cahier fi 04

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finance

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    N4 Les Cahiers de la Finance Islamique

    2013

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    Directeurs de rdaction

    Michel Storck, Professeur des Universits, UMR 7354, DRES-droit des affaires, Coresponsable de leMBA de Finance Islamique de lUniversit de Strasbourg.

    Laurent Weill, Professeur des Universits, Directeur du laboratoire de recherche LARGE, Coresponsable de leMBA de Finance Islamique de lUniversit de Strasbourg.

    Smi Hazoug, Charg denseignement, Coresponsable de leMBA de Finance Islamique de lUniversit de Strasbourg.

    Comit de rdaction

    Amr Abou Zeid, Ph.D, Head of Trade Center, BNP Parisbas, Egypt.

    Mehmet Asutay, Lecturer, Universit de Durham, Royaume-Uni.

    Mohammed-Bachir Ould Sass, membre dACERFI (Audit, Certification et Recherches en Finance Islamique).

    Abderrazak Belabes, Chercheur lInstitut d'conomie islamique, Universit du Roi Abdulaziz, Djeddah, Arabie saoudite.

    Mohamed Boudjellal, Professeur en Sciences conomiques, Universit de MSila, Algrie.

    Valentino Cattellan, Lawyer, Ph.D., LL.M., M. Sc., School of Economics University of Siena, Italie.

    Rifki Ismal, Ph.D., University of Durham and Bank of Indonsia, Royaume-Uni et Indonsie

    Jrme Lasserre-Capdeville, Matre de Confrences, Universit de Strasbourg.

    Grald Pasquier, Avocat, Luxembourg.

    Isabelle Riassetto, Professeur des Universits, Universit du Luxembourg.

    Ibrahim Ward, Professeur associ, Fletcher School of Law and Diplomacy, Tufts University, Medfor, Massachusetts, tats-Unis dAmrique.

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    ditorial

    Lintrt pour la finance sans intrt : les 3C.

    Permettez-moi dintroduire ce nouveau numro des Cahiers de la Finance Islamique 1 par quelques rflexions personnelles.

    Depuis quelques annes que jeffectue des activits de recherche et denseignement en finance islamique, jai eu loccasion davoir des changes avec un grand nombre de personnes intresses par cette forme de finance. Co-diriger un diplme, faire des prsentations de travaux de recherche des confrences dans diffrents pays, changer avec des professionnels ma ainsi permis de voir un ventail vaste de personnes intresses par la finance islamique.

    Jai constat de grandes diffrences dans leurs motivations. Graduellement jai ainsi dvelopp une classification toute personnelle des personnes intresses par la finance islamique que jappelle les 3 C : les cupides, les curieux, les croyants.

    Les cupides sont les personnes intresses par la finance islamique pour des raisons financires. Mme si le terme peut sembler ngatif au premier abord, ils ne sont nullement nfastes la finance islamique. Au contraire. Si la finance islamique nattirait personne pour des raisons financires, elle aurait un avenir trs incertain Comment inciter une grande banque dvelopper des activits de finance islamique si celle-ci nest pas rentable ? La rentabilit de la finance islamique est un facteur fondamental de son expansion sur le long terme. Limportance numrique de cette premire catgorie de personnes intresses par la finance islamique est un indicateur de la perception de cette rentabilit.

    Les curieux sont ceux intresss par la finance islamique par curiosit intellectuelle. Cette finance diffrente soulve bien des interrogations pour ceux qui tudient les aspects conomiques, techniques et juridiques de la finance. Comment fonctionne une finance sans intrt ? Comment la rglementer ? Quelles en sont les implications conomiques ?

    1 Tous les numros sont consultables sous ce lien http://sfc.unistra.fr/renseignements/emba-finance-islamique/

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    Enfin les croyants sont ceux qui sintressent la finance islamique car ils sont convaincus de ses vertus conomiques suprieures la finance conventionnelle.

    Contrairement ce que peut laisser prsager le terme qui les dsigne, tous ne sont pas motivs par des raisons religieuses. Cette catgorie inclut certes ceux qui sont convaincus pour de telles raisons : si lintrt est prohib par la loi islamique, alors forcment une finance qui respecte ces principes ne peut quamener croissance et prosprit conomique. Appelons-les les religieux . Je vais y revenir plus loin.

    Mais elle comprend galement ceux qui rejettent la finance conventionnelle pour des raisons idologiques, car ils naiment pas la recherche de profit quelle vhicule et voient dans la finance islamique une finance plus vertueuse car sans intrt et respectant des principes thiques. Appelons-les les idalistes . Cette dernire catgorie, dont jai vu passer quelques individus reprsentatifs dans notre diplme de finance islamique lUniversit de Strasbourg, tire gnralement sa motivation dune mconnaissance profonde de la finance islamique : ils croient que cest une finance sans profit et que cest une finance avec des pratiques de financement radicalement diffrentes de la finance conventionnelle. Gnralement les croyants idalistes ont un intrt limit dans le temps pour la finance islamique car ils finissent gnralement par dcouvrir un principe conomique de base : titre principal une banque ne fait pas de financement de faon bnvole Lintrt est remplac par une autre forme de rmunration dans la finance islamique. A ceci, sajoute aussi souvent la dsillusion de constater la pratique dominante par les banques islamiques dinstruments de financement proches de la dette (murabaha, ijara) par rapport aux instruments participatifs qui respectent pleinement le partage des pertes et des profits (musharaka, murabaha).

    En ce qui concerne les croyants religieux , cette catgorie dont jai vu passer un grand nombre de membres dans notre diplme est gnralement la plus motive mais leur dmarche peut prsenter lcueil majeur de ne pas avoir un recul scientifique suffisant par rapport aux implications de la finance islamique. En effet, si vous considrez que la finance islamique apporte des bienfaits conomiques vidents, pourquoi en tudier les effets ? Pourquoi poser une question lorsque lon connat la rponse ?

    A mes yeux pourtant, cette catgorie fait une erreur dordre thologique, si je puis me permettre cette incursion dans un champ de comptence o mes limites sont grandes. Ce nest pas parce que la finance islamique respecte des principes religieux quelle doit avoir des effets conomiques bnfiques. Au risque de me

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    perdre dans des rflexions thologiques, ce nest parce que Dieu a dit de ne pas pratiquer lintrt que ce principe favorise le dveloppement conomique. Le fait de ne pas manger de porc est-il bon pour la sant ? A ma connaissance, non. Ni linverse. Pourtant des personnes ne mangent pas de porc car elles estiment que Dieu la dit et cela suffit. Il ny a pas chercher une raison sur terre. Sauf avoir la prtention de vouloir comprendre les desseins divins. De la mme faon, si Dieu a dit que lintrt devait tre prohib (entre autres principes de finance islamique), cela ne signifie nullement quun systme financier sans intrt serait favorable au dveloppement conomique ou permettrait dviter les crises financires. Dieu la peut-tre dit pour des raisons qui nont rien voir avec le dveloppement conomique ou les crises financires. Qui le sait ?

    Ce quil faut bien comprendre dans mon propos est que lon peut parfaitement avoir une pratique religieuse totalement en adquation avec les principes de la Charia comme la prohibition de lintrt sans pour autant tre dans la catgorie des croyants.

    Et mon avis, il vaut mieux un nombre important de curieux plutt que de croyants dans lintrt gnral comme dans celui de la finance islamique. Je mexplique.

    Je me rappelle une discussion il y a quelques annes avec un responsable de la Banque Islamique de Dveloppement trs critique quant la mise en place sans rflexion de banques islamiques. Il mexpliquait pourquoi linstallation de banques islamiques dans un environnement avec de faibles institutions pouvait tre nfaste. Il ntait ainsi pas favorable cette installation dans tous les pays en ltat. Le curieux peut avoir une telle opinion. Pas le croyant qui est convaincu que la finance islamique aura toujours des effets conomiques bnfiques. Et risque ainsi de prner des mesures nfastes au bien-tre mais galement sur le long terme la finance islamique elle-mme, car si linstallation de banques islamiques se rvle ngative les autorits dun pays peuvent devenir rticentes leur prsence. Ce qui pnalisera lindividu qui souhaite respecter ses principes religieux en tant client dune banque islamique.

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    Mes contacts avec les chercheurs en finance islamique mont montr que la majorit fait partie des curieux . Ils peuvent tre des Musulmans trs religieux. Mais ils ont compris que la recherche en finance islamique et la foi sont deux choses distinctes.

    Bonne lecture de ce numro tous2.

    Laurent Weill.

    2 Les colonnes des cahiers sont ouvertes, aprs validation, aux contributions de recherche fondamentale ou

    applique, de toutes les disciplines concernes par la finance islamique. Une attention particulire est porte loriginalit du travail qui devra ncessairement comporter lindication des sources. Les propositions (Times new roman 12, interligne simple) sont envoyer cette adresse en fichier word : [email protected]

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    Sommaire

    LA FINANCE ISLAMIQUE ENTRE LA LETTRE ET LESPRIT Par Nasser HIDEUR ................................................................................................................. 8 LES BANQUES ISLAMIQUES FAVORISENT-ELLES LE DVELOPPEMENT CONOMIQUE ? UNE ANALYSE DE LA LITTRATURE EMPIRIQUE Par Laurent WEILL ................................................................................................................ 21 COMPTITIVIT JURIDIQUE DE LA PLACE DE PARIS ET FINANCE ISLAMIQUE Par Abderrazak BELABES .................................................................................................... 33 LE COUPLE RISQUE RENTABILIT DANS LE MODLE BANCAIRE ISLAMIQUE Par Ahmed TAHIRI JOUTI ................................................................................................... 43 UNE ANALYSE ISLAMIQUE DU SYSTME DE PENSION DE RETRAITE ACTUEL EN ANGLETERRE Par Faizal MANJOO ............................................................................................................... 65 LE PREMIER SAK FRANAIS Par Tarik BENGARAI et Anouar HASSOUNE .................................................................... 79 LE CONTENU DU GUIDE DE BONNES PRATIQUES DES FONDS DINVESTISSEMENT ISLAMIQUES DE LASSOCIATION LUXEMBOURGEOISE DES FONDS DINVESTISSEMENT (ALFI) Par Isabelle RIASSETTO ....................................................................................................... 89

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    LA FINANCE ISLAMIQUE ENTRE LA LETTRE ET LESPRIT3

    Nasser Hideur4

    Je nous vois donc libres de revenir certains des principes les plus assurs et les moins ambigus de la religion et de la vertu traditionnelle: Que lavarice est un vice, que cest un mfait que dextorquer des bnfices usuraires

    John Maynard Keynes5

    Introduction :

    La finance islamique dans son expression structure et oprationnelle sest fixe comme objectif et finalit loffre de services financiers rpondant aux besoins dune conomie moderne tout en observant les prescriptions de la charia musulmane prohibant les intrts sur prts et les transactions financires alatoires et spculatives.

    Peut-on conclure au succs de cette exprience de conciliation entre les fondamentaux de la charia islamique et les critres de performance conomique procdant dun systme financier international structurellement et globalement en porte faux avec les paradigmes de la finance islamique?

    Pour traiter cette problmatique nous avons structur notre communication en deux parties. La premire est consacre la prsentation des concepts fondamentaux de la charia musulmane en tant que rfrentiel doctrinal des pratiques financires charia compatibles. La seconde a t rserve lvaluation de ces pratiques au regard des principes fondateurs de cette charia. .

    I- De la charia :

    1- charia et droit :

    Il existe plusieurs dfinitions de la charia. Dun point de vue tymologique la charia dans la langue arabe drive de la racine () qui dsigne tous ce qui est en rapport avec lacte de tracer une voie apparente qui mne vers une destination donne. Le driv charia indique par exemple la voie emprunte par les bdouins pour mener leurs troupeaux un cours deau.6

    3 Cet article est le texte dune communication donne par lauteur au colloque international sur les les religions

    et le droit face une conomie sans foi ni loi Universit de Montauban, juin 2011. 4

    Secrtaire Gnral de la Banque Al Baraka dAlgrie.

    5 John Maynard Keynes, Essais sur la monnaie et lconomie, les cris de Cassandre, Petite bibliothque ayot,

    Paris, 1978, p. 140 6 Dr. Youssef Hamid Al alim, El makassid el ama licharia el islamiya, dition conjointe : Dar el hadit, Le Caire,

    - Eddar essoudaniya lilkotob, Khartoum, p. 19.

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    Dans la littrature religieuse musulmane, plusieurs acceptions sont attaches ce terme ayant tous pour point commun lide centrale de voie trace.

    Ibn El Athir la dfinie dans son ouvrage Enihaya comme tant ce que Dieu a trac ses cratures en religion comme prceptes observer. 7

    Dans son exgse du verset coranique Nous tavons ensuite plac sur une voie procdant de lordre. Suis-l donc et ne suis pas les passions de ceux qui ne savent rien Limam hanbalite Abou Essaoud a fait le parallle entre les deux sens tymologique et conventionnel. La religion, crivait-il, a t assimile la voie qui mne leau car elle constitue le chemin qui conduit la vie ternelle tout comme leau conduit la vie phmre. 8

    Beaucoup de concepts attachs la charia constituent en dfinitive une de ses composantes, implications ou manations.

    Il en est ainsi du fikh, terme dsignant les disciplines ayant pour objet ltude des rgles de la charia ayant trait aux actes individuels du musulman dans ses rapports avec Dieu et avec ses semblables. En fonction de la nature des rgles en question, on distingue habituellement entre deux grandes familles de fikh : Celui qui sattache au culte appel fikh el ibadate et celui qui a trait aux rapports en socit appel fikh el mouamalat.

    Dans son acception large, la charia inclut aussi la science de la foi ou le tawhid qui sintresse lexistence et aux attributs de Dieu ainsi qu lau-del et leschatologie. Cette science a consacr la foi en un Dieu unique, ternel, transcendant et seul matre du monde. Le tawhid se dfinit ainsi par opposition au shirk, ou le polythisme, sous ses diffrentes manifestations. Cette science a donn lieu dans lhistoire doctrinale de lIslam diffrentes coles thologiques comme lashaarisme, le muatazilisme le khardjisme, le chiisme etc. Ces courants de pense se sont scindes en plusieurs tendances ayant chacune ses propres postulats concernant des questions lies la foi et leschatologie.

    Aussi est-il ais de dfinir la charia comme la voie qui mne la connaissance, la croyance et laccomplissement de la volont de Dieu en vue datteindre la flicit ici-bas et dans lau-del. Le terme englobe donc lensemble des prceptes religieux musulmans dans leur dimension dogmatique, rituelle, thique, mystique et juridique.

    Le droit musulman nest donc que lexpression juridique de la charia. Observes dans la vie socitale des musulmans, les rgles de la charia constituent une rfrence religieuse ou morale relevant du domaine de la conscience individuelle de chacun. Appliques par le gouvernant ou le magistrat dans la gestion des affaires de la cit ou le rglement des litiges, ces rgles deviennent un droit positif qui simpose nonobstant les convictions confessionnelles ou doctrinales des sujets de droit.

    LIslam reconnait aux non musulmans vivant en terre dIslam la latitude dappliquer les rgles de leur religion entre eux. Mais ds lors quils choisissent le droit musulman pour le rglement de leurs litiges, il simpose eux non pas dun point de vue religieux mais en tant que droit positif. Il en est de mme lorsque le juge musulman statue selon une doctrine

    7 Ibid, p. 20.

    8 Ibid.

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    diffrente du rite dun ou des belligrants. Sa sentence simpose mme si elle est contraire aux convictions rituelles des uns et des autres.

    Les jurisconsultes, font cet gard une nette distinction entre la fetwa judiciaire et la fetwa religieuse. A titre dexemple, la charia prescrit que lpoux qui rpudie son pouse trois reprises ne pourra plus renouer mariage avec elle avant quelle nait pous une autre personne. Il sagit dune contrainte visant dissuader les divorces intempestifs et irresponsables. Et pour prvenir le recours des mariages de complaisance le mariage tant une affaires srieuse, la charia a tout aussi prohib les pousailles arranges la seule fin de permettre le retour de la rpudie son premier mari. Cependant, le juge qui serait saisi pour se prononcer sur la validit juridique de ce second mariage quentoure la suspicion de complaisance, ne peut linvalider du seul fait quun divorce en vue dun remariage avec le premier conjoint soit intervenu depuis. Il ne peut fonder son jugement sur lintention des parties que si cette volont a t formellement prouve et non seulement suppose. A dfaut, le second mariage avec le tiers ne peut qutre juridiquement, c'est--dire chariatiquement , valid. Il sagit en loccurrence dune fetwa judiciaire.

    Mais si la volont relle des parties travers ce mariage ntait autre que la licitation du remariage avec le premier poux, le mufti, interrog sur la validit religieuse de lacte, le dclarera illicite. Les parties qui auraient ainsi contrevenu cette prohibition se rendraient coupable dun acte illicite devant Dieu et en assumeront les consquences dans lau-del. Nous sommes donc en prsence dune fetwa religieuse qui concerne le monde des consciences.

    La fetwa juridique se limite aux faits et la volont exprime, tandis que la fetwa religieuse sintresse la volont relle et la finalit poursuivie.

    En dfinitive, la charia, en tant que rgles de droit positif ne sintresse quaux faits apparents et la volont affiche. En tant que rgle religieuse, elle embrasse le domaine de la foi et regarde, de ce fait, non seulement la validit juridique stricto sensu de lacte, c'est--dire sa conformit aux rgles prescrites, mais aussi et surtout lintention relle de son auteur. Si cette intention poursuit travers un acte apparemment conforme un but illicite, lacte constituera alors un pch moralement et juridiquement rprouvable mais nentranera aucun effet sur le plan des droits et obligations civils des parties (filiation des enfants ns du second mariage, hritage, validit du remariage avec lancien poux etc.)

    Ceci dit, cette distinction entre la fetwa religieuse et la fetwa judiciaire nimplique pas que le droit positif musulman ne prenne pas en considration la volont relle des sujets. Bien au contraire, il se doit de rechercher cette dernire et de ltablir ou la rtablir par tous moyens de preuve. Il existe un principe gnral dans le droit musulman, au demeurant expressment nonc dans la majallat el ahkam el adliya, Code civil de lempire ottoman, qui dispose : Dans les contrats la finalit et le sens rels priment sur la formulation et lexpression. Mais le juge ne peut supposer ou dduire la volont relle des parties dun simple concours de circonstance ou suspicion dusse-t-elle tre lgitime.9

    En conclusion, la charia au sens large reprsente un code de conduite et une feuille de route dont la finalit est de guider le musulman dans son cheminement vers Dieu. Apprhende

    9 Cheikh Ahmed Ezzarka, Charh el kawaid el fikhiya, Dar el gharb elislami,Beyrouth, 1983, p. 13.

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    dans sa dimension juridique en tant que rgles de droit rgissant et arbitrant les comportements en socit organise, elle constitue alors un vritable droit positif dont seul le dtenteur de la puissance publique (ltat) est habilit assurer le respect et la bonne application.

    2. Formation des rgles du droit musulman :

    Dans cette partie, nous nous bornerons tudier le processus de formation des rgles du droit musulman positif rgissant les comportements sociaux. Les rgles inhrentes aux croyances de la foi ou aux pratiques de dvotion ne seront pas traites ici car, du fait de la prdominance de la dimension spirituelle, elles se caractrisent par une plus grande stabilit nonobstant les divergences doctrinales portant sur des questions subsidiaires.

    Les jurisconsultes, linstar de limam Chatibi, ont consacr cette distinction entre le domaine de la dvotion (ibadat ) plus restrictif et textuel, donc moins sujet interprtation (ijtihad) et celui plus vaste et rationnel du comportement socital, par consquent volutif et variable dans le temps et dans lespace.

    Les rgles du droit musulman positif ont t labores selon un processus pyramidal au fur et mesure de lextension et du dveloppement de la socit musulmane. Durant la vie du Prophte Mohamed que la paix et le salut de Dieu soient sur lui, la communaut tait rgie par la rvlation Divine directe, transmise par le Coran, parole de Dieu, ou indirecte travers la tradition du prophte ou sunna. Il convient de prciser sur ce registre que seuls les prceptes apostoliques de Mohamed que le salut et la paix de Dieu soient sur lui, en sa qualit de messager de Dieu, avaient force de loi. Ses actes de gouvernant ou de juge procdant dun raisonnement humain ne revtent pas de caractre sacr. Ntant pas infaillible, selon ses propres propos, le prophte Mohamed que le salut et la paix de Dieu soient sur lui, na aucun moment cherch imposer ses dcisions ou confrer un caractre irrfutable ses jugements.

    Je ne suis quun tre humain, proclama-t-il, vous me soumettez vos diffrends. Certains seraient plus persuasifs que dautres et je serais amen juger en fonction de ce que jentends ; quiconque obtiendrait indment un droit au dtriment de son frre quil ne le prenne pas car je ne fais alors que lui dcouper un morceau de lenfer ! 10

    Dans la Bataille de Ohod, le Prophte tait davis combattre les troupes de ses ennemis Koreichites de lintrieur mme de lenceinte de Mdine. Les jeunes musulmans qui nont pas particip la bataille de Badr exercrent sur lui une telle pression pour lamener affronter les Korachites sur le terrain de bataille quil cda leur insistance et ordonna aux musulmans daller lavant de lennemi.11

    Un jour, le prophte a exprim ses doutes quant lutilit de la pollinisation des palmes. Croyant avoir affaire une injonction divine, les agriculteurs cessrent de la pratiquer. La rcolte de lanne suivante fut de trs mauvaise qualit. Le prophte reconnut alors quil stait tromp et dit aux musulmans : vous tes les mieux placs pour juger de ce qui convient le mieux aux affaires de ce monde.12

    10 Imam El Bokhari, El Jami el mousnad essahih, dition : Enag, Alger-dar el houda,ain mlila, 1992, p. 952.

    11 Ibn Hicham, Essira ennabaouiya, dar ihyaa ettourath el arabi, Beyrouth, p. 67.

    12 Imam Mouslim, El mousnad essahih, dar e l maarifa, Beyrouth, p. 95.

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    Aprs la mort du prophte lextension gographique de lislam engendr le brassage de peuples de diffrentes cultures et traditions. Le droit musulman pousa et accompagna cette expansion. Partant des lignes directrices du Coran et de la sunna, les jurisconsultes ont tabli des mthodologies de dduction des rgles chariatiques de nature strictement religieuse lorsquelles ne sont pas riges en rgle de droit positif ou acqurant, de surcroit, une dimension juridique lorsque cest le cas.

    Les mthodologies de dduction impliquant aussi linterprtation partir des textes rvls sont varies selon les contextes socio-conomiques et culturels dans lequel slaboraient ces rgles. Elles sont conditionnes aussi par lapproche adopte par le jurisconsulte dans la comprhension et lapplication du texte aux cas despces tudis.

    Cest ainsi quapparurent les grandes coles du droit musulman, appeles couramment les madhahib. Les plus rpandus sont les coles hanafite, malkite, shafiite, hanbalite, djaafarite, zeidite, ibadite, dhahirite du nom de leurs fondateurs qui ont tous vcu et dispens leur enseignement de la fin du premier sicle de lhgire la fin du second. Leurs disciples respectifs ont propag et structur leurs doctrines travers des traits qui ont couvert tous les aspects de la vie musulmane cultuels et socitaux.

    Ces coles se sont illustres lorigine par leur extraordinaire richesse et esprit dinnovation et de crativit. Quelles que soient les diffrences dapproche et de mthode, les sources dinspiration de cet effort dlaboration des rgles de droit musulman positif sont les suivantes :

    Les Sources principales:

    - Le Coran (le livre rvl). - La Sunna (tradition du prophte). - L Ijmaa (consensus).

    Les Sources subsidiaires:

    - Le Kiyas (analogie). - Le urf (lusage). - La maslaha (lintrt avr). - Le Sad edharia (la prvention du prohib). - La fetwa du compagnon du prophte. - Listishab (la licit originelle). - La charia des gens du livre13.

    Vers la fin du quatrime sicle de lhgire, cet lan novateur et constructif commena donner des signes dessoufflement et les doctrines se sont sclroses dans des corpus que les adeptes des diffrentes coles se contentaient dexpliciter, de rsumer ou de reformuler sans autre apport de valeur ajoute. Il est vrai que de nombreux savants de notorit se sont levs contre cette forme de dogmatisme fig au sein des adeptes des madhahibs. limage de

    13 Cheikh Mohamed Abou Zahra, Oussoul el fikh, Dar el fikr el arabi, Le Caire, p. 57.

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    cheikh el islam Ibn Taymiya et son disciples Ibn el Kayem, ces oulmas ont essay de renouer avec lesprit dinnovation de lijtihad mais la tendance dominante, depuis, tait celle de limmobilisme corollaire de lamorce de la phase de dclin de la civilisation musulmane.

    Face cette rgression intellectuelle et la drive littraliste du fikh musulman, ces savants se sont attels transcender le foisonnement des rgles subsidiaires de la charia, selon les diffrentes doctrines, pour en rechercher les finalits globales qui refltent lobjectif voulu par Dieu pour ses cratures. Cest ainsi quapparut la science des objectifs fondamentaux de la charia illustre par les uvres dIbn el Kayem El Djawzia dans son mmorable ouvrage Ilam el moukiine , El Karafi dans son ouvrage El Achbah oua enadhair , Ibn Nudjeim dans El kawanine el fikhia mais surtout le grand imam andalou Chatibi dans son monumental trait appel El mouafakat .

    3. Les fondamentaux de la charia :

    Lensemble des prescriptions religieuses concernant les comportements des tres humains (Al Ahkam Al Faria) se regroupent au sein de rgles gnrales de droit (Kawaid fikhia) lesquelles convergent vers des finalits globales (Makasid Echaria ) reprsentant lesprit et la philosophie de la charia musulmane.

    Limam Chatibi affirme que la finalit globale de la charia est la ralisation des intrts rels du genre humain ici-bas et dans lau-del.

    Ces intrts ont t regroups en cinq ples que la charia vise prserver, faciliter et promouvoir: La religion, la vie, la progniture, les biens, la raison.14

    La charia ne sintresse pas seulement la prservation des cinq centres dintrt ci-dessus voqus. Elle se proccupe aussi de lever les contraintes susceptibles de les affecter. Bien plus, la charia ne prohibe que ce qui est en dfinitive nuisible ltre humain ou la socit. Aussi, une lecture synthtique des prceptes de la charia permet leur classement selon la hirarchie ci-aprs :

    - Le primordial (Dharouriat): Tout ce dont ltre humain ne peut se passer sans mettre en pril lun des cinq centres dintrt.

    - Le ncessaire (Hadjiat): Tout ce dont labsence cre une contrainte majeure (Haradj) pour la ralisation dun centre dintrt.

    - Le complmentaire (Tahsiniat): Tout ce qui contribue amliorer la ralisation et lpanouissement de lun des cinq centres dintrt.

    14 Echatibi, El mouafakat, Dar el maarifa, Beyrouth, 1996, p. 36.

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    Exemples :

    Protection de la religion :

    - Primordial : Les cinq piliers de lislam : La profession de la foi, la prire, la zakat (aumne obligatoire), le jene de ramadan et le plerinage la Mecque une fois dans la vie pour ceux qui en en les moyens.

    - Ncessaire : Exemption du jene ou des ablutions pour les malades ou les gens en voyage.

    - Complmentaire : Les prires surrogatoires, le jene, laumne ou le plerinage facultatifs.

    Prservation de la vie :

    - Primordial: Prohibition du meurtre et institution du talion (kissas).

    - Ncessaire: Interdiction du monopole ou de la rtention de denres de premire ncessit.

    - Complmentaire: Tout ce qui nest pas expressment prohib est licite.

    Prservation de la raison :

    - Primordial: Prohibition de la consommation de lalcool et des stupfiants.

    - Ncessaire: Obligation dapprendre ce dont la socit ne peut se passer tant sur le plan religieux que profane.

    - Complmentaire: Qute du savoir utile.

    Protection de la progniture :

    - Primordial: Interdiction de ladultre.

    - Ncessaire: Obligation, pour le pre de famille, de subvenir aux besoins du mnage.

    - Complmentaire: Recommandation de veiller au bien-tre familial dans la mesure du possible.

    Protection des biens :

    - Primordial: Interdiction de sapproprier illicitement le bien dautrui.

    - Ncessaire: Lobligation de priver le prodigue de la libre disposition de ses biens.

    - Complmentaire: Institution du legs testamentaire pour les non-hritiers.

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    Il sagit dune chelle de valeurs hirarchises mais interdpendantes. Lhomme a t cr pour connatre et adorer son crateur et slever spirituellement pour parvenir au monde de la flicit dans lau-del (la foi). La vie humaine ne trouve sa signification en dehors de la foi. La foi implique le respect de la vie humaine qui en est le rceptacle et le centre de rayonnement. La protection de la vie passe par la prservation de la raison, de la progniture et des biens. La prservation des biens ne doit pas se faire au dtriment de la raison ou de la progniture.

    Il en dcoule le principe corollaire suivant : Tout acte contraire aux principes directeurs de la charia, si conforme soit-il aux rgles subsidiaires le concernant, devient illicite de ce fait.

    Exemples:

    Donation visant se drober laumne lgale (zakat). Vente au comptant et rachat terme un prix suprieur du mme bien auprs de

    lacheteur lui- mme. Donation, legs ou wakf dans le but de se soustraire aux poursuites des cranciers. Mariage avec une rpudie dfinitivement dans le seul but de permettre son remariage

    avec son premier conjoint. Commerce de biens licites destins un usage illicite:

    - Armes dans un contexte de discorde (fitna). - Mdicaments destins servir de stupfiants - Immeuble destins servir de lieu de dbauche

    Dans sa qute dune socit humaine guide par la vertu et lquit, la charia offre des rgles de conduite la fois religieuse, thique et juridique ayant pour finalit globale le sauvegarde des valeurs humaines dans une socit quilibre et stable. Dans cet difice, lhomme reste au centre de toutes les proccupations.

    II- De la finance :

    1- Les principes directeurs de la charia en matire conomique :

    Sous langle des finalits globales de la charia, lconomie obit aux principes directeurs suivants :

    Les biens appartiennent Dieu. Lhomme en est le dlgataire. La proprit prive est plus une fonction sociale quun droit absolu. Lobligation de sacquitter de laumne lgale au profit des ouvrants droit. La prohibition de la thsaurisation. La rpartition quitable de la richesse au sein de la socit. La prohibition de lexcs de consommation. Lappropriation et lusage des biens doit tre licite. Linterdiction de lusure et du gharar. La priorit de lintrt gnral sur lintrt individuel. La transparence, lquit et lhonntet des transactions conomiques.

  • 16

    La solidarit sociale.

    La finalit globale est la prservation des biens travers un systme fond sur une rpartition quitable de la richesse, une optimisation de lallocation des ressources en vue de la satisfaction des besoins primordiaux, ncessaires et complmentaires des composantes de la socit.

    2- Finance alternative :

    Les pratiques financires charia compatibles ont t dveloppes aux fins doffrir une alternative tenant compte de la prohibition de deux facteurs frontalement opposs aux principes la charia : Lusure (riba ) et lala hasardeux (gharar).

    Les oprations bancaires et financires charia compatibles sarticulent sur le principe de lassociation troite entre le capital et lactivit conomique relle. Le bailleur de fonds ne peut prtendre une rmunration que dans la mesure o il accepte dassumer sa part de responsabilit et de risques lis lobjet du financement. Le partage quitable des droits et obligations entre les parties dun contrat est un principe fondamental du droit musulman des affaires.

    Partant de ce postulat, les Institutions financires islamiques (IFI) ont adapt certains contrats connus dans le fikh musulman classique pour en faire des instruments de financement et dinvestissement alternatifs.

    La banque ou linvestisseur ne se cantonnent pas dans le rle dun simple prteur de fonds mais agit, chacun, en qualit dagent conomique part entire.

    a. La collecte de lpargne :

    Collecte de lpargne dans le cadre de lintermdiation bancaire :

    Dans le modle dintermdiation financire charia compatible, la banque collecte des fonds du public en vue de les utiliser dans le financement dactivits conomiques. Mais la diffrence des banques conventionnelles, lorsque ces oprations revtent le caractre demprunts ou de prts, elles ne peuvent donner lieu au versement ou la perception dintrts car cela relverait de lusure prohibe. Cest le cas, par exemple des fonds logs dans les comptes courants.

    Sagissant des comptes rmunrs, ils sont rgis par des contrats dinvestissement de type moudharaba. Les fonds confis la banque sont utiliss dans le financement dactivits conomiques moyennant leur participation aux produits en rsultant selon les conditions contractuellement convenues. En contrepartie, les investisseurs acceptent dassumer le risque de perte de capital.

    Les normes de conformit chariatiques inhrentes aux activits des IFI admettent la mise en place de mcanismes de protection de type mutualiste contre les risques dinvestissement. La rgle du partage du risque demeure ainsi de mise dans la mesure o aucune clause transfrant la totalit des risques lune des parties du contrat nest prescrite. Parmi ces

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    instruments, la constitution par lensemble des investisseurs de fonds de rgulation des rmunrations verses aux investisseurs ou de compensation des pertes dinvestissement.

    Collecte de lpargne travers lmission de Sukuk :

    Les entreprises conomiques peuvent mettre des titres ngociables (Sukuk) reprsentatifs soit dun droit de proprit des actifs, soit confrant la qualit dassoci dans lactivit financer. Dans les deux cas, les porteurs des Sukuk doivent assumer toutes les responsabilits, obligations, risques, avantages et inconvnients inhrents leurs qualits de propritaires ou dassocis.

    A titre dexemple, les Sukuk ijara (leasing) sont utiliss pour le financement dachat dactifs rels. Les porteurs sont les propritaires et les bailleurs de ces actifs. A ce titre ils sont en droit de percevoir les loyers. En revanche, ce droit est subordonn la jouissance par le preneur des avantages conomiques des actifs lous. Toute interruption de cette utilit conomique non imputable une faute du preneur devrait entraner larrt du versement des loyers jusqu son rtablissement.

    Les Sukuk de type participatif (moucharaka) peroivent une part des bnfices gnrs par lactivit finance en contrepartie du partage des pertes ventuelles lorsque celles-ci ne procdent pas dune mauvaise gestion de la part du gestionnaire des Sukuk.

    Il sagit donc dinstruments dinvestissement quivalents aux titres de dette ou de capital usits en finance conventionnelle. Mais la diffrence de ces derniers, le porteur peut tre crancier sans tre prteur et associ sans tre obligatoirement actionnaire.

    b. Les activits de financement :

    Lactivit de financement, que se soit dans le cadre de lintermdiation bancaire ou des marchs financiers, repose sur les mmes principes de partage des risques et des obligations moyennant la perception du profit.

    Le financement des activits conomiques peut seffectuer travers des instruments de dette linstar de la vente temprament (mourabaha), lachat terme de biens fongibles (salam), la location dactifs avec ou sans option dachat (ijara), la ralisation douvrage (istisna). Mais il sagit de dettes commerciales. Le bailleur de fonds devra assumer les responsabilits contractuelles incombant au vendeur, au loueur ou lentrepreneur.

    Le financement peut aussi avoir lieu dans le cadre de contrats dassociation tels que la moucharaka dgressive ou dfinitive en fonds propres ou en bas de bilan. Il existe aussi dautres formules comme lassociation capital-travail linstar de la moudharaba pour le financement des start-up notamment, la mouzaraa, la mougharassa et la moussakat pour le financement de lagriculture.

    En dfinitive, laction des IFI constitue une tentative de conciliation entre les exigences professionnelles de pratiques bancaires usites et consacres et les impratifs de lobservance des principes fondamentaux de la charia en la matire.

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    3- La finance islamique entre conformit subsidiaire et conformit fondamentale :

    Comme il a t montr dans la premire partie de cette contribution, la conformit des actes la charia ne se limite pas au respect des rgles subsidiaires de cette dernire mais aussi leur cohsion avec ses principes gnraux et ses finalits globales.

    Dans le cas des activits des IFI, la conformit subsidiaire consiste en lobservance des rgles de validit inhrentes aux diffrents types de contrats.

    La conformit fondamentale se mesure laune de lemboitement de lorganisation gnrale de lactivit financire charia compatible dans la sphre conomique relle. Celle-ci doit en constituer le socle et laboutissement.

    Les activits financires charia compatibles doivent, par ailleurs, poursuivre un objectif de solidarit sociale et de rpartition quitable de la richesse. Enfin, la finance doit tre un facteur de dveloppement conomique durable et socialement responsable. Ces critres extra-financiers, au demeurant de plus en plus considrs dans les activits financires conventionnelles, convergent parfaitement avec les objectifs globaux de la charia.

    Grace la supervision des charia board et de la normalisation de lOrganisation daudit et de comptabilit des Institutions financires islamiques (AAOIFI), les IFI ont russi dvelopper des instruments de collecte et de fructification de lpargne ainsi que des outils de crdit et dinvestissement rpondant aux rgles de conformit subsidiaires de la charia.

    Cependant, lexercice des activits des IFI reste infod au systme dominant dans ses rfrentiels techniques, rglementaires et professionnels. Certains de ces tablissements, dans leur souci de simposer dans leur environnement concurrentiel et doffrir une rmunration comptitive leurs actionnaires ou leurs investisseurs tout en rduisant les risques inhrents leurs oprations, nhsitent pas saligner tout simplement sur les pratiques de la finance conventionnelle. Cest ainsi que de nombreux produits sont structurs de sorte satisfaire aux rgles de validit subsidiaire mais constituent, en fait, une duplication de leurs quivalents usuraires vidant les contrats y inhrents de leur substance charia.

    En voici quelques exemples :

    La mourabaha inverse consistant, pour une IFI, acheter, crdit et un prix prdtermin, au dposant un produit boursier quelle lui aura elle-mme procur sur le march des commodits. La finalit nest autre que dassurer ce dposant une rmunration fixe tout en garantissant le capital, le client tant contractuellement crancier de sa banque.

    Le tawaruk organis qui se traduit par la vente temprament dun produit boursier un client demandeur de financement puis la revente un tiers de ce mme produit pour le compte de ce mme client son prix dachat. La rsultante de cette opration compose est la procuration de liquidit remboursable pour un montant suprieur sous

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    couvert dune opration commerciale qui nest en ralit quun jeu dcritures sur les livres de la bourse.15

    La tentative de certaines banques dinvestissement de structurer des produits drivs des fins de spculation charia compatible !? .

    La rfrence au taux dintrt comme indice dterminant la tarification des prestations des IFI ou la rmunration de leurs investisseurs.16

    La finalit de la prohibition de lusure tant en dfinitive la conscration de la prdominance de la logique conomique relle sur celle strictement montaire, de telles subordinations des produits de la finance islamique ceux de la finance conventionnelle ne sinscrit-elle pas en faux avec la philosophie globale du systme financier charia compatible ?

    Cependant, il importe de souligner que ces discordances entre la conformit subsidiaire et la conformit fondamentale, ne signifie nullement un aveu dchec de cette exprience innovante fonde sur la rconciliation de lconomie financire avec lconomie relle et la rupture avec la culture de lusure et de la spculation improductive. Nonobstant les faiblesses et les carences de cette finance naissante, elle a russi le dfi de maintenir sa trajectoire contre-courant de la finance dominante. Le modle reste encore construire et est loin dtre parfait dans son tat actuel. Mais il a dmontr quil ntait pas seulement cohrent et viable mais pouvait raisonnablement constituer une source dinspiration pour la rforme du systme financier international actuel compltement dstructur et dsarticul.

    Dans le numro du dimanche 25 septembre 2008 du Journal des Finances, M. Roland Laskine crivait : Si nos dirigeants financiers cherchent vraiment limiter la spculation, rien de plus simple, il suffit dappliquer des principes de la Charia arrts sept cents ans auparavant : interdit de vendre des actifs que vous ne possdez pas de faon effective ou de raliser des oprations de prts dargent moyennant rmunration. Interdit surtout de spculer sur les dboires dune entreprise. Le seul moyen de senrichir cest de participer au dveloppement dune entreprise et den percevoir les fruits en tant prsent au capital. Des principes simples et de bon sens que tous les dtenteurs dactions ou de contrats dassurance-vie indexs sur la Bourse auraient voulu voir appliqus plus tt. 17

    Ceci dit, les pratiques financires se rclamant de la charia ne doivent pas se limiter la mise en place de simples produits de substitution aux produits dvelopps par la finance conventionnelle rpondant aux conditions de validit formellement requises par le droit

    15 Lacadmie internationale du fikh musulman AIFM (majma el fikh el islami edawli), instance de fetwa

    collgiale et officielle, manant de lOrganisation de la Coopration Islamique (OCI), a considr illicite, les formes de tawaruk organiss pratiques par les IFI. Voir les rsolutions de la XIXe session de lAIFM, tenue Sharja, EAU, le 30 avril 2009, p. 12. Lien: http://www.fiqhacademy.org.sa/.

    16 Certains chercheurs en conomie islamique tentent de trouver une alternative au taux dintrt, en tant

    quindice de rfrence la dtermination de tarification des contrats termes des IFI. Voir notamment ltude du Dr. Hocine Hocine Chahata Vers un indice alternatif islamique pour les transactions financires terme publie dans la revue hawliyat el baraka, n4, novembre 2002, p.179. 17

    Roland Laskine, Figaro blog, wall street, mr pour adopter les principes de la charia ? Lien : http://blog.lefigaro.fr/cgi-bin/mt/mt-ftsearch.fcgi?search=charia&IncludeBlogs=97&limit=20

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    musulman. La finance islamique se doit tout dabord de reflter les principes fondamentaux et les finalits globales de la charia musulmane.

    Conclusion :

    La finance islamique a besoin dune approche novatrice fonde sur la science des finalits de la charia en vu de faire converger les pratiques financires charia compatibles avec les objectifs globaux de lislam.

    Les charia board et les organismes de rgulation et de normalisation chariatiques sont interpells aujourdhui pour concevoir une nouvelle mthodologie de fetwa et dencadrement doctrinal des IFI susceptible dassurer la concordance entre les rgles de validit formelle des transactions financires avec les rgles de conformit globale lesprit de la charia.

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    LES BANQUES ISLAMIQUES FAVORISENT-ELLES LE DVELOPPEMENT CONOMIQUE ?

    UNE ANALYSE DE LA LITTRATURE EMPIRIQUE

    Laurent WEILL18

    Introduction

    La finance islamique a connu une importante expansion ces dernires annes. Mohieldin (2012)19 observe que lensemble des actifs financiers islamiques est pass dune valeur denviron 5 milliards de dollars la fin des annes 80 approximativement 1000 milliards de dollars en 2010. Les banques islamiques reprsentent la trs grande majorit de ces actifs avec des actifs bancaires pour un montant total de 939 milliards de dollars en 2010.

    Face au dveloppement des banques islamiques, il est important de savoir quelles en sont les consquences conomiques : cette expansion a-t-elle des effets positifs, ngatifs, voire inexistants sur lconomie ? Il sagit dun sujet majeur pour lobservateur qui veut savoir si cette expansion peut contribuer ou non au dveloppement conomique. Il sagit aussi dune question fondamentale pour les autorits qui, en fonction de la rponse, peuvent tre incites ou non favoriser les activits de finance islamique pour des raisons conomiques.

    Les tudes sur cette question restent cependant ce jour tonnamment rares. Plusieurs raisons peuvent lexpliquer. Primo, la recherche acadmique sur la finance islamique reste ce jour rduite. Secundo, une grande partie des tudes dans ce domaine vise dcrire les produits financiers islamiques et sadresse ainsi un public de praticiens. Tertio, il est possible quun grand nombre de personnes impliques dans ltude de la finance islamique partagent lopinion que lexpansion de la finance islamique est bnfique. Ce qui ne les incite pas tudier les effets conomiques, mme si cette opinion en labsence de rsultats scientifiques clairs peut sembler uniquement motive par des opinions religieuses ou des motivations financires.

    Notre objectif dans cet article est de faire un bref survol des effets conomiques de lexpansion des banques islamiques. Nous allons nous focaliser sur quatre effets conomiques que le secteur bancaire islamique peut exercer, et travers lesquels nous expliquerons pourquoi il peut influencer le dveloppement conomique : sur la stabilit financire, sur lefficience des banques, sur la concurrence des banques, sur laccs au financement.

    18

    Professeur des Universits en sciences conomiques, Directeur du laboratoire de recherche LARGE, cole de

    Management Strasbourg, Universit de Strasbourg. 19

    Mohieldin, M. (2012), Realising the Potential : Asset Backed Financial Stability, World Economics, 13, 3, 127-141.

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    Pour chacun de ces effets, nous expliquerons dabord pourquoi il est important pour lconomie, ensuite pourquoi le secteur bancaire islamique peut linfluencer, et enfin ce que la littrature empirique nous apporte sur celui-ci.

    Un avertissement important faire en prliminaire de cet article est que nous nanalysons absolument pas limpact religieux ou thique de la banque islamique mais exclusivement les consquences conomiques. Il faut bien comprendre que tout rsultat en faveur dun impact conomique ngatif de la banque islamique ne constitue en rien une critique de la pratique de la finance islamique. Les prescriptions religieuses nont aucune obligation davoir des consquences observables par les tres humains pour tre appliques. Mme si la finance islamique nimplique pas de gains conomiques, elle peut ainsi tre parfaitement lgitime pour le religieux. Notre objectif ici est ainsi exclusivement dapporter des lments sur les effets conomiques de la banque islamique sans aucun avis sur la pertinence religieuse ou thique de cette forme de finance.

    La banque islamique favorise-t-elle la stabilit financire ?

    Linstabilit financire exerce une influence ngative sur lactivit conomique comme la rcemment illustre la crise financire. Elle conduit des faillites bancaires, qui constituent un problme conomique majeur du fait de leurs externalits ngatives pour lconomie. Par externalits ngatives, nous entendons le fait quune faillite bancaire ninclut pas uniquement des effets sur la banque concerne (pertes pour les actionnaires et les cranciers, licenciements pour les employs) comme cest le cas pour la faillite dune autre entreprise, mais quelle exerce galement une influence sur dautres agents conomiques. Ces externalits jouent plusieurs niveaux. Primo, les faillites bancaires sont contagieuses. Lhistoire conomique est remplie dpisodes de cascades de faillites bancaires. Cette contagion rsulte des engagements interbancaires qui contribuent travers les bilans des banques entraner une raction en chane des faillites, mais galement et peut-tre surtout des paniques bancaires qui se dclenchent alors. Secundo, une vague de faillites bancaires aboutit rduire le financement de lconomie, comme les banques jouent un rle cl dans celui-ci travers leurs activits dintermdiation financire. Ce mcanisme est gnralement considr comme une cause essentielle de la Grande Dpression des Annes 30. Tertio, la volont des gouvernements dviter les faillites bancaires pour viter de telles consquences ngatives peut engendrer des cots budgtaires trs importants.

    Ds lors, la question se pose de savoir comment les banques islamiques peuvent exercer un rle sur la stabilit financire. Quatre arguments peuvent tre avancs en faveur dun rle positif des banques islamiques dans ce domaine.

    Le premier argument rsulte de lobservation que la finance islamique a t moins affecte dans son ensemble par la crise financire et la rcession conomique qui en a suivi que la finance conventionnelle. Ainsi, selon cet argument empirique couramment repris20, la finance islamique serait moins instable.

    Le second argument repose sur le contenu thique plus important de la finance islamique qui la rendrait moins susceptible de dtriorer la stabilit financire. La raison en

    20 Lditorial du mensuel conomique franais Challenges le 11 septembre 2008 en constitue une parfaite

    illustration.

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    serait le fait que la finance islamique est moins implique dans la spculation, en raison notamment de limportance dadosser les activits financires un actif tangible ou sinon un usufruit ou des services.

    Le troisime argument est fond sur le risque dinsolvabilit plus faible des institutions financires islamiques. Le principe du partage des pertes et des profits fait que les variations du revenu dune banque sont transmises aux dposants sous la forme de rmunrations variables pour leur pargne. Moins de profit pour la banque signifie galement moins de rmunration verser ses cranciers, ce qui nest absolument pas le cas pour une banque conventionnelle o un tel lien nexiste pas : les rmunrations verser aux dposants ne sont pas alors dpendantes du profit ralis par la banque. Ainsi les banques islamiques pourraient mieux rsister en priode de rduction de leur profit comme leurs contraintes financires sont moins fortes.

    Enfin, le quatrime argument est li aux problmes dala moral des banques, cest--dire le fait que les dirigeants des banques peuvent tre incits prendre des risques excessifs au dtriment des dposants ou des tats. Les dposants des banques conventionnelles ont peu dincitations surveiller ltat financier de leur banque quand ils sont protgs par un mcanisme dassurance des dpts. Une telle situation peut ds lors favoriser une prise de risque excessive des dirigeants des banques : ceux-ci savent que les dposants ne risquent pas de retirer leur argent de leur banque ou dexiger un taux dintrt sur les dpts plus lev sils prennent des risques importants avec largent des dposants. En revanche, les dposants des banques islamiques ont des incitations radicalement diffrentes : ils doivent surveiller les banques comme leur rmunration est totalement lie la performance de la banque, en labsence dune rmunration fixe sans lien avec le profit de la banque. Les banques islamiques devraient ainsi tre mieux disciplines par leurs dposants incits sanctionner tout comportent dala moral des dirigeants des banques par un retrait de leur pargne.

    Tous ces arguments peuvent sembler convaincants et lgitimer limpression que les banques islamiques peuvent rduire linstabilit financire. Cependant, trois contre-arguments peuvent galement tre proposs qui suggrent une relation oppose.

    Primo, la finance islamique est risque par nature. Une banque islamique ne doit au moins en thorie ne toucher quune rmunration variable pour tous les projets quelle finance. En dautres termes, la finance islamique favorise les investissements qui sapparentent aux actions par rapport ceux qui sapparentent de la dette. Or, les premiers sont par nature plus risqus en termes de rendement. Un investisseur peut-il considrer quen moyenne une action est moins risque quune obligation ?

    Secundo, la finance islamique ne peut pas nouveau au moins en thorie tre lie lusage de garanties pour rduire le risque de crdit du financeur. Ce manque de protection contribue au partage des pertes et des profits mais il aboutit galement rendre les banques islamiques plus instables. Face une situation de non-remboursement massif des emprunteurs, la banque islamique ne pourra pas rduire ses pertes par la rcupration dactifs obtenus en garantie.

    Tertio, la crise financire rcente qui constitue un argument courant en faveur des vertus en termes de stabilit financire de la finance islamique ne peut tre suffisamment gnralisable pour constituer une conclusion dfinitive sur la question. Cette crise possde des caractristiques propres, notamment lies certaines activits spculatives des banques

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    conventionnelles. Il est impossible de prdire quelles seront les caractristiques des prochaines crises financires et ds lors quelles en seront les consquences.

    Ainsi plusieurs arguments opposs peuvent tre avancs sur le rle des banques islamiques sur la stabilit financire. Que savons-nous en pratique ? Une tude empirique apporte des lments de rponse sur cette question. Elle a t effectue par deux conomistes du FMI : Cihak et Hesse (2010).21

    Lide de ce travail est de calculer une mesure de stabilit financire qui est propre chaque banque, le z-score, et de comparer les valeurs de cet indicateur pour les banques islamiques et les banques conventionnelles. Le z-score est une mesure de stabilit bancaire trs utilise dans la littrature scientifique. Il se dfinit comme le ratio de la somme des fonds propres et ROA (rendement sur actifs) divise par lcart-type du ROA. En dautres termes, le z-score mesure le nombre dcarts-type ncessaires pour que le ROA chute de sorte que les fonds propres deviennent ngatifs, ce qui correspond un tat dinsolvabilit. Ainsi il mesure la distance linsolvabilit pour une banque.

    Ltude est effectue sur un chantillon de banques originaires de 19 pays du Moyen-Orient, dAfrique du Nord et dAsie du Sud-Est, cest--dire les pays o les banques islamiques peuvent tre considres comme les plus actives. Lchantillon comporte 397 banques conventionnelles et 77 banques islamiques. La priode de ltude stend de 1993 2004.

    Les conclusions de ltude sont les suivantes. Tout dabord, elle ne trouve pas de diffrence significative en termes de z-score entre les banques islamiques et les banques conventionnelles lorsque toutes les banques de lchantillon sont considres. Ce premier rsultat suggre que les deux ensembles darguments sur le lien entre banques islamiques et stabilit financire se compenseraient de sorte quaucun effet ne dominerait.

    Cependant, ltude montre des diffrences en termes de stabilit financire lorsque les petites et les grandes banques (dfinies par rapport un seuil de 1 milliard de dollars dactifs totaux) sont considres sparment. Les petites banques islamiques ont des z-scores suprieurs aux petites banques conventionnelles. Comme une plus grande mesure du z-score est associe une plus grande distance de linsolvabilit, les petites banques islamiques bnficieraient donc dune plus grande stabilit financire. Mais dans le mme temps, les grandes banques islamiques ont des z-scores plus faibles que les grandes banques conventionnelles, ce qui suggre quelles ont une moins grande stabilit financire.

    Ainsi lenseignement principal de cette tude est que la relation entre secteur bancaire islamique et stabilit financire dpendrait de la taille des banques islamiques.

    Comment expliquer un tel rsultat ? Cihak et Hesse mettent laccent sur la complexit des oprations financires islamiques : il est significativement plus complexe pour les banques islamiques dajuster leur systme de contrle du risque de crdit quand elles deviennent plus grandes. Etant donnes leurs limites en termes de standardisation de la gestion du risque de crdit, surveiller les diffrents arrangements profit-perte devient rapidement beaucoup plus complexes au fur et mesure que la taille des oprations

    21 Cihak, M. et Hesse, H. (2010), Islamic banks and financial stability: an empirical analysis, Journal of

    Financial Services Research, 38, 95-113.

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    bancaires saccrot, ce qui gnre des problmes dasymtries dinformation (Cihak et Hesse, 2010, p.110).

    Pour conclure, nous pouvons donc observer que les banques islamiques peuvent influencer la stabilit financire. Des arguments existent pour justifier un impact aussi bien positif que ngatif, tandis que les rsultats empiriques suggrent que les banques islamiques peuvent favoriser la stabilit financire mais seulement tant quelles ne dpassent pas une certaine taille.

    Il sagit de conclusions trs intressantes pour les implications du dveloppement des banques islamiques. En effet, elles suggrent que la taille des banques islamiques peut tre un facteur dinstabilit financire. Cela plaide non pas en faveur dune limitation du dveloppement des banques islamiques mais dune ouverture du march bancaire plusieurs banques islamiques et plus gnralement dune rglementation qui aboutisse ce quaucune banque islamique ne puisse bnficier dune part de march trop importante.

    La banque islamique est-elle moins efficiente ?

    Nous analysons prsent la question de limpact du dveloppement des banques islamiques sur lefficience des banques. Lefficience est un concept de performance bancaire qui est trs utilis dans la littrature scientifique sur les banques. Il est gnralement fait rfrence au concept defficience de cot, selon lequel une banque est efficiente si elle est capable davoir les cots minimaux pour un niveau donn de production.

    Lefficience bancaire est une question importante au niveau macroconomique, car sa variation peut influencer le dveloppement conomique. Une plus grande efficience bancaire signifie des cots bancaires plus faibles, ce qui contribue rduire les prix bancaires. Ds lors, comme les prix bancaires comprennent les prix des financements octroys par les banques, elle favorise une rduction du cot des financements accords par les banques, ce qui peut contribuer augmenter la demande pour ces financements. Ainsi une efficience bancaire accrue peut permettre des niveaux plus importants dinvestissement et de consommation financs par les banques, ce qui peut favoriser le dveloppement conomique. Ce mcanisme joue un rle majeur dans les pays en voie de dveloppement o les agents conomiques sont trs dpendants du financement par les banques du fait de marchs financiers peu dvelopps.

    Plusieurs arguments peuvent tre avancs en faveur dun impact ngatif pour lefficience bancaire du dveloppement des banques islamiques, qui sont lis aux cots plus importants des activits financires islamiques.

    Primo, les instruments financiers de partage des pertes et des profits comme la musharaka et la mudaraba signifient la mise en place dentits lgales spares pour permettre le fait que les fonds financent des activits spcifiques. Ces instruments sont ds lors plus coteux que des contrats de prt standardiss.

    Secundo, linstrument financier islamique le plus couramment utilis est la murabaha qui implique deux transactions de vente au lieu dune.

    Tertio, les banques islamiques ont des possibilits rduites demprunteur sur le march interbancaire, du fait de la ncessit pour elles davoir accs un march interbancaire o

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    existent des oprations en accord avec la Charia. Elles sont ds lors contraintes de dtenir une part plus importante de leurs actifs sous la forme dactifs liquides que les banques conventionnelles.

    Un contre-argument peut toutefois tre avanc qui plaide pour une plus grande efficience des banques islamiques : le fait quelles bnficient de taux de dfaut plus faibles. Les clients des banques islamiques peuvent tre plus motivs que les clients des banques conventionnelles pour rembourser leur dette et plus gnralement pour mieux se comporter dans lutilisation de largent reu auprs de la banque. Ce comportement diffrent serait le rsultat de leurs prfrences qui les incitent choisir une banque islamique. Ainsi les banques islamiques bnficieraient de plus faibles cots en termes de pertes mais galement de surveillance des remboursements que les banques conventionnelles.

    Les tudes sur ces questions fournissent des lments empiriques de deux ordres. Dune part, une tude a compar les taux de dfaut entre prts islamiques et prts conventionnels, ce qui permet de tester la pertinence du contre-argument. Dautre part, plusieurs travaux ont compar lefficience de cot des banques islamiques et des banques conventionnelles.

    Analysons dabord la trs intressante tude de Baele, Farooq et Ongena (2010)22 qui analysent si les taux de dfaut diffrent entre prts islamiques et prts conventionnels. Leur travail tudie les taux de dfaut des deux catgories de prt sur une base de donnes de la Banque Centrale du Pakistan qui comprend la totalit des prts aux entreprises, qui ont t accords dans ce pays entre 2006 et 2008, soit 150 000 prts. Il convient dobserver que la trs grande majorit des prts de lchantillon sont des prts conventionnels, comme seulement 5% des prts sont islamiques. Le nombre de prts islamiques est cependant suffisant pour raliser ltude compte tenu de la taille de lchantillon total. Il est galement intressant de constater que la plupart des prts islamiques sont du type murabaha ou ijara.

    La conclusion majeure en est que les taux de dfaut sont trs nettement plus faibles pour les prts islamiques. Pour les auteurs, ce rsultat sexplique par le fait que les emprunteurs ont un conflit avec leurs croyances religieuses quand ils font dfaut sur un prt islamique. Les emprunteurs des prts islamiques ont ainsi des incitations plus grandes pour rembourser leur prt. Cette explication est renforce par le constat que le taux de dfaut sur les prts islamiques est moins important dans les districts o le vote en faveur des partis religieux est plus important lors des lections. Comme ces districts sont associs avec une population plus religieuse, ce dernier rsultat plaide en faveur du fait que les motivations religieuses jouent un rle sur les taux de dfaut.

    Ainsi cette tude soutient lide que les banques islamiques bnficieraient de taux de dfaut plus faibles. Cet avantage en termes defficience peut cependant ne pas suffire compenser les cots globalement plus importants des banques islamiques.

    Pour rpondre cette question, nous regardons la littrature qui compare lefficience des banques islamiques et conventionnelles. Ces travaux utilisent les frontires defficience, qui sont loutil couramment utilis pour mesurer lefficience des banques dans la littrature

    22 Baele, F., Farooq, M. et Ongena, S. (2010), Of Religion and Redemption: Evidence from Default on Islamic

    Loans, European Banking Center Discussion Paper No. 2010-32, Tilburg University.

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    scientifique. Lide fondamentale en est lestimation dune frontire sur laquelle les banques efficientes se situent. La distance par rapport la frontire mesure alors lefficience pour toutes les banques : plus une banque est loigne de la frontire, moins son efficience est grande. Une frontire defficience peut tre estime laide de techniques conomtriques ou de programmation linaire. Les mthodes les plus couramment utilises sont lapproche de frontire stochastique et lanalyse denveloppement des donnes (DEA).

    La littrature sur lefficience des banques islamiques tant trop importante pour que nous en prsentions toutes les tudes, nous nous focalisons ici sur deux articles rcemment publis dont les rsultats sont assez reprsentatifs de lensemble de ces travaux et qui prsentent lavantage majeur nos yeux davoir t publis dans une revue scientifique de rfrence sur lefficience et lanalyse de la productivit : le Journal of Productivity Analysis.

    Srairi (2010)23 mesure lefficience des banques islamiques et conventionnelles pour un chantillon de 48 banques conventionnelles et 23 banques islamiques des pays du Golfe Persique sur la priode 1999-2007, pendant quAbdul-Majid, Saal et Battisti (2010)24 analysent une tendue gographique plus vaste avec 10 pays du Moyen-Orient et de lAsie du Sud-Est sur une priode plus ancienne (1996-2002) pour un chantillon de 88 banques conventionnelles et 23 banques islamiques. Ces deux tudes se distinguent galement par la technique utilise pour estimer les mesures defficience, mme si toutes deux choisissent des techniques conomtriques.

    Les deux articles concluent une efficience plus faible des banques islamiques par rapport aux banques conventionnelles. En dautres termes, les banques islamiques auraient des cots plus importants que les banques conventionnelles pour un niveau donn de production. Ce rsultat pourrait sexpliquer par les cots plus importants la fois juridiques et en termes de surveillance associs aux instruments financiers islamiques, qui dpasseraient les bnfices qui en rsultent en termes de taux de dfaut plus rduits.

    Cette conclusion est particulirement importante pour les consquences conomiques de lexpansion des banques islamiques. Elle suggre que cette tendance peut aboutir une rduction de lefficience bancaire. En effet, une plus grande part de march de banques islamiques moins efficientes sur un march bancaire donn conduirait logiquement une moins grande efficience moyenne des banques sur le march. Une telle volution conduirait ds lors des prix bancaires plus importants et notamment des financements bancaires plus coteux, ce qui pourrait amener rduire la demande pour de tels financements.

    23 Srairi, S.A. (2010), Cost and profit efficiency of conventional and Islamic banks in GCC countries, Journal

    of Productivity Analysis, 34 (1), 45-62. 24

    Abdul-Majid, M., Saal, D. et Battisti, G. (2010), Efficiency in Islamic and conventional banking: an international comparison, Journal of Productivity Analysis, 34, 25-43.

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    La banque islamique nuit-elle la concurrence ?

    Lexpansion des banques islamiques peut galement contribuer influencer la concurrence bancaire si les banques islamiques disposent dun comportement concurrentiel qui diffre de celui des banques conventionnelles. La concurrence bancaire exerce en effet un impact au niveau macroconomique car elle contribue laccs au financement. Une concurrence bancaire accrue favorise laccs au financement en rduisant les taux dintrt sur les prts mais galement les conditions ncessaires pour obtenir un prt comme le fait de devoir proposer une garantie, comme cela a t montr notamment par Beck, Demirgc-Kunt et Levine (2004)25 et Hainz, Weill et Godlewski (2012)26. Au niveau macroconomique, plusieurs tudes ont montr limpact positif de la concurrence sur le dveloppement conomique (notamment Petersen et Rajan, 199527). Ainsi si lexpansion des banques islamiques exerce un rle sur la concurrence bancaire, elle peut influencer le dveloppement conomique travers ce mcanisme.

    Lhypothse teste ici est celle dun impact ngatif de la banque islamique sur la concurrence bancaire. Elle repose sur lide que les banques islamiques disposeraient dun plus grand pouvoir de march, cest--dire dune plus grande capacit influencer les prix, que les banques conventionnelles. La raison en serait le fait que les banques islamiques bnficient dune clientle dont la demande serait plus inlastique, cest--dire qui serait moins sensible au prix, que les banques conventionnelles car elle aurait des motivations religieuses. La consquence en serait que les banques islamiques pourraient pratiquer des prix plus levs que les banques conventionnelles sans risquer de perdre des clients. En dautres termes, les clients religieux seraient plus captifs vis--vis des banques islamiques que les autres types de clients des banques. En faveur de cette hypothse, El-Gamal (2008)28 observe ainsi que certains fournisseurs et observateurs de lindustrie bancaire islamique appellent les frais supplmentaires des banques islamiques le cot dtre musulman (p.613).

    Une tude analyse empiriquement cette question afin dvaluer la pertinence de cette hypothse : Weill (2011)29. Elle mesure et compare le pouvoir de march des banques islamiques et conventionnelles sur la priode 2000-2007. Ltude est effectue sur un chantillon de 264 banques (230 conventionnelles, 34 islamiques) issues de17 pays du Moyen-Orient et dAsie du Sud-Est.

    Le pouvoir de march des banques est mesur par lindice de Lerner. Il sagit dun indicateur couramment utilis dans la littrature scientifique qui dcoule de la microconomie : il est dfini comme le ratio de la diffrence entre le prix et le cot marginal

    25 Beck, T., Demirgc-Kunt, A. et Maksimovic, V. (2004), Bank competition and access to finance:

    international evidence, Journal of Money, Credit and Banking, 36 (3), 627-654. 26

    Hainz, C., Weill, L. et Godlewski, C. (2013), Bank competition and collateral: theory and evidence, Journal of Financial Services Research, paratre. 27

    Petersen, W. et Rajan, R. (1995), The effect of credit market competition on lending relationships, Quarterly Journal of Economics, 110 (2), 407-443. 28

    El-Gamal, M. (2008), Incoherence of contract-based Islamic financial jurisprudence in the age of financial engineering, Wisconsin International Law Journal, 25 (4), 605-623. 29

    Weill, L. (2011). Do Islamic banks have greater market power?, Comparative Economic Studies, 53, 291-306.

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    divis par le prix. Le cot marginal constitue le cot supplmentaire qui rsulte de laugmentation de la quantit produite dune unit. Un plus grand indice de Lerner signifie donc une plus grande diffrence entre le prix et le cot marginal par rapport au prix qui informe sur le niveau de concurrence du march. Si un march est parfaitement concurrentiel, lindice de Lerner est gal zro, comme le prix est alors gal au cot marginal. Si la concurrence diminue, lindice de Lerner augmente comme une concurrence plus rduite permet aux banques de facturer des prix plus levs par rapport leur cot marginal.

    La conclusion majeure de cette tude est labsence de diffrence significative entre banques islamiques et conventionnelles en termes dindices de Lerner. En dautres termes, ltude ne valide pas lhypothse selon laquelle les banques islamiques auraient un plus grand pouvoir de march que les banques conventionnelles. Plusieurs explications peuvent tre avances pour ce rsultat.

    Une premire explication est le fait que les banques islamiques peuvent avoir des objectifs diffrents des banques conventionnelles, qui seraient en adquation avec leurs valeurs spcifiques. Le profit est un objectif des banques islamiques, mais ces institutions financires doivent galement contribuer favoriser la coopration et lentraide mutuelle en accord avec les valeurs de lconomie islamique. Kuran (2004)30 explique ainsi que ces valeurs font quune entreprise ne doit pas uniquement rechercher son profit mais elle doit aussi viter dtre dommageable aux autres agents conomiques, notamment en facturant des prix justes ses clients. Ainsi les banques islamiques auraient lobligation de facturer des prix justes. Donc, mme si elles bnficient dun avantage concurrentiel quelles pourraient exploiter sur leur clientle, cette obligation limiterait leur possibilit de facturer le prix maximal permis par leur pouvoir de march.

    Une seconde explication repose sur les incitations conomiques diffrentes des dposants des banques islamiques. Ces dposants sapparentent au moins partiellement aux actionnaires dans le sens o ils ne peroivent pas un taux dintrt fixe mais partagent les profits et les pertes de la banque (pour ceux dont le dpt dispose dun rendement). Par consquent, des profits plus importants issus des services proposs et facturs aux dposants signifient galement des prix plus importants pays par les dposants. Ces derniers ont donc des incitations limiter les prix des services financiers pratiqus par les banques islamiques sur les dposants.

    Ainsi lexpansion des banques islamiques ne semble pas constituer une menace pour la concurrence bancaire. Il sagit dun rsultat important compte tenu de la possibilit de voir se dvelopper une clientle captive pour ces banques, qui attnue les risques associs lexpansion des banques islamiques.

    La banque islamique favorise-t-elle laccs la finance ?

    Un bnfice potentiel majeur de lexpansion des banques islamiques est un accs accru la finance, ce qui associerait des gains au niveau des individus en termes de bien-tre mais

    30 Kuran, T. (2004), Islam and Mammon, Princeton: Princeton University Press.

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    galement au niveau macroconomique comme une relation positive a t mise en vidence entre les financements octroys dans lconomie et le dveloppement conomique.31

    Lhypothse teste ici est que lexpansion des banques islamiques peut contribuer favoriser laccs au financement, et ds lors contribuer linvestissement et la croissance. Deux raisons principales expliquent pourquoi un tel mcanisme peut tre attendu. La premire raison repose sur les principes religieux qui peuvent empcher certains agents conomiques de requrir un financement avec intrt. La seconde raison est fonde sur les conditions requises diffrentes pour les financements participatifs que pour les prts conventionnels, qui peuvent tre moins restrictives. Ce type de financements islamiques nest cependant pas si rpandu en pratique dans les banques islamiques comme lobservent entre autres Chong et Liu (2009)32. Nous nous concentrerons donc sur la premire raison.

    Sur la question du fait que lexpansion des banques islamiques favoriserait laccs au financement, les tudes empiriques restent quasi inexistantes notre connaissance une exception trs rcente que nous allons prsenter plus loin. Nous pouvons galement proposer des lments factuels travers les chiffres sur limportance des banques islamiques dans les pays o ils existent. Limportance du rle des banques islamiques dans laccs au financement accru est en effet dpendante de leur part de march par rapport la population musulmane dans les pays o elles existent. Si les banques islamiques ont une part de march qui correspond un nombre infinitsimal de musulmans dans les pays o elles sont implantes, nous pouvons tre dubitatifs sur lexistence dune clientle importante rationne dans un monde o seule la finance avec intrt existe et qui attend une finance islamique pour requrir un financement. Notre approche ici est videmment restrictive car elle nglige dautres facteurs comme par exemple le fait que les autorits favorisent ou mettent des obstacles au dveloppement des banques islamiques. Mais elle apporte un clairage mme imparfait sur la question.

    Analysons quelques chiffres sur limportance des banques islamiques dans les pays o elles sont installes. Visser (2009)33 donne des chiffres intressants sur les pays majorit musulmane. Tout dabord, seuls 10% des comptes bancaires en Malaisie taient des comptes en conformit avec la Charia en 2005, et ce en dpit du soutien gouvernemental. Comme toute la population malaisienne nest pas musulmane, il faut pondrer ce chiffre : en considrant comme Visser que 60% de la population est musulmane, cela signifie que les musulmans malaisiens dposent 17% de leur argent sur des comptes islamiques au maximum (KPMG, 200634). Il se rfre ensuite Khalaf (2008)35 en ce qui concerne la part de march des banques islamiques dans les pays du Golfe qui oscillerait entre 15% et 25%.

    31 Pour une synthse de la littrature sur cette question, voir Levine, R. (2005), Finance and growth: theory and

    evidence, in P. Aghion et S. Durlauf (eds), Handbook of Economic Growth, Vol. 1, Elsevier, 865-934. 32

    Chong, B.S. et Liu, M.H. (2009), Islamic Banking : Interest-Free or Interest-Based ?, Pacific-Basin Finance Journal 17, 125-144. 33

    Visser, H. (2009), Islamic Finance: Principles and Practice, Cheltenham: Edward Elgar. 34

    KPMG (2006), Making the Transition from Niche to Mainstream. Islamic Banking and Finance: A Snapshot of the Industry and its Challenges Today, KPMG Financial Advisory Services. 35

    Khalaf, R. (2008), Grappling with problems of success, Financial Times, 19th June.

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    En ce qui concerne les pays dont la majorit de la population nest pas musulmane, le cas du Royaume-Uni est particulirement intressant comme il sagit probablement dans cette catgorie de pays de celui o les banques islamiques sont les plus dveloppes. La population musulmane y serait estime 2 millions de personnes.

    Selon TheCityUK, les actifs totaux des banques islamiques au Royaume-Uni en 2010 seraient estims 18,9 milliards de dollars. Ce chiffre peut paratre important de prime abord, mais il doit tre compar par exemple au total des actifs de la banque britannique Royal Bank of Scotland qui est gal 2510 milliards de dollars. En dautres termes, la part de march des banques islamiques en termes dactifs reste faible. Une banque de dtail islamique (IBB) existe sur le march britannique, ce qui fait que sa part de march est intressante pour valuer limportance de la clientle musulmane potentielle pour des produits financiers islamiques. Selon TheCityUK, le nombre de clients dIBB est denviron 50000 comparer donc avec une clientle potentielle de 2 millions de clients. Un autre chiffre intressant est le montant des financements fournis la clientle qui reprsente 55 millions de livres en 2010, ce qui montre nouveau une part de march trs limite.

    Ainsi ces diffrents lments factuels tendent indiquer que les musulmans dans leur ensemble ne sont pas rationns par labsence de finance islamique comme il semble quune majorit dentre eux dans les pays majorit musulmane ou dans les autres utilise les produits financiers conventionnels. Ds lors, mme si lexpansion des banques islamiques contribue favoriser laccs au financement pour certains clients, il semble que leffet devrait tre limit et donc que ce mcanisme devrait avoir des consquences trs limites en termes de dveloppement conomique.

    Pour contrebalancer ces lments factuels, il est intressant danalyser les conclusions de la seule tude empirique notre connaissance qui apporte des lments de rponse sur le lien entre lexpansion des banques islamiques et la participation des agents au systme bancaire : ltude de Gheeraert (2012)36.

    Il sagit dune tude empirique pour analyser si le dveloppement des banques islamiques contribue favoriser le dveloppement financier dans son ensemble. Cette tude sinscrit dans le prolongement des arguments voqus. Deux mcanismes peuvent jouer un rle ici. Le premier est celui voqu plus haut dune plus grande participation des agents conomiques au systme bancaire en prsence de banques islamiques pour des raisons religieuses. Le second repose sur lide que les banques islamiques peuvent contribuer favoriser linnovation financire en proposant des produits financiers nouveaux qui correspondent certains besoins des agents conomiques. Ds lors, une offre plus large de produits financiers permise par le dveloppement des banques islamiques peut contribuer une plus grande participation au systme bancaire des agents conomiques.

    Inversement il est possible quil ny ait aucun impact du dveloppement des banques islamiques si celles-ci se substituent aux banques conventionnelles en captant une partie de leur clientle. Ainsi la question est de savoir sil y a un effet de complmentarit, qui serait positif, ou un effet de substitution, qui serait neutre, entre le secteur bancaire islamique et le secteur bancaire conventionnel.

    36 Gheeraert, L. (2012), Does Islamic finance spur banking sector development?, Presentation au Tenth

    Harvard University Forum, Harvard University, Mars 2012.

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    Ltude est effectue sur un chantillon qui comprend toutes les banques islamiques de dtail dans le monde sur la priode 2000-2005. Il sagit danalyser au niveau des pays la relation entre le dveloppement bancaire islamique, mesur par les financements accords par les banques islamiques sur le PIB et le dveloppement bancaire total, mesur par les financements accords par toutes les banques sur le PIB.

    Ltude conclut en faveur dun phnomne de complmentarit : un dveloppement bancaire islamique plus important accrot le dveloppement bancaire dans son ensemble. Ce rsultat nest cependant observ qu partir du moment o le dveloppement bancaire islamique atteint un certain niveau. En effet, si la pntration des banques islamiques est trop faible ou trop importante, la complmentarit nest pas observe et le dveloppement bancaire islamique nexerce aucune influence sur le dveloppement bancaire total.

    Ainsi en ce qui concerne limpact de la finance islamique sur laccs au financement, la littrature empirique montre en ltat actuel de nos connaissances des rsultats contrasts.

    Conclusion

    Dans cet article, nous nous sommes efforcs de synthtiser la littrature empirique sur les consquences conomiques de lexpansion des banques islamiques. Lexpansion des banques islamiques devrait (a) favoriser la stabilit financire si ces banques restent de taille rduite, (b) ne pas avoir dinfluence sur le degr de concurrence bancaire, (c) rduire lefficience des banques en accroissant leurs cots, (d) favoriser lgrement laccs au financement.

    En rsum, lexpansion des banques islamiques devrait avoir un impact conomique limit. En ltat actuel de nos connaissances, il nous semble donc que les effets conomiques de ce phnomne ne peuvent ni constituer un argument contre leur implantation, ni un plaidoyer en faveur de leur dveloppement. Nous esprons cependant que la recherche scientifique sur les consquences du dveloppement de la finance islamique va continuer de se dvelopper afin dapprofondir les questions souleves par ce phnomne.

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    COMPTITIVIT JURIDIQUE DE LA PLACE DE PARIS ET FINANCE ISLAMIQUE37

    Abderrazak BELABES38

    Rsum: Le dbat sur la comptitivit juridique dans l'hexagone se rduit le plus souvent une rivalit entre droit civil et Common Law. L'accueil de la finance islamique en droit franais parat comme un contre-exemple cette lecture classique ou peut-tre la relativise. Il montre que l'encadrement de la France, en privilgiant en dfinitive, sous de multiples contraintes, une approche en termes d'amnagements fiscaux, se positionne sur celui du Royaume-Uni. Dans ce contexte, les produits financiers islamiques sont assimils au niveau de l'input un crdit conventionnel et au niveau de l'output un produit alternatif se rclamant d'un rfrent confessionnel. Cette posture est susceptible d'voluer en fonction des stratgies que peuvent adopter les acteurs en prsence dans la conqute globale d'espaces juridiques o les pays mergents vont devenir des sources de droit incontournables.

    Mots-cls: Finance islamique, comptitivit juridique, Place de Paris, Droit civil, Common Law, go-droit, intelligence juridique.

    Introduction

    Le processus de mondialisation conduit repenser continuellement la notion de comptitivit. Devenue globale, celle-ci concerne quasiment tous les aspects de la vie qu'ils soient conomiques, sociaux, politiques, culturels, thiques, juridiques ou fiscaux (Belabes, 2001). En matire de droit, le champ de la comptitivit ne se limite plus au droit de la concurrence incarn principalement par les lois antitrust, ni certaines branches classiques (droit fiscal, droit du travail, droit des socits, droit des investissements internationaux). Il s'tend dsormais au systme juridique dans son ensemble. En obligeant les tats tenir compte de ce qui se pratique ailleurs dans le domaine juridique, la dynamique comptitive apparat bnfique la fois pour les acteurs financiers et lconomie nationale dans son ensemble. D'o l'intrt des chercheurs (CEDE39, 2012), des institutions pour la promotion du droit romano-germanique (Fondation pour le droit continental, 2012), des corporations d'avocats (Conseil National des Barreaux, 2008; Cercle Montesquieu, 2012), des institutions

    37 Je tiens remercier mon pouse ainsi que mon collgue Smi Hazoug dont les interrogations pertinentes m'ont

    permis d'claircir certains points. 38Chercheur lInstitut d'conomie islamique, Universit du Roi Abdulaziz, Djeddah, Arabie saoudite, et membre de la Chaire "thique et normes de la finance" de l'Universit Paris 1 Panthon Sorbonne en collaboration avec l'Universit du Roi Abdulaziz; courriel: [email protected] 39 Le Centre Europen de Droit et d'conomie de l'ESSEC a lanc en 2009 un programme de recherches "Droit

    et comptitivit europenne" qui propose une rflexion axe sur le cadre Juridique et les initiatives europennes en matire de comptitivit.

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    parlementaires40 et des dcideurs politiques (Prada, 2011) pour la question de limpact du droit, et plus particulirement le droit des affaires, sur le renforcement ou l'rosion de la comptitivit conomique. Le maintien d'un cadre juridique lisible, stable et favorable la conduite des affaires devient un vecteur de comptitivit internationale. Il ne suffit plus au droit hexagonal de mettre en place un cadre juridique efficace, il doit dsormais tre comptitif face la concurrence du droit anglo-saxon et celle du droit des tats membres de l'Union Europenne. L'impratif de comptitivit juridique requiert une rforme des textes fondateurs, en particulier le Code civil, une ouverture du droit l'environnement international, une refonte de son enseignement et un dcloisonnement des mtiers. Jusqu' une date rcente, le retard de la France en la matire semblait proccupant au point que certains juristes appelaient au lancement d'un vritable "Grenelle du droit" (De Vauplane, 2008). La rflexion sur l'accueil de la finance islamique au droit franais semble, premire vue, s'insrer dans cette dynamique de comptitivit juridique. Un rapport d'information du Snat sur la bataille des centres de dcision conomique prconise la proposition suivante: "Renforcer la comptitivit du droit franais, non seulement en amliorant sa prvisibilit et sa lisibilit, mais en prenant, par anticipation, des mesures d'adaptation juridique aux nouveaux marchs, notamment en consolidant les atouts de la place financire de Paris par diverses mesures techniques et, par exemple, en encourageant le dveloppement de la finance islamique par la suppression des frottements fiscaux et juridiques" (Gaudin, 2007: 23). En ceci, les acteurs de la Place de Paris ne pourront ignorer les opportunits du dveloppement de la finance islamique. Do la ncessit de clarifier la notion de comptitivit juridique, son lien avec la finance islamique et son traitement effectif au regard des contraintes multiples qui rgissent les conditions de possibilit.

    Comptitivit