlon.mais il n'yen a plus. L'hisroire

rna, ,II y a eu de l'histoire,

aujourd'h . C qUi nous est « rendue», UI Justement parce qu'elle nous a été ')

~é:~as plu~ de rapp?rt avec un « réel historique » :~~s~aréel gura~lOn en pe.mrure avec l~ figuration classique du

bl. La nc?-figuratlon est une Invocation de la re

ance, malS en même 1 ssem~

%~;;~;o~e~e~:.bÎets d:~~~:u: ~;r~::n~:~~:nt:ê:el~h . Jets y bnllent en quelque Sorte d'

yperressemblance. (comme l'histoire dans 1 . ~nea.ctuel),qui fait qu'lis ne ressemblent au fond ptusc~n~ma~ la figure vide de la ressemblance, à la f~;:~

~:Ie~r ~o~~~~t~'~n~e «~~~hé~f u~ce, t~ .peuple, etc), réinjectionmoment où le processus d q dé po ~tlque de la moer» à undes valeurs collectives de e, 1se.nc alltem~nt de la valeur etmensionnalisarion de 'tOue/ec.u ard~aClon :a[]onnel1e et d'unidi_vie .sociale cc individuelle ~~e, fai~Pâr,~nonnahsaClon de .tOute

~~~;to;heE~~07a ~~~e~~\ tour esc bo~à~~/e~~;r::.nàCI~et~~de la vie. Le fascisme es'r u eccc;. neutrabsatlon ec pacificationfonde, irrati.onnelle, démente~e ru s;~ance à .cel~, ré~isrance p~o-

~~~t~ ~~er:t~ ~n~~~:~ ~i1c~:~t ~ar~~~' ~~7s:;~~t ra~~erl~~:cet~e autre terreur qu'est 1. ,i-.' terreur est a la mesure deqUI s'est approfondie en ~ ~~nJlISlOn du réel et du rationnelcela. CI ent, ee elle est une réponse à

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vide de la représentation. C'est une question de vie oude mort: ces objets-là ne sont plus ni vivants ni mor­tels. Cest pour cela qu'ils SOnt si exacts, si minutieux,figés, dans l'état où les aurait saisis une déperditionbrutale du réel. Tous ces films historiques, mais passeulement: Chinatown, Les troiJ jOUYJ du condor, BarryLyndon, 1900, Les Hommes du Président, etc., dont laperfection même est inquiétante. On a l'impressiond'avoir affaire à des remakes parfaits, à des montagesexrraordinaires qui relèvent davantage d'une culturecombinatoire (ou mosaïque au sens mac1uhanesque), àde grandes machines de photo, kino, hisroriosynthèse,etc, plutôr qu'à de véritables films. Entendons-nous:leur qualité n'est pas en cause. Le problème est plutôtqu'ils nous laissent quelque part totalement indifférents.Prenez Last Picture Show: il faur comme moi êtreassez distrait pour l'avoir vu comme production origi­nale des années 50: le rrès bon film de mœurs etd'ambiance dans la petire ville américaine, etc. Juste unléger soupçon: il érait un peu trop bon, mieux ajusté,meilleur que les autres, sans les bavures psychologiques,morales et sentimentales des films de l'époque. Ahuris­sement quand on découvre que c'est un film desannées 70, parfait rétro, expurgé, nickel, restitutionhyperréaliste des films des années 50. On parle de refairedes films muets, meilleurs sans doute eux aussi queceux d'époque. Toute une génération de films se lève,qui seront à ceux qu'on a connus ce que l'androïdeest à l'homme arrefacts merveilleux, sans défaiUance,simulacres géniaux à qui ne manque que l'imaginaire, etcerre hallucinarion propre qui fair le cinéma. La pluparrde ceux que nous voyons aujourd'hui (les meiHeurs) sontdéjà de cer ordre-là. Barry Lindon en est le plus bel

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exemple; on n'a jamais fait mieux, on ne feta jamaismieux dans ... dans quoi? Dans J'évocation non, mêmepas de l'évocation, c'est de la simulation. Toutes lesradiations toxiques ont été filtrées, tous les ingrédiemssom là, rigoureusemenr dosés, pas une ecreur.

Plaisir cool,. froid, même pas esthétique à pro­pre.rr:enr parler plaisir fonctionnel, plaisir équationnel,plaisir de machination. Il n'est que de songer à Visconti(Le GU/fard, Sens~J etc., qui par certains aspects fanepenser a Barry Lmdon) pour saisir la différence, nonse~lement dans .Ie style, mais dans l'acte cinématogra_phrque. Chez Visconti, il y a du sens, de l'histoire, unerhétorique sensuelle, des temps morts, un jeu passionné,non seulement dans les contenus historiques, mais dansla m.ise en scène. Rien de com cela chez Kubrick, quimanipule son film comme un échiquier, qui fait del'histoire un scénario opétationnel. Et ceci ne renvoiepas à la vieille opposirion de l'esprit de finesse er del'esp~it de .géométrie ; celle-c.i relève encore du jeu,et d un enjeu de sens. Alors que nous entrons dansune ère de fil~s qui n'ont proprement plus de sens, degrandes machines de synthèse à géométrie variable.

Quelque chose de ceta déjà dans les westerns deLeone? ~eut-être. Tous les registres glissent dans cesens. Chmatown; c'est le polar tedesigné au laser. Cen'est pas vraiment une question de perfection: laperfection technique peut faire partie du sens, et, dansce cas, elle n'est ni rétro, ni hypetréaliste, elle est uneffet de l'art. lei, elle est un effet de modèle: eUe estune des valeurs tactiques de référence. En l'absence desyntaxe réelle du sens, on n'a plus que des valeurstactiques d'un ensemble où par exemple la CIAcomme machine mythologique à toUt faire, Robert

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Redfort comme star polyvalente, les rap~orts .sociauxcomme référence obligée à l'histoi.re; la vJrtuos~té tech­nique comme riférence obligée au cmema se conjuguentadmirablement. .

Le cinéma et sa trajectoire: du plus famastlqueou mythique au réalistique et à l'hyperréalistique.

Le cinéma dans ses tentatives actueHes se rap­proche de plus en plus, et avec de plus. e~ plus deperfection, du réel absolu, dans sa banallte, dans s.avéracité, dans son évidence nue, dans son ennu~,

et en même temps dans son outrecuidance, dans sa pre­tention d'être le réel, l'immédiat, l'insignifié, ce .qUl estla plus folle des entreprises (ains~ la prétention dufonctionnalisme de designer - deSign - le plus ~aut

degré de l'objet dans sa coïncidence av.ec sa fonction,avec sa valeur d'usage, esr une entrepnse propre~ent

insensée), aucune culture. n'a jamais eu sur les sl~nes

cette vision naïve et paranoïaque, puritaine et terronste.Le terrorisme est toujours celui du réel.Simultanément à cette œntative de coïncidence

absolue avec le réel, le cinéma se rapproche a~ss,i d'unecoïncidence absolue avec lui-même - et ceCi n esr pascontradicroire: c'esr même la définition de l'hypcrréeJ.Hypotypose et spécularité. Le cinéma sc plagie, s.e ~eco­

pie, refait ses classiques, rétroactive ses mY,th~s .onglOels,refait le muet plus parfair que le muet. d onglOe: et::. :[Qut cela est logique, le cinéma eJt faJczné par luz-memecomme objet perdu tout comme il (et nOM) ..sommesfascinés par le réel comme ré/kentiel en p~rdltJO~. ,Lecinéma et l'imaginaire (romanesque, myrhlque, 1.rrea­lité, y compris l'usage délira.nt de sa .propr.e rcchOJ~ue)avaient jadis une relation vrvante, dialectique, pleine,dramatique. La relation qui se noue aujourd'hui enrre

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le cinéma et le réel est une relation inverse, négative:elle résulte de la perce de spécificité de l'un et de l'auue.Collage à froid, promiscuité cool, fiançailles asexuéesde deux media froids qui évoluent en ligne asympto­tique l'un vers l'aurre: le cinéma tentant de s'abolirdans J'absolu du téel, le téel dès longtemps absorbédans l'hyperréel cinémarographique (ou télévisé).

L'hisroire était un mythe fort, peur-être le der­nier grand mythe avec l'inconscient, C'est un mythequi sous-tendait à la fois la possibilité d'un enchaîne­ment «objectif» des événements et des causes et lapossibilité d'un enchaînement narratif du discours, L'âgede l'histoire, si on pem dire, est aussi l'âge du roman,C'est ce caractère fabuleux, l'énergie mythique d'unévénement ou d'un récit, qui semble se perdre toujoursdavantage, Derrière une logique performante et démons­trative: l'obsession d'unefidéliti hisrorique, d'un renduparfait (comme ailleurs celui du temps réel ou de laquoridienneté minurieuse de Jeanne Hilmann faisantsa vaisselle), cerre fidélité négarive cr acharnée à lamatérialité du passé, de telle scène du passé ou duprésent, à la restirution d'un simulacre absolu du passéou du présent, et qui s'esr substiruée à tOUt autrevaleur - nous sommes tous complices, et ceci est irré­versible. Car le cinéma lui-même a contribué à la dispa­rition de l'histoire, et à l'avènement de l'archive, L"lphoro er le cinéma Ont largement contribué à séculariserl'histoire, à la fixer dans sa forme visible, « objecrive ",aux dépens des mythes qui la parcouraient.

Il peut mettre aujourd'hui roUt son talent, toutesa technique au service de la réanimation de ce qu'ila lui-même contribué à liquider. Il ne ressuscite que desfantômes, et il s'y perd lui-même.

Holocauste

L'oubli de l'extermination fait ~arci.e de l'el~~~::. . car c'est aussi ceHe de la memOIre, d~

m~natlon,. Cet oubli-là est aussi essentiel quet~,lr:, du SOCial, et~ute façon introuvable pour nous,1evenemene, de , . é Cet oubli-là ese encore trOPinaccessible dans sa vent, mémoire artificielledan.gere~x, .il faut l'effa:~::ta\~n~émoires artificielles(au.lourd hUI ce sOé~ofre des hommes, qui effacent .lesqUI effac~~t l~~rm ropre mémoire). Cette mémoire art1~­hommes ~. de l'extermination _ malScieHe sera la remlseden scène , Ile puisse faire de vraiesrard, bien tt~p tar P~~;o~~éement quelque chose, etvagues et deran~er p n medium lui-même froid,surtout, surcout a etavers u , .. d'uneirradiant l'oubli, la dissuasion et,.l ex:ermsls~~~~Onque les

façon plus sys:émariiuet:~co~eé;i~~~te ~ution' finale àcamps ~~x-memes. a" . ent On fait repasser lesl'h.istotlClté de tout r::~::-oire' ou à la chambre à ga~,JUIfs non plus au fou, bd' , l'écran cathoch­mais à la bande-son et a la an e~lmage, a

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que, et au micro-processeur, L'oubli, l'anéantissementa,ttel?t enfin par là à sa dimension esthétique _ ils acheve dans le rétro, ici enfin élevé à la dimension demasse.

, L'espèce de dimension sociale historique qui res-tait enCore à l'oubli sous forme de culpabilité, de latenceho~teuse, de non-dit, n'existe même plus, puisque désor­mais « tOUt le monde sait », toUt le monde a vibré etchialé de:anc l'ex~ermination - signe sûr que « ça» nese prodUlra plus Jamais. Mais ce qu'on exorcise ainsi àpeu de, frais, et au prix de quelques larmes, ne setep~odUlra en e~et plus jamais, parce que c'est depuistO~J?~rs en tralO, actuellement, de se reproduire, etpreCisement dans la forme même où on prétend led.énoncer, dans le medium même de ce prétendu exor­Cls~e; la ,rélévisi~n, ~ême processus d'oubli, de liqui­danon, d eXtermlOatlOn, même anéantissement desmémoires et de J'histoire, même rayonnement inverseimplosif, même absorption sans écho, même trou noi:qu'Auschwitz, Et on voudrait nous faire croire que laTV va leve~ l'hypothèque d'Auschwitz en faisant tayon­ner une pnse de conscience collective, alors qu'elle enest la perpé,tuation sous d'autres espèces, sous les auspi­c:s cette ~OIS non plus d'un lieu d'anéantissement, maisd un medunlt de dissuasion,

Ce que personne ne veut comprendre c'est queHolocallJ/e est d'abord (Ct exclusivement) ~n événe­ment, ou plutôt un objet télévisé (règle fondamentalede MacL~han, qu'il ne faut pas oublier), c'est-à-direqU'o,n essaie ~e réc~auffer un événement historique froid,tragique maiS frOId, le premier grand événemenr dessyst~mes froids, des systèmes de refroidissement de dis­suaSIOn et d'extermination qui VOnt ensuite se déployer

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saliS d'autres formes (y compris la guerre ftoide, erc.)et concernant des masses froides (les Juifs même plusconcernés par leur propre mort, et l'autogéra~t, éven­tuellement, masses même plus révoltées : dissuadéesjusqu'à la mort, dissuadées de leur mort même). deréchauffer cet événement froid à travers un medIUmfroid, la télévision, et pour des masses elles-mêm,esfroides, qui n'auront là l'occasion que d'un fr~sson, tacnl.eet d'une émotion posthume, frisson dissuaSif lUi aUSSI,qui les fera verser dans l'oubli avec une sorte de bonneconscience esthétique de la catastrophe.

Pour réchauffer tout cela, il n'était pas de ttopde toute l'orchestration polirique et pédagogique quiest venue de parrour renter de rendre un sens à l'év~­

nement (l'événement télévisé certe fois), Chantage paOl­que autour des conséquences possibles de cette émissiondans l'imagination des enfants et des autres, Tous lespédagos et travailleurs sociaux mobilisés pour ~ltrer lachose comme s'il y avair quelque danger de Virulencedans ~ette résurrection artificielle! Le danger était bienplutôt inverse: du froid au froid, l'i~err~e sociale d~s

systèmes froids, de la TV en particulier. Il ,fallaitdonc que tout le monde se mobi1is~ pour refaite dusocial, du social chaud, de la diSCUSSIOn chaude, doncde la communication, à partir du monstre froid del'extermination, On manque d'enjeux, d'investissement,d'histoire, de parole. C'est ça le problème fondamental.L'objectif est donc d'en produire à tout prix, et cett.eémission était bonne pour ça : caprer la chaleur arti­ficielle d'un événement mort pour réchauffer le corpsmort du social. D'où l'addition encore de medium sup­plémentaire pour renchérir sur l'effet par, fced-~ac~ :sondages immédiats sancrionnant l'effet masSif de 1ernls-

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sion, l'impact collectif du message - alors que ces son­dages ne vérifient bien entendu que le succès télévisueldu medium lui-même, Mais cette confusion ne doitjamais être levée.

De là, il faudrait parler de la lumière froide deI~ tél.évision, pourquoi elle est inoffensive pour l'ima­gmatlon (y compris celle des enfants) pour la raisonqu'~lle ne véhicule plus aucun imaginaire et ceci pourI~ s~mple rai~on que ce n'es,t pills une image. L'opposer aucmema doue encore (mals de moins en moins parce~ue ~e ~Ius en plus Contaminé par la télé) d'un intensel1~agl~al~e - parce que le cinéma est une image.C. est-a-dlre pas seulement un écran et une formevisuelle, mais un mythe, une chose qui tient encored~ double, du phantasme, du miroir, du rêve, etc,~Ien de.tout ce}a. dans l,'i~age « télé", qui ne suggèreflen, qUl magnetlse, qUl n est, elle, qu'un écran, même~as: ,U? terminal miniaturisé qui, en fait, sc trouvelm~e?latement dans votte tête - c'est vous l'écran, etla tele vous regarde - en transistorise tous les neu­rones et passe comme une bande magnétique _ unebande, pas une image,

China Syndrom

L'enjeu fondamental est au niveau de la télévi­sion er de l'information. Tout comme l'exterminationdes Juifs disparaissait derrière l'événement téléviséd'Holocauste - le medium froid de la télé s'étant sim­plement substitué au système froid de l'exterminationqu'on croyait exorciser à travers elle - ainsi le Syn­drome chinois est un bel exemple de la suprématie del'événement télévisé, sur l'événement nucléaite qui,lui, reste improbable et en quelque sorte imaginaire.

Le film le montre d'ailleurs (sans le vouloir):ce n'est pas une coïncidence qui fait que la télé estjusrement là où ça se passe, c'est l'intrusion de la TVdans la centrale qui fait comme surgir l'incidentnucléaire - parce qu'elle en est comme l'anticipationct le modèle dans l'univers quotidien: téléfission duréel et du monde réel - parce que la TV et l'informa­tion en général SOnt une forme de catastrophe au sensformel et topologique de René Thom: changementqualitatif radical d'un système tout entier, Ou plutôt

Sl

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TV et nucléaire som de même nature: derrière lesc~.ncepts (~cha~ds» et néguentropiques d'énergie etd JOformatlon, Ils om la même force de dissuasion dessystè:n.es froids. ~ TV eUe aussi est un processusnuclealte de réactlOn en chaîne, mais implosive: ellerefroidit et neutralise le sens et l'énetgie des événe­ments. Ainsi le nucléaire, derriète son risque présuméd'explosion, c'est-à-dire de catastrophe chaude, cacheune longue catastrophe froide, l'universalisation d'unsystème de dissuasion.

Sur la fin du film encore, c'est la deuxième intru­sion massive de la presse et de la TV qui provoque ledrame, le meurtre du direcreur technique pat les Bri­gades spéciales, drame substitutif à la catastrophenucléaire qui n'aura pas lieu.

L'homologie du nucléaire et de la télévision selit directement sur les images: rien ne ressemble plusau cœur de comrôle et de télécommande de la cemraleque les studios de la TV, et les consoles nucléaires semêlem dans le même imaginaire à celles des studiosd'enregistrement et de diffusion. Or tOut se passe entrece~ deux pôles: l'autre « cœur ", celui du réacteur, enprincipe le véritable cœur de l'affaire, nous n'en sauronsrien, celui-là est comme le réel, enfoui et illisible, et aufond sans importance dans le film (quand on essaie denous le suggérer, dans sa catastrophe imminente, ça nemarche pas sur le plan imaginaire: le drame se joue surles écrans, et nulle part ailleurs).

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Harrisburg 1, Watergate et Network telle estla trilogie du Syndrome chinois - trilogie inextricableoù on ne sait plus lequel est l'effet ou le symptôme del'autre: l'argument idéologique (effet Watergate) n'est-ilque le symptôme du nucléaire (effet Harrisburg) oudu modèle informatique (effet Network) - le réel(Harrisburg) n'est-il que le symptôme de l'imaginaire(Network et China Syndrom) ou l'inverse? Merveil­leuse indistinction, constellation idéale de la simulation.Merveilleux titre donc que ce China Syndrom, puisqueta réversibilité des symptômes et leur convergence dansun même processus constiruent très exactement ce quenous appelons un syndrome - qu'il soit chinois luiajoute encore un parfum poétique et mental de casse~

tête ou de supplice.Obsédante conjonction de China Syndrom et de

Harrisburg. Mais tOut cela est-il si involontaire? Sanssupputer entre le simulacre et le réel des liens magiques,il est clair que le Syndrome n'est pas étranger à l'acci­dent « réel» d'Harrisburg, non selon une logique cau­sale, mais de par les rappotts de contagion et d'analogiesilencieuse qui lient le réel aux modèles et aux simu­lacres: à l'induction du nucléaire par la TV dans lefilm répond, avec une évidence troublante, l'inductionpar le film de l'incident nucléaire d'Harrisburg. Etrangeprécession d'un film sur le réel, la plus étonnante àlaquelle il nous ait été donné d'assister: le réel arépondu point par point au simulacre, y compris dansle caractère suspensif, inachevé, de la catastrophe, cequi est essentiel du point de vue de la dissuasion: le

1. L'incident à la centrale nucléaire de Three Milt'sIsland, qui succéda de peu à la sorcie du film.

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réel s'es.t arrangé, à l'image du film, pour produire uoesimulatIon de catastrophe.

De là à renverser notre logique et à voir dansChina Syndrom le véritable événemem et dans Harris­burg son simulacre, il n'y a qu'un pas qu'il faut allègre­mem franchir. Car c'est par ta même logique que laréalité nucléaire procède dans le film de l'effet télévi­sion, et que Harrisburg procède dans la « réalité» del'effet de cinéma China Syndrom... Mais celui-ci n'est pas non plus le prorotype

ongmel de Harrisburg, l'un n'est pas le simulacre dontl'aurre serait le réel: il n'y a que des simulacres, etHarrisburg est une sorte de simulation au deuxièmedegré. rI y a bien une réaction en chaîne quelque part,et nous en crèverons peut-être, mais cette réaction enchaîne n'est jamais celle du nucléaire, elle est celle dessimulacres et de la simulation où s'engouffre effective­ment route l'énergie du réel, non plus dans une explo­sion nucléaire spectaculaire, mais dans une implosionsecrète et continue, et qui prend. aujourd'hui peur-êtreun rour plus mortel que toutes les explosions dom onnous berce.

Car l'explosion est toujours une promesse, elleest notre espoir: voyez combien, dans le film commeà Harrisburg, tout le monde attend que ça saute, que~a destruction dise son nom et nous ôte à cette paniquemnommable, à cette panique de dissuasion qu'elleexerce sous la forme invisible du nucléaire. Que ie« cœur» du téac.teur révèle enfin sa chaleureuse puis­s~nce de desrrucflo.n, qu'il nous rassure sur la présence,fut-elle catastrophique, de l'énergie, et nous grarifiede son spectacle. Car le malheur, c'est qu'il n'y a pasde spectacle du nucléaire, de l'énergie nucléai te en

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Ile-même (Hiroshima, c'est fini), et c'est pour cela~u'eHe est tefusée - elle serait parfaitement a:=cept~esi elle se prêtait au spectacle comme les fo.rmes d énergieantérieures. Parousie de la catastrophe: ail ment substan­tiel de notre libido messianique. . .

Mais justement ça n'arrivera plus. Ce qUl arrt­vera, ce ne sera jamais plus l'explosion, mais l'imp~o­sion. Plus jamais l'énergie sous sa. forme sp~ctacul~lreet pathétique - tout le romantIsme" de l exploslOn~qui avait tant de charme, étant en m~me te~PS celUIde la révolution - mais l'énergie frOIde du Simulacreet sa distillation à doses homéopathiques dans les sys·tèmes froids de l'informarion.

De quoi rêvent d'autre les media que de suscirerl'événement pat leur seule présence? Tout le mondele déplore, mais tout le monde es.t fasciné .en secretpar cette éventualité. T~He ~St la.l~glqu: des slm~lac~es,ce n'est plus la prédestlOatIOn dlvlOe, c est la precessIondes modèles, mais elle est tout aussi inexorable. Etc'est pour cela que les événements n'ont plus de ~ens :ce n'est pas qu'ils soient insignifiants en eux-memes,c'est qu'ils ont été précédés pat le modèle, avec lequelleur processus ne fait que coïncid~t. Ainsi, il aurai: ~témerveilleux que le scénario de Chma Syndrom se repeteà Fessenheim, lotS de la visite offerte par EDF auxjournalistes, que se reproduise à cette occasion J'accide~tlié à l'œil magique, à la présence provocatrice des medIa.Hélas! tien ne s'est produit. Et pourtant si ! tellementpuissante est la logique des simulacres: une semaineaprès, les syndicats découvraient des fissures dans les

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centra~es. Miracle des contagions, miracle des réactionsen chame analogiques!

L'essentiel du film n'est donc pas du tout l'effetWatergate en la personne de Jane Fonda, pas du toula TV. révélatrice des vices du nucléaire, mais a~con:ral~e la TV comme orbite jumelle et réaction enchame Jumelle de celle du nucléaire. D'ailleurs toUt'la fin - et là le film est impitoyable pour so; propr:argu~ent - quand Jane Fonda fait éclater la véritéen dIrect, (effet Watergate maxima!), son image seretrouve Juxtaposée à celle qui va lui succéder sansappel et l'effacer sur l'écran ; un flash publicitairequelconque. L'effet Nerwork l'emporre de loin sur l'effetWat~rgate et s'épanouit mystérieusement dans l'effetHamsburg, c'est-à-dire non pas dans le péril nucléairemais dans la simulation de catastrophe nucléaire. '

, O~ c'est .la simulation qui est efficace, jamais lereel. La simulation de catastrophe nucléaire est le res­SOrt stratégique de cette entreprise générique et univer­sel~e de .di~su~sion : dresser les peuples à l'idéologieet a la dlsclplme de la sécurité absolue _ les dresserà la ~étaphysique de la fission et de la fissure. Pourcela Il faut que la fissure soit une fiction. Une catastro­?h~ réelle retarderait les choses, elle constituerait unlOCI dent rétrograde, de ~ype .explosif (sans rien changerau cours des choses: HIroshima a-t-il retardé sensible­~ent, a-t-il dissuadé le processus universel de dissua­sIOn ?).

Dans le film aussi la fusion réelle serait unmauvais argument : il retomberait au niveau d'un film

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de catastrophe - faible par définition, ,Puisquerenvoyant les choses à leur événement pur. Chma Syn­dronJ, lui, trouve sa force dans le filtrage de la catastro-

he dans la distillation de la hantise nucléaire à ttaversies 'relais hertziens omniprésents de l'information. JInoUS enseigne (encore une fois sans le vouloir) que lacatastrophe nucléaire n'a pas lieu, n'est pas faite pouravoir lieu, dans le réel non plus, pas plus que le clashatomique à l'orée de la guerre froide. L'équilibre ~e larerreur repose sur l'éternel suspens du clash atomIque.Atome et nucléaire sont faits pour êtte disséminés àdes fins dissuasives, il faut que la puissance de lacatastrophe, au lieu d'exploser bêtement, soit disséminéeà doses homéopathiques, moléculaires, dans les réseauxcontinus de l'information. Là est la véritable contami­nation jamais biologique et radioac~ive, mais unedestructuration mentale par une stratégie mentale de la

catasttophe. . .Si on y regarde bien, le film nous y IntrodUit, et

en allant plus loin, il nous livre même un enseignementdiamétralement inverse de celui de Watergate: si routela stratégie aujourd'hui est de terreur m~ntale et dedissuasion liée au suspens er à l'éternelle Simulation decatastrophe, alors la seule façon de pallier à ce scénarioserait de faire arriver la catastrophe, de produire ou dereproduire de la catastrophe réelle. Ce à quoi s'e~ploi.ela Nature de temps en temps: dans ses moments inSpI­rés, c'est Dieu qui par ses cataclysmes dénoue l'équilibrede la terreur où les humains se sont enfermés. Plusprès de nous, c'est ce à quoi s'emploie aussi le terro­risme: à faire surgir une violence téelle, palpable, contrela violence invisible de la sécurité. C'est d'ailleurs là

son ambiguïté.

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Apocalypse Now

Coppola fait son film comme les Américains omfaît la guerre - dans ce sens, c'est le meilleur témoi­gnage possible - avec la même démesure, le mêmeexcès de moyens, la même candeur monstrueuse ... etle même succès. La guerre comme défonce, commefantaisie technologique et psychédélique, la guerrecomme succession d'effets spéciaux, la guerre devenuefilm bien avant d'être tournée. La guerre s'abolit dansle test technologique, et pour les Américains elle futd'abord cela: un banc d'essai, un gigantesque terrainoù tester leurs armes, leurs méthodes, leur puissance.

Coppola ne fait rien d'autre: tester la puiJsanceJ'intervention du cinéma, tester l'impact d'un cinémadevenu machinerie démesurée d'effets spéciaux. Dans cesens, son film est bien quand même la prolongation dela guerre par d'autres moyens, l'achèvement de cetteguerre inachevée, et son apothéose. La guerre s'esr faitefilm, le film se fait guerre, les deux se rejoignent parleur effusion commune dans la technique.

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La vraie guerre, elle esr faire par Coppola commepar Westmoreland: sans compter l'ironie géniale desforêts et des villages philippins napalmisés pour retracerl'enfer du Sud-Vîêt-nam ; on reprend tout par le cinémacr on recommence: la joie molochienne du tournage,la joie sacrificielle de tant de milliards dépensés, d'untel holocauste de moyens, de rant de péripéties, et laparanoïa éclatante qui dès le début a conçu ce filmcomme un événement mondial, historique, dans lequel,dans l'esprit du créateur, la guerre du Viêt-nam n'auraitété que ce qu'elle est, n'aurait pas existé au fond _ etil nous faut bien y croire: la guerre du Viêt-nam « eneUe-même » n'a peut-être en effet jamais eu lieu, c'estun rêve, un rêve baroque de napalm et de tropique,un rêve psychotropique qui n'avait pas pour fin l'enjeud'une victoire ou d'une politique, mais le déploiementsacrificiel, démesuré, d'une puissance se filmant déjàelle-même dans son déroulement, n'attendant peut-êtrerien d'autte que la consécration d'un superfilm, quiparachève l'effet de spectacle de masse de cette guerre.Aucune distance réelle, aucun sens critique, aucunevolonté de «prise de conscience» par rapport à laguerre; et d'une cerraine façon c'esr la qualité bruralede ce film, de n'être pas pourri par la psychologiemorale de la guerre. Coppola peut bien affubler soncapitaine d'hélicoptère d'un chapeau de la Cavalerielégère, et lui faire écraser le village vietnamien au sonde la musique de Wagner - ce ne SOnt pas là dessignes critiques, distants, c'est immergé dans la machi­nerie, ça fair parrie de l'effet spécial, et lui-même faitdu cinéma de la même façon, avec la même mégalo­manie rétro, avec la même fureur insignifiante, avec lemême effet surmultiplié de guignol. Mais voilà, il nous

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, t là c'est effarant, et on peut se dite:assène ça, c es ll~ horreur est-elle possible (pas celle d,ecomment une te d fil à proprement parier)? MaiSla guerre, celle, ~se ~n'y a pas de jugement possible,il n'y a pas de...re~ bàer de ce ttuC monstrueux (exaet~­et on peut memeuJru Wa ner) _ mais on peut t?utefolsme~t comme po tit~ idée, qui n'est pas mec,hante,repeter une route ~ d valeur, mais qU.l vousqui n'est pas un Jug~~;~:ameet ce film-là sont taillésdit que la guerre d~ , ue rien ne les sépare, que cedans le même ~atertau, q _ si les Américains ontfilm-là fait partie de la guer)re ï ont à coup sûr gagnéperdu ,l'autre (~n ;:p;:;:cee~tl ~ne victoire mondiale.celle-cl. A~oc~ YP a hi ue égale et supérieure à cetlepuissance,clOe~~tog:i~le; et militaires, égale ou supé-des machlOes ln ust d s ouvernements,rieure à celle du Pent~g~~:e:'e:t ~as sans intérêt: il

, ' E,t du cO~:~ment (ce n'est même pas rétrospec­eclalre retrospeCtl h de cette guerre sanstif, puisque le film est une ~e~: avait déjà de flippé,dénouement) ce que cette l'es ' les Américains etd'irra~sonné .en ter:e~l: ~:~~~ci1i'és, aussitôt ~près lales Vietnamiens so ~.. offraient leur aide éco~fin d~s hostilités les tA;~::I~: ont anéanti la jung,le et

noml,que, eX::::::~t comme ils font leur film a~Jour­les v~lIes, e~, ris ni à la guerre ni au ~lOé:nad'hUi, On n a r~en c~mp " as saisi cette indistmctlon(celui-là au molOs) SI °i~;:l: Pique ou morale, du bienqui n'est plu~ celle, de la ré~etsibilité de la destructionet du mal, mais ,celle l'immanence d'une chose dans saet de la, prod~ctlon, :emétabOlisme organique de toutesrévolution me:ne, d 'de bombes à la pelliculeles technologles, du tapisfilmique ...

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L'effet Beaubourg

Implosion et dissuasion

L'effet Beaubourg, la machine Beaubourg, lachose Beaubourg - comment lui donner un nom?Enigme de cette carcasse de flux et de signes, deréseaux et de circuits - ultime velléité de traduireune structure qui n'a plus de nom, celle des rapportssociaux livrés à la ventilation superficielle (animation,autogestion, information, media), et à une implosionirréversible en profondeur. Monument aux jeux desimulation de masse, le Centre fonctionne comme unincinérateur absorbant toute énergie culturelle et ladévorant _ un peu comme le monolithe noir de 2001 :convection insensée de [Ous les contenus venus s'ymatérialiser, s'y absorber et s'y anéantir.

Tout autour le quartier n'est plus qu'un glacis_ ravalement, désinfection, design snob et hygié­nique _ mais surtout mentalement: c'est une machineà faite le vide. Un peu comme les centrales nucléaires:le vtai danger qu'elles constituent n'est pas l'insécurité,la pollution, l'explosion, mais le système de sécurité

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maxima.l qui rayonne autour d'elles, le glacis de contrôleet de dlssu~si~n qui s'étend, de proche en proche, surto~t le teffltOlre, glacis technique, écologique, écono_mique, géopolitique. Qu'imporre le nucléaire: la cen­t~ale est une matrice où s'élabore un modèle de sécu­nt~ abJolue,. qui va se généraliser à tout le champSOCIal, et qUi est profondément un modèle de dissuasion(~'est le même qui nous régit mondialement sous lesl~~e de l~ coexistence pacifique et de la simulation depenl atomique).

" le même modèle, toutes proportions gatdées,s clabore au Centre; fission culrurelle, dissuasion poli­tique.

. ~eci dit, la circulation des fluides est inégale.Ve~tllat1on, tefroidissement, réseaux électtiques _ lesfl.U1des ." traditionnels» y circulent très bien. Déjà lac.lrculatlon du flux humain est moins bien assurée (solu­tion arc~aïque des escaliers roulants dans les manchonsd~ p.last1q~e, on devrait être aspirés, propulsés, quesal::,e, ~als une mobilité qui soit à l'image de cettetheatrallté batoque des flujdes qui fait l'originalité deI~ carcass,e). Quant .au matériel d'œuvres, d'objets, delivres et.a l'espace intérieur soi-disant «polyvalent»,ç.~ ~e. Circule plus du tout. Plus on s'enfonce vers1~nte~leur, moins ça circule. C'esr l'inverse de Roissy,ou d un centre futuriste design «spatial" irtadiant~ers des «.sarellites ", etc., on aboutit tOUt platementa des ... aVIOns traditionnels. Mais l'incohérence est lamê~e. (Qu'en est-il de l'argent, cet autre fluide, qu'enest-il de son mode de circulation, d'émulsion de retom-bée à Beaubourg ?) ,

Même contradiction jusque dans les comporte­ments du personnel, assigné à l'espace "polyvalent"

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et sans espace privé de travail. Debouts et mobiles,les gens affectent un comportement cool, plus souple,très design, adapté à la "structure» d'un espace"moderne ". Assis dans leur coin, qui n'en est juste­ment pas un, ils s'épuisent à sécréter une solitude artifi­cielle, à refaire leur « bulle ». Belle tactique de dissua­sion là aussi: on les condamne à user route leur énergiedans cette défensive individueHe. Curieusement, onretrouve ainsi la même contradiction qui est celle de lachose Beaubourg : un extérieur mobile, commutant,cool et moderne - un intérieur crispé sur les vieillesvaleurs.

Cet espace de dissuasion, articulé sur l'idéologiede visibilité, de transparence, de polyvalence, de consen­sus cr de comact, et sanctionné par le chamage à lasécurité, est aujourd'hui, virtuellement, celui de tousles rapports sociaux. Tout le discours social est là etsur ce plan comme sur celui du traitement de la culture,Beaubourg est, en pleine contradiction avec ses objec­tifs explicites, un monument génial de notre moder­nité. Il est doux de penser que l'idée n'en est pas venueà quelque esprit révolutionnaire, mais aux logiciens del'ordre établi, dépourvus de tout esprit critique, ctdonc plus proches de la vérité, capables, dans leurobstination, de mettre en place une machine au fondincontrôlable, qui leur échappe dans son succès même,et qui est le reflet le plus exact, jusqu'en ses contradic­tions, de l'érat de choses actuel.

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Bien sûr, tou~ les contenus culturels de Beau_bour.g SOnt anachronIques, parce qu'à cette enveloppea~.chlteet~rale s:ul eût pu correspondre le vide intérieurL~mpr:sslOn genérale étant que toUt ici est en com~de~sse, que tout se veut animation ct n'est que réani_matlon, et que c'est bien ainsi parce que la culture estmorœ, ce que Beaubourg retrace admirablement, maisde façon honteuse, alors qu'il eût fallu accepter triom­ph~lement cette mort et dresser un monument ou unantl-m?nUment équivalent de l'inaniré phallique de latour El~fel, en son temps. Monument à la déconnexiontorale: a 1hyperr~ali.té et à l'implosion de la culrure- ~alte. a~Jourd hUI pour nous en effer de circuits~::~~;~otlses toujours guettés par un court-circuit gigan-

Beaubourg, c'est déjà bien une compression àla César - fig~re d'une culture telle qu'écrasée déjà parson p.ropre pOIds - comme les mobiles automobilessoudam gelés dans un solide géométrique. Telles lesbagnoles" ~e César. re.scapées d'un accident idéal, nonplus exte~leur, mais. Interne à la structure métalliqueet ~écanlque, et qUI en aurait fait des tas de ferraillecublq~es où le cha~s de tu~es, de leviers, de carrosserie,de metal et de c~alr humame à l'intérieur est taillé à lames~te . géométrlque du plus petit espace possible~ alOs~ la cuhuc: de Beaubourg est concassée, tordue,deco~pee et pressee e.n ~es plus petits éléments simples- faIsceau de, transmiSSIOns .et métabolisme défunt, gelécomme un mecanoïde de sCIence-fiction.

Mais au lieu de casser et de compresser ici toureI~ .cult,ure dans cette carcasse. qui a de toure façon1air d une compression, au lIeu de ça on y expoJeCésar. On y expose Dubuffet et la contre-culture, dont la

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simularion inverse sert de référentiel à la culturedéfunte. Dans cette carcasse qui aurait pu servir demausolée à l'opérarioonaliré inutile des signes, onréexpose les machines éphémères er aurodesrrucrriccs deTinguely sous le signe de l'érerniré de la culrute. 00neuttalise ainsi tout ensemble: Tinguely esr embaumédans l'institution muséale, Beaubourg est rabattu surses prérendus contenus artistiques.

Heureusement, tout ce simulacre de valeursculrureUes est anéanti d'avance par l'architectute exré­rieure 1. Car celle-ci, avec ses réseaux de tuyaux etson air de bâtiment d'expo ou de foire universelle,avec sa fragilité (calculée ?) dissuasive de toute men­talité ou monumentalité tradidonnelle, proclame ouver­rement que notre temps ne sera plus jamais celuide la durée, que norre seule temporalité esr celle ducycle accéléré et du recyclage, celle du circuit et dutransit des fluides. Notre seule culture au fond estcelle des hydrocarbures, celle du raffinage, du cracking,du cassage de molécules culturelles et de leur recom­binaison en prodUits de synthèse. Ceci, Beaubourg­Musée veut le cacher, mais Beaubourg-carcasse le pro­clame. Er c'est ce qui fair profondément la beauté de lacarcasse et l'échec des espaces intérieurs. De toutefaçon, l'idéologie même de « producrion culturelle»est anrithétique de toute culture, tout comme celle devisibilité et d'espace polyvalent: la culture esr un lieudu secret, de la séduction, de l'iniriatlon, d'un échangesymbolique restreint et hautement ritualisé. Nul n'y

1. Autre chose encore anéamit le projet culturel deBeaubourg: la masse même qui déferle pour en jouir (nousy revenons plus loin)

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peut tien. Tant pis pour les masses, tant pis pourBeaubourg.

Que fallait-il donc mettre dans Beaubourg?Rien. Le vide qui eût signifié la disparition de

toute culture du sens et du sentiment esthétique. Maisceci est encore trop romantique et déchirant, ce videeût valu encore pour un chef-d'œuvre d'anriculture.

Peut-être un toLltnoiement de lumières stfobo­et gyroscopiques, striant l'espace, dont la foule eûtfourni l'élément mouvant de base?

En fait, Beaubourg illustre bien le fait qu'unordre de simulacres ne se soutient que de l'alibi del'ordre antérieur. Ici, une carcasse tout en Aux et con­nexions de surface se donne comme contenu une culturetraditionnelle de la profondeur. Un ordre de simulacresantérieurs (celui du sens) fournit la substance vide d'unordre ultérieur qui,lui, ne connaît même plus la distinc­tion du signifiant et du signifié, ni du COntenant et ducontenu.

La question «Que fallait-il mettre à Beau-bourg?» est donc absurde. Il ne peut pas y êtrerépondu parce que la distinction topique de l'intérieuret de l'extérieur ne devrait plus être posée. C'est lànotre vérité, vérité de Mœbius - utopie irréalisablesans doute mais à laquelle Beaubourg donne quandmême raison, dans la mesure où n'importe lequel de sescontenus est un contresens, et anéanti d'avance pat lecontenant.

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Pourtant - pourtant ... s'il devait y avoir quel-ue chose dans Beaubourg - ce devrait être du laby­

~inthe, une bibliothèque combinatoire infinie, 'uneredistributÎon aléatoire des destins par le jeu ou les lote­ries - bref l'univers de Borges - ou encore les Ruinescirculaires: enchaînement démultiplié d'individus rêvésles uns par les autres (pas un Disneyland du rêve, unlaboratoire de fiction pratique). Une expérimentation detoUS les processus différents de la représentation: dif­fraction, implosion, démultiplication, enchaînements Ctdéchaînements aléatoires - un peu comme à l'Explora­torium de San Francisco ou dans les romans de PhilipDick -, bref une culture de la simulation et de lafascination, et non toujours celle de la production et dusens: voilà èe qui pourrair être proposé qui ne soit pasune misérable amiculture. Est-ce possible? Pas ici évi­demment. Mais cette cul[ure~là se faît ailleurs, partout,nulle part. Dès aujourd'hui, la seule vraie pratique cul­rurelle, celle des masses, la nôtre (plus de différence), estune pratique manipulatoire, aléatoire, labyrinthique designes, et qui n'a plus de sens.

D'une autre façon pourtant, il n'est pas vraiqu'il y ait dans Beaubourg incohérence entre le conte­nant er le contenu. C'est vrai si on accorde quelquecrédit au projet culturel officiel. MaÎs c'est exactementl'inverse qui s'y fait. Beaubourg n'est qu'un immensetravail de rransmutation de cette fameuse culture tradi­tionnelle du sens dans l'ordre aléatoire des signes, dans

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un ordre de ,simulacres (le rroisième) tout à fait homo_gène à celuI des flux et des tuyaux de la façade. Etc'est pour dresser les masses à ce nouvel ordre sémiur_gique qu'on les convie ici - sous le prétexte inversede les acculturer au sens et à la profondeur.

Il faut donc partir de cer axiome: Beaubourgest un monuwent de disJUasion culturelle. Sous unscénario muséal qui ne sert qu'à sauver la ficrion huma­niste de la culture, c'est un véritable travail de mort dela culture qui s'y fair, et c'est à un véritable travail dtdeuil culturel que les masses sonr joyeusement conviées.

Et elles s'y ruent. C'est là l'ironie suprême deBeaubourg: les masses s'y ruent non parce qu'elles sali~

vent vers cette culture dont elles seraient frustréesde.~uis d~s s,iècles, mais parce. qu'elles Ont pour la pre~mlCre fOlS 1occasion de participer massivement à cetimmense rravail de deuil d'une culture qu'elles Ont aufond toujours détestée.

Le malentendu est donc total lorsqu'on dénonceBeaubourg comme une mystification culturelle demasse. Les masses, elles, s'y précipitent pour jouir decette ~ise à mort, de ce dépeçage, de cette prostitutiono~ératlonnelle. d'une culture enfin véritablement liqui­dee, y compns toute contre-culture qui n'en est quel'apothéose. Les masses foncent vers Beaubourg commeelles foncent vers les lieux de catastrophe, avec lemême élan irrésisrible. Mieux: elles sont la catastrophede .Bea~bourg. Leur nombre, leur piétinement, leurfascinatIOn, leur prurit de tout voir et de tout manipu­ler, est un comportement objectivement mortel etcatastrophique pour toute l'entreprise. Non seulemenrleur poids met en danger l'édifice, mais leut adhésionleur curiosité, anéantit les contenus mêmes de cett~

lOO

culture d'animation. Ce rush n'a plus aucune .co~mune

mesure avec ce qui se proposait. comme objectif cu!­turel, c'en est la négation radiCale, dans. so~ excesct son succès même. C'est donc la masse qUI fait officed'agent catastrophique dans cette structure de catas­trophe, c'est la masse elle-même qui met fin à la ClIlture

de masse.Circulant dans l'espace de la transparence, elle

est cettes convertie en flux, mais en même temps, parson opacité et son inertie, elle me.t fin à cet espace« polyvalem ». On la convie à pa.rtlci~r, à simuler, .àjouer avec des modèles - eHe fait mieux: elle pa~tI­cipe et manipule si bien qu'elle efface tout le sens qu onveut donner à t'opération et qu'elle met en dangermême l'infrastructure de l'édifice. Ainsi toujours uneespèce de patodie, d'hypersimulation en réponse .à lasimularion culturelle, transforme les masses, qUI nedevaiem être que le cheptel de la culture, en effecteurde mise à mort de cette culture, dom Beaubourg n'était

que l'incarnation homeuse. .'Il faut applaudir à ce succès de la dissuasIOn cul­

turelle. Tous les anti-artistes, gauchistes et contemp­reurs de culture n'am jamais de loin approché l'efficacitédissuasive de ce monumental trou noir qu'est Beaubourg.C'ese une opération véritablement révolutionnaire, jus­tement parce qu'elle est involontaire, insensée et incon­trôlée, alors que toute opération censée de mett~e fin àla culture ne fait, comme on sait, que la ressuSCIter.

lOl

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A vrai dire, le seul contenu de Beaubourg esrla masse elle-même, que l'édifice traite comme un con~

vertisscur, comme une chambte noire, ou, en termesd'input-output, exactement comme une raffinerie traiteun produit pétrolier ou un flux de marière brute,

Jamais il n'a été aussi clair que le contenu _ icila culture, ailleurs l'information ou la marchandise _n'est que le support fantôme de l'opération du mediumlui-même, dont la fonction est toujours d'induire dela masse, de produire un flux humain et mental homo~gène, Immense mouvement de va-et-vient semblableà celui des commuters de banlieue, absorbés et rejetésà heures fixes par leur lieu de travail. Et c'est biend:~n travail ~u'il ~'~git ici - travail de test, de sondage,d mterroganon dltlgée: les gens viennent sélectionnerici des objets~réponses à toutes les questions qu'ils peu­vent se poser, ou plutôt ilJ viennent eux-mêmes enrépon~e à la que.scion fonctionnelle et dirigée queconstltuent les objets, Plus que d'une chaîne de travailil s'agit donc d'une discipline programmatique dont lescontraintes se SOnt effacées derrière un glacis de tolé­rance. Bien au-delà des institutions traditionnelles ducapital, l'hypermarché, ou Beaubourg « hypermarché dela culture ", est déjà le modèle de toute forme futurede socialisation contrôlée: retotalisation en un espace­temps homogène de toutes les fonctions dispersées ducorps et de la vie sociale (travail, loisirs, media, culture),retranscription de tous les flux contradictoires en termesde circuits intégrés. Espace~temps de toure une simu­lation opérationnelle de la vie sociale.

Pour cela, il faut que la masse des consomma~

reUfS soit équivalente ou homologue de la masse desproduits. C'est la confrontation et la fusion de ces

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deux masses qui s'opèrent dans l'hypermarché ,co~meà Beaubourg, et qui en font quelque chose de ~res dIffé­rent des Heux traditionnels de la cul.rure (musees monu-

ents, galeries, bibliothèques, maIsons de la culture,:c.). Ici s'élabore la maJJe critique au-delà de laquellela marchandise devient hypetmarchandise, et la culturehypercul rure - c'est-à~dire ~on p~u~ liée à. d:s échangesdistincts ou à des besoms determlOes, maIs a une sarred'univers signalétique total, ou de citcuit intégré qu'uneimpulsion parcourt de part en part, transit incessan~ dechoix, de lectures, de références, de marques, de deco­dage. Ici les objets culturels, comme ailleurs les obj~tsde consommation, n'ont d'autre fin que de vous malO­tenir en état de masse intégrée, de flux transistorisé, demolécule aimantée. C'est cela qu'on vient apprendredans un hypermarché: l'hyperréalité de la marchan­dise - c'esr cela qu'on vient apprendre à Beaubourg:l'hyperréalité de la culture,

Déjà commence avec le musée traditionnel cettedécoupe, ce regroupement, cette inrer.f~rence de t~ut~sles cultures, cette esthétisation incond\tlonneHe qUI faitl'hyperréalité de la culture, ~ais le musée,est ,encore unemémoire, Jamais comme iCI la culture n aval.t ~rdu. samémoire au profit du srockage et de la redlstrlburlOnfonctionnelle. Et ceci traduit un fait plus général: c'estque partout dans le monde « civilisé» la constr~ction

de stocks d'objets a entraîné le processus complemen­taire des stocks d'hommes, la queue, l'attente, l'embou­teillage la concentration, Je camp. C'est ça la « produc­tion d~ masse », non pas au sens d'une productionmassive ou à l'usage des masses, mais la production deta maJJe, la masse comme produit final de toute socia­lité, et mettant fin du coup à la socialité, car cette

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ma~se dom on veut nous faire croire .social, est au contraire le lieu de l" 1 ~u e~le est leLa masse est la sphère de 1 lmp OSlOll il social.imploser tout 1 . 1 P ~s en, plu! dense où Vient

. e SOCla, et J y dévorer dacwus de snllu!ation ininterrompu, ns un pro-

De la ce miroir concave' 'la masse à J'intérieur l . c est en voyantfluer. Méthode t . que es mass:s seront tentées d'af­cl 1 yplque de marketmg : toute l'idéal .

e a transparence prend ici son sens. Ou encore' :,BICen metta~t en scène un modèle réduit idéal ' . c :srune gravitation accélérée un . .gu on esperetique de culture comme u~e a e lagg~utl.natlon automa~des masses. Même processusg~ ~~era~lOn auto~~tiqueréaction en chaîne _: peratlon nuc1ealre deblanche. > ou operauon spéculaire de magie

Beaubourg est .. 1l'échelle de la culture ceam~l p~~r a première fois à

cl: la marchandise: f'o~~:~;ur :~r~u~a~chéà l'é~helledemonstration de n" aIre par/att, taculture, la foule, l'air ~:::rt~ ~uoi (la marcha.ndise, laaccélérée. pnme) par ia propre ctrmlatÎon

Mais si les stocks d' b' ~des hommes, la violence la~e~:~s entratnent le stock~geentraîne l~ violence inverse des h:%e~~ stock d'objets

. N Importe quel stock est violent e .vlOlence spécifique dan ,. ' t Il Y a une~es aussi, pat le fait q~'~l~~:r~~s~uelle .masse d'hom­a sa gravitation, à sa densificati~n - vldolence propreautour e son propre

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foyer d'inertie. La masse est foyet d'inertie et par làfoyer d'une viole~ce tout à fait neuve, inexplicable et

différente de la VIOlence explosive.Masse critique, masse implosive, Au-delà de

30 000, elle risque de faire «plier" la structure deBeaubourg. Que la masse aimantée par la structuredevienne une variable destructrice de la structure elle­même _ ceci, si les concepreurs l'ont voulu (maiscomment l'espérer ?), s'ils ont ainsi programmé lachance de mettre fin d'un seul coup à l'architecture età la culture _ alors Beaubourg constitue l'objet le plusaudacieux et le happening le plus réussi du siècle.

Faites plier Beaubourg.' Nouveau mot d'ordrerévolutionnaire. Inutile de j'incendier, inutile de lecontester. Allez-y! C'est la meilleure façon de ledétruire. Le succès de Beaubourg n'esr plus un mysrère ;les gens Y vont pour ça, ils se ruent sur cet édifice,dont ta fragilité respire déjà la catastrophe, dans le seul

but de le faire plier.Certes ils obéissent à l'impératif de dissuasion:

on leur donne un objet à consommet, une culture àdévorer, un édifice à manipuler. Mais en même tempsils visent expressément, et sans le savoir, cet anéantisse­ment, La ruée esr le seul acte que la masse puisse pro­duire en tant que teHe - masse projecrile qui défie l'édi­fice de la culture de masse, qui riposte par son poids,c'esr-à-dire par son aspect le plus dénué de sens, le plusstupide, le moins culturel, au défi de culruralité qui luiest lancé par Beaubourg. Au défi. d'acculturation massiveà une culture stérilisée, la masse répond par une irrup­tion destructrice, qui se prolonge dans une manipulationbrutale. A la dissuasion mentale la masse répond parune dissuasion physique directe. C'est son défi à elle.

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Sa ruse, qui est de répondre dans les termes mêmesoù on la sollicite, mais au-delà, de répondre à lasimulation où on l'enferme par un processus socialenthousiaste qui en dépasse les objectifs et joue Commehypersimulation destructrice 2.

Les gens Ont envie de tOUt prendre, de tOUtpiller, de tOut bouffer, de tOUt manipuler. Voir, déchif­frer, apprendre ne les affecte pas. Le seul affect massif,c'est celui de la manipulation. Les organisateurs (etles artistes et les intellectuels) SOnt effrayés par cettevelléité incontrôlable, car ils n'escomptent jamais quel'apprentissage des masses au Jpec/acfe de la culture. Ilsn'escomptent jamais cette fascination active, des­tructrice, réponse brutale et originale au don d'une cul­ture incompréhensible, attraction qui a tous les traitsd'une effraction et du viol d'un sanctuaire.

Beaubourg aurait pu ou dû disparaître le lende­main de l'inauguration, démonté et kidnappé par lafoule, dont Ç'aurait été la seule réponse possible au défiabsurde de transparence et de démocratie de la culture- cbacun emportant un boulon fétiche de cette cultureelle-même fétichisée.

Les gens viennent toucher, ils regardent commes'ils tOuchaient, leur regard n'est qu'un aspect de la

2. Par rapport à cette masse critique, et à sa radicalecompréhension de Beaubourg, combien dérisoire la manifes_ration des étudianrs de Vincennes Je soir de l'inauguration!

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. . tactile. Il s'agit bien d'un univers tac.tile,rnanlpuJat1~n ou de discours, et les gens sont dl:ec~non plu~ vls~eluéS dans un processus: ma.nipu~er/etretern~nt I,m~e~rilerlêrre ventilé, circuler/f~lre cl.rculer,rna01~ule, de l'ordre de la représentatlon,. n.1 de laqui n est plus 'fi' Quelque chose qUI tient dedisran~e'eni e~edl,:~e::~~:. panique.la paOlqU ,

Pani ue au ralenti, sans mobi!e e~.terne.. C'est laq 'un ensemble sature. L tmplOSlon.

violence interne a è brûler cout est prévu.~eau~ourg ?e P~~td~~trr~Ction n~ sont plus l'al­

L'ince~dJe., l ex.plo.SIO~, ce enee d'édifice. C'est l'implo­ternatlve Imagmalre d' ~ 1"' du monde « quater­sion qui est la, ~or~eet :o;~~~:~oire. .naire ", cYbe~netl~u la destruction violence, est ce qUI

I:a su vers;de la roducrion. A un univers derépond a un m~ . p d flux répondenc la réver-réseaux, de cornblOatOire et e

sion et l'implosio~.. . d l'Etat du pouvoir, etc.Ainsi des InstltuClons, e ,'f< de concra-

Le ~êve d~ voi~ tout ~etla ~~~Ios~.~~ r~:~~ Ce qui sedicClons n est J.u~te~e Pe lesqinStitutions implosentproduit e.n réaIJ,te, c est d~u ramifications, de feed-bac~,d'elles-mernes, a force "1 d' loppés. Le pOIJvotrde circuÎts de concro e sur ev~ ... , st son mode actuel de dlsparmon. ,tmplose, ~i~si de la ville. Incendies, guerres, ~ste, rev~-

. lité criminelle, catastrophes. " r~ure alutions, marglOa , '"11 d la négativlte Interneproblémarique de 1antivi e, e

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ou externe à la ville, a quelque chose d>archal'que parrapport à son véritable mode d'anéantissement.

Même le scénario de la ville souterraine _ ver~sion chinoise d'enterrement des structures _ est naïve.la ville ne se répète plus selon un schème de repro_duction encore dépendant du schéma général de la pro~duceion, ou selon un schème de ressemblance encoredépendant du schème de la représentation. (C'esr ainsiqu'on restaure encore après la seconde guerre mon­diale.) La ville ne ressuscite plus, même en profondeur- elle se refait à partir d'une Sorte de code génétiquequi permet de la répéter un nombre indéfini de fois àpartir de la mémoire cybernétique accumulée. Finiel'utopie même de Borges, de la carte co-extensive auterritoire et le redoublant tout entier: aujourd'hui lesimulacre ne passe plus par le double et la réduplication,mais pat la miniaturisation génétique. Fin de la repré­sentation et implosion, là aussi, de tout l'espace dansune mémoire infinitésimale, qui n'oublie rien, et quin'est celle de personne, Simulation d'Un ordre irréver­sible, immanent, de plus en plus dense, potentiellementsaturé et qui ne connaîtra plus jamais l'explosion libé­ratrice,

Nous étionJ une cuiture de la violence libératrice(la rationalité). Que ce soit celle du capital, de la libé­ration des fotces productives, de l'extension irréversibledu champ de la raison et du champ de la valeur, del'espace conquis et colonisé jusqu'à l'universel _ quece soit celle de la révolution, qui anticipe sur les formesfueures du social et d'énergie du social _ le schémaest le même: celui d'une sphète en expansion, par desphases lentes ou violentes, celui d'une énergie libérée_l'imaginaire du rayonnement.

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, l' ccompagne est celle qui accou-La violence qU~as~e . c'est celle de la productio~,

che d'u~ mond~,p~~ dialec'tique, énergétique, catharu~Cetre vlolence- a ons appris à analyser et q.uIque. C'est ce~l~, qu.e n~lus ~~ trace les chemins du SOCIalnoUS est famllJere. ce e.q d tout le champ du social.

et qui mèm~ à la sa~~;~~:éeJ eanalytique, libé~atric:, .C'est une violence '1 ce apparaît aUJourd hUI,

Une tout aur;:s :l~a~;ser, parce qu'elle échap.peque noUS ne sav?~s p 1 d l violence explosive: VIO­

aU sch,éma ~rad'~~~~seultee n:n plus de l'extension d'unlence t1J1plos~ve q a saturation et de sa rétraction, ~ommesystème, mais de s , h iques stellaires, VIOlenceil en es~ dc:

s s~;t~;::ifi~a~:n démesurée du social,. àconsécutive au, l' d'un réseau (de saVOlr,l'état d'un. système s~~~:)g~:~ncombré et d'un conrrôl.ed'informatlon, de pou . les frayages interstl­hypertrophique investissant toUS

tiels, , st inintelligible parce queCe(~e VI?

le7;:e~~~:éesur la logique des systè,mestout notte,lmagma indéchiffrable parce que IOdeter­en. expanslon~ Elle eS:elève_t_elle même plus du sc~èmemlOée, Peut-~tre ~e tes modèles aléatoites qUI ontde lïndérermlO

ation. ~~r d détermination et de cau­

pris le rela.is des mode ~s a: fondamentalement di~fé­sali té c1asSlque~ ne son as~a e de systèmes d'expanslOnrents, Ils tradUls~nt le

dP rjuctiOn et d'expanslOn toUS

définis à des systemes e Ph. me peu importe _

azimurhs - ~n éto~~:so~ee~é~iali:~n des énergies, d:i~­tou~es, les phl.losop ités et de moléculatisation d~ des::radiatIOn des lO::ens s celui d'une saturation Jusqu avont da?s. le me,m~. s~n i' des réseaux. La différence dul'interstitiel et a 110 n, u'une modulation, lamolaire au moléculaire n est q

lO9

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dernière peut-être, dans le r ' .damenral des systèmes en ex~a~~~~~s energénque fon_

. Autre chose si nous passons d'u h .nalre de libération et de dé!" . ne p ase mtllé­phase d'implosion, après unl:lsson des énergies à unemaximal (revoit les conc docte de rayonnementde Barail.le dans ce sens e:~ts e hpecte .et de dépensene~enr mépuisable, su~ leq::~; ;o~~laJre d'un rayon_Jogle somptuaire: c'est le dernier e son anrhr?po_rayonnant de notre philo h' d m.ythe expiOSl~ etd'une économie générale :c: f~~d ernl.er feu. d'.artlfice

de. sens pour nous), à une h' malS CC:I n.a plusJoclal _ réversion gigames uePd~e de reverJlon duatteint le poim de saruration

qLes un, cham.p u~e fois

:essent pas non plus d'exis~e syste~es ~te.Il~lres neenergie de rayonneme . ï ~ une fOIs dlsslpee leur

cess.us d'abord lem, pu~: 's'~~c~~~~~:enr selon .un pro­- lis se COntractent à u ,11 r b progreSSivementnem des systèmes involu~:f: ur~ la uleuse, cr devien­énergies environnantes jusq~'àq~l abs.or~ent toutes lesoù le monde au sens où' nous l'ent::~:~rs ce~ trous noirsnement et p~tenriel indéfini d'énergie, s"ab~~e rayon-

Peut-etre les grandes métro 1 .ment elles si cette hypoth' po es - certame-des foyers d'implosion da~:ec: ~~nssens - SO~t deven~eset de résorption du social lui_mê:nfoyers d a~sorpt~onco~temporain du double conce t d e d.ont 1age ~ or,lotIOn, est sans doute dé _ P e c~pJt.al et de revû-

passe. Le SOCial IOvolue lente-

llO

ment, ou bruralement, dans un champ d'inertie quienveloppe déjà le politique. (L'énergie inverse?) Ilfaut se garder de prendre l'implosion pour un processusnégatif, inerte, tégtessif, comme la langue nous l'imposeen exaltant les termes inverses d'évolution, de révolu­rion. i:implosion est un processus spécifique aux consé­quences incalculables. Mai 68 fur sans doute le premierépisode implosif, c'esr-à-dire contrairement à sa réécri­ture en termes de prosopopée révolutionnaire, unepremière réaction violente à la saturation du social, unerérraction, un défi à l'hégémonie du social, en conrra­diction d'ailleuts avec l'idéologie des participants eux­mêmes, qui pensaient aller plus loin dans le social- telest l'imaginaire qui nous domine toujours - et d'ail­leuts une bonne part des événements de 68 ont purelever encore de cette dynamique révolutionnaire ctd'une violence explosive, mais autre chose dans le mêmetemps a commencé là: l'involution violente du social,sur tel point déterminé, et l'implosion consécutive etsoudaine du pouvoir, sur un laps de temps bref, maisqui n'a jamais cessé depuis - c'est même ça qui conti­nue en profondeur, l'implosion, celle du social, celledes institutions, celle du pouvoir - et pas du coutquelque dynamique révolutionnaire introuvable. Aucontraire, la révolution elle-même, l'idée de révolutionimplose elle aussi, et cette implosion est plus lourdede conséquences que la révolution elle-même.

Certes, depuis 68, et grâce à 68, le social,comme le désert, grandit, - participation, gestion,autogestion généralisée, etc. - mais en même tempsse rapproche, en de multiples points plus nombreuxqu'en 68, de sa désaffection et de sa réversion totale,Séisme lent, intelligible à la raison historique.

Page 54: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

Hypermarché er hypermarchandise

A (fente kilomètres à la ronde, les flèches vousaiguillent vers ces grands centres de triage que sont leshypermarchés, vers cet hyperespace de la marchandiseoù s'élabore à bien des égards une sociaiité nouvelle11 faut voir comment il centralise et redistribue taureune région et une population, comment il concentreet rationalise des horaires, des parcours, des pratiques_ créant un immense mouvement de va-et-vient roUf àfait semblable à celui des commuterJ de banlieue, absor­bés et rejetés à heures fixes par leur lieu de travaiL

Profondément, c'est d'une autre sorte de travailqu'il s'agit ici, d'un travail J'acculturation, de confron­tation, d'examen, de code et de verdict social: les gensviennent trouver là et sélectionner des objets-réponsesà taures les questions qu'ils peuvent se poser; ouplutôt ils viennent eux-mêmes en réponse à la questionfonctionnelle et dirigée que constituent les objets. Lesobjets ne sont plus des marchandises; ils ne sont mêmeplus exactement des signes dont on déchiffrerait et

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dom on s'approprierait le sens et le messades testJ, ce som eux qui nous interro ge, ce SOnt~ommes sommés de leur répondre, Ct l~e~~, oe~ nousmcluse dans la question. Ainsi fonctionnent s:mb~e eStment to~s 17s messages des media; ni infor . able~communication, mais référend matl~n nIréponse circulaire, vérification du ~~e. test perpetuel,

Pas de relief, de perspective de j" .

le regard risquerait d.e se perdre, m'ais u~g~;:~ :~;:~ o~les panneaux p~~liCltaires et les produits eu _ ~ oud.ans leur exposltlon ininterrompue jou x mernesslg.nes équivalents et successifs. Il aenJe~omme d:s~~Iqllement occupés à refaire le d~ant de ~mployesl etalage en surface là où le 'lè a scène,mateurs a pu créer 'quelque t::: ~:::tt des. con~om_encore à cette absence de profondeur . u~-se~lce ajoutehomogène, sans médiation réunit 1. meme espacechoses, celui de la manipula~ion direc:: ~~mes. et l~spule l'autre? . aiS qUI maO/-

Même la répression S'intègre co .cet univers de simulation La' . ~me sIgne danssion n'~st qu'un signe de ;~l~re~~~~ l':vnei~~;sdissua­petSuaSlOn. les circuits de tél' . . . de lamêm~s partie du décor de sim:~~~~en antIvol fon.t eux­parfaIte sur tous les o' . .s. Une ~urveJ11anceContrôle plus lourd etPl

mtsex~~e~lt ,un dispositif de

lui-même Ce ne . us sap Istlque que le magasinallusion à'Ia répres:~;~ltu~as ~e.ntab.le. C'est donc unequi est mÎs là en plac~; ce« s71~e;s~fne » de c:t o~dre,avec tous les autres, et même ~v l'~rs ~eut. c?Cxlsterpar exemple celui qu'expriment ~:im:~rat1f mverse,

v~~s . i~vitant à vous détendre et à chois~: ~~nneauxserenIte. Ces panneaux, en fait, vous guettent et t~~~:

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surveillent aussi bien, ou aussi peu, que la télévision..: policière ». Celle-ci VOliS regar~e, vous vous y regar­dez, mêlé aux autres, c'est le mirOIr sans tain de l'activitéconsommatrice, jeu de dédoublement et de redouble­ment qui referme ce monde sur lui-même.

l'hypermarché est inséparable des autoroutes quil'étoilent et l'alimentent, des parkings avec leurs nappesd'automobiles, du terminal de l'ordinateur - plus loinencore, en cercles concentriques -, de la ville entièrecomme écran fonctionnel total des activités. l'hyper­marché ressemble à une grande usine de montage, àceô près que, au lieu d'être liés à la chaîne de travailpar une contrainte rationnelle continue, les agents (oules patients), mobiles et décentrés, donnent l'impressionde passer d'un point à l'autre de la chaîne selon descircuits aléaroires. Les horaires, la sélection, l'achat SOnt

aléatoires, eux aussi, à la différence des pratiques detravail. Mais il s'agit bien quand même d'une chaîne,d'une discipline programmatique, dont les interdits sesont effacés derrière un glacis de tolérance, de facilitéet d'hyperréalité. l'hypermarché est déjà, au-delà del'usine et des institutions traditionnelles du capital, lemodèle de toute forme future de socialisation contrô­lée : retotalisation en un espace-temps homogène detoures les foncrions dispersées du corps ct de la viesociale (travail, loisir, nourriture, hygiène, transports,media, culture) ; retranscription de toUS ies Aux contra­dictoires en termes de circuits intégrés; espace-tempsde toute une simulation opérationnelle de la vie sociale,de route une structure d'habitat et de trafic.

Modèle d'anticipation dirigée, l'hypermarché(aux Etats-Unis surtout) préexiste à l'agglomération;c'est lui qui donne lieu à l'agglomération, alors que le

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Page 56: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

~~:c:; ~:a:tionnel était ~u cœut d'une cité, lieu Où la, mpagne venaIent frayer ensembl l'h

~:t~~e est l'exptession de tout un mode de :ie o~~~~p u .non seulement la campagne mais la ville .

pour. laisser place à l'« agglomération» _ a~slurbal.n fonctionnel entièrement signalisé d z.onmgl'éq~llvalent, le micromodèle sur le pla ci IOnc il est

~:;~on. Mais son. rôle dépasse de loi: 1: : ~~~:~~-ce I~~", .et les ~bJets n'y Ont plus de réalité spécifique ~

q pnme, c est leur agencement sériel . 1·'spectaculaire, futur modèle des : Clrcu aIre,

La «forme» hypermar~~P::~tS~~s~\ider 'comprendre ce qu'il en est de la fin de la mod . ,aLes grandes villes ont vu na~ ., er~lte.(1850-1950), une générati~~re'd:n u; slecle envl~on« modernes » (b . g ands magaSinsfaçon ou une a eauco~p portaient ce nom d'une

. ~ , ucre), maIs cette modernisation fonda~

~entale, !Jee a celle des transports, n'a pas bouleverséa ~t.ructure urbaine. les villes sone restées des villes

tan IS qu: les villes nouvelles sont satellisées par l'h ~

~éeS:~~rche ou 1: shopping center, desservis par ~nd pros.ramme de transit, et cessent d'êrre des villes

pou~ eveOlf des agglomérations. Une nouvelle morpho­f~nes~ e~t apparue,. qui relève du type cybernéti ueI~he~.-a-dl~ repr~Ulsant au niveau du territoire qde

a ,Itat,. u t~anSlt, les scénarios de commande~entmoleculalre qUI sone ceux du code génétique) et donela forme est nucléaire et satellitique L'h' h ~comme, noyau.. La. viye, même moder~e, ~~~~:~~b:plus. ~ est lUI ~ qu~ etablit une orbite sur la uelle semeut 1agglomeratlOn. Il sert d'implant aux ~ouveaux~,gr~gars, comme fone parfois aussi l'université ou encore

uSine - non plus l'usine du XIX' siècle ni l'usine

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décentralisée qui, sans briser l'orbite de la ville, s'ins­talle en banlieue, mais l'usine de montage, automatisée,à commandement électronique, c'est-à-dire correspon­dant à une fonction et à un procès de travail totalementdéterritorialisés. Avec certe usine, comme avec l'hyper­marché ou l'université nouvelle, on n'a plus affaire àdes fonctions (commerce, travail, savoir, loisir) quis'autonomisent et se déplacent (ce qui caractérise encorele déploiement «moderne» de la ville), mais à unmodèle de désintégration des fonctions, d'indétermi­nacion des fonctions et de désintégration de la villeelle-même, qui est transplanté hors ville et traité commemodèle hyperréel, comme noyau d'une agglomérationde synthèse qui n'a plus rien à voir avec une ville.Satellites négatifs de la ville, qui traduisent la fin de laville, même de la ville moderne, comme espace déter­miné, qualitatif, comme synthèse originale d'une société.

On pourrait croire que cette implantation cor­respond à une rationalisation des diverses fonctions.Mais, en fait, à partir du moment où une fonction s'esthyperspécialisée au point de pouvoir être projetée detoutes pièces sur le terrain «clefs en main », elle perdsa finalité propre et devient tout autre chose: noyaupolyfonctionnel, ensemble de « boîtes noires» à input­output multiple, foyer de convection et de destructu­ration. Ces usines et ces universités ne sont plus desusines ni des universités, et les hypermarchés n'ontplus rien d'un marché. Etranges objets nouveaux dontla centrale nucléaire est sans doute le modèle absolu etd'où rayonnent une sorte de neutralisation du territoire,une puissance de dissuasion qui, derrière la fonctionapparente de ces objets, constituent sans doute leurfonction profonde: l'hyperréalité de noyaux fonction-

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nels qui ne le SOnt plus du tout. Ces objets nouveauxSOnt les pôles de la simulation autour desquels s'élabore,à la différence des anciennes gares, usines ou réseauxde rransport traditionnels, autre chose qu'une « moder.nité» : une hyperréalité, une simultanéité de tOUtesles fonctions, sans passé, sans avenir, une opération~

nalité tous azimuts. Et sans doute aussi des crises, oumême des catastrophes nouvelles: Mai 68 commenceà Nanterre, et non à la Sorbonne, c'est-à-dire dans unlieu où, pour la première fois en France, l'hyperfonc_tionnalisation «hors les murs» d'un lieu de savoiréquivaut à une déterritorialisation, à la désaffection, àla perte de fonction et de finalité de ce savoir dans unensemble néo-fonctionnel ptagrammé. Là, une violencenouvelle, originale, a pris naissance en réponse à lasatellisation orbitale d'un modèle (le savoir, la culture)dont le téférentiel est perdu.

L'implosion du sens dans les media

Nous sommes dans un univers où ~l y a de plusen plus d'information, et de moins en molOs de sens.

Trois hypothèses:

_ ou l'informati~n ~r~uit du,sen~(f;~~teur néguenrropique), malS n arrive p~ a co pser la déperdition brutale de significatlo~ dans ta:les domaines. On a beau réinjecter, a forc: emedia, des messages et des contenus, la .deper­dition, l'engloutissement du sens va pl~s vite qu:sa réinjection. Dans ce cas, il faut faire appel aune productivité de la base, pour rel.ayer lesmedia défaillants. C'est tout~ l~~déol~gle de la

arole libre, des media démultiplies en IOn?mbra-bles cellules individuelles d'émission, vOIre des«ami-media» (radios-pirates, ~tc.? , .

_ Ou l'information n a tien a vOir av~c

la signification. C'est autre chose, un modèle ope:rationnel d'un autre ordre, extérieur au sens et a

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Page 58: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

la circulation du sens proprement dit, C'est l'hy­porhèse de Shannon: celle d'une sphère de l'in­formation purement instrumentale, medium tech­nique n'impliquant aucune finalité de sens, et doncqui ne doit pas être impliquée, elle non plus, dansun jugement de valeur. Sorte de code, commepeut l'êue le code génétique; il est ce qu'il est,ça fonctionne comme ça, le sens est autre chose,qui vient après en quelque sorte, comme pourMonod dans Le Hasard et la Nécessité. Dans cecas, il n'y aurait tout simplement pas de relationsignificative entre l'inflation de l'information etla déflation du sens.

- Ou bien, au contraire, il y a corrélationrigoureuse et nécessai re entre les deux, dans lamesure où l'information esr directement destruc­ttice, ou neutralisatrice du sens et de la signifi­cation. La déperdition du sens est directement liéeà l'action dissolvante, dissuasive, de l'informationdes media et des mass-media, '

C'est l'hypothèse la plus intéressante, mais elleva à l'encontre de toute acception reçue, Partout lasocialisation se mesure par l'exposition aux messagesmédiatiques. Est désocialisé, ou virtuellement asocialcelui qui est sous-exposé aux media. Partout lïnfor­mation est censée produire une circu1ation accélérée dusens, une plus-value de sens homologue à celle, écono­mique, qui provient de la rotation accélérée du capital.L'information est donnée comme créatrice de commu­nication, et même si le gaspillage est énorme, un consen­sus général veut qu'il y ait cependant au totai un excé­dent de sens, qui se redistribue dans tous les interstices

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du social - tout comme un consensus veut que la pro­duction mattrielle, malgré ses dysfonctionnements etses irrationalités, débouche quand même sur un plusde richesse et de finalité sociale. Nous sommes touScomplices de ce mythe. C'est l'al~ha. et l'oméga de not~e

modernité, sans lesquels la crédibilité de notre orgaOl­sation sociale s'effondrerait. Or, le fait est qu'elle J'ef­fondre, et pour cette raison même. Car là où nous pen­sons que l'information produit du sens, c'est l'inverse.

L'information dévore ses propres contenus. Elledévore la communication et le social. Et ceci pour deuxraisons.

l. Au lieu de faire communiquer, elle s'épuisedans la mise en scène de la communication. Au 1ieu deproduire du sens, elle s'épuise dans la mise en scènedu sens. Gigantesque processus de simulation que nousconnaissons bien. L'interview non directif, la parole,les téléphones d'auditeurs, la participation toUS azimuts,le chantage à la parole: «Vous êres concernés, c'estvous l'événement, etc. » De plus en plus l'informationest envahie par cette sarre de contenu fantôme, de greffehoméopathique, de rêve éveillé de la communication.Agencement circulaire où on met en scène le désir dela salle, anti-théâtre de la communication, qui, commeon sait, n'est jamais que le recyclage en négatif de l'ins­titution traditionnelle, Je circuit intégré du négatif.Immenses énergies déployées pour tenir à bout de brasce simulacre, pour éviter la désimulation brutale quinous confronterait à l'évidente réalité d'une perte radi­cale du sens.

Inutile de se demander si c'est la perte de lacommunication qui entraîne cette surenchère dans lesimulacre, ou si c'est ie simulacre qui est là d'abord à

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des fins dissuasives, celles de COurt-circuiter à l'avancetoute possibilité de communication (précession dumodèle qui met fin au réel), Inutile de se demanderquel est le rerme premier, il n'yen a pas, c'est Unprocessus circulaire - celui de la simulation, celui del'hyperréel. Hyperréalité de la communication et dusens. Plus réel que le réel, c'est ainsi qu'on abolit leréel.

Ainsi, aussi bien la communication que le socialfonctionnent_ils en circuit fermé, comme un leurre _auquel s'attache la force d'un mythe. La croyance, lafoi en l'information, s'attache à cette preuve taurolo_gigue que donne le système de lui-même en redoublantdans les signes une réalité introuvable.

Mais on peut penser que cerre croyance est aussiambiguë que celle qui s'attachait aux mythes dans lessociétés archaïques. On y éroit et on n'y croit pas,On ne se pose pas la question. « Je sais bien, mais quandmême. » Une sorte de simulation inverse répond dansles masses, chez chacun de nous, à cette simulation desens et de communication où nous enferme ce système.A la tautologie du système il esr répondu par l'ambi­valence, à la dissuasion il est répondu par la désaffec~tian, ou par une croyance toujours énigmatique. Lemythe existe, mais il faut se garder de croire que lesgens y croient; c'est là le piège de la pensée critique,qui ne peut s'exercer que sur un présupposé de naïvetéet de stupidité des masses,

2, Derrière cette mise en scène exacerbée de lacommunication, les mass-media, l'information au forcingpoursuivent une itrésistible destrucruration du social.

Ainsi J'information dissout le sens et dissout lesocial, dans une sorte de nébuleuse vouée non- pas du

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à un surcroît d'innovation, mais tout au contrairetout 1 1

à l'entrop,ie ~o~ase~edia sont effecteuts non pas. de laA,mst e is .uste à l'inverse de l'implosiOn du

soc~alisatJ~sn'le~ama~ses. Et ceci n'est qu~ l'exte~sjonsOCtal da. d l' 'mplosion du sen! au Olveau mlCro­macr.oscopl~u~i ~e. ICelle_ci est à analyser à partir descoplque d d t Luhan medium is meJSage, dont onla for:nul~ ~ ,a~isé les conséquences.est 101O~ ::~:re~est gue touS les contenus de sens .sont

J la seule forme dominante d.u medIUm.absorbe~ dans 1 fait événement _ et ceCI quel~ .queLe. medIUm seu conformes ou subversifs. S~neuxsOIent les contenus, -'nformation, radios-pirates,problème pour toute contre 1

--1. Nous n'avons parLé. ici, de ~~;~r~:~ir~~t~~~Si~~n~a~~registre social de la co~munLc~tlon'la théorie cybernétique dede porter. rhYP?thèse. Jus~~~se f~~damentale veut que c~lle-cil'informatlon. Là aUSSI, la ie de résistance à l'cnrropl.e, desoit s~nonyme de négd~ent:~~sa~ion. Mais il conviendrait desurccolt de sens e~ or

g, NFORMATlON .. ENTROPI.E. Par

poser l"hypo~~èse In~erse . Je savoir qu'on peut avoir. d',:nexemple : 1mformatton ou d'" ne forme de neutraitsaltOnsysûme ou d'un événement e!t ét7:dr: aux sciences en général,t! d'entropie tU ce rys~ème (a . 1 en particulier). L'informa­et aux sCiences hur:nalnes et s(l(~a:~ diffust un événement esttlOn où se rlflérhtt ou par ce;u événement. Ne pas hésiter àclijà une forme dlgrad1e Lf~terventiOn des media en Mai 08 ,analyser dans ce sens , ' étudiante a permi~ la greveL'extension donnée ~ Lactl~n. ément une boîte nOire de neu­général.e, mais celle-Cl fut pr .CI~ JJ du mouvement. L'umpli­tralisunon de la virulence ongme le et non pas une extension

fication même fue un 1-1~~~ve~s~~~:atiOn des Luttes p~r l'jnfor­positive. Se méfier de d solidarité toUS aZimuts, demation, s: méfier des ca~pagnes e daine à La fois. Toueecene solLdarit~ élec~ro~lqued et d'?~~ences est une stratégiestratégie d'uOlversabsat!On es lentropique du système.

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ami-media, etc. Mais il y a plus grave, que MacLuhanlui-même n'a pas dégagé. Car au~delà de cette neutra_lisation de tous les contenus, on pourrait espérer rravail_1er encore le medium dans sa forme, et transformer leréel en utilisant l'impact du medium comme forme. Tousles COntenus annulés, il y a peut-être encore une valeurd'usage révolutionnaire, subversive, du medium en tantque tel. Or - et c'est là où mène à son extrême limitela formule de MacLuhan _ il n'y a pas seulementimplosion du message dans le medium, il y a, dans lemême mouvement, implosion du medium lui-même dansle réel, implosion du medium et du réel, dans une SOrtede nébuleuse hyperréelle, où même la définirion et l'ac.tion distincte du medium ne SOnt plus repérables.

Il n'est pas jusqu'aux media eux-mêmes, carac~téristiques de la modernité, dom le statut « tradition_nel » ne soit remis en cause. la formule de Macluhan,Medium ;s 7llwage, qui est la formule clef de l'ère dela simulation (le medium est le message _ l'émetteurest le récepteur - circularité de tous les pôles _ finde l'espace panoptique et perspectif _ tels SOnt l'alphaet l'oméga de notre modernité), cette formule mêmedoit être envisagée à la limite où, après que tous lesCOntenus et les messages se Som volatilisés dans lemedium, c'est le medium lui~même qui se volatilise entant que tel. Au fond, c'est enCote le message quidonne au medium ses lettres de créance, c'est lui quidonne au medium son statut distinct, dérerminé, d'in­termédiaire de la communication. Sans message, lemedium lui aussi tombe dans l'indéfinirion caractéris_tique de tous nos grands systèmes de jugement et devaleur. Un seul modèle, dont l'efficace est immédiat,génère à la fois Je message, le medium et le « réel ».

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Medium is meJJage ne si~ni-pour tout dire, du message, mais au.ssI, la

e pas seu.lement l~ fin lus de media au sens lt~teralfi du medIUm. Il n y a P d media électroOiques~: terme (je parle, s~.rtou~'ins::nce médiatrice d'un~de masse) - c'est-a-, I~e état du réel à un aur~e..NIréalité à une autre,. d uns la forme. C'est ce que slgn:6edans les contenus:. 01 da. Absorption des pôles 1uni oureusemcnt l'm~los~on'ntre les pôles de tout sys­~:ns l'autre, court-CircUit é~rasement des termes et destème différentiel. de sens

dontcelle du medium ct du

.rions distlnctes, 'diation de toute°r~o~ donc jmposs~bilité de to~:: ;e:X ou de t'un .à~ntervention dialectlque ent~e effets media. Impossl­;'aurre. Circularité den;ol~:té::l d'un vecteur u~ilaté:albilité d'un sens, au se Il faut envisager JUsqu auqui mène d'un pô~e à u~ ~utr:. mais originale: c'es~ labout cette situat~on ~fl~lq~~utile de rêver d'une r:"o­seule qui nous salt lalssee .. utile de rêver d'une r:vo­lution par les conten~:, ~: medium et réel sont ~e.s~r­lution par la forme, pm q indéchiffrable dans sa,vente.mais une seule nébu~~uselosion des contenu~, d~absorp-

Ce constat d Imp du medium lUl-meme,.detion du sens, d'évanes~ence. ue de la communicatlonrésorption de tO~te d'al~;t~~ modèle, d'implosio~ dudans une circulaflté tota araÎtte catastrophiquesocial dans les m.ass.es, ~el~:s:~~ fait qu'au r~gard deet désespéré. ~als ~~en tOute notre vision de 1~lnforma~l'idéalisme qUI doml d' 'déalisme forcene du sention. Nous vivon~ to~S :'~~ idéalisme de la. comr;'u­et de la commuOlc::lO:t, dans cette perspectlve, c estnication par le se , , ui nous guette.bien la cataJtrophe du .Jem q 1 terme de « catastrophe >'

Mais il faut vOir que e

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n'a ce sens «catastropbique " de fin et d'anéamissemenrque dan.s une vision linéaire d'accumulation, de finalitéproductlve que nous impose le système. Le terme lui­même ne signifie érymologiquemem que la courburel'e~roulemem vers le bas d'un cycle qui mène à c:qu on J.'eur appeler un « horizon de l'événement ", àu~ h?nzon.du. sens, indépassable: au-delà, plus rienn a lieu qUI ait du Jem pour nous, _ mais il suffit desortir de cer ultimatum du sens pour que la cata_strophe eUe-même n'apparaisse plus comme échéancedernière et nihiliste, telle qu'elle foncrionne dans notreimaginaire actuel.

Au-delà du sens, il y a la fascination, qui résultede la neutralisation et de l'implosion du sens. Au-delàde l'horizon du social, il y a les masses, qui résultentde la neutralisation er de l'implosion du social.

L'essentiel aujourd'hui est d'évaluer ce doubled~fi - défi au sens par les masses et leur silence (quin est pas du tour une résistance passive) _ défi ausens venu des media er de leur fascination. Toutes lestentatives marginales, alternatives, de ressusciter dusens, som secondaires en regard de cela.

Evidemment il ya un paradoxe dans cerre inex­tricable conjonction des masses et des media: est-ceque c~ som les media qui neutralisent le sens et quiprodUlsem la mas~e <~ informe" (ou informée), ouest-ce la masse qUI réSiste viccorieusemem aux mediaen décournant ou en absorbant sans y répondre cous lesmessages qu'ils produisenr? Jadis, dans «Requiempour. les media ", j'avais analysé (er condamné) lesmedia comme l'institution d'un modèle irréversible decommunication Jam r/ponJe. Mais aujourd'hui? Cerreabsence de réponse peur être enrendue, non plus du

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tout comme la srrarégie du pouvo~r, m~is ,comme unecontre-stratégie, des masses elles-mernes a 1encomre du

pouvoirL~I:~:_mediasont-ils du côré du pouvoir dansla manipularion des masses, ou sont-ils du c~té desmasses dans la liquidation du sens, dans la Violencefaite au sens et dans la fascination? Est-ce ~ue ~e somles media qui induisent les masses à la fascmatlon, o.uest-ce que ce sont les masses qui détournent l~s mediadans le spectaculaire? Mogadiscio-Sramm~elm : lesmedia se font le véhicule de la condamnatIOn moraledu terrorisme et de l'exploitation de la peur à desfins politiques, mais simultanément~ dans la plus t~tale

ambiguïté, ils diffusent la fascinat.lOn brute de 1acteterroriste, ils sont eux-mêmes terronsres, dans la mesureOLt ils marchent eux-mêmes à la fascination (éterneldilemme moral, cf Umberto Eco : comment nc pasparler du terrorisme, comment trouver. un bon. UJagedes media - il n'yen a paJ). Les media charnent lesens et le contresens, ils manipulent dans cous les sensà la fois, nul ne peut contrôler ce processus,. ils vé~i­

culent la simulation interne au sysrème et la SimulatIOndesrructrice du système, selon une logique absolumentmoebienne et circulaire, - et c'est bien comme ça. Iln'y a pas d'alternative à cela, pas de résolutio~ logique.Seule une exacerbation logique et une résolutlon catas-trophique. . , .

Avec un correctif. Nous sommes Vls-a-VIS de cesystème dans une situation double et insoluble « doublebind » - exactement comme les enfants vis-à-vis desexigences de l'univers adulte. Us ~ont simultanémentsommés de se constituer comme SUjets autonomes, res­ponsables, libres er conscients, et de se constiruer

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comme objets soumis, inertes, obéissants, conformes.l'enfant résiste Sut tous les plans, et à une exigenceconrradictoire, il répond aussi par une stratégie double.A l'exigence d'être objet, il oppose toutes les pratiquesde désobéissance, de tévolte, d'émancipation, bref tOUteune revendication de sujet. A l'exigence d'être sujet, iloppose toUt aussi obstinément et efficacement une résis_tance d'objet, c'est-à-dire exactement à J'inverse: infan_tilisme, hyperconformisme, dépendance tOtale, passivité,idiotie. Aucune des deux stratégies n'a plus de valeurobjective que l'autre. La résistance-sujet est aujourd'huiunilatéralement valorisée et tenue pour positive _ demême que dans la sphère politique seules les pratiquesde libération, d'émancipation, d'expression, de consti_tution comme sujet politique SOnt tenues pour valableset subversives. C'est ignorer l'impact égal, er sans doutebien supérieur, de toutes les pratiques objet, de renon­ciation à la position de sujet et de sens _ exactementles prariques de masse - que nous enterrons sous leterme méprisant d'aliénation et de passivité. Lespratiques libératrices répondent à un des versants dusystème, à l'ultimatum constant qui nous est fait denous constituer en pur objet, mais elles ne répondentpas du toUt à l'autre exigence, celle de nous constitueren sujets, de nous libérer, de nous exprimer à tOUt prix,de Voter, de produire, de décider, de parler, de parti­ciper, de jouer le jeu - chantage et ultimatum toutaussi grave que l'autre, plus grave sans doure aujour­d'hui. A un sysrème dont l'argument esr d'oppression etde répression, la résistance stratégique est de reven­dication libératrice du sujet. Mais ceci reflète plutôt laphase antérieure du système, et même si nous y sommesaffrontés encore, ce n'est plus le terrain stratégique:

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ue! du système est de maximalisation del'argument acr oducrion maximale de sens. Donc lala parole, de ~r i ue esr celle du refus de sens et .durésistance strar g q cl la simulation hyperconform'sterefus d,e pa.r%ee;-m~~e: du système, qui est une form~des mecaOl

Se non-recevoir. C'est celle des mas.ses .

de refus et d, r au système sa propre logiqueelle équivaut a re~vr~~:o er, comme un miroir, le sensen la :edoubl~n~ette stra~égie (si on peut encore pa~lersans 1ab:o~be 'l'em orte aujourd'hui, parce que c estde strategie), Pstème ui l'a emporté.cecte phase-la du s~ trat~gie est grave. Tous les mo~-

Se tr?mp~r een~ ue sur la libération, l'émancI­ve~enrs qUI ne jr~~tion q d'un sujet de l'h.istoire, ?Upauo

n, lac ~:s~arole sur une prise de conSCience, vOire

groupe, d . 1d'inconscient» des sujets et d~s masses,sur une «prise '"1 dans le sens du systeme, dontne voient. pas qUI.s v~~~ . précisément de surprocluc-l'impératif est aUJo~lr UI cl la parole.tion et de régénératIon du sens ec e

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Publicité absolue, publicité zéro

Ce que nous vivons, c'est l'absorption de tous[es modes d'expression virtuels dans celui de la publi­cité. Toures les formes culturelles originales, touS leslangages déterminés s'absorbent dans celuj~ci parce qu'ilest sans profondeur, instantané et instantanémentoublié. Triomphe de la forme superficielle, plus petitcommun dénominateur de toutes significations, degrézéro du sens, triomphe de l'entropie sur toUS les tcopespossibles. Forme la plus basse de l'énergie du signe.Cette forme inarticulée, instantanée, sans passé, sansavenir, sans métamorphose possible, puisqu'elle est ladernière, a puissance sur toutes les autres. Toutes lesformes actuelles d'activité tendent vers la publicité,ct la plupart s'y épuisent, Pas forcément la publiciténominale, celle qui se produit comme teHe - mais laforme publicitaire, celle d'un mode opérationnel sim­plifié, vaguement séducrif, vaguement consensuel (routesles modalités y SOnt confondues, mais sur un modeanénué, énervé). Plus généralement, la forme publici-

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taire est celle où tOus les COntenus singuliers s'annulentdans le moment même où ils peuvent se transcrireles uns dans les autres, alors que le propre des énoncés" lourds "', des formes articulées de sens (ou de style),est de ne pouvoir se traduire les unes dans les autrespas plus que les règles d'un jeu. '

Ce long cheminement vers une traductibilitéet donc une combinatoire tOtale, qui est celle de latransparence 51Iperfiâelle de toutes choses, de leurpublicité absolue (et dont encore une fois la publicitéprofessionnelle n'est qu'une forme épisodique), peutse déchiffrer dans les péripéties de la propagande.

Publicité Ct propagande prennent tOUte leurenvergure à partir de la révolution d'Octobre et de lacrise mondiale de 1929, Toutes deux langages de masse,issues de la production de masse d'idées ou de mar­chandises, leurs registres, d'abord séparés, tendent àse rapprocher progressivement. La propagande se faitmarketing et merchandizing d'idées-forces, d'hommespolitiques et de partis avec leur « image de marque "'.Elle se rapproche de la publiciré comme du modèlevéhiculaire de la seule grande et vérirable idée-forcede cette société concurrentielle : la marchandise et lamarque. Cette convergence définit une société, la nôtre,où il n'y a plus de différence entre l'économique et lepolitique, parce que le même langage y règne d'unbout à l'aurre, d'une société donc où l'économie poli­tique, littéralement parlant, est enfin pleinement réa­lisée. C'est~à-dire dissoute comme instance spécifique(comme mode histotique de contradiction sociale), réso­lue, absorbée dans une langue sans contradictions,comme le rêve, parce que parcourue d'intensités sim­plemenr superficielles.

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Un stade ultérieur est franchi lorsque le langagemême du social, après celui du po.litique, ~a se confon­dre avec cene sollicitation fascmante. ,d un langa.geénervé, lorsque le social va se faire pu.bliClté, va se faire

léhisciter en essayant d'imposer son Image de ~ar~ue.be destin historique qu'il était, le s~cjal IUl-~emeest tombé au rang d'une «enrrepnse collective,.,assurant sa publicité tous azimuts, Voyez quelle p!us­value de social chaque publicité cherc.he à produire,:werben werben - sollicitation du SOCial partout pre­senr sur les murs, dans les voix chaudes er exsanguesdes speakerines, dans les graves et. les aigus de labande-son ct dans les tOnalités multlples de la bande­image qui court partout sous nos Y,eu~" Socialiré parto~r

présente, socialiré absolue enfin reallsee da~s la publi­cité absolue - c'est-à-dire totalement dIssoute elleaussi, socialité vestige hallucinée sur touS les m~rs

sous la forme simplifiée d'une demande de. SOCIalimmédiatement satisfaite par l'écho publicitaIre. ~e

social comme scénario, dont nous sommes le publtc

éperdu. ...,. ,Ainsi la forme publiCItaire s est-elle Imposee et

développée aux dépens de tous les autre: l~ngages,

comme rhétorique de plus en plus neutre: eqUlvale.nt~,

sans affects, comme « nébuleuse asyntaxlque"., dIraitYves Srourdzé, qui nous enveloppe de toutes partS (etqui élimine du même coup le problème tellement conrro­versé de la « croyance". et de l'efficacité: elle .ne pro­pose pas de signifiés à investir,. eH,e of:re. une éqUlvalen.cesimplifiée de rous les signes jadiS dIStlOct~, e~ le~ dIS­suade par ceue équivalence même). CeCI, ~etill1t leslimites de sa puissance acruelle et les condmons ~e sadisparition, car la publicité n'est plus aujourd'hUI un

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enjeu, elle est à la fois « entrée dans les mœurs» et dumême coup sortie de cette dramaturgie sociale et moralequ'elle représentait encore il y a vingr ans.

Ce n'est pas que les gens n'y croient plus oul'aient acceptée comme routine, C'est que, si ellefascinait par cette puissance de simplification de tousles langages, cette puissance lui est aujourd'hui raviepar un autre type de langage encore plus simplifié etdonc plus opérationnel: les langages informatiques.Le modèle de séquence, de bande-son et de bande~

image que nous offre la publicité, de pair avec lesautres grands media, le modèle de péréquation combi~

natoire de tous les discours qu'elle propose, ce conti­nuum encore rhétorique de sons, de signes, de signaux,de slogans qu'elle dresse comme environnement totalest largement dépassé, dans sa fonction de simulatjo~justement, par la bande magnétique, par le continuumélectronique qui est en train de se profiler à l'horizonde cette fin de siècle, Le micro-processus, la digitalité,les langages cybernétiques VOnt beaucoup plus loindans le même sens de la simplification absolue des pro­cessus que la publicité ne le faisait à son humbleniveau, encore imaginaire et spectaculaire. Et c'estpa~ce que c.es systèmes vont plus loin qu'ils polarisentaUJourd~hUl la fascination jadis dévolue à la publicité.C'~St l'mformation, au sens informatique du terme,qUI mettra fin, qui met déjà fin au règne de la publi­cité. C'est ça qui fait peur, et c'est ça qui passionne.La «passion» publicitaire s'est déplacée sur lescomputers et la miniaturisation informatique de la viequotidienne.

L'illustration anticiparrice de cette transforma­tion était le papoula de K. Ph. Dick, cet implant

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publicitaire transistorisé, es~èce de ventouse émettric~,

de parasite électronique qUI se fixe au corps et dont Jiest crès difficile de se débarrasset. Mais le papoula estencore une forme intermédiaire: c'est déjà une sorrede prothèse incorporée, mais il serine encore desmessages publicitaires. Un hybride donc, mais préfi­guration des réseaux psychotropiques et informatiquesde pilotage automatique des individus, auprès duquelle «conditionnement» publicitaire fait figure d'unedélicieuse péripétie.

L'aspect le plus intéressant actuellement de lapublicité est sa disparition, sa dilution comme formespécifique, ou comme medium tout simplement. Ellen'esr plus (l'a-t-elle jamais été ?) un moyen de commu­nication ou d'information. Ou bien elle est prise decette folie spécifique des systèmes surdéveloppés dese plébisciter à chaque instant, et donc de se parodiereUe-même. Si à un moment donné la marchandise étaitsa propre publicité (il n'yen avait pas d'autre),aujourd'hui la publicité est devenue sa propre marchan­dise. EUe se confond avec elle-même (et l'érotismedont elle s'affuble n'est que l'index auto-érotique d'unsystème qui ne fait plus que se désigner lui-même_ d'où l'absurdité d'y voit une «aliénation» ducorps de la femme).

En tant que medium devenu son propre mes­sage (ce qui fait qu'il y a désormais une demande depublicité pour elle-même, et que donc la question

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d'y ." ~r~ire» ou non ne se pose même 1~ub.11CIte est tOUt à fair à l'unisson du so .p us), la1eXlgenc~ hisrorique s'est trouvée absorb;;al, dont~ure et simple demande de social : clema cl cl par latl,onnemem du social comme d'une n . e ~ fonc_cl un ensemble de services, comme ~~~~epnse, commeou, de survie (il faut sauver le social co:~:e .de viepr~~en:er ,la nature: le social est notre niche) JI faUtgu JI ctalt jadis une sorte cl '1' - alors~rojet même. Ceci est bien pe;d~e~Oleut:~;iald:ns SonJustement cette puissance d'lJ'"1 perdule re~jstre de l'offre Ct dei I~SI~~~n~t tombé danst~avad est passé de force ama on' cl e, c~mm,e leSimple statut de l'emploi, c'eSt~à_dltr:ed'u C~ltal ,a un[uellement rare) et d'un service com~~ I;~n (even_

~nj;: d~;ct:~:::t :~ir:r:a~; publicité pOUt le ;r~::~~:faire de la publicité l ' co~me on va pouvoirpublicité est là aujour:~u~ .~ socIal. E~ la véritabledans l'exaltation du s . lUI. ans le deSIgn du social,

le :~ppel acharné, o~~::és~~~:o~~:i:te~:o~~es'bda~sse rait rudement sentir. n e esom

. Les danses folkloriques dans le fi' 1IOnombrables cam eero, es«demain je travai~;:nes pour la sécurité, le sloganréservé au loisit et 1 » accompagné du sourire jadistion aux rud'h~ a séquence publicitaire pour rélec­pour ma;» _ mlmes:« {e ne laÎsse personne choisÎr

sprct~culajrements ~::~ ;'u~:sql~~ e~ q~i. s~nnait sÎd7 faIre acte de socÎal dans s."l dé~~teat1:t1sol~e, cellen est pas un hasard sÎ la ublicité g, n .mrme. CeI~ngtrmps un ultÎmatum ~m licite' ;pres aV?lr véh!culédIsant et répétant au fond fol ble type economlque,

assa ernent : «J'achète,

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je consomme, je jouis », répète aujourd'hui sous toutesles formes : " Je vote, je participe, je suis présent,je suis concerné» - miroir d'une dérision paradoxale,miroir de l'indiffétence de route signification publique.

Panique invetse : on sait que le social peut sedissoudre dans la réaction panique, réaction en chaîneincontrôlable. Mais il peut se dissoudre aussi dans laréanion inverse, réaction en chaîne d'inertie, chaquemicro-univers saruré, aurorégulé, informatisé, isolé dansson pilotage automatique. La publicité en est la pré­figuration première ébauche d'une trame ininterrom­pue de signes, comme la bande des téléscripreurs - cha­cun isolé dans son inertie. Forme annonciatrice d'ununivers saturé. Désaffecté, mais saturé. Insensibilisé,mais plein à craquer. C'est dans un univers commecelui-là que prend force ce que ViriUo appelle l'esthéti­que de la disparition. Que commencent d'appataÎtredes objets fractals, des formes fractales, des zones defaille consécutives à la saruration, et donc à un pro­cessus de rejet massif, d'abréaction ou de Stupeur d'unesociété purement rransparente à elle-même. Comme lessignes dans la publicité, on se démultiplie, on se faittransparent ou innombrable, on se fait diaphane ourhizome pour échapper au point d'inertie - on semet sur orbite, on se branche, on se satellise. ons'atchive _ les pistes s'entrecroisent: il y a la bande­son, la bande-image. comme dans la vie il y a labande~travail. la bande-loisir, la bande~transport, etc .•le roUt enveloppé dans la bande-publicité. Partout ily a trois ou quatre pistes. et vous êtes au croisement.Saturation superficielle et fascination.

Car il reste la fascination. Il n·est que voir LasVegas la ville publicitaire absolue (celle des années

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cinquante, celle des années folles de la publicité, et quien a gardé le charme, aujourd'hui rétro en quelquesorte, car la publicité est secrètement condamnée par lalogique programmatique qui donnera des villes biendifférentes). Quand on voit las Vegas surgir toutentière du désert par le rayonnement publicitaire à latombée du jour, cr retourner au désert quand lejour se lève, on voit que la publicité n'est pas ce quiégaie ou décore les murs, elle est ce qui efface lesmurs, efface les rues, les façades et toute l'architecture,efface tout suPPOrt et toute profondeur, et que c'estcette liquidation, cette résorption de tout en surface(peu importe les signes qui y circulent) qui nous plongedans cette euphorie stupéfiée, hyperréelle, que nousn'échangerions plus contre quoi que ce soit d'autre, etqui est la forme vide et sans appel de la séduction.

Le langage se laiJJe alors entraîner par sondouble, et joint le meilleur au pire pour un fan­tôme de rationalité dont la formule est : «Toutle monde doit y croire. » Te! est le message dece qui nOlis masse.

J.-1. Bouttes, Le Oestmcteur d'intensités.

La publiciré donc, comme l'information: des­tructrice d'inrensités, accélérateur d'inertie. Voyezcomme tous les artifices du sens et du non-sens y SOntrépétés avec lassitude, comme toutes les procédures,

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toUS les dispositifs du langage de la communication(la fonction de contact: vous m'entendez? Vous meregardez? Ça va parler! - la f~nction référentielle,la fonction poétique même, l'allUSIon, l'ironie, le jeu demots, l'inconscient), comment tout cela est mis en scèneexaccement comme le sexe dans le porno, c'est-à-diresans y ctoire, avec la même obscénité f~tiguée. ~'~s~pourquoi il est inutile d'analyser désorm~ls la ~ubhcltecomme langage, car c'est autre chose qUI y a heu: unedoublure de la langue (des images aussi bien), à laquelleni linguistique ni sémiologie ne répondent, puisqu'eUestravaillent sur l'opération véritable du sens, sans pres­sentir du tout cette exorbitation caricaturale de toutesles fonctions du langage, cette ouverture sur un immensechamp de détision des signes, « consommés» comme ondit dans leur dérision, pour leur dérision et le spectaclecollectif de leur jeu sans enjeu - comme le pornoest fiction hypertrophiée de sexe consommé dans sadérision, pour sa dérision, spectacle collectif de l'ina­nité du sexe dans son assomption baroque (c'est lebaroque qui inventa cette dérision triomphale du stuc,fixant l'évanouissement du religieux dans l'orgasme desstatues).

Où est l'âge d'or du projet publicitaire? L'exal­tation d'un objet par une image, l'exaltation de l'achatet de la consommation par la dépense publicitaire somp­tuaire ? Quelle que fût l'asservissement de la publi~ité

à la gestion du capital (mais cet aspect de la ques.t1?~,

celui de l'impact social ct économique de la publiCite,est toujours irrésolu et au fond insoluble), elle fut ~o~­jours plus qu'une fonction asservie, elle fut un miroirtendu à l'univers de l'économie politique et de la mar­chandise, elle en fur un moment l'imaginaire glorieux,

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celu.i d'un monde déchir- .j'uOlvers de la marchandi;~ ~:~: en expan~io,n. Mais

un ~ond~ s~turé et en involution. ~~sc celul~C1 : c'estson ImagJnalre triomphal, et, du stade cloup,. il ,a ~erduen quelque, Sorte passé au travail de deui~ rn1fOlt, 11 eSt

Il n y a plus de scène cl 1 .en a,plus que la forme obscèneeer

av~archandjse; j~ ?'y

est 1Ji!usrration de cette ft ?e. Et la publlCltéC' orme saturee et vide

est pourquoi elle n'a 1 cl ..'mes repérables ne SOnt pl . P .~s ~ rernrOlre. Ses for~Halles par exemple est us ~Ignl (aoves. le Forum desciraice _ une OpératiollnO âlgantes~~e ensemble publi_

publicité de personne, d'au:u:eu~j;clrude. ~e n'est laplus le statut d'un vérirabl me, ça n a p~s nonensemble archirecrutal ~ centre commerCial ouau fond un centre c~l~::t us q,ue Beaubourg n'estsupergadgets démontrent sim ~es etranges objets, cesmenralité sociale est deven p ement.q.ue.notre monu_quelque chose comme le Fo ue P~~llclralre. Et c'estqu'est devenue la pub!" . _rum q,Ul tllustre le mieux cepublic. ICtte, ce qu est devenu le domaine

. La marchandise s'enterrtlons dans les archives, comm:' comme. les informa_bunkers, comme les fusées dans 1 les. archives. dans les

Finie la marchandise h es SIlos atomIques.mais elle fuit le soleil ~ureuse et déployée, désor_l'homme qui a perdu s~ne~m~ cou~ ~l1e est commeHalles ressemble assez' ~e, AIOS I le Forum desfun~bre d'une marchandi:e ~~t u~eral home - luxesolet! noir. Sarcoph d 1 erree, transparenre à un

li age e a marchandise

saumon ~u:n~ere~; .sép~1chral, marbres 'blancs, noirs

espace ~inéral U~d:~~'ro~n~e ~o~r riche et snob et mat:. sence totale de fluides,

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il n'y a même plus de gadget liquide comme le voiled'eau de Parly 2, qui au moins trompait l'œil - icimême plus de subterfuge amusant, seul le deuil pré­tentieux est mis en scène. (La seule idée drôle de l'en­semble esr justement l'humain et son ombre quimarchent en trompe-l'œil sur la dalle venicale debéron : gigantesque toile d'un beau gris à l'air libre,servant de cadre au trompe-l'œil, ce mur est vivantsans l'avoir voulu, en contraste avec le caveau defamille de la haute courure et du prêr-à-porrer queconstitue le Forum. Cette ombre est belle parce qu'elleest une allusion contrasrée au monde inférieur qui aperdu son ombre,)

Tout ce qu'on pourrait souhaiter, une foisouvert au public cer espace sacré, er de peur que lapollution, comme pour les grottes de Lascaux, ne ledérériore irrémédiablement (songeons à la masse défer­lante du RER), c'est qu'on l'interdise immédiate­ment à la circulation et qu'on le recouvre d'un linceuldéfinirif pour garder intact ce témoignage d'une civi­lisation parvenue, après avoir franchi le stade de l'apo­gée, au stade de l'hypogée, de la marchandise, Il y aune fresque ici qui retrace le long chemin parcourudepuis l'homme de Tautavel en passant par Marx etEinstein pour parvenir à Dorothée Bis ... Pourquoi nepas sauver cette ftesque de la décomposition? Plustard les spéléologues la redécouvriront, en même tempsqu'une culture qui avait choisi de s'enterrer pouréchapper définitivement à son ombre, d'enterrer sesséductions et ses artifices comme si elle les vouaitdéjà à un autre monde,

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Clone story

De toutes les prothèses qui jalonnent J'histoiredu corps, le double est sans doute la plus ancienne.Mais le double n'est justement pas une prothèsec'est une figure imaginaire qui, telles l'âme, l'ombre,l'image dans le miroir, hante le sujct comme son autre,qui fait qu'il est à la fois lui-même Ct ne se ressemblejamais non plus, qui le hante comme une mort subtileet tOujours conjurée. Pas toujours cependant: quand ledouble se matérialise, quand il devient visible, il signi­fie une mort imminente.

Autant dire que la puissance et la richesse ima­ginaire du double, celles où se jouent l'étrangeté et enmême temps l'intimité du sujet à lui-même (heimlich/unheimlich), reposent sur son immatérialité, sur le faitqu'il est et reste un phantasme. Chacun peut rêver,et a dû rêver route sa vie d'une duplication ou d"unemultiplication parfaite de son être, mais ceci n'a queforce de rêve, et se détruit de vouloir forcer le rêve dansle réel. Il en est de même de la scène (primitive) de la

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séduction: elle n',~père que d'être phamasmée, tes~ellUe,_ que de n erre jamais, réelle, Il appartena~~u:

atre cpoque de vo~loir exorCiser ce phantasme al~s autres, c'est-à-dIre de vouloir le réalise l con;~eIJser en chair et en os Ct, par un conr:~_s::::atefJa­changer le jeu du double d'un échange subtil rotai,mort avec l'Autre en l'éternité du Même. de la

.. . Les clones. Le clonage. Le boutura e hum' ,l J~fim, ,chaque cellule d'un organisme indiv7dué po~~: ate 7VCnJf la matrice d'un individu identique Aux E nt

UOIS" un ,enfant serait né il y a quelques ~ois co~:~un geraOlUm. Par bOllturage. Le premier enfant-clone

~1::)~e~ance d.'un i~d,ividu ,par, multiplication végéra­seul indi~~emler ne a ,partir cl, lI,ne seule cellule d'unserait J ,I~, son «pere", genlteur unique dont il

a rAep!Jq~e exacte, le jumeau parfair, le double 1

, ~eve dune gemel1ité éternelle substiruée à laprocre~tlOn sex~é~ qui, elle, est liée à la mort. RAcellula~re de. sCl~slpariré, la forme la plus pure dee~:f,arente, pll;SqU elle permer enfin de se passer d

autre, et cl aller du même au même Cl f: ep~sser pa,r rU~érus d'une femme, et ~ara~~ e:~~~;~enoyaute, malS ce suPPOrt est éphémère, cr de touteaçon anonyme: une prothèse femelle pourrait lerem~l~c~r), Ur~pie ~onocelllliaire qui, par la voie de

dIa geneuque,. fait acceder les êtres complexes au dest'es prOtozoaires, ln

serait 1N'e:t-ce pas une pulsion de mort qui pous-es erres sexués à régresser vers une forme de

Grasset,1·19~~.D. Rorvik, A Ion image: la copie d'N'le homme, Paris,

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reproduction antérieure. à la sexuation (n'est-ce pasd'ailleurs cette forme SCissipare, cette reproducrion erproliférarion par pure contiguïté qui eJt pour nous, auplus profond de notre imaginaire, la mort et la pulsionde mort - ce qui nie la sexualité et veut l'anéantir,la sexualiré étant porteuse de vie, c'est-à-dire d'uneforme critique et mortelle de reproduction ?) et quiles pousserait en même temps métaphysiquement à niertoute altérité, toute altération du Même pour ne plusviser que la perpétuation d'une identité, une transpa­rence de l'inscription génétique même plus vouée auxpéripéties de l'engendrement ?

Laissons la pulsion de mort, S'agit-il du phan­tasme de s'engendrer soi-même? Non, car celui-ci passetoujours par les figures de la mère et du père, figuresparentales JexuéeJ que le sujet peut rêver d'effaceren s'y substituant, mais sans du tout nier la structuresymbolique de la procréation devenir son propreenfant, c'est encore être l'enf.'1nt de quelqu'un. Alorsque le clonage abolit .«dicalement la Mère, mais aussibien le Père, l'enchevêtrement de leurs gènes, l'in­trication de leurs différences, mais surtout l'acte duelqu'est l'engendrement, Le doneur ne s'engendre pas:il bourgeonne à partir de chacun de ses segments. Onpeut spéculer sur la richesse de ces branchements végé­taux qui résolvent en effet route sexualité œdipienneau profit d'un sexe « non humain », d'un sexe par conti­guïté et démultiplication immédiate - il reste qu'il nes'agit plus du phantasme de s'engendrer soi-même. LePère et la Mère ont disparu, non pas au profit d'uneliberté aléatoire du sujet; au profit d'une matrice appe­lée code, Plus de mère, plus de père une matrice.Et c'est elle, celle du code génétique, qui «enfante»

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désormais à l'infini sur un mode opérationnelde tOute sexualité aléatoire. expurgé

. . ~Ius de sujet non plus, puis ue la réd . .Iden.tJtalre mer fin à sa division. Leqstade cl LlP.JlC~tlOna~oll dans le clonage, ou plutôt il y est com~~lroJr e~tcl une façon monstrueuse. Le clona e . parodIénon plus, et pour la même raison d~ rê~: tCtlC?t fJ~net n~rc,issique de projection du' sujet dan~:emonaJ~go Ideal, car cette projection passe encore pn alter

~:;:r~o: celle, dans le miroir: où le sujet s'alièn:r

~:;se voit uv:; ou celle,. séd~ctnce et monelle, où le ~ujet

po y moune. Rlen de tout cela dans 1 1na~e..Plus de medium, plus d'image _ 1 e ~ 0­

objet mdusrriel n'est le miroir de l'~; p.lIS qu u~lui succède dans la série. L'Un ' ce ~J, l .entlqu~, qUI

idéal ou mortel de l'aurre ils n est JamaiS le mlrag~,tionner et s'il; ne ' ne peuve?~ que s'addl_

quys ~'Ont pas été e~::~~:s ~~:e~;:~:~lto:~e:~ ;~estnaIssent pas la mort. n-

a dans I:esneG:'agit même pas de gémellité, car il ys é 'fi emeaux ou les Jumeaux une propriétéJe~~ ~ue, et u.ne fascination particulière, et sacrée du

, e ce qUI est deux d'emblée, et n'a jamais ét/uAllors que le clonage consacre la réitération du mA n:

+l+l+l,etc. eme.

Ni enfant, ni jumeau ni reflet "c.lone est la matérialisation d'u double nafCls~lque: ~e~lque., c'~st-à-djre l'abolition de taure a1t:r~:éVeOtl~ gene~Imagmalre. Laquelle se confond " . e tout

dsexua~iré. Apothéose délirante d'~v:; ~e~~o:~moI~ de lauetnce. gle pra-

. . Un segment n'a pas besoin de médiation imagmalre pOut se reproduire, pas plus que le ver d~

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terre: chaque segment du ver se reproduit directementcomme ver entier, tout comme chaque cellule dup~DG américain peut donner un nouveau P-DG. Toutcomme chaque fragment d'un hologramme peut redeve­nir matrice de l'hologramme complet: l'informationreste entière, avec peut-être une moindre définition,dans chacun des fragments dispersés de l'holo­gramme.

C'est ainsi qu'on met fin à la totalité. Si tourel'information se retrouve en chacune de ses parties,l'ensemble perd son sens. C'est aussi la fin du corps,de cette singularité appelée corps, donc, le secret estjustement qu'il ne peut être segmenté en cellules addi­tionnelles, qu'il est une configuration indivisible, cedont témoigne sa sexuation (paradoxe : le clonage vafabriquer à perpétuité des êtres sexués, puisque sem­blables à leur modèle, alors que le sexe devient patlà même une fonction inutile - mais justement lesexe n'est pas une fonction, c'est ce qui fait qu'uncorps est un corps, c'est ce qui excède toutes lesparties, toutes les fonctions diverses de ce corps). Lesexe (ou la mott : dans ce sens c'est la même chose)est ce qui excède toute l'information qui peut êtreréunie sur un corps. Or, toute certe information estréunie où ? Dans la formule génétique. Voilà pourquoicelle-ci doit forcément vouloir se frayer une voie dereproduction autonome, indépendante de la sexualitéet de la mort.

Déjà la science bio-physio~anatomique, par sadissection en organes et en fonctions, entame le proces­sus de décomposition analytique du corps, et la géné­tique micromoléculaire n'en est que la conséquencelogique, mais à un niveau d'abstraction et de simulation

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bien supérieur, celui, nucléaire, de la cellule de comman_dement, celui, directement, du code génétique, autourde laquelle s'organise toute cette fantasmagorie.

Dans la vision fonctionnelle et mécaniste, cha~que organe n'est encore qu'une prothèse partielle et dif_férenciée simulation déjà, mais {( traditionnelle ».

Dans la vision cybernétique et informatique c'est leplus petÎt élément indifférencié, c'est chaque celluled'un corps qui devient une prothèse « embryonnaire»de ce corps. C'est la formule génétique inscrite enchaque cellule qui devient la véritable prothèse modernede tous les corps. Si la prothèse est communément unartefact qui supplée un organe défaillant, ou le prolon_gement instrumental d'un corps, alors la moléculeADN, qui enferme toute l'information relative à Uncorps, esr la prothèse par excellence, celle qui va per­mettre de prolonger indéfiniment ce corps par lui-même- lui-même n'étant plus que la série indéfinie de sesprothèses.

Prothèse cybernétique infiniment plus subtile,et plus artificielle encore que toute prothèse mécanique.Car le code génétique n'est pas «naturel»: commetoute partie abstraite d'Un tOUt et autonomisée devientprothèse artificielle qui altère ce tout en s'y substituant(pro-thésis : c'est le sens étymologique), on peut direque le code génétique, où le tout d'un être prétend secondenser parce que toute 1'« information» de cetêtre y serait enfermée (c'est là l'incroyable violence dela simulation génétique), est un artefact, une prothèseopérationnelle, une matrice abstraite, dom VOnt pouvoirprocéder, non plus même par reproduction, mais parpure et simple reconduction, des êtres identiques assi­gnés aux mêmes commandements.

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Mon patrimoine génétique a été fixé une foi~« 1 t'un certain spermatozoïde a rencontr

pour tout~s :;:~~. Ce patrimoine comp.orte, la r~ce~te,un certain bio-chimiques qUI mont realtsede toUS les processus t' nement. Une copie de cetteet qui ass~rent. m:;: jon; ton e des dizaines de milliardsrecette est Inscrt~e me n~o~s~~;u~nt aujourd'hui. ~hacunede cellules qUI fi b . uer' avant d'etre uned'elles sait comm.

entm~ a :/~ang' elle est une cellule

cellule de mon ~te o~h'or';:ement possible de fabriquerde moi. Il es! o~c ~ 1 . 'partir de l'une d'elles. »un individu tdentlque ~ mOl a

. (professeur A. Jacqua~o·~c le dernier stade de l'histoireLe clonage est . , éduit à sa far-

de la modél~sation d,u ,c~rp:, cl::~~i~;dur est voué à lamule abstra't~ et ,g.enetlquf~udrait reprendre ici ce quedémultiplicatlO~ ser~el~e. Il l'œuvre d'art à l'ère de saWalter Benj~mm d's~'t de . est rdu dans l'œu­reproductibilIté tech~q~e. C~e~u~on a:a, cette qualitévre sét.iellemen~. r~pr ;~i~t~nant, sa forme esthétiquesingulièr:, de 1 ICI et ravant dans sa qualité esthétique(elle a deJa. perdu aupa li nd selon Benjamin, danssa forme. n~u:lle), et e

de prerod~ction, une forme poli­

s~n deStlO 1O.elucta:l~u~ ;~t l'original, que seule unettque. Ce qUI est PI' et tétrospective peuthistoire. elle~même ~o:~at;~~~~ue ». la forme la plu~recons,t1tuer com:~erne de ce déroulement et que I~Iavancee, la plus ." la hoto et les mass-mediadécrivait da.ns le C1ne~:, où f,origi~al n'a plus mêmecomcmporalOs, .est cel h ont d'emblée conçuesjamais Ii.eu, pUIsqueele:~u~:~~ns illimitée.en fonctl?n de leur. r p arrive non plus seulement au

C est ce qUi nous. u niveau des individus avecniveau des messages, maIs a

l49

Page 73: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

l~ clonage, En fait,c'e:t ce qui arrive au corps lorsqu'iln est pl~,s conçu ~U1~meme que comme message, comme~tock d l,nforma~iOn et ~e messages, comme sUbstance1~~Orm~tlque, RIen ne s oppose alors à sa teproductibi_!lte sénelle ?ans ,les mê.mes termes dom use Benjamin~ur les objets mdustrlels et les images mass-media_tlqu~s. Il y ,a pr~cession de la reproducrion SUt la pro~ductlon, ptecessiOn du modèle génétique sur tous 1corps possib,les. C'est l'irruption de la technologie q:~com,ma~de ~ ~e ~en~~:semem, d'une technologie queBenjamin de~nvalt deJa dans ses ultimes conséquences,comr:ne medIUm total, mais encore à l'ère industrielle-:-- g,lgantes~~e prot~èse q,ui commandair à la générationd ,o~Jets ~t d ~mages l~entlques, que rien ne pouvait plus~lfferencler,l une de 1autre - et sans concevoir encore1a~profondIssement contemporain de cette technologiequ~, rend, pos~ible,la g~nér~tion d'êtres identiques, sansgu d pUisse erre lamaIS faIt retour à un être originel.les prothèses de l'âge industriel SOnt encore externeseXQtechnJques, celles que nous connaissons se SOnt rami~~~es et intériorisées : éJQtechniques, Nous sommes àl age des rechnologies douces, software générique etmental.

Tant que les prothèses du vieil âge d'or indus­triel étaient mécaniques, elles faisaient encore retoursur le corps pour en modifier l'image _ elles-mêmesrévetsib~emen~, étaient métabolisées dans l'imaginaire:e,~ ce merabohsme technologique faisait aussi partie delimage du corps. Mais quand on atteint un paine denon~retour (dead-line) dans la simularion, c'est-à-direquand la prothèse s'approfondit, s'intériorise, s'infiltreaU,cœur"anonyme et micro-moléculaire du corps, lors­qu eUe s Impose au corps même comme modèle « origi-

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1" brûlanr toUS les circuits symboliques ,ultérieurs,~:ut ~orps possible n'étanr que sa répé,titi~n Immuable,alors c'est la fin du corps, de so~ hlsto~re, et de sespéripéties, l'individu n'est plus qu un,e ~e~asta~e cancé­reuse de sa formule de base, Tous les IOdlVldus ISSUS, parclonage de l'individu X sont-~ls a~tre c~ose gu ~ne

étasrase cancéreuse - prolifératIOn dune meme:l\ule telle qu'on peur le voir dans le cancer? Il Y,a

ne relation étroite entre l'idée directrice du code géne­~ique er la pathologie du cancer: le code désigne le pluspetit élément simple, la formule minimale à laquelleon peur réduire l'individu en~ier, ct tel qu'il ne peur,quese reproduire idemique à lUI-même. Le cancer déslgn,ela prolifération à l'infini d'une cellule de base sans conSi­dération des lois organiques de l'ensemble. Il en est demême dans le clonage: rien ne s'oppose plus à la recon­ducrion du Même, à la prolifération sans frein d'u~e

seule matrice, Jadis la reproducrion sexuée s'y opposaItencore, aujourd'hui on peut enfin isoler la marrice géné­rique de l'idemité, et on v~ P?u:oir éliminer tou;es ~espéripéties différemieHes qUI falsalem le charme alearOlredes individus,

Si routes les cellules som conçues d'abordcomme récepracle d'une même fotmule génétiq~e, ~~e

som-elles d'aurre - non pas seulemem toUS les IOdIVI­dus identiques, mais toutes les ceHules d'un même indi­vidu _ que l'extension cancéreuse de cette formule debase? La métastase commencée avec les objets indus­triels finit dans l'organisation cellulaire, Inurile de sedemander si le cancer est une maladie de l'ère capitalisee.C'est en effet la maladie qui commande route la parho­logie comemporaine, parce qu'elle est la forme ~ême

de la virulence du code : redondance exacerbee des

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Page 74: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

mêmes signaux, redondance exacerbée des mêmes cel_lules.

La scène du corps change au fil d'une « progres_sion» technologique itréversible: du bronzage par lesoleil, qui correspond déjà à un usage anificiel du milieunaturel, c'est-à-dire à faire de celui-ci une prothèse ducorps Oui-même devenant corps simulé, mais où esc lavérité du corps ?) - au bronzage domestique par lalampe à iode (encore une bonne vieille technique méca_nique) - au bronzage par la pilule et les hormones (pro­thèse chimique et ingérée) - et pour finir au bron_zage par intervention sur la formule génétique (stadeincompamblemenr plus avancé, mais prothèse quandmême: simplemenr elle est définitivement intégrée, ellene passe même plus ni par la surface, ni par les orificesdu corps), on passe par des corps différents. C'est leschéma d'ensemble qui est métamorphosé. La prothèsenaditionnelle, qui sere à la réfection d'un organedéfaillant, ne change rien au modèle général du corps.Les greffes d'organes SOnt encore de cet ordre. Mais quedire de la modélisation mentale par les psychotropes etles drogues? C'est la scène dit corps qui en esr changée.Le corps psychorropique est un corps modélisé «del'intérieur », sans plus passer par l'espace perspectif dela représentation, du miroir et du discours. Corps silen­cieux, mental, déjà moléculaire (et non plus spéculaire),corps métabolisé directement, sans l'intermédiaire del'acte ou du regard, corps immanent, sans altérité, sansmise en scène, sans rranscendance, corps voué aux méta­bolismes implosifs des flux cérébraux, endocriniens,corps sensoriel, mais non sensible, puisque connectésur ses seuls terminaux iorernes, cr non sur des objetsde perception (ce pOut quoi on peur l'enfermer dans une

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. . «blanche », nuUe, il suffit de le déconnectersensonallté , .'. sensorielles sans toucher aude ses profr'7 extre~l~~rps homogè~e déjà, à ce stademonde ~~I ,1 ent~ur d~ malléabilité mentale, d~ psycho­de p~asuclte tactl.le'utS roche déjà de la mampulationtrOpisme toUS az~~ , ~'est-à-dire de la perte absoluenucléaire et génetlque, présentation possible, ni pourde l'image, ~or~su;a;~x~~êmes, corps énucléés de leurles autres, nl P ar transfigurarion dans une f~rmuleêrre ,e~ de leur se:~ pmouvance bio-chimique poInt degéneuque ou Ph' d' e technologie devenue ellenon-retour, apot case ~n

aussi interstitielle et moleculaire.

NOTE

Il jaut cOI/sidérer que la prol~jér~~ùm d:c:;;:e g~~é;;;~~une dhobéijj~nce silencieise tu

.x m:;:~:o:~ston nucléaire injor­

Le ~ancer, s'tl ~est da~s ~s o~~qu~t ausst l'excroijJan~ mom­manque des e~res. vIVa:i; u'if mène à la dhinjorntatton, ~o~aletrlleuse et la negat.ton, p hql ie "révolutionnatrt» de déltalJonet à l~ désagrét.atlO~. Pat o. oZ . . Fictions (" Notes synop­organtque, diratt ~tchard [1:1~:(,.;~,;») Délire entropi.que destiqfles. à prop~s. d un -ia ~guentropie des systèmes mjorma­rw.ganmne.r, ~es1Jtant a ~ e con ·oncture que celle des masses/tonne/:;: (C est la .mem .a/~ strueturées : les maHtJ so~tvis-à-VIS des jonnatlons SOCt , 11 delà de toute organiatéelles dUHi des métaudIes cancereuses a -

sociale.) ~ ur le clonage: if est à Id foisL'ambigt~né est la t~u:s;te :lreetrice, celle du code et. de

le triompke d un~ .hypo une distorsion excentrique qz:t en.l'injormatton génetlque, et d'ailleurs vraisemblable (ma.1S Ctel

détruit. Id c~hérence. h~I e.ff juture) que même le «Jumeaueu lamé a une .1StoI~ identique à son géniteur, ne seraclollique» ne sera jamd/S p qu'il y en aura eu unjd1naù le mime, ne jlit-ce que arce

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alllre avant Illi IlgéT/étique l'a",'; rha;;/:a6~n~:II;:tI ~~'en ~IJi-même le COt4malgré lout un être différ . 'J d Interferences en fibleuJ de Jon père r . ~ntJ qlll aura 10ul juJte L cronef1M doniqlle aur.' e qUI. rre.rt pal nOUVeau. El l'ex ér~J yeuxJibi~ité radiraie ;e a:~aZ~;;~eu l'avantage de démont!:r ;~~rrla_de 1In/ormalion et du rode. un proCeJJuJ par la Jeule maÎ~~~;

Hologrammes

C'est le phantasme de saisir la réalité sur levif qui continue - depuis Narcisse penché sur sasource. Surprendre le réel afin de l'immobiliser, sus­pendre le réel à l'échéance de son double. Vous vouspenchez sur l'hologramme comme Dieu sur sa créature:seul Dieu a ce pouvoir de passer à travers les murs, àtravers les êtres, et de se retrouver immatériellementau-delà. Nous rêvons de passer à travers nous-mêmeset de nouS retrouver au-delà: le jour où votre doubleholographique sera là dans t'espace, éventuellementmouvant et parlant, vous aurez réalisé ce miracle. Biensûr, ce ne sera plus un rêve, donc le charme en sera

perdu.Le studio de télé vous ttansforme en person-

nages holographiques : on a l'impression d'être maté­rialisés dans l'espace par la lumière des projecteurs,comme des personnages translucides que traverse lamasse (celle des millions de téléspectaœurs) exactementcomme votre main réelle traverse l'hologramme irréel

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sans résistance - mais non s 'passée d~ns l'h~log~amme j'a rea~~U:oi~::~l~ence: d'être

lhallucmatlon est totale et ,. e elle aussi.ciname lorsque l'hologramme e :er~tablement fas_plaque, tel que rien ne vous e s~ proJet~ en avant de lap~~t~- ou cinématographi :e sep~~e (SIOOO ,l'effet resterenstlque du trompe-l'œil q )'. est aUSSl la carac_ture : au lieu d'un champ d:~~i~;fférenc~ a~ec la pein.dans une profondeur invers' p~ur 1cet!, vous êtesvous-même en point de fuit eCil iU1

vous tra~sformesaute ~ux yeux comme clans ~~'~a~ d:u: que le relIef VOuset du Jeu d'échecs Ccci d' "1' agan de tramway~'objers ou de formes ::'r~n;es<:e à tro~v~r quel type1holo~ramme n'a pas davanta e hologenlq.ues.'" carprodUJrc du cinéma 'd" . g pour dest.matlon deavait de reproduire dt~l t~;âet~;I::ncl que le cméma n'enles Contenus de la peinture. la photo de reprendre

Dans l'hologramme, c'est /' . "do~ble qui est, comme dans J'his ~ura Imaginaire duquee sans pitié. La similitude e tolre d.:s c1oncs, tta­rester, pour que puissent exi s,~ un. reve et doit leu~e, scène de l'imaginaire. IISt~: ~"lus.JOn ~inimale etcore du réel, du côté d l' aue JamaiS passer duà ~ui-même, du sujet à ~ui_:~cte ressemblan,~e du monderait. fi ne faut jamais p.1.SSe~ed~ar~alors limage dispa­alors la relation dueHe dis ~ coté du double, carséducti~n. Or, avec l'halo :;:~~ er avec elle touteclone, c est la tentation inver~e e, c~m~e avec led.e la fin de l'illusion, de la scè~:t la fasclOatlon inverse,tian matérialisée de tout j" fi ,du.secret, par projec­le sujet, par transparence emalt~r7;i:~:lOn disponible sur

A~rès le phantasme de s '.photo) Vient celui de pouvoir f:ir:Olte (~:u~idrojr, ~a• e SOI-

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même, enfin et surtout celui de se ttaver;>.er, de passer9. (['avets son propre corps spectral - ct n lmp~rte quelobjet holographié eS( d'abord l'ectoplasme lumlOeux devoue propre corps. Mais ceci est en quelque sorte lafin de t'esthétique et le triomphe du medium, exacte­ment comme dans la stéréophonie qui, à ses confinssophistiqués, mct proprement fin au charme et à l'in­

telligence de la musique.L'hologramme n'a justcment pas t'intelligence

du trompe-l'œil, qui est celte de la séduccion, de tou­jours procéder, selon la règle des apparences, parallusion et ellipse de la présence. Il verse au contrairedans la fascinacion, qui est ceUe de passer du côté dudouble. Si t'univers est, selon Mach, ce dont il n'y apas de double, pas d'équivalent en miroir, alors noussommes déjà, avec t'hologramme, virtuellement dans unauue univets ; qui n'est que l'équivalent en miroir de

celui-ci. Mais quel est cetui-ci ?L'hologramme, celui dont nous avons toujours

déjà rêvé (mais ceux-ci n'en sont que de pauvres bri­colages) nous donne t'émoi, le vertige de passer det'autre côté de notre propre corps, du côté du double,clone lumineux, ou jumeau mort qui n'est jamais néà notre place, et veille sur nouS par anticipation.

L:hologramme, image parfaire et fin de l'imagi­naire. Ou plutôt, ce n'est plus une image du (ou( - levrai medium est le laser, lumière concentrée, quintessen­ciée, qui n'est plus une lumière visible ou réflexive, maisune lumière abstraite de simulation. Laser/scalpel. Chi­rurgie lumineuse dom l'opération est ici celle du dou­ble: on vous opère de voue double comme on vousopérerait d'une tumeur. Lui qui se cachait au fond de

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vous (de votre corps, de votre inconscient ?) et dontla forme secrète alimentait précisément votre imagi_naire, à condition de rester secrète, on l'extrait parlaser, on le synthétise et on le matérialise devant voUs,tel qu'il vous est possible de passer à travers et au-delà.Moment historique: l'hologramme fait désormais partiede ce «confort subliminal» qui est notre destin, de cebonheur désormais voué au simulacre mental Ct à laféerie environnementale des effets spéciaux, (Le social,la fantasmagorie sociale n'est plus elle-même qu'uneffet spécial, obtenu par le design des faisceaux de par­ticipation convergents sous vide à l'image spectrale dubonheut collectif.)

Ttidimensionnalité du simulacre - pourquoi lesimulacre à trois dimensions serait-il plus proche duréel que celui à deux dimensions? Il se prétend tel,mais son effet, paradoxal, est inversement de nousrendre sensible la quatrième dimension comme véritécachée, dimension secrère de toute chose, qui prendtout d'un coup la force de l'évidence, Plus on s'appro­che de la perfection du simulacre (et ceci est vrai desobjets, mais aussi bien des figures de l'art ou desmodèles de relations sociales ou psychologiques) plusapparaît à l'évidence (ou plutôt au malin génie de l'in­crédulité qui nous habite, plus malin encore que lemalin génie de la simulation) ce par quoi toute choseéchappe à la représentation, échappe à son propre dou­ble et à sa ressemblance. Bref, il n'y a pas de réel :la troisième dimension n'est que l'imaginaire d'unmonde à deux dimensions, la quattième celle d'un uni­vers à trois dimensions.,. Escalade dans la productiond'un réel de plus en plus réel pat addition de climen-

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. Mais exaltation par comre-coup dusions :~~~:s~~::rse : seul est vrai, seul est vr~imem~~~~sant cc qui joue avec une dimensiO~e~:t~o:'~:Hu_

De toute façon, cett~ course au r d un ob"etcinarion réaliste est sans Issue car, qU~ln l'est plas

mblable à un autre, 1 ne ,.est exactem~nt, se eu lus. Il n'y a jamais de Slml-exactement, tl 1est u~.f n' Pa d'exactitude, Ce qui est

litude, p~ ,~l~~opq~:act, ~eul est exact ce qui s'ap~ro­exact est ;J., rétendre. C'est un peu du memeche de l:r:~~::ta;~: ra formule qui dit que: lorsqueordre ~oules de billard rouleor l'une vers 1aurr~, l~deux ., l'avant la seconde, ou bIen.premlcre rouc?e aU;::nr d'en être muchée. Ce qui~'un.e toUC~~i ~~u~emême pas de simultanéité possiblelOdlqu~ ~~e du

Ytemps, et de la même faço~ pas de

d.an~l"~ Ode possible dans l'ordre des figures. Rien ne seSlml 1 u la re roduction holographique, commeressembl~".e~ de sy~thèSe ou de résurrection exa~te ?Uroute ve elte A l'ex érimeoration sCientlfi-réel (ceci vaut meme pour Pd'" h

1Jperréelle

) n'est déjà plus réelle, elle est eJa J, ,.,'

que, , donc 'amais valeur de reproduction (de vetlte~,Elle na J,., 'mulation Non pas exacte, maismais toujours deJa de SI , ~ -d' e déjà de l'autred'une vérité outrepassée, c est-a. Ir l' Aé de

côté de la vérité. Que se p~:s~~;~:~ 1a~x a~:~s ~~~s ce

la :érité'lnon p~q~:nl: C:r~ plus réel qu~ le réel? Des

qUi est p us vra , T bien pluseffets insolites certaineme;t,1et ?~C~l :~:s'sa négationdestructe~rs pour. l'ord,r,e :t am::;;rière de la poten­p,ur~. ~Ulssance s.mgult:re tcnrialisation du réel. C'esttlalJsaAtion du vra~i 1e

es 'u:aux étaient déifiés, et. sacri­

peut-erre pourqu JI vage' l'hypersimilitudefiés, dans plus d'une cu ture sau .

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Page 78: Baudrillard, Jean - Simulacres Et Simulations

équivalait à un meurtre de l'original, et donc à un purnon-sens, N'importe quelle classification ou significa_tion, n'importe quelle modalité de sens peut ainsi êtredétruite par simple élévation logique à la puissance X- poussée à !a limite, c'est comme si n'importe quellevérité avalait son propre critère de vérité comme on« avale son bulletin de naissance» et perdait tout sonsens: ainsi le poids de la terre, ou de l'univers, peutêtre éventuellement calculé en rermes exacts, mais ilapparaît immédiatement absurde, puisqu'il n'a plus deréférence, plus de miroir où venir se réfléchir - cetteroralisation, qui équivaut assez bien à celles de toutesles dimensions du réel dans son double hyperréel, ou àcelle de toute l'information sur un individu dans sondouble génétique (clone), le rend immédiatement pata­physique. L'univers lui-même, pris globalement, est cedont il n'est pas de représentation possible, pas decomplément en miroir. possible, pas d'équivalence ensens (il est aussi absurde de lui donner un sens, un poidsde sens, que de lui donner un poids tout court), Le sens,la vérité, le réel ne peuvent apparaître que localement,dans un horizon restreint, ce som des objets parriels, deseffets partiels de miroir et d'équivalence. Tour redou­blement, toute généralisation, rout passage à la limite,toute extension holographique (velléité de rendrecompte exhaustivement de l'univers) les font surgir dansleur dérision,

Vues sous cet angle, même les sciences exactesse rapprochent dangereusement de la pataphysique.Car elles tiennent quelque part de l'hologramme et dela velléité objectiviste de déconstruction et de recons­truction exacte du monde, dans ses moindres termes,fondée sur une foi tenace er naïve en un pacte de simi-

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litude des choses à elles-mêmes. Le réel, l'objet réel estcensé être égal à lui-même, il est censé se ressemblercomme un visage à lui-même dans un miroir - et cettesimilitude virtuelle est en effet la seule définition duréd - et toute tentative, dont celle holographique,qui s'appuie sur elle, ne peut que manquer son objet,puisqu'eHe ne tient pas compte de son ombre (ce parquoi précisément il ne se r~ssemble pas à lui-même),de cette face cachée où l'objet s'abîme, de son secret.Elle saute littéralement par-dessus son ombre, et plonge,pour s'y perdre elle-même, dans la transparence.

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Crash

Dans la perspective classique (même cyberné­tique), la technologie est un prolongement du corps.Elle est la sophistication fonctionnelle d'un organismehumain, qui permet à celui-ci de s'égaler à la nature etde ['investir triomphalement. De Marx à MacLuhan,même vision instrumentalisee des machines et du lan­gage: ce sont des relais, des prolongements, des media­médiateurs d'une nature idéalement destinée à devenirle corps organique de l'homme. Dans cerre perspectÎve« rationnelle ", le corps lui-même n'est que medium.

A ['inverse, dans ia version baroque et apocalyp­tique de CraJh 1, la technique est déconstruccion mor­reHe du corps - non plus mediwn fonctionnel, maisextension de mort, - démembrement et morcellement,non dans l'illusion péjorative d'une unité petdue dusujet (qui est encote l'hotizon de la psychanalyse), mais

L J. G. Ballard, Crash, Paris, Call1lann-Lévy, 1974.

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dans la vision explosive d'un corps livré aux « blessuressymboliques", d'un corps confondu avec la technologiedans sa dimension de viol et de violence, dans la chi­rurgie sauvage et continuelle qu'elle exerce: incisions,excisions, scarifications, béances du corps, dont la plaieet la jouissance « sexuelles ,) ne sont qu'un cas particu_lier (et la servitude machinale dans le rravail, la carica_ture pacifiée) - un corps sans organes ni jouissanced'organe, tout entier soumis à la marque, au découpage,à la cicatrice technique - sous le signe étincelant d'unesexualité sans référentiel et sans limites.

Sa mort et sa mutilation se métamorpho­saient par la grâce d'une technologie éclatée en unecélébration de chacun de ses membres et des pers­pectives de son 1Jisage, du grain de sa peau et deses attitudes.. Chacun des spectateurs sur lethéâtre de la collisiorl emporterait l'image d'uneviolente transfiguration de cette femme, d'untiseau de blessures où sa sexualité et la sciencedure de l'automobile s'enchevêtraient. Dans sapropre voiture, chacun plaquerait ses phantasmessur les plaies de la vedette; chacun caresserait sestendres muqueuses et ses chairs érectiles, tout enadoptant pour conduire un pot-pourri d'attitudesstylisées. Chacun poserait ses lèvres sur ces fentesensanglantées, { ..} presserait ses paupières contreles tendons déchirés de l'index, frotterait le filetde sa verge aux parois herniées du vagin. L'acci­dent de la route avait enfin rendu possible laréunion tant attendue de la vedette et du public.(P. 215.)

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La technique n'est jamais saisie que dans l'acci­dent (automobile), c'est-à-dire dans la violence faite àelle-même et dans la violence faite au corps. C'est lamême: tout choc, tout heurt, tout impact, toute lamétallurgie de l'accident se lit dans une sémiurgie ducorps - non pas une anatomie ou une physiologie,mais une sémiurgie de contusions, de cicatrices, demutilations, de blessures qui sont autant de sexes nou­veaux ouverts sur le corps. Ainsi s'oppose à la compila­tion du corps comme force de travail dans l'ordre de laprodUCtion la dispersion d~ corps comme anagrammedans l'ordre de la mutilatlon. Finies les «zones éro­gènes» : tout devient trou pour s'offrir à I~ ~~ch~rge

réflexe. Mais surtout (comme dans la torture 101tlatlqueprimitive, qui n'est pas la nôtre), tout le corps devientsigne pour s'offrir à l'échange des signes du corps.Corps et technique diffractant l'un à travers l'autre deleurs signes éperdus. Abstraction charnelle et design.

Pas d'affect derrière tout cela, pas de psycholo­gie, pas de flux ni de désir, pas de libido ni de pulsionde mort. La mort est naturellement impliquée dans uneexploration sans limite de la violence possible faite aucorps, mais ceci n'est jamais, comme dans le sadismeou le masochisme, une visée expresse et perverse deviolence, une distorsion de sens et de sexe (par rapportà quoi ?). Pas d'inconscienr refoulé (affects ou repré­sentations), sinon dans une seconde lecture qui réin­jecterait là encore du sens forcé, sur le modèle psycha­nalytique. Le non-sens, la sauvagerie de cette mixturedu corps et de ia technique est immanente, elle estréversion immédiate de l'une dans l'autre, et de cecirésulte une sexualité sans antécédent - sorte de vertigepotentiel lié à l'inscriprion pure des signes nuls de ce

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corps. Rituel symbolique d'incisions et de marquescomme dans les graffiti du métro de New York '

,":utre po.im comm.un : on n'a plus affai~e, dansCr~Jh, a des sIgnes aCCidentels qui n'apparaîtraientqu aux marges du système. L'Accident n'est plbricolage interstitiel qu'il est encore dans l'accide~: ~ela route - bricolage résiduel de la pulsion de mor:pour ,les no~vel1e,s c1ass~s de loisir. ,La bagnole n'estp~s 1append,JCe. d un u~lvers domestIque immobile, iln y a plus d u~lvers privé et domestique, il n'y a plusque les figures IOcessantes de la circularion, et l'Accidente,st parto,ut, figure élémentaire, irréversible, banalité de1anomalte de la mort. Il n'est plus à la marge, il est aucœur. Il n'est plus l'exception d'une rationalité rriom­p~ale, i~ est devenu la Règle, il a dévoré la Règle. Iln est meme plus la «part maudite ", celle concédéeau destin par le système lui-même, et incluse dans soncalcul général. Tout est inversé, C'est l'Accident quidonne form~ à la vie, c'est lui, l'insensé, qui est leJexe,de la VJ~, Et l',aut~mobile, la sphère magnétiquede 1automobile, qUi fiOlt par investir l'univers entier deses tunnels, ses autoroutes, ses toboggans, ses échan­geurs, de son habitacle mobile comme prototype uni­versel, n'en est que la métaphore immense,

Plus de dysfonction possible dans un universd,e l'~ccident - donc plus de perversion non plus.LAcCident, comme la mort, n'est plus de l'ordre du~évroti.q~e.' du refoulé, du résidu ou de la transgression,JI est IOltlateur d'une nouvelle manière de jouissance~on perve:Je (contre l'auteur lui-même, qui parle enIntroduction d'une nouvelle logique perverse il fautrésis{Cr à la tentation morale de lire CraJh' commeperversion), d'une réorganisation stratégique de la vic

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à parrir de la morc. Mort, bless~res, mutilations ,.nesont plus méraphores de la castration, exactement 110­verse, _ même plus l'inverse. Seule est per~erse lamétaphore fétichiste, la séduc~ion par modele,. parfétiche interposé, ou par le medium du langage, ICi, la

art et le sexe sont lus à même le corps, sans phan­:sme, sans métaphore, san~ p~r~se ~. à la ,différencede la Machine de La Colome pemtenttatre, ,ou l~ cor~s,dans ses plaies, n'est encore que support dune IOSCtlp­tian textuelle, Aussi l'une, la machine de. Ka.fka, estenCore puritaine, répressive, «machine signifiante»dirait Deleuze, alors que la technologie de Crash estétincelance, séductrice, ou mate et innocente. Séductrice'parce que dénuée de sens, et simple ,miroir des c?r~sdéchirés. Et le corps de Vaughan est a son rour miroirdes chromes (Ordus, des ailes froissées, des tôlessouillées de sperme. Corps cr technologie mêlés, séduits,

inextricables.

Vaughan a obliqué verJ l'aire d'une Jtation­Jervice dont l'emeigne au néon a projeté unebrève lueur écarlate Jur ceJ photoJ traméeJ de bleJ­JureJ effroyableJ : seim d'adoleJcenteJ déforméJpar la planche de bord, ablations partielleJ deJein... mamelom Jectionnés par le sigle dlun com­tructeur ornant un tableau de bord, blmures géni­taleJ caméeJ par deJ gaines d'arbreJ de direïtion,par deJ pare-briJe (durant éjectio~) ... DeJ phot~sde verges mutiléeJ, de vulves entadlées et de teJtt­culeJ écraJéJ défilaient JOUJ meJ yeux à la lueurcrue du néon.,. PluJieurs de ceJ documentJ étaient

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complétés par une reproduction en gros plan del'élément mécanique ou ornemental qui avait Causéla b/mure. La photographie d'une verge fourchles'accompagnait d'un encart représentant un freinà main. Au-ckJSus d'un gros plan de vulve machu~rie on voyait l'image d'un moyeu de volant décoréde l'emblème du constructeur. Ces rencontres desexes déchirés et de sections de caisse ou de plan­ches de bord formaient de troublants modules, leIunités monétaires d'une circulation nouvelle de ladouleur et du désir. (P. 155.)

Chaque marque, chaque trace, chaque cicatricelaissée sur le corps est comme une invagination artifi_cielle, telles les scatifications des sauvages, lesquellessont toujours une téponse véhémente à l'absence decorps. Seul le corps blessé symboliquement existe- pour soi et pour les autres - le « désir» « sexuel»n'est jamais que cette possibilité qu'Ont les corps demêler et d'échanger leurs signes. Or, les quelques orificesnaturels auxquels on a COutume de rattacher le sexe etles activités sexuelles ne SOnt rien auprès de toutes lesblessures possibles, de tous les orifices artificiels (maispourquoi « artificiels» ?), de toutes les brèches par oùle corps se réversibilise er, comme certains espaces topo­logiques, ne connaît plus ni d'intérieur ni d'extérieur. lesexe tel que nous le concevons n'est qu'une définitioninfime et spécialisée de toutes les pratiques symboliqueser sacrificielles auxquelles un corps peur s'ouvrir, nonplus par la nature, mais par l'artifice, par le simulacre,par l'accident. le sexe n'est que cette raréfaction d'unepulsion appelée désir sur des zones préparées à l'avance.

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dé assé par l'éventail des blessuresIl est ~argeme:~ est ~n quelque sorte l'anagram~atisa­symbohques, s~r toute l'étendue du corps - mais alors~ion du sexe n'est lus le sexe, c'est autre ch.o~e" ~:jUsteme.nt ,cet ue l'fnscription d'un signifiant pnv~leglesexe, lUi, n es qmar ues secondaires _ rien aupres deet de que~ques . lesqsignes et blessures dont le corps estl'échange e toliSva es savaient utiliser à cette fin toutcapable. Les :a~e t~touage, le supplice, l'injtia~ion. Lale cor~s, d~~. u'une des métaphores pOSSibles des~~~~~tée ~ ~~~li~ue, ni la plus significative, ni la plus1ec . ~ y mme eHe l'est devenue pour nous dans

~:e:~~~:~~: ~a~~sre et obsessionnelle, à for:e ~':~~e~~tian organique et fonctionnelle (y comptlsjouissance).

Là alors que nous roulionJ pour la pre-., fi'" 1 40 km/heure, Vaughan a

;~:~; s~tSd;gzud:u~ifices de la fille et, ~vota~tsur les hanches, l'a pénitrée. Lebs Plbla~es t d::~~

ées sur le toboggan YI aten .t:~: erg:~J le rétroviseur j'apercevais toujOU?~au .han et la fille. Leurs corps, illu.mi~és par, es

.g de la voiture qui nous JU1VaJt, se réj/é-pro;ecte.urs sur le coffre noir de la Lincoln et lesch.JSSate~ de l'intérieur. L'image du sein gau­d'hvd ~ YOfiite avec son mamelon dressé, ondu~ait~u~ 1: c:ndri:r. Des segments déformés des clttJSe~de Vaughan composaient avec le ve~tre de Îpartenaire une curieuse figure a~atll~q7; fisu

ne~

lissière de glace. Vaughan a msta ,~alifourchon sur lui, et de nouveau sa verge 1a

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pénétrée. Leur acte sexuel se réfléchissait en untriptyque sur les cadrans lumineux du compteurde vitesse, de la montre et du compte-tours ... Lavoiture suivait à 80 km/heure la pente du tobog­gan. Vaughan cambrait les reins et exposait lecorps de la fille à l'éclat des phares derrière nous.Les seins pointus luisaient dans la cage de verre etde chrome de l'auto qui prenait de la vitesse. Lesv~ole~tes convulsions pelviennes de Vaughan coïn­crdalent avec les flashes lu"ûneux des lampesancrées tous les cent mètres sur le bord de laroute . .. Sa verge plongeait dans le vagin, ses mainsécartaient les fesJeS et révélaient l'anus à la lueurjaune qui emplissait l'habitacle. (p, 164,)

Ici, tous les termes érotiques SOnt techniques.Pas de cul, de queue, de con, mais: l'anus, le rectum,la vulve, la verge, le coït. Pas d'argot, c'est-à-dire pasd.'intimité de la violence sexuelle, mais une langue fonc­tlonnelle: adéquation du chrome et des muqueusescomme ,d'une forme à une autre. Même chose pourla coïnCidence de la mort et du sexe : ils SOnt plutôtnappés ensemble dans une sorte de super-design tech­nique qu'articulés selon la jouissance. D'ailleurs il n'estpas question de jouissance, mais de décharge pure etsimple. Et le coït et le sperme qui traversent le livren'ont pas plus de valeur sensuelle que le filigrane desblessures n'a de sens violent, même méraphorique. Cene sont que des signatures - dans la scène finaleX estampille de son sperme les épaves de bagnoles. '

La jouissance (perverse ou pas) a toujours étémédiatisée pat un appareil technique, par une méca-

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nique, d'objets réels mais le plus souvent ~e ph~n­

tasmes - elle implique toujours une manipulationintermédiaire de scènes ou de gadgets. lei, la jouiss~nce

n'est qu'orgasme, c'est-à-dire confondue sur la memelongueur d'ondes avec la violence de l.'appareil tech~nique, et homogénéisé par la seule techOique, et celle-CIrésumée en un seul objet: ['automobile.

Nous étions pris dans un énorme embou­teillage. Du raccordement de l'autoroute et deWestern Avenue à la rampe ascendante du tobog­gan, toutes les voies étaient obstruées de. véhicu(es.Les pare-brise réfléchissaient les lueurs mcertamesdu soleil qui descendait au-delà des faubourgs àl'Ouest de Londres. Les stops brûlaient dans l'airdu soir comme des feux dans une immense plainede corps cellulosiques. Vaughan avait passé unbras par la portière et tambourinait impatiemmentcontre le panneau. La haute muraille d'un autobusà impériale sur notre droite nous donnait timpres~sion d'une falaise de visages. Les passagers qUinous regardaient derrière les vitres évoquaient lesalignements de morts d'un colombarit/.m. Toutel'incroyable énergie du xx' siècle, suffisante pournous catapulter en orbite autour d'u~ ast~e plusclément, se consumait en vue de mamte'ntr cettestase universelle. (P. 173.)

Autour de moi, sur toute la longueur deWestern Avenue, sur tous les couloirs du tobog­gan, l'immense embouteillage provoq~é par l'ac­cident s'étendait à perte de vue. Et mot, debout aucœur de ce cyclone gelé, je me sentais complète-

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ment serein, comme si on m'avait enfin soulagé detoutes mes obsessions concernant ces véhiClIproliférant sans fin. (P. 178.) 't es

Pounant une autre dimension est inséparabledans C~ask de celles confondues de la technologie et dusexe (reu~les dans un travail de mort qui n'est jamaisu.n ,travaIl de deuil): c'est celle de la photo et ducmema..La ~urface brillante et saturée de la circulationet de 1aCCl~ent est sans profondeur, mais eUe seredouble tOujours dans l'objectif de la caméra de Vau­gh~n. Il srocke er thésaurise comme des fiches signa­létJ~~es les photos d'accident. La répétition généralede l evénement crucial qu'il fomente (sa mort automobile et .celle simultanée de la vedette dans un cho~avec .Elisabet~ Taylor, choc méticuleusement simuléet. mIS au pOint pendant des mois) se fait lors d'unep.nse de vue cinématographique. Cet univers ne seraitnen sans ce décrochage hyperréaliste. Le redoublementseul, le dépliement seul du medium visuel au seconddegré, peut opérer la fusion de la technologie, du sexeet d~ la m?rt. ~ais en fait, la photo n'est pas ici unmedl~m, ni de 1or~re de la représentation. Il ne s'agitp~s ~ une absrraccJOn «supplémentaire» de l'image,nI d une compulsion spectaculaire, et la position deVaugh~n n'est jamais celle du voyeur ou du pervers.La ~lllcule photographique (comme la musique transis­tonsee dans les automobiles et les appartements) faitpartie de la pellicule universelle, hyperréelle, métalliséee~ corporelle, de la circulation et de ses flux. la photOn est pas plus .un medium que la technique ou le corps- tous som simultanés, dans un univers où l'anticipa-

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tion de l'événement coïncide avec sa reproduCtion, voireavec sa production «réelle». Plus de profondeur dutemps non plus - tout com~e l~ p~ssé, le furu~ cess~à son wur d'exister. En fait, c est 1CCII de la camera qUIs'est substitué au temps, ainsi qu'à tout autre prof?o­deur, celle de l'affect, de l'espace, du langage. Il n estpas une autre dimension, il signifie simplement que cetunivers est sans secret.

Le mannequin était bien calé en arriè:e,son menton soulevé par l'afflux d'air. Ses mamsétaient liées aux commandes de l'engin commecelles d'un kamikaze, son torse était couvert d'ap­pareils de mesure. En face, tout aussi imp~ssiblesque lui, les quatre mannequins - l~ famtlle .­attendaient dans la voiture. Leurs vtJages étauntpeints de signes ésotériques. .

Un claquement de fouet a surprts nosoreilles: les câbles de mesure se déroulaient, pati­naient dans l'herbe à côté des rails. Dans uneexplosion métallique, la m.0to a heurté!'av~nt dela voiture. Les deux engins se sont deportes versle premier rang des spectateurs pétrifiés. Moto. etpilote ont volé sur le capot, gifant le pa~e-b~tSe,puis sont allés damer sttr le tOIt, masse nOIre ec/a­tée. La voiture a reculé de trois mètres sur seshaussières, achevant sa course en travers des rails.Le capot, le pare-brise et le toit avaient .été ~nfon­ds. A l'intérieur, les membres de la fallulle etaIentjetés pêle-mêle les uns ~u~ ~es ~utres. Le to~sesectionné de la femme jadlmatt du pare-brISeéclaté... Les tapis d'éclats de vitre autour de la

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voiture étaient cOnJtellés de copeaux de fibre deverre arrachés au visage et aux épaules du manne_quin, tels une neige argentée 0/1 des confettis maCa_bres. Hélène m'a pris le bras, comme on fait pOuraider un enfant à vaincre un blocage mental.{( Nous pouvonJ tout revoir sut' le système Ampex.Ils vont repasser l'accident au ralenti. » (P. 145.)

Dans Crash, toUt est hyperfonctionnel, puisquela circulation et J'accident, la technique et la mort, lesexe et la simulation SOnt comme une seule grandemachine synchrone. C'est le même univers que J'hyper­marché, où la marchandise devient « hypermarchan_dise ", c'est-à-dire toujours déjà prise elle aussi, et tOutel'ambiance avec elle, dans les figures incessantes de lacirculation. Mais en même temps, le fonctionnalisme deCrash dévore sa propre rationalité, puisqu'il ne connaÎtplus la dysfonction. C'est un fonctionnalisme radical,qui atteint ses limites paradoxales et les brûle. 11 rede­vient du coup un objet indéfinissable, donc passionnant.Ni bon, ni mauvais: ambivalent. Comme la mort ou lamode, il redevient du coup un objet de traverse, alorsque le bon vieux fonctionnalisme, même controversé,ne l'est plus du tOut - c'est-à-dire une voie menantplus vite que le grand chemin, ou menant là où le grandchemin ne mène pas ou, mieux encore, et pour parodierLittré sur un mode pataphysique, « une voie ne menantnulle parr, mais y menant plus vite que les autres ".

C'est ce qui distingue Crash de toute la science_fiction ou presque, qui tourne encore, la plupart dutemps, autour du vieux couple fonction/dysfonction,qu'elle projette dans le futur selon les mêmes lignes de

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e et les mêmes finalités qui sont ~elles de ,~'univets

forc 1 La fiction y dépasse la réalité (ou IlOvetSe),no

r.ma

e'lon la même règle du jeu. Dans Cra:h, pl~s dem

al.s

s . de réalité c'est l'hyperréalité qUI a~11t lesfiction ~~ lus de régression critique pOSSible. Cedeu~de :L:=n~ et commutant de simulatio~ :t de ~Ort,mamonde violemment sexué, mais sans deslr, ~le,tn dece violés et violents, mais comme neurr:alls:s, ce

::~~e chromatique et. mérallique in.ten~ m;:jsl ~~~ ::sensualité, hyperrechOlque san.s fin~ht~ n I~sesr simple-mauvais? Nous n'en saurons Jamal~ ne... .

fi cinant sans que cette faSCination ImpiJque Ut~en~e~t de v~leur. C'est là le miracle de Cra:~' Nul:Jl~~: n'affleure ce regard moral, le Î~g~ment .cfltlque qUIf:'t encore partie de la fonctionnalite du vieux mond~.~~ash est hypercritique (là aussi cont~e son ~uteu.r q.U1,d l"nrroduction, parle de « fonction premomtOlre,d:n~is~ en garde contre ce monde br~tal aux lueurscriardes qui nous sollicire de façon touJours plu~ pr~­

sante en marge du paysage technolo~lque.»). eu e

livres, peu de films arreig.n~nt à ::erre resol~;~;e:; :~~:finaliré ou négativiré c~ltIque, a cehtrej~p 0 n e méca~de la banalité ou de la VIOlence. Nas VI e, ra g

n;que. A rès Borges, mais sur un autre regjs~re, C~ashp . d roman de l'univers de la sImulation,

es~ l~ preml:; g~::s aurons partout affaire désormais

~u~n~~~~ asymbolique mais qui, par ~n~ ,sorreéo~eretournement de sa su.bstan;e r:nass-médla~~;~ec~r:nm~béron, bagnole, mécamque ero.tI~~e)~ appaparcouru par une intense force Jnltlatlque.

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La dernière ambulance s'est éloignée dansun hurlement de sirènes. Les gens sont retournésà Iet/r voiture. Une adolescente en jeans nous adépassés. Le garfOtI qui l'accompagnait avait passéun bras autour de sa taille et lui caressait le seindroit, frottant ses phalanges contre le mamelon.Tous deux sont montés à bord d'un cabriolet dontla caisse peinte en jaune était couverte d'auto_collants.. Un intense arôme de sexltalité flottaitdans l'air. Nom étions les membres d"me sortede congrégation sortant dft sanctuaire après avoirécouté un sermon qui nous enjoignait de nouslivrer, amis et inconnus, à une vaste célébrationsexuelle. Nous roulions dam la nuit afin de recréeravec les partenaires les plus inattendus le mystèrede l'eucharistie sanglante à laquelle nom venionsd'assister. (P. 179.)

Simulacres et science-fiction

Trois ordres de simulacres:_ simulacres naturels, naturalistes, fondés sur

l'image, l'imitation et la con~refaço~, ~.arm.oni~ux,.o~ti­

mistes, et visant à la restitUtion ou a 1institution Idealed'une nature à l'image de Dieu,

_ simulacres productifs, produecivisres, fon~és

sur ['énergie, la force, sa matérjalisa~ion par .la, machut.eet dans tOut le système de la productIOn - VIS~ prom~­

théenne d'une mondialisation ct d'une expansIon conti­nue d'une libération d'énergie indéfinie (le désir faitpar:ie des utopies relative~ à cet .ordre de ~imu.lac;,es),

_ simulacres de simulatIOn, fondes sur 1mfor­mation, le modèle, le jeu cybernétique - opération­nalité tOtale, hyperréalité, visée de contrôle tOtal.

Au premier ordre répond .l'imagi~aire, de ('uto­pie. Au second correspond la sctence-fictlOn a. propre­ment parler. Au troisième correspond - y a-t-il encoreun imaginaire qui réponde à cet ordr~ ? La répons~ pro­bable est que le bon vieil imaginalfe de la sClence-

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fiet.ion est mort, et que quelque chose d'autre eSt entral~ d,e surgir (et ~as, seulemer:t dans l~ romanesque,auss~. ble,n dan.s la .theone), Un meme destin de flottaisonet d .mdetermmatlon met fin à la science-fiction - maisaussI à la théorie, comme genres spécifiques.

Il n'y a de réel, il n'y a d'imaginaire qu'à unecertaine distance. Qu'en est-il lorsque cette distancey compris celle entre le réel et l'imaginaire, tend ~s'abolir, à se résorber au seul profit du modèle) Ord'un ordre de simulacres à l'autre, la tendance est' bie~celle d'une résorprion de cette distance, de cet écart quilaisse place à une projection idéale ou critique.

- Elle est maximale dans l'uropie, où se des­sine une sphère transcendante, un univers radicalementdifférent (le rêve romantique en est encore la formeindividualisée, où la transcendance se dessine en profon­deur, jusque dans les structures inconscientes, mais deroutes façons le décollage d'avec le monde réel est maxi­mal, c'est l'île d'utopie opposée au continent du réel).

- Elle se réduit de façon considérable dans la~cie.nce~fiction : celte-ci n'est le plus souvent qu'une pro­JectIOn démesurée, mais non qualitativement différented~1 monde réel de la production. Prolongements méca~Olciens ou énergétiques, les vitesses ou les puissancespassent à la puissance n, mais les schémas et les scéna­rios SOnt ceux mêmes de la mécanique, de la métallur­gie, etc. Hypostase projective du robot. (A l'univers limitéde l'ère pré-industrielle, l'utopie oppoJaif un univers

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lternatif idéal. A l'univers potentiellement infini de~a production, la scien~e-ficrion ajoute la multiplicationde ses propres possibilItés.)

_ Elle se résorbe totalement à l'ète implosivedes modèles. Les modèles ne constituent plus une ttans­cendance ou une projection, as ne constituent plus unimaginaire par rappot{ au .réel, ils sont eu~-mêmesanticipation du réel, et ne laissent donc place a aucunesorte d'anticipation fictionnelle - ils sont immanents,et ne laissent donc place à aucune sorte de transcen­dance imaginaire. Le champ ouvert est celui de la sim~­

lation au sens cybernétique, c'est-à-dire celui de la ma~l­pulation toUS azimuts de. ces modèles (scé~arios, ml.seen place de situations SImulées, etc.) maIs alors rtenne diJtingue cette opération de la gestion et de l'opéra­tion même du réel: il n'y a pluJ de fiction,

La réaliré pouvait dépasser la fiction : c'étaitle signe le plus sûr d'une surenchère possible de l'ima­ginaire. Mais le réel ne saurait dépasser le modèle,dont il n'est que l'alibi.

L'imaginaite était l'alibi du réel, dans un mondedominé par le principe de réalité. Aujourd'hui, c'esrle réel qui est devenu l'alibi du modèle, dans un universrégi par le principe de simulation. Et c'esr paradoxale­ment le réel qui esr devenu notre véritable utopie_ mais une utopÎe qui n'est plus de l'ordre du pos­sible, celle dont on ne peut plus que rêver commed'un objet perdu.

Peur-être la science-fiction de l'ère cybernétiqueet hypertéeHe ne peut-elle que s'épuiser dans la résur­tection « artificielle » des mondes « historiques ~~,

essayer de reconstiruer in vitro, jusque dans les moin­dres détails, les péripéties d'un monde antérieur, les

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événements, les personnages, les idéologies révoluesvidées de leur sens, de leur processus originel, mai~hallucinants de vérité rétrospective. Ainsi dans Simul4~

cres de Ph. Dick, la guerre de Sécession. Gigantesquehologramme en trois dimensions, où la fiction ne seraplus jamais un mitOir tendu au futur, mais réhalluci_nation désespérée du passé.

Nous ne pouvons plus imaginer d'aurre uni~

la grâce de la transcendance nous a été ôtée làaussi. La science-fiction classique a été celle d'un uni­vers en expansion, elle ttOuvait d'ailleuts ses frayagesdans les récits d'exploration spatiale complices desformes plus terrestres d'exploration et de colonisationdu XIX' et du xx' siècle. Il n'y a pas là de relation decause à effet: ce n'est pas patce que l'espace terrestreesr aujourd'hui virtuellement codé, cartographié,recensé, saturé, s'est donc en quelque sorte refermé ense mondialisant - un marché universel, non seulementdes marchandises, mais des valeurs, des signes, desmodèles, ne laissant plus aucune place à l'imaginaire- ce n'est pas exactement pour cela que l'univers explo­ratOire (technique, mental, cosmique) de la science­fiction s'est lui aussi arrêté de fonctionner. Mais lesdeux sont strictement liés, et sont deux versants d'unmême processus général d'implosion succédant au gigan­tesque processus d'explosion et d'expansion caractéris­tique des siècles passés, Lorsqu'un système atteint sespropres limites et se sature, une réversion se produit- aurre chose a lieu, dans l'imaginaire aussi.

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Nous avions toujours eu jusqu'ici une réserved'imaginaire - or le coefficient de réalité est propor-

onnel à la réserve d'imaginaire qui lui donne son~oids spécifique. Ceci est vrai ,~e l.'exploration gé?g~a­phique et spatiale aussi: lorsqu Il ~ Ya ~lu~ de tertltOlrevierge, et donc disponible pour l'Imagmalre, lorsque lacarte couvre tout le territoire, quelque chose comme leprincipe de réalité disparaît, La conquête de l'espaceconstitue dans ce sens un seuil irréversible vers la ~e~tedu référentiel terrestre, Il y a hémorragie de la realltécomme cohérence interne d'un univers limité lorsqueles limites de celui-ci reculent vers l'infini. La conquêtede l'espace, venue après celle de la planète, équ~vaut

à déréaliser l'espace humain, ou à le reverser a unhyperréel de simulation. Témoin ce deux-pièces/~ui­sine/douche élevé sur orbite, à la puissance spatialepourrait-on dire, avec le dernier module lunaire. Laquotidienneté même de l'habitat terrestre élevé au rangde valeur cosmique, hypostasié dans l'espace - la satel­lisation du réel dans la transcendance de l'espace - c'estla fin de la métaphysique, c'est la fin du phantasme,c'est la fin de la science-fiction, c'est l'ère de l'hyper­réalité qui commence.

A partir de là, quelque chose doit changer :la projection, l'extrapolation, cette sorte de dé~esurepanrographique qui faisait le charme d~ la sClenc~­fiction sont impossibles. 11 n'est plus pOSSible de partIrdu réel et de fabriquer de l'irréel, de l'imaginaire à partirdes données du réeL Le processus sera plutôt inverse:ce sera de mettre en place des situations décentrées,des modèles de simulation et de s'ingénier à leur donnerles couleurs du réel, du banal, du vécu, de réinventerle réel comme fiction, précisément parce qu'il a disparu

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de notre vie. Hallucination du réel, du vécu, du quoti~

dien, mais reconstitué, parfois jusque dans les détailsd'une inquiétante étrangeté, reconstitué comme uneréserve animale ou végétale, donné à voir avec uneprécision transparente, mais pourtant sans subsrancedéréalisée d'avance, hypetréalisée. '

La science-fiction ne serait plus dans ce sens unromanesque en expansion avec route la liberté et la« naïveté» que lui donnair le charme de la découverremais bien plutôr évoluerair implosivement, à rimag;même de notre conception actuelle de l'univers, cher~

chant à revitaliser, à réactualiser, à requotidianniser desfragments de simulation, des fragments de certe simu­lation universelle qu'est devenu pour nous le monde dit« réel ».

Où seraient les œuvres qui répondraient d'oreset déjà à cette inversion, à cette réversion de situation)Visiblement les nouvelles de K. Philip Dick «gravi~tent» si on peur dire (mais on ne peur plus tellementle dire, car précisément ce nouvel univers est «anti­gravitationnel », ou s'il gravite encore, c'est autour dutrou du réel, autour du trOIt de l'imaginaire) dans cenouvel espace. On n'y vîse pas un cosmos alternatifun folklore ou un exotisme cosmique ni des prouesse~galactiques - on est d'emblée dans une simulationtotale, sans origine, immanente, sans passé, sans avenir,une flottaison de toutes les coordonnées (mentales, detemps, d'espace, de signes) - il ne s'agit pas d'un

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univers parallèle, d'un univers double, ou même d'ununivers possible - ni possible, ni impossible, ni réelni irréel: hyperréel - c'est un univers de simulation,ce qui est tout autre chose. Et ceci non pas parce queDick parle expressément de simulacres (la science-fictionl'a toujours fait, mais elle jouait sur le double, sur ladoublure ou le dédoublement artificiel ou imaginaire,alors qu'ici le double a disparu, il n'y a plus de double,on est toujours déjà dans l'aurre monde, qui n'en estplus un autre, sans miroir ni projection ni uropie quipuisse le réfléchir - la simulation est infranchissable,indépassable, mate, sans extériorité - nous ne passe­rons même plus « de l'autre côté du miroir », ceci étaitencore l'âge d'or de la transcendance.

Un exemple peut-être plus convaincant encoreserait celui de Ballard et de son évolution. Depuis lespremières nouvelles très «fantasmagoriques », poé­tiques, oniriques, dépaysantes, jusqu'à Crash, qui estsans doute (plus que IGH ou L'Ile de béton) le modèleactuel de cette science-fiction qui n'en est plus une.Crash, c'est notre monde, rien n'y est « inventé» : routy est hyperfonctionnel, la circulation et l'accident, latechnique et la mort, le sexe et l'objectif photogra­phique, tout y esr comme une grande machine syn­chrone, simulée: c'est-à-dire accélération de nos pro­pres modèles, de toUS les modèles qui nous entourent,mixés et hyperopérarionnalisés dans le vide. Ce quidistingue Crash de presque route la science-fiction, quitourne encore la plupart du temps autour du vieuxcouple (mécanique er mécaniste) fonction/dysfonction,qu'elle projette dans le futur selon les mêmes lignes deforce et les mêmes finalités qui sont celles de l'univers

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<~.normal »', La fiction p~ut y dépasser la réalité (ou1iOverse : c est plus SUbtil), mais selon la même rè 1~u jeu. ,D~n~ Cr~h, p.lus de fiction ni de réalité, c~s~1hyperrealtte qUI abol.lt les deux. C'est là, s'il en eStune: notre. :cience~fictlOn comemporaine. Jack Barronou 1Etermte, certainS passages de TOUJ à Zanzibar.

En fait, la science-fiction dans ce sens n'est plusnulle part.' et elle est partout, dans la circulation desmodèles, ICi et maimenam, dans l'axiomatique mêmede la simulation ambiance. Elle peut surgir à l'état brutpar simple inertie de ce monde opérationnel. Queia~t~ur de science-,ficti.on a~rait « imaginé» (mais pré­clsement, ça ne s «lmagiOe» plus) cette « réalité»des usines-simulacres ouest-allemandes, usines qui réem­ploient les chômeurs dans tous les rôles et à tous lespostes d~ ptoce~sus de travail ttaditionnel, mais quine prodUlsenc rIen, dont toute l'activité s'épuise dansun jeu d.e commandes, de concurrence, d'écritures, decomptabllité, d'une usine à l'autre, à l'intérieur d'unvaste réseau? Toute la production matérielle redou­blée dans le vide (une de ces usines simulacres a mêmefait « réellement» faillite, débaucham une seconde foisses propres chômeurs). C'est ça la simulation non pasq~e ces, usines soiem bidon, mais justement qu'ellessOl.ent reelles, hyperréelles, et que du coup elles ren­VOlem toute la ,'vraie» production, celle des usines«sétieuses », à la même hypertéalité. Ce qui est fas­cinant ici, c'est non pas l'opposition usines vraies!usines bidon, mais au contraire l'indistinction des deuxle fait que tOut le reste de la production n'a pas plus d~référence ni de finalité profonde que ce «simulacre»d'entreprise. C'est cette indifférence hyperréaliste qui

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constitue la vraie qualité «science-fiction~elle»,.decet épisode, Et on voit qu'il n'est pas besom de llO­venter: il est là, surgi d'un monde sans secrer, sans

profondeur.

Le plus difficile est sans doure aujourd'hui, dansl'univers complexe de la science-fiction, de démêler cequi obéit encore (et c'est une très large pa~t) à I.'im~­

ginaire du second ordre, de l'~rd~e .pr~uctlf/pr,~Jectl.f,et ce qui relève déjà de cette lOdlsunctlon de limagl­naire de cette flottaison propre au troisième ordre de lasimuiation. Ainsi on peut faire clairement la différenceentre les machines-robot mécaniciennes, caractéristiquesdu deuxième ordre, et les machines cybernétiques, ordi­nateur, etc., qui relèvent, dans leut axiomatique, dutroisième ordre. Mais un ordre peut fort bien conta­miner l'autre, et l'ordinateur peut fort bien fonctionnercomme une supermachine mécanicienne, un super­robot machine de surpuissance, exposant du génie pro~

duniE des simulacres de second ordre: il n'y joue pascomme processus de simulation, et il témo.ign: en~ore

des réflexes d'un univers finalisé (y compns 1ambIva­lence et la révolte, comme l'ordinateur de 2001 ouShalmanezer dans Tom à Zanzibar).

Entre l'ojJératique (le statut théâtral, de machi­nerie théâtrale et famastique, le « grand opéra" de latechnique) qui correspond au premier ordre, l'.opératoire(le statut industriel, productif, effecteur de pUissance e,td'énergie) qui correspond au deuxième ordre, et l'ope-

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rationne: (le Sta~ut cyberné~ique, aléatoite, Rottant dela « metatecholq.ue ») qUI correspond au troisièmeor~re, t~UteS les mterférences peuvent enCOte sedUIre aUJourd'hui au niveau de la science-fiction :r.r~­~~~tl.e dernier ordre peut encore nous intéresse; vr::~

Les bêtes

Territoire et métamorphoses

Que voulaient les bourreaux de l'Inquisition?L'aveu du Mal, du principe du Mal. H fallait faire direaux accusés qu'ils n'étaient coupables que par accident,par l'incidence du principe du Mal dans l'ordre divin.Ainsi l'aveu restituait une causalité rassurante, et lesupplice, l'extermination du mal dans le supplice, n'étaitque le couronnement triomphal (ni sadique ni expia­toire) du fait d'avoir produit le Mal comme came. Sinonla moindre hérésie eût rendu suspecte toute la créationdivine. De la même façon, quand nous usons et abusonsdes bêtes dans les laboratoires, dans les fusées, aveccette férocité expérimentale, au nom de la science, quelaveu cherchons-nous à leur extorquer sous le scalpel etles élenrodes ?

Justement l'aveu d'un principe d'objectivitédont la science n'est jamais sûre, dont elle désespèresecrètement. H faur faire dire aux bêtes qu'elles n'ensont pas, que la bestialité, la sauvagerie, avec ce qu'ellesimpliquent d'inintelligibilité, d'étrangeté radicale pour

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la raison, n'existent pas, mais qu'au Contraire les COm_portements les plus bestiaux, les plus singuliers, les plusanormalJx se résolvent dans la science, en mécanismesphysiologiques, en connexions cérébrales, etc. Il fauttuer dans les bêtes la bestialité, et son principe d'incer~ticude.

L'expérimentation n'est donc pas un moyen versune fin, elle est un défi et un supplice actueIJ. Elle nefonde pas une intelligibilité, elle extorque un aveu descience comme on extorquair jadis une profession defoi. Aveu que les écarts apparents, de la maladie, dela folie, de la bestialité, ne SOnt qu'une fêlure provisoiredans la transparence de la causalité, Cette preuve,comme jadis celle de la raison divine, il faut la refairecontinuellement et partout - dans ce sens nous som­mes tous des bêtes, et des bêres de laboratoire, qu'onreste continuellement pOUt leur extorquer des compor­tements réflexes, qui som autant d'aveux de rationalitéen dernière instance. Partout la bestialité doit céder lepas à l'animalité réflexe, exorcisant un ordte de l'in­déchiffrable, du sauvage, dont précisément pour nousles bêres, par leur silence, SOnt restées l'incarnation.

Les bêtes nous Ont donc précédés sur la voie del'extermination libérale. Tous les aspects du traitementmoderne des animaux retracent les péripéties de lamanipulation humaine, de l'expérimentation au forcingindustriel dans les élevages.

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Réunis en congrès à Lyon, les vétéri~Jaires

européens se sont inquiétis des maladies ettroubles psychiques qui se développent dans lesélevages industriels.

(Science et Avenir, juillet 1973)

Les lapins développent une anxiét~ mor~ide, ~ls

deviennent coprophages et ~téri~es, Le ~a:I~, ~~~d:p~:I:~

sanc~, , ~er;tble-t-il'an~: a<~~n~~:ctt~~ns, au parasitisme.SenSibIlite plus gr ffi' , les femelles devieo­Les anticorps perdent}eur e ~aC1repe'ut dire la mortaliténent stériles. Spontanement, SI 00 ,

s'accroî~'h stérie des poulets atteint l'~nsemble ~uy . chi ue» coHective qUI peut attem-

groupe, ten~lOn .".psy . ~us les animaux se mettent àdre un s~u~ri~:'t~~u~o'us sens. La crise terminée, c~estvoier et , , le les animaux se refu­l'effondrement, la ~erte~u~~~e;: ;omme paralysés. Augieoc. dans les colO~, recommence, Cela peut durerpremier choc, la cnse é de leur donner desplusieurs semaines, On a essay

tranquillisants .. , 1 Les animaux seLe canni?alisme che:ea:P~:C%ettent à lécher

blessent eux-memes. Les . .us u'à la mott.tout ce qui les eocoure, parfOis J q . d'éle-

"Il faut bien .consmt;r qu~~:s ~:~~;s;hiatrievag~ soU:frent. psych{~ue:;.~hi;~e de frustration repré-deVient necessalre .. , ,P nt normal. »seoce un obsmele au de:rcloppeme d ets tranquilli-

?bsc~rité: lumlè~:{:~~~~,l:sav~laiÙes une hié-sants, nen n y f~lt. JI ex. 1 pick order. Dans cesrarchie d'accès a la nourtlture, e

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c~nd.itions de surpopulation, les dernières dans l'n ~rnvent ~lus du tout à se nourrir. On a donc :~:[e;~~:er ~: ptck order et démocrafùer l'accès à la nourri~cl p. un autre système de répartition. Echec' 1.esrructlOo de cet ordre symbolique entraîne la co~~ a

sIon totale chez les volailles, et une instabilité ch ~­que. Bel exemple d'absurdité: on sait les ravage roOl­

logues qu'a pu faire la bonne volonté dém . S dana

­les sociétés tribales. ocratlque ans

1 ~es animaux somatisent! Extraordinaire décau~erte. es cancers, des ulcères gastriques, des infarcru­p~u~:so!carde chez les souris, chez les porcs, chez le:

En conclu~ion, dit l'auceur, il semble bien ule seul remède SOIt l'espace - « un peu plus d'es ;ce

e

~ beaucoup des troubles observés disparaîtraie~t»'e. toute. façon, « le SOrt de ces animaux deviendrai~

~OIOS misérable ~). JI est donc satisfait de ce congrès'~es préoccupatIOns actuelles concernant le SOrt de~

~OImaux d'élevage voient donc s'allier, une fois de plus: morale et le. sens,.d'un intérêt bien compris. » « D~tre P~IUt p'as faire n Importe quoi avec la nature. » les

ou ~s. :tant devenus assez graves pour nuire à larentabl1lte ?e l'entreprise, cette baisse de rendementpeut. c.ondUlre les éleveurs à rendre aux animaux des~ondltl~ns .de vie plus normales. « Pour avoir un éle­

Ii?r; :::;;a~1 faudra. désormais s:occuper aussi de !'équi.des ammaux. » Et JI entrevoit le temps où

on enverra les animaux, comme les hommes, à la cam­pagne, pour restaurer cet équilibre mental.

nisme "Dnla

n'~ jamais. ~Îeux dit combien 1'« hurna­" . ' , norma!Jte », la «qualité de la vie"

n etaIent qu une péripétie de la rentabiliré. Le parallèle

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est lumineux entre ces animaux malades de la plus-valueet l'homme de la concentration industrielle, de l'orga­nisation scientifique du travail et des usines à la chaîne.Là aussi, les « éleveurs» capitalistes ont été conduitsà une révision déchirante du mode d'exploitation, inno­vant et réinventant la «qualité du travail », 1'« enri­chissement des tâches », découvrant les sciences" humaines» et la dimension " psycho-sociologique»de l'usine. Seule la mort sans appel rend l'exemple desanimaux plus éblouissant encore que celui des hommes

à la chaîne.Contre l'organisation industrielle de la mon, les

animaux n'ont d'autre ressource, d'autre défi possibleque le suicide. Taures les anomalies décrites sont suici­daires. Ces résistances sont un échec de la raison indus­trielle (baisse de rendement), mais surtout on sentqu'elles heurtent les spécialistes dans leur raison logi­que. Dans la logique des comportements réflexes et del'animal-machine, dans la logique rationnelle, ces ano~

malies sont inqualifiables. On va donc gratifier les ani­maux de psychisme, d'un psychisme irrationnel et détra­qué, voué à la thétapie libérale et humaniste, sans quel'objectif final ait jamais changé: la mort.

On découvre ainsi avec ingénuité comme unchamp scientifique nouveau et inexploré le psychismede l'animal lorsque celui-ci se révèle inadapté à la mortqu'on lui ptépare. De même on redécouvre la psycho­logie, la sociologie, la sexualité des prisonniers lorsqu'ildevient impossible de les incarcérer purement et sim­plement 1. On découvre que le prisonnier a besoin de

1. Ainsi, au Texas, quaere cenes bommes ee cene femmesexpérimement le pénitencier le plus doux du monde. Une

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libené, de sexualité, de « normalité» pour SUppOrterla prison, de même que les animaux industriels Ontbesoin d'une cenaine «qualité de vie» pour mourirdans les normes, Et rien de ceci n'est contradictoire,l'ouvrier lui aussi a besoin de responsabilité, d'auto­gestion pour mieux répondre à l'impératif de produc­tion. Tout homme a besoin d'un psychisme pour êtreadapté. Il n'y a pas d'autre raison à l'avènement dupsychisme, conscient ou inconscient. Et son âge d'or,qui dure encore, aura coïncidé avec l'impossibilité d'unesocialisation rationnelle dans tous les domaines. Jamaisil n'y aurait eu de sciences humaines ni de psychanalyses'il avait été miraculeusement possible de réduirel'homme à des comportements « rationnels », Touee ladécouverte du psychologique, dont la complexité peuts'épanouir à l'infini, ne vient que de l'impossibilitéd'exploiter à mon (les ouvriers), d'incarcérer à mon(les détenus), d'engraisser à mort (les bêtes), selon lastricte loi des équivalences:

- tant d'énergie calorique et de temps == tantde force de travail

- tel délit"" tel châtiment équivalent- tant de nourriture == poids optimal et mort

industrielle.Toue ça s'enraye, alors naissent te psychisme, le

mental, la névrose, le psycho-social, etc., non pas du

enfant y est née en juin dernier et jl n'y a eu que rrois éva­sions en deux ans. Les hommes er les femmes prennent ensembleleurs repas et se renouvent lors des séances de psychologie degroupe. Chaque prisonnier possède runique clef de sa chambreindividuelle. Des couples parviennent à s'isoler dans les cham­bres vides. A ce jour, crente-cinq prisonniers se som enfuis,mais jls SOnt pour la plupart revenus d'eux-mêmes.

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tout pour briser cette équation délirante, mais pourrestituer le principe des équivalences compromis.

Bêtes de somme, elles ont dû travailler pourl'homme. Bêtes de sommation, elles sont sommées derépondre à l'interrogatoire de la scienc~, Bêt.es deconsommation, elles sont devenues de la Viande mdus­trielle. Bêtes de somatisation, elles sont tenues de par­ler aujourd'hui la langue « psy ", de répondre de leurpsychisme et des méfaits de. leur inconscie~t. ~o~t le~rest arrivé de ce qui nous arrive. Notre destm n a Jamaisété séparé du leur, et ceci est une sorte d'amère revan­che sur la Raison Humaine, qui s'est usée à édifier leprivilège absolu de l'Humain sur le Bestial.

les bêtes ne sont d'ailleurs passées au statutd'inhumanité qu'au fil des progrès de la raison et del'humanisme. Logique parallèle à celle du racisme. Iln'y a de« règne » animal objectif que depuis qu'il y,al'Homme, Il serait trop long de refaire la généalogIede leurs statuts respectifs, mais l'abîme qui les sépareaujourd'hui, celui qui permet qu'on envoie les bêtesrépondre à notre place dans l~s univets terrifi~nts. del'espace et des laboratoires, CelUI qui permet de liqUIderles espèces tout en les archivant comme spécimens dansles réserves africaines ou dans l'enfer des zoos - caril n'est pas plus de place poUt eux dans notre cultu~e

que pour les morts - le tout recouvert par une senti­mentalité raciste (les bébés phoques, Brigitte Bardot),cet abîme qui les sépare est postérieur à la domestica­tion, comme le véritable racisme est postérieur à l'escla­vage.

Jadis les bêtes eurent un caractère plus sacré,plus divin que les hommes. Il n'y a même pas de règne« humain" chez les primitifs, et longtemps l'ordre

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animal est l'ordre de référence. Seul l'animal est digned'être sacrifié, en tant que dieu, le sacrifice de l'hommene vient qu'après, selon un ordre dégradé. Les hommesse qualifient par affiliation à l'animal les Bororos« SOnt» des araras. Ceci n'est pas de l'ordre pré-logiqueou psychanalytique - ni de l'ordre mental de classi­fication, à quoi Lévi-Strauss a réduit l'effigie animale(encore qu'il soit déjà fabuleux que les animaux aientpu servir de langue, cela aussi faisait partie de leurdivinité) - non, cela signifie que Bororos et araras fontpartie d'un cycle, er que la figure du cycle exclut toutepartition d'espèces, toutes les oppositions distinctivessur lesquelles nous vivons. L'opposition structurale estdiabolique, elle divise et affronte des identités distinc­tes: telle est la parrition de l'Humain, qui rejeree lesbêtes dans l'Inhumain - le cycle, lui, est symbolique:il abolit les positions dans un enchaînement réversi­ble - en ce sens, les Bororos « SOnt» des araras, quiest le même sens où le Canaque dit que les morts sepromènent parmi les vivants. (Est-ce que Deleuze visequelque chose comme ça dans son devenir-animal etlorsqu'il dit: « Soyez la panthère rose! » ?)

Quoi qu'il en soit, les bêtes Ont toujours eu,jusqu'à nous, une noblesse divine ou sacrificielle queretracent toutes les mythologies. Même le meurtre à lachasse est encore une relation symbolique, contrairementà la dissection expérimentale. Même la domesticationest encore une relation symbolique, contrairement àl'élevage industrieL Il n'est que de voir le statue desbêtes dans la société paysanne. Et il ne faudrait pasconfondre le statut de la domestication, qui supposeune terre, un clan, un système de parenté dont lesbêtes font partie, avec le statue de l'animal d'intérieur

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_ seule espèce de bêtes qui nous reste en dehors desréserves et des élevages - chiens, chats, oiseaux,hamsters, toUS empaillés dans l'affection de leur maître.La trajectoire qu'ont suivie les bêtes, du sacrifice divinau cimetière pour chiens avec musique d'ambiance, dudéfi sacré à la sentimentalité écologique, dit assez lavulgarisation du statut même de l'homme - ce quiencore une fois décrit une réciprocité imprévue entreles deux.

Particulièrement notre sentimentalité envers lesbêtes est le signe sûr du mépris où nous ies tenons.Elle est proportionnelle à ce mépris. C'esr à mesurede sa relégation dans l'irresponsabilité, dans l'inhumain,que l'animal devient digne du rituel humain d'affectionet de prorection, tOUt corn me l'enfant à mesure de sarelégation dans un statut d'innocence et d'infantilité.L1. sentimentalité n'est que la forme infiniment dégradéede la bestialité. Commisération raciste, nous en affu­blons les bêtes jusqu'à les rendre elles-mêmes sentimen­tales.

Ceux qui sactifiaient les animaux jadis ne lesprenaient pas pour des bêtes. Et même le Moyen Agequi les condamnait et les châtiait dans les formes étaitpar là bien plus proche d'eux que nous, à qui cettepratique fait horreur. Ils les tenaient pour coupables:c'était leur faire honneur. Nous (es tenons pour rien,c'est sur cetre base que nous sommes « humains» aveceux. Nous ne les sacrifions plus, nous ne les punissonsplus, er nous en -sommes fiers, mais c'est simplementque nous les avons domestiquées, pire: que nous enavons fait un monde racialement inférieur, même plusdigne de notre justice, rout juste de notre affection etde la charité sociale, même plus digne du châtiment et

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de la mort, mais tOut juste de l'expérimentation et del'extermination comme viande de boucherie.

C'est la résorption de toute violence à leur égardqui fait aujourd'hui la monstruosité des bêtes. A laviolence du sacrifice, qui est celle de 1'« intimité»(Bataille), a succédé la violence sentimentale ou expé­rimentale, qui est celle de la distance.

La monstruosité a changé de sens. Celle orÎgi­nelle des bêtes, objet de rerreur et de fascination, maisjamais négative, toujours ambivalence, objet d'échangeaussi et de métaphore, dans le sacrifice, dans la mytho­logie, da~s le bestiaire héraldique, et jusque dans nosrêves et nos phantasmes - cette monstruosité-là, richede toutes les menaces et de toutes les métamorphoses,celle qui se résout secrètement dans la culture vivantedes hommes et qui est une forme de l'alliance, nousl'avons échangée contre une monstruosité spectaculaire:celle de King-Kong arraché à sa jungle et devenuvedene de music-hall. Du coup, le scénario cultutelest inversé. Jadis, le héros culturel anéantissait la bêtele dragon, le monstre - et du sang répandu naissaien~les plantes, les hommes, la culture; aujourd'hui c'est labête King-Kong qui vient saccager les métropoles indus­trielles, qui vient nous libérer de notre culture, mortede s'être expurgée de toute monstruosité réelle etd'avoÎr rompu le pacte avec eile (qui s'exprimait dansle film par le don primitif de la femme). La séductionptofonde du film vient de cene inversion de sens:toute l'inhumanité est passée du côté des hommes, toutel'humanité est passée du côté de la bestialité captive,et de la séduction respective de la femme et de la bête,séduction monstrueuse d'un ordre par l'autre, l'humainet le bestial. Kong meurt pour avoir renoué, par la

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séduction, avec cette possibilité de mérammphose d'unrègne dans l'autre, avec cette promiscuité incestueuse,quoique jamais réalisée, sinon sur un mode symboliqueet rituel, entre les bêtes et les hommes.

Au fond, la filière qu'ont suivie les bêtes n'estpas diffétente de ceile de la folie et de l'enfance, dusexe ou de la négritude. Logique de l'exclusion, de laréclusion, de la discrimination et nécessairement, enretout, logique de la réversion, violence réversible quifait que la société entière finit par s'alignet sur lesaxiomes de la folie, de l'enfance, de la sexualité et desraces inférieures (expurgées, il faut le dire, de l'inter­rogation radicale qu'eUes faisaient peser du cœur mêmede leur exclusion). La convergence du ptocessus decivilisation est éblouissante. Les bêtes, comme lesmorts, et tant d'autres, ont suivi ce ptocessus ininter­rompu d'annexion par extermination, qui consiste àliquider, puis à faire parler les espèces disparues, àleur faire passer l'aveu de leur disparition. Faire parlerles bêtes, comme on a fait parler les fous, les enfants,le sexe (Foucault). Ceci est d'autant plus hallucinantpour les bêtes, dont le principe d'incertitude qu'ellesfont peser sur l'homme, depuis leur rupture d'allianceavec lui, réside dans le fait qu'elles ne parlent paJ.

Au défi de ta folie if a été répondu historique­ment par l'hypothèJe de l'inconJcient. L'Inconscient estce dispositif logistique qui permet de penset lafolie (et plus généralement touce formation étrange etanomalique) dans un système de sens élargi au non-senset qui fera sa place aux terreurs de l'insensé, désormaisintelligibles sous les espèces d'un certain discours:psychisme, pulsion, refoulement, etc. Ce sont les fousqui nous ont forcés à l'hypothèse de l'inconscient, mais

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c'est nous en retour qui les y avons piégés. Car si, dansun premier temps, l'Inconscient semble se retournercomre la Raison et y porter une subversion radicales'il semble encore chargé du potentiel de rupture d~la folie, plus tard il se retourne conrre elle, car il estce qui permet de l'annexer à une raison plus universelleque la raison classique.

Les fous, jadis muets, aujourd'hui tout le mondeest à leur écoute, on a trouvé la grille sur laquellerecueillir leurs messages jadis absurdes et indéchiffra~

bles. Les enfants parlent, ce ne SOnt plus ces êtresétranges et insignifiants à la fois pour l'univers adulte- les enfants signifient, ils SOnt devenus signifiants _non par quelque «libération" de leur parole, maisparce que la raison adulte s'est donné les moyens plussubtils pour conjurer la menace de leur silence. Lesprimitifs aussi SOnt entendus, on les sollicite, on lesécoute, ce ne SOnt plus des bêtes, Lévi-Strauss a biendit que leurs structures mentales étaient les mêmes queles nôtres, la psychanalyse les a ralliés à l'Œdipe, et à lalibido - tous nos codes Ont bien fonctionné, et ils yOnt répondu. On les avait enterrés sous le silence,on les enterre sous la parole, parole «différente"certes, mais sous le mot d·ordre de la «différence ",comme jadis sous celui de l'unité de la Raison, ne nousy trompons pas, c'est le même otdre qui s'avance. Impé­rialisme de la raison, néo-impérialisme de la différence.

L'essentiel est que rien n'échappe à l'empire dusens, au partage du sens. Bien sûr, derrière tout ça,rien ne nous parle, ni les fous, ni les morts, ni lesenfants, ni les sauvages, et au fond nous ne savonsrien d'eux, mais l'essentiel est que la Raison ait sauvéla face, et que tout échappe au silence.

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Les bêtes, elles, ne parlent pas. Dans un universde parole grandissame, de contrainte d'aveu et deparole, elles seules restent muettes, et de ce. fait ellessemblent reculer loin de nous, derrière l'hoTlzon de lavérité. Mais c'est ce qui fait que nOliS sommes intimesavec elles. Ce 0 'est pas le problème écologique de leursurvie qui est important. C'est eocore et toujours celuide leur silence. Dans un monde en voie de ne plusfaire que de parler, dans un monde rallié à l'hégémoniedes signes ct du discours, leur silence pèse de plus enplus lourd sur notre organisation du sens.

Bien sûr, on les fait parler, et de toutes lesfaçons, moins innocentes les unes que les autres. Ellesont parlé le discours moral de l'homme dans la fable.Elles ont supporté le discours structural dans la théoriedu totémisme. Elles livrent touS les jours leur message« objectif" - anatomique, physiologique, génétique ­dans les laboratoires. Elles Ont servi tour à tour demétaphore pour les vertus et les vices, de modèle éner­gétique et écologique, de modèle mécaniq~e et for­mel dans la bionique, de registre phantaSmatlque pourl'inconscient er, dernier en dare, de modèle de déterri­torialisation absolue du désir dans le « devenir-animal"de Deleuze (paradoxal prendre l'animal commemodèle de déterritorialisation alors qu'il est par excel­lence l'être du territoire).

Dans tout cela, métaphore, cobaye, modèle, allé­gorie (sans oublier leur « valeur d'usage" alimentaire),les bêtes tiennent un discours de rigueur. Nulle parrelles ne parlent vraiment, puisqu'elles ne fournissentque les réponses qu'on leur demande. C'est leur façonà elles de renvoyer l'Humain à ses codes circulaires,derrière lesquels leur silence nOlis analyse.

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Jamais on n'échappe à la réversion qui suien'imporre quelle exclusion, Refuser la raison aux fousmène tôt ou tard à démanteler les bases de cetteraison - les fous se vengent en quelque sorte. Refuseraux bêtes l'inconscient, le refoulement, le symbolique(confondu avec le langage), c'est, tôt ou tard, on peutl'espérer, dans une sorte de décrochement ultérieur àcelui de la folie et de l'inconscient, remetrre en causela validité de ces concepts, tels qu'ils nous régissentaujourd'hui, et nous distinguent. Car si jadis le privilègede l'Homme était fondé sur le monopole de la cons­cience, aujourd'hui il l'est sur le monopole de l'incons­Cient,

Les bêtes n'ont pas d'inconscient, c'est bienconnu. Elles rê.vent sans doute, mais ceci est une conjec­ture d'ordre bIO-électrique, et le langage leur manque,qui seul donne un sens au rêve en l'inscrivant dansl'or?re symbolique. Nous pouvons phantasmer sur elles,projeter sur elles nos phanrasmes et croire partagercette mise en scène, Mais ceci nous est commode - enfait les bêtes ne nous SOnt intelligibles ni sous le régimede la conscience, ni sous celui de l'inconscient. Il nes'agit donc pas de les y forcer, mais juste à l'inverse devoir en quoi elles mettent en cause cette hypothèsemême de l'inconscient, et à quelle autre hypothèse ellesnous forcent, Tel est le sens, ou le non-sens de leursilence.

Tel fur le silence des fous, qu'il nous a forcés àl'hypothèse de l'inconscient - telle est la résistancedes b.êtes, qu'eUe nous force à changer d'hypothèse,Car SI elles nous SOnt et nous resteront inintelligibles,pourtant nous vivons de quelque façon en intelligenceavec elles. Et si nous y vivons, ce n'est certes pas

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sous le signe d'une écologie générale où dans une sortede niche planétaire, qui n'est que la dimension élargiede la caverne platonicienne, les fantômes des bêtes etdes éléments natUrels viendraient ftayer avec l'ombredes hommes rescapés de l'économie politique - non,narre intelligence profonde avec les bêtes, même envoie de disparition, est placée sous le signe conjugué,inverse en apparence, de la métamorphose et du terri­

toire,Rien ne semble plus fixe dans la perpétuation

de l'espèce que les bêtes, et pourtant elles sont pournous ['image de la métamorphose, de toutes les méta~morphoses possibles. Rien de plus errant, de plusnomade en apparence que les bêtes, et pourtant leurloi est celle du rerritoire 2• Mais il faut écarter toUS les

--2.L'errance des bêtes est un .myrhe,. et la représen~ationactuelle, erratique et nomade, de l'm.consCle~[ et. du déSIr, e~rdu même ordre. Les bêtes n'ont jamaIs erré, )amals éré déterrl­torialisées. Toute une fantasmagorie libératrice se dessine àl'opposé des comraimes de la société moderne, une. tep~ésen­rarion de la nature et des bêtes comme sauvagefle, bberréd' « assouvir lOUS ses besoins », aujourd'hui d'« accomplulOUS ses désirs» _ car le rousseauisme moderne a pris l.aforme de l'indétermination de la pulsion, de l'errance du ~éslfer du nomadisme de l'infinitude - mais c'est la même mysflquedes forces déliées, non codées, sans auue finalité que leur

propre éruption. .' . .. ,Or la nature libre, vierge, sans lLmlte fil ternlOlfe, ou

chacun erre à son gré, n'a jamais existé, s.in~n dan~ l'imaginairede l'ordre dominam, dom elle est le mIroIr équI.valen~. N?usprojelOns comme sauvagerie idéale ~nat~.H~, ~éslr, ~mmabté~rhiwme ... ) le schéma même de déretnlOflaiLsauon qUI est CelUIdu système économiqu~er du capital. ~a,liberré .n'est,nulle'par~ailleurs que dans le capItal, c'est lui qUI 1a prod~lre., c est lU! qUIl'applOfondir. Il Y a donc une exa~te C?rre1aCl?n ent!e lalégislation sociale de la valeur (urbawe~ wdu.swelle, repres­sive, erc) et la sauvagerie Imaginaire qtl on lUI oppose: elles

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contresens sur cette notion de territoire, Ce n'est pasdu tout la relation élargie d'un sujet ou d'un groupeà son espace propre, sorte de droit de propriété privéeorganique de l'individu, du clan ou de l'espèce - telest le phantasme de la psychologie et de la sociologieélargie à toute l'écologie - ni cette sorre de fonctionvirale, de bulle environnementale où vient se résumertout le système des besoins, Un territoire n'est pas non

S~nt rout:s. deux "déte~rit~rialisées", et à l'image l'unt' de1aucre. ~ ailleurs, la radlcalné du " désir ", on lt' voit dansles théofles aCtuelles, grandit à mesure même de l'absrraCtionci~ilisée, non pas du rout comme ~ntagoniste. mais selon lememe mouvement absolument, CelUi d'une même forme rou­lours p!us décodée, plus décentrée, plus « libre", qui enveloppea la f?IS norre réel et noue imaginaIre. La nature, la liberté!e déSir, etc, n'exprimenr même pas un rêve inverse du capital'Ils traduisent ~ireCtement les progrès ou .les ravages de cett~cul.ture, ils antlClpenr même sur elle, car ds rêvem dt' déterri­rofla!isatio~ ~orale là où l~ système n't'n impose jamais qu'unerelaCJve; 1eXigence de «lJ~erté» n'esr jamais que celle d'allerplus loin que le système, maiS dans le même sens

Ni les bêtes ni les sauvages ne connaissent de " nature»dans nmre ~ens; ils ne connaissen.t qu~ d~s territoires, limités,marqués, qUI Sont des espaces de réCiprOCIté Infranchissables.

. 3. Ainsi, Henri Laborit récuse l'interprération du terri-~olfe. en ~ermes d'instinct ou de propriété privées; «On n'aJamais miS en. évidence, dans l'hypothalamus ou ailleurs, ungroupe cellulaIre. ou des vOies. nerveuses différenciées en rap­porc avec la notIOn de terrirolfe ... Il ne semble pas exister?e ~entre du. tcr.tiroirc... Il .n'est pas utile de faire appel à unmstlnct partlculzer» - mais c'est po~r mieux le renvoyer àune fonctior,tnalité des besoir,ts élarglC aux comportementsculturels, qUi est la vulgate aUJourd'hui commune à route éco­n.omie, psychologie, sociologie, etc. "Le territoire devienta,msi l'espace nécessaire à la ~éa.lisation de l'acte gratifiant,1espace vltal. .. La bulle, le termOlte représentenr ainsi le mor­ceau d'espace en contact immédiat avec l'organisme, celui dansleq~el il "ouvre" ses échanges rhermodynamiques pour main­tenlf sa ptOpte structure. Avec l'interdépendance croissante

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plus un espace, avec ce que, ce rer.~e i,mplique po.urnous de liberté et d'appropriation. NI mstmct, m beSOIO,ni structure (fût-elle « culturelle» et « comportemen­tale »), la notion de territoire s'oppose aussi de quelquefaçon à celle d'inconscient, L'inconscient est une struc­ture «enterrée», refoulée, et indé6mment rami6ée, Leterritoire est ouvert et circonsctit. L'inconscient est lelieu de la répétition indéfinie du refoulement et desphantasmes du sujet. Le territoire est le lieu d'.un cyc~e

fini de la parenté et des échanges - sans sUlet, maissans exception: cycle animal et végétal, cycle des bienset des richesses, cycle de la parenté et de l'espèce, cycledes femmes et du rituel - il n'y a pas de sujet et touts'y échange. les obligations y SOnt absolues, la ré:ersi­bilité totale, mais petsonne n'y connaît la mort, pUIsquetout s'y métamorphose. Ni sujet, ni mort, ni inconscient,ni refoulement, puisque rien n'arrête l'enchaînement desformes.

Les bêtes n'ont pas d'inconscient, parce qu'ellesont uo territoire, Les hommes o'ont un inconscient quedepuis qu'ils n'ont plus de rerritoite. A la fois le terri­toire et les métamorphoses leur ont été ôtés - l'in­conscient est la structure individuelle de deuil où serejoue sans cesse, et sans espoir, cette perte - lesbêtes en sont la nostalgie. La question qu'elles nousposent serait donc celle-ci: ne vivons-nous pas d'oreset déjà, au-delà des effets de linéarité et d'accumulation

des individus humains, avec la promiscuité qui caractérise lesgrandes cités modernes, la bulle indi,:,iduelle S"Cs.t rétrécie de faç?nconsidérable .. ,» Conception SpatIale, fonctionnelle, hom~o­

statique. Comme si l·e.njeu d'lm groupe ou ~'un ~omme, vOired'une bête, était l'éqUilibre de sa bulle ct 1homt'ostase de seséchanges, internes et exccrnes

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de la. raison, au-delà des effets de conscience et d'in_conSCIent, sur ce mode brur, symbolique de cyclede rév:rsio.n }ndéfi.nie sur un espace fini? Et par-de~~le schema Ideal qUI est celui de notre culrure de touculr.ure ~ut-êrre, celui d'accumulation d'éner~je, et ~:s~ hbératlOn, finale,. ne rêvons-nous pas plutôt d'implo­sl,on ql.1e d,explosIOn, de métamorphose plutôt ue~ éne~gle, d obligat~on et de défi riruel plutôt queqdehberre, de cyde territorial plutôt que de... Mais les bêtesne posent pas de questions. Elles se raisent.

Le reste

Quand on enlève tout, il ne reste rien.C'est faux.L'équation du tout et du rien, la soustracrion du

reste, est fausse d'un bout à l'autre.Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de reste. Mais

celui-ci n'a jamais de réalité autonome, ni de lieupropre: il est ce dont la partition, la circonscription,l'exclusion désigne ... quoi d'autre? C'est par la sous­traction du reste que se fonde et prend force de réalité ...quoi d'autre?

L'étrange est qu'il n'y a justement pas de termeopposé dans une opposition binaire on peur dire ladroitella gauche, le mêmell'autre, ia majoritélla mino­rité, le foulle normal, etc. - mais le reste! ?Rien de l'autre côté de la barre. «La somme ct lereste », ['addition et le resre, l'opération et le reste­ne sont pas des oppositions distinctives.

Et pourtant, ce qui est de l'autre côté du reste

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existe, c'est même le terme marqué, le temps fan,l'élément privilégié dans cette oppositÎon étrangementdissymétrique, dans cette Structure qui n'en est pasune. Mais ce terme marqué n'a pas de nom. 11 est ano_nyme, il est instable et sans définition. Positif, maisseul le négatif lui donne force de réalité. A la rigueur,il ne pourrait être défini que comme le reste du reste,

Le reste renvoie ainsi beaucoup plus qu'à unepartition claire à deux termes localisés, à une structuretournante et réversible, structure de réversion tOujoursimminente, où on ne sait jamais lequel est le mIe del'al/Ire. Dans aucune autre Structure on ne peut opérercette réversion, ou cette mise en abyme: le masculinn'est pas le féminin du féminin, le normal n'est pas le(ou du fou, la droite n'est pas la gauche de la gauche,erc. Seul peut-être dans le miroir la question peur êtreposée; qui, du réel ou de J'image, est le reflet de l'au­tre ? Dans ce sens on peut parler du reste comme d'unmiroir, ou du miroir du reste, C'est que dans les deuxcas, la ligne de démarcation structurale, la ligne de par­tage du sens, est devenue flottante, c'est que le sens(le plus littéralement: la possibilité d'aller d'un pointà un autre selon un vecteur déterminé par la positionrespective des termes) n'existe plus, 11 n'y a plus deposition respective - le réel s'évanouissant pour laisserplace à une image plus réelle que le réel, et inverse­ment -le reste s'évanouissant de l'endroit assigné pourresurgir à l'envers, dans ce dont il était le reste, etc.

Ainsi du social. Qui dira si le reste du socialest le résidu non socialisé, ou si ce n'est pas le sociallui-même qui est le reste, le déchet gigantesque .. , dequoi d'autre? D'un processus qui, aurait-il complè~tement disparu et n'aurait-il pas même de nom que le

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ocial n'en serait quand même que le ~este. Le résidus eut être à la dimension toude du reel. QU,a~d unp stème a tout absorbé, quand on a tout ~ddltJonné,~uand il ne reste rien, la somme entière vIre ail reste

et devie.:;~i;esl:e, rubrique « Société" du M.on~e, où

n'apparaissent paradoxalement que les i~ml,gres, ~e~

délinquants, les fe~mes, etc. - tout ce q~~ n:t~;~o~~~socialisé cas «soCiaux» analogues aux c p 1

ues Des poches à résorber, des segments que. e~ so~ial» isole au fur et à mesure de son exte,oslO.n,

,. és comme « résiduels" à l'horizon du sOClal~ l~S

~et:l;:: ar là même dans sa juridic~io~ et ,sont .destl,nesà trouv:r leur place dans une socmllté dargle. C estsur ce reste que la machine soci~le se .relance et tt~ue::une nouvelle énergie. Mais qu'arnve-t-d lorsque tou ,épongé, lorsque tout est ,~ocialisé? AI,ors la m:~~;~, rêre la dynamique s Il1verse, et c est le ,sy~::ial t~ut entier qui devient résid~,. A~ fur et al mes~~e

le le social dans sa progression e1JmlOe touS es reSI­~~s il devient lui-même rési~ue1. En désig~ant co~.me<, S~cjété )> les catégories réSiduelles, le socIal se déSIgne

lui-mêm~';:;:s~~~~:·té de déterminer ce qui est l,e res~ede l'autre caractérise l~ phase de si,mulatio~e:~e~;g:~~~des systèmes distinctifs, pha.se O~I. toue barre fati­et résiduel. Inversement, la dISparItiOn de la~ ~ ~ .dique et structurale qui isolait le reste du ... et q~l

ermet désormais à chaque terme d'~tr.e.l~ r:s~e ,ef.auere caractérise une phase de téverslblhte ou ~~.:n~a virtuellement plus de reste. Les ,deux proposl ~1Isont « vraies" simultanément et ne s excluent pas, essont elles-mêmes réversibles.

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Autte aspect aussi insolite que l'absence detetme opposé: le reste fait rire. N'importe quellediscussion sur ce thème déclenche les mêmes jeux delangage, la même ambiguïté et la même obscénité queles discussions sur le sexe ou la mort. Sexe et mOttSOnt les deux gtands thèmes reconnus pour pouvoirdéchaîner l'ambivalence et le rire, Mais le reste est letroisième, et peut-être le seul, les deux autres s'y rame­nant comme à la figure même de la réversibilité. Carpourquoi rit-on? On ne rit que de la réversibilité deschoses, et le sexe et la mort SOnt figures éminemmentréversibles. C'est parce que l'enjeu est toujours réver~sible entre le masculin et le féminin, entre la vie et lamort, qu'on rit du sexe et de la mort. Combien plusencore du reste, qui ne connaît même pas de termeopposé, qui parcourt à lui seul [Qut le cycle, et COurtinfiniment après sa propre barre, après son propredouble, comme Peter Schlemihl après son ombre 1 ? Le

1. L'allusion à Peter Schiemihl, l'homme qui a perdu sonombr~, ~'est pas accidentelle. Car l'ombre, comme l'image dansle miroir (dans l'Etudiant de Prague), esr !yolr excellence unreste, quelque chose qui pem « tomber» du corps, tout commeles cheveux, . les excréments ou les dkhets d'ongle auxquelselles sont assImilées dans roUle la magie archai'que, Mais ellessont aussi, on le sait, « métaphores» de l'âme, du souffle, derEtre, de l'essence, de ce qui profondément donne un sens ausujee. Sans image ou sans ombre, le corps devient un néanttransparent, il /l'est plus lui-même qlle reste. Il est la substancediaphane qui reste une fois l'ombre en allée. II n'a plus deréalité: c'est l'ombre qui a emporté route la réalité avec elle(ainsi dans l'Etudiant de Prague, l'image brisée avec le miroirentraîne la mort immédiate du héros _ séquence classique

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reste est obscène, parce qu'il esr réver~ible et s'échangeen lui~même. Il est obscène et fait nee, comme seu.lefait rire, profondément rire, l'indisti~ction du masculmet du féminin, l'indistinction de la VII.' et de la mort.

Le reste est devenu aujourd'hui le rerme forr.C'est sur le reste que se fonde une intelligibilité, ~ou~velle. Fin d'une certaine logique des OppOSltlO~S

distinctives, où le terme faible jouait comme terme réSI­duel. Tout s'inverse aujourd'hui. La psychanalyse :Ile­même est la première grande théorisation des résld~s

(lapsus, rêves, etc). Ce n'~st plus .u.ne écon.omie p~!l­

tique de la production qUi nous dlt1?e, mais une eco­nomique politique de la reproduction,. du ,r~cyclage

_ écologie et pollution - une éc~noml.e pol,1tl~u: dureste. Toute la normalité se reVOIt aUlou.rd hUI a lalumière de la folie, qui n'était que son reste lnsigni~ant.

Privilège de tous les restes, dans toUS I~s domal~es,

du non-dit, du féminin, du fou, du .marg.lO~l, de 1ex­crément et du déchet en art, etc Mais cecI n est encore

des comes famastiques - voir aussi L'Ombre de Hans Chris­tian Andersen). Ainsi le corps peUt n'être que le d~chet deson propre résidu, retombée de sa propre teromoc;, Seull'ordre dit réel permet de priv~légler le corps comme .reférence.Mais rien dans l'ordre symbo1Jque ne permet de p,atler sur lapriorité de l'un ou de l'autre (du corps ou de 1ombre). Etc'est cette réversion de l'ombr~ sur le corps, cette :~ro.m~e del'essentiel, au terme de l'essentiel, sous le coup ,?e 1JOslgOlfiant,cene défaite incessante du sens devant ce ~u Il en re,ste,. quece soit les déchets d'ongle ou l'objet «pem a:, ~UI faIt lecharme, la beauté et l'inquiétante étrangeté de ces blstolres

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qu'une sorte d'inversion de la structure, de retour durefoulé comme temps fort, de retour du reste commesurcroît de sens, comme excédent (mais l'excédent n'estpas formellement différent du reste, et le problème de ladilapidation de l'excédent chez Bataille n'est pas dif.férent de celui de la résorprion des restes dans uneéconomie politique du calcul et de la pénurie: seulesles philosophies sont différentes), d'une surenchère desens à partir du reste. Secret de toures les « libéra_tions ", qui jouent sur les énergies cachées de l'autrecôté de la barre.

O~, nous sommes devant une situation beaucoupplus originale: non celle de l'inversion pure et simpleet de la promotion des restes, mais celle d'une mou­vance de toute structure et de toure opposition quifait qu'il n'y a même phu de reste, du fait que celui-ciest partoll(, et se jouant de la barre, s'annule en tantque tel.

Ce n'est pas quand on a tour enlevé qu'il ne resterien, mais quand les choses se reversent sans cesse et quel'addition même n'a plus de sens.

La naissance est résiduelle si eile n'est pasreprise symboliquement par l'initiation.

La mort est résiduelle si elle n'est pas résoluedans le deuil, dans la fête collective du deuil.

La valeur est résiduelle si elle n'est pas résorbéeet volatilisée dans le cycle des échanges.

La sexualité est résiduelle lorsqu'elle devientproduction de rapports sexuels,

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Le social lui-même est résiduel lorsqu'il devientproduction de « relations sociales»,

Tout le réel est résiduel,et tout ce qui est résiduel est destiné à se répé­

ter indéfiniment dans le phantasme.

Toute accumulation n'est que reste, et accumu­lation de reste, en ce sens qu'elle est rupture de l'al­liance, et compense dans l'infini linéaire du cu.mul etdu calcul, dans l'infini linéaite de la productIOn, del'énergie et de la valeur ce qui s'accomplissait aupa~

ravant dans le cycle de l'alliance. Or, ce qui parcourtun cycle s'accomplit rotalement, alors que dans la dimen·sion de l'infini, tout ce qui est en dessous de la barrede l'infini, en dessous de la barre de l'éternité (cestock de temps qui est lui aussi, comme n'importe quelstock, rupture d'alliance), tOut cela n'est que reste.

L'accumulation n'est que reste, et le refoule­ment n'en est que la forme inverse et symétrique. Lestock d'affects et de représentations refoulés, c'est là­dessus que se fonde notre nouvelle alliance.

MaÎs quand tout est refoulé, rien ne l'est plus.Nous ne sommes pas loin de ce point absolu du refou­lement où les stocks eux-mêmes se défont, où les stocksde phantasmes s'effondrent. Tour l'imaginaire du stock,de l'énergie et de ce qu'il en reste, nous vient du ref~u­lement. Quand celui-ci atteint un point de saturatiOncritique où son évidence se renverse, alors les énergiesn'auront plus à êrre libérées, dépensées, économisées,

2ll

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produites: c'est le concept même d'énergie qui se vola­tilisera de lui-même,

On fair aujourd'hui du reste, des énergies quinous restent, de la restitution et de la conservation desrestes, le problème crucial de l'humanité. Il est inso­luble en tant que tel. Toure nouvelle énergie libéréeou dépensée laissera un nouveau reste, Tout désir,toute énergie libidinale produira un nouveau refoule­ment, Quoi d'étOnnant, puisque I"énergie même ne seconçoit que dans le mouvement qui la stocke et lalibère, qui la refoule et la « produit », c'est·à-dire dansla figure du reste et de son double?

Il faut pousset à la consommation insensée del'énergie pour en exterminer le concept. Il faut poussetau refoulement maximal pour en exterminer le concept.Lorsque le dernier lirre d'énergie aura été consommé(par le dernier écologue), lorsque le dernier indigèneaura été analysé (par le dernier ethnologue), lorsquel'ultime marchandise aura éré produite par la dernière« force de travail» restante, lorsque le dernier phan­tasme aura été élucidé par le dernier analyste, lorsquetout aura été libéré et consommé «avec la dernièreénergie », alors on s'apercevra que cette gigantesquespirale de l'énergie et de la production, du refoulementet de nnconsciem, grâce à quoi on a réussi à enfermertout dans une équation entropique et catastrophique,que tout ceci n'est en effet qu'une métaphysique dureste, et celle·ci sera résolue du coup dans tous seseffers.

Le cadavre en spirale

L'Université est déliquescente: non fonction­nelle sur le plan social du marché et de l'emploi, sanssubstance culturelle ni finalité de savoir.

Il n'y a même plus de pouvoir à proprementparler: lui aussi esr déliquescenr. D'où l'impossibil~té

du retour de flammes de 68 : retournement de la miseen question du savoir contre le pouvoir lui-même_ contradiction explosive du savoir er du pouvoir (ourévélation de leur collusion, ce qui revient au même)dans l'Universiré et, du coup, par contagion symbolique(plus que politique) dans tout l'ordre institutio~ne1 etsocial. Pourquoi des sociologues ? a marqué ce virage :l'impasse du savoir, le vertige du non-savoir (c'est-à-direà la fois l'absurdité et l'impossibilité d'accumuler de lavaleur dans l'ordre du savoir), se retourne comme unearme absolue contre le pouvoir lui-même, pour ledémanteler selon le même scénario vertigineux dedessaisissement. C'est ça l'effet Mai 68. Il est impossibleaujourd'hui où le pouvoir lui-même, après le savoir,

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a fouru le camp, est devenu insaisissable. S'est dessaisiluj-même, Dans une institurion désormais florrante, sanscontenu de savoir, sans srructure de pouvoir (sinon uneféodalité archaïque qui gère un simulacre de machinedont la destination lui échappe et dont la survie estartificielle comme celle des casernes et des théâtres),l'irruption offensive est impossible. N'a plus de sensque ce qui précipite le pourrissement, en accentuant lecôté parodique, simulacre, des jeux de savoir et depouvoir agonisants.

La grève fait exactement l'inverse. Elle régénèrel'idéal d'une université possible, la fiction d'une acces­sion de tous à une culture (introuvable, et qui n'a plusde sens), elle se substirue au fonctionnement de l'uni­versité comme son alternative ctitique, comme sa thé~

rapeurique. Elle rêve encore d'une substance et d'unedémocrarie du savoir. D'ailleurs partout aujourd'hui lagauche joue ce rôle: c'est la justice de gauche qui réin­suffie une idée de justice, une exigence de logique etde morale sociale dans un appareil pourri, qui se défait,qui perd toute conscience de sa légitimité et renoncepresque de lui-même à fonctionner. C'est la gauche quisécrète et reproduit désespérément du pouvoir, car elleen veut, et donc elle y croit et le ressuscite là où lesystème y met fin. Le système mettant fin un à un àtous ses axiomes, à toutes ses institutions, et réalisantun à un tou.s les objectifs de la gauche historique ettévolutionnalre, celle-ci se voit acculée à ressuscitertous les rouages du capital pour pouvoir les investir unjour: de la propriété privée à la petite entreprise, del'armée à la grandeur nationale, de la morale puritaineà la culture petite-bourgeoise, de la justice à l'univer­sité - il faut tout conserver de ce qui fout le camp,

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de ce que le système lui-même, dans son atrocité, d'ac­cord, mais dans son impulsion irtéversible, a liquidé.

D'où l'inversion paradoxale mais nécessaire detouS les termes de ['analyse politique.

Le pouvoir (ou ce qui en tient lieu) ne croitplus à l'Université, Il sait au fond qu'cHe n'est qu'unewne d'hébergement et de surveillance pour toute uneclasse d'âge, il n'a donc que faire de sélectionner - sonélite il la trouvera ailleurs, ou autrement, Les diplômesne servent à rien: pourquoi refuserait-il de les donner,d'ailleurs il est prêt à les donner à tout le monde ­alors pourquoi cette politique provocante, sinon pourcristalliser les énergies sur un enjeu fictif (sélection,travail, diplômes, erc), sur un référentiel déjà mort etpourrissam.

En pourrissam, l'Université peut faire encorebeaucoup de mal (le pourrissement est un dispositifJymbolique - non pas politique, mais symbolique,donc pour nous subversif). Mais il faudrait pour celapartir de ce pourrissemem même, et non rêver derésurrection. Il faudrait transformer ce pourrissementen processus violent, en morc violence, par la dérision,le défi, par une simulation multipliée qui offrirait lerituel de mort de l'université comme modèle de pour­rissement à la société entière, modèle comagieux dedésaffection de toute une structure sociale, où la morcenfin ferait ses ravages, que la grève tente désespéré­menc de conjurer, de mèche avec le sysrème, et neréussissam tout au plus qu'à la muer en une mort lente,à retardement, qui n'est même plus le lieu possibled'une subversion, d'une réversion offensive.

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C'est ce que Mai 68 avait réussi. A un momentmoins avancé du processus de liquéfaction de J'Univer_sité et de la"culture, les étudiants, loin de vouloir sauverles meubles (ressusciter l'objet perdu, sur un modeidéal), avaient rétorqué en lançant au pouvoir le défid'une mort totale, immédiate, de l'instirution, le défid'une déterritorialisation bien plus intense encore quecelle venue du système, et sommant le pouvoir derépondre à cette dérive totale de l'institution de savoirà cette inexigence totale d'accumuler en un lieu donn/à cette mort voulue à la limite - pas la crise de l'uni~versité, ça, ce n'est pas un défi, au contraire, c'est le jeudu système, mais la mort de l'université - ça, le pou­voir n'a pas pu y répondre, sinon par sa propre disso~

lurion en retour (pour un instant peut-êtte, mais nousl'avons vu),

Les barricades du 10 mai semblaient défensiveset défendre un territoire le quartier Latin, vieilleboutique. Mais ce n'est pas vrai: derrière cette appa­rence, c'esr l'université morte, la culture morte dont ilslançaient le défi au pouvoir, et leur propre mort éven­tuelle du même coup - transformation en JacriflCeimmédiat, ce qui n'était que l'opération même du sys­tème à long terme: liquidation de la culture et dusavoir. Ils n'étaient pas là pour sauver la Sorbonne,mais pour en brandir le cadavre à la face des autres,comme les Noirs de Watts ct de Detroit brandissant lesruines de leurs quarriers à qui ils avaient mis le feueux-mêmes.

Qu'est-ce qu'on peut brandir aujourd'hui?Même plus les ruines du savoir, de la culture _ les

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ruines elles-mêmes sont défuntes. Nous le savons, nousavons fait pendant sept ans le travail de deuil de Nan­terre. 68 est mort, répétable seulement comme phan­tasme de deuil. Ce qui en serait l'équivalent en violencesymbolique (c'est-à-dire au-delà du politique) ce s,eraitla même opération qui a fait percuter le non~saVOlr. lepourrissement du savoir contre le pouvoir - retrouvercette énergie fabuleuse plus du tour au même niveau,mais à la spirale supérieure faire percuter le non­pouvoir, le pourrissement du pouvoir contre - contrequoi précisément? C'est là le problème. Il est peut-êtreinsoluble. Le pouvoir se perd, le pouvoir s'est perdu.n n'y a plus tout autour de nous que des mannequinsde pouvoir, mais l'illusion machinale du pouvoir régitencore l'ordre social, derrière laquelle grandit la terreurabsente, illisible, du contrôle, terreur d'un code défi­nitif, dont nous sommes tOUS les terminais infimes.

S'attaquer à la représentation n'a plus beaucoupde sens non plus. On sent bien que tOUS les conflits ~tu­

diants (comme, plus largement, au niveau de la SOCiétéglobale) autOur de la représentation, de la délégation depouvoir, pour la même raison, ne sont plus que des péri­péties fantômes qui suffisent encore pourtant, par déses­poir, à occuper le devant de la scène. Par j~ ne saÎs queleffet de Mœbius, la représentation elle aussI s'est retOur­née sur elle-même, et tout J'univers logique du politiquese dissout du même coup. laissant la place à Lln universtransfini de la simulation, où d'emblée personne n'estpius représenté ni représentatif de quoi que ce soit,où tout ce qui s'accumule se désaccumule en mêmetemps, où même le phantasme axial, directif et secou-

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rable du pouvoir a disparu. Univers pour nous encoreincompréhensible, méconnaissable, d'une courbe malé­fique à laquelle nos coordonnées mentales orrhogonaleset dressées à l'infini linéaire de la critique et de l'his­toire. résistent violemment. C'est pourtant là qu'il fautse battre, si même cela a encore un sens. Nous sommesdes simulants, nous sommes des simulacres (pas au sensclassique d' «apparence "), des miroirs concaves irradiéspar le social, irradiarion sans source lumineuse, pouvoirsans origine, sans disrance, et c'esr dans cet universtacrique du simulacre qu'il va falloir se battre - sansespoir. l'espoir est une valeur faible, mais dans le défiet la fascination. Car il ne faut pas refuser la fascinarionintense qui émane de cette liquéfaction de roures lesinsrances, de tous les axes de la valeur, de toure axio­logie, politique y compris. Ce specracle, qui est à lafois celui de l'agonie et de l'apogée du capital, dépassede loin celui de la marchandise décrit par les situarion­nistes. Ce spectacle est nocre force essentielle. Nousne sommes plus dans un rapport de force incertain ouvictorieux, mais politique, envers le capital, ça, c'estle phantasme de la révolution. Nous sommes dansun rapport de défi, de séduction et de morr enverscer univers qui n'en esr plus un, puisque précisémenttoute axialité lui échappe. Le défi que nOliS lance lecapital dans son délire - liquidant sans vergogne laloi du profit, la plus-value, les finalités productives, lesstructures de pouvoir, et retrouvant au terme de sonprocessus l'immoralité profonde (mais aussi la séduc­tion) des riruels primitifs de destruction, ce défi-là, ilfaut le relever dans une surenchère insensée. Le capiralest irresponsable, irréversible, inélucrable comme lavaleur. A lui seul il est capable d'offrir un spectacle

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famastique de sa décomposition - seul plane encoresur le déserr des structures classiques du capital lefantôme de la valeur, comme le fantôme de la religionplane sur un monde depuis longtemps désacralisé,comme le fantôme du savoir plane sur l'Université. Anous de redevenir les nomades de ce désert, mais déga­gés de l'illusion machinale de la valeur. Nous ,:,ivronsdans ce monde, qui a pour nous toute l'inqUiétanteétrangeté du déserr et du simulacre, avec wute la véra­cité des fantômes vivants, des animaux errants et simu­[ants que le capiral, que la mort du capital a fait denous - cat le déserr des villes esr égal au désert dessables _ la jungle des signes est égale à celle desforêts _ le vertige des simulacres est égal à celui dela nature - seule subsiste la séduction vertigineused'un système agonisant, où le travail enterre le travail,où la valeur enterre la valeur - laissant un espacevierge, effrayé, sans frayages, continu comme le voulaitBataille, où seul le vent soulève le sable, où seul levent veille sur le sable.

Qu'en esr-il de tout cela dans l'ordre politique?Si peu de choses.

Mais nous devons nous battre aussi contre lafascination profonde qu'exerce sur nous l'agonie ducapital, contre la mise en scène par le capital de sa pro­pre agonie, dont nous sommes les agonisant~ r~els.

Lui laisset l'initiative de sa propre mort, c'est lUI laissertouS les privilèges de la révolution. Cernés par le simu­lacre de la valeur et par le fantôme du capital et dupouvoir, nOLIs sommes bien plus désarmés et impuissa.nrsque cernés par la loi de la valeur et de la marchandise,puisque le système s'est révélé capable d'intégrer sapropre mort, Ct que la responsabilité nous en est ôtée,

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et don~ l'enjeu de no~re propre vie, Cerre ruse suprêmedu ,sys,teme, cell,e du sImulacre de sa mort, par où il nous~aJn~le,n~ en v~e en ayant liquidé par absorption tOutene~atJ~lte p'?sslble, ~eule une ruse supérieure peut laprev~mr, Defi, ou soence imaginaire, seule une pata­phYJ,lqlle d~J Jl1nulacres peur nous sortir de la straté jede slmulatlon du système et de l'impasse de mort ~ '1nous enferme. ou 1

Mai 1976,

Le dernier tango de la valeur

Là où rien n'eJt à Ja place, c'est le déJordreLà où à la place voulue il n'y a rien, c'est l'ordre,

Brecht

La panique des responsables de l'Université àl'idée qu'on va délivrer des diplômes sans contrepartiede travail «réel», sans équivalence de savoir, Cettepanique n'est pas celle de la subversion politique, elle estcelle de voir la valeur se dissocier de ses contenus etfonctionner toute seule, selon sa forme même.- Lesvaleurs universiraires (les diplômes, etc.) vont proliféreret continuer de circuler, un peu comme les capitaux Rot­rants ou les eurodollars, elles vont tournoyer sans critèrede référence, complètement dévalorisées à la limite,mais c'est sans importance: leur circulation seule suffità créer un horizon social de la valeur, et la hantise dela valeur fantôme n'en sera que plus grande, lors même

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que son référentiel (sa valeur d'usage, sa valeurd'échange, la « force de travail» universitaire qu'ellerecouvre) se perd. Terreur de la valeur sans équivalence.

Cette situation n'est qu'apparemment nouvelle.Elle l'est pour ceux qui pensent encore que s'élabore àl'Université un procès réel de travail, et qui investissentlà-dedans leur vécu, leur névrose, leur raison d'être,l'échange des signes (de savoir, de culture) à l'Univer_sité, .entre «enseignants" et «enseignés" n'est plusdepUis un certain remps déjà qu'une collusion doubléede .]'amerr~mede l'indifférence (l'indifférence des signesqUi, entrame avec elle la désaffection des rapportssociaux et humains), un simulacre doublé d'un psycho­drame (celui d'une demande honteuse de chaleur, deprésence, d'échange œdipien, d'inceste pédagogique quicherche à se substituer à l'échange perdu de travail et desavoir). En ce sens, J'Université teste le lieu d'une ini­tiat!on déJespir~e à la forme vide de la valeur, et ceux quiy vIvent depUIS quelques années connaissent ce travailétrange, la vraie désespérance du non-travail, du non­savoir, Car les générations actuelles rêvent encore delire, d'apprendre, de rivaliser, mais le cœur n'y est plus- en bloc, la mentaliré culturelle ascétique a couléc?rps et biens, C'est pourquoi la grève ne signifie plusnen 1.

A 1. D'ailleurs la gr~ve actuelle prend naturellement lesm~mes aspects q~e I~ tr~vaJ1 ; même sus~ense, même apesanœur,meme absence d obJectifs, même allergIe à la décision mêmero~rnoiement .en .rond ?'instance, même deuil de l'énergie,meme c,lrcu.lamé ~ndéfi~le d.ans la grève aujourd'hui que dansle rra~all ~ICr: meme slCUatl?n dans I~ comre-institurion quedans 1 inStitution: la COntagIOn grandIt, la boucle esr bouclée- après ça il va falloir déboucher ailleurs Ou plutôr non

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C'est pourquoi aussi nous avons éré piégés, nousnous sommes piégés nous-mêmes, après 68, en donnantles diplômes à rour le monde. Subversion? Pas du rour.U ne fois de pl us, nous étions les promoteurs de la formeavancée, de la forme pure de la valeur: des diplômessans travail. Le système n'en veut pas plus, mais ilveut cela - des valeurs opérationnelles dans le vide ­et c'est nous qui l'avons inauguré, dans l'illusion inverse.

la détresse étudiante de se voir conférer desdiplômes sans travail est égale et complémentaire ~ecelle des enseignants. EUe est plus secrète et plus inSI­dieuse que l'angoisse traditionnelle d'échouer ou d'obte­nir des diplômes sans valeur. L'assurance touS risquessur le diplôme, qui vide de contenu les péripéties d~savoir et de la sélection, est dure à supporter. AUSSIfaut-il qu'elle se complique soir d'une prestation-alibi,simulacre de travail échangé contre un simulacre dediplôme, soit d'une forme d'agr~ssion (l'ens~ignant

sommé de donner l'UV, ou traité de distributeurautomatique) ou de rancœur, pour qu'au moins pas~e

encore quelque chose d'une relation « réelle". Ma~s

rien n'y fair. Même les scènes de ménage entre ensei­gnants et érudiants, qui font aujourd'hui une bonne part

prendre cette impasse même comme situa~ion de ha.-.e, retournerl'indécision et l'absence d'objectîf en SItuation offenSIve, enscratégie, En chercham à tout ~rix à s'arracher. à c~tr~ Situa­tion mortelle, à cette anorexIe mentale unlvers~taue, ,lesétudiams ne fom que réinsuffler de l'énergie à une InStltutlOnen coma dépassé, c'esr la survie forcée,. c'est la m~de~ine. dudésespoir, qui se pratique aUjourd'hUI sur les ~nstltunons

comme sur les individus, er qui esr partout le SIgne de l~même incapacité à affronter la mort «Il faur pousser ce qUIs'effondre~, disait Nietzsche.

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de leurs échanges, ne som plus que le rappel, et commela nostalgie d'une violence ou d'une complicité quijadis les opposait ou les réunissait autour d'un enjeude savoir ou d'un enjeu politique.

la «dure loi de la valeur ", la « loi d'airain"- quand eUe nous abandonne, quelle trisresse, queUepanique! C'est pourquoi il y a encore de beaux jourspour les méthodes fascistes ct autoritaires, car celles-ciressuscitent quelque chose de la violence qu'il faut pourvivre - subie ou infligée, peu importe. la violencedu rituel, la violence du travail, la violence du savoir,la violence du sang, la violence du pouvoir et du poli­tique, c'est bon! C'est clair, c'est lumineux, les rapportsde force, les contradictions, l'exploitation, la répression!Ça manque, aujourd'hui, et le besoin s'en fait sentir.C'est tout un jeu, par exemple, à l'Université encore(mais toute la sphère politique s'articule de la mêmefaçon) que le réinvestissemenr de son pouvoir parl'enseignant à travers la «parole libre ", l'autogestiondu groupe er autres fariboles modernes. Personne n'estdupe. Simplement pour échapper à la déception pro­fonde, à la catastrophe qu'entraînent la déperdition desrôles, des statuts, des responsabilités et la démagogieincroyable qui s'y déploie, il fam recréer dans le proffût-ce un mannequin de pouvoir et de savoir, fût-ceune parcelle de légitimité venue de l'ultra-gauche- sinon la situation est intolérable pour tous. C'est surce compromis - figuration artificielle de l'ensei­gnant, complicité équivoque de l'étudiant _ c'est surce scénario fantôme de pédagogie que les choses conti­nuent, et peuvent cette fois durer indéfiniment. Car il ya une fin à la valeur et au travail, il n'yen a pas au simu­lacre de la valeur et du travail. L'univers de la

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simulation est transréel et transfini: aucune épreuve deréalité ne viendra plus y mettre fin - sinon l'effon­drement toral et le glissement de terrain, qui restenotre plus fol espoir.

Mai 1977.

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Sur le nihilisme

Le nihilisme n'a plus les couleurs sombres,wagnériennes, splengleriennes, fuligineuses, de la fin dusiècle. Il ne procède plus d'une Weltanschauung de ladécadence ni d'une radicalité métaphysique née de lamort de Dieu et de toutes les conséquences qu'il fauten tirer. Le nihilisme est aujourd'hui celui de la trans­parence, et il est en quelque sorte plus radical, pluscrucial que dans ses formes antérieures et historiques,car cette transparence, cette flottaison, est indissolu­blement celle du système, et celle de toute théorie quiprétend encore l'analyser. Quand Dieu est mort, il Yavait cncore Nietzsche pour le dire - grand nihilistedevant l'Eternel et le cadavre de l'Eternel. Mais devantla transparence simulée de toutes choses, devant lesimulacre d'accomplissement matérialiste ou idéalistedu monde dans l'hyperréalité (Dieu n'est pas mort, il estdevenu hyperréel), il n'y a plus de Dieu théorique etcritique pour reconnaître les siens.

L'univers, et nous touS, sommes entrés vÎvants

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dans la simulation, dans la sphère maléfique, mêmepas maléfique, indifférente, de la dissuasion: le nihi­lisme, de façon insolite, s'est entièrement réalisé nonplus dans la destrucrion, mais dans la simulation et ladissuasion. De phantasme acrif, violent, de mythe Ct descène qu'il était, historiquement aussi, il est passé dansle fonctionnement transparent, faussement transparent,des choses. Que reste-t-il donc de nihilisme possibleen théorie? Quelle nouvel1e scène peut s'ouvrir, oùpourrait se rejouer le rien er la mort comme difi, commeenjeu?

Nous sommes dans une position nouvelle, etsans doute insoluble, par rappon aux formes antérieuresdu nihilisme:

Le Romantisme en est la première grande appa­rition: il correspond, avec la Révolution des Lumières,à la destruction de l'ordre des apparences.

Surréalisme, Dadajsme, l'absurde, le nihilismepolirique, en SOnt la deuxième grande manifestation,qui correspond à la destruction de l'ordre du sens.

Le premier est encore une forme esthétique denihilisme (dandysme), le second lIne forme politique,histOrique er métaphysique (terrorisme).

Ces deux formes ne nous concernent plus qu'enpartie, ou pas du tout, Le njhilisme de la transparencen'est plus ni esthétique, ni politique, il n'emprunte plusni à l'extermination des apparences, ni à celle du sensles derniers feux, ou les dernjères nuances d'une apoca­lypse. Il n'y a plus d'apocalypse (seul le terrorisme aléa­roire rente encore de le réfléchü, mais justement il n'estplus politique, Ct il n'a plus qu'un mode d'apparitionqui est en même temps un mode de disparition: lesmedia - or les media ne sont pas une scène où

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quelque chose se jOlie - c'est une bande, une piste,une carte perforée dont nous ne sommes même plusspectateurs récepteurs). Finie l'apocalypse, aujour­d'hui c'est la précession du neutre, des formes du neutreCt de l'indifférence. Je laisse à penser s'il peut yavoir un romantisme, une esthétique du neutre. Je nele crois pas - toU[ ce qui reste, c'est la fascinationpour les formes déseniques et indifférentes, pour l'opé­ration même du système qui nous annule. Or, la fasci­nation (à l'opposé de la séduction qui s'arrachait auxapparences, et de la raison dialectique qui s'attachaitau sens) est une passion nihiliste par excellence, c'estla passion propre au mode de disparition. Nous sommesfascinés par toutes les formes de disparition, de notredisparition. Mélancoljques Ct fascinés, telie est notresituation générale dans une ère de transparence involon­taire.

Je suis nihiliste.Je conState, j'accepre, j'assume l'immense pro­

cessus de destruction des apparences (et de la séductiondes apparences) au profit du sens (la représentation,l'histoire, la critique, etc.) qui est le fait capital duXIX' siècle. La véritable révolution du XIX' siècle,de la modernité, c'est la desrruction radicale des appa­rences, le désenchantement du monde et son abandonà la violence de l'interprétation et de l'histoire.

Je constate, j'accepte, j'assume, j'analyse ladeuxième révolution, celle du xx' siècle, celle de lapost-modernité, qui esr l'immense processus de des­truction du sens, égale à la destruction antérieure des

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apparences. Celui qui frappe par le sens est tué par lesens.

La scène dialectique, la scène critique SOntvides. Il n'y a plus de scène. Et il n'y a pas de thérapiedu sens ou de thérapie par le sens : la thérapie elle.même fait partie du processus généralisé d'indifféren­ciation.

La scène de l'analyse elle-même est devenueincertaine, aléatoire: les théories Rottent (en fait, lenihilisme est impossible, car il est encore une théoriedésespérée mais déterminée, un imaginaire de la fin,une Weltanschauung de la catastrophe 1),

l'analyse est elle-même peur-être l'élément déci­sif de l'immense processus de glaciation du sens. lesurcroît de sens qu'elles apportent, leur compétition auniveau du sens est toUt à fait secondaire en regard deleur coalition dans l'opération glaciaire et quaternairede dissection et de transparence. Il faut être conscientque, de quelque façon que procède l'analyse, elle pro­cède vers la glaciation du sens, elle aide à la précessiondes simulacres et des formes indifférentes. Le désertgrandit.

Implosion du sens dans les media. Implosiondu social dans la masse. Croissance infinie de la masseen fonction de l'accélération du système. Impasse éner.gétique. Point d'inertie.

l, Il Y a des cultur~s qui n'ont d';mag;np;re que de l~ur

origine et n'ont aucun imaginaire de l~ur fin. Il y en a quisont obsédées par les deux ... Deux autres cas de figure SOntpossibles ... N'avoir d'imaginaire que d~ sa fin (notre culture,nihiliste), N'a~oir plus aucun imaginaire, ni de l'origine ni dela fin (celle qUI Vient, aléatoire).

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Destin d'inertie d'un monde saturé, Les phéno­mènes d'inertie s'accélèrent (si on peut dire). lesformes arrêtées prolifèrent, et la croissance s'immobilisedans l'excroissance. Tel est aussi le secret de l'hyper­télie, de ce qui va plus loin que sa propre fin. Ce seraitnotre mode propre de destruction des finalités: allerplus loin, trop loin dans le même sens - desrructiondu sens par simulation, hypersimulation, hypertélie.Nier sa propre fin par hyperfinalité (le crustacé, lesstatues de l'île de Pâques) - n'est-ce pas aussi le secretobscène du cancer? Revanche de l'excroissance sur lacroissance, revanche de la viœsse dans l'inertie.

Les masses elles aussi sont prises dans cegigantesque processus d'inertie par accélération. Ellessont ce processus excroissant, dévorant, qui annihiletoute croissance et toUt surcroît de sens. Elles SOnt cecircuit court-drcuité par une finalité monstrueuse.

C'est Ce point d'inertie qui est aujourd'hui fasci·nant, passionnant, et ce qui se passe aux alentours de cepoint d'inertie (fini donc le charme discret de ladialectique). Si c'est être nihiliste que de privilégier cepoint d'inertie er l'analyse de cette irréversibilité dessystèmes jusqu'à un point de non-retour, alors je suisnihiliste.

Si c'est être nihilisie que d'être obsédé par lemode de disparition, et non plus par le mode deproducrion, alors je suis nihiliste. Disparition, apha­nisis, implosion, Furie des Verschwindens. Transpoli­tique est la sphère élective du mode de disparition (duréel, du sens, de la scène, de l'histoire, du social, del'individu), A vrai dire, ce n'est plus tellement dunihilisme dans la disparition, dans la forme désertique,aléatoire et indifférente, il n'y a même plus le pathos,

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le pathétique du nihilisme - cette énergie mythiquequi fait encore la force du nihilisme, radicalité, déné­gation mythique, anticipation dramatique. Ce n'estmême plus du désenchantement, avec la tonalité enchan­tée elle·même, séduisante et nostalgique du désenchan.tement. C'est la disparition tOUt simplement.

On trouve déjà trace de cette radicalité dumode de disparition chez Adorno et Benjamin, parallèle­ment à un exercice nostalgique de la dialectique. Caril y a une nostalgie de la dialectique, et sans doutela dialectique la plus subtile est·elle d'emblée nostal­gique. Mais plus profondément, il y a chez Benjamin etAdorno une autre ronalité, celle d'une mélancolie atta­chée au système lui-même, incurable celle· là et au-delàde toute dialectique. C'est cette mélancolie des systèmes,qui prend aujourd'hui le dessus à travers les formesironiquement transparentes qui nous entourent. C'estelle qui devient notre passion fondamentale.

Ce n'est plus le spleen ou le vague à l'âme finde siècle. Ce n'est pas non plus le nihilisme, qui viseen quelque sorte à rout normaliser par la destruction,passion du ressentiment. Non, la mélancolie, c'est latonalité fondamentale des systèmes fonctionnels, dessystèmes actuels de simulation, de programmation etd'information. La mélancolie, c'est la qualité inhérenceau mode de disparition du sens, au mode de volatilisa­tion du sens dans les systèmes opérationnels. Et noussommes tous mélancoliques.

La mélancolie est cette désaffection brutale quiest celle des systèmes saturés. Lorsque l'espoir d'équi­librer le bien et le mal, le vrai ct le faux, voire deconfronter quelques valeurs du même ordre, lorsquel'espoir plus général d'un rapport de force er d'un

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enjeu s'est évanoui. Partout, roujours, le système esttrop fort: hégémonique.

Contre ceuc hégémonie du système, on peutexalter les ruses du désir, faire la micrologie révolution­naite du quotidien, exalter la dérive moléculaire oumême faire l'apologie de la cuisine. Ceci ne résout pasl'impétieuse nécessité de faire échec au système enpleine lumière.

Ced, sculle terrorisme le fait.Il est le trait de réversion qui efface le reste,

comme un seul sourire ironique efface [out un discours,comme un seul éclair de dénégation chez l'esclave effacetoute la puissance et la jouissance du maître.

Plus un système est hégémonique, plus l'ima­gination est frappée par le moindre de ses revers. Ledéfi, même infinitésimal, est l'image d'une défaillanceen chaîne. Seule ccue réversibilité sans communemesure fait événement aujourd'hui, sur la scène nihi­liste et désaffectée du politique. Elle seule mobilisel'imaginaire.

Si être nihiliste, c'est porter, à la limite insup­portable des systèmes hégémoniques, ce trait radi­cal de dérision et de violence, ce défi auquel le systèmeest sommé de répondre par sa propre mort, alors je suisterroriste et nihiliste en théorie comme d'amres le sontpar les armes. La violence théorique, non pas la vérité,est la seule tessource qui nous reste.

Mais c'est là une uropie. Car il serait beaud'être nihiliste, s'il y avait encore une radicalité_ comme il serait beau d'être terroriste, si la mort,y comptis celle du terroriste, avait encore un sens.

Mais c'est là où les choses deviennem insolubles.Car à ce nihilisme actif de la radicalité, le système

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oppose le sien, le nihilisme de la neutralisation. Lesystème est nihiliste lui aussi, en ce sens qu'il a puis~

sance de reverser tOut, y compris ce qui le nie, dansl·indifférence.

Dans ce système, la mort elle-même brille parson absence, Gare de Bologne, Oktoberfest de Munich:les morts s'annulent par l'indifférence, c'est là où leterrorisme est complice involontaire de l'ensemble dusystème: non pas politiquement, mais dans la formeaccélétée de l'indifférence qu'il contribue à imposer.La mort n'a plus de scène, ni phantasmatique ni poli­tique où se représenter, où se jouer, cérémoniale ouviolente. Et ça, c'est la victoire de l'autre nihilisme, del'autre terrorisme, celui du système.

Il n'y a plus de scène, même plus l'illusion mini­male qui fait que les événements puissent prendreforce de réalité - plus de scène ni de solidarité men­tale ou politique: que nous importe le Chili, le Biafra,les boat people, Bologne ou la Pologne? Tout celavient s'anéantir sur l'écran de la télévision, Noussommes à l'ère des événements sans conséquences (etdes théories sans conséquences).

Il n'y a plus d'espoir pour le sens, Et sans douteest-ce bien ainsi: le sens est mortel. Mais ce sur quoi ila imposé son règne éphémère, ce qu'il a pensé liquiderpour imposer le règne des Lumières, les apparences,elles, sont immortelles, invulnérables au nihilisme mêmedu sens ou du non~sens.

C'est là où commence la séduction.

Table

La précession des simulacres.L'histoire: un scénario rétro,Holocauste.China Syndrom.ApocalypJe Now ,L'effet Beaubourg. Implosion et dissuasion,Hypermarché et hypermarchandise. ,L'implosion du sens dans les media, .Publicité absolue, publicité zéro, .Clone Jtory, .Hologrammes.CraJh.Simulacres et science-fiction,Les bêtes. Territoire et métamorphoses,Le reste.Le cadavre en spirale .Le dernier tango de la valeur.Sur le nihilisme,

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