cahiers artaud 2
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Éditions les Cahiers / Mars 2015 / ISBN : 978-2-9534806-7-2 / 16,5 x 24 cm / 304 pages / 30 eurosTRANSCRIPT
ÉDITIONS LES CAHIERS
a r ta u d2
cahiers Artaudnuméro deux
éditions les cahiers
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Contre tout recours au Poèmeet à Dieu comme à un homme mort
Le crime de l'inchristécontre l'humanité d'Antonin Artaud
À Alain Jouffroy
Voilà qui reste, selon moi,la solitude absolue d'une passion sans martyre.
Jacques Derrida
Antonin Artaud a été tué en mars 1948 par une certaine poésie des inchristés, inchristés qui jusqu’en 2015 n’auront pas encore appris ni compris que c’est ce qu’ils ont fait de pire, et que c’est ce que personne ne pourra leur pardonner : tuer le poème humain.
C’est, entre autres, dans ce poème qu’Artaud dénonça lui-même ce meurtre :
« Je ne crois plus aux mots des poèmescar ils ne soulèvent rienet ne font rien.Autrefois il y avait des poèmes qui envoyaient un guerrier se
faire trouer la peau,mais la gueule trouéele guerrier était mort,
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et que lui restait-il de sa gloire à lui ?je veux dire de son transport ?Rien.Il était mort,cela servait à éduquer dans les classes les cons et fils de cons
qui viendraient après lui et sont allés à de nouvelles guerresatomiquement réglementées,je crois qu’il y a un état du guerrierla gueule trouéeet mort, reste làil continue à se battreet à avancer,il n’est pas mort,il avance pour l’éternité. » 1
Il devrait grandement suffire de recopier avec une main quelque peu maldororienne ces phrases écrites par Artaud en 1947, ou bien les lire avec un ton rimbaldien dans une émission culturelle radiophonique ou télévisuelle, pour que les tenants chrétiens et anti-modernes d’une culture de mort et de honte s’en émeuvent et décident illico presto de quitter ce monde, de fuir cette vallée de larmes et enfin de foutre une paix royale à Antonin Artaud, le tout dernier de nos poètes vivants.
Les Cahiers Artaud seront donc cette entreprise moderne et poétique pour pousser devant le guerrier mort qui avance pour l’éternité. Artaud ici est mort comme un homme, il continue donc à se battre, il avance la gueule trouée, il a pris un christ dans la tronche et il s’en sort. Il y a donc du Charles Péguy en 1914 dans cet Artaud de 1948.
Pour en finir avec la poésie chrétienne, la pure et la dure, celle qui a pignon sur rue, sur sacristie et sur média moderne en 2015, il est néces-saire de lire « Antonin Artaud » là où Arthur Bernard écrit « Ernst 2 » dans son livre paru aux éditions Cent pages : Ernest Ernest. Dans ce livre qui veut penser l’idée d’une révolution par les cosaques à partir de la vie et l’œuvre d’Ernest Coeurderoy (Ernest 1) et d’Ernesto Che Guevara (Ernest 2), on lit la plus frappante des expositions du corps artaudien en sa déchristianisation même, et ce sous l’aspect de la mise à mort de
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Alain Jugnon
Che Guevara en Bolivie en 1967 : « Quant au corps d’Ernst 2, lavé, un peu peigné, du formol dans les veines (et pas embaumé comme l’écrit France-Soir, « le seul quotidien vendant plus d’un million », du 12 octobre 1967) et les yeux ouverts, il fut exposé, le torse nu troué de balles sur la dalle en ciment faisant office de lavoir et amplement photographié. L’image fit le tour de la terre, souvent comparée à la déposition de NSJC telle que les peintres l’ont représentée, Mantegna et son Christ mort pour le plus célèbre qui se trouve à la Brera de Milan. On pourrait ajouter le Christ mort allongé par terre, cheveux très noir comme Ernesto, de Bernardo Cavallino peintre napolitain du dix-septième qui est ailleurs et le torero mort de Manet sur le sable de l’arène qui ressemble aussi bien à un Christ déposé. Ensuite (j’abrège) le cadavre fut transporté par hélicoptère, arrimé aux pales. » 2
Vingt plus tôt, en 1947, Artaud écrivait le texte de sa propre exposi-tion comme être humain neuf : dans « Le visage humain » (qui est un titre pour montrer et écrire sa propre face), il y a un Artaud quasi écroulé au sol, presque mort et dessinant ou bavant encore du christ (Artaud écrit jésucri quand les autres entendent le christ) partout et pour tous.
Il y eut sur terre Artaud et Van Gogh pour faire sortir une face peinte du visage humain, autrement dit faire venir le poème là où était le dieu ancien. Faire venir exactement à la place qui est encore aujourd'hui celle du dieu mort, dieu de la bible et dieu des évangiles, celui-là même : l'horreur chrétiennement vécue par Artaud se voit sur sa tête, se vit sur sa face, se joue sur son anatomie, qu'il ne parviendra jamais à se faire totalement humaine. Ça fait trop mal la chrétienté quand ça pousse à jouir de soi dans une anatomie d'un autre, ça tue, tout bonnement.
Dans le texte de son exposition poétique, Antonin Artaud expliquait calmement cela : le visage humain, enchristé, endieusé, ne trouve pas de lui-même sa marque humanisante, il se voit mort deux fois dans le tableau, mort à soi et mort aux autres. Il faut donc aider la face humain a sortir, à se voir en tableau. Le christianisme a proxénétisé jusqu'à la gueule d'ange des créateurs et des poètes. Le visage que le dieu chrétien fait à Artaud est une gueule cassée à coups de passion christique mal négociée. Le tableau final fait penser à une solution finale qui visait la fin de l'homme, à la gloire de Dieu :
VII
ouverture
« Le visage humain est une force vide, un champ de mort.La vieille revendication révolutionnaire d'une forme qui n'a
jamais correspondu à son corps, qui partait pour être autre chose que le corps.
C'est ainsi qu'il est absurde de reprocher d'être académ-ique à un peintre qui à l'heure qu'il est s'obstine encore à reproduire les traits du visage humain tels qu'ils sont; car tels qu'ils sont ils n'ont pas encore trouvé la forme qu'ils indiquent et désignent; et font plus que d'esquisser, mais du matin au soir, et au milieu de dix mille rêves, pilon-nent comme dans le creuset d'une palpitation passionnelle jamais lassée.
Ce qui veut dire que le visage humain n'a pas encore trouvé sa face
et que c'est au peintre à la lui donner. » 3
Les Cahiers Artaud veulent voir en tableau la face d'Antonin Artaud.
« Depuis mille et mille ans en effet que le visage humain parle et respire
on a encore comme l'impression qu'il n'a pas encore com-mencé à dire ce qu'il est et ce qu'il sait. […]
Le seul Van Gogh a su tirer d'une tête humaine un portrait qui soit la fusée explosive du battement d'un cœur éclaté.
Le sien. » 4
Les Cahiers Artaud veulent mettre le feu à la tête d'Antonin Artaud.
« J'ai fait venir parfois, à côté des têtes humaines, des objets, des arbres ou des animaux parce que je ne suis pas encore sûr des limites auxquelles le corps du moi humain peut s'arrêter.
J'en ai d'ailleurs définitivement brisé avec l'art, le style ou le talent dans tous les dessins que l'on verra ici. Je veux dire que malheur à qui les considérerait comme des oeuvres d'art, des oeuvres de simulation esthétique de la réalité.
Aucun n'est à proprement parler une oeuvre.Tous sont des ébauches, je veux dire des coups de sonde ou
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Alain Jugnon
de boutoir donnés dans tous les sens du hasard, de la pos-sibilité, de la chance, ou de la destinée.
Je n'ai pas cherché à y soigner mes traits ou mes effets,mais à y manifester des sortes de vérités linéaires patentes
qui vaillent aussi bien par les mots, les phrases écrites, que le graphisme et la perspective des traits.
C'est ainsi que plusieurs dessins sont des mélanges de poèmes et de portraits, d'interjections écrites et d'évocations plas-tiques d'éléments, de matériaux, de personnages, d'hommes ou d'animaux. » 4
Les textes publiés dans les Cahiers Artaud veulent mélanger les poèmes, les interjections écrites, les matières, les hommes et les animaux.
Ainsi, une route existe qui est celle des vraies questions existentielles, celle de Rimbaud, Arthur Rimbaud le grand autre de tous les poètes : le « Beau » et le « Bien » ne seront jamais considérés. Quand « Beau » et « Bien » sont dissociés du réel, c'est enfin le poème qui naît. C'est encore le cas ici.
Tout esprit soucieux de l'humanité sait que l’enfouissement progres-sif du « Beau » et de son complice le « Bien » indique une grande santé en cours de généralisation, laquelle peut sans doute être considérée comme humanisante et prométhéenne. Cela même que nous appelons ici : l’action directe de la poésie. C’est pourquoi l’urgence est à l’action poétique tous azimuts.
Artaud est bien ce poète parti d'un si bon pied, et dont on continue pourtant à vouloir passer sous silence l’énormité de la vie matérielle et non religieuse (une vie électrique et anthropo-logique).
Artaud sera le poète inique, par excellence, il sera l'éternel pourfendeur de tous les occultismes et de chaque ésotérisme. n
ouverture
Alexandre COSTANZOLe théâtre du « réel »
Bruno TACKELSArtaud, les latinos et les toxicos
DIALOGUE
Nicolas ROZIER& Virginie DI RICCI
Et cætera (Cahiers d'Ivry)
Mathilde GIRARD& Luc CHESSEL
Deux – Plan foudre
CITATION
Gilles DELEUZE& Jacques DERRIDA
Artaud biopolitique, Deleuze et Derrida cosmopolitiques
DOMAINE ÉTRANGER
Miguel MOREYAntonin Artaud : le corps et la grammaire
Alain JUGNONContre tout recours au Poème et à Dieu comme à un homme mort
CRITIQUE
Jonathan POLLOCKArtaud le chien magnifique
Serge MARGELPortrait de l'acteur en performeur. Artaud, du théâtre au cinéma
CONTEXTE
Jérôme DUWAPlan panoramique avec alternance d'écrans noirs
Aurélien LEMANTOpération : Glossolalie. Artaud et le King, une tentative de Cruauté
Arno BERTINAAppartenir à l'illimité. Trois conférences et leur fortune diverse
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cahiers Artaudsommaire numéro deux
CRÉATION LITTÉRAIRE
Gaëlle OBIEGLYPersonne
Alban LEFRANCLa mèche
Edgar ALEMANYAinsi tombe / Aixi cau
Gérard MORDILLATJésus le Naze
NATHANAËLDouze chutes d'un film à refaire
PHOTOGRAPHIES
Sadie van PARIS47, 55, 89, 129, 139, 159
DESSINS
Rachel DEVILLE27, 255, 256
PLACID221, 222, 239, 248
DÉBAT :ARTAUD / BOUSQUETNON SERVIAM
Pouvait-on s'y attendre ?
Michel SURYASouveraineté et inconditionnalité de la littérature
Hubert CHIFFOLEAUVolt-faces
Jean-Pierre TÉBOULCroire, penser, être – cesser d'être : écrire…
Joë BOUSQUET« Faut-il brûler Kafka ? »Annexe : correspondance avec Réginald Gaillard
RÉÉDITION
André GAILLARDNote sur l'Ombilic des Limbes et le Pèse-Nerfs
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C’est ainsi que marche la machine humaine depuis toujours dans
l’absurdité de son humour sinistre qui a toujours fait peur à la peur.