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Cahier Clinique du CFPT L’ART, PORTE OUVERTE VERS LA TRANSPERSONNALITE ? Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle | Journée d’étude | 23 Juin 2018

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Cahier Clinique du CFPT L’ART, PORTE OUVERTE VERS LA TRANSPERSONNALITE ?

Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle | Journée d’étude | 23 Juin 2018

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TABLE DES MATIERES

p.2 : Editorial – Muriel Rojas Zamudio

Exposés de la journée d’étude du 24 Mars 2018

p.3 : L’acte créateur spontané est-il transpersonnel ? -Laetitia Veyron

p.7 : Explorer et valoriser l’identité Féminine, entre Création artistique et méthode d’Accompagnement - Fanny Dangelser

p. 9 : A la rencontre du guérisseur intérieur blessé -Raphaël Lolli

p. 17 : Entre Art et Thérapie, une odyssée transpersonnelle - Muriel Rojas Zamudio

p.23 : Du spectateur inspiré au créateur conscient - Sabine Dewulf

Complément de la journée d’étude du 23 Juin 2018

p. 44 : L’art, porte ouverte vers la transpersonnalité ? – Camilo Villanueva

p.48 : Pour aller plus loin… et nous rejoindre

Relecture et mise en page :

Muriel Rojas Zamudio, Johann Henry et Bernard Onillon

Illustration couverture : El Maestro - Camilo Villanueva

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EDITORIAL

En proposant pour notre deuxième journée d’étude le thème de L’Art : porte ouverte vers la transpersonnalité ?, nous n’entendions pas redéfinir le champ de l’art, ni même celui de l’art-thérapie, mais ouvrir une réflexion sur les liens que peuvent – ou pourraient – nouer l’expression artistique et le transpersonnel. Ne pas préciser les domaines ou réalités recouverts par ces deux termes fut un parti pris visant à laisser aux intervenants l’espace d’y inscrire leur subjectivité. Les propositions qui nous sont parvenues illustrent cette pluralité interprétative qui fait le sel des relations interpersonnelles. Chacun connote les mots au fil de son expérience, entend ce qu’il peut (ou veut), et dit plus, moins, ou autrement que ce qu’il croit énoncer, c’est pourquoi vous découvrirez dans les articles de ce cahier des visions contrastées de l’histoire qui se raconte depuis les débuts de l’humanité entre art et psyché. Une lecture attentive vous permettra peut-être de repérer au détour d’une image ou d’une expression le même masqué par le différent, faisant l’expérience de ce que le transpersonnel défend : quelque chose en nous transcende le singulier pour nous inviter au choral, qu’il s’agisse de participation mystique ou d’engagement social. L’art à sa manière y participe, que ce soit à travers la louange, la représentation du sacré, ou l’ouverture via nos sens à une autre dimension de la réalité. Tandis que nous organisions notre journée, l’artiste argentin Camilo Villanueva s’est présenté à nous par l’une de ces synchronicités dont la vie sait si bien nous faire l’offrande. Dans son témoignage, nous retrouvons la posture exprimée par certains intervenants du 23 Juin, avec cette fois le regard inversé du peintre initié à la psychologie transpersonnelle. Nous espérons que ce cahier déverrouillera les portes qui vous séparent de votre être, et que les questions qu’il pourrait susciter se transformeront en mots, concepts, ou collaborations susceptibles de fortifier les fondations de notre discipline artistique : la psychothérapie transpersonnelle.

Muriel Rojas Zamudio

Coordinatrice de la journée d’étude

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L’ACTE CREATEUR SPONTANE EST-IL TRANSPERSONNEL ?

Laetitia veyron est psychologue cognitive et instructrice de méditation pleine conscience (ADM). Elle a

suivi une première psychanalyse auprès de Marc Alain Descamps, suivi d’une seconde tranche auprès

de Marie Balmary. Elle complète sa formation clinique par l’école du GIREP de 2008 à 2012. Veyron-

psy28.com

François cheng : » toute œuvre d’art en son état le plus élevé est résonnance avec les

autres êtres et avec l’ Etre ».

C’est l’exercice personnel du mouvement dansé, « la danse contact improvisation », initié

par le gymnaste et danseur Steve Paxon, ainsi que la pratique de la méditation pleine

conscience, qui ont été à l’origine de mon intérêt pour la notion de spontanéité dans le

champ de la psychologie transpersonnelle. Je remercie ici les organisateurs de la journée et

du Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle (CFPT), de me donner

l’occasion de m’exprimer sur ce thème.

En me basant sur les auteurs qui ont influencé ma pensée , et les artistes dont j’ai pu

rencontrer les œuvres je présenterai rapidement comment le mouvement de l’histoire de

l’art accueille dès le début du XXème siècle des productions de non initiés dans ce que

j’appellerais un acte spontané de création, puis comment la psychologie à travers un cadre

mêlant l’improvisation et la pleine conscience peut accompagner la désidentification d’un

moi conditionné, et pour terminer cet article, quelques références scientifiques qui

élargissent notre conception de la conscience.

Notons avec M. de Raymond, professeur de philosophie et écrivain que « c’est dans l’art

contemporain que l’improvisation a été réhabilitée. Au théâtre d’abord, avec Stanislawski et

Jacques Copeau, dont les méthodes ont été souvent reprises depuis, que ce soit par

Grotowski, l’Actor’s Studio ou le Living Theatre. Dans le domaine musical, ensuite, grâce au

jazz, bien sûr, mais aussi à l’utilisation de plus en plus fréquente de procédures aléatoires

par des compositeurs comme Boulez, Stockhausen, John Cage ou les techniciens de la

musique électro acoustique. Dans le domaine pictural, enfin, avec l’Action painting chère à

Jackson Pollock et à tout le mouvement expressionniste abstrait. » 1

L’improvisation vécue comme pleinement libre par le sujet qui l’expérimente, conduit à

l’acte spontané. Il faut donc s’y exercer. À la répétition d’une pièce préalablement écrite

correspond ici l’entraînement à une posture créative.

1 L'improvisation. Contribution à une philosophie de l'action

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Le concept de spontanéité sera mis en avant et étudié dans l’œuvre du Dr Moreno et le théâtre de la spontanéité en 1947. C'est à partir de l'idée d'une nature primordiale à retrouver au-delà de « la croûte institutionnalisée » 2, qu'il eut ses intuitions sur la spontanéité. D’une étonnante actualité, Moreno diagnostique le mal dont souffre la culture du XXème siècle : la répétition de conserves culturelles, il accuse comme responsable de l'immobilisme « la déficience de la spontanéité à se servir de l'intelligence disponible et à mobiliser les émotions éclairées ». Dans le théâtre de la spontanéité, l'imagination créatrice devient libre parce que libérée des obstacles personnels et sociaux : il s'agit d'exprimer ce que l'on porte en soi. Moreno fait jouer ses personnages pour dépasser les préjugés sur soi-même.

Cette libération créative et spontanée s’exprime également en peinture avec le mouvement de l’art brut prôné par l’artiste Jean Dubuffet dès 1948, notamment à travers l’expression picturale d’Augustin Lesage, minier de profession et n’ayant jamais appris à peindre, qui se mit à l’œuvre après avoir entendu une voix qui le missionnait de devenir peintre.

Dans les années 1950 au Brésil, la psychiatre Nise da Silveira, s’interroge sur les productions

de patients psychotiques graves. Elle entretiendra une correspondance avec Jung et sera une

pionnière de la thérapie par l'expression plastique spontanée. Elle fonde le Museu de

Imagens do Inconsciente à Rio de Janeiro : un centre de recherches pour conserver les œuvres

des patients, en tant que documents rendant compte de ces forces de cohésion de la psyché

qui s’expriment de façon inconscientes et spontanées.

Pourquoi s’intéresser au spontané ?

L’artiste contemporaine Fabienne Verdier s’exprime dans ce sens « c’est ce grand principe

qui anime toutes choses, la chaleur qui sort de la terre et pousse le minéral, les montées de

sève ou dans l’air les formations nuageuses ou l’eau et les songes, qui anime tout, par ce

souffle, le peintre transcrit ce qui anime l’âme, l’être que je suis, mon esprit. »3

Nous ne sommes pas tous égaux par rapport à l’acte créateur. Si l’enfant est par essence

spontané, nous perdons cette faculté, nous dit Ken Robinson, expert de l’éducation de

renommée internationale.

« L’école doit changer pour s’adapter aux enfants d’aujourd’hui, afin de lui donner toutes les

chances d’être créatif, et non reproduire inlassablement. L’école doit donner cette

compétence aux enfants car ils vont arriver dans un monde où beaucoup sera à réinventer. »

( voir la video)

La perte de la spontanéité est proportionnelle à la formation de schémas de pensées et

conditionnements, autrement dit aux limitations du moi et de l’égo.

Sans la spontanéité, il ne peut y avoir connaissance de soi. Sans la connaissance de soi, écrit

également le sage Krishnamurti, l'esprit est façonné par les influences passagères. L’égo est

un assemblage. La spontanéité est la seule clé qui ouvre la porte de ce qui EST.

2 Raymond Jean-François. Le théâtre de la spontanéité (Moreno). In: L'Homme et la société, N. 29-30, 1973. Analyse institutionelle et socioanalyse 3 Peindre l’instant - Collection documentaire Empreintes. Réalisation : Mark Kidel (France, 2012). Diffusion le 1er février 2013 à 21h30 sur France 5.

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Chercher en psychologie comment accompagner à désassembler le « moi », à toucher plus

en profondeur les arcanes de la personnalité et les conditionnements, furent des questions

qui m’amenèrent à créer les ateliers Mindful-Art.

Il s’agit de sortir de sa zone de confort, de ses croyances et de ses peurs en mettant l’accent

sur le geste spontané et une attitude de pleine conscience dans l’acte de création.

Autrement dit avec le philosophe C. Béthune, renouer avec l’enfance des temps où le geste

et l’intention cohabitent de manière inséparable : agir c’est s’exprimer, et réciproquement

toute expression est aussi une action

L’improvisation se fait « éloge de la fausse note » pour paraphraser Marc Vella, où

l’entrainement à la pleine conscience réaffirme les valeurs de bienveillance envers soi-même,

de non jugements, d’enthousiasme, de présence à soi et aux autres.

Ainsi, le défi de sortir des chemins connus, allié au cadre exigeant et sécurisant de la pleine

conscience, favorisent l’expérience du flow décrit par le psychologue Mihály

Csíkszentmihályi. Un état mental (de conscience modifiée) de grande concentration qui

privilégie la perte du sentiment de conscience du moi.

La spontanéité permettrait d’élargir les frontières du moi avec la disparition de l’ego.

Ce sont les chercheurs tels que Jean-Jacques Charbonnier qui apportent un éclairage

conceptuel scientifique en supposant l’existence d’une conscience intuitive extraneuronale

(CIE) qui ne s’active que lorsque notre conscience analytique cérébrale (CAE) diminue son

influence, comme c’est le cas dans la pratique des arts et de l’improvisation. Cette thèse a

été approuvée dans un travail de doctorat sur les EMI en 2014 du Dr Lallier qui a reçu la

mention très honorable avec félicitations du jury.

L’expérience des ateliers me permet de constater que l’entrainement à l’acte spontané, et

l’improvisation en pleine conscience, stimulent chez les participants un sentiment de

gratitude qui selon la psychologue Rebecca Shankland est une habileté exceptionnelle pour

promouvoir l’état de bien-être.

L’improvisation en groupe peut alors être vécue collectivement comme une célébration au

flux de la vie qui s’écoule et stimuler alors un sentiment de respect et de gratitude vis-à-vis

de Cela qui nous dépasse, de Cela qui nous meut, qui nous anime.

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Et si avec Mario Beauregard nous nous engageons dans un saut quantique de la conscience4,

Il est tentant de croire, qu’aborder l’acte créatif avec une intention bienveillante et rendre

grâce à ce qui est donné (la nature, les valeurs de beauté, d’amour, d’harmonie etc…) ainsi

qu’au collectif qui partage l’expérience, pourraient bien dans le paradigme de l’effet non-

local de cette intention en action5, avoir des répercussions tangibles sur autrui et la nature.

Aussi nous posons la question : l’acte créateur spontané en conscience contribuerait-il à

vivre dans un monde de paix ?

Laetitia Veyron – Chartres, Novembre 2018

4 2017, Dr mario beauregard

5 la psychologue transpersonnelle Jeanne Achteberg, pionnière de l’utilisation de la visualisation dans

le processus de guérison, a conduit une étude d’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle

(IRMf) afin de mesurer ce qui se passe dans le cerveau de récepteurs lorsque des guérisseurs émettent

des intentions bénéfiques à leur endroit. Onze guérisseurs habitant à Hawai furent couplés à 11

récepteurs. Ces guérisseurs se réclamaient de diverses approches thérapeutiques et se trouvaient à

distance lorsque la scanographie fut réalisée. Les guérisseurs devaient émettre une intention de

connexion seulement lors de certaines périodes. Durant l'envoi de l'intention, une augmentation

significative du niveau d'oxygénation du sang reliée à l'activité neuronale a été notée dans différentes

régions du cerveau des récepteurs. Cela suggère qu'il est effectivement possible pour les guérisseurs

de se connecter avec des personnes éloignées, et d'influencer leur activité cérébrale. Extrait du livre

« Un saut quantique de la conscience. Pour se libérer enfin de l’idéologie matérialiste », par Mario

Beauregard, préfacé par Jean Staune, aux éditions Guy Trédaniel.

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EXPLORER ET VALORISER L’IDENTITE FEMININE, ENTRE CREATION ARTISTIQUE ET METHODE D’ACCOMPAGNEMENT

Fanny Dangelser est Artiste et coach thérapeute par les Arts. Elle a suivi – entre autres - une formation à la thérapie transpersonnelle et propose aujourd’hui des stages intégrant la dimension du Féminin, des Arts et de la Nature. Lors de la table-ronde du colloque, elle a partagé son cheminement personnel et artistique sur le thème de l’identité féminine.

Au sujet de l’identité féminine La question suivante est toujours fondamentale pour de nombreuses femmes : comment la Femme, dans nos sociétés, peut être assujettie dans un rôle d’objet et comment elle peut se réapproprier un rôle de sujet en devenant elle-même créatrice ? Dans mon cheminement, la réponse à ce questionnement s’est opérée de deux manières. D’une part en redonnant il y a quelques années (après une dizaine d’années en tant que salariée sur un poste exigeant) une place importante à la création artistique et en exposant mes travaux avec une dimension d’« art messager » portant les valeurs du Féminin (je précise que je parle des valeurs du Féminin et non du féminin opposé au masculin, autrement dit les valeurs féminines potentiellement vivantes en tout homme et toute femme). D’autre part en créant des espaces d’accompagnement avec la photographie dans la Nature lors desquels la personne (la femme généralement) va pouvoir revivre un lien fort à elle-même et à son univers intérieur. Ce « travail » initialement démarré sur le plan artistique, m’a amenée à créer et développer une méthode d’accompagnement de reconnexion à soi en utilisant la photographie et les éléments de la nature. L’impact de l’image sur la confiance en soi est assez impressionnant et a déjà été exploré avec les recherches autour de la photothérapie, discipline pratiquée depuis les années 60. En accompagnant des femmes avec cette méthode, je réalise combien travailler avec l’image répare en profondeur l’estime de soi et la confiance en soi surtout pour les femmes blessées dans leur féminin qui ont eu des mémoires d’abus, de violences. Ainsi, le travail avec la photographie permet de se réparer en profondeur dans la confiance en soi et dans sa capacité à se reconnecter à sa source créatrice. Cela permet aussi avec les personnes ayant déjà fait un certain parcours intérieur d’aller explorer des zones encore plus enfouies et parfois même en se connectant avec les végétaux de développer une prise de conscience accrue (comme un voyage en état de conscience modifiée, pour guérir et réparer ce qui demandait à être soigné dans le passé). Très concrètement, la méthode consiste en un temps d’accompagnement verbal de coeur à coeur prolongé par une expérience multi-sensorielle et plus silencieuse avec une fragrance choisie spécifiquement pour la personne accompagnée. L’eau de plante parfumée que je sélectionne en me « branchant » sur la personne agit au niveau émotionnel et vibratoire. Elle va permettre aussi à celle-ci de s’ouvrir à tous ses sens et de vivre un bain sensoriel en lien avec les éléments naturels. La personne va vivre ainsi un processus avec les éléments en prenant appui sur eux, à l’écoute d’elle-même et va pouvoir reconnecter sa spontanéité ou beauté naturelle. Tout en se sentant accompagnée, sécurisée par notre lien - dans la

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distance qui sera la plus juste dans l’instant, en fonction des partages qui auront été faits auparavant. La photographie n’est en réalité qu’un outil utilisé pour fixer ces moments clés vécus par la personne. Quelques jours après la séance, les photos sont envoyées et la personne va devenir comme « témoin » de cette expérience vécue. Elle voit sa « beauté dans son naturel » ce qui va nourrir quelque chose dans son intériorité et peut aussi débloquer des choses en elle. Ces photos peuvent devenir par la suite une source d’inspiration et de méditation et agir comme un temps précieux de reconnexion à soi lorsque le quotidien devient trop pesant. Ma posture entre artiste et accompagnante Durant l’accompagnement, je me situe ainsi entre la thérapeute, l’accompagnante et l’artiste. En effet, en tant qu’« artiste », je saisis les images à des moments clés de la personne et parfois même j’écris une poésie inspirée par ce qu’elle a vécu. Finalement, je pourrais dire qu’il s’agit d’une sorte de co-création entre la personne accompagnée, la nature et les arts qui va permettre de vivre ensemble une ambiance d’abord initiée dans les liens du coeur et puis un temps de liberté exploratoire cristallisée ensuite dans la prise d’images. Il ne s’agit pas de poses au sens classique de la photographie mais bien d’un accompagnement vivant avec un juste dosage de présence et de discrétion. Ceci pour apporter d’une part sécurité, soutien et confiance mais aussi suffisamment d’espace pour permettre le déploiement nécessaire de ce qui aura besoin d’être vécu et transformé. Ainsi, à différents endroits, je suis l’artiste qui va capter la beauté de ce qui se déroule sous mes yeux : d’abord dans le live de la séance et ensuite dans la sélection des photos. Et je voyage dans la séance entre ces deux postures qui me permettent d’offrir une proposition originale et unique et de témoigner par la création de ce moment de reliance.

Cette méthode comme un processus arts et nature a émergé après avoir vécu une expérience

forte dans ma vie personnelle en lien avec la photographie. Ce processus m’a permis de me

réapproprier ma propre dimension créatrice. En faisant ce cheminement, j’ai également

travaillé sur l’identité de la femme qui depuis un statut figé se réapproprie une identité

vivante, créatrice et sort d’une forme d’emprise qui la conditionnerait dans un statut de

femme objet. Ce travail sur l’identité féminine s’est effectué aussi bien dans mon travail

artistique (avec différentes expositions liées au thème du Féminin et de la Nature) que dans

mon travail d’accompagnement développé ces dernières années. Après plusieurs années en

tant que salariée et une période d’épuisement importante, le lien à la Nature et le besoin

vital de m’y relier m’a amenée à développer une méthode d’accompagnement intégrant

notre lien à la nature et aux différentes saisons comme des résonances à l’intérieur de nous.

Ainsi prendre soin de soi et de sa Nature Féminine semble un des chemins possibles pour

prendre soin de la Nature et de notre chère Planète Terre.

Fanny Dangelser – Strasbourg, Novembre 2018

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A LA RENCONTRE DU GUERISSEUR INTERIEUR BLESSE

A l’heure où nous publions ce cahier, Raphaël Lolli est reparti vers ce qu’il qualifiait de « plus grand que [lui]». Nous retiendrons de son partage d’expérience que, dans une perspective écologique et transpersonnelle, en faisant notamment confiance à cette transcendance, son accompagnement visait à cultiver avec son interlocuteur, le lien mystérieux qu’il nous est proposé d’explorer. Cela, afin d’aider la personne à trouver (ou retrouver) sa capacité d’agir dans son environnement qu’il soit humain, social ou matériel. Mettre en œuvre une action aussi petite soit-elle qui favorisera son mieux être et son intégration optimale au sein de cet environnement. Aider le développement de son « savoir-devenir ». Psychopraticien certifié par la FF2P, Raphaël Lolli exerçait en cabinet et dans un foyer de vie auprès d’adultes en situation de handicap mental.

Durant cette table ronde, partagée avec d’autres art thérapeutes, je me suis exprimé sur « l’influence de mon chemin personnel sur mes pratiques via l’expression artistique, et réciproquement ».

LE FIL CONDUCTEUR DE MON INTERVENTION : « A LA RENCONTRE DU GUERISSEUR

BLESSE INTERIEUR »

IL M’A ETE INSPIRE PAR UN DE MES PATIENTS, QUI ALORS QUE JE LUI POSAIS LA

QUESTION : « QUI JE SUIS POUR TOI ? », M’A REPONDU TOUT NATURELLEMENT... «

UN GUERISSEUR ! BIEN SUR ! »6

Argument : C’est en partant de la blessure héritée de ma petite enfance et repérée au fur et à mesure de mon chemin thérapeutique, que j’ai pu faire lien avec mon intérêt immense pour l’art en général et la musique en particulier, et l’utilisation que je pouvais en faire dans l’accompagnement thérapeutique des personnes dont j’ai eu la charge dans diverses situations (Institutionnelle et Libéral). Je pourrais qualifier cette blessure d’Exil ou de Déracinement.

Ainsi, l’objet de mon intervention est : « Comment ma pratique artistique m’a permis de guérir mes blessures » et « comment je m’en sers pour accompagner en tant que psychopraticien »

Je pratique la psychothérapie intégrative. A ce titre, les visions « personnelle » et

transpersonnelle » de l’existence ne sont bien sûr pas incompatibles, mais apportent deux

éclairages complémentaires, voire dans beaucoup de cas, similaires, mais simplement

explicités avec des mots différents…

6 Cette réponse d’un de mes patients fait écho à ces 2 notions jungiennes que sont : - « Le guérisseur blessé » d’une part - « Le guérisseur intérieur » d’autre part

Deux notions qui me sont précieuses dans ma posture d’accompagnant thérapeute. On trouvera en annexe une synthèse glanée sur le Web qui m’apparait très explicite de la notion de « guérisseur blessé ».

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Le texte ci-dessous s’articule en quatre temps plus ou moins entre-mêlés.

- Dans un premier temps, il se compose de quelques éléments autobiographiques

- Dans un second temps, il décrit notre condition d’humain face au phénomène sonore,

en empruntant quelques éléments de l’approche psychologique « personnelle »

- Dans un troisième temps, il se poursuit d’une part, en pointant deux points de vue

sur le processus développé en Art thérapie illustré par un atelier animé auprès de

personnes SDF et apporte quelques éléments d’une vision plus

« transpersonnelle »

- Il se termine par une mini conclusion d’étape de là-où-j’en-suis-actuellement aussi

bien dans ma perception des phénomènes sensibles (sonores et musicaux, mais pas

que…) et dans ma posture thérapeutique.

1- Quelques éléments d’autobiographie

L’immigration familiale (père, mère et moi) d’Italie en France, au début des années 60, alors

que j’avais à peine 3 ans … à une époque où la famille élargie (parents, mais surtout grands-

parents, une multitude d’oncles, de tantes et de voisins) était mon environnement de base,

a provoqué chez moi comme une sorte d’exil, doublé d’un déracinement. Un mini

tremblement de terre…

J’étais alors « assez grand » pour être conscient de ce qui se déroulait et pourtant « trop

petit » pour pouvoir assimiler le changement de situation… ainsi, ce grand chambardement

« non accompagné » (ou plus exactement accompagné du mieux que mes parents le

pouvaient), m’a plongé dans une sorte de stress qu’il m’était très difficile de gérer (maîtriser-

contrôler) …

Ainsi, à notre arrivée en France, j’ai été longtemps perçu et me suis moi-même ressenti

comme le vilain petit canard… qui « faisait-des-caprices ». Ma mère d’ailleurs complètement

dépassée, s’en plaignant à qui voulait bien l’entendre… mais, à ma connaissance, personne

ne nous a jamais proposé d’aller voir un accompagnant parent-enfant pour mettre un peu

d’huile dans les rouages…

Bref, ces troubles du comportement (quelques fois assez explosifs) étaient sans doute les

effets du déracinement… mais que personne ne m’a aidé à « digérer » à ce moment-là.

Longtemps plus tard, j’ai compris que ce déracinement avait plongé « le petit être » que j’étais dans un univers inconnu source d’angoisse, mais aussi, et c’est ce qui m’a sauvé car étant d’un tempérament explorateur, source d’exploration…

Et pour le propos qui nous occupe aujourd’hui, cet univers, qui était mon nouvel

environnement social était un bain sonore somme toute assez différent de celui que j’avais

connu durant les premières années de mon existence.

En effet, même si les langues italienne et française sont des langues latines toutes deux ;

l’ambiance sonore de la banlieue parisienne et celle d’une petite ville de province d’Italie

Centrale restent intrinsèquement différentes. Ni meilleure ni moins bonne, mais

simplement différente… D’autant plus qu’en Italie, nous ne parlions pas la langue «

nationale », mais un dialecte. C’est ce bain « dialectal » qui formait ma tribu sonore

d’origine.

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2- La vision « personnelle » en psychologie universitaire

Au premier abord, en psychologie classique, on parlerait volontiers d’enveloppe sonore,

pour évaluer la maturation psychique de l’enfant au regard de son environnement sonore.

Mais les choses sont bien plus complexes que cette simple enveloppe sonore.

En effet, le petit enfant pour se construire et se différencier par rapport à son

environnement en général, et sonore en particulier, passera par diverses étapes décrites

plus avant.

Durant mes études de psychologie à l’Université, les divers évènements cités ci-dessus

m’ont rendu très rapidement sympathique Françoise Dolto. Même si je me suis orienté

ensuite vers la Psychologie Sociale qui traite, comme son nom l’indique, des interactions

entre l’individu et son environnement. J’étais à la recherche de comprendre ce qui n’avait

pas bien fonctionné à l’époque…

Mais tout d’abord, je souhaite remettre en perspective la maturation du moi du petit enfant

au regard de son environnement sonore.

Notre condition d’humain fait que nous sommes, chacun d’entre nous, d’emblée plongés

dans un bain sonore (les sons arrivant de toute part). Et cela, que ce soit dans la matrice7,

ou une fois que nous en sommes sortis… Aussi, dès la naissance, nous allons

progressivement élaborer une enveloppe psychique pour notamment reconnaitre et nous

protéger de trop de stimulations sonores.

La nature de cette enveloppe est double. C’est une enveloppe « musico-verbale ».8

- D’une part elle est « musicale » au sens très large du terme, elle englobe ainsi, les

musiques « socialement » reconnues par notre environnement d’origine, mais aussi

et plus largement tous les sons produits par ce même environnement et plus

subtilement la musique même des sons utilisés par notre langue maternelle. La

musique des mots.

- D’autre part elle est « verbale ». Car au fur et à mesure de l’évolution de l’enfant,

chaque son émis par ses congénères va être associé peu ou prou à une signification

particulière. Au début de la vie, l’enfant va émettre toute sorte de sons (babillages…)

qui pour certains d’entre eux seront valorisés, car faisant partie de la gamme de ceux

utilisés dans sa langue dite « maternelle » et pour d’autres seront pour le moins

relégués au second plan voir même dévalorisés… c’est ce processus de base qui va

initier chez l’enfant l’entrée ultérieure dans le langage9.

7 Suzanne Maiello, À l'aube de la vie psychique : réflexions autour de l'objet sonore et de la dimension spatio-temporelle de la vie prénatale. In Réminiscences : entre mémoire et oubli… 2010. Suzanne Maiello. L'objet sonore. Hypothèse d'une mémoire auditive prénatale. In Journal de la Psychanalyse de l'Enfant, n° 20 - 1997 8 Edith Lecourt, l’enveloppe musicale. In « les enveloppes psychiques ». Dunod 2013. 9 Alain Delbe, Le stade vocal. L’Harmattan 1995.

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Mon enveloppe Musico-verbale comme on peut s’en douter, vu les quelques éléments

biographiques cités ci-dessus, a été mise à rude épreuve dans un premier temps. Et qui par

la suite… bon an, mal an par la force des choses et des évènements, s’en est trouvée

assouplie…

Je passe sur les évènements de mon enfance, de mon adolescence, de jeune adulte et un peu moins jeune… jusque vers la quarantaine où j’étudie l’art thérapie et plus spécialement la musicothérapie.

3- Mon approche et ma pratique de l’art thérapie

L’art est de mon point de vue d’essence transpersonnelle. Mais il peut être pratiqué en

tant qu’artiste et en tant qu’art thérapeute, dans une vision « personnelle » et/ou

« transpersonnelle ».

Je souhaite décrire ici ma pratique de l’art thérapie comme métaphores :

- D’un espace de rencontre de deux esthétiques10 (celle du client-patient et celle du

thérapeute). Ces rencontres peuvent donner naissance à des moments de grâce, pourvu

que l'art thérapeute accueille l'autre dans son unicité et au plus proche de sa totalité du

moment.

- D’un processus de recyclage (peu ou prou assimilable au processus alchimique) de

l’existant « psychique » des personnes auprès de qui j’interviens.

L'objectif, durant mes interventions est de créer un espace de jeu et d'échange11. Espace

virtuel symbolisant à la fois ma volonté de rejoindre avec tout mon être la personne là où

elle est tout en me laissant rejoindre et toucher par elle.

Pour illustrer ces métaphores je vous vous parlerai de l’animation d’un atelier de « collage

musical » auprès de personnes SDF et/ou isolées et en rupture de projet de vie.

A/ L'art thérapie comme espace de rencontre de 2 esthétiques

La pratique de l’art thérapie donne naissance à des formes dans le monde concret, même si

ces formes, notamment dans le cas du sonore restent très « subtiles ». On peut dire par

exemple qu’un son prononcé et par extension une musique, sculpte l’air ambiant... Laissant

une trace subtile mais néanmoins tangible qui peut perdurer sous la forme d'enregistrement

plus spécifiquement.

10 Cette perspective m’a été confiée par Pascal Comeau. Un des mes référents de stage pratique de Musico-thérapie à Montréal durant l’été 2001. J’ai réalisé ce stage dans le cadre du DU d’Art Thérapie de l’Université Paris V en 2000-2001. 11 On retrouve ici la notion d’espace transitionnel winnicottien

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La notion de forme fait écho à celle d’esthétique... la forme pourra ainsi être « belle » ou

non, plaire ou non à l’un et à l’autre des intervenants (thérapeute & client/patient) en

fonction de leur perception, histoire de vie, etc... En dernière analyse, une séance d’art

thérapie consistera en la rencontre d’au moins deux esthétiques, celle du thérapeute et celle

du (des) client/patient(s).

A priori, le thérapeute (en tant que « recycleur » de l’existant), se doit de trouver toujours

« belle » « valable", "valide » et "pleine de sens" l’œuvre réalisée par son accompagné.

Ici, les choses étaient différentes, puisque c’est moi-même qui avait élaboré le collage

musical, il est vrai, à partir de musiques « choisies-imposées » par les participants. Voir ci-

dessous le processus détaillé d’élaboration du collage musical12.

Je pense avoir adopté ici une position du Shaman qui réalise avec l’autre, pour l’autre et en

présence de l'autre, un outil de guérison personnel et spécifique à chacun.

On peut assimiler ces Rencontres "Esthétiques" à des « Moments de Grâce »

- Des moments de grâce que j’ai moi-même vécus lors du processus d’élaboration des

collages musicaux, seul devant ma table de mixage... afin d'élaborer l'objet le plus

abouti... comme le cuisinier devant ses fourneaux qui élabore le plat « le meilleur » ...

- Des moments de grâce vécus lors des rencontres avec les personnes elles-mêmes

notamment lors de la présentation "personnelle" de leur collage musical à chaque

personne en atelier collectif. Je dois dire que chaque participant était heureux de

recevoir ce miroir musical et fier ensuite de l'exposer au sein de l'Institution.

Le collage sonore comme "talisman"… véritable caillou "magique"13…

B/ L'art thérapie comme processus de

recyclage de l’existant

J’ai donc pu animer il y quelques années

un atelier de « collage musical » dans un

Centre d’Accueil de Jour pour personnes

SDF.

12 Un exemple de collage musical et de la maison correspondante accompagne le présent texte. 13 NDLR : Clin d’oeil à une scène de Prendimi l’Anima, de Roberto Faenza, durant laquelle Carl G. Jung donne à sa patiente Sabina Spielrein un caillou, qui renfermerait son âme, pour qu’elle en soit la gardienne

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L’objectif de cet atelier était de proposer à des participant d'un atelier d’art plastique en cours au sein du Centre d’Accueil une collaboration pour créer ensemble (à deux, chaque participant et moi) un « collage sonore » illustrant au plus près l’objet qu’ils étaient en train de créer. Cet objet était « une maison » dont vous trouverez une photo ci-jointe.

Ces diverses maisons, réalisées avec du matériel neuf, mais aussi recyclé, devaient à terme constituer un village qui serait présenté lors d'une exposition temporaire dans les locaux du Centre.

Le processus d’élaboration d’un collage musical suit les 7 étapes ci-dessous :

a- Echanges d’idées avec le(s) participant(s) lors d'un atelier collectif

b- Sélection par mes soins de musiques dans mon « laboratoire »

c- Proposition de ces musiques (environ une quinzaine) à chaque participant lors d'un

atelier collectif.

d- Recueil des choix de musiques (environ 6 ou 7) durant le même atelier

e- Elaboration des collages dans mon « laboratoire ».

f- Présentation personnelle et en groupe des collages et modification si besoin (il n'y

en eu pratiquement aucune).

g- Révélation à la communauté (Institution) – l’Individu se retrouve dans le Collectif.

Présentation sous la forme d'un Village. Chaque Maison était illustrée avec sa

musique respective.

Le processus mis en œuvre dans cet atelier, pourrait être vu comme une illustration de la

notion de 1er & 2ème « miracles » développée par Richard Moss14

1- Les participants sont invités à choisir quelques musiques illustrant les idées et valeurs concernant leur maison ou comment ils se la représentent. Invitation à explorer leur position de sujet. Invitation à extraire quelques musiques d'un amas... ce qui leur permet d'explorer leur enveloppe musico-verbale. Repérer ce qu'ils estiment être eux et ce qu'ils ne sont pas et qui ne fait pas sens...

2- Ils se reconnaissent comme en écho (lors d’une unité spatio-temporelle «

momentanée") dans le collage sonore que j'ai soigneusement élaboré en contact

étroit avec chacun d'eux... Soutien et renforcement de leur position de sujet.

3- Et se retrouve enfin connectés aux autres membres de la Collectivité, à l'image de

chacune de leur maison au sein du Village). Sujet dans un groupe de Sujets,

chacun ayant trouvé sa place unique. Unis dans la diversité et non plus dans

la fusion.

Ce processus, peut aussi être lu comme un recyclage de l’existant assimilable au processus

alchimique15. La matière première étant les musiques proposées et la pierre philosophale

le collage sonore résultant, véritable mandala sonore. Celui-ci fixé à un instant-t, mais

restant toujours en devenir et propre à chaque participant de l’atelier...

14 Voir entre autres Richard Moss. Le deuxième miracle. Le Souffle d’Or. 1997 15 Je laisse à la sagacité du lecteur ou de la lectrice qui le souhaite, le soin de continuer plus avant le repérage des correspondances… mais je serais néanmoins enchanté de partager avec elle ou lui le fruit de ses réflexions. Pour cela, on peut me joindre à l’adresse mail suivante : [email protected]

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4- Conclusion provisoire

En conclusion, je dirais que mes pratiques artistiques (écoute musicale, chant spontanés, collage musical, danse libre, danse primitive, kinésiophonie, etc...) conscientes, m’ont permis de passer progressivement d’une vie réactive à une vie plus créative.

J’ai pu ainsi au fil du temps sublimer cette blessure et grâce à elle vivre quelques beaux

moments de grâce. Vécus aussi bien lors de ma pratique artistique que lors

d’accompagnements thérapeutiques en collectifs et en individuel (écoute musicale, chant

spontané, improvisation instrumentale avec des diverses percussions telles que tambour

amérindien, djembé, etc…).

Ma pratique d’art thérapeute m’a encouragé, soutenu et autorisé à bien des égards (et

notamment à l’encontre de mes propres idées reçues qu’écouter de la musique et son

environnement sonore n’était pas un art16) à développer ma pratique artistique...

… et une Vie plus créative, dans laquelle je tente du mieux que je peux :

• D'une part, de m'accueillir au mieux, m'acceptant comme je suis dans ma forme (et

mes formes) du moment

• D'autre part, d'être pour moi même dans le présent, le recycleur inlassable des scories du passé afin qu'elles soient le terreau dans lequel "Je" en lien avec les autres renait à chaque instant.

Je ne me ressens plus maintenant un Exilé, car j’ai pu grâce à l’art et à un solide

accompagnement psychothérapeutique (en grande partie art thérapie ou/et à médiations),

prendre racines… je me vis actuellement comme un Artisan des sons, des formes, des

couleurs, des odeurs etc....

L’Artisan est la forme qui incarne mon « Guérisseur Intérieur » … J’invite ceux de mes

patients qui le souhaitent à se laisser guider pour en faire autant…

Pour clore cette présentation, je vous confie un extrait du texte de la chanson de Michel

Berger : « Je veux chanter pour ceux... » (cf. ci-dessous) qui illustre au plus près, à mon goût

le parcours que j’ai effectué grâce à ma blessure et qui explique en partie la posture de

thérapeute transpersonnel à laquelle je me suis identifié et qui reste le modèle d’intervenant

en thérapie...

Raphaël Lolli – Art thérapeute , en ce jour de la fête des morts, le 2 novembre 2018.

16 J’ai pu développer, comme tout un chacun qui s’intéresse à un domaine particulier, un art de l’écoute musicale. Art qui m’accompagne dans d’autres sphères de ma vie qu’elles soient personnelles ou professionnelles.

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Annexe :

Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux (Michel Berger )

« Celui-là passe toute la nuit

À regarder les étoiles

En pensant qu'au bout du monde

Y a quelqu'un qui pense à lui

Et cette petite fille qui joue

Qui ne veut plus jamais sourire

Et qui voit son père partout

Qui s'est construit un empire

Où qu'ils aillent

Ils sont tristes à la fête, où qu'ils aillent

Ils sont seuls dans leur tête

Je veux chanter pour ceux

Qui sont loin de chez eux

Et qui ont dans leurs yeux

Quelque chose qui fait mal, qui fait mal

Je veux chanter pour ceux

Qu'on oublie peu à peu

Et qui gardent au fond d'eux

Quelque chose qui fait mal, qui fait mal »

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ENTRE ART ET THERAPIE, UNE ODYSSEE TRANSPERSONNELLE

Muriel Rojas-Zamudio est psychanalyste, praticienne en médiations artistiques et art-thérapeute. Après

des études universitaires en Arts du spectacle puis une année préparatoire aux Beaux-Arts, elle s’est

orientée vers la psychanalyse ; une référence en appelant une autre, elle a cheminé jusqu’au

transpersonnel. Coordinatrice des premières journées d’étude du CFPT, elle reprend et développe dans

l’article qui suit les thèmes abordés durant son intervention à la table ronde traitant du guérisseur blessé.

« Tout ce que je veux dire est dans les accords et les

mélodies. Les mots les accompagnent. Ça a toujours été

mon moyen d’exprimer ce qu’il m’est impossible d’exprimer

autrement » David Bowie

Comment mettre en relief l’ouverture vers le transpersonnel en

témoignant d’un parcours personnel sans pour autant

« raconter sa vie » ? Tel est le défi que je me propose de relever

ici, en exposant mon bricolage singulier fait d’art et de thérapie,

après avoir dressé un panorama du recours à l’art dans le cadre

thérapeutique général et transpersonnel.

Catharsis, médiation, espace d’émergence du sujet ou louange ?

D’une manière générale, les médiums artistiques peuvent devenir, dans le cadre d’un accompagnement thérapeutique, le support de différentes démarches : - la catharsis - la médiation - l’émergence du sujet - la louange La catharsis est un terme que l’on trouve aux origines du théâtre grec antique. Sa visée est alors morale puisqu’il s’agit de représenter les conséquences des passions humaines ; parce qu’elles seraient motivées par un orgueil démesuré 17 , les actions mises en scène engendreraient le courroux des dieux et de redoutables sanctions. Repris par la psychanalyse, le concept de catharsis deviendra au fil du temps une libération émotionnelle d’éléments refoulés. Lorsqu’elle passe par une expression artistique (arts plastiques, corporels, musicaux…etc), le but n’est pas d’exprimer une idée ou un désir mais de soulager la tension qui en découle. La médiation est la réalité que recouvre la plupart des pratiques actuelles dites d’art-thérapie, tant celles d’inspiration jungienne que cognitivo-comportementale. Elle utilise les productions artistiques (peintures, textes, modelage, chorégraphies…etc) comme des matériaux, participant plus ou moins activement à un processus de transmutation du contenu psychique identifié lors de l’interprétation des symboles/formes représenté(e)s.

17 Appelé Hubris chez les grecs

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Dans le cas d’une approche de type jungienne, le thérapeute parlera d’un dialogue alchimique avec l’âme, dans le cas d’une lecture cognitivo-comportementale, d’une correction de distorsions cognitives. L’une des spécificités de la médiation, en particulier dans le contexte d’activités groupales, est d’intégrer dans le travail – et dans son évaluation - les différents plans intersubjectifs18 . L’émergence du Sujet renvoie pour sa part à la capacité à exprimer sa parole – et non le discours de l’Autre19– l’objectif étant de créer un espace d’émergence et/ou de vérité du « Sujet de l’inconscient » (Lacan) ou du « témoin silencieux » (Wilber), c’est-à-dire ce qui est au-delà/au-dessus/derrière le Moi. Le recours à des expressions non-verbales, de préférence vouées à l’éphémère20, permettraient de replacer le sujet accompagné dans le présent et dans sa créativité. Que la philosophie qui sous-tend cette posture soit de type existentialiste (ex. Lacan) ou zen (ex. Wilber), nous notons qu’elles visent, chacune à leur manière, une forme d’assouplissement – voire de dépassement ? - de l’identification au Moi. La louange est le terme que nous proposons pour qualifier les pratiques – typiques, selon nous, de nombreuses thérapies transpersonnelles - basées sur l’orientation d’expressions artistiques vers la célébration ou l’invocation du sublime/du divin. Il peut s’agir de la création d’œuvres prises comme symboles (ou images archétypales) ou offrandes (modèle de l’ascèse spirituelle ou religieuse). Il ne s’agit plus ici de décharger une tension, ni de révéler puis corriger une problématique ou s’affranchir de nos conditionnements, mais de rendre hommage à la vie, telle qu’elle nous traverse et nous englobe. Nous remarquons une progression dans ce panorama, des formes d’accompagnements les plus archaïques aux plus spirituelles. Si les centres de formations en préconisent généralement des formes pures, l’observation du terrain dessine une cartographie plus métissée, à travers laquelle se racontent l’histoire et la mythologie personnelles de chaque thérapeute21 . Puisque la table ronde de cette deuxième journée d’étude met en avant ce phénomène, le moment est venu de partager avec vous les références et pratiques que j’emprunte pour donner sens à mon incarnation, dans ses multiples dimensions. Comment je suis passée du bon côté du bureau en évitant la case HP22 D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours voulu comprendre. Le plus beau jour de cette vie restera celui où enfin j'ai appris à lire, accédant de mon point de vue de fillette au savoir infini. Un espace vertigineux où je me sentais chez moi, à ma place, libérée de mon incapacité à me sentir proche d'un autre être humain. Une bulle spatiotemporelle où je n'étais jamais seule et où l'on ne me jugeait pas. Quand les autres élèves voulaient être pompier, institutrice ou encore fonder une famille, je n'avais qu'une certitude : je voulais explorer ce qu'il y a dans notre tête – je ne connaissais pas encore le concept de conscience – parce que rien ne me semblait plus fascinant au monde que cet inconnu- là.

18 Thérapeute-groupe, thérapeute-individus, individu-groupe et individu-individu 19 Terme lacanien, en lien avec sa théorie du stade du miroir, qui postule que nos discours témoignent plus d’un conditionnement à une norme extérieure (sociale, culturelle, familiale) que d’une authentique subjectivité 20 En France cette approche est développée par Jean-Pierre Royol et son équipe au sein de l’institut agréé PROFAC 21 Au-delà d’un choix technique ou méthodologique déterminé par le profil et la problématique à accompagner 22 HP pour hôpital psychiatrique

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Si cette aventure s’est initiée précocement par l’art, je crois que c’est parce qu’intuitivement j’avais perçu qu’en parlant de l’autre, l’humain se raconte authentiquement, tandis qu’en parlant de lui-même, il ne se raconte en rien. Afin de préserver ce qui restait de vivant dans un environnement familial marqué par la dépression et la mort, j’ai appliqué la stratégie du parler pour ne pas dire. J’ai fabriqué une persona qui me protégerait de l’envie et de l’intrusion de mes pairs, sans savoir qu’au fil des ans elle se densifierait jusqu’à devenir le mur d’enceinte d’une imprenable forteresse. Ma première dépression sévère avec tentative de suicide s’est déclarée vers 13 ans. J’étais terrorisée à l’idée d’être démasquée, de « finir en HP » parce que les médecins allaient s’apercevoir que j’étais « anormale ». Ce que j’ignorais en me rendant à la consultation psychiatrique la plus proche, c’est que j’allais y faire la connaissance d’une femme qui non seulement allait réveiller en moi la pulsion de vie mais également susciter ma vocation : le Dr P., psychiatre jungienne. A l’issue de cette première psychothérapie, basée sur l’analyse de mes rêves et leur mise en forme par le dessin, le Dr P. a expliqué à mes parents que la meilleure façon de m’aider à maîtriser mes pulsions autodestructrices c’était de m’encourager dans la voie artistique. Je me suis alors tournée vers le théâtre et les arts plastiques, les intégrant naturellement dans ma pratique thérapeutique lorsqu’à la naissance de ma première fille je me suis sentie prête à « passer de l’autre côté du bureau » en devenant psychanalyste. Une façon de communiquer que la poésie, quel que soit son médium d’expression, a le pouvoir de lézarder les murs qui nous empêchent de respirer et de tisser de véritables liens d’amour. La différence revendiquée comme un acte politique, en somme. L’identité, une fiction sans cesse renouvelée aux frontières du Réel ? Mon adolescence a été très riche en rencontres intellectuelles et émotives, tant physiquement que virtuellement. L’essentiel retenu ici est que la plupart des créateurs ayant nourri mon imaginaire dès cette époque ont pour point commun l’interrogation identitaire23. Que leur travail se soit déployé à partir d’autoportraits (Frida Kahlo, Cindy Sherman), de représentation de leurs vécus et perceptions (Louise Bourgeois, Sophie Calle), ou d’alter ego mis en scènes (Siri Hustvedt, David Bowie) tous ont joué à recréer, mettre en scène ou démultiplier leur vie. Cette prise de conscience appelle un autre souvenir-fondateur, l’une de mes premières expériences d’imagination active : Je poursuis un personnage insaisissable de pièce en pièce, dans une maison immense. Il m’entraîne au sommet d’un phare où, pris dans une impasse, il se retourne. C’est Albator, un héros de mon enfance, mais je vois bien que c’est encore un masque. Alors je crie, exaspérée : « ça suffit ! ». Le personnage ôte son masque et je me retrouve face à moi-même, auréolée de lumière et souriant énigmatiquement. Ce rêve renvoie à la définition que Lacan donne du Réel : un impossible à dire autour duquel tournent nos représentations sans jamais pouvoir s’en saisir. Telle est peut-être l’essence de notre Être, un fantôme jouant à cache-cache avec le Moi, le possédant parfois à la manière d’un « canal médiumnique », mais demeurant hors de portée du regard et du langage ordinaire ? Une présence-absence que la sensation pourrait transmettre uniquement à travers la métaphore ou la métonymie ?

23 Ce à quoi rend hommage la série que j’ai intitulé Les Vrais faux-autoportraits, dans laquelle je mélange mes traits et ceux de personnalités ayant imprégné mon imaginaire (Wilde, Woolf, Greco, Bourgeois, Beauvoir, Arbus…)

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Soyons Carollien, faisons comme si cette hypothèse était LA vérité24 et que nous puissions la poser comme une règle à laquelle le jeu poétique va venir se confronter : quels bénéfices pour le Moi et pour l’Être ? Selon Donald Winnicott, le jeu est un espace-temps transitionnel qui permet de passer de l’imaginaire au symbolique25 , c’est-à-dire du monde fantasmatique interne au monde spéculaire26 externe. Dans son ouvrage Jeu et réalité27, il postule que l’aire transitionnelle qu’est le jeu crée un espace sécurisé pour accueillir notre désir de toute puissance et nous permettre d’en faire le deuil et/ou de l’autoréguler par les péripéties du scénario – et ses répétitions - en tant que processus psychique. Dans cette théorie, le dénouement du jeu conduit au désinvestissement ou à l’intériorisation dans leur ambivalence des personnages ou situations mis en scène dans la fiction ludique. Je(u) e(s)t les autres Si nous appliquons la méthode winnicottienne à l’exploration identitaire par l’art, nous pouvons jouer avec nos hantises, nos tourments, nos obsessions, nos fascinations ou répulsions…etc. Chaque élément constituant habituellement la plainte névrotique – ce qui est dit en boucle en thérapie – devient ici un matériau que pénètre le geste technique ou malaxe la recherche de nouveaux chemins vers le sens (ou son renoncement). Je dois à mon amie Catherine Cluzel-Buron28 la découverte du procédé de Copy-Art, qui consiste à retravailler l’œuvre d’un autre artiste. Un élément fondamental dans ma démarche, qui est venu faire écho à la théorie psychanalytique, tant par sa nature que par son impact sur ma propre créativité : tout comme enfant je pouvais habiller/déshabiller une poupée, je peux recréer la scène choisie (paysage, humains en situations…), pour finalement m’apercevoir de l’illusion de toute puissance ! Ce que j’ai perçu et que je tente de dévoiler - par le changement de couleur ou de forme, la stratification ou le grattage/gommage…etc – ne révèle que mon univers fictionnel dans toute sa dimension tragi-comique ; ce que je voudrais dire du monde ne raconte que moi, reste à savoir de quel « je » il s’agit, et où nous mène cette singularité ? En effet, la seule question pertinente à se poser lorsqu’on prétend conjuguer l’art et la thérapie – et plus spécifiquement dans une optique dite transpersonnelle - est : « Qui crée ? ». Interpréter des formes, rattacher une représentation à des grilles de lectures plus ou moins orthodoxes n’a aucun sens si le sujet créateur nous demeure inconnu, car le fond et la forme narrative ne renvoient pas aux mêmes réalités selon qu’il s’agit du Moi ou de l’Être. Ce que j’observe à partir de mon expérience personnelle – j’entends par là mon cheminement pavé de séquences créatives – c’est que le second n’est jamais très loin du premier, et qu’il suffit de s’extraire du discours (d’aucuns diraient le mental), pour que la langue redevienne ce que

24 Le jeu favori d’Alice, l’héroïne de Lewis Carroll, dont je ne reprends pas volontairement la traduction usuelle (« faisons semblant que… »), estimant que « faisons comme si » correspond mieux à l’expression « let’s pretend » 25 A entendre ici au sens lacanien, c’est-à-dire d’un registre de comparaison à un registre d’oppositions ou contrastes. Ce glissement fait écho aux travaux de Mélanie Klein sur le passage du clivage de l’objet à l’ambivalence, soit l’acceptation de la nature hétérogène de toute personne, perçue dans les relations interpersonnelles. 26 Soit un espace d’interactions basées sur l’interprétation du regard que l’autre porte sur nous et les ajustements qui en découlent. 27 Folio Essai (Gallimard, 1975 pour la traduction française) 28 Plasticienne et animatrice résidant à Châteaumeillant (18)

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Lacan appelait lalangue, c’est-à-dire la parole singulière dont les empreintes sonores, rythmiques, composent l’antichambre du langage articulé (le pré-rationnel de Wilber). Travailler en musique favorise chez moi ce décrochement ouvrant sur l’infini, l’inattendu, le nouveau, qui est aussi le passage d’une lecture moïque à une lecture ontologique d’un fragment de mon histoire : une phase de défoulement du Moi ou de maintien de son masque idéal bascule progressivement vers l’interrogation de ma condition humaine, avec en filigrane le sublime qu’elle recèle en toutes circonstances. Je passe alors d’un point de vue personnel à un point de vue transpersonnel, dans lequel ma singularité retrouvée rencontre (enfin ?) celle des autres, en ce sens qu’elle découvre que c’est parce qu’elle s’est affirmée qu’elle peut éprouver – à défaut de la dire ! – ce qui fait filiation avec le reste du vivant par-delà les spécificités sensibles. Mon histoire reste mienne, mais les drames et les joies qui l’auront jalonnée sont depuis les débuts de l’humanité traversés par d’autres, et c’est grâce à cela que nous pouvons nous sentir reliés, car nos réponses originales renvoient à une question commune. Créer ou se créer, telle est la question ? Utiliser, comme je l’ai spontanément fait – et ce bien avant de structurer mon espace exploratoire grâce à des cadres théoriques – le concept d’identité comme matériau et la mise en scène de narrations intérieures pour en révéler l’étrangeté ou la relativité selon leur auteur (le Moi ou l’Être), c’est jouer avec les registres de l’Imaginaire et du Symbolique29 pour flouter, volontairement ou non, les frontières entre créateur et créature. Lorsque je parcours à travers l’art ce que je me sens ou me crois être, que je traverse mes zones douloureuses sans filets (création spontanée, catharsis) ou en m’accrochant-décrochant d’un référentiel (médiation à partir d’archétypes, de mythes…) est-ce moi que je crée ou juste l’écrin qui me contient, voire me contraint ? Ces deux aspects pourraient être corrélés sans pour autant être fusionnés ; l’hypothèse que je suis portée à développer aujourd’hui est que les arts, en tant qu’alternative langagière au discours, révèlent la parole de ce qui dépasse (ou englobe) notre Moi. Là où le corps seul « somatise » ou « hystérise » son animation par le rythme, les images ou autres sensations issues de l’expression artistique en font l’instrument phonatoire d’une subjectivité authentique, qu’on la nomme « sujet de l’inconscient », « âme », « ange »…etc. Ce faisant, il élève notre condition humaine à une octave héroïque où, sous le vernis des petites histoires que nos Mois se racontent, affleure notre grandeur d’Être, d’Odysseus perdus dans un univers quadridimensionnel.

De l’adhésion à cette fiction théorique – ma vérité du moment – découle mon choix

d’appréhender la création, son temps et son espace, comme un laboratoire ou un atelier. Du

potentiel manifesté dépendra sa finalité : œuvres vouées à être exposées, dispositifs d’art-

thérapie, purges émotionnelles qui ne seront pas toutes recyclées…etc. Je trouve ainsi

l’articulation de l’hétérogénéité qui compose mon identité (ex. artiste, thérapeute, humain

femelle…) pour faire de la répétition, du manque, de l’angoisse, un tremplin vers le sublime

et/ou une passerelle interpersonnelle. Quelque chose qui se raconte peut-être de moi, mais

surtout à travers moi, et que j’entends dans cette phrase de David Bowie : « Je veux que ma

musique éveille les fantômes qui sont en moi. Pas les démons, vous comprenez, mais les

fantômes ».

29 Qui dans son œuvre tardive forment chez Lacan « le semblant », ce qui se noue plus ou moins heureusement avec le Réel.

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J’en déduis que cheminer artistiquement en thérapie c’est constater avec la physique

quantique que, l’observateur influant sur le phénomène observé, c’est dans la posture du

sujet (ici le thérapeute - artiste) plutôt que dans l’outil (ici l’art) que réside l’ouverture sur la

transpersonnalité.

Conclusion La démarche dont témoigne cet article est un voyage qui m’a menée de la catharsis à l’émergence du Sujet. Elle a un temps longé les côtes de la médiation mais jusqu’ici rarement fait escale en terres de louanges. Des navigateurs croisés sur les flots j’ai beaucoup appris, en particulier à me repérer suffisamment sur le territoire pour légender singulièrement ma carte et y tracer des routes moins hasardeuses. Bien que les procédés que je décris ici relèvent de l’art, il me semble opportun de les en différencier, tant pour nous que pour ceux que nous prétendrions accompagner vers l’Être par un métissage de l’art et de la thérapie. Emprunter les techniques ou astuces de l’artiste ne signifie pas pour autant que nous fassions de l’art, car même lorsqu’il part de son vécu pour créer (ex. Sophie Calle), l’artiste reste acteur conscient d’une fiction et ne cherche pas à sublimer, réparer ou résoudre quoi que ce soit 30 . Sortir de la représentation purement esthétique ou conceptuelle le mettrait en position d’exhibitionniste, ce qui rappelons-le serait une forme de perversion ! Nous touchons là à une question cruciale dans le champ théorique de l’art-thérapie et de sa recherche, à savoir les limites de ce qui peut être exposé, dans quel cadre et à quel titre. C’est notamment sur ce point que le fondateur de l’organisme Profac, Jean-Pierre Royol, a engagé une réflexion sur la notion d’éphémère en art-thérapie éclairée par la psychanalyse. Je propose qu’à leur tour les thérapeutes du champ transpersonnel se saisissent de cette problématique pour enrichir leurs pratiques et celles de leurs pairs d’autres courants. J’ajouterais enfin qu’un même effort de discernement doit porter sur la finalité de ce qui est produit ou émerge : utiliser l’expression artistique pour chanter les louanges d’un aimé(e) mortel ou divin, relève-t-il d’une même posture ? Est-ce de l’art, voire est-ce l’Art ? Comment qualifier alors les démarches qui ne tendent pas directement vers le sublime ou s’inscrivent dans une dimension plus expérimentale ou alchimique ? Une ouverture se fait ici vers un second champ d’investigation, sur lequel le courant transpersonnel ne saurait faire l’impasse s’il aspire à inscrire ses spécificités dans l’histoire de la psychothérapie.

Muriel Rojas Zamudio - Montoire sur le Loir, Octobre 2018

Illustrations : Muriel Rojas Zamudio

30 Si Frida Kahlo peut apparaître à première vue comme une exception, n’oublions pas que le véritable enjeu de son travail est d’être reconnue comme une artiste

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DU SPECTATEUR INSPIRE AU CREATEUR CONSCIENT

Professeur de lettres, créatrice de jeux de connaissance de soi et psychanalyste, Sabine Dewulf, s’est

proposée durant son intervention de retracer le chemin qui mène de la posture de spectateur à celle de

créateur. Un passionnant voyage artistique et historique dont nous vous livrons ici la retranscription...

Introduction

Dans ma pratique de créatrice de jeux à visée transpersonnelle, deux constats s’imposent :

d’une part, j’utilise toujours l’art comme support ; d’autre part, je cherche toujours

davantage à susciter des pratiques créatives qui sont liées à la démarche artistique.

Dans les jeux que j’ai créés, seule ou avec d’autres, j’ai

recours, en effet, à différents supports artistiques : La prose

poétique, à travers des extraits des romans de Colette (Les

Jardins de Colette), la poésie proprement dite, avec des extraits

de poèmes de Jules Supervielle (Le Jeu des miroirs) et des

haïkus de Pierre Dhainaut (Les Trois cheveux d’or), le conte

(Les Trois cheveux d’or) et la peinture, avec des œuvres de

Josette Delecroix (Les Jardins de Colette et le Jeu des miroirs).

Plus j’avance, plus je souhaite favoriser chez le lecteur-joueur, à partir de ces supports, des

pratiques créatives : Les Trois cheveux d’or, plus particulièrement, outre de simples

questionnements communs aux nombreux jeux déjà existants, invitent le lecteur à visualiser,

puis à créer par lui-même (les exercices ont été inventés par Stéphanie Delcourt, elle-même

directement formée au journal créatif par Anne-Marie Jobin). Je pratique moi-même, avec

bonheur, le collage, que je réalise à partir de photographies d’œuvres d’art anciennes et

d’éléments naturels (Les Trois cheveux d’or). J’écris aussi de la poésie, depuis longtemps…

Deux questions émergent ici. D’une part, quel est l’apport spécifique des formes artistiques

dans notre cheminement vers le Transpersonnel ? D’autre part, en quoi la pratique créative

et artistique des utilisateurs de mes jeux, dans le sillage des artistes proposés, peut-elle

également les orienter vers le Transpersonnel ?

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J’évoquerai dans un premier temps toute l’importance, à mes yeux, pour

celui qui chemine spirituellement, du spectacle d’œuvres d’art : le

pèlerin de l’Absolu31 a besoin, selon moi, de devenir spectateur, c’est-à-

dire de se laisser inspirer par des artistes transpersonnels – que je

chercherai à caractériser à travers l’Histoire de l’art. (Par « spectateur »,

j’entends contemplateur de l’œuvre d’art, qu’il s’agisse d’œuvres

visuelles ou écrites.32) Dans un second temps, je tenterai de préciser le

processus qui conduit le spectateur inspiré à devenir créateur à son tour,

ainsi que les conséquences de ce nouveau statut. (Illustrations ci-contre

et pages précédentes : Josette Delecroix, « Le Port d’attache », Les Jardins

de Colette – Parcours symbolique et ludique vers notre Eden intérieur, Le Souffle d’Or, 2004

et « La Mystique », Le Jeu des miroirs - Découvrez votre vrai visage avec Douglas Harding et

Jules Supervielle, éditions du Souffle d’Or, 2011.)

I. LE SPECTATEUR INSPIRE – De l’importance d’être guidé par des artistes

Si l’art semble être un moyen privilégié d’exprimer l’expérience transpersonnelle, c’est que

celle-ci est par nature indicible : le langage artistique a ceci de particulier qu’il ne relève pas

du discours informatif. Aussi le pèlerin de l’Absolu, s’il consent à devenir le spectateur inspiré

d’œuvres d’art, pourra-t-il être aidé, éclairé ou guidé dans sa quête.

Marc-Alain Descamps a accordé à l’art une attention toute particulière. Il le décrit comme

produisant de la beauté au service de la vie, de la grandeur et de la dignité de l’homme. Pour

autant, cependant, il ne s’agit pas de n’importe quel art…

1. L’art préhistorique, entre le mythe et le rite

Pour bien saisir les liens entre l’art et le transpersonnel, rien de tel que de retourner à sa

source, durant la Préhistoire, où jaillissent les premiers gestes artistiques. Ceux-ci sont en

effet intimement liés au mythe et au rite, c’est-à-dire à deux aspects d’une dimension qui

transcende la notion de personne – celle-ci n’existant pas encore33.

Selon Julien Ries 34 , on peut dater les « indices de l’existence d’un imaginaire et d’une

conscience symbolique » chez l’homo habilis, soit plus de 2 millions et demi d’années en

arrière : en témoignent déjà les notions de symétrie (avec la taille biface) et le choix de

matériaux et de couleurs semblant relever d’une conscience esthétique. Lorsqu’entre en

31 Je reprends ici le titre d’un livre de Marc-Alain Descamps, auteur et psychanalyste transpersonnel dont je m’inspirerai fortement tout au long de cette conférence. 32 Je parlerai très peu de musique, non que cet art n’ait pas sa place dans le Transpersonnel, bien au contraire ! mais parce que je n’y ai jusqu’à présent pas eu recours dans l’accompagnement que je pratique. 33 M.-A. Descamps fait remonter l’invention de la notion de personne à l’Antiquité grecque et son développement à l’Antiquité romaine, et son triomphe, à la Renaissance. 34 Natale Spineto, Les Symboles dans l’histoire de l’humanité, traduit de l’italien par Chantal Moiroud, Rodez, éditions du Rouergue, 2003, p. 27.

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scène l’art des cavernes, aux environs de 34 000 avant J-C., aucun doute n’est permis sur sa

dimension transpersonnelle, même si les interprétations divergent quant à sa nature exacte

et son but précis : scènes de magie et d’envoûtement avant la chasse, rites chamaniques

visant à honorer les esprits de la nature pour compenser les dégâts causés par les prédations

humaines, ou encore, selon André Leroi-Gourhan,

« mythogrammes », c’est-à-dire des signes liés à des récits mythiques

et cosmogoniques. Dans tous les cas de figure, il s’agit pour l’artiste de

se relier à des forces mystérieuses qui le dépassent. Dès le

Paléolithique supérieur (de 35 000 à 10 000 avant J-C) apparaissent des

figurines féminines, déesses, semble-t-il, de la fécondité. La figure de

la Déesse comme génitrice universelle devient peut-être la clé d’un

système mythologique qui se propage dans tout le Proche-Orient et

en Europe du sud-est. Elle symboliserait le cycle de la vie, la fertilité

et règnerait sur la nature, les animaux et le monde des morts.

(Illustration ci-contre : Déesse de Willendorf, calcaire, v. 24000-22000 avant J-C, musée

d’histoire naturelle de Vienne, Autriche.)

La révolution néolithique, à partir de – 12 500, est d’abord une révolution symbolique, liée à

une sédentarisation progressive. Après les premiers villages et les premières sépultures, au

Moyen-orient, vers - 9 500, apparaissent des images de dieux anthropomorphes ainsi que des

crânes complets d’aurochs et des vases représentant des taureaux… Le culte de cet animal, qui

symbolise l’énergie vitale et la régénération, s’étend dans toute l’Europe.

On découvre par ailleurs des gravures et des figurines d’orants : l’homme semble prendre

conscience des cycles naturels de la reproduction des êtres vivants ; il invente l’agriculture

et construit les premiers sanctuaires, où les rites vont se

concentrer. (Illustrations, ci-contre et ci-dessous :

Gravures à figures d’orants du néolithique, Ile de France.

Rhyton-tête en forme de tête de taureau à décor

polychrome, VIe-Ve. av. J.C, Turquie. Figurine féminine

du style de Halaf, terre cuite modelée et peinte, v. 6000-

5100 av JC. Mésopotamie ou Syrie du Nord, musée du

Louvre, Paris.)

Dans ces sociétés dites primitives, on voit donc bien surgir

ensemble le mythe et le rite au

fondement même de la démarche

artistique. Le terme mythe est issu du

grec mythos qui signifie d’abord

« propos, discours » 35 , puis « récit

légendaire, fiction pourvue d’un sens caché »36. Le mythe est un récit

sacré et exemplaire qui relate un événement du temps primordial et

qui fournit à l’homme un sens déterminant pour son comportement.

35 Jean Dubois, Henri Mitterand, Albert Dauzat, Grand Dictionnaire Etymologique et historique du

français, éditions Larousse, 2005 (2e édition). 36 Emmanuèle Baumgartner, Philippe Ménard, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, coll. « La Pochothèque », éditions Librairie Générale Française, 1996.

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Le mot rite, lui, vient du latin ritus, « rite, cérémonie religieuse » et « usage, coutume »37. Le

mythe concerne la pensée et le discours qu’elle engendre sous la forme d’une succession

d’images ou d’un récit, alors que le rite se réfère surtout aux mouvements du corps, qu’ils

soient sonores, langagiers ou gestuels. Les deux sont complémentaires : le mythe ne prend

tout son sens actif que par le rite ; réciproquement, le rite est toujours d’origine mythique.

Mircea Eliade (1907-1986) montre, dans Aspects du mythe, que le mythe reflète les gestes

originels d’êtres surnaturels (il s’agit toujours d’une création) ; ensuite, ce mythe doit

impérativement être activement récité, mimé ou dansé, et toujours rejoué pour garder son

sens et sa raison d’être. Le mythe exprime et codifie les croyances, il sauvegarde les principes

moraux et garantit l’efficacité des rites. Le rituel, quant à lui, permet la réactualisation du

mythe, c’est-à-dire le retour analogique aux origines et à la création : de cette façon, il

devient générateur de forces nouvelles. Il s’agit toujours d’échapper à l’emprise du Chaos.

La durée profane est ainsi rompue pour que puisse se réinstaller le temps primordial de la

création et offrir le spectacle contemporain des œuvres divines. Il ne faut donc jamais oublier

que le monde, l’homme et la vie ont une origine et une histoire surnaturelle, qui possède un

sens précieux et exemplaire. Le mythe et le rite

permettent ensemble de revivre une réalité originelle et

de se reconnecter au Principe créateur. Les peintures

rupestres du Kimberley, en Australie, en sont un

exemple, qui sont censées avoir été peintes par les

ancêtres mythiques de ce que les Aborigènes appellent le

Temps du Rêve et sont repeintes, afin que soit réactivée

leur puissance créatrice.

Il est ici question de seconder perpétuellement le cosmos dans son combat contre le chaos.

De même, dans son chemin vers une sagesse transpersonnelle, le pèlerin de l’Absolu, quelle

que soit la tradition dont il se réclame, doit s’extraire de la durée profane, qui suppose un

début, un déroulement et une fin, pour se réinscrire dans le Lieu et l’Instant primordial –

que reproduit le sanctuaire -, c’est-à-dire dans l’éternel ici et maintenant, constamment

jaillissant, où il apprend à se défaire des contours du moi personnel. Le chaos ou la chute

viennent toujours de ce que le sujet s’est enfermé dans cette forme égocentrique ; « je » a

donc à se soustraire à cette forme illusoire pour retrouver le cosmos réel dans son

surgissement même.

2. Cependant, l’œuvre d’art est plus ou moins transpersonnelle

Que reste-t-il de cette collaboration du mythe et du rite sacrés dans des œuvres artistiques

plus proches de nous ? Le spectateur inspiré peut-il puiser de quoi croître en sagesse dans

la multiplicité des œuvres qui ont marqué l’Histoire de l’art ? Lorsqu’il nous présente toute

cette Histoire comme la succession de cinq grands courants qui ont animé l’Humanité,

Marc-Alain Descamps en doute sérieusement. Il pense que l’art véritablement

transpersonnel est seulement en train d’advenir.

37 Ibid.

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A. Petite histoire de l’art

M-A Descamps présente cinq grands courants de l’art de la manière suivante :

1er courant : Il s’agit de l’art « totémique »38 qui vient d’être décrit, magico-religieux, qui va

se prolonger à travers l’Antiquité et le moyen âge.

De fait, l’Antiquité n’a cessé de produire des images visuelles sacrées,

qu’on appelle idoles. Quant aux images langagières, fondées sur

l’analogie – la métaphore, la personnification, le symbole -, elles sont

omniprésentes dans tous les grands textes religieux, qu’ils soient

hébraïques, chrétiens ou musulmans. Elles expriment et font jaillir

de la Terre vers le Ciel tout ce qui n’est pas exprimable autrement

que par le symbole : l’infini de l’espace et du temps, le

questionnement de l’homme sur ses origines, la création de l’univers,

etc. De tels symboles sacrés sont également véhiculés par les contes,

qui relèvent d’une tradition orale et se transmettent comme des

flambeaux à travers les peuples. (Illustration ci-contre : Idole féminine nue aux bras croisées,

marbre, Grèce, vers 2700-2300 avant J-C, musée du Louvre-Lens.)

Au moyen âge, les images sacrées deviennent icônes, enluminures, sculptures romanes et

gothiques ou vitraux. De toute évidence, l’Homme s’y éprouve encore toujours comme une

créature divine – et non comme un ego personnel. L’artiste ne signe pas ses œuvres,

l’individu s’incline devant l’Eglise et devant Dieu, autrement dit des forces qui le dépassent.

Dans le christianisme, les Byzantins fabriqueront des icônes, qui

sont des images sacrées où le Divin est censé descendre

réellement. L’iconoclasme échoue avec l’édit de 843 qui confirme

la possibilité de vénérer les icônes. On assiste aussi à la floraison

des romans chevaleresques – Chrétien de Troyes étant le

romancier français le plus célèbre, au 12e siècle -, qui mettent en

scène des héros cherchant à se dépasser eux-mêmes, entièrement

dévoués au service de l’amour et du divin. (Illustration ci-contre :

Andreï Roublev, Trinité, 1410-1427, tempera sur panneau de bois,

Galerie Tretiakov, Russie.)

2nd courant : Une grande rupture se produit lorsque

l’art devient « personnel » à la Renaissance (en France,

il faut attendre la fin du 15e siècle mais en Italie, cette

Renaissance débute un siècle plus tôt). Cet art prend

le contre-pied des précédents : l’artiste met la

personne individuelle, donc l’égo, en avant. Il signe

ses œuvres, détache l’œuvre du texte sacré, réalise un

tableau autonome. C’est l’invention de la perspective.

Le corps humain, qui n’était jusqu’alors qu’un

microscosme subordonné au macrocosme, est décrit pour lui-même, dans son apparence

physique, et magnifié. L’artiste a bel et bien quitté le domaine du mythe relié au rite. La

38 Le totem est l’ancêtre protecteur d’un clan, symbolisé par un animal ou un végétal.

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mythologie est désacralisée et introduite dans le monde visible. L’art devient ainsi miroir du

moi et d’une vision plus réaliste du monde. (Illustration ci-dessus : Le Titien, Vénus d’Urbin,

1538, huile sur toile, Musée des Offices, Florence.)

3e courant : Un art que M-A Descamps qualifie

sommairement d’« esthétique » apparaît ensuite, du 19e

siècle au tout début du 20e siècle, des poètes parnassiens

aux peintres impressionnistes, au Cubisme, au Dadaïsme,

jusqu’à l’art abstrait. C’est l’ère du beau pour le beau ou

d’une certaine gratuité créative et imaginative, toujours

en dehors de la sphère du sacré – celle du mythe et du rite.

(Illustration ci-contre : Auguste Renoir, Bal du Moulin de

la Galette, Montmartre, 1876, huile sur toile.)

4e courant : Dans le courant du 20e siècle, l’art « fonctionnel » marque un certain retour aux

origines, en réaction à l’art pour l’art : le bel objet doit être utile. Mais sa fonction sacrée

n’est pas pour autant réhabilitée, loin s’en faut, avec le

Bauhaus, le Design et le cubisme architectural. Le but du

Bauhaus était de révolutionner les modes de vie en créant

un monde nouveau où tout serait à la fois beau et

pratique, en utilisant les techniques de l’artisanat et de

l’industrie. (Illustration ci-contre : Le Corbusier, Villa

Savoye, Poissy, France.)

5e courant : L’art transpersonnel : L’art « transpersonnel »

n’est que l’aboutissement d’un long

courant mais retrouve une vigueur

perdue dans la seconde moitié du 20e

siècle. Sa spécificité réside dans le

fait qu’il intègre les formes

précédentes, ce qui persiste du sacré

dans l’art au fil des siècles, en dehors

des grands courants évoqués. L’art transpersonnel puise dans l’art

oriental, bien sûr, mais aussi dans l’art occidental : pour la

Renaissance, il est présent dans les œuvres de Botticelli, Bosch, Le Gréco,

dans celles de Rembrandt au 17e et de William Blake au 18e. Il réapparaît

avec force au 19e siècle, avec les tableaux de Turner, des préraphaélites,

des symbolistes…. Au 20e siècle, il surgit dans les œuvres du Douanier

Rousseau, des Surréalistes, de Chagall ou de Rouault… Et de nos jours,

de nombreux peintres, comme Dane Rudhyar, témoignent d’une

véritable inspiration transpersonnelle. Il s’agit d’un art transculturel et

convivial : puisant aussi bien dans les spiritualités orientales et

occidentales, il va jusqu’à susciter l’activité du spectateur. Il témoigne

d’états modifiés de conscience, est orienté vers le futur. C’est un art spirituel, dont la

vocation première est d’éveiller la dimension transcendante de nos consciences.

(Illustrations ci-dessus et ci-contre : Sandro Botticelli, Le Printemps, 1478-1482, Galerie des

Offices, Florence ; William Blake, L’Ancien des jours, dessin publié à l'origine comme

frontispice de l'ouvrage Europe a prophecy (1794) et Dane Rudhyar, Creative man, 1947. )

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B. L’art transpersonnel

Comment définir plus précisément cet art transpersonnel dont peut s’inspirer notre

spectateur en chemin ?

1. Le dépassement du réel

D’un point de vue plus nuancé que celui de Marc-Alain Descamps, René Huyghe décrit l’art

pictural, dans son essence même, comme une entreprise de dépassement du réel : il affirme

donc qu’il a toujours partie liée, de près ou de loin, avec le Transpersonnel. (Par réel, on

entendra le monde vu comme un objet – une chose matérielle, res, rei en latin - dont

s’empare le sujet.) A ses yeux, même un artiste comme Auguste Renoir a conscience de

l’importance de la dimension spirituelle de l’art. Je préciserai de mon côté que toute œuvre

d’art suppose que soit appliqué le principe d’analogie, qui implique la différence et le geste

de recul, de retrait : donner à voir une image du réel, c’est commencer par s’écarter d’une

certaine manière de voir. Quant à M-A Descamps, il précise encore que l’art, sous toutes ses

formes, reste le meilleur moyen d’exprimer l’expérience transpersonnelle.

René Huyghe montre que dès la préhistoire, l’artiste

tente de dégager la forme essentielle, stylisée,

symbolique, de la forme représentée. Dans l’Antiquité,

on part du réel mais on crée aussi un rythme, notamment

par la répétition des figures. Au rythme s’ajoute la

mouvance : la droite symbolise la stabilité et la courbe,

le mouvement. (Illustration ci-contre : Fresque peinte,

temple d'Hatchepsout, site de Deir el-Bahari, Egypte.)

René Huyghe constate

ensuite que deux mondes

ont beau s’opposer, ils n’en

sont pas moins, en

profondeur, orientés vers

une même transcendance.

Dans les pays méditerranéens, qui sont agraires, l’art se caractérise par un certain statisme

et un goût prononcé pour la géométrie. Lorsque le christianisme décroît, on va chercher le

dépassement du réel chez Platon. C’est ainsi que la Renaissance va inventer la symétrie

comme figuration de l’ordre secret, primordial, du réel. Au contraire, les pays du nord de

l’Europe étaient des pays de nomades : leur art est donc dynamique et musical (la

Renaissance flamande, chez Breughel ou Bosch, est totalement différente de la Renaissance

italienne, par exemple). Toutefois, la courbe sera également introduite chez les peuples

agraires, contrebalançant leur tendance à la

stabilité. Le cercle est un symbole de l’Absolu, parce

qu’il est à la fois parfaitement symétrique et

dynamique. On le retrouve dans toutes les

civilisations. (Illustrations ci-dessus et ci-contre :

Auteur inconnu, La cité idéale, Galerie nationale des Marches d'Urbin et Léonard de Vinci, Saint Jean-

Baptiste, huile sur bois, 1513-1516, Le Louvre, Paris.)

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La lumière est un autre élément qui fait contrepoint à la

matière. Chez Rembrandt (17e siècle), la lumière est

surnaturelle et se manifeste par une forme circulaire.

L’art du vitrail, du 13e au 15e siècle, marque encore une

étape supérieure dans le dépassement du réel : la lumière

est recherchée à travers la transparence et la couleur.

(Illustration : Rembrandt, Le philosophe en méditation,

1632, huile, Musée du Louvre, Paris.)

L’art transpersonnel est donc un symbole de notre vie terrestre, matérielle, tout entière

orientée vers une aspiration à la transcendance.

2. Le sens de la splendeur de l’Etre

Mais c’est bien sûr aussi du côté de l’artiste lui-même que l’on va chercher le Transpersonnel,

quel que soit le domaine dans lequel il exerce son art : sa personne, définie comme une chose

séparée des autres par les contours de son corps, doit pouvoir s’ouvrir à sa nature originelle,

qui n’est pas saisissable par l’intellect. L’attirance pour la Beauté permet à l’artiste de

dépasser ses limites personnelles. Et l’art, en créant de la beauté, qui est la splendeur de

l’Etre, fait tout naturellement pénétrer le spectateur au sein de celui-ci.

De fait, la sympathie esthétique est définie par Theodor Lipps (1851-1914) comme la

connaissance par le cœur, c’est-à-dire l’amour. Pour M-A Descamps, le Beau, dans le

domaine du Transpersonnel, est le sens du sacré que l’on éprouve en contemplant la nature.

La personne – qu’il s’agisse de l’artiste ou du spectateur - perd ses contours rigides en se

reliant au monde : les facteurs de la création artistiques sont l’émotion (les forces intérieures

se réveillent – sexualité et forces créatives de l’inconscient),

l’imaginaire (le sens du jeu désintéressé, la capacité de voir le

nouveau) et la Joie. Une telle Joie ne doit pas être confondue

avec l’autosatisfaction, bien au contraire : l’accès à un niveau

transpersonnel est une véritable épreuve, qui implique de se

dépasser soi-même, d’autant que ce sens du beau

s’accompagne d’un travail, d’une sorte d’ascèse. Le travail ne

consiste pas seulement à mettre en forme, a posteriori, le

sentiment sacré. Il est également préliminaire, puisqu’il s’agit

de bien maîtriser les techniques de son art. De nos jours, Jean-

Luc Leguay en est un témoin précieux, lui qui fut formé par

un maître enlumineur italien issu d’une lignée qui remonte au

8e siècle. (Illustration ci-contre : Jean-Luc Leguay, Mutus liber,

éditions Dervy, 2010.)

En parcourant de nouveau l’Histoire des œuvres artistiques, nous pouvons constater

qu’entre l’imitation du réel et la création gratuite s’ouvre régulièrement un espace pour le

geste orienté vers un absolu indéfinissable, un cosmos pressenti, sans contenu sémantique

figé. C’est particulièrement le cas au 19e siècle, à travers le grand souffle du Romantisme,

avec Victor Hugo pour chef de file. Le mouvement symboliste, qui prend sa source dans le

Romantisme, s’épanouit ensuite dans les arts et en littérature, avec les poètes (Charles

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Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Stéphane

Mallarmé), les musiciens (Claude Debussy) et les

peintres (Gustave Moreau, Puvis de Chavanne, Paul

Gauguin…). Baudelaire menait sa quête spirituelle

parmi une « forêt de symboles », cherchant à retisser

par la poésie les « correspondances » entre les différents

éléments de l’univers : « La Nature est un temple où de

vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses

paroles ; / L'homme y passe à travers des forêts de

symboles / Qui l'observent avec des regards familiers. »

(Fleurs du mal, 1957) (Illustration ci-contre : Puvis de Chavannes, Le Rêve, 1883, huile sur toile,

Walters Art Museum, Baltimore, États-Unis.)

Au 20e siècle, certains peintres abstraits font preuve d’une recherche métaphysique, au-delà

de la valorisation de l’ego, et d’une aspiration à retrouver cette unité cosmique vers laquelle

tendaient autrefois le mythe et le rite : Kandinsky, Mondrian, Malevitch, Fontana ou Pollock

sont ainsi porteurs d’une véritable expérience spirituelle. Fabrice Midal le montre dans un

ouvrage audacieux, qui rapproche certaines peintures occidentales modernes des mandalas

d’orient : « La modernité cherche à retrouver un rapport à l’universel en un temps de

décomposition et de morcellement. Le terme universel, pensé en Occident pour la première fois

par Aristote, est la dimension même de l’uni-vers, c’est-à-dire tourné vers l’unité. Mais cette

notion a été peu à peu comprise dans la direction de la totalité, d’une somme qui ne dit rien de

l’unité réelle. Plus grave encore, cet effort vers la totalité

a donné naissance à des formes d’autocratie et de

totalitarisme ou, à l’inverse, de désordres et de

fragmentations. L’importance du mandala, pour notre

temps, est qu’il nous montre le monde reconnu dans son

unité, et non sa description factuelle et naturaliste. En

ce sens, un tableau de Mondrian est une forme de

Mandala. Car Mondrian est tout entier tendu vers cette

quête qu’il comprend comme un équilibre entre la

verticale et l’horizontale – dans une perspective tout

autant plastique que mystique. » 39 (Illustration ci-

contre : Mondrian, Sans titre, National Gallery of Art,

Wahington, 1979.)

La littérature du XXe siècle n’est pas en reste. Les poètes surréalistes ou d’autres, comme

Paul Claudel, René Char, André Breton, Saint-John Perse, Henri Michaux ou Yves Bonnefoy,

pratiquent le geste poétique comme une épiphanie langagière, où le mystère du monde

rencontre une expression ouverte, qui ne le trahit pas. Il existe aussi un geste narratif

transpersonnel, propre au conte revisité et offerts à des lecteurs-joueurs. Jean-Pascal

Debailleul fait sortir les contes merveilleux des pages glacées des livres pour enfants pour

39 Fabrice Midal, Mandalas – Retrouver l’unité du monde, éditions du Seuil, 2010, p. 130.

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leur rendre leur puissance de guérison spirituelle. Il met en évidence le plan métaphysique

auquel permet d’accéder le conte traditionnel, en même temps que la possibilité, pour

chacun d’entre nous, d’entrer dans cette dimension : « Les contes de fée sont de puissants

récits initiatiques et des manuels de sagesse résolument pratiques qui nous rappellent

comment, par la magie de l’inspiration, nous arracher à nos impasses et réaliser nos

aspirations les plus profondes. La structure de ces histoires est calquée sur notre psyché, c’est

pourquoi nous pouvons facilement nous y reconnaître et, comme le héros du conte, nous relier,

nous aussi, à la dimension infinie de la vie, au Tout Possible. […] A l’absolu de la quête répond

l’absolu des possibles. C’est la part d’infini de notre désir qui nous met au contact avec l’infini

lui-même, un niveau supérieur d’existence que l’on peut appeler le Tout Possible, d’où

surgissent ce que nous nommons habituellement « hasards », coïncidences »,

« inspirations ». »40

Pour ma part, je définirai volontiers l’art transpersonnel comme le champ du geste

symbolique, au sens le plus fort du mot « symbole » - tel que Gustav Jung, par exemple, le

définit : « C’est le monde qui parle par le symbole. Plus le symbole est archaïque et profond,

plus il devient collectif et universel. Plus il est abstrait, différencié et spécifique, au contraire,

plus il se rapproche de la nature de particularités et de faits uniques conscients, plus il se trouve

dépouillé de sa qualité essentiellement universelle. Dans la pleine conscience, il court le danger

de devenir simple allégorie qui ne dépasse jamais le cadre de la conception consciente ; et là, il

sera aussi exposé à toutes sortes d’explications rationalistes. » 41 Parmi les principaux

symboles universels qui disposent de cette puissance d’évocation, citons : Le Verbe et le

Souffle ; l’Abîme, la Mer, l’Oeuf, l’Androgyne ; le Point, le Cercle, le Carré et la Croix ; le

Centre, le Pilier, le Paradis, l’Arbre, la Montagne ; les Nombres et les Lettres sacrées ; le

Phallus, le Bâton, la Pierre ; la Vulve, la Coupe, le Vase ; la Lune, la Vierge, la Déesse, la

Vouivre ; le Soleil, la Croix, le Swastika ; le Nœud,

l’Anneau, le Labyrinthe, la Spirale ; la trilogie Enfers/

Ciel/Terre… Le geste symbolique implique, répétons-

le, que l’artiste se tienne très précisément dans l’ici-

maintenant de la création, faisant ainsi un saut en

dehors de la pensée discursive et des images

mimétiques qui pensent le temps comme un

déroulement et l’espace comme une étendue finie.

C’est par cette porte étroite de l’instant présent

pleinement vécu qu’il peut basculer dans la

dimension transpersonnelle, c’est-à-dire dans un

Réel réunifié, non brouillé par le mental, qui divise le

monde en sujet/objet et en passé/futur. (Illustration

ci-contre : Carl-Gustav Jung, Livre Rouge – Liber

novus, 1959.)

40 Le Jeu de la voie des contes, éditions Le Souffle d’or, 2003, p. 16. 41 Cité par Jean Chevalier, Dictionnaire des symboles, introduction, p. XXIX.

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C. Présence de l’art transpersonnel dans mes jeux

Dans les jeux que j’ai créés en partenariat avec des artistes ou des

auteurs, les peintures de Josette Delecroix sont intimement liées à

cette démarche artistique transpersonnelle : l’artiste est une

contemplative, éprise de spiritualité, qui s’ouvre au geste créateur en

laissant certaines forces de l’esprit œuvrer à travers son pinceau. Le

joueur est ainsi invité à devenir un spectateur inspiré, qui contemple

la carte avant d’explorer son intériorité. (Illustration ci-contre : Josette

Delecroix, « L’homme cosmique », Le Jeu des miroirs – Découvrez votre

vrai visage avec Douglas Harding et Jules Supervielle, Le Souffle d’Or,

2011.)

J’ai également puisé dans la poésie du XXe siècle, qui

s’inscrit d’une dimension spirituelle à travers par le

jaillissement créateur d’un langage, dans un état de

conscience modifié, ouvert à un au-delà du monde. J’ai

eu recours aux poètes Jules Supervielle et Pierre

Dhainaut, qui vit encore. « Et si je crois en Dieu, ce n’est

qu’en poésie », écrivait par exemple Jules

Supervielle dans le recueil intitulé 1939-1945. Refusant

toute croyance dogmatique, le poète retrouve dans son

geste d’écriture une spiritualité vivante prête à se rallumer au feu de l’inspiration. La poésie

l’aide aussi à accéder à une paix intérieure par-delà les vicissitudes du corps vieillissant :

Supervielle lisait des poèmes à voix haute pour apaiser un cœur arythmique. L’image peinte

de l’« homme cosmique », dans Le Jeu des miroirs, reflète une conception poétique :

« L’inspiration se manifeste en général chez moi par le sentiment que je suis partout à la fois,

aussi bien dans l’espace que dans les diverses régions du cœur et de la pensée. » (Supervielle,

« En songeant à un art poétique », Naissances, 1951.) Colette elle-même, malgré son

athéisme avoué, recrée à travers ses récits d’enfance le jardin primitif du monde, dans des

lignes où une beauté sacrée resplendit, octroyée par la déesse-mère dont sa propre mère a

suscité l’image : « Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’offrait en

récompense. » « A trois heures et demie, tout baignait dans un bleu originel […].» (Sido,

1930). Et dans l’œuvre de Pierre Dhainaut, dont la spiritualité agnostique trouve sa source

dans l’effacement du « je » et simultanément son ouverture au « nous », au « on » ou au

« tu », c’est l’interrogation consciente qui conduit le plus souvent à un tel geste : […] ces

questions se sont imposées afin de réveiller en permanence le regard et l’écoute. […] Ainsi le

monde n’a plus rien de clos ni d’opaque, rien n’est immobile, rien n’est définitif. Avec le monde

le langage. Je cherche un langage qui n’affirme pas, qui ne soit pas d’autorité, qui ne se contente

pas de chimères : les questions le réveillent aussi, le rendent au mouvement.42 Dans cette

perspective, l’écriture poétique transforme et guide le poète vers une vitalité profonde, à

l’unisson des souffles du monde naturel.

42 « Une parole de partage », entretien avec Jean-Yves Masson, cité dans Pierre Dhainaut de Sabine Dewulf, coll. « Présence de la poésie », éditions des Vanneaux, 2008, p. 207.

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La poésie comme geste intérieur devient un modèle d’attitude spirituelle qu’il est possible

d’adopter dans l’existence - une invitation, par exemple, à ne jamais perdre la foi dans le

mouvement même de la Vie : « Ne t’endors pas / sans la foi de l’eau / sous la glace. » (Les

Trois cheveux d’or, poème de Pierre Dhainaut extrait du Don des souffles, Rougerie, 1985.)

(Illustration ci-dessus : Josette Delecroix, « La grande déesse », Les Jardins de Colette –

Parcours symbolique et ludique vers notre Eden intérieur, Le Souffle d’Or, 2004.)

II. LE CREATEUR CONSCIENT - Dans le sillage de l’artiste

En dépit de tout ce qui vient d’être dit, le spectateur inspiré a tout intérêt à rendre sa lecture

active, faute de quoi l’œuvre, si transpersonnelle soit-elle, n’agira pas vraiment sur lui. C’est

en quelque sorte le regard du spectateur qui fait le tableau, le lecteur qui fait le poème ; le

regard est à l’affût de ce qui est seulement suggéré. Il est aussi attiré par des formes, des

rythmes et des couleurs qui créent une atmosphère émotive. De spectateur, il est ainsi

naturellement invité à devenir lui-même créateur, en toute conscience, dans le sillage des

artistes qui ont œuvré avant lui. Il peut alors réunir pour lui-même le mythe et le rite qui

caractérisaient l’art des origines de l’Homme. C’est cette créativité que je cherche aussi à

susciter à travers mes jeux de connaissance de soi, pour que les participants à mes ateliers

ouvrent dans leur vie des perspectives nouvelles et se découvrent des ressources inconnues.

1. De l’art brut à la créativité

Marc-Alain Descamps énonce le vœu suivant : espérons que le Transpersonnel saura susciter

un art nouveau, qui mène à l’art-thérapie et à la créativité. Il ne suffit pas de s’émerveiller

devant des œuvres d’art pour cheminer, il importe aussi de créer des formes par soi-même.

Le XXe siècle a vu fleurir de nouvelles disciplines allant dans ce sens.

A. Les images symboliques de l’art brut

Il faut d’abord souligner le fait que chacun d’entre nous, fût-il déficient, peut avoir accès à

la création artistique. C’est ainsi que l’art brut a été inventé en 1945 par le peintre français

Jean Dubuffet : ce courant artistique désignait des productions esthétiques réalisées par des

personnes dépourvues de culture ou de don artistique, et qui créaient leurs images en dehors

des normes sociales convenues. L’art brut a beaucoup

intéressé les thérapeutes des hôpitaux psychiatriques.

Cette conception de l’art prolonge les travaux du docteur

Hans Prinzhorn dans les années 1920 sur l’art des fous,

ainsi que l’étude du docteur Morgenthaler consacrée à un

interné psychiatrique, Adolf Wölfli. (Illustration ci-

contre : Jean Dubuffet, Site aléatoire avec 4 personnages,

May 21, 1982, Rosenfeld Gallery, Etats-Unis.)

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Un autre exemple très frappant est celui de Raymond Isidore (1900-1964), surnommé

Picassiette parce qu’il passa sa vie à recouvrir sa maison et son jardin de mosaïques réalisées

uniquement à partir de morceaux d’assiettes.

Fascinante activité créatrice, qui ne l’empêcha

certes pas de faire des séjours à l’hôpital

psychiatrique ni de mourir dans une forme de

souffrance psychique, mais qui lui permit de vivre

le reste de son temps en s’affranchissant

ponctuellement des limites où le plaçait son état

psychotique. 43 Ce sont d’ailleurs ses rêves

nocturnes qui étaient la source de ses créations.

Celles-ci l’amenèrent à transformer sa simple

maison en une sorte de cathédrale.

B. L’art thérapie

Dans la même perspective, avec cette différence qu’il est guidé ou encadré par un thérapeute,

l’art-thérapie44 est une voie thérapeutique passionnante, qui permet d’exprimer et de libérer

l’imaginaire bouillonnant que l’on porte en soi et dont la source a pu être tarie par les

symptômes névrotiques ou psychotiques. Il favorise le lien avec un inconscient que l’on peut

qualifier de créatif et permet aux images symboliques d’émerger physiquement, que ce soit

par le dessin, la peinture, le collage, le modelage, la danse, le théâtre ou la musique…

Marc-Alain Descamps divise l’art-thérapie en quatre grands domaines : la musicothérapie,

la théâtro-thérapie, la danse-thérapie et la peinture-thérapie. Et il distingue cinq grands

processus psychothérapeutiques, qui dessinent un chemin vers le Transpersonnel.

Le premier processus peut être appelé expression. Celle-ci permet d’expulser ses fantasmes,

les images pathogènes (mécanismes décrits par Freud). Les expulser permet de les

reconnaître avant de les dépasser. Parfois émergent les archétypes décrits par Jung.

Second processus : la catharsis. Elle permet ce que Freud appelle le défoulement, c’est-à-

dire la découverte du refoulement et sa mise à distance. En d’autres termes, il s’agit de la

purification des passions, que favorisait autrefois le théâtre antique et classique.

Le troisième processus est la relation avec l’art-thérapeute. Il est indispensable d’analyser le

transfert qui se fait sur le thérapeute et qui n’est jamais direct, grâce à la médiation de l’objet

créé, comme dans le rêve-éveillé et dans d’autres psychothérapies à médiation. Se

reconstitue ainsi le triangle originaire qui dénoue l’identification primaire à la mère.

Le quatrième processus est nommé sublimation. Cette sublimation s’effectue par les

changements d’identification, l’émergence d’un sens et la réalisation de l’être : le patient

devient le créateur de lui-même.

43 Histoire de l’image en psychanalyse, « Les rêves de porcelaine de Picassiette » par Paul Fuks, L’Esprit du temps, 2002, p. 17 à 27. 44 Art et créativité, Marc-Alain Descamps, éditions Trismégiste, 1991, p. 87 à 98.

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Alors peut intervenir l’étape ultime, le niveau transpersonnel. Il s’agit pour le créateur de

réaliser la fonction ontologique de l’art, essentielle.

C. L’invention de la créativité

Dans le panorama historique qu’il cherche à brosser, M-A

Descamps évoque également l’invention de la créativité, grâce

aux théoriciens du Brain-storming d’Alex Osborn, de la

synectique de William J.J. Gordon (l’invention doit être

pluridisciplinaire et comporte l’ingrédient essentiel de la joie)

ou encore du Problem-solving de Sidney Parnes (cf. illustration

ci-contre), avec qui la créativité se structure davantage.

Il existe, dans ce contexte, des techniques propres à la créativité, dont certaines trouvent

leur place dans mes jeux : le dessin collectif et le jeu de rôle (dans Le jeu des miroirs, les

participants peuvent être invités à endosser le rôle d’une divinité de la mythologie gréco-

romaine), les déphasages, qui permettent de sortir de son point de vue et de ses préjugés

(jeux avec les mots45), la pratique des analogies (trouver des comparaisons, inventer des

contes – c’est le cas dans Le jeu des miroirs) ou de nouveaux mythes (création de son paysage

intérieur à partir d’une carte du Jeu des miroirs), l’expérimentation de l’insolite (on considère

le problème comme déjà résolu et on part de là pour trouver des idées nouvelles… ) et surtout

de l’aléatoire, pour briser les associations ordinaires (tous mes jeux comportent des tirages

de cartes ou le lancement d’un dé).

On peut enfin utiliser des méthodes transpersonnelles : observer une coupe pleine d’eau

chez les Tibétains jusqu’à laisser émerger des images, regarder une boule de cristal pour les

Amérindiens, pratiquer le Yi-King pour les Chinois, se poser une question avant de dormir,

consulter les images de ses rêves…

2. Le cycle guérisseur du symbole

Dans le cadre de ma recherche et de mon expérience, j’évoquerai le langage artistique tel

qu’il s’invite dans l’outil que j’ai créé lors de ma formation auprès de Marc-Alain Descamps,

autour de la thématique du symbole, et que j’ai réalisé dans le jeu Les Trois cheveux d’or –

Parcours de guérison avec les frères Grimm et Pierre Dhainaut. Cet outil, je l’ai appelé, dans

le jeu, la « roue de guérison ». Alors que j’étudiais le symbole comme expérience concrète,

il m’est apparu que celui-ci pouvait se lire aussi comme un processus de développement

personnel et transpersonnel. Le début de l’Evangile de Jean en a pour moi été le signe : « Au

commencement était le Verbe / et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. […] / Et le

Verbe s’est fait chair / Et il a habité parmi nous […].46 Selon ces lignes bien connues, si le

symbole relève d’une origine divine, il est, à sa source même, le Verbe divin – c’est-à-dire

une parole ou un sens invisible, inconcevable, transcendant et donc illisible.

45 Mon prochain jeu en comportera. 46 La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, Paris, 1975, p. 1841-1842.

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Pour être déchiffré, il est nécessaire qu’il se manifeste et se fasse chair, c’est-à-dire qu’il crée

à partir de sa propre essence une image ou une forme de lui-même, qu’il se mire dans un

support qui le reflète.

Dès lors, cependant, c’est une lumière indirecte qui tente de l’éclairer, à travers un

obscurcissement et une épaisseur qui le rend tangible. L’incarnation du verbe divin se fait

d’abord dans le corps du petit enfant, celui qui ne sait pas encore parler. Le symbole baigne

ainsi dans une certaine confusion liée à l’immaturité de l’enfant, laquelle devra être peu à

peu élucidée lorsque l’être humain sera parvenu à la maturité spirituelle.

La roue de guérison (cf. illustration ci-dessous), une fois adaptée à un jeu inspiré par le conte

intitulé Le Diable aux trois cheveux d’or des frères Grimm, inclut ce processus symbolique :

1. L’enfant qui naît dans le conte, au bas de la roue, est immédiatement dépositaire d’un symbole confus, très matériel, qu’un oracle, consulté par ses parents, interprète : il s’agit d’une membrane fœtale restée collée à son crâne, et qui est censée annoncer sa réussite et sa chance future : aussi pauvre soit-il né, le garçon épousera la fille du roi. Mais pour l’instant, l’enfant ne peut que se laisser porter, conduire par ses parents, puis par le roi qui veut le tuer, puis par les meuniers qui le sauvent de la rivière et l’adoptent. Il n’a à sa disposition que des gestes instinctifs de nourrisson, dépourvus de conscience. Même s’il est enraciné dans la confiance profonde que lui offre le symbole, le langage de l’enfant demeure au plus bas degré du langage symbolique : l’indice, c’est-à-dire le geste qui indique.

2. Peu à peu, l’enfant grandit et son entourage avec lui : le langage qui le guide n’est

alors plus seulement gestuel ; d’indice, il accède au stade émotionnel du signal : le garçon s’allonge sur un banc chez un repaire de voleurs parce qu’il est fatigué ; puis, une lettre trouvée sur lui, écrite par le roi qui veut sa mort, émeut profondément les voleurs chez qui il est entré (partie gauche de la roue).

3. Ensuite, on voit clairement que le langage dans lequel baigne le héros parvient au

niveau supérieur, intellectuel, du signe : une autre lettre, écrite cette fois par les voleurs, demande explicitement à la reine de lui faire épouser sa fille (tout en haut de la roue).

4. Dans la deuxième partie du conte et de la roue de guérison (partie droite en haut),

le champ de la compréhension s’ouvre encore davantage et peu à peu s’oriente vers le symbole proprement dit : lorsque le roi demande au prince de partir en enfer, le jeune homme sent qu’il n’a plus peur de rien et affirme qu’il « sait tout » aux trois gardiens du seuil qu’il rencontre ; sa connaissance n’est alors plus intellectuelle mais intuitive. Son langage devient métaphorique, d’essence analogique. Aux questions des gardiens du seuil, le héros ne répond pas directement mais explique simplement : « Je sais tout », faisant ainsi comprendre que sa réponse est différée mais qu’elle existe à l’état de germe en lui.

5. A l’étape suivante, notre héros entre dans l’Autre monde, la caverne de l’enfer

(partie droite en bas) : nous voici cette fois dans l’univers du symbole proprement dit. L’enfer représente la profondeur de soi-même, l’inconscient collectif, où il faut accepter de faire un saut décisif avant de recevoir les réponses aux questions qu’on lui a posées. Le jeune homme perd alors sa forme de personne humaine : il est transformé en fourmi par

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la fée (la grand-mère du diable) et sa conscience se fait pleinement réceptive. Il est apte à recevoir désormais les trois cheveux d’or du diable, qui sont autant d’images symboliques : ces cheveux représentent le rayonnement d’une connaissance pleine d’empathie pour la souffrance qui règne dans le monde terrestre. Nous parvenons ici au niveau du mythe qui formule la possibilité de recréer un monde harmonieux.

6. Enfin sorti de l’enfer, de retour au château (en bas de la roue, au niveau du point

rouge du chakra racine), le jeune homme parvient à chasser le vieux roi mortifère du royaume et retrouve sa jeune femme, l’épousant une seconde fois et réalisant ainsi sa réunification intérieure. Le langage du héros est maintenant de l’ordre du geste symbolique, tout à fait semblable au rite que pratique le sage pour être à l’unisson d’un mouvement universel qui le dépasse.

Ce qui me paraît ici intéressant, c’est de constater que les trois premières étapes du parcours

du héros, qui permettent à celui-ci de se construire comme « personne », n’impliquent

aucun recours au langage artistique : l’indice, le signal et le signe font partie de la

communication courante, orientée vers la transmission d’un message. En revanche, les trois

étapes suivantes, qui le dirigent vers un destin transpersonnel, impliquent le recours au

langage caractéristique de la démarche artistique telle qu’elle fut pratiquée durant la

Préhistoire et souvent renouvelée, sous d’autres formes, par la suite : la métaphore, l’image

symbolique, puis le geste symbolique.

Les lecteurs de ce conte sont donc invités, dans leur cheminement vers le Transpersonnel,

une fois leurs blessures apaisées et leur moi reconstruit, à entrer dans cette triple démarche :

le fait de pratiquer l’analogie (de se mettre à la place du héros, dont l’aventure est une

métaphore de leur histoire de vie) leur ouvre, à l’aide de la visualisation, un espace

d’émergence de l’image mythique et guérisseuse (qu’elle soit visuelle ou langagière). Cette

image, ils pourront ensuite la concrétiser dans un geste – un rite - dont il s’agit d’éprouver

la justesse spirituelle, ici et maintenant, dans l’unité intérieure du corps, de l’âme et de

l’esprit. Ces gestes se traduisent par les « prolongements créatifs » inventés par Stéphanie

Delcourt et aussi par des pratiques d’ancrage, destinées à remettre de la conscience dans les

gestes les plus prosaïques de notre quotidien : ouvrir et fermer une porte, se laver les mains,

monter les marches d’un escalier, etc. Les rituels peuvent également prendre la forme, dans

la partie « poèmes », de gestes de shiatsu, proposés par Eric Dewulf, à pratiquer sur soi-

même. Il s’agit bien de faire de la vie des joueurs une œuvre d’art mythique et ritualisée !

3. Les images du créateur conscient A. Les images psychiques

Le créateur conscient peut ainsi être grandement aidé dans son cheminement. Pourtant,

sauf cas tout à fait exceptionnel, rien ne pourra le dispenser de plonger dans ses propres

profondeurs, que ce soit par la psychanalyse transpersonnelle ou au contact d’un maître

spirituel authentique, afin de laisser émerger à la surface de sa conscience des images

guérisseuses. Tel est le chemin que j’ai suivi auprès de Marc-Alain Descamps, par une

psychanalyse en rêve éveillé. C’est pourquoi aussi j’accorde beaucoup d’importance, dans

tous mes jeux, à la visualisation précédée d’un temps de relaxation méditative.

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De fait, la création est d’abord mentale et verbale. L’émergence de certaines images

psychiques peut être à l’origine d’une mythologie personnelle libératrice, laquelle s’exprime

volontiers ensuite par des formes de création artistique. Au moyen âge, notamment chez les

mystiques chrétiens, certaines visions pouvaient survenir à l’état de

veille. Celles d’Hildegarde de Bingen sont particulièrement célèbres.

Elles ont une telle force sacrée qu’elles ont été écrites, puis peintes

pour être partagées dans les monastères et ailleurs, dans le monde

profane. 47 De nos jours encore, de telles visions étonnent et

fascinent : ce sont les portes mystérieuses d’un autre monde, d’une

transcendance rêvée. Le yoga-nidra, en Inde, permet également de

faire émerger ces sortes d’images. (Illustration ci-contre :

Hildegarde de Bingen, « Das Weltall », Scivias, 12e s.)

Dans les expériences transpersonnelles, on peut être confronté à de telles visions. Dans la

perspective de la psychanalyse spiritualiste, M.-A. Descamps s’attache à montrer comment

l’image obsessionnelle peut devenir créatrice et libératrice. Les fantasmes se désintriquent

du réseau morbide où ils s’inséraient et se transmuent en images-carrefours. Il prend

l’exemple de la cure de Claudia, dont le thème récurrent est l’œil de verre qui l’horrifie et la

regarde : il devient l’œil d’un dragon, puis se transforme en petit lapin blanc et enfin en une

plante qui pousse. La vie a remplacé la mort. Une fois que le patient a reconnu sa part de

vitalité et de liberté, il peut s’accorder au thérapeute pour collaborer avec lui et laisser

advenir des images liées à une joie profonde. C’est l’émergence des « images prospectives ».

Alors s’opère la « métanoïa », le chemin vers l’état-sans-ego qui est aptitude au pardon et

altruisme total. Les images surconscientes interviennent quand le patient se laisse attirer

par la Transcendance, la perspective du divin infini. De telles images témoignent d’une force

transcendante qui dépasse et comble à la fois le patient : elles portent en elles lumière,

beauté, élévation, puissance et amour. Le patient se réoriente vers le Sacré et le Sublime, en

suivant ce que Marc-Alain Descamps appelle un « chemin de lumière »48.

Dans un autre ouvrage49, il précise que Robert Desoille

avait établi une hiérarchie des images correspondant à

différents degrés de la santé du rêveur éveillé, depuis les

images démoniaques (au niveau des fantasmes)

jusqu’aux images divines (au plan le plus élevé des

images symboliques), en passant par les images

mythiques négatives, humaines négatives, humaines

positives et mythiques positives. (Illustration ci-contre :

M.-A. Descamps, schéma de l’appareil psychique dans Le

Rêve éveillé, éditions Bernet-Danilo, 1999.)

47 Geschaut im lebendigen Licht – Die Miniaturen des Liber Scivias der Hildegard von Bingen, Beuroner Kunstverlag, 2011. 48 Le Rêve éveillé, Marc-Alain Descamps, éditions Bernet-Danilo, 1999, p. 55. 49 La Maîtrise des rêves, éditions universitaires, collection « Encyclopédie universitaire », 1983, p. 194.

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B. La création de mandalas

De telles images peuvent naturellement être dessinées. Les mandalas en sont peut-être la

preuve la plus féconde. Je peux témoigner de mon propre bonheur à avoir créé 32 mandalas

dans Les Trois cheveux d’or, inspirée par les poèmes de Pierre Dhainaut. Stéphanie Delcourt,

qui a imaginé tous les prolongements créatifs de ce jeu, y a recours à différentes reprises

pour inciter les joueurs à créer leur propre mandala. Dans le mandala, le cercle de l’infini

s’inscrit dans un carré, qui représente le monde de la matière.

De fait, créer cette sorte d’image est profondément réparateur. Je me permettrai ici de

rappeler le cas célèbre de Jung. En 1914, après la rupture avec Freud, Carl-Gustav Jung doit

affronter la perte douloureuse de son père et entre dans une longue crise de démence,

pendant la première guerre mondiale. Il sortira de cette crise psychotique en dessinant tous

les matins. Page après page, il compose un beau livre manuscrit à la manière médiévale,

Liber novus, calligraphié et enluminé. En 1916, il crée son premier mandala, avec des

personnages empruntés à l’ancienne religion gnostique : Phanès, Abraxas, Philémon… Son

dernier mandala s’intitule La Forteresse et date de 1928. C’est seulement quand il découvrira

les mandalas orientaux qu’il fera le rapprochement avec les figures géométriques qu’il

peignait de manière spontanée pour sortir de la folie. Le mandala a ceci de spécifique qu’il

s’unifie autour d’un centre, qui symbolise à lui seul le centre divin, l’ici-maintenant où le

cosmos se recrée.

Orienté vers la quête du Soi, Jung ne cherche pas tant à éliminer la névrose qu’à retrouver

le sens de la vie. C’est tout le processus d’individuation, lequel suppose de se reconnecter

aux images archétypales, qui font partie de l’inconscient collectif. Elles sont issues des

archétypes, lesquels sont inconnaissables, totalement divins et transcendants, héritiers des

Idées platoniciennes. Les images archétypales, elles, sont saisissables : ce sont des

préformations de la pensée, des forces vitales et psychiques.

Elles sont innées et héréditaires. Elles constituent des

schémas collectifs de la pensée humaine, chargés

d’affectivité. Elles sont toujours bipolaires, avec une face

ténébreuse et une face lumineuse. Ce sont les images

symboliques les plus profondes. Parmi les principales images

archétypales, on relève la croix, le croissant de lune, les deux

triangles inversés du sceau de David, le swastika, l’aigle, la

vierge mère, le héros, l’enfant divin, le fils sacrifié (Osiris,

Isaac, Jésus…), l’arbre, le serpent, le cheval, la licorne...

(Illustration ci-contre : Carl-Gustav Jung, Livre Rouge – Liber

novus, 1959.)

C. La création d’autres images symboliques

En dehors du cas spécifique des mandalas, reflets du cosmos, les images symboliques

possèdent également des vertus thérapeutiques qui ouvrent la personne à une dimension

transcendante. Stéphanie Delcourt, dans les Trois cheveux d’or, demande par exemple au

joueur de recréer une image du bébé qu’il fut, dans le sillage de l’enfant du conte, en faisant

de cette image une sorte de talisman bénéfique, auréolé d’une phrase de pensée positive. Le

joueur rejoue donc sa propre origine miraculeuse, avec une Fée intérieure penchée sur son

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berceau. Il s’agit de vivre pleinement la puissance de l’oracle présent au début du conte.

Nous avons pu constater à plusieurs reprises à quel point ce « prolongement créatif »

enclenchait un changement profond de réconciliation avec soi-même et de réunification

intérieure dans le psychisme des participants aux ateliers.

Le symbole, en effet, porte en germe un dynamisme interne, une puissance fécondante. Il

est étymologiquement lié au verbe grec ballein : lancer. Symboliser, c’est mouvoir ensemble

vers quelqu’un ou quelque chose. Chacun de nous porte en lui-même de tels symboles, que

Georges Colleuil50 définit par les 5 caractéristiques suivantes :

- Le symbole est chargé d’une mémoire consistante et profonde.

- Il est structurant et porte un sens puissant.

- Il n’est pas arbitraire ou abstraite : son signifiant est étroitement lié au signifié ; il est

donc aussi à vivre, à expérimenter.

- Il vise à réunifier ce qui est présent avec sa part manquante ou absente ; il répare ce

qui a été amputé ou blessé.

- Il transcende notre réalité ordinaire et nous entraîne vers une évolution spirituelle.

Quel que soit le canal choisi - peinture, sculpture, modelage, théâtre,

poésie – l’image symbolique correspond à une posture intérieure du

créateur prêt à laisser parler sa vulnérabilité et à l’ouvrir à la

transcendance. La création picturale est l’un des moyens privilégiés

d’entrer dans la profondeur de l’unité universelle, comme le montrent

certains artistes actuels, dont Bénédicte Charpentier, qui initie les

participants de ses ateliers à la création de formes et de traces colorées

qui ont une force symbolique51. (Illustration ci-contre : Couverture du

livre Les Trois énergies, éditions Traditions Monastiques, Flavigny,

2014.)

La création par l’écriture seule existe aussi, à travers de nombreux ateliers, comme celui de

Natalie Goldberg qui pratique par ailleurs la méditation zen52, ainsi que la poésie-thérapie

de Jacques de Coulon53. Le langage ne manque pas de ressources inspirantes : la métaphore,

l’acronyme, les jeux de mots ou de lettres, la polysémie du langage… Plus profond encore est

le symbole poétique, que Maurice Blanchot distingue très clairement d’autres figures

50 La Fonction thérapeutique des symboles – J’ai vu de la lumière noire, Georges Colleuil Arkhana Vox éditeur, 2005. 51 Bénédicte Charpentier, La Créativité, clé de l’évolution – Sois ce que tu es, matière et lumière, éditions Le Souffle d’Or, 2011. 52 Nathalie Goldberg, Les Italiques jubilatoires – La créativité par l’atelier d’écriture, traduction de Richard Doust, éditions Le Souffle d’Or, 2000.

53 Jacques de Coulon, Soyez poète de votre vie – Douze clés pour se réinventer grâce à la poésie-thérapie,

Petite Bibliothèque Payot, 2009, 2014.

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langagières, comme l’allégorie ou la métaphore : « Le symbole a de tout autres prétentions.

D’emblée, il espère sauter hors de la sphère du langage, du langage sous toutes ses formes. Ce

qu’il vise n’est d’une aucune manière exprimable, ce qu’il donne à voir ou à entendre n’est

susceptible d’aucune entente directe ni même d’aucune entente d’aucune sorte. Le plan d’où il

nous fait partir n’est qu’un tremplin pour nous élever ou nous précipiter vers une région autre

à laquelle manque tout accès. Par le symbole, il y a donc saut, changement de niveau,

changement brusque et violent, il y a exaltation, il y a chute, non point passage d’un sens à un

autre, d’un sens modeste à une plus vaste richesse de significations, mais à ce qui est autre, à

ce qui paraît autre que tous sens possibles. […] Le symbole ne signifie rien, n’exprime rien. Il

rend seulement présente – en nous y rendant présents – une réalité qui échappe à toute saisie

et semble surgir, là, prodigieusement proche et prodigieuse lointaine, comme une présence

étrangère. […] Il faut donc dire brièvement : tout symbole est une expérience, un changement

radical qu’il faut vivre, un saut qu’il faut accomplir. Il n’y a donc pas de symbole, mais une

expérience symbolique. »54

C’est ce saut expérimental que nous avons cherché à susciter chez les joueurs des Trois

cheveux d’or. Dans cette perspective, Stéphanie Delcourt a recours à la pratique d’une

écriture créative et méditative, par exemple par l’écriture consciente de son propre prénom

au centre d’une image représentant ses qualités et ses défauts. L’écriture devient alors

principe d’unification de l’être qui se retrouve spontanément dans une dimension plus vaste

que celle, étriquée, où il se débattait avec ses ombres… Là encore, les résultats ont été

probants, certains participants ayant réussi à renouer en profondeur avec cette identité que

véhicule le prénom.

D. La pratique singulière du collage

On rappelle souvent que le mot grec sumbolon désignait à l’origine un objet que l’on coupe

en deux au moment d’une séparation entre deux personnes, en céramique, en bois ou en

métal… Le symbole est d’abord la conjuration d’une brisure initiale. Il existe un lien

indissoluble, entre le monde sensible et celui de la Conscience la plus élevée, qu’il s’agit de

retrouver, comme le montrait par exemple la théorie des correspondances de Swedenborg,

reprise par Charles Baudelaire.

A mes yeux, le collage créatif se prête particulièrement bien à cette entreprise réparatrice.

Le journal créatif, inventé par Anne-Marie Jobin, combine trois moyens de créer, où le

collage n’est pas en reste. Plus encore peut-être que le dessin et l’écriture, le collage me

semble être un moyen particulièrement adéquat de réparer la brisure ou la blessure

originelle – c’est-à-dire la coupure de l’être humain par rapport à sa dimension divine,

fondamentalement - tout simplement parce qu’il mime lui-même la coupure pour mieux

l’effacer.55

54 « Le secret du Golem », Le Livre à venir, éditions Gallimard, 1959, p. 121-122. 55 Anne-Marie Jobin, Le Journal créatif – A la rencontre de Soi par l’art et l’écriture, éditions du Roseau, 2002 et La Vie faite à la main – Quête de sens et créativité, éditions du Roseau, 2006.

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Pour l’avoir pratiqué sans aucune formation préalable, j’ai été surprise de constater combien

l’entreprise relève d’une sorte de miracle : il s’agit de découper un fragment de couleur ou

de forme dans une image préexistante pour le réintégrer dans un espace différent et porteur

d’une harmonie perdue ; le hasard, l’aléatoire est convié : qui sait à l’avance ce qu’il va

dénicher dans les magazines qu’il feuillette ? Et puis soudain, le porteur de ciseaux se trouve

interpellé, touché par une image, une couleur, un

contour… Il s’en empare, le retire du monde signifiant

auquel ce morceau appartenait pour inventer un sens

nouveau, moins figé car porté par le souffle d’une

découverte fugitive. Il introduit un fragment du

monde extérieur dans sa propre intériorité et recrée

analogiquement le cosmos. Non seulement il installe

de l’altérité dans son monde mais encore il ouvre

celui-ci à une dimension différente, que son désir le

plus profond, celui qui vient de l’abîme assoiffé de

Sens, a reconnue intuitivement. Le collage se

pratique comme un geste à la fois très plein et très

léger : un envol de pages découpées, qui battent de

leurs propres ailes avant de se poser dans ce qui ne

demande qu’à devenir œuvre nouvelle, œuvre du feu

de l’esprit. (Illustration : Sabine Dewulf, carte des

Trois cheveux d’or, Parcours de guérison avec les

frères Grimm et Pierre Dhainaut, Le Souffle d’Or,

2016.)

Conclusion

Par ses origines, l’art a donc partie liée avec le Transpersonnel. Et s’il s’en est parfois

détourné au fil de l’Histoire, il est toujours resté une source d’inspiration majeure pour qui

veut cheminer spirituellement.

La possibilité de faire de l’art un véhicule privilégié du Transpersonnel passe par

l’appropriation d’un certain langage artistique par le spectateur inspiré qui osera devenir un

créateur conscient, cherchant à se libérer à son tour d’une emprise trop forte de l’égo. Dans

cette démarche, le mythe (langagier) et le rite (gestuel) demeurent indissociables, comme à

la naissance de l’art préhistorique.

Sabine Dewulf – Saint Gratien, le 23 Juin 2018

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L’ART, PORTE OUVERTE VERS LA TRANSPERSONNALITE ?

Camilo Villanueva est un peintre originaire d’Argentine. Formé à la peinture par Vicente Lopez (Musée

Rómulo Raggio, Buenos Aires), ses toiles sont réputées pour leur dimension transpersonnelle : la

peinture agissant sur l’artiste comme un élargisseur de conscience, elle l’amène à révéler les visions de

son âme. Depuis 1994, il expose régulièrement en Amérique du Sud, mais aussi en Europe et en Amérique

du Nord. Il nous fait l’honneur de témoigner dans ce cahier de son approche sensible.

A travers ce témoignage-collage de réflexions, je vais donner mon humble avis sur ce que je pense et ressens de la relation qui existe entre l'art et le transpersonnel.

Nuevo continente – Camilo Villanueva

Une coquille de Moi sur les flots du Soi

« Le Soi est le centre de la conscience, mais la conscience est comme un navire qui se voit entraîné par une mer. Ce que le Soi veut ou ne veut pas n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est ce qui lui arrive malgré ce qu'il veut, et ce qui se passe, c'est qu'il est emmené par quelque chose qu'il ne soupçonne même pas. Ce qui le "déplace" détermine le processus d'individuation » C.G.Jung Ce que je comprends des propos de Jung, c’est que la conscience est comme un bateau qui est traîné et déplacé dans une mer inconnue (l’Inconscient) et dont l’équipage est le Soi. Mais il existe un problème dans ce voyage, c’est que l’équipage (le Soi) ne peut prendre le commandement du navire que dans un faible pourcentage. La psychologie et les neurosciences, dans toutes leurs branches et leurs différences, permettent dans une certaine mesure une connaissance primaire de notre esprit et de notre fonctionnement, ce qui aide beaucoup à canaliser notre Moi (ou personnalité) quand celui-ci a besoin, autant que faire se peut, de niveler sa relation au monde. Mais à peine peut-il reconnaître certains instruments et les manier - sans trop de contrôle – qu’il ressent une force hors de sa maîtrise, et que la conscience qui le transporte ne peut pas non plus comprendre et entendre….

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Des formes personnelles et transpersonnelles d’appréhender la réalité à travers l’art L’art, dans le cadre de la psychologie transpersonnelle, inclue l’aspect spirituel. Transpersonnel signifie au-delà de la personne, au-delà du moi ou ego, ce qui implique donc une dimension qui transcende les limites personnelles et nous conduit à une réalité spirituelle, dans toutes ses manifestations culturelles. Nous nous retrouvons ainsi avec deux niveaux d'art. L’un passe à travers le raisonnement et l'intellectualité, nous y regardons et analysons uniquement la technique, la composition, nous la comparons à celle d'autres artistes ou tendances, etc. Le plus incompréhensible ici, c’est de voir que des peintres suivent le même style que leurs professeurs ou essaient de ressembler aux peintres de renommée mondiale, sans chercher à trouver une nouvelle voie dans leur art ! Mais lentement, cette tendance change. Citons à présent quelques mouvements et leur rapport à la représentation du réel, du plus proche au plus éloigné de nos perceptions physiques : Le Réalisme, qui cherche à représenter la vie de la manière la plus fidèle. L’Hyperréalisme, qui est un pas au-delà du réalisme. Le Surréalisme, dont les peintures sont souvent illogiques et de qualité onirique. L'Impressionnisme, qui se fixe plus sur les formes que sur les détails. L’Expressionnisme, né en réaction à l'impressionnisme et qui cherche à refléter l'expression des sentiments et des émotions plus que la réalité. L’Art abstrait, qui renvoie à un style de peinture n'utilisant pas la réalité figurative comme référence. Les couleurs et les formes y sont utilisées pour représenter les émotions et le paysage du monde intérieur d'une personne. Ici, je m'arrête un moment pour préciser la représentation des paysages du monde intérieur d’une personne par l'art abstrait, car de quels paysages s’agit-il ? Nous avons tous un monde intérieur, mais soit nous avons réussi à dépasser le Moi et la conscience, soit nous vivons dans un monde intérieur superficiel dominé par le Moi. C’est ici que se produit une différenciation entre art abstrait et peinture transpersonnelle. La peinture transpersonnelle transcende le Moi et la conscience, entrant dans cette mer où il faut naviguer seul, où l'on se perd dans son immensité ; les formes et les couleurs circulent sans aucun type de filtre, utilisant la conscience et le Soi comme des véhicules sans que personne n'interfère avec ce qu'ils veulent montrer. Voilà comment définir la peinture transpersonnelle : nous sommes tous des êtres spirituels, mais de chacun dépend le niveau de spiritualité et d'unité que nous pouvons atteindre. « Il ne faut pas prétendre à comprendre le monde uniquement par l'intellect. L'échec de l'intelligence n'est qu'une partie de la vérité. » C.G.Jung

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Proximos cambios - Camilo Villanueva

L’art abstrait est une manifestation de l’esprit, mais raisonnée et intellectualisée par le Moi ; la peinture transpersonnelle est une manifestation de l’esprit sans raisonner ni intellectualiser. La forme d’art dépendra de jusqu’à quel point l’artiste se lance dans ce voyage dans les tréfonds de notre monde intérieur ( là où plongèrent les héros mythologiques en quête de la profondeur et du mystère qui s’y cache) Ce voyage du héros qui cherche à comprendre la vie et la mort, mais pour lequel il doit vaincre son ombre - les aspects les plus obscurs qui se trouvent au cœur de notre personnalité – et qui est rempli de symbolismes. Ces voyages, c’est l’art transpersonnel qui les manifestent, c’est pourquoi il dépend de l’artiste d’arriver à la peinture transpersonnelle, sinon il restera seulement dans l’art abstrait de son Moi.

Pour Jung, “l’intellect est, effectivement, un ennemi de l’âme, parce qu’il a l’audace de vouloir

capter l’héritage de l’esprit, ce dont il n’est capable sous aucunes circonstances, parce que

l’esprit est bien supérieur à l’intellect, étant donné qu’il peut non seulement le comprendre

mais aussi comprendre le coeur”. Par conséquent, nous devons commencer à réaliser une

différence entre l’art abstrait et l’art transpersonnel. L’art est une manifestation de

l’Inconscient, qui lorsqu’elle s’intellectualise perd son message et sa clarté, et cesse d’être

transpersonnelle.

Nous devons voir l’art, non avec les yeux de l’intellect, mais avec ceux de l’esprit cristallin. Dans l’art, en l’occurrence la peinture, il y a un message qui provient de cet océan inconnu, qui veut se manifester et se donner à connaître en perforant la conscience et le Moi, afin de donner cet éclair de lumière à la compréhension : dans les profondeurs de la vie, tout est unité indivisible. Mais l'être humain se charge de diviser constamment - quelqu'un a dit à son époque : "Ce qui nous sépare de l'unité" – et en cela l'être humain est un spécialiste de la division, fractionnant jusqu’à sa plus minime soustraction.

Cette même mer se retrouve tant chez l'artiste que chez l'observateur, et elle essaie de communiquer, sautant des barrières intellectuelles et culturelles, communiquant avec des symboles, des couleurs et des formes. Telle est sa manière de transmettre des messages, en trouvant la beauté dans l’irréalité, mais pour cela, il est important, au moins, que l’artiste navigue déjà sur cette mer appelée Inconscient, afin de relier la diversité et la spiritualité. Nous venons d'une abstraction spirituelle et nous y retournons.

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Quelques pensées

Qu’est-ce que je peins et qu’est-ce que je sens ?

Exprimer ce que je ressens quand je fais face à une toile et que je me mets à peindre, c'est comme commencer à former un espace de vie, qui se transmet par la couleur et la forme. Un espace qui se trouve au plus profond de notre être, un espace qui apparaît à fleur de peau pour se montrer et nous dire qu'il existe d'autres formes subtiles qui expriment la grandeur de la création.

C'est comme si nous étions dans une phase d'apprentissage, dans une enfance infinie. Pour cela, à titre d'exemple, je me référerai à une phrase de Picasso : "À douze ans, je peignais comme Raphael, mais j’ai eu besoin de toute une vie pour apprendre à peindre comme un enfant". Si parfaite qu'une peinture puisse nous paraître, si elle n'a pas cette étincelle venue de l’intérieur qui permet le dépassement, nous n'aurons pas atteint le principe des formes, le début de la vie ; nous ne pourrons pas voir avec les yeux de l’esprit la beauté de la couleur et la forme qui émergent de l’abstraction dont nous venons tous. La « singularité », ce minuscule point que les scientifiques appellent le début du Big Bang, était l'abstraction la plus absolue de l'univers, nos commencements. « Le peintre ne fait des choses bonnes que lorsqu’il cesse de savoir ce qu’il est en train de faire » Edgar Degas

Le bon observateur dira « je ne comprends pas ce qu’a voulu exprimer l’artiste, mais cela mobilise mon intérieur et touche la profondeur de mon Être ». Cela s’appelle sentir, et pour sentir il n’y a pas à comprendre, ni à demander des explications, sinon à contempler et profiter de cette profondeur inconnue d’un océan infini.

Camilo Villanueva, Buenos Aires – Juin 2018

http://www.camilovillanueva.com.ar/pinturas/index.php/es/

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POUR ALLER PLUS LOIN…

En complément des bibliographies proposées par les auteurs ayant participé à ce numéro,

nous vous proposons de découvrir les titres suivants :

Jung et l’élan créateur – Colloque de Bruxelles (ed. Esperluète et l’Arbre Soleil) Huit « colloquataires » - Daniel Baumann, Guy Corneau, Elaïné Franzini Soria, Christian Gaillard, Isabelle Rollin, Sonu Shamdasani, Bertrand Vergely et Pierre Willequet, rejoints sur le papier par Nicole Aknin – ont été réunis par Edith Allaert-Bertin pour réfléchir à huis clos sur ce thème passionnant : Jung et l’élan créateur. Tamisée par leurs expériences personnelles et leurs grilles de lecture disciplinaire, cette question nous entraîne avec eux de la fameuse tour de Bollingen aux toiles de Pollock et Kiefer en passant par Dada, Bergson et Dante, à la rencontre des diverses formes de l’expression vitale qui nous anime. Quels destins se manifestent à travers nous, selon que nous lui prêtons une oreille attentive ou distraite ? Qu’est-ce que l’œuvre de Jung (Livre Rouge, recherches) et le regard qu’il pose sur ses contemporains (artistes ou non) peut nous apprendre sur ce sujet ? Chaque exposé propose un

éclairage différent que la discussion entre pairs va mettre en perspective, approfondir ou élargir. Ouvrage gaiement érudit, cette retranscription se lit comme une pièce de théâtre et ne manque pas de stimuler l’élan créateur de ses lecteurs. La création met l'homme debout - Brigitte Seneca (ed. Le Souffle d'Or) Animatrice depuis près de 40 ans d'ateliers d'expressions artistique adressés à des publics très différents, Brigitte Seneca témoigne ici de son oeuvre la plus personnelle : le tableau de sa vie. Avec passion et humilité, elle intrique dans son récit découvertes empiriques, co-apprentissage auprès de ses élèves et références à de grands noms de l'art. De rencontres en rencontres, qui tantôt nous transportent ou nous bousculent, c'est toujours l'Être cherchant à s'envoler vers l'infini que nous pouvons observer, tapi derrière la touche qui explore la surface et les couleurs. Délicatement critique envers nos préjugés culturels, celle qui suivit les enseignements de Pir Vilayat Inyat Khan et Luis Ansa met en lumière ici la poésie oubliée de notre monde, redonnant à l'art sa dimension initiatique, thérapeutique...et transpersonnelle.

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Danser à corps joie – Dominique Hautreux et Carine

Anselme

Psychologue clinicienne et psychothérapeute, Dominique

Hautreux a élevé sa pratique au rang de méthode :

l’Expression Sensitive ®. Véritable calligraphie de l’Être

déployée à travers le corps, l’ES invite à recontacter son

authenticité, se réapproprier la responsabilité de ses

émotions et de son vécu, pour célébrer la vie qui nous

traverse. Co-écrit et illustré avec deux de ses anciennes

élèves, Carine Anselme et Brunehilde Yvrande, Danser à

corps joie n’est pas un manuel mais plutôt le témoignage

d’un chemin personnel et professionnel, que ponctuent des

propositions de danses à expérimenter. Poétique et précis,

cet ouvrage ravira autant le grand public que les

professionnels de l’art-thérapie corporelle. Pour entendre les auteurs présenter le livre :

https://www.youtube.com/watch?v=k2S5k26CLHM