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Les 50 ans de l’Université du Québec LES SAMEDI 26 ET DIMANCHE 27 MAI 2018 CAHIER SPÉCIAL E Regards syndicaux sur ses contributions au développement du Québec HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaboration spéciale L e 18 décembre 1968 marque la naissance du réseau de l’Université du Québec (UQ), créé par le premier ministre de l’époque, Jean- Jacques Bertrand, qui soumet à l’Assemblée nationale le projet de loi 88. Accroître le ni- veau de formation de la population québécoise par une accessibilité accrue, assurer le développement scienti- fique du Québec et contribuer au développement de ses régions : trois missions, trois grands défis à relever dans le contexte de la Révolution tranquille et du bouillonnement qui régnait alors dans la province. « Il fallait décentraliser les études universitaires, rap- pelle le sociologue Guy Rocher, auteur de plusieurs ouvrages sur la question. Les sortir de Montréal, de Québec et de Sherbrooke. Le réseau est né des recom- mandations du rapport Parent, destiné à démocratiser l’accession aux études. Il y a eu les cégeps d’un côté et les universités en région de l’autre. Et Montréal avait besoin aussi d’une deuxième université francophone, en plein centre-ville, ouverte aux jeunes du bas de la ville et de la Rive-Sud. » Dès 1969, cinq établissements universitaires voient le jour, à savoir les universités du Québec à Montréal, Trois-Rivières et Chicoutimi, ainsi que l’École nationale d’administration publique (ENAP), créée à Québec pour former de véritables gestionnaires publics, et l’Institut national de recherche scientifique (INRS). En 1973, Rimouski se dote de son université. L’année sui- vante, l’École de technologie supérieure (ETS) est créée à Montréal afin de promouvoir une philosophie d’enseignement en science appliquée. En 1981, puis en 1983, deux nouvelles universités viennent compléter le tableau régional, en Outaouais d’abord, puis en Abitibi. Et c’est finalement en 1992, que le dernier établisse- ment s’ajoute : la télé-université TELUQ, qui se spécia- lise dans l’enseignement à distance. Pôles de développement économique et culturel Dix établissements sur l’ensemble du territoire de la province. Dix établissements qui, depuis 50 ans, ont dé- cerné près de 650 000 diplômes. Plus de 100 000 étu- diants y étaient inscrits à l’automne 2015, dont une forte proportion composée d’adultes en situation de concilia- tion études-travail-famille et de candidats aux parcours scolaires non conventionnels ou non linéaires. Si plusieurs enjeux demeurent et si le réseau a parti- culièrement souffert des coupes opérées lors des poli- tiques d’austérité du gouvernement de Philippe Couil- lard, beaucoup de chemin a été parcouru et plusieurs défis semblent avoir été relevés. La présence de près de 60 % d’étudiants dont les parents n’ont pas fréquenté l’université, cette fameuse « première génération » ne provenant pas des milieux bourgeois à qui l’université ouvrait traditionnellement ses portes, en est une preuve. L’UQ a également su aller chercher les femmes, et de plus en plus les populations autochtones. Elle dispose également de 1200 programmes de for- mation aux trois cycles. Programmes d’enseignement et de recherche aux thématiques très ancrées dans leur milieu, l’océanographie à Rimouski, les mines et l’alumi- nium à Chicoutimi ou encore la forêt boréale en Abitibi. « Durant 50 ans, les hommes et les femmes à la tête de l’UQ ont fait preuve d’une énergie et d’une créativité inimaginables, souligne M. Rocher. Les universités en région représentent de véritables pôles de développe- ment économique et culturel. On peut toujours faire mieux, en allant par exemple encore plus chercher les classes populaires. Mais sans le réseau, le visage du Québec ne serait pas le même aujourd’hui. » L’Université du Québec souffle ses 50 bougies Financement Handicaps multiples pour le réseau E 6 Régions Continuer malgré la pénurie étudiante E 7

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Page 1: CAHIER SPÉCIAL E Les 50 ans de l’Université du …...LES 50 ANS DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC LE DEVOIR, LES SAMEDI 26 ET DIMANCHE 27 MAI 2018 E 2 ENSEIGNEMENT Les défis de la

Les 50 ans del’Université du Québec

LES SAMEDI 26 ET DIMANCHE 27 MAI 2018

CAHIER SPÉCIAL E

Regards syndicaux sur ses contributions audéveloppementdu Québec

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

Le 18 décembre 1968 marque la naissance duréseau de l’Université du Québec (UQ), créépar le premier ministre de l’époque, Jean-Jacques Bertrand, qui soumet à l’Assembléenationale le projet de loi 88. Accroître le ni-

veau de formation de la population québécoise par uneaccessibilité accrue, assurer le développement scienti-fique du Québec et contribuer au développement deses régions : trois missions, trois grands défis à releverdans le contexte de la Révolution tranquille et dubouillonnement qui régnait alors dans la province.

« Il fallait décentraliser les études universitaires, rap-pelle le sociologue Guy Rocher, auteur de plusieursouvrages sur la question. Les sortir de Montréal, deQuébec et de Sherbrooke. Le réseau est né des recom-mandations du rapport Parent, destiné à démocratiserl’accession aux études. Il y a eu les cégeps d’un côté etles universités en région de l’autre. Et Montréal avaitbesoin aussi d’une deuxième université francophone,en plein centre-ville, ouverte aux jeunes du bas de laville et de la Rive-Sud. »

Dès 1969, cinq établissements universitaires voientle jour, à savoir les universités du Québec à Montréal,Trois-Rivières et Chicoutimi, ainsi que l’École nationaled’administration publique (ENAP), créée à Québecpour former de véritables gestionnaires publics, etl’Institut national de recherche scientifique (INRS). En1973, Rimouski se dote de son université. L’année sui-vante, l’École de technologie supérieure (ETS) estcréée à Montréal afin de promouvoir une philosophied’enseignement en science appliquée. En 1981, puis en1983, deux nouvelles universités viennent compléter letableau régional, en Outaouais d’abord, puis en Abitibi.Et c’est finalement en 1992, que le dernier établisse-ment s’ajoute : la télé-université TELUQ, qui se spécia-lise dans l’enseignement à distance.

Pôles de développement économique et culturel

Dix établissements sur l’ensemble du territoire de laprovince. Dix établissements qui, depuis 50 ans, ont dé-cerné près de 650 000 diplômes. Plus de 100 000 étu-diants y étaient inscrits à l’automne 2015, dont une forteproportion composée d’adultes en situation de concilia-tion études-travail-famille et de candidats aux parcoursscolaires non conventionnels ou non linéaires.

Si plusieurs enjeux demeurent et si le réseau a parti-culièrement souffert des coupes opérées lors des poli-tiques d’austérité du gouvernement de Philippe Couil-lard, beaucoup de chemin a été parcouru et plusieursdéfis semblent avoir été relevés. La présence de prèsde 60% d’étudiants dont les parents n’ont pas fréquentél’université, cette fameuse « première génération » neprovenant pas des milieux bourgeois à qui l’universitéouvrait traditionnellement ses por tes, en est unepreuve. L’UQ a également su aller chercher lesfemmes, et de plus en plus les populations autochtones.

Elle dispose également de 1200 programmes de for-mation aux trois cycles. Programmes d’enseignementet de recherche aux thématiques très ancrées dans leurmilieu, l’océanographie à Rimouski, les mines et l’alumi-nium à Chicoutimi ou encore la forêt boréale en Abitibi.

« Durant 50 ans, les hommes et les femmes à la têtede l’UQ ont fait preuve d’une énergie et d’une créativitéinimaginables, souligne M. Rocher. Les universités enrégion représentent de véritables pôles de développe-ment économique et culturel. On peut toujours fairemieux, en allant par exemple encore plus chercher lesclasses populaires. Mais sans le réseau, le visage duQuébec ne serait pas le même aujourd’hui. »

L’Université duQuébec souffleses 50 bougies

FinancementHandicapsmultiples pour le réseau E 6

RégionsContinuermalgré la pénurieétudiante E 7

Page 2: CAHIER SPÉCIAL E Les 50 ans de l’Université du …...LES 50 ANS DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC LE DEVOIR, LES SAMEDI 26 ET DIMANCHE 27 MAI 2018 E 2 ENSEIGNEMENT Les défis de la

L E S 5 0 A N S D E L ’ U N I V E R S I T É D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 6 E T D I M A N C H E 2 7 M A I 2 0 1 8 E 2

ENSEIGNEMENT

Les défis de la formation à distance

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

B ranle-bas de combat à la TELUQ. En plusde quarante ans d’existence, celle-ci a déve-

loppé une expertise dans le domaine de la for-mation à distance. Son fonctionnement ? Desprofesseurs qui développent des cours, avecl’aide d’une équipe technique spécialisée dansla pédagogie à distance, puis les tuteurs qui as-surent un encadrement individualisé. Unegrande partie de l’enseignement et l’essentieldu contact pédagogique passent en effet par lesdeux cents tuteurs et tutrices environ quecompte l’université à distance.

Toutefois, ce modèle est en train de changer.Dans un contexte de réorganisation, la direc-tion de la TELUQ a décidé de créer une nou-velle catégorie d’emploi contractuelle. Ces per-sonnes embauchées en tant que « professeurssous contrat » reprendraient ainsi le travail destuteurs, mais contrairement à ces derniers, leurconvention collective prévoit trois fois moins detemps en service aux étudiants.

« De plus, leurs responsabilités en encadre-ment ne sont pas balisées, contrairement à cequi est prévu à la convention des tuteurs et destutrices, s’inquiète Nancy Turgeon, présidentedu Syndicat des tuteurs et tutrices de la TELUQ.Les tuteurs font la force de la TELUQ puisqu’ils’agit du seul point de contact entre l’étudiant etle matériel de cours. Sans eux, celui-ci se re-trouve tout seul face à sa motivation, avec lesrisques de décrochage que cela comporte.»

Débloquer des budgetsLe tuteur explique en effet la matière, répond

aux questions des étudiants, évalue les appren-tissages, mais il lui passe aussi un coup de télé-phone lorsqu’il sent que sa motivation est enberne. Trois heures par semaine et par étudiantcontre seulement une avec les futurs profes-seurs contractuels. Mme Turgeon fait valoir quela population étudiante de la TELUQ est bienparticulière : en majorité des femmes, à tempspartiel, conciliant travail-études-famille, des étu-diants qui sont la première génération de leur fa-

mille à compléter des études universitaires.« Les établissements du réseau de l’Univer-

sité du Québec connaissent bien les défis d’en-seigner à cette population étudiante atypique,souligne-t-elle. Imaginez ce que cela signifie dele faire entièrement à distance !»

Un enjeu qui se pose aussi en dehors de laTELUQ aujourd’hui puisque, pour répondre àleur mission d’accessibilité, plusieurs établisse-ments du réseau proposent des formations aumoins en partie à distance. C’est le cas notam-ment à l’École de technologie supérieure(ETS), qui offre depuis l’été dernier un courshybride avec des ateliers pratiques en présen-tiel et la formation et l’évaluation en ligne.

« On navigue en plein virage numérique, ex-plique Laurent Arel, chargé de cours à l’ETS.On n’a rien contre, mais cela demande un bud-get que, pour l’instant, nous n’avons pas. Uneformation en ligne, ce n’est pas seulement ducontenu que l’on diffuse. Il y a de la scénarisa-tion et de la conception. Et puis, il est fou decroire que, parce que l’étudiant vit depuis tou-jours avec Internet et qu’il est à l’aise avec soncellulaire, il va s’adapter rapidement au formatque nous lui offrons. Cela demande inévitable-ment de l’accompagnement et, donc, une vérita-ble volonté de la part de l’école de reconnaîtrele travail des chargés de cours. »

Préserver l’ancrage régionalM. Arel rappelle par ailleurs que l’ETS reçoit

beaucoup d’étudiants en provenance de la fi-lière technique au collégial. Des étudiants quine sont pas forcément les mieux préparés àpoursuivre des études longues et qui, laissés àeux-mêmes, pourraient bien finir par décro-cher. Il ajoute que l’école est reconnue dans lemilieu industriel pour l’aspect très pratique desa formation et la capacité des finissants à inté-grer très vite le marché du travail. Il ne vou-drait pas que la formation en ligne affaiblissecette caractéristique.

Faire en sorte que les programmes en ligneviennent renforcer le réseau et non l’affaiblir,voilà l’une des grandes préoccupations des syn-dicats. De ce point de vue, le président du Syn-

dicat national des enseignantes et des ensei-gnants du Québec (SNEEQ-CSN), Jean Mur-dock, se dit préoccupé.

«Certes, le numérique amène une plus grandeaccessibilité au savoir, reconnaît-il. Mais il fautquand même pouvoir garder de l’expertise en ré-gion. Les universités situées en dehors desgrands centres ne doivent pas devenir des boîtesdans lesquelles les étudiants viennent écouter uncours à la télévision. Cours qui aura été monté àMontréal. Il ne faut pas perdre de vue la missiond’ancrage dans la communauté du réseau del’UQ. Et cela passe par la présence de profes-seurs sur place, qui font de la recherche liée no-tamment à des problématiques territoriales.»

Mission de réussiteLa présidente du Syndicat des chargées et

chargés de cours de l’UQAM, Marie Blais, notepour sa part que la formation à distance, ou dumoins la formation hybride présentiel/en ligne,répond bien à un besoin du Québec d’augmenterencore le taux de diplomation dans la province,

notamment dans les territoires reculés. Elle re-grette que l’éducation soit encore sous-valoriséeet affirme que l’Université du Québec a fait beau-coup pour renverser la tendance. Selon elle, l’en-cadrement des étudiants est fondamental.

« Au sein du réseau, la taille des groupes estplus petite qu’ailleurs, explique-t-elle. C’est unavantage énorme, car nous connaissons biennos étudiants. C’est impor tant d’être bienconnectés à eux, surtout avec les populationsatypiques que nous avons, en région notam-ment. Oui, la formation à distance répond auxenjeux d’éloignement de certains étudiants.Mais il ne faut pas oublier notre mission deréussite scolaire. »

Mme Blais convient qu’un rattrapage s’estopéré depuis cinquante ans, comparativementaux autres provinces du Canada, mais que ce-lui-ci doit se poursuivre.

« On pourrait et on devrait faire beaucoupmieux, conclut-elle. Mais ça prendrait la vo-lonté de la part du ministère de financer le ré-seau à la hauteur de ses objectifs. »

Pour répondre à sa mission d’accessibilité sur un territoire aussi vaste que le Québec, les

programmes de formation à distance se multiplient dans le réseau de l’Université du Qué-

bec, et pas seulement au sein de la TELUQ. S’ils présentent l’avantage d’aller chercher un

public atypique, ils comportent leur lot de défis, notamment pour l’encadrement, dans un

contexte de réduction budgétaire.

MARC WATTRELOT AGENCE FRANCE-PRESSE

Faire en sorte que les programmes en ligne viennent renforcer le réseau et non l’affaiblir, voilà l’une desgrandes préoccupations des syndicats.

RECHERCHE

Les chercheurs, acteurs du développement économique

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

A llant à l’encontre des recommandations durapport Parent, qui préconisait l’ouverture

de nouvelles universités qui ne proposeraientque des premiers cycles, dès le départ, le ré-seau de l’Université du Québec a of fer t desdeuxièmes et troisièmes cycles, ouvrant la voieà des programmes de recherche.

« On se rend compte aujourd’hui que cela aété une très bonne chose, af firme Michel La-croix, vice-président du Syndicat des profes-seurs et professeures de l’Université du Qué-bec à Montréal (SPUQ-CSN). Il y a des pro-grammes féconds dans toutes les universitéspartout à travers le Québec, et cela contribue àla création de nouvelles formes de savoir. Desprogrammes originaux que les établissementsont élaborés pour se distinguer. »

Leur caractéristique, la transdisciplinarité.Prenons l’environnement par exemple. Alorsque certaines universités ont tendance à pren-dre ce dossier sous l’angle biologique, à l’UQ,

les considérations sociales, économiques ou en-core sanitaires ont été creusées. Parce que larecherche dans le réseau cherche à s’ouvriraux problématiques des communautés au seindesquelles les universités se sont implantées.

« Elle est ancrée dans la réalité de la région,indique Stéphanie Demers, vice-présidente duSyndicat des professeures et professeurs del’Université du Québec en Outaouais (SPUQO-CSN). C’est de la recherche de proximité, quipar sa nature, collaborative ou participative, re-quiert plus de temps et beaucoup d’énergie,mais qui œuvre au développement économiquedes territoires d’implantation.»

Double peineL’Université du Québec en Outaouais (UQO)

a par exemple mis en place un Observatoire dudéveloppement régional de l’Outaouais, en rela-tion avec dif férents membres de la commu-nauté et qui implique plusieurs départementset des chercheurs en sociologie, en urbanismeet en santé publique notamment. Ce pro-gramme permet d’informer la ville de Gatineau

sur les besoins de la population des divers quar-tiers et d’émettre des recommandations lors dedéveloppement de projets urbains.

«Le problème, c’est que ce type de rechercheest particulièrement malmené lorsqu’il y a descompressions budgétaires, affirme Mme Demers.Le type de production industrielle que l’on tented’imposer aux chercheurs requier t que l’oncoupe dans toutes les dépenses annexes, toutl’argent dépensé de façon non traditionnelle. Ty-piquement, le fait de travailler en collaborationavec des populations non universitaires, c’estplus complexe, ça prend plus de temps, ça forceà utiliser l’argent de manière moins classique.»

L’argent… encore une fois l’obstacle principaldans le réseau. Michel Lacroix fait valoir que 50%du financement public est consacré à la re-cherche biomédicale alors que le secteur necompte que 10% de tous les professeurs. 25% s’envont ensuite dans le génie, et il ne reste alors plusque 25% pour toutes les autres disciplines. Il rap-pelle que le réseau de l’UQ s’est plutôt spécialisédans les filières sociales, humaines et littéraires.

« Il y a même une double peine, poursuit-il.Parce que l’argent privé, que les universités ten-tent d’aller chercher pour pallier les compres-sions budgétaires, a tendance à aller vers les uni-versités et les départements qui touchent déjàbeaucoup d’argent. On se rend compte que leschercheurs qui sont déjà bien financés sont en-

core mieux financés. C’est insensé et contre-pro-ductif. On sait aujourd’hui qu’il y a un plafonne-ment. Un chercheur peut obtenir des millions, iln’aura pas plus de sept jours dans sa semainepour faire ce qu’il a à faire et il n’aura pas plus debonnes idées qu’avec un peu moins de sous.»

Recherche-créationLes syndicats affiliés à la Confédération natio-

nale des syndicats (CSN) plaident en faveur

JOSH EDELSON AGENCE FRANCE-PRESSE

La recherche en génie et la recherche biomédicale separtagent quelque 75 % du financement public, selonMichel Lacroix, vice-président du Syndicat desprofesseurs et professeures de l ’Universitédu Québec à Montréal.

VOIR PAGE E 6 : RECHERCHE

L’Université du Québec, c’est 3000 professeurs environ, en grande majorité investis dans

des programmes de recherche. Ses programmes originaux, qui répondent bien souvent

aux besoins des communautés dans lesquelles les établissements sont implantés, ont la

particularité d’être couramment transdisciplinaires.

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Ce cahier spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute information sur le contenu, vous pouvez contacter Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected].

Pour vos projets de cahier ou toute autre information au sujet de la publicité, contacter [email protected].

1968. Le Québec vivait une période de grandes transformations économiques et sociales, et la question du savoir, del’éducation et de la recherche faisait partie des débats. Comment faire basculer la province dans une économie de ser-vices, elle qui était encore très majoritairement agricole et industrielle, alors que seulement 4% de la population franco-phone se rendait jusqu’aux études supérieures au début des années 1960? La réponse est venue notamment par la créa-tion du réseau de l’Université du Québec. Cinquante ans plus tard, il demeure certes des défis à relever, mais le réseaupeut tout de même s’enorgueillir d’avoir accompli nombre de ses missions.

RÉSEAU DE L’UQ

Un grand bond vers la modernité

L’idée de mettre en place un conseil national des universi-tés a fait surface lors du Sommet sur l’enseignement de2013, organisé à la suite des manifestations étudiantescontre l’augmentation des droits de scolarité. À l’époque,les syndicats affiliés à la Confédération des syndicats natio-naux (CSN) s’y étaient dits favorables et ils le sont toujours.Mais force est de constater que, cinq ans plus tard, ils nevoient toujours rien venir.

CONSEIL NATIONAL DES UNIVERSITÉS

Les syndicatsdemandent une loi-cadre

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

J usqu’en 1968, chez lesfrancophones, seuls les en-

fants issus des classes bour-geoises se rendaient jusqu’àl’université, surtout parmi lapopulation vivant en régionpuisque les seuls établisse-ments d’enseignement supé-rieur se trouvaient à Montréal,à Québec et à Sherbrooke.

« Aller étudier à l’extérieurde la ville où l’on habite engen-dre des coûts supplémen-taires, en matière de logementnotamment, note la présidentede la Fédération des profes-sionnèles (FP-CSN), GinetteLanglois. Cela restreignait l’ac-cessibilité des études pour lesgens ayant des revenus plusmodestes. Or l’accessibilitéest inscrite dans la loi 88, quidonne naissance au réseau.»

Cette loi 88 votée en décem-bre 1968 donne en effet nais-sance à un réseau d’établisse-ments d’enseignement supé-rieur public et laïque, censés’installer sur tout le territoirequébécois afin de permettreaux jeunes des régions decontinuer à étudier là où ils ha-bitent. Afin également de dé-velopper des pôles écono-miques et culturels en dehorsdes grands centres.

Main-d’œuvre bien formée

«Il s’agissait également d’œu-vrer au développement scienti-fique du Québec afin de nouspermettre d’avoir nos propreschercheurs et notre propreconception scientifique de ceque devrait être le progrès, rap-pelle le président sortant de laFédération nationale des ensei-gnantes et des enseignants duQuébec (FNEEQ-CSN), JeanMurdock. Raison pour laquelle,dès le départ, il a été questionde promouvoir la recherche ausein du réseau et donc de pro-poser des deuxième et troi-sième cycles. C’est une des

grandes réussites du réseau.En cinquante ans, le Québec afait un grand bond vers la mo-dernité et l’UQ y a largementparticipé.»

Le président sor tant de laFNEEQ insiste sur le fait queles entreprises en région ontlargement profité à la fois de lamain-d’œuvre bien forméedans les universités et des re-cherches menées sur desthèmes très souvent liés aumilieu économique et social. Ilsoutient qu’il y a, au sein duréseau, une expertise de trèsbonne qualité qui n’a rien à en-vier aux autres universitésdites «à charte».

Le président de la Confédé-ration des syndicats natio-naux (CSN), Jacques Létour-neau, confirme qu’il y a unecorrélation entre le dévelop-pement économique d’une ré-

gion et la présence d’une uni-versité. Et aux patrons qui seplaignent de payer trop d’im-pôts, il répond qu’ils doivents’estimer heureux de pouvoirbénéficier d’une main-d’œu-vre bien formée.

« Les impôts servent aux in-frastructures, indique-t-il. Etles infrastructures, ce ne sontpas seulement des routes etdes ponts, ce sont aussi desécoles et des universités. Lesuniversités en région permet-tent de garder des hommes etdes femmes sur ces ter ri-toires. S’ils partaient étudier àMontréal ou à Québec, qui ditqu’ils reviendraient ?»

M. Létourneau défend doncl’idée que l’UQ a permis la dé-mocratisation du savoir et unemeilleure accessibilité auxétudes supérieures. Pour au-tant, il soutient qu’il faudra en-core travailler fort pour mainte-

nir et même faire encore aug-menter le taux de diplomation,une nécessité, selon lui, alorsque l’on entre dans une ère oùil y aura de moins en moins detravail manuel et où les emploisdemanderont de plus en plusaux travailleurs de faire appel àleur jugement. Or, il rappelleque le réseau a beaucoup souf-fer t ces dernières années etque le réinvestissement an-noncé la semaine dernière nefait que combler les per tesdues aux politiques d’austérité.

Développement d’une pensée critique

Ginette Langlois croit poursa par t que l’un des grandsdéfis des prochaines annéessera de revenir à l’essencemême des fondements del’Université, à savoir la libertéde l’enseignement et le déve-

loppement d’une pen-sée critique loin des in-térêts des entreprisesou des gouvernements.

« L’Université doitanimer le débat pourmieux comprendre lasociété dans laquellenous vivons, explique-t-

elle. Or, avec les coupes, les la-boratoires de recherche sesont tournés vers les compa-gnies privées pour trouver dufinancement. Cela n’est passans conséquence sur les su-jets de recherche. Or, nous neformons pas seulement des fu-turs travailleurs, mais aussi defuturs citoyens.»

L’entrée du milieu des af-faires au sein des conseilsd’administration des dif fé-rents établissements fait éga-lement partie des points queles syndicats sur veillent. Ilsregrettent en ef fet qu’il y aitsouvent une plus grande pro-por tion de personnel exté-rieur à la communauté uni-versitaire dans ces instances.Selon eux, cela fait en sor teque les universités sont deplus en plus gérées commedes entreprises privées, sousl’angle de la per formance et

de la reddition de comptes,alors qu’elles devraient seconcentrer sur leurs missionset objectifs.

« Il y a une remise en ques-tion de la gestion par ticipa-tive à l’intérieur du réseau,pour la remplacer par une vi-sion beaucoup plus hiérar-chique, déplore Jean Mur-dock. Ce sont les CA qui im-posent leurs objectifs. Celacorrompt la collégialité, quiest pourtant l’essence mêmedu réseau de l’UQ. »

Un bijouLe sociologue Guy Rocher

croit, quant à lui, que cetteprise de pouvoir du milieu desaf faires est une preuve deplus du désintérêt des pou-voirs publics envers l’UQ. Ilestime que tant l’opinion pu-blique que le gouvernement,ou le ministère, ne reconnais-sent pas le réseau à sa justevaleur.

« Nous ne connaissons passuf fisamment le bijou quenous avons entre les mainsavec l’Université du Québec,avance-t-il. Nous continuons àcroire, par exemple, qu’il n’y aque les universités à char tequi font de la recherche vala-ble. Or ce qui se fait à l’UQAMà l’INRS et en région est toutaussi remarquable. »

Il ajoute que l’implantationdes universités en région aégalement permis l’installationd’une élite sur ces territoires.Des professeurs qui, commeon le croyait en 1968, ne fontpas l’aller-retour vers Mont-réal mais y vivent et font vivreleur ville économiquement etculturellement.

« Il n’y avait pas de profes-seurs de carrière en régionavant l ’UQ, conclut- i l . Pasbeaucoup à Montréal d’ail-leurs. Aujourd’hui, ce sonteux qu’on lit dans les jour-naux, qui vont au restaurant,au théâtre, au musée. Le ré-seau de l’UQ est à l’originede la floraison culturelle àl’échelle de la province. »

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC

Le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, confirme qu’il y a une corrélation entre le développementéconomique d’une région et la présence d’une université.

«Nous ne connaissons passuffisamment le bijou que nous avons entre les mains avec l’Université du Québec»

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

L a ministre de l’Enseigne-ment supérieur, Hélène Da-

vid, avait pourtant l’air de vou-loir aller de l’avant en 2016. Elleavait mis en place à l’époqueune vaste consultation auprèsdes nombreux partenaires dumilieu et chargé l’ex-recteur del’Université du Québec à Mont-réal (UQAM), Claude Corbo,de lui remettre un rapport éva-luant la per tinence et la ma-nière d’implanter un conseildes universités.

Ce rappor t remis en mars2017 recommandait ainsi lacréation du Conseil des univer-sités par une loi de l’Assembléenationale lui assurant le statutd’organisme public indépendantdoté de l’autonomie concep-tuelle, administrative et finan-cière requise par son mandat.

Ce conseil se verrait attri-buer quatre mandats princi-paux, à savoir contribuer àl’orientation générale, à la co-hérence et à l’amélioration dusystème universitaire, conseil-ler la ministre et les établisse-ments dans l’exercice de leursresponsabilités, collaborer àl’évaluation de la qualité de laformation universitaire etcontribuer à faire mieux com-prendre et apprécier le rôledes universités.

Plus de transparenceLe document insistait égale-

ment sur la nécessité pour ceconseil de veiller au respect dela liberté et de l’autonomie uni-versitaires. Pour cela, il préco-nisait une instance composéede membres nommés par legouvernement, dont une lé-gère majorité proviendrait dela communauté universitaire.

Depuis, plus rien ou presque,regrettent les syndicats. «Toutsemble sur la glace», reconnaîtle président sortant du Syndicatnational des enseignants et en-seignantes du Québec (SNEEQ-CSN), Jean Murdock. «C’est dé-plorable, car il existe toutessortes de pratiques au sein desuniversités, autant dans le ré-seau de l’UQ que dans les éta-blissements à charte. Un conseilnational au sein duquel des re-présentants de toutes les univer-sités siégeraient permettrait dedéfinir des règles du jeu et demettre fin à une compétition quiest dommageable pour tous.»

Le conseil pourrait discuterde dossiers tels que la rémuné-ration des dirigeants d’univer-sité, l’admission des étudiants, lareddition de comptes, différentsaspects de coordination ou en-core le développement du ré-seau universitaire. M. Murdockfait notamment valoir que plu-sieurs universités ont ouvert desantennes en dehors de leur ter-ritoire d’origine, et qu’au lieu detravailler de concert pour queplus de Québécois accèdent auxétudes universitaires, elles exa-cerbent la concurrence.

« Elles se volent littérale-

ment des étudiants pour allerchercher plus d’argent public,affirme-t-il. Ce ne sont pas debonnes pratiques et c’est tout àfait le genre de dossiers donton pourrait traiter dans unconseil national. Tout commele financement des universités,du reste, plutôt que celui-ci soitcomme aujourd’hui, défini der-rière des portes closes.»

StabilitéLa présidente de la Fédéra-

tion des professionnèles (FP-CSN), Ginette Langlois, sou-ligne quant à elle qu’une desmissions d’un conseil nationaldevrait être de préserver l’es-sence même des universitéscomme bien public. En cesens, elle ne croit pas être surla même longueur d’onde quela ministre.

« Dans son discours de2016, Mme David évoquait uneinstance de contrôle de na-ture à standardiser les univer-sités, indique-t-elle. Une ins-tance qui pourrait regarderc o m m e n t ç a s e p a s s e àl’étranger. Or, il y a de plus enplus, partout dans le monde,une marchandisation du sa-voir. Est-ce que ce sera notremodèle ? Un tel organisme de-vrait plutôt nous permettred’avoir des débats sur les dé-rives liées à la concurrenceentre les établissements, et àla gestion autoritaire plutôtque participative. »

Pas du tout convaincue parla nouvelle politique de fi -nancement présentée la se-maine dernière, Mme Lan-glois af firme que ses fonde-ments reposent sur des prin-cipes de performance et nonsur la nécessité du bien com-mun de la société québé-coise. « Cela milite plus quejamais pour la création d’unconseil des universités, dontl’un des objectifs, je le rap-pelle, est une meilleure coor-dination entre les universitéset de mettre fin à la concur-rence », soutient-elle.

D’où l’impor tance, selonelle, que les représentants dela communauté universitaire— professeurs et chargés decours, étudiants et personnelsde soutien — soient majori-taires au sein de l’organisme.Et la nécessité qu’une loi-ca-dre, votée à l’Assemblée natio-nale, vienne clairement définirses missions.

La vice-présidente de laCSN, Véronique de Sève, parlequant à elle d’une instance deconcertation, de dialogue etde débat. De stabilité égale-ment. Elle rappelle que les mi-nistres de l’Enseignement su-périeur se sont succédé cesdernières années et qu’il estprobable qu’il y en ait un nou-veau à l’issue des prochainesélections. « Dans les universi-tés, les gens sont inquiets, in-dique-t-elle. On ne sait pas oùl’on s’en va. Un conseil natio-nal permettrait d’éviter les re-virements à chaque change-ment de ministre. »

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M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

«L es chargés de coursétaient là au début, ils

sont là maintenant et encorepour un bon moment », lanced’entrée de jeu Stefana Lama-sanu, de la Fédération nationaledes enseignantes et des ensei-gnants du Québec (FNEEQ).En fait, ils représentent 50% ducorps enseignant du premier cy-cle et sont encore plus nom-breux aux cycles supérieurs.L’UQ ne fait pas exception avecun ratio semblable à celui desuniversités à char te, et leurnombre varie selon les pro-grammes et les facultés. «Danscer taines facultés où le pro-gramme repose sur la capacitéd’enseigner en région éloignée,ce sont souvent les chargés decours qui dispenseront lescours, et il n’est pas rare de voirces cours offerts le soir, le week-end et à distance», rappelle lasyndicaliste. Pour elle, «les char-gés de cours assurent l’accessi-bilité aux études universitaires».

Dès le début, le réseau de

l’UQ s’est bâti en s’appuyantsur la force de ces chargés decours. Il ne faut pas se le ca-cher, mais il est financièrementplus attirant pour une universitéde fa i r e l ’ embauche d ’unchargé de cours plutôt que d’unprofesseur. « Ça permet aussid’offrir un plus large éventail decours », ajoute-t-elle. Dans lesannées 1970, ce phénomène deflexibilisation des conditions detravail était notable. « Par lasuite, dans les années 1990, lagestion néolibérale de l’emploiest allée de pair avec la précari-sation et la contractualisation.Depuis, le phénomène s’est ins-tallé dans le réseau UQ », ex-plique Stefana Lamasanu.

Comme les chargés de coursassurent l’accessibilité, la conti-nuité entre la pratique et la for-mation et l’enseignement sousplusieurs formes, «notre lutteest de faire reconnaître leur ap-port dans les instances de l’UQ.Ainsi, l’UQ — dirigée par l’As-semblée des gouverneurs quicomprend les neuf dirigeantsdes universités affiliées, huit re-présentants socioéconomiques,

trois professeurs et deux étu-diants — ne compte pas desiège pour les chargés de cours.En 2006, une demande d’inclu-sion de notre part a déjà été re-fusée, et présentement nouscomptons la remettre sur la ta-ble, afin d’aboutir à une gouver-nance plus collégiale, qui inclutles chargés de cours», souligneStefana Lamasanu.

«Nous, ce qu’on souhaite, cen’est pas de devenir des profs,mais d’avoir plus de sécuritéd’emploi», explique la syndica-liste, qui ajoute qu’une solutionenvisagée serait d’étudier laquestion des contrats renouve-lables automatiquement aprèsqu’un chargé de cours occupeun poste depuis un cer taintemps. «Nous avons des mem-bres qui font toute leur carrièreen tant que chargés de cours et,malgré tout, le spectre de laprécarisation plane toujours sureux.» Une autre solution seraitde revoir les mécanismes de fi-nancement et les procéduresde subvention. « Au fond, cequ’on voudrait, c’est que notrecontribution soit reconnue.»

Impossible d’imaginer l’UQsans chargés de cours

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

D ans le réseau de l’UQ, la Fédération desemployées et employés de ser vices pu-

blics (FEESP) représente « à peu près tous lesemployés sauf les profs et les chargés d’ensei-gnement », lance Denis Marcoux, son prési-dent. On y trouve des adjointes administratives,le registraire, les employés de bureau, les mé-caniciens d’entretien, bref une grande variétéde types d’emploi. La FEESP représente prèsde 5000 d’entre eux.

Tous ces gens contribuent de près ou de loinà la mission pédagogique du réseau de l’UQ.« Mission impossible sans le soutien des per-sonnels administratifs», répète le président, quiconsidère ses membres comme la structuremême du système universitaire, que ce soit enmatière d’administration, de capacité de ges-tion, d’admission des étudiants ou d’appui auxétudiants en difficulté, « c’est toute l’infrastruc-ture qui supporte la classe».

Les revendications et négociations de cegroupe d’employés se retrouvent rarementdans la lumière médiatique. Ce n’est pas queleurs demandes ne sont pas importantes pourautant. « Notre capacité de négocier est im-portante et nous permet de faire avancer nosrevendications. Toute notre mobilisation nousassure de tirer notre épingle du jeu », affirmeDenis Marcoux.

La précarisation des emplois demeure au-jourd’hui un défi de taille pour la FEESP. « Onvoit de plus en plus nos postes se faire privati-ser. Avec les salaires qui sont offerts dans le ré-seau, il est de plus en plus difficile de recruterdes employés qualifiés, comme des mécani-ciens et des électrotechniciens. » Aux yeux duprésident, il est important de conserver l’exper-tise à l’interne.

Denis Marcoux précise que, lorsqu’il y a desconflits avec le corps enseignant, il y a néces-sairement ruissellement vers les personnels ad-ministratifs. «On n’a pas les mêmes protectionset on est souvent les premiers à subir lescoupes budgétaires. »

«Je suis convaincu que le réseau de l’UQ estun joyau pour le Québec. On doit investir correc-tement pour le préserver et le faire grandir. Enmatière d’accessibilité, l’UQ a représenté un im-mense levier pour les milliers de fils et de filles

de travailleurs qui ne pouvaient pas se payer lesgrandes universités. Dans ce sens, protégerl’UQ est primordial», déclare Denis Marcoux.

Les membres du personneladministratif sont essentiels

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

S i le réseau de l’UQ est re-connu pour être proche de

la communauté, son ouver-ture sur son milieu est aussisa marque de commerce.« L’ouver ture sur le milieu,c’est de dire : “Attention, uneuniversité, ce n’est pas unetour d’ivoire.” Il faut être capa-ble de s’ouvrir sur l’extérieuret s’assurer que l’on n’œuvrepas en marge de la société,celle-là même qu’on est censéreprésenter et servir », lanceLouise Briand, professeure ti-tulaire au Dépar tement dessciences sociales à l’Univer-sité du Québec en Outaouaiset présidente du Syndicat desprofesseures et professeursde l’Université du Québec enOutaouais.

S’ouvrir sur le milieu, pourl’UQ, c’est donner de la place àl’externe, et c’est la raisonpour laquelle il y a cinq repré-sentants des milieux sociaux,culturels, du travail et des af-faires qui siègent au CA dechacune des constituantes.

« L’UQ incarne plus que ja-mais l’ouverture sur le milieu.On le sent non seulement auconseil d’administration, maisaussi dans nos comités de pro-grammes, où l’on a toujoursun représentant socioécono-mique, quelqu’un du milieuqui sera appelé à siéger pour

donner son avis sur l’évolutiondes programmes et sur lesorientations », précise LouiseBriand, qui ajoute : « Générale-ment, ces gens-là appor tentun regard très intéressant. Ensoi, c’est ce qui caractérisel’UQ par rapport aux universi-tés à charte. »

Toutefois, l’esprit de la loin’est peut-être plus aussi res-pecté qu’avant, craint la pro-fesseure. « Étant donné queles membres sont cooptés parles directions, ce qu’on ob-serve, c’est un détournementdu pouvoir. Il est très rare de

voir ces personnes votercontre un recteur. » Elle pré-cise qu’un CA est censé êtreun organe de surveillance dela direction, mais actuelle-ment il est inopérant, incapa-ble d’assumer son rôle adé-quatement puisque les déci-sions ne sont pas contestées.

Louise Briand suggère que« les personnes qui siègentau CA soient choisies par lesgroupes qui œuvrent dans lemilieu plutôt que par le rec-teur et que leur qualité juri-dique soit toujours actualiséeafin qu’au bout du compte on

respecte la loi et aussi l’espritde la loi ».

La gestion participativeDans le réseau de l’UQ, on ré-

fute le modèle traditionnel pyra-midal classique de gestion et onparle plutôt de gestion participa-tive qu’on illustre par une rouedont les rayons représentent les19 instances, avec chacune sesconnaissances particulières quicontribuent à la prise de déci-sions. «C’est une belle inventionparce que ça nous caractériseplus encore que l’ouverture surle milieu. Les universités tradi-

tionnelles ont des struc-tures hiérarchiques as-sez établies. Par exem-ple, les doyens sont descadres alors qu’à l’UQ, cesont des collègues», ex-plique la professeure.

« Pour tant , depuisquelques années, on observedes directions d’université deplus en plus autoritaires, on voitdes gens exclus des CA et, pourcertains professeurs, il est plusdifficile de parler en public sansse faire rappeler à l’ordre, etparfois c’est beaucoup plus sub-til…» Louise Briand croit quecette hiérarchie, qu’on a autre-fois refusée, est en train de seréinstaller. « On a le devoird’être des critiques de la so-ciété et de l’institution qui est lanôtre. C’est un beau défi demaintenir vivante cette gestionparticipative», conclut-elle.

Une université n’est pas une tour d’ivoire

ABDELHAK SENNA AGENCE FRANCE-PRESSE

Dès le début, le réseau de l’UQ s’est bâti en s’appuyant sur la force de ses chargés de cours.

Je suis convaincu que le réseau de l’UQ est un joyau pour le Québec. On doit investir correctementpour le préserver et le fairegrandir.Denis Marcoux, président de la Fédérationdes employées et employés de services publics (FEESP)

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Les revendications et négociations du personneladministratif se retrouvent rarement dans la lumièremédiatique.

«Depuis quelques années, on observe des directionsd’université de plus en plusautoritaires»

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On parle plutôt de gestion participative, qu’on illustre par une roue dont les rayons représentent les19 instances, avec chacune ses connaissances particulières qui contribuent à la prise de décisions.

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Il s’agit d’un placement dont la valeur et le rendement fluctuent; le passé n’est pas indicatif du futur.Ces titres sont placés au moyen d’un prospectus contenant de l’information détaillée importante àleur sujet, notamment sur les frais. Avant d’investir, veuillez consulter le prospectus à fondaction.com.

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E T I E N N E P L A M O N D O N E M O N D

Collaboration spéciale

L’ Observatoire du développement de l’Ou-taouais (ODO) a vu le jour l’automne der-

nier. Son but ? Effectuer une veille, diffuser desinformations et réaliser un transfert de connais-sance pour favoriser le développement de la ré-gion et de ses communautés.

Dirigée par Martin Robitaille, professeur-chercheur au Département des sciences so-ciales de l’Université du Québec en Outaouais(UQO), cette entité répond à une demande ex-primée par le milieu.

Tout a commencé vers 2009, au moment oùplus d’une douzaine de partenaires institution-nels et communautaires avaient collaboré à laréalisation d’un Portrait des communautés del’Outaouais.

« Il était encore extrêmement dif ficile detrouver de l’information régionale», se rappellele sociologue Martin Robitaille. Certaines sta-tistiques et données étaient disponibles chezles organismes gouvernementaux, mais ellesnécessitaient d’être rassemblées et ne don-naient pas une image détaillée de la réalité àune échelle plus locale.

Le Portrait des communautés de l’Outaouais aeu des répercussions positives en permettant àplusieurs organismes d’avoir une meilleureconnaissance des collectivités sur le territoire.Ils ont pu ainsi mieux répondre aux besoins etprendre de meilleures décisions, notammentdans l’allocation de ressources. Dans les annéesqui ont suivi, l’exercice a été répété avec les don-nées du recensement de 2011 et des chercheursde l’UQO ont réalisé un portrait économique dela région. Malgré leur pertinence, ces outils etces recherches restaient à pérenniser pour assu-rer un suivi continuel de l’évolution du territoire.«On voulait aller plus loin, parce que les besoinssont là», insiste Martin Robitaille

En février 2017, une journée de réflexion aété organisée au sujet de la création de l’ODO,qui a mené à l’embauche d’une première per-sonne l’automne dernier, puis à la constitutiond’une équipe pour démarrer ses activités au dé-but de 2018. Ce printemps, l’équipe de l’ODOpoursuit une tournée des cinq territoires del’Outaouais pour rencontrer les différents ac-teurs de développement dans la région.

«Cette identité collective et régionale en a prispour son rhume au cours des quatre dernièresannées», note-t-il, en faisant notamment allusionà l’abolition en 2014 des Conférences régionalesdes élus (CRE). «On est obligés de reconstruiredes ponts entre les milieux ruraux et urbains,entre des enjeux comme le développement so-cial et le développement économique.»

Martin Robitaille tient à préciser que l’ODOne constitue pas qu’un bras de l’UQO, même sicette dernière est partenaire et soutient son ad-ministration, en plus de fournir des locaux etdu matériel. L’ODO compte de nombreux au-tres par tenaires, notamment Centraide Ou-taouais, la Chambre de commerce de Gatineau,Tourisme Outaouais et Vision centre-ville Gati-neau. La Ville de Gatineau lui accorde mêmeun financement de 100 000 $ par année prévusur cinq ans. Les quatre municipalités régio-nales de comté (MRC) de la région ont aussimis des sous dans le projet.

« On a aussi une fonction de mobilisation etde transfer t des connaissances, expliqueM. Robitaille. On part du principe qu’on n’estpas seuls à avoir de la connaissance. Le milieuen a aussi. Donc, il faut mobiliser cette connais-

sance et la mettre en commun. Et on aura beauavoir les plus beaux tableaux statistiques et do-cuments du monde, si les gens ne sont pas enmesure de les utiliser pour pouvoir transformerleurs pratiques, cela ne donne rien.»

L’ODO prévoit d’ailleurs d’organiser un forumpour les acteurs de développement de la région.Quant au Portrait des communautés de l’Ou-taouais, il sera mis à jour grâce à un financementde 30 000$ octroyé par le Centre intégré de santéet des services sociaux (CISSS) de l’Outaouais.

Documenter la réalité frontalièreL’ODO mène aussi un projet de recherche

sur un enjeu spécifique à sa région : sa situationfrontalière. Ce projet a notamment reçu unesubvention de 355 000 $ du Fonds d’appui aurayonnement des régions (FARR) du ministèredes Affaires municipales et de l’Occupation duterritoire (MAMOT).

La position géographique de l’Outaouais laplace dans un contexte peu étudié et unique auQuébec, qui a des répercussions certaines surson développement, notamment lorsqu’il estquestion d’immobilier, mais aussi de cohabitationde systèmes d’éducation et de réseaux de trans-port collectif distincts. En 2011, selon l’Enquêtenationale auprès des ménages, plus de 60 000 ha-bitants de l’Outaouais travaillaient en Ontario.«On va éclairer cette situation, assure M. Robi-taille. En même temps, on se demande ce qu’onpeut faire pour aller tirer des occasions de cettesituation frontalière. Le défi, c’est d’amener lesgens des deux côtés de la rivière des Outaouais àse parler, de mieux comprendre les dynamiqueset de trouver des occasions de développement.»

Aux yeux de Patrick Duguay, directeur géné-ral de la Coopérative de développement régionalOutaouais-Laurentides (CDROL), l’ODO consti-tue «une des grandes innovations de la dernièreannée». Son organisation, une habituée des re-cherches partenariales sur l’économie socialeavec les chercheurs de l’UQO, siège au conseild’administration du nouvel observatoire. «On faitcertains travaux d’analyse sur les dynamiquesterritoriales sous l’angle de l’économie sociale.Avec l’ODO, on va être capables d’ajouter une va-lidation universitaire aux différents processus.Ce partenariat est extrêmement intéressant.»

Tout ça dans un contexte où Patrick Duguayse réjouit d’un regain d’intérêt chez les cher-cheurs pour le modèle économique promu parson organisation et l’émergence d’une relèvemotivée à entretenir ce lien entre l’UQO et lacommunauté. «Pour moi, c’est là où l’universitéen région trouve son sens.»

L’Outaouais a désormais son observatoire E T I E N N E

P L A M O N D O N E M O N D

Collaboration spéciale

D ans les cinq universités duQuébec établies à l’exté-

rieur de Montréal et Québec,plusieurs programmes des cy-cles supérieurs et un ratio élevéd’unités de recherche sont col-lés aux besoins de leur région.C’est ce qui émane des chiffresdévoilés lors du dernier congrèsde l’Acfas par Marc-UrbainProulx, professeur au Départe-ment des sciences économiquesde l’Université du Québec à Chi-coutimi (UQAC) et directeurscientifique du Centre de re-cherche sur le développementterritorial, qui mène actuelle-ment des recherches sur le rôledu réseau de l’Université duQuébec sur le développementrégional. « Ce fut une décou-verte, indique le chercheur. Jene pensais pas que nos pro-grammes et nos recherchesétaient aussi ciblés sur les be-soins du milieu.»

Dans le cas de l’enseigne-ment aux cycles supérieurs,environ 30 % des programmesofferts par les cinq établisse-ments sont orientés en partieou spécifiquement sur les be-soins de leur région. Cetteproportion oscille entre 25% et32% selon l’établissement.

Parmi les unités de rechercheque Marc-Urbain Proulx a triéesselon leur titre ou leur mission,celles qui se penchent en partieou spécifiquement sur des be-soins régionaux s’avèrent nom-breuses dans chacune des cinquniversités, malgré des écartsdans les ratios. Elles représen-tent 33% de celles compilées àl’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et 37 % decelles à l’Université du Québecen Outaouais (UQO). Leur pro-portion monte à 63% à l’Univer-sité du Québec à Chicoutimi

(UQAC) et grimpe au-dessus de83% à l’Université du Québec àRimouski (UQAR) et à l’Univer-sité du Québec en Abitibi-Té-miscamingue (UQAT). «On voitque ces deux [dernières] uni-versités font des efforts particu-liers, avec leurs instituts, labora-toires, centres et chaires de re-cherche, pour servir et s’ancrerdans les besoins du milieu.»

Prochaine étape : affiner cesstatistiques. Avec son assis-tante de recherche, il prévoitcontacter les unités de re-cherche pour détailler l’en-semble des projets et cher-cheurs afin de mieux préciserà quels besoins régionaux ilss’attardent. « Ça va nous don-ner une très belle vue sur l’en-vergure de l’effort réalisé par

les UQ pour diversifier noséconomies», espère-t-il.

Rappelons que l’un des ob-jectifs du réseau de l’UQ, lorsde sa création en 1968, consis-tait à développer les régions.Elles ont depuis étudié les sec-teurs minier, forestier et mari-time, entre autres exemples.

Marc-Urbain Proulx souhaiteconnaître les répercussions deces programmes, unités de re-cherche et implications articu-lés autour des réalités de leursmilieux sur le développementrégional. «C’est difficile de voirles effets, soulève Marc-UrbainProulx. On sait par les biogra-phies des professeurs qu’ilssiègent à différentes instances,à dif férents comités et à desconseils d’administration, maisce n’est pas simple à mesurer.»

Cer tains milieux souhai-taient voir la création de « sys-tèmes » mettant en relationdes dizaines d’acteurs issuesdu milieu universitaire et dusecteur du développement ré-gional, soulève-t-il, notam-ment autour de créneau d’ex-cellence. Or, de tels réseaux« sont rares », obser ve-t- i l .« Ce que l’on voit surtout, cesont des relations en petitsgroupes, où un professeurs’implique avec deux ou troispersonnes du milieu, qu’ilssoient des domaines sociauxou économiques, autour d’ini-tiatives novatrices. »

Avec la baisse démogra-phique amorcée dans le milieudes années 1990, Marc-UrbainProulx s’inquiète du cercle vi-

cieux que cette réa-lité pourrait engen-drer sur la clientèleuniversitaire, l’exper-tise sur des niches ré-gionales dans les éta-blissements d’ensei-gnement supérieur, ladiversification écono-mique, l’emploi et la

présence d’entreprises. Néan-moins, il croit que pour rétablirun cercle vertueux, l’université«peut avoir la mission de parti-ciper à la création d’un envi-ronnement favorable à la ve-nue d’entreprises », à la foispar la formation d’une main-d’œuvre qualifiée, mais aussien créant un milieu social etculturel dynamique. Il évoquecomme exemple récent le bac-calauréat avec majeure enconception de jeux vidéo àl’UQAC, qui a incité Ubisoft àouvrir un studio à Saguenay.Ce dernier a commencé ses ac-t i v i tés en févr ier 2018 e tcompte employer 125 per-sonnes. Une preuve récenteque les UQ peuvent jouer unrôle dans le développementéconomique de leur région.

RÉGIONS

50 ans de développement

E T I E N N E

P L A M O N D O N E M O N D

Collaboration spéciale

J ean-Pierre Leclercq a été untémoin privilégié, comme

chargé de cours, de la créationet du développement de l’Uni-versité du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), puisde ses répercussions sur la ré-gion. Récemment retraité, iljuge aujourd’hui que « l’univer-sité a créé un rayonnement etcontribue à développer la villede Rouyn-Noranda de façonconsidérable».

Français d’origine, M. Le-clercq s’installe en Abitibi-Té-miscamingue en 1969 à tra-vers un programme franco-québécois de coopération, quilui permet d’enseigner dansun cégep plutôt que de faireson ser vice militaire. Aprèsles deux ans prévus, il de-meure dans la région avec sonépouse, puis devient chargéde cours dans le centre uni-versitaire satellite implantédans la région, d’abord ratta-ché à l’Université du Québec àTrois-Rivières, puis à l’Univer-sité du Québec en Outaouais.Puisque la région comptait en-core peu de diplômés des cy-cles supérieurs, M. Leclercqse rappelle que, là aussi, uneimportante partie des profes-seurs étaient au dépar t des

coopérants français. Lorsqueces derniers sont partis, « ilsont été remplacés par uncorps professoral quasimententièrement québécois, sou-ligne-t-il. C’est à partir de cemoment que ce centre univer-sitaire a commencé à se déve-lopper et à avoir une certaineambition pour l’Abitibi-Témis-camingue, du sud du Témisca-mingue jusqu’au nord versChibougamau et à l’est jusqu’àMont-Laurier ».

L’un des plus beaux mo-ments dont il se souvient sur-vient lorsque ce campus de-vient officiellement un établis-sement à part entière. «Au furet à mesure que les annéespassaient, l’ambition était tellequ’on voulait absolument avoirun établissement qui porte lenom d’université», raconte-t-il.Cela se produit en 1983, alorsque l’établissement obtient ses« lettres patentes » et devientl’UQAT. «On est désormais re-connu à l’échelle du Québeccomme une région ayant uncentre intellectuel et universi-taire qui permet de retenir desétudiants locaux, mais aussid’en attirer d’ailleurs dans laprovince, et même de l’interna-tional.» Selon les chiffres com-pilés par Marc-Urbain Proulx,professeur à l’Université duQuébec à Chicoutimi [voirtexte en page E 5 : «50 ans de

développement»], le nombre dediplômes universitaires remisen Abitibi-Témiscamingue estpassé de 380 en 1980 à 877 en2016.

Enseignant les mathéma-tiques, Jean-Pierre Leclercq adonné des cours à des étu-diants en administration, en in-formatique et en éducation.Dans les 15 dernières années,il a surtout travaillé dans le Dé-partement des sciences de lasanté, où il enseignait la biosta-tistique. « Ils ont développé desprogrammes spécifiques avecbeaucoup d’enseignement àdistance, dit-il au sujet de cedépartement. Il y a un rayon-nement assez grand, parce queça va jusque dans le GrandNord, et il y a eu une contribu-tion énorme des programmesde sciences de la santé pourdévelopper ce secteur.»

Si des enseignants étran-gers comme lui ont pu donnerune première impulsion au dé-part, les étudiants étrangersattirés aujourd’hui par l’UQATconstituent à ses yeux un ap-port considérable. « Ils amè-nent une certaine expériencedans les domaines forestierset miniers, car ce sont des doc-torants ou des post-doctorantsqui contribuent justement àdévelopper la recherche et àamplifier la contribution del’UQAT à la région.»

ABITIBI-TÉMISCAMINGUE

L’évolution de l’UQAT et ses répercussions dans la région

GETTY IMAGES ISTOCK

La position géographique de l’Outaouais le place dansun contexte peu étudié et unique au Québec, qui a desrépercussions certaines sur son développement.

L’un des objectifs du réseau del’UQ, lors de sa création en 1968,consistait à développer les régions

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d’une subvention annuelle ver-sée à chaque professeur afinde contrecarrer cette propen-sion à récompenser d’abord etavant tout les établissementsayant déjà acquis un cer tainprestige, et qui désavantagede fait les universités les plusjeunes.

Or, soutient M. Lacroix, le vi-sage du Québec a beaucoupchangé depuis les années 1960,et l’UQ a beaucoup contribué àce virage. Il note que la pro-vince participe à hauteur de 4%de la production scientifiquemondiale alors qu’elle compteà peine 0,1 % de la populationmondiale. Ainsi, grâce à seschercheurs, le réseau favorisele développement économique

du Québec, mais aussi culturel.« En région, les universités

sont l’un des plus grands ac-teurs économiques sur leurterritoire, af firme-t-il. Ellesconcentrent également unepopulation instruite dans unemême ville et cela a un impactsur la production culturelle. »

« C’est aussi une dimensionqui fait la distinction des UQ,ajoute Stéphanie Demers. Surle plan de la création ar tis-tique, le réseau se démarque.Le fait que les universitéssoient ancrées dans leur ré-gion conduit à ce qu’elles de-viennent un pôle culturel im-portant qui permet la mise encontact de la création, de l’in-novation, de la technologie,des galeries d’art, des specta-cles, etc. Ce sont des milieuxtrès riches propices à la re-cherche-création.»

Mme Demers insiste ainsi

sur le fait que les compres-sions budgétaires de la par tdes gouver nements ou lesmauvais choix qui peuventêtre faits au sein même desétablissements peuvent avoirdes conséquences drama-tiques pour toute la région.Elle salue les sommes réin-vesties par Québec, mais pré-vient que l ’argent ser virad’abord et avant tout à opérerun rattrapage après les fortescompressions de ces der-nières années.

« Et puis qui dit que lessommes seront toujours làd a n s u n a n o u d e u x ? d e -mande-t-elle. Nous vivons enfonction des cycles électorauxde quatre ans. Ça correspondtrès mal aux besoins de la re-cherche. Pour être réellementef ficaces, nous devons pou-voir nous projeter sur le longterme. »

SUITE DE LA PAGE E 2

RECHERCHE

FINANCEMENT

Handicaps multiples pour le réseau de l’UQ

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

«F inancièrement parlant,l’UQ est désavantagée à

plein de niveaux et ce n’est pasla nouvelle politique de finan-cement présentée récemment

par la ministre David qui vachanger les choses », affirmeMichel Lacroix, vice-présidentdu Syndicat des professeurs etprofesseures de l’Universitédu Québec à Montréal (SPUQ-CSN). « Les subventions de-meurent en fonction du nom-bre d’étudiants inscrits en

équivalent temps plein. Or,l’UQ a la particularité de rece-voir beaucoup d’étudiants àtemps partiel, et chacun d’euxne coûte finalement pas beau-coup moins cher qu’un col-lègue inscrit à temps plein. »

Si l’UQ compte autant detemps partiel, c’est pour répon-dre à l’une de ses missions, àsavoir rendre les études supé-rieures plus accessibles. Ici,plus qu’ailleurs, les étudiantssont à la fois à l’université etsur le marché du travail. Ainsi,dans l’ensemble des universi-tés québécoises, moins de 20%

des étudiants sont à temps par-tiel contre plus de 35% dans leréseau de l’UQ. Or, quel quesoit leur statut, les frais dechauf fage des locaux ou letemps de registrariat demeu-rent les mêmes.

Le 17 mai dernier, HélèneDavid a levé le voile sur la nou-velle politique de financementdes universités, tant attendueau sein de la communauté uni-versitaire. Quelque 1,5 mil-liard de dollars seront réinves-tis d’ici 2022-2023. C’est bien,commente M. Lacroix, mais ilsouligne que cela ne fait querattraper le niveau de 2012, cequi se traduit donc par un fi-nancement à la baisse en dol-lars constants.

Le syndicaliste regrette parailleurs que même si les fi-lières littéraires, humaines etsociales sont revaloriséesdans la nouvelle formule de fi-nancement, celle-ci continuede privilégier les étudiantsinscrits dans les disciplinesbiomédicales et en génie,ainsi que les deuxième et troi-sième cycles aux dépens desbaccalauréats.

Moins de mécénat« Un étudiant en médecine

va faire gagner à son univer-sité beaucoup plus d’argentqu’un futur philosophe, illus-tre M. Lacroix. Or, les facultésde médecine sont les chassesgardées des universités àchar te. Il y a un grave pro-blème de financement du côtédes sciences humaines et so-ciales, où se concentre la majo-rité des programmes de l’UQ.C’est tellement vrai que lesuniversités qui ont une facultéde médecine ont mis en placeun système de péréquation en-tre leurs dif férents dépar te-ments pour rééquilibrer les fi-nances de ceux qui touchentmoins d’argent de la part dugouvernement. »

La présidente du Syndicatdes chargés et chargées decours de l’UQAM, Marie Blais,insiste également sur le faitque, toujours pour répondre àsa mission d’accessibilité et dedémocratisation des études su-périeures, une grande propor-tion des étudiants de l’UQ est

des étudiants de première gé-nération.

Une réalité qui compor teses propres défis en matièred’accompagnement, ce qui setraduit par des coûts supplé-mentaires. Même chose si l’onconsidère les étudiants autoch-tones, propor tionnellementplus présents dans le réseaude l’Université du Québec, no-tamment en Abitibi. Or, sidans le discours, la ministredit vouloir tenir compte decette réalité, les syndicalistesfont valoir qu’ils ne voient riende concret à ce sujet dans lanouvelle politique.

S’il est donc plus difficile pourle réseau de l’UQ d’aller cher-cher l’argent dans les poches duministère de l’Enseignement su-périeur, celui-ci n’est pas nonplus le mieux placé pour rece-voir de l’argent privé. Les fonda-tions des grandes entreprisesont en effet tendance à subven-tionner les universités ayantdéjà un prestige important etsur ce point, la jeunesse de l’UQ

ne joue pas en sa faveur. Quantaux mécènes, ils sont souvent àtrouver parmi les anciens diplô-més des établissements. Or,ceux-ci sortent pour la plupartde filières littéraires, humainesou sociales, qui mènent à desmétiers qui ne figurent pasparmi les plus rémunérateurs.

Étudiants étrangersPour améliorer leurs finances,

toutes les universités québé-coises se tour nent depuisquelques années vers les étu-diants étrangers, dont les droitsde scolarité sont supérieurs à ceque paient les Québécois. Maislà encore, le réseau de l’UQ estdésavantagé, par rapport auxuniversités anglophones cettefois. Langue commune oblige,l’Université du Québec attire eneffet principalement des Fran-

çais. Or, en vertu d’un accord en-tre la France et le Québec, cesderniers bénéficient de droits ré-duits.

Une situation qui ne devraitque s’aggraver, la nouvelle po-litique prévoyant le déplafon-nement des droits de scolaritépour les étudiants étrangers,en dehors des Canadiens, desFrançais et des Belges.

«La libéralisation des droitsde scolarité pour les étudianteset les étudiants internationauxcréera des iniquités entre lesuniversités et aura notammentdes impacts sur l’avenir et le dé-veloppement des établisse-ments en région, soutient leprésident sortant de la Fédéra-tion nationale des enseignantset des enseignantes du Québec(FNEEQ-CSN), Jean Murdock.À McGill et Bishop’s, par exem-ple, les étudiants canadiens nonrésidents du Québec et les étu-diants étrangers représententprès de la moitié de l’effectif to-tal. Or, c’est loin d’être le casdes universités du réseau de

l’Université du Qué-bec en région.»

M. Lacroix craintque cela n’engendreune pression pourque plus de cours sedonnent en anglaisdans les universitésfrancophones.

« Sans compter queles universités met-

tent beaucoup d’énergie, doncbeaucoup de moyens, pour at-tirer les élèves d’ailleurs, noteMme Blais, et que c’est de l’ar-gent que nous ne pouvonsdonc pas consacrer à nos étu-diants. On s’éloigne ainsi denotre mission première, cellede permettre aux étudiants departout au Québec d’avoir ac-cès à l’université et d’en sortirdiplômés.»

Marie Blais regrette par ail-leurs que le financement, quidemeure donc par tête de pipe,soit réévalué chaque année.

« Les universités doiventpouvoir avoir de la prévisibilitésur plusieurs années, estime-t-elle. Il pourrait être envisagéde recenser le nombre d’étu-diants tous les cinq ans, parexemple, plutôt que chaqueannée.»

Le réseau de l’Université du Québec (UQ) doit s’en sortir

avec un sous-financement structurel qui l’accompagne de-

puis sa fondation, et ce n’est pas le réinvestissement an-

noncé la semaine dernière par la ministre de l’Enseigne-

ment supérieur, Hélène David, qui modifiera la donne, cla-

ment les syndicats.

de la vie universitaire

Le p

ersonnel de soutien

au cœur

MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

S’il est donc plus difficile pour le réseau de l’UQ d’aller chercher l’argent dans les poches du ministère de l’Enseignement supérieur, celui-ci n’est pas non plus le mieux placé pour recevoir de l’argent privé. Les fondations desgrandes entreprises ont en effet tendance à subventionner les universités ayant déjà un prestige important et, sur ce point, la jeunesse de l’UQ ne joue pas en sa faveur.

«La libéralisation des droits de scolarité pour les étudiantes etles étudiants internationaux créerades iniquités entre les universités»

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L E S 5 0 A N S D E L ’ U N I V E R S I T É D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 6 E T D I M A N C H E 2 7 M A I 2 0 1 8 E 7

LE CORPS PROFESSORAL DU RÉSEAU UQ

50 ANS

D’ENSEIGNEMENTDE RECHERCHEDE SERVICES À LA COLLECTIVITÉ

fpcsn.qc.ca

UNION ÉTUDIANTE DU QUÉBEC

Les enjeux étudiants sont nombreux

En région, le recrutement peut s’avérer difficile. Résultat : s’il n’y a pas assez d’étudiants,

certains cours ne sont pas donnés et plusieurs programmes sont tout simplement annulés.

Une situation aux multiples conséquences pour la communauté universitaire.

RECRUTEMENT DES ÉTUDIANTS EN RÉGION

Continuer malgré la pénurieétudiante

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

« O n constate que cela aété une des grandes

réussites du réseau Universitédu Québec dans les 50 der-nières années, de démocrati-ser l’enseignement supérieurau Québec, de le rendre acces-sible dans les dif férentes ré-gions, de revitaliser nos ré-gions et d’entretenir des pôlesrégionaux de savoir et d’inno-vation dans ces régions-là »,lance en préambule GuillaumeLecorps, président de l’UEQ,qui représente 79 000 étu-diants à travers la province. Iltient aussi à rappeler que lesréalités sont propres à chaquerégion. Ainsi, quelles quesoient les mesures mises enplace, elles doivent avant toutrefléter les besoins des dif fé-rentes communautés.

Les précarités étudiantesPour Guillaume Lecorps, il

est urgent que le financementde l’enseignement supérieursoit revalorisé. «Ces dernièresannées, les coupes ont été dra-coniennes, on constate sur leterrain que les services aux étu-diants et étudiantes ont été gran-dement touchés», mentionne-t-il. Cependant, l’annonce récentedu gouvernement de payer lesétudiants en enseignementlorsqu’ils réalisent leur stage fi-nal et qu’ils sont responsablesd’une salle de classe a été ac-cueillie comme une bonne nou-velle à l’UEQ. «Maintenant, ilfaudra s’assurer que lorsqueces 15 millions [promis par le

gouvernement] seront ventiléset remis aux stagiaires, ils vontpermettre de répondre à la pré-carité des étudiants et étu-diantes pendant leur stage. Ontrouve que cela s’inscrit biendans l’approche de valoriser laprofession enseignante, mais ily a également un thème impor-tant, qui est de répondre à laprécarité financière des étu-diants et étudiantes pendant lestage.»

Il insiste par ailleurs sur lefait que la précarité sous toutesses formes touche les étu-diants. Sur ce sujet, l’UEQ a ré-cemment mené une recherchesur l’endettement estudiantinpour constater que le plus grosfacteur en est le logement.« Les solutions passent parl’aide financière aux études,donc il faut poursuivre notretravail pour peaufiner cetteaide et pour qu’avec les annéesqui passent, les dépenses quisont admises comme receva-bles au programme d’aide fi-nancière aux études suivent lacourbe d’inflation », indiqueM. Lecorps. Concernant lesétudiants salariés, il estimequ’il y a une certaine prudenceà obser ver quand vient letemps de conjuguer travail etétudes. « Cela peut engendrerune pression énorme sur laréussite scolaire ou encore uneprécarité du temps», note-t-il.

Après le mouvement#MoiAussi

Un autre sujet d’actualitésur les campus est celui duharcèlement et des violences àcaractère sexuel, qui touche

directement les universités.Avec le projet de loi 151, visantà prévenir et à combattre lesviolences à caractère sexueldans les établissements d’en-seignement supérieur, adoptéà l’Assemblée nationale en no-vembre dernier, Guillaume Le-corps parle d’une « prise deconscience collective » quisemble s’amorcer. « La loi 151vise à doter les établissements,ainsi que les sur vivantes etsurvivants sur les campus desressources dont ils ont besoin.Cela dit, il va falloir s’assurerqu’au-delà du projet de loi quia été adopté, du financementpromis par la ministre HélèneDavid, que cela va demeurerconsacré à fournir ce serviceet qu’il sera suffisant pour ré-pondre aux besoins dans lesdifférents campus et selon lesréalités propres à chacun», dé-crit-il. L’UEQ vient de lancer lanouvelle campagne de mobili-sation #Consensus.

Santé mentale des étudiants

Par ailleurs, Guillaume Le-corps se dit aussi préoccupépar un autre grand enjeu : ce-lui de la santé mentale. Ac-tuellement, l’UEQ mène uneenquête québécoise en vue debien comprendre l’entièretédes problématiques vécuespar les étudiants dans les cam-pus. « Avec les quelques don-nées que nous avons déjà,nous constatons que le por-trait est relativement alar-mant. Nous voulons trouverdes pistes de solution clairesen fonction des établisse-ments, des mesures qui pour-raient être mises en place enmatière de prévention et deservices pour venir en aide àcelles et ceux qui vivent avecdes troubles de la santé psy-

chologique », explique le pré-sident de l’UEQ. Il insiste surl’importance de l’engagementdes dif férentes associationsdans l es é tab l i s sements .« Pour savoir comment les étu-diantes et étudiants se por-tent sur nos campus, il fauts’adresser à ceux qui lesconnaissent le mieux, les as-sociations, car ce sont ellesqui les consultent au quoti-dien et peuvent les représen-ter, par exemple dans le déve-loppement des politiques »,explique-t-il.

Rémunération des stages, précarité des étudiants, harcèle-

ment, santé psychologique… Autant de sujets qui touchent

les étudiants québécois et se retrouvent au cœur des ac-

tions de l’Union étudiante du Québec (UEQ).

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

« C’ est comme un cercle vicieux, car il ya moins d’étudiants dans les pro-

grammes et donc ceux-ci sont annulés parceque le nombre d’inscriptions n’est pas élevé…En plus, les étudiants sont découragés, car par-fois plusieurs des cours annoncés ne sont ja-mais donnés, faute d’inscriptions», déplore Ma-rie-Josée Bourget, présidente du Syndicat deschargées et chargés de cours de l’Université duQuébec en Outaouais (SCCC-UQO).

Même constat, mais dans une région dif fé-rente, de la part de Louise Bérubé, présidente duSyndicat des chargés et chargées de cours del’Université du Québec à Rimouski (SCCC-UQAR). «On constate une diminution de la clien-tèle étudiante depuis quelques années. Nouscouvrons la Gaspésie et les îles de la Madeleine.Ce sont des régions qui sont souvent abandon-nées par le gouvernement et donc qui ont ten-dance à se vider des jeunes, car ceux-ci vont plu-tôt se diriger vers les grands centres», note cellequi enseigne à l’UQAR depuis plus de 30 ans.

Alors que Mme Bérubé a déjà donné troisou quatre cours par année, en 2017-2018 ellen’en a donné qu’un seul et elle ne pense pas enavoir à la rentrée. « C’est dramatique, ce queles chargés de cours perdent. Les professeurscontinuent à faire leur travail, même s’ils pi-gent dans un bassin de cours moins nom-breux, ce sont les chargés de cours qui éco-pent le plus », relate-t-elle.

De plus, lorsqu’un cours est annulé, lechargé de cours risque de l’apprendre au der-nier moment. « Quand nous apprenons que lecours ne sera pas donné, on ne peut pas enchoisir un autre, car à ce moment-là tout le pro-cessus d’attribution est terminé », ajouteMme Bourget. Ainsi, le nombre de chargés de

cours qui enseignent dans plusieurs universitésaugmente chaque année. « Tout le système fra-gilise les chargés de cours et, à cause des pro-babilités d’avoir un cours annulé, on va essayerd’en avoir plus, ce qui veut dire qu’on va allerdans d’autres universités pour être capabled’avoir un salaire décent à la fin de l’année »,ajoute la présidente du SCCC-UQO.

Par ailleurs, Marie-Josée Bourget mentionneles cours «en supervision», où l’étudiant ne ren-contre le professeur qu’à quelques reprisesavant de finir le cours à distance, par lui-même.«D’une part, on considère que la qualité de noscours, quand on les donne sous ce format, n’estpas à la hauteur et, d’autre par t, lorsqu’unchargé de cours s’occupe d’un cours en supervi-sion, la rémunération représente un dixièmed’une charge de cours, alors que ce n’est pas undixième du travail que l’on fait», assure-t-elle.

Les universités maintiennent le capPour éviter une situation catastrophique, Ma-

rie-Josée Bourget et Louise Bérubé s’entendentpour dire que de meilleures subventions gou-vernementales leur permettraient d’avoir unpeu plus d’air. « Je pense que l’UQAR a été l’unedes universités qui ont perdu le plus, avec descoupes de 1,2 million, et cette année on parled’un réinvestissement de 80 000 $… Mais lescoupes ont fait très mal, nous avons été écor-chés et il faut qu’il y ait une volonté gouverne-mentale pour que l’on puisse s’en remettre »,estime Mme Bérubé, ajoutant avoir consciencede jouer dans un bassin où il y a peu d’argent.«Ce n’est pas un discours que l’Université tientpour rendre la situation dramatique, c’est vrai-ment dramatique. L’Université tient quandmême, mais si on avait plus d’air, cela seraitplus facile», pense-t-elle.

En outre, que cela soit à l’UQAR ou à l’UQO,les programmes ont des particularités uniques,à l’instar de ceux de biologie et de géographiede l’UQAR, dont la réputation est d’être des« programmes bottes de caoutchouc », en réfé-rence aux nombreuses sorties sur le terraindes étudiants. « On a le fleuve en face de cheznous, on a les montagnes en Chaudière-Appa-laches… Par exemple, lorsque je donne descours à des étudiants qui veulent enseigner lachimie ou les sciences au secondaire, il est fré-quent que ceux-ci fassent des sorties en bateauou des analyses de l’eau. Ici, on parle du terri-toire, des chances que cela donne aux étu-diants d’avoir un programme qui se distinguedes autres », détaille Mme Bérubé. Elle rappelleque l’UQAR est « une grande université de pe-tite taille», où les classes sont restreintes et oùle contact entre professeurs, chargés de courset étudiants est favorisé.

VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR

Avec le projet de loi  151, visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans lesétablissements d’enseignement supérieur, adopté à l’Assemblée nationale en novembre dernier, GuillaumeLecorps, le président de l’Union étudiante du Québec, parle d’une « prise de conscience collective ».

Ces dernières années, les coupes ont été draconiennes, on constate sur le terrain que les services aux étudiants et étudiantes ont été grandementtouchésGuillaume Lecorps, président de l’Union étudiante du Québec

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Les programmes ont des particularités uniques dontla réputation est d’être des « programmes bottes decaoutchouc », en référence aux nombreuses sortiessur le terrain des étudiants.

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PROFESSEURES ET PROFESSEURS, CHARGÉES ET CHARGÉS DE COURS, PERSONNEL ACADÉMIQUE NON ENSEIGNANT ET PERSONNEL ADMINISTRATIF ET DE SOUTIENAssociation des chargées et chargés d’enseignement de l’École de technologie supérieure

Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscaminque

Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi

Syndicat des chargées et chargés de cours de l’École de technologie supérieure (Service des enseignements généraux)

Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec

Syndicat des chargées et chargés de cours à l’Université du Québec en Outaouais

Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Rimouski

Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Montréal

Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec en Outaouais

Syndicat des tutrices et tuteurs de la Télé-Université Montréal — Québec

Le réseau de l’Université du Québec a 50 ans

RENDONS HOMMAGE AUX ARTISANS

QUI ŒUVRENT AU QUOTIDIEN POUR LE BÉNÉFICE

DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE

50 ANS

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