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RÉVOLUTION TUNISIENNE ET MIGRATION CLANDESTINE VERS EUROPE : RÉACTIONS EUROPÉENNES ET TUNISIENNES Souhayma Ben Achour Monia Ben Jemia CARIM Notes d’analyse et de synthèse 2011/65 Module juridique Co-financé par l’ Institut universitaire européen et l’Union européenne (Programme AENEAS)

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RÉVOLUTION TUNISIENNE ET MIGRATION CLANDESTINEVERS l'EUROPE :RÉACTIONS EUROPÉENNES ET TUNISIENNES Souhayma Ben Achour Monia Ben Jemia

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  • Rvolution tunisienne et MigRation Clandestine veRs euRope :RaCtions euRopennes et tunisiennes

    Souhayma Ben AchourMonia Ben Jemia

    CARIM Notes danalyse et de synthse 2011/65 Module juridique

    Co-financ par l Institut universitaire europen et lUnion europenne (Programme AENEAS)

  • CARIM Consortium euro-mditerranen pour

    la recherche applique sur les migrations internationales

    Notes danalyse et de synthse module juridique CARIM-AS 2011/65

    Souhayma Ben Achour(1) et Monia Ben Jemia(2) (1) Matre de confrences la Facult des sciences juridiques, conomiques et de gestion de

    Jendouba, universit de Jendouba (Tunisie) (2) Professeur la Facult des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Universit

    de Carthage (Tunisie)

    Rvolution tunisienne et migration clandestine vers Europe : Ractions europennes et tunisiennes

  • 2011, Institut universitaire europen Robert Schuman Centre for Advanced Studies

    Ce texte ne peut tre tlcharg et imprim, en un seul exemplaire, que

    pour un usage strictement personnel et non collectif.

    Toute autre reproduction, totale ou partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans lautorisation crite pralable du Robert Schuman Centre for Advanced Studies.

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    Dans les citations et rfrences, ce texte doit tre mentionn comme suit :

    [Prnom et nom de(s) auteurs(s)], [titre], srie : CARIM AS, [n de srie], Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI):

    Institut universitaire europen, [anne de publication].

    Les opinions exprimes dans cette publication ne peuvent en aucun cas tre considres comme refltant la position de l'Union europenne

    Institut universitaire europen Badia Fiesolana

    I 50014 San Domenico di Fiesole (FI) Italie

    http://www.eui.eu/RSCAS/Publications/

    http://www.carim.org/Publications/ http://cadmus.eui.eu/dspace/index.jsp

  • CARIM Le Consortium Euro-Mditerranen pour la Recherche Applique sur les Migrations Internationales (CARIM) a t cr lInstitut universitaire europen (IUE, Florence) en fvrier 2004. Il est co-financ par la Commission europenne, DG AidCo, actuellement au titre du Programme thmatique de coopration avec les pays tiers en matire de migrations et d'asile. Dans ce cadre, le CARIM a pour objectif, dans une perspective acadmique, lobservation, lanalyse et la prvision des migrations dans les pays du sud et de l'est de la Mditerrane et d'Afrique sub-saharienne (signifie par la rgion dans le texte ci-dessous). Le CARIM est compos dune cellule de coordination tablie au Robert Schuman Centre for Advanced Studies (RSCAS) de lInstitut Universitaire Europen et dun rseau de correspondants scientifiques tablis dans les 17 pays dobservation : Algrie, Egypte, Isral, Jordanie, Liban, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Palestine, Sngal, Soudan, Syrie, Tchad, Tunisie et Turquie. Tous sont tudis aussi bien comme pays dorigine, de transit que dimmigration. Des experts externes provenant des pays de lUnion europenne et des pays de la rgion contribuent galement ses activits. Le CARIM conduit les activits suivantes:

    - Base de donnes sur les migrations mditerranennes et subsahariennes; - Recherches et publications; - Runions dexperts et rencontres entre experts et dcideurs politiques; - Ecole dt sur les migrations ; - Information

    Les activits du CARIM couvrent trois dimensions majeures des migrations internationales : conomique et dmographique, juridique et sociopolitique. Les rsultats des activits ci-dessus sont mis la disposition du public par le site Web du projet: www.carim.org Pour plus dinformation Consortium Euro-Mditerranen pour la Recherche Applique sur les Migrations Internationales Centre Robert Schuman Institut universitaire europen (IUE) Convento Via delle Fontanelle 19 50014 San Domenico di Fiesole Italie Tl: +39 055 46 85 878 Fax: + 39 055 46 85 755 Email: [email protected]

    Robert Schuman Centre for Advanced Studies http://www.eui.eu/RSCAS/

  • Sommaire INTRODUCTION ................................................................................................................................. 1

    I. UNE POLITIQUE SECURITAIRE ET DE FERMETURE ......................................................... 2A. EN ITALIE ........................................................................................................................................ 2B. EN FRANCE ..................................................................................................................................... 3C. DANS LUNION EUROPEENNE .......................................................................................................... 5

    II. UNE POLITIQUE CONTRAIRE AUX DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE

    HUMAINE ............................................................................................................................................. 5A. LA TRAQUE DES MIGRANTS............................................................................................................. 6B. LINDIFFERENCE AU SORT DES DISPARUS EN MER .......................................................................... 7

    III. UNE POLITIQUE METTANT EN PERIL LA TRANSITION DEMOCRATIQUE EN

    TUNISIE ................................................................................................................................................ 8A. LES DFIS DE LA TRANSITION DMOCRATIQUE .............................................................................. 9B. LA NCESSIT DE RTABLIR LA CONDITIONNALIT DMOCRATIQUE ........................................... 11

  • Rsum

    Le 14 janvier 2011, aprs plusieurs semaines marques par une insurrection sociale sans prcdent, le Prsident Ben Ali qui avait rgn sans partage sur la Tunisie durant 23 ans, fuit le pays, le laissant au bord du chaos. La Tunisie connut ensuite une priode dinstabilit et dinscurit graves. Profitant du dsordre, plusieurs milliers de Tunisiens quittrent irrgulirement le pays destination des ctes italiennes. Au total, 25 800 migrants tunisiens seraient arrivs en Italie entre le mois de janvier et le mois de juin 2011. Plusieurs dentre eux quittrent lItalie vers la France. La prsence des migrants tunisiens fut mal accepte par les autorits italiennes et franaises. Elle provoqua une crise srieuse dans les rapports franco-italiens et au niveau de lUnion europenne.

    Le prsent rapport tente de dcrire la politique scuritaire et de fermeture qui a t mise en place en Italie, en France, puis dans lUnion europenne et de montrer quelle porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, et risque de mettre en pril la transition dmocratique en Tunisie.

    Abstract On January 14, 2011, following several weeks of unprecedented social insurrection, President Ben Ali fled Tunisia, after 23 years in charge there, leaving the country in chaos. Tunisia experienced profound instability and insecurity. Several thousand Tunisians seized the opportunity to leave the country irregularly, heading towards the Italian coasts. Indeed, 25,800 are reported to have arrived in Italy between January and June 2011 and some of these left Italy for France. The presence of Tunisian migrants was ill-received by the French and Italian authorities and set off a serious crisis in French-Italian relations as well as in the European Union more generally.

    This report attempts to describe the securitarian and closed policies which have been adopted in Italy, in France, then in the EU and attempts too to show how these threaten fundamental human rights and endangers the democratic transition in Tunisia.

  • CARIM-AS No.2011/65 2011 EUI, RSCAS

    Introduction Le 14 janvier 2011, aprs avoir tent de mater par les armes une insurrection sociale sans prcdent, le Prsident Ben Ali qui a rgn sans partage sur la Tunisie durant 23 ans, fuit le pays, le laissant au bord du chaos.

    Le couvre-feu est institu sur tout le territoire du pays, les denres alimentaires manquent durant quelques jours, les coles et universits ferment leurs portes pendant deux semaines. Des institutions publiques, des entreprises prives, des magasins, des banques ont t incendis et saccags. Les contestations sociales se poursuivent, plusieurs entreprises ferment, aggravant la crise conomique et sociale qui secoue la Tunisie. Au dficit conomique et social, sajoute une crise scuritaire. Alors que larme nationale se dploie pour assurer la scurit des citoyens et que lordre se rtablit tant bien que mal, la guerre civile dans laquelle sombre la Libye, partir de la fin fvrier et les milliers de rfugis que la Tunisie accueille ne lui permettent pas de combler son dficit scuritaire.

    A peine quelques semaines aprs la fuite de Ben Ali, des Tunisiens commencent quitter irrgulirement le pays destination des ctes italiennes.

    Les migrants prsentent, pour la plupart, un profil similaire1. Ils ont gnralement entre 20 et 30 ans, parfois plus jeunes, entre 13 et 17 ans. Ils viennent des villes les plus pauvres de la Tunisie, du centre ouest (Sidi Bouzid, Thala, Kasserine, Gafsa), du Sud (Gabs, El Hamma, Zarzis, Tataouine), des banlieues et quartiers pauvres des villes prospres (Tunis, Sousse), notamment. Prs de 24 pour cent de la population tunisienne vit en dessous du seuil de pauvret et ces jeunes en font partie.

    Ils ont un profil identique au jeune Mohammed Bouazizi qui sest immol par le feu, allumant ainsi ltincelle de la rvolution tunisienne. Ils viennent gnralement de familles formes de quatre huit membres dont un seul travaille, gnralement comme journalier, gagnant entre 4 8 dinars (2 4 euros) par jour, emploi prcaire, sans couverture sociale, sans congs pays.

    Plusieurs dentre eux, interrogs sur les motifs de leur dpart diront nous navions pas le choix, ctait ou nous immoler comme Bouazizi, ou brler pour lItalie 2. Ils ont d payer, entre 500 et 1 000 euros, une somme souvent emprunte par la famille pour laquelle le dpart pour lEurope reprsente souvent le seul espoir de survie. Dans certains cas, la somme que ltat a octroye aux blesss par balles durant la rvolution (environ 1500 euros) a t utilise pour payer les frais de la traverse3.

    Pourquoi ces jeunes sont-ils partis, juste au moment o naissait en Tunisie lespoir dune vie meilleure ? Parce quils le pouvaient et quils nourrissaient ce projet de longue date : dans le dsordre de laprs-Ben Ali, une fentre sest soudain ouverte, et des milliers dhommes ont saut . Rseaux habituels de passeurs profitant du dficit scuritaire, incitation au dpart par les forces contrervolutionnaires (fidles de Ben Ali et au rgime de Kadhafi4), certes, mais la motivation principale est d'ordre conomique. L'espoir suscit par la rvolution ne suffit pas pour survivre. Un jeune

    1 Enqute effectue par le Rseau euro-mditerranen des droits de lhomme, Libert 302, fvrier 2011, Format DVD. 2 Ibidem. 3 La somme ainsi alloue aux victimes elles-mmes ou un proche servait financer la traverse. 4 AYACHI (T), Qui est derrire les migrants clandestins vers lItalie ? , Attariq Aljadid, journal hebdomadaire, n 219, du

    19 au 25 fvrier 2011, p. 7, (en langue arabe). Sihem BEN SEDERINE, une militante tunisienne, a dclar le 14 fvrier 2011 sur Radio mosaque que, daprs des sources sres, la plupart des barques qui avaient embarqu les clandestins tunisiens taient des barques libyennes et que ce ntait pas un hasard si la vague massive de dpart des clandestins avait concid avec le sjour de Lela BEN ALI, lpouse du Prsident dchu, en Libye. Le but de lopration tant de semer la pagaille dans le pays et de donner limpression que le systme tunisien est en voie deffondrement.

  • Souhayma Ben Achour, Monia Ben Jemia

    2 CARIM-AS No.2011/65 2011 EUI, RSCAS

    diplm en mcanique, g de 18 ans, dclare : jtais prt me rendre nimporte o, en Italie, en France en Suisse ou en Allemagne, pourvu que lon me donne du travail, chez nous il ny en a plus 5.

    Au total, 25 800 migrants tunisiens seraient arrivs en Italie entre le mois de janvier et le mois de juin 20116. Entre le 9 et le 12 fvrier 2011, 5 000 migrants arrivent sur lle de Lampedusa7. Dans la seule nuit du samedi 12 fvrier, 977 personnes taient arrives8. Largement mdiatis, le dbarquement dans la petite le de Lampedusa dans laquelle ils sont maintenus jusquau 12 fvrier, dclenche une campagne destine crer la peur ou le fantasme de linvasion des Tunisiens. L'exode enregistr ces jours-ci vers Lampedusa est de dimension biblique , n'a pas hsit dire le maire de la petite le de Lampedusa, Bernardino De Rubeis. Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi parle de tsunami humain 9. Une fois cre la peur de linvasion, les gouvernements europens prendront des mesures destines protger leur population de" linvasion".

    Le prsent rapport tente de montrer que la politique scuritaire et de fermeture (I), qui a t peu peu mise en place, en Italie, en France, puis en Europe porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine (II), et met en pril la transition dmocratique en Tunisie (III).

    I. Une politique scuritaire et de fermeture Larrive des migrants sur le sol europen a engendr une raction scuritaire. Prconise par lItalie (A) et la France (B), cette politique sera entrine par lUnion europenne (C).

    A. En Italie Ds les premiers dbarquements, des ngociations ou rengociations daccords anciens soprent entre le gouvernement italien et le gouvernement provisoire tunisien, charg dassurer la transition dmocratique avant la tenue des lections de lassemble constituante prvues le 23 octobre prochain. Il conduit une rengociation des accords lis la radmission signs entre lancien rgime et le gouvernement italien. Les ngociations portent dabord sur le maintien et le renforcement des patrouilles communes effectues dans les eaux territoriales tunisiennes, ensuite sur la radmission des migrants et sur ses modalits.

    Trois accords (1998-2003-2008) avaient t conclus sous lancien rgime prvoyant notamment lacceptation de la radmission de ses nationaux en situation irrgulire en Italie par la Tunisie et une coopration policire (formation, patrouilles communes) dans le contrle et la surveillance des frontires maritimes tunisiennes10.

    voquant un systme tunisien la drive , le Ministre italien des affaires intrieures, Roberto Maroni exprime le souhait dun redploiement des patrouilles communes. Les autorits tunisiennes ragissent immdiatement. Cest une ingrence inacceptable dclare le porte parole du

    5 Ce que lon sait des clandestins tunisiens qui gagnent lEurope , www.lexpress.fr, le 14 fvrier 2011. 6 LEurope vacille sous la menace de linvasion tunisienne, Vers une remise en cause du principe de libre circulation dans

    lespace Schengen ? , GISTI et Anaf, juin 2011. 7 LItalie confronte larrive de migrants tunisiens , France 24, lactualit internationale, le 12 fvrier 2011,

    www.france 24.com 8 Ibidem. 9 Berlusconi Tunis pour discuter des rfugis tunisiens en Italie , Le nouvel Observateur, 4 avril 2011,

    www.tempsreelnouvelobs.com. 10 BEN ACHOUR (S), Le droit tunisien face la traite des personnes et au trafic de migrants , EUI, CARIM, note

    danalyse et de synthse, 2011/47, srie sur la lutte contre la traite des personnes et le trafic des migrants dans la lgislation, Module juridique, septembre 2011.

  • Rvolution tunisienne et migration clandestine vers Europe : Ractions europennes et tunisiennes

    CARIM-AS No.2010/65 2011 EUI, RSCAS 3

    gouvernement transitoire tunisien, Taieb Baccouche11, le peuple tunisien refuse le dploiement de soldats trangers sur son territoire , le contrle du littoral tunisien relve de la comptence des autorits tunisiennes . Yadh Ben Achour, Prsident de la Haute Instance pour la ralisation des objectifs de la rvolution, de la rforme politique et de la transition dmocratique dclare aussi que la question des migrants est une affaire tunisienne 12.

    La Tunisie, malgr le dficit scuritaire quelle accuse refuse ce quelle considre tre une atteinte sa souverainet. Le gouvernement provisoire, accepte de respecter les engagements avec lUE et ses pays membres pris sous lancien rgime en matire de migration irrgulire, sous rserve toutefois du respect de la souverainet tunisienne et dun traitement des migrants tunisiens conforme aux droits humains fondamentaux.

    En ce qui concerne les modalits de la radmission, la Tunisie refuse les rapatriements collectifs. Le principe de la radmission par un tat de ses nationaux en situation irrgulire dans un pays tranger est bien entendu non ngociable. Cest une obligation laquelle sest engage la Tunisie en signant le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel la Convention des Nations Unies contre la criminalit transnationale organise dit "Protocole de Palerme". Son article 8-1 dispose en effet que chaque tat partie consent faciliter et accepter, sans retard injustifi ou draisonnable, le retour dune personne qui a t lobjet dun acte nonc larticle 6 du prsent protocole et qui est son ressortissant ou a le droit de rsider titre permanent sur son territoire au moment du retour .

    Cest donc sur les modalits de la radmission que les ngociations sont menes. La Tunisie refuse les expulsions collectives cartes pour viter toute exploitation mdiatique dans laccord tuniso-italien sign en 1998. Le 5 avril, les deux parties scellent une entente : radmission oui, rapatriements collectifs non.

    A dfaut de pouvoir expulser les Tunisiens en masse, ce quelle ne manquait pas de faire auparavant, lItalie navait plus quune solution : accorder des permis de sjour temporaires caractre humanitaire (3 mois renouvelable une seule fois) aux migrants tunisiens arrivs sur le sol italien13 entre le 1er janvier et le 5 avril 2011, leur permettant de circuler librement dans lespace Schengen.

    Lintention de Rome est claire : elle vise faire partager aux autres pays europens, le fardeau du tsunami humain . Pour Roberto Maroni, et il na pas tort, lcrasante majorit des immigrs dclarent vouloir rejoindre amis ou proches en France ou dans un autre pays europen . Plus tt nous leur dlivrerons ces papiers, plus vite ces immigrs quitteront notre pays , rsume le dput de la Ligue du Nord, Matteo Salvini14. Certains lont quitt, mais ils furent refouls de la France qui naccepta pas de les recevoir, malgr leur possession dun permis de sjour octroy par lItalie.

    B. En France

    Ds lannonce de la conclusion dun accord entre lItalie et la Tunisie le 5 avril 2011, le Ministre franais de lintrieur, Claude Guant, dclare que Paris renverra en Italie les migrants tunisiens qui ne sont pas en rgle15. Pour ce faire, la France met en vigueur laccord de radmission qui la lie lItalie.

    11 Tensions entre lItalie et la Tunisie autour des rfugis , Le Monde, Le 14 fvrier 2011, www.lemonde.fr 12 Interview accorde le 20 avril 2011 sur Europe 1, www.europe1.fr 13 Tensions entre la France et lItalie sur limmigration , Le Monde, le 9 avril 2011, www.lemonde.fr, Permis de sjour

    temporaires des centaines de clandestins , Radio Jawhara, le 7 avril 2011, www.jawharafm.net. 14 Ibidem. 15 Guant : Paris renverra en Italie les migrants tunisiens pas en rgle , TF1 news, le 11 avril 2011, lci.tf1.fr

  • Souhayma Ben Achour, Monia Ben Jemia

    4 CARIM-AS No.2011/65 2011 EUI, RSCAS

    Sign en 199716, laccord prvoit notamment que chaque partie radmet sur son territoire, la demande de lautre partie contractante et sans formalits, le ressortissant dun tat-tiers en situation irrgulire17. La France pourra donc renvoyer les Tunisiens en Italie, plutt que les renvoyer en Tunisie. Elle le peut dautant plus que la directive europenne retour du 16 dcembre 2008 autorise, dans son article 6, les tats membres de lUnion europenne appliquer les accords bilatraux de radmission plutt que de renvoyer des personnes en situation irrgulire dans leur pays de provenance.

    Mais il faudra alors quelle rtablisse ses frontires intrieures, ce que ne ly autorise pas le Code de frontires Schengen18. Mais peu importe, au lendemain de laccord tuniso-italien et de la dcision des autorits italiennes de dlivrer un visa humanitaire aux Tunisiens, le Ministre franais de lintrieur rtablit, dans une circulaire du 6 avril 2011, ses frontires intrieures19.

    La circulaire appelle ce que les ressortissants des pays tiers ne puissent tre considrs comme en situation rgulire que sils remplissent cinq conditions cumulatives. Ils doivent en effet, 1- tre en possession dun document de voyage, 2- tre muni dun titre de sjour en cours de validit et notifi par ltat metteur la Commission europenne ; 3- justifier de ressources suffisantes : 32 euros par jour pour ceux qui disposent dun hbergement, 62 euros dans le cas contraire. 4- ne pas constituer une menace pour lordre public ; 5- ntre pas entr en France depuis plus de 3 mois . En gnral, le titre de sjour suffit pour franchir les frontires entre les tats membres et normalement aucun contrle ne doit tre effectu, la libre circulation des personnes lintrieur des frontires de lUnion europenne excluant tout contrle, sauf pour des motifs dordre public. Le 17 avril, le lendemain de loctroi effectif des permis de sjour, Paris bloque la circulation des trains depuis la ville italienne de Vintimille afin dempcher lentre des migrants tunisiens en France20.

    Aprs avoir rtabli le contrle ses frontires intrieures, Paris envisage de suspendre les accords de Schengen. La crise franco-italienne fait la une de tous les quotidiens italiens qui nhsitent pas parler de guerre ou daffrontement entre Paris et Rome21. Elle commence sapaiser au moment o Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy se rencontrent lors dun sommet le 26 avril 201122. Les deux parties se sont dclares favorables une modification du Trait de Schengen, dans les circonstances exceptionnelles actuelles selon les termes de Silvio Berlusconi.

    Le 4 mai 2011, Cecilia Malmstrm, commissaire charge des questions d'immigration, a annonc que ce rtablissement serait autoris notamment lorsqu'une partie de la frontire extrieure de l'Union europenne est soumise une pression migratoire extraordinaire, comme c'est le cas de l'Italie23.

    Puis, cest vers la Tunisie que la France se tourne afin de rengocier laccord-cadre relatif la gestion concerte des migrations et au dveloppement solidaire et plus particulirement son

    16 Accord de Chambry du 3 octobre 1997 entre le gouvernement de la Rpublique franaise et le gouvernement de la

    Rpublique italienne relatif la coopration transfrontalire en matire policire et douanire. www.legifrance.gouv.fr 17 Partie II (1) de laccord. 18 En effet, larticle 23 du Code de frontires Schengen nautorise la rintroduction des contrles internes que dans des cas de

    menace grave pour lordre public . 19 Paris veut parer larrive de migrants de Lampedusa , Le Monde, le 7 avril 2011, www.lemonde.fr 20 DELFINI (F), LEurope sarrte aussi Vintimille ?, Le Monde, Le 17 mai 2011, www.lemonde.fr, RIDET (Ph), Paris

    bloque des migrants tunisiens la frontire italienne , La Monde, Le 19 avril 2011, www.lemonde.fr 21 Immigration tunisienne, Paris gifle Rome , Le nouvel Observateur, le 18 avril 2011, www.tempsreelnouvelobs.com.

    RIDET (Ph), La France et lItalie saiment-elles encore ?, Le Monde, Le 26 avril 2011, www.lemonde.fr, Clichs et malentendus pour un vieux couple presque sans histoires , Le Monde, Le 28 avril 2011, www.lemonde.fr, Les espoirs dus de lItalie , Le Monde, Le 28 avril 2011, www.lemonde.fr

    22 Rconciliation franco-italienne au sommet sur limmigration , Le Monde, Le 28 avril 2011, www.lemonde.fr 23 La France et lItalie favorables des modifications du trait de Schengen , , Le Monde, Le 26 avril 2011,

    www.lemonde.fr

  • Rvolution tunisienne et migration clandestine vers Europe : Ractions europennes et tunisiennes

    CARIM-AS No.2010/65 2011 EUI, RSCAS 5

    protocole relatif la gestion concerte des migrations sign en 2008. La Tunisie ritre son engagement radmettre ses nationaux selon les modalits prvues au protocole et dont larticle 3 recommande dviter les rapatriements collectifs. Cet article prvoit, en effet, que les deux parties veillent notamment ne pas recourir aux rapatriements collectifs et viter toute forme dexploitation mdiatique .

    Le Ministre de lintrieur franais, annonce dans une confrence de presse donne avant son dpart de Tunis, le 17 mai 2011, un nouvel accord de coopration policire dont lopportunit mme peut tre mise en doute24. En effet, larticle 4 du protocole sur la gestion concerte des migrations, intitul Coopration oprationnelle technique et financire dans le domaine de la lutte contre la migration irrgulire , prvoyait dj un renforcement des capacits des services tunisiens de contrle des frontires et des appuis en matriels et quipements de surveillance des frontires .

    Ainsi, le gouvernement italien se dbarrasse de son fardeau sur ses partenaires europens, les partenaires verrouillent leur territoire aux Tunisiens et lUnion europenne entrine.

    C. Dans lUnion europenne Dans leur lettre conjointe aux Prsidents du Conseil europen et de la Commission europenne, en date du 26 avril 2011, les autorits franaises et italiennes considrent comme un impratif majeur le renforcement de lagence Frontex. ce titre, ils appellent lacclration des ngociations avec la Tunisie en vue dorganiser des patrouilles communes et louverture dun bureau spcialis en Mditerrane, afin de dvelopper des oprations de surveillance et dinterception . La France et lItalie demandent galement la possibilit de rtablir temporairement le contrle aux frontires intrieures en cas de difficults exceptionnelles 25.

    Le Conseil europen dans ses conclusions des 23 et 24 juin acquiesce aux revendications italiennes et franaises26. Le systme de surveillance des frontires europennes sera renforc en priorit et Frontex devra cooprer avec les pays tiers concerns. Une proposition en ce sens doit tre prsente par la Commission europenne dici la fin de lanne. Le Conseil europen des 23 et 24 juin accepte la rintroduction des frontires intrieures afin de rpondre des circonstances exceptionnelles , assister un tat membre faisant face de fortes pressions ses frontires extrieures et qui se trouve dans une vritable situation critique . La Commission europenne est ds lors invite soumettre une proposition en ce sens en septembre.

    La forteresse Europe deviendra une forteresse imprenable, lassaut des migrants sera durement rprim. En cautionnant les politiques de ses tats membres, lUE cautionne les atteintes aux droits fondamentaux.

    II. Une politique contraire aux droits fondamentaux de la personne humaine Lindiffrence au sort des noys et des disparus en mer (B) et la traque des migrants arrivs en Europe (A) portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine.

    24 Claude guant en confrence de presse Tunis , Le 17 mai 2011, www.ambassade france-tn.org 25 LEurope vacille sous la menace de linvasion tunisienne, Vers une remise en cause du principe de libre circulation dans

    lespace Schengen ? , GISTI et Anaf, juin 2011, Annexes. 26 LUnion europenne veut durcir les accords de Schengen, Le Monde, Le 12 mai 2011, www.lemonde.fr, CHEVREUL

    (L-C-L), Vive lEuropede la scurit intrieure , Le Monde, Le 12 mai 2011, www.lemonde.fr

  • Souhayma Ben Achour, Monia Ben Jemia

    6 CARIM-AS No.2011/65 2011 EUI, RSCAS

    A. La traque des migrants

    Les modalits de contrle aux frontires intrieures avec lItalie opres par la France sont attentatoires aux droits fondamentaux reconnus par les textes europens. Larticle 6 du Code des frontires Schengen dispose en effet que les gardes frontires respectent pleinement la dignit humaine dans lexercice de leurs fonctions et que lors des vrifications aux frontires, les gardes frontires nexercent envers les personnes aucune discrimination fonde sur le sexe, la race ou lorigine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, lge ou lorientation sexuelle . Linterdiction est ritre dans larticle 21 de la Charte des droits fondamentaux qui interdit aussi toute discrimination fonde sur la nationalit . Il en est de mme de la directive retour (considrant 21).

    Les enqutes menes par lAnaf27 et le Gisti28 au mois davril 2011 montrent que les contrles oprs la frontire franco-italienne ont un caractre discriminatoire29. Daprs la note tablie, seules les personnes la peau mate sont contrles . Une procdure visant spcifiquement les Tunisiens est galement prvue dans une note interne du mois davril 2011 rdige par le Prfet des Alpes-Maritimes, Francis Lamy. Selon cette note, les personnes contrles dans la bande de 20 km, ou dans une gare internationale, qui ne peuvent justifier de la rgularit de leur sjour en France se verront alors remettre directement un arrt prfectoral de radmission et seront placs en rtention administrative sans passer par une garde- vue-pralable. Cette procdure sera faite immdiatement aux gares de Menton et Nice permettant ainsi dviter la garde vue et un ventuel contrle juridictionnel. Une fois plac en CRA (centre de dtention administrative) et suite au refus de radmission des autorits italiennes, nous notifierons lintress un APRF (arrt prfectoral de reconduite la frontire) avec dlai de dpart volontaire de 7 jours et inscription au FPR (fichier des personnes recherches), ce qui permettra ultrieurement son interpellation et sa reconduite en Tunisie 30.

    Non seulement la note, en visant explicitement les Tunisiens, confirme le caractre discriminatoire, mais elle prvoit aussi dorganiser le renvoi en Tunisie lors dun prochain contrle sur le territoire franais . Sopre ds lors les rafles de Tunisiens sur le territoire franais : A titre dexemple, les rafles organises par la prfecture de Police de Paris les mardi 26 et mercredi 27 avril 2011 autour des stations de mtro de Jaurs, Stalingrad, Pantin (Seine Saint Denis) et porte de la Villette o 60 personnes ont t interpelles aprs la distribution de la soupe organise par la Croix-Rouge. Une source prfectorale prcise que les interpellations qui ont eu lieu dans les 10me, 18me, 19me et 20me arrondissements de la capitale ainsi qu Pantin avaient pour but dlaborer un diagnostic de la situation de ces trangers en majorit souponns dtre en infraction la lgislation sur le sjour 31.

    La note prvoit aussi le renvoi en Tunisie des migrants tunisiens si lItalie refuse de les radmettre. En effet, dans laccord de Chambry LItalie na accept de radmettre que les ressortissants de pays tiers en situation irrgulire, ce qui exclut ceux munis dun permis de sjour dlivr par les autorits italiennes. Avant la date de remise des permis de sjour humanitaire par les autorits italiennes, la remise sans formalits aux autorits italiennes, conformment laccord de Chambry, avait t largement utilise par la police franaise : 270 tunisiens auraient t radmis en mars et 78 du 1er au 12 avril 201132. Mais des renvois ont aussi t effectus sans remise pralable aux autorits italiennes, les

    27 Association nationale dassistance aux frontires pour les trangers. 28 Groupe dinformation et de soutien des immigrs. 29 LEurope vacille sous la menace de linvasion tunisienne, Vers une remise en cause du principe de libre circulation dans

    lespace Schengen ? , GISTI et Anaf, juin 2011. 30 Ibidem, p. 12. 31 Ibidem, p.23, Des immigrs tunisiens arrts Paris et Marseille , Le nouvel Observateur, le 28 avril 2011,

    tempsreel.nouvelobs.com, Plusieurs dizaines dimmigrs tunisiens en garde--vue Paris et Pantin , Le Monde, le 27 avril 2011, www.lemonde.fr

    32 Ibidem, p. 21.

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    CARIM-AS No.2010/65 2011 EUI, RSCAS 7

    personnes sont souvent remises la frontire terrestre italienne sans procdure et sans tre remises aux autorits italiennes 33.

    Non radmis par lItalie, les migrants tunisiens seront renvoys vers la Tunisie, mme sils possdent un titre de sjour en cours de validit. Or, les radmissions vers la Tunisie ne peuvent se faire que dans la mesure o le Tunisien est en situation irrgulire et, une fois sa nationalit tunisienne tablie ou prsume. La procdure de radmission des Tunisiens en situation irrgulire est prvue dans lannexe 2 de laccord cadre de gestion concerte des frontires intitul Identification des nationaux . Lopration didentification des Tunisiens dpourvus de passeport en cours de validit, peut se faire sur la base de documents didentit ou de voyages prims ou sur simple prsomption. La procdure didentification dont lissue doit tre la dlivrance de laissez-passer par les consulats tunisiens ne sapplique cependant que pour les Tunisiens dpourvus de permis de sjour, en situation irrgulire.

    En consquence, la France a tendu le processus daide financire au retour, prvu dans laccord-cadre et ses protocoles dexcution au profit des Tunisiens en situation irrgulire, aux migrants tunisiens munis dun permis de sjour dlivr par les autorits italiennes. Le protocole en matire de dveloppement solidaire prvoit en effet dans son article 10 que la France sengage proposer son dispositif daide au retour volontaire aux ressortissants tunisiens en situation irrgulire en France ayant fait lobjet dune obligation de quitter le territoire franais , mais le montant de cette aide nest pas dtermin.

    Laide financire au retour des migrants, dont le montant initial propos tait de 2 000 euros est revue la baisse par les autorits franaises. Une circulaire interne lOFII, envoye toutes les directions territoriales et date du 12 mai dernier, et qui vise directement les Tunisiens passs par Lampedusa, prcise que toute aide au retour accorde sera plafonne 300 euros. Le directeur gnral de lassociation France Terre dasile, Pierre Henry conteste la circulaire34. Il estime que ces instructions ne reposent sur aucune base lgale et que cela rpond clairement une volont de la puissance de montrer quil nest pas question de donner une prime ceux qui viennent en France de manire illgale, ni dencourager ceux qui seraient tents de venir . Pour les migrants en possession dun permis de sjour dlivr par les autorits italiennes, pas question de rentrer avec ce pcule-l. La somme, en effet, recouvre peine un tiers de ce quils ont donn aux passeurs pour se rendre sur lle de Lampedusa.

    Ceux-ci sont les survivants, les autres ont pri au large des ctes.

    B. Lindiffrence au sort des disparus en mer

    Les migrants utilisent des embarcations vtustes, inadaptes et surcharges. Les traverses rcentes en mer Mditerrane ont laiss plusieurs centaines de morts, et plusieurs migrants sont ports disparus.

    Ainsi par exemple, dans la nuit du lundi 14 mars, 35 migrants partis de Tunisie et se dirigeant vers l'le italienne de Lampedusa taient ports disparus aprs le naufrage de leur embarcation, daprs les autorits portuaires italiennes. Le bateau, avec 40 personnes bord, a chavir peu de temps avoir quitt le port de Zarzis, ont ajout les mmes sources. Cinq personnes ont t secourues par un autre bateau, selon ce quils ont indiqu eux-mmes. Le jeudi 31 mars, le Ministre tunisien de lintrieur indique que douze cadavres ont t repchs dans le cadre des oprations de recherche poursuivies conjointement par les units de la garde maritime, de la marine militaire et de la protection civile . Mais les dparts continuent malgr lintervention des autorits et le renforcement des contrles aux

    33 Ibidem, p. 22. 34 MAAROUFI (M), Migrants tunisiens : laide au retour passe de 2000 300 euros, Tunisie numrique, le 11 juin 2011,

    www.tunisienumerique.com, TISS (O), Bras de fer sur laide au retour pour les migrants tunisiens , Tunisie numrique, le 10 mai 2011, www.tunisienumerique.com

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    frontires. Le 2 juin 2011, entre 200 et 270 personnes sont portes disparues aprs le naufrage d'un bateau en Mditerrane. C'est ce que rapporte l'agence Tunis Afrique Presse. Les gardes-ctes tunisiens ont pu porter secours 570 passagers, prcise-t-elle, ajoutant que les disparus sont vraisemblablement morts noys35.

    Les parents de ces jeunes gens vivent un vritable drame. Sans nouvelles de leurs enfants, ils se sentent dsesprs et abandonns. Depuis quil est parti, fin mars, pour Lampedusa, je nai aucune nouvelle de lui , confie Khdija, mre dun jeune migrant. Sa voisine Soufia regrette, elle, davoir cautionn le dpart de son fils dont elle assure ignorer encore le sort. Je savais que loisivet et le chmage lui rendaient la vie difficile et quil rvait vivement daller en Italie. Jai d accder son vu, en lui finanant cette malheureuse traverse dont seul Dieu connat lpilogue . Ainsi, a-t-elle grignot quelque 3 000 dinars de ses conomies pour esprer sauver son fils de la dtresse. La mme msaventure a t vcue par Zohra qui pleure encore le sort mystrieux de son fils Salah : je lai incit aller tenter sa chance en Europe, et jai mis le paquet. Malheureusement, il ne ma plus tlphon depuis le mois davril. Alors, de grce, au nom de Dieu, aidez-moi le rcuprer, car je le veux, mort ou vivant 36.

    Que rpondre une population dj meurtrie par la dictature de Ben Ali, aux familles de disparus en mer qui ne peuvent faire leur travail de deuil, ne sachant ni dans quelles circonstances leur parent est mort, et ne pouvant retrouver son corps ?

    Aucun apaisement social nest possible si la vrit nest pas faite sur les disparus en mer. Cest ce que le Gisti a compris. Il sapprte porter plainte contre lOTAN, lUnion europenne et les pays de la coalition en opration en Libye37. De ces naufrages, des paves transformes en cercueils flottants dhommes, de femmes et denfants morts dpuisement, de faim et de soif aprs de longues drives en mer, lopinion a pris lhabitude. Elle a pu croire leur caractre inluctable. Elle a pu ignorer que les quipements anti-migratoires de lagence europenne Frontex taient forcment les tmoins de nombre de ces drames, en Mditerrane comme ailleursMais la donne a chang depuis quune coalition internationale et les forces de lOTAN interviennent en Libye. Aujourdhui, awacs, drones, avions, hlicoptres, radars et btiments de guerre surveillent tout ce qui bouge en Mditerrane. Ils ne peuvent pas ne pas voir les bateaux des exils originaires de lAfrique Sub-saharienne qui cherchent fuir la Libye. Ils ne peuvent pas ne pas voir lorsque, de Tunisie, du Maroc ou de lAlgrie, des jeunes sans espoir sentassent dans une embarcation fragile pour gagner lItalie ou lEspagne. En nintervenant pas, ils se rendent coupables de non assistance personne en danger. Ceci ne peut rester impuni 38. Car limpunit peut aussi porter un coup fatal la transition dmocratique.

    III. Une politique mettant en pril la transition dmocratique en Tunisie Les dfis de la transition dmocratique en Tunisie sont nombreux (A) et ne peuvent tre relevs sans le maintien de la conditionnalit dmocratique dans la politique europenne de voisinage (B).

    35 Tunisie : un bateau de Tunisiens fait naufrage , 2 juin 2011, www.romandie.com 36 ZRIBI (M), Emigration clandestines : la tragdie des cercueils , La Presse, Le 20 juin 2011, www.lapresse.tn 37 Des centaines de boat-people meurent en Mditerrane, le Gisti va dposer plainte contre lOTAN, lUnion europenne

    et les pays de la coalition en opration en Lybie , GISTI, communiqu du 9 juin 2011, Scandale ou manip ? Le quotidien britannique the Guardian laffirme : les navires de lOTAN au large de la Libye auraient laiss prir 61 clandestins sur le point de faire naufrage , Jeune Afrique, n2627, du 15 au 21 mai 2011, p. 56.

    38 Des de centaines de boat-people meurent en Mditerrane, le Gisti va dposer plainte contre lOTAN, lUnion europenne et les pays de la coalition en opration en Lybie , GISTI, communiqu du 9 juin 2011, www.gisti.org

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    A. Les dfis de la transition dmocratique

    La Tunisie traverse une crise conomique et sociale sans prcdent, celle l mme qui a dclench la rvolution. Crise conomique et sociale aggrave par la crise humanitaire la frontire avec la Libye, qui pourrait, si elle se prolongeait se transformer en catastrophe humanitaire. A la crise conomique, sociale et humanitaire sajoute une crise scuritaire en raison aussi de laction des forces contre rvolutionnaires dont lobjectif est de semer la terreur et dempcher la transition dmocratique, crise amplifie par les bombardements pisodiques du sol tunisien par les troupes de Kadhafi qui tentaient de reprendre le contrle de la frontire libyenne, aux mains des rebelles (mai, juin). Rpondre aux aspirations dmocratiques de la socit tunisienne, apporter un apaisement sur le plan conomique et social, rtablir la scurit tels sont les dfis de la transition, en attendant les lections de lassemble constituante.

    Dfis que la Tunisie relve vaillamment, en particulier dans le domaine des migrations irrgulires. Un changement notable dans la politique migratoire tunisienne sest opr, depuis la rvolution. Lors dun congrs organis par la Fdration internationale des droits de lhomme, des organisations et associations tunisiennes de dfense de droits de lhomme ont demand labolition de la loi du 3 fvrier 2004, que lancien rgime avait promulgue pour lutter contre le phnomne des migrations illgales39.

    Cense rprimer les passeurs qui agissent seuls ou en rseaux, la loi du 3 fvrier 2004 avait servi rprimer les migrants eux-mmes, ce que le Protocole de Palerme, sur la base duquel elle a t promulgue, interdit40. Larticle 5 du Protocole, intitul responsabilit pnale des migrants dispose en effet que : les migrants ne deviennent pas passibles de poursuites pnales, en vertu du prsent Protocole . Or, plusieurs juges du fond avaient considr que le fait pour le migrant de payer pour la traverse reprsentait une participation une entente ou organisation daide la migration clandestine et ce, conformment aux articles 41 et 42 de ladite loi et ont donc appliqu les peines prvues par ces textes aux migrants eux-mmes41. Bien que la Cour de cassation ne semble pas partager cette opinion, il semble que des migrants aient continu tre poursuivis dans le cadre de cette loi en vertu de laquelle ils encourent des peines svres qui vont de six dix ans de prison42.

    Il ne semble pas quil y ait eu, depuis la rvolution, des poursuites de migrants. Rappelons que le droit de sortir dun pays, commun aux trangers et aux nationaux est garanti notamment par le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP). A ce titre, le Protocole contre le trafic illicite de migrants ne permet dailleurs dincriminer que laide lentre irrgulire dtrangers non rsidents permanents lexclusion de laide la sortie illgale. La sortie ne peut donc tre incrimine et, de toutes les manires, seuls les passeurs peuvent tre poursuivis. Mais y a-t-il eu pour autant des poursuites de passeurs ? Malgr une loi particulirement svre pour les passeurs, peu de poursuites de passeurs avaient eu lieu, avant la rvolution. Ceux-ci avaient bnfici dune relative impunit, trs certainement parce quils nagissaient pas seuls mais avec laide dune police, dune administration et dune justice corrompues. Les voix qui se sont leves au lendemain de lafflux de migrants tunisiens sur lle de Lampedusa pour lexpliquer par un complot ourdi par lancienne famille rgnante nont pas si tort que cela. Le dficit scuritaire dont souffre la Tunisie ne suffit pas expliquer les faits et seul

    39 Sur la loi du 3 fvrier 2004, BEN ACHOUR (S), Le cadre juridique des migrations clandestines en droit tunisien ,

    Annales des sciences juridiques, 2008, p. 105. 40 La loi du 3 fvrier 2004 sinscrit dans le cadre des engagements internationaux pris par la Tunisie. La Tunisie a, en effet,

    ratifi la Convention des Nations Unies contre la criminalit transnationale organise du 15 novembre 2000 (dcret n 2002-2101 du 23 septembre 2002, JORT. n 80 du 1er octobre 2002, p. 2307, et publie par le dcret n 2004-1389 du 22 juin 2004, JORT. n 52 du 29 juin 2004, p. 1651), ainsi que le Protocole de Palerme additionnel contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air.

    41 BOUBAKRI (H), avec la collaboration de LAGHA (N) et LABIDI (R), Comprhension des migrations irrgulires et des flux mixtes en Afrique du nord, Regard partir de la Tunisie , Rapport UNHCR, Tunis office, mars 2010, p35, sous presse.

    42 Voir BOUBAKRI (H), ibidem ; Mohamed BOUZOUITINA, La migration clandestine entre la prvention et la rpression , R.J.L., octobre 2007, p. 201, en langue arabe.

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    un assainissement des forces de lordre ainsi que de toutes les institutions, notamment judiciaire, pourrait permettre une lutte efficace contre les passeurs.

    Ceux-ci nchappent dj plus la police. Dans une confrence de presse donne le 26 avril 2011, le Premier ministre, Bji Cad Essebsi, a clairement indiqu que le gouvernement tait dtermin lutter contre les rseaux de passeurs43 et au mois de mars, on annonce des arrestations par la garde nationale de Sfax44.

    En plus de cette interprtation, actuellement limite la poursuite des passeurs lexclusion des migrants eux-mmes, plusieurs dispositions de la loi de 2004 semblent actuellement geles pour leur non-conformit au droit international des droits de lhomme. Il en est ainsi du dlit de solidarit , laide, mme titre bnvole la migration clandestine tant incrimine dans la lgislation tunisienne (article 38 de la loi de 2004). Elle aurait conduit dans ltat actuel des choses poursuivre des populations entires ou tout le moins les familles des migrants qui ont soutenu le projet de migration. De mme en est-il de la leve du secret professionnel pour ceux qui y sont tenus, la loi de 2004 imposant une obligation de dlation de la migration irrgulire.

    Quant la socit civile, elle se mobilise pour une gestion conforme aux droits fondamentaux. Cest ainsi quune manifestation devant lAmbassade dItalie a t organise le 4 avril 2011, jour de la visite de Silvio Berlusconi en Tunisie, par la Fdration internationale des droits de lhomme, la Ligue tunisienne des droits de lhomme et le Forum des droits conomiques et sociaux45. Un nombre important des proches des disparus tait prsent lors de cette manifestation.

    Entre le 27 mars et le 6 avril 2011, une mission est conjointement mene par plusieurs associations et organisations humanitaires, de dfense des droits de lhomme et de dfense des droits migrants, dont la Cimade, Migreurop, le Rseau euro-mditerranen des droits de lhomme, et une Association marocaine, le Groupe antiraciste daccompagnement et de dfense des trangers et des migrants (GADEM). Cette mission avait notamment pour objectif de percevoir les consquences pour la Tunisie des pressions exerces par lItalie et lUnion europenneet de renforcer les liens avec les associations militantes tunisiennes 46.

    Par ailleurs, la Fdration internationale des droits de lhomme, la Ligue tunisienne des droits de lhomme, lAssociation tunisienne des femmes dmocrates et le Conseil national pour les liberts en Tunisie ont appel, dans une lettre ouverte en date du 25 juillet 2011 adresse au Premier ministre tunisien, la ratification de la Convention des Nations Unis sur les droits des travailleurs migrants du 18 dcembre 1990. Aprs avoir not que la Tunisie tait le seul pays du Maghreb ne pas avoir ratifi la Convention, les signataires de la lettre ont estim que les Tunisiens et les Tunisiennes ont manifest au nom de la dignit. Nous attendons du gouvernement tunisien de transition des manifestations claires de sa volont de garantir la dignit de ses citoyens, en Tunisie et l'tranger. A l'heure o les migrants quittant la Tunisie font face une politique de rpression et de sanction, nous attendons du gouvernement une position ferme et le dveloppement d'une politique migratoire base sur la dignit et les droits humains 47.

    43 Tunisie : le cri dalarme de Bji Cad Essebsi , Business News, Le 27 avril 2011, www.businessnews.com.tn 44 Tunisie : 12 corps de clandestins repchs Sfax article dat du 31 mars 2011, www.afric.com 45 Manifestation anti Berlusconi devant lAmbassade dItalie en Tunisie , Kapiltalis, Lactualit autrement, Le 4 avril

    2011, www.kapitalis.com 46 La situation durgence la frontire tuniso-libyenne : pour une solidarit europenne dans laccueil des rfugis et pour

    un moratoire sur les renvois forcs vers la Tunisie , Cimade, Gadem, Rapport de mission, mars-avril 2011, www.cimade.org

    47 Tunisie : Appel la ratification de la Convention internationale sur les travailleurs migrants , Lettre ouverte au Premier ministre, le 25 juillet 2011, www.fidh.org

  • Rvolution tunisienne et migration clandestine vers Europe : Ractions europennes et tunisiennes

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    Comme le constate Migreurop, il est hypocrite et immoral de la part de lUnion europenne de se rjouir de la rvolution en Tunisie tout en exigeant que celle-ci continue, au nom de la suppose ncessit de protger lEurope dun "dferlement migratoire", jouer le rle de garde frontire comme du temps de la dictature de Ben Ali 48. Pour le rseau mditerranen des droits de lhomme, attendre des autorits tunisiennes de rprimer lmigration destinationde lUnion europenne, cest les inciter renouer avec les pratiques autoritaires de lancien rgime : ce nest pas de ce type dappui que la Tunisie a besoin 49.

    B. La ncessit de rtablir la conditionnalit dmocratique

    Pourtant, ds le dclenchement du printemps arabe, lUnion europenne avait dcid de rviser entirement sa politique europenne de voisinage (PEV), laquelle la Tunisie est partie. Initie en 2004, la PEV offrait aux pays tiers pour lesquelles toute perspective dadhsion est carte, de nouvelles perspectives dintgration conomique en contrepartie de leurs progrs concrets dans le respect des valeurs communes et la mise en uvre effective de rformes politiques, conomiques et institutionnelles, notamment dans lalignement de leur lgislation sur lacquis communautaire 50.

    Une approche diffrencie, selon les pays, sur la base de la fixation dobjectifs et de critres de rfrence tablis dans des plans daction pour chaque partenaire avait t retenue. Les diffrents plans daction labors dans ce cadre pour la Tunisie prvoyaient la possibilit dobtenir, en change de sa coopration, par notamment lacceptation de la radmission dans le pays dorigine ou de transit des migrants en situation irrgulire, le dveloppement dune migration circulaire (lgale et temporaire) avec les pays membres, un partenariat pour la mobilit (rgime de visa court sjour assoupli) ainsi quune aide au dveloppement.

    Si la conditionnalit dmocratique tait au cur de la PEV, lUnion europenne admet la fin fvrier 2011 que lEurope navait pas suffisamment hauss le ton pour dfendre les droits humains et les forces dmocratiques locales dans la rgion. Trop de gens, reconnait Stefan Fule, commissaire europen llargissement et la PEV, parmi nous ont cru que les rgimes autoritaires garantissaient la stabilit dans la rgion. Ceci ne relevait mme pas de la realpolitilik, mais au mieux, dune vision court terme 51.

    Ainsi, lEurope reconnat que les mcanismes de contrle et les conditionnalits qui auraient d sanctionner le non respect des engagements en termes de rformes dmocratiques de respect des droits de humains et des liberts individuelles ont t relgus au second plan, la priorit ayant t donne la politique scuritaire : le contrle renforc des frontires extrieures et des flux migratoires (lgaux et irrguliers) ainsi que la lutte contre le terrorisme international et lintgrisme religieux. Ces impratifs scuritaires ne pouvaient que trouver un cho auprs du rgime Ben Ali, dautant plus empress de cooprer quil lui permettait de renforcer sa lgitimit internationale et de nouer des alliances stratgiques et conomiques avec lUE et certains pays membres. Rgime dictatorial et corrompu, muselant et rprimant violemment toute opposition organise ou spontane, religieuse ou laque, il trouva grce auprs de lUnion europenne obnubile par ses impratifs scuritaires.

    La transformation radicale que connaissent aujourdhui les pays du Sud de la Mditerrane a conduit lUE tablir en mars 2011 Un partenariat pour la dmocratie et une prosprit partage dans lequel lUnion europenne dclare son intention ferme de soutenir les transitions dmocratiques.

    48 Ibidem. 49 Ibidem. 50 Communication de la commission au Conseil et au Parlement europen, LEurope largie-Voisinage : un nouveau cadre

    pour les relations avec nos voisins de lEst et du Sud, Bruxelles, 11 mars 2003, COM (2003) 104 final. 51 CASSARINO (J-P) et TOCCI (N), Un autre partenariat avec lEurope est possible si, La Presse de Tunisie, 27 mars

    2011, www.la presse.tn

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    12 CARIM-AS No.2011/65 2011 EUI, RSCAS

    Renversant lchelle des priorits, le nouveau partenariat prconise une coopration politique plus troite (qui) impose de tendre vers des normes plus leves en matire de droits de lhomme et de gouvernance, la volont dorganiser des lections libres, rgulires et contrles de manire approprie constituant la condition de ladhsion au partenariat 52.

    A lexamen, il ny a rien de vraiment nouveau dans ce partenariat, sinon que lchelle des priorits est inverse. Laccent tant dsormais mis sur les valeurs communes, le partenariat prvoit que les aides seront ralloues ou recentres lorsque des pays prennent du retard dans la mise en uvre des programmes de rforme approuves ou sils en rduisent la porte et que les ngociations sur le statut avanc seront reprises pour les partenaires qui raliseront les rformes ncessaires. En ce qui concerne la migration, les mmes solutions sont prconises, une coopration dans la lutte contre la migration irrgulire qui passe par lacceptation par les pays tiers de la radmission et dune coopration policire dans la surveillance des frontires impliquant un renforcement de capacit des pays tiers en change dun dveloppement de la migration circulaire, du partenariat de mobilit et dune aide substantielle au dveloppement.

    Le renversement de lordre des priorits prvu dans le partenariat pour la dmocratie naura cependant pas tenu face au fantasme de linvasion tunisienne 53. Quoiquappelant un nouveau partenariat avec les voisins du Sud de la Mditerrane et un soutien important, sinon massif, aux transitions dmocratiques, laccent est de nouveau mis sur la lutte contre limmigration illgale, sous la pression de la France et de lItalie. La lettre conjointe adresse le 26 avril par les autorits italiennes et franaises lUnion europenne est on ne peut plus claire sur ce point : en contrepartie (du soutien financier), nous sommes en droit dattendre des pays partenaires quils sengagent dans une coopration efficace avec lUnion europenne et ses tats membres dans la lutte contre limmigration illgale. Cette coopration doit porter sur la gestion de leurs frontires avec un rle possible de Frontex pour aider ces pays lutter contre les dparts illgaux et avec une aide europenne pour les accompagner dans leur lutte contre les filires criminelles. Elle doit aussi concerner les radmissions des migrants clandestins . La conditionnalit migratoire devient, de nouveau, la mesure du partenariat.

    Cest donc de nouveau, une vision court terme qui prime, une politique scuritaire et de fermeture par une Europe toujours obnubile par le syndrome algrien et qui redoute que la transition dmocratique nouvre la voie aux partis islamistes qui pourraient radicaliser leur politique trangre 54. Mais nest ce pas de cette politique que se nourrissent les partis islamistes que lon craint ?

    En agitant lpouvantail identitaire, le spectre de linvasion et son corollaire de racisme et de xnophobie, on attise les forces contre rvolutionnaires, en particulier les forces salafistes et jihadistes, qui trouvent dans laccueil fait aux migrants de quoi alimenter leur propagande anti occidentale et leur rejet des valeurs universelles.

    Forte dune tradition moderniste qui remonte plus dun sicle, exception notable dans le monde arabe et musulman dans ses progrs dans la garantie des droits des femmes, de la libert de conscience et dans la matrise de sa dmographie, la Tunisie a toutes les chances de russir sa transition dmocratique.

    Soutenir la transition dmocratique c'est--dire les valeurs communes avec un appui financier consquent55 de la part de lUnion Europenne pourrait dautant plus y contribuer que cest le seul

    52 Ibidem. 53 Repris du titre de lenqute mene par lAnaf-Gisti, prcit. 54 BALZACQ (T), La politique europenne de voisinage, un complexe de scurit gomtrie variable , Cultures et

    conflits, 66, t 2007, (en ligne), mis en ligne le 13 mars 2008. URL , www.conflits.org, Consult le 25 mai 2009. 55 20 milliards de dollars dont 3, 5 milliards deuros provenant de la BEI (Banque europenne dinvestissement) a t prvu

    au profit de lEgypte et de la Tunisie pour 2011-2013 : Dclaration du G8 sur les printemps arabes, Deauville, 26-28 mai

  • Rvolution tunisienne et migration clandestine vers Europe : Ractions europennes et tunisiennes

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    remde la migration irrgulire. Pourquoi les Tunisiens iraient-ils risquer leur vie dans la traverse de la Mditerrane et perdre leur dignit en subissant le sort peu enviable des migrants en situation irrgulire sils vivent dans un pays prospre et dmocratique ?

    (Contd.) 2011. Lassistance financire europenne est fixe pour la mme priode 240 millions dEuros pour la Tunisie : Communication conjointe au Conseil Europen, au Parlement europen, au Conseil, au Comit conomique et social europen et au Comit des rgions : Un partenariat pour la dmocratie et une prosprit partage avec le Sud de la Mditerrane (mars 2011). Or la Tunisie aurait besoin de 25 milliards de dollars.