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BRELICH, Angelo, Encyclopdie de la Pliade, Histoire des Religions, Ed. Gallimard, 1970, p. 3-12 ; 57-59. Quest-ce que la religion ? Depuis plus d'un sicle - et, prcisment, depuis la publication des premires grandes oeuvres de F. Max Mller - on parle de l'histoire des religions ou de l'histoire compare des religions comme d'une discipline scientifique parmi les autres. Et pourtant, aujourd'hui encore, il ne semble pas que l'existence et la raison d'tre de cette discipline soient tenues pour allant de soi, au mme titre, par exemple, que celles de la philologie classique, de l'histoire de la littrature franaise, de la linguistique, de l'gyptologie et d'autres disciplines humanistes. En aucun pays, l'organisation des tudes dans l'enseignement secondaire ne prvoit l'enseignement de l'histoire des religions, alors que l'on tudie partout, ct de l'histoire politique, celles de la littrature, de la philosophie, de l'art. Le nombre des chaires d'universit consacres cette matire est galement trs restreint et les priodiques spcialiss qui en traitent se comptent sur les doigts de la main. Cette situation de fait est le reflet d'une incertitude gnrale - sinon d'un scepticisme dclar - quant la justification thorique ou la possibilit pratique de l'histoire des religions en tant que discipline autonome. Thoriquement, une discipline scientifique autonome -prcisons: relativement autonome, car l'autonomie absolue n'est le propre d'aucune discipline scientifique (la philologie classique, par exemple, a recours la linguistique, la palographie, l'histoire ancienne, etc., et vice versa) - se justifie dans la mesure o son objet et ses mthodes sont spcifiques et ne peuvent tre confondues avec ceux d'aucune autre. Cette simple constatation suffit poser une srie de problmes assez complexes : ils constitueront la matire des prsents prolgomnes. L'histoire des religions a-t-elle un objet spcifique? Apparemment, la rponse est facile: oui, certes; et l'objet en est, prcisment, ces religions dont elle tudie l'histoire. Mais on s'est souvent demand si la religion mme est un phnomne autonome, bien distinct des autres phnomnes culturels. N'est-elle pas un mlan e htrogne de doctrines philosophiques et sociales, d'lments fantastiques, de sentiments et de pratiques de la nature la plus diverse? Il n'est pas bien loign le temps o l'on prtendait que la religion n'tait qu'une science rudimentaire qui prcdait dans l'volution humaine la formation des sciences proprement dites, et, notre poque encore, Benedetto Croce niait l'autonomie d'une catgorie religion, qu'il considrait comme un sousproduit des catgories logique et morale. Il est vrai que l'autonomie du phnomne religieux a eu ses dfenseurs. Dans son clbre ouvrage Das Heilige (I9I7), Rudolf Otto s'effora de dmontrer le caractre spcifique de l'exprience du sacr, laquelle ne pourrait se ramener aucune autre catgorie d'exprience humaine et serait le fondement de toute religion. Encore y a-t-il lieu de se demander si, en introduisant ce critre de distinction du phnomne religieux, on va bien au-del d'une simple tautologie: est religion ce qui se fonde sur le sacr, est sacr ce qui se trouve la base de toute exprience religieuse; sans compter qu'Otto et ses disciples insinuaient, sans justification scientifique, que l'exprience du sacr tait fonde sur quelque chose d'objectivement existant. Certes, ceux qui admettent le fondement transcendant et objectif de la religion, la question de l'autonomie de cette dernire n'apparat pas complique: le sacr - ou de faon beaucoup plus concrte: Dieu - existe, et la religion n'est pas autre chose que les rapports humains tablis avec cet existant objectif. Indpendamment de la position religieuse de chacun, il faut admettre que de semblables prsuppositions ne conviennent pas l'historien: l'existence oblective du sacr ou de Dieu peut tre crue ou bien faire l'objet de discussions mtaphysiques; il n'est pas lgitime de l'admettre comme prsupposition dans les tudes historiques. C'est pourquoi la position de ceux qui considrent les religions histo-riques

comme de simples variantes de la religion, c'est--dire, en fait, comme des formes plus ou moins dnatures ou modifies de la seule vraie religion dtermine par la ralit objective transcendante, est, de ce point de vue, inacceptable (cole du pre W. Schmidt). On peut, d'ailleurs, prendre une position en un certain sens analogue, et cela s'est souvent produit (pour G. van der Leeuw, par exemple), sans prsuppositions fidistes ou mtaphysiques explicites: c'est le cas de ceux qui affirment que la religion est un phnomne universellement humain parce qu'inn et congnital chez l'homme en tant que tel (homo religiosus sur le modle d'homo faber). L encore, les diffrentes religions apparaissent simplement comme les diverses manifestations concrtes d'une facult humaine unique. C'est sur cette conviction que se fondent les diffrentes formes de ce que l'on appelle la phnomnologie religieuse. Sans nous arrter pour l'instant une apprciation de la mthode phnomnologique, il faut dire, tout d'abord, que la prsupposition d'une religion inne dans 1homme ne peut pas non plus tre accepte par l'historien. En tant que tel, celui-ci peut, en effet, constater et interprter les faits avrs, mais il ne peut formuler de jugement ni sur des poques trop lointaines pour nous avoir lgu des documents, ni encore moins sur l'avenir; en d'autres termes, il lui est loisible d'observer que toutes les civilisations passes et prsentes, pour lesquelles nous avons assez de documentation, prsentaient ou prsentent des manifestations religieuses, mais il ne doit tirer de cette observation aucune conclusion portant sur des civilisations et des poques mal connues (remontant par exemple plusieurs centaines de millnaires), ou concernant les civilisations futures. La tendance la lacisation de la civilisation occidentale au cours des derniers sicles et l'existence actuelle de socits non religieuses sont peut-tre des faits trop rcents pour qu'il soit possible d'en mesurer la porte historique, mais ils peuvent servir mettre en garde contr la gnralisation abusive inhrente la thse de l'homo religiosus. En admettant la thse de la religion inne, on dplacerait du reste l'tude. des religions du domaine de l'histoire vers celui des sciences naturelles. Cela est galement vrai pour l'orientation psychologiste qui ramne la religion, entendue comme phnomne secondaire, des facteurs psychiques inconscients, individuels ou collectifs. La psychologie, en tant que science naturelle, vise tablir les lois naturelles qui gouvernent son objet le psychisme. Si les religions taient le produit de lois psychologiques permanentes, leur extrme varit historique ne s'expliquerait pas; l'histoire, en effet, n'est pas rgie par des lois naturelles fixes. Ce n'est qu'en admettant, comme il est vraisemblable, que le psychisme lui-mme est, au moins dans une certaine mesure, historiquement et culturellement conditionn, que la considration des facteurs psychologiques peut se rvler utile aux recherches de l'historien des religions: mais il ne serait plus question alors de concevoir les religions comme des produits purement psychiques. La ralit historique ne connait qu'une pluralit de religions et non pas la religion, que celle-ci soit fonde sur le transcendant ou sur la nature humaine ou sur des lois psychologiques. Il faut, en revanche, possder, pour parler de religions, mme au pluriel, un concept unique de la religion, mais abstrait, comme le concept d'arbre, alors qu'il n'existe pourtant dans la ralit aucun arbre qui ne soit un arbre particulier. Si l'on veut dcouvrir quel est l'objet des tudes de l'histoire des religions, on ne peut viter de se demander quelle est la dfinition du concept de religion. Or, ne serait-ce qu'au cours des cent dernires annes, plus d'une centaine de dfinitions ont t proposes, dont aucune ne s'est dfinitivement impose. Les raisons de l'chec de ces tentatives sont souvent trs simples: ou bien l'on part de prsuppositions non scientifiques, ou bien l'on se fonde sur une seule religion ou sur un seul type de religions, et la dfinition ne s'applique pas aux autres; ou bien encore on ne tient compte que d'un seul aspect des religions (l'aspect doctrinal, ou subjectif et sentimental, ou encore purement extrieur). On a cependant peine croire que de pareilles raisons suffisent

expliquer que l'on n'ait jamais trouv, jusqu' prsent, de dfinition satisfaisante du concept de religion. Cette difficult s'explique, en effet, par une autre raison que l'on oublie souvent malgr son vidence: c'est que le concept de religion s'est form (et l'on peut dire quil continue de se former) tout au long de l'histoire de la civilisation occidentale. Il est important de rappeler qu'aucune langue des peuples primitifs, aucune des civilisations suprieures archaques, ni mme le grec et le latin plus proches de nous, ne possdent un terme correspondant ce concept qui s'est historiquement dfini une poque et dans un milieu particuliers. (On remarquera que le mot religion drive directement du latin religio - et combien de dfinitions de la religion ont-elles pris, comme point de dpart, l'une ou l'autre des tymologies prsumes du mot latin, relegere ou religare ! Mais le mot latin n'avait pas l'acception moderne de religion; il n'indiquait qu'un ensemble d'observances, de mises en garde, de rgles, d'interdictions, sans se rfrer, par exemple, ni l'adoration de la divinit, ni aux traditions mythiques, ni aux clbrations des ftes, ni tant d'autres manifestations considres de nos jours comme religieuses). Vouloir dfinir la religion , c'est vouloir donner une signification bien prcise un terme forg par nous-mmes et que nous employons normalement dans les sens les plus vagues et les plus incertains. Il s'agit donc de trouver une dfinition fonctionnelle, de dterminer un concept qui puisse servir des fins scientifiques, et non pas de formuler une dfinition base sur des caractres immuables distinguant une chose d'une autre (c'est ainsi, par exemple, qu'on dfinit le bronze comme un alliage comprenant un pourcentage donn de cuivre et d'tain, et cette dfinition est valable indpendamment de toute poque historique et de toute situation culturelle). Il ne faut pas oublier quil y a peine plus d'un sicle, on affirmait encore de certains peuples primitifs qu'ils taient ignorants de tout ce qui ressemble une religion, tout en dcrivant leurs rites, leurs croyances en des tres imaginaires, etc.; et cela parce que l'on donnait encore au mot religion un sens qui dpendait trop troitement de l'exprience religieuse chrtienne, alors que nous utilisons aujourd'hui le mme terme dans une acception considrablement largie. Il s'agit donc, avant tout, de savoir comment nous voulons dfinir un terme employ dans des sens divers afin que, le revtant d'une signification qui ne prte plus confusion, il puisse tre utilis des fins scientifiques. Mais, dans le domaine historique - contrairement ce qui se produit dans celui des mathmatiques ou de la logique pure - une dfinition a priori, aussi prcise soit-elle, est parfaitement inutile; la condition de son utilit est qu' cette dfinition corresponde effectivement une ralit historique cohrente et distincte. En d'autres termes, ne nous attendons pas ce que le concept de religion - n comme un produit historique de notre civilisation et, de ce fait, tant sujet des altrations au cours de l'histoire - possde de toute ternit un sens prcis qu'il nous faudrait tout au plus retrouver; nous avons, au contraire, donner, des fins scientifiques, une signification ce concept incertain. D'autre part, une telle dfinition ne saurait tre arbitraire; elle ne pourra s'appliquer qu' un ensemble rel de phnomnes historiques susceptibles de correspondre au vocable religion, vocable tir du langage courant et introduit dans la terminologie technique aprs que le sens en aura t dtermin de manire le transformer en un terme scientifique prcis. Il convient de revenir deux remarques que nous avons faites plus haut: savoir d'abord que, dans les langues des civilisations autres que celles de l'Occident post-classique, il n'existe pas de mot pour dsigner la religion et, ensuite, que toutes les civilisations historiquement connues ont prsent des manifestations que nous appelons religieuses ou, plus simplement, ont eu ce que nous sommes habitus appeler une religion. Ce qui signifie que mme sans nous en rendre compte, nous prsupposons soit que l'on peut avoir une religion sans en possder le concept, soit que notre concept de religion vaut pour des ensembles donns de phnomnes qui, dans les civilisations o ils apparaissent, ne se distinguent pas comme

religieux d'autres manifestations culturelles. Il n'est pas inutile de tenter d'claircir ces prsuppositions implicites. Dans la plupart des civilisations dites primitives, ce que nous appelons religion se manifeste jusque dans les moindres dtails de la vie quotidienne: la nourriture, l'habillement, la disposition des habitations, les rapports avec les parents et les trangers, les activits conomiques et les passe-temps sont rgis aussi par des principes religieux; mais, dans ces socits, quand un individu exerce son activit normale, il n'a pas ncessairement conscience d'agir en mme temps sur un plan profane et sur un plan religieux; tant que son univers culturel est clos et organique, son esprit ne reoit probablement aucune stimulation susceptible de faire natre en lui ces distinctions que nous tablissons entre les diffrents aspects de son action. Il fabrique son pagne, sa maison, ses armes, il s'occupe de sa femme, de son pre, de son beau-frre, de son oncle, de l'tranger, il mange et jene, travaille la terre ou va la chasse comme cela se fait ou comme cela s'est toujours fait, sans se poser de questions sur la raison d'tre de ses manires d'agir. La religion fait partie de sa vie et il n'a aucun motif de la distinguer des autres aspects de son existence. Et cela est galement valable pour de nombreuses civilisations dites suprieures. ce schma, quelque peu simplifi, il convient d'ajouter, en guise de correctif, qu'avant mme d'tablir une distinction consciente dans les ordres d'activit, un groupe humain peut adopter certaines formes pratiques de distinction, en confiant par exemple des fonctions religieuses par excellence certaines personnes telles que sorciers, chamanes, voyants, prtres, ou en concentrant certaines activits sacres certaines dates, telles que les ftes; mais tout cela n'implique pas encore une claire conscience de la distinction entre le fait religieux et les autres ordres de faits. D'un autre ct, si nous employons depuis des sicles, depuis les dbuts du christianisme, les termes religion, religieux, sacr etc., malgr les acceptions varies qu'ils ont pu prendre, si nous cherchons depuis quelque temps lui donner une signification plus prcise, si nous en largissons parfois le sens de manire les appliquer des faits peu susceptibles d'tre autrement dnots, cela prouve bien que nous percevons une diffrence objective entre ce qui, dans toute civilisation, apparat dtermin par la religion et ce que nous pouvons en considrer comme indpendant. Revenons l'un des exemples prcdents: l'homme d'une quelconque civilisation primitive suit simplement, pour construire sa maison, la mthode en usage dans la socit au sein de laquelle il vit, sans avoir le moins du monde conscience d'appliquer, en agissant de la sorte, un certain nombre de principes htrognes que nous qualifions de pratiques, d'esthtiques, de sociologiques et de religieux. Nous remarquons, en effet, que l'emploi de certains matriaux, procds et techniques, assure la construction la stabilit et l'aration ncessaires, la dfense contre la pluie, l'limination des dtritus, etc. Si toutefois, nous constatons qu'entre diffrents matriaux (bois, fibres, etc.), quivalents du point de vue fonctionnel, son choix se porte systmatiquement sur les uns, alors que les autres sont aussi systmatiquement carts, c'est qu'interviennent des raisons d'un autre ordre que pratique. Dans certains cas, ce choix paratra dict par des critres que nous qualifierons d'esthtiques; entre deux types de bois galement rsistants et faciles travailler, le choix portera sur celui qui a le plus de brillant ou une teinte particulire. Dans la disposition des pices ou des lits destins au mari, la femme, aux enfants et, ventuellement, d'autres personnes vivant au sein de la famille, nous discernons lapplication de critres d'ordre sociologique, par exemple la prminence accorde un sexe, un ge plutt qu' un autre. Mais si l'on s'aperoit que le choix est immuable, mme entre des matriaux quivalents, non seulement du point de vue pratique, mais aussi esthtique, ou que la disposition prfrentielle des pices ou des lits n'assure aucun avantage au membre de la famille le plus important socialement, nous sommes amens conclure que, parmi les critres qui prsident la construction de la maison, il en existe un qui n'est ni pratique, ni esthtique ni sociologique. Et quand, enfin, l'on dcouvre, par exemple, que le matriau

vgtal en faveur, ou la prfrence accorde au ct droit ou au ct gauche sont adopts alors mme que ne joue plus aucun facteur pratique, esthtique ou autre, on supposera que le motif dterminant du choix est d'ordre religieux; on passera de l'hypothse la certitude quand on remarquera que le mme matriau ou la mme distribution sont adopts dans des actions que nous sommes accoutums dfinir comme rituelles, ou sont mentionns dans des rcits que nous considrons comme des mythes. Ces qualifications sont indubitablement fondes sur un concept implicite de religion. Dans la simple action individuelle de l'homme qui construit sa maison, nous distinguons des aspects et des intentions pratiques, esthtiques, sociologiques et religieux. Mais quiconque connat, ne serait-ce que superficiellement, un certain nombre de religions sait que les choses les plus diverses peuvent se voir attribuer une valeur religieuse: on parle communment d'ides, de doctrines, de convictions, de croyances, de rcits religieux, d'actions individuelles et d'attitudes durables, de rgles, d'interdictions, de rapports dtermins par la religion, de personnes, d'animaux, de plantes, de matires, d'objets l'tat naturel ou fabriqu, que l'on dfinit comme sacrs, de lieux, de temps, d'images, de symboles sacrs ou religieux, etc. La qualification de sacr ou de religieux est toujours, dans ce cas - comme dans l'exemple considr ci-dessus - base sur un concept latent. Il parat indispensable d'avoir recours, avant tout, l'art socratique de la maeutique pour ramener la surface ce concept encore indfini et vrifier ensuite qu'il possde bien ce caractre univoque et cohrent indispensable aux termes scientifiques. Cette manire de procder - initialement empirique et ensuite critique - prsente d'abord deux avantages. La plupart des dfinitions prfabriques du concept de religion font faillite parce qu'elles n'englobent jamais tous les faits que, dans les diffrentes civilisations, nous sommes habitus considrer comme religieux. Ainsi que nous l'avons dit, on a pu, partir de certaines ides prconues (et des dfinitions plus ou moins implicites qui en dcoulent), affirmer qu'un peuple peut, tout en pratiquant des rites, tre ignorant de toute religion. De mme, en partant de certaines dfinitions de la religion (fondes, par exemple, sur l'adoration d'tres surhumains), on a cru devoir exclure le bouddhisme du nombre des religions. Si l'on se place, en revanche, au point de vue purement empirique de l'emploi du terme, on a quelque chance de dcouvrir la base un concept assez large pour embrasser la totalit des phnomnes que nous considrons comme religieux. Le second avantage d'une telle dmarche rside dans le fait que, compte tenu de l'extrme varit des phnomnes auxquels nous sommes habitus attribuer une valeur religieuse, l'absence d'une dfinition a priori vite de les enfermer aussitt dans un ordre systmatique, mais nous permet d'en analyser un certain nombre dans quelque ordre que ce soit, jusqu' ce que nous dcouvrions le sens de leur commun dnominateur sacr, qui pourra tre ensuite vrifi pour tous les autres phnomnes. Quand on considre la liste fort longue - et, cependant, incomplte - des choses qui, dans les diffrentes civilisations, peuvent apparatre comme sacres ou religieuses, ce qui frappe avant tout c'est le fait que les mmes choses peuvent, en d'autres cas, demeurer parfaitement profanes. Devant cette constatation - qui du reste, exclut tout caractre sacr objectivement attach quoi que ce soit - l'nonc du problme ne peut tre que le suivant: Qu'est-ce donc qui, dans certaines civilisations, confre une importance religieuse ce qui dans d'autres civilisations peut n'en pas avoir? C'est dj l une question strictement historique puisqu'elle requiert, pour tous les cas particuliers, l'tude de civilisations historiques concrtes; mais nous essaierons, pour le moment, de la maintenir encore sur un plan abstrait, afin d'en tirer des enseignements d'une porte gnrale. C'est pourquoi nous posons nouveau la question sous une autre forme: quelle espce de facteurs peuvent rendre sacr, dans une civilisation, ce qui ne l'est pas en soi?

Nous sommes donc assurs que l'histoire des religions a un objet autonome, les religions, que celles-ci ont une raison d'tre qui les distingue des autres manifestations culturelles humaines, enfin que l'histoire des religions a une mthode autonome, celle de la comparaison historique. Pour que l'histoire des religions soit justifie en tant que discipline scientifique autonome, il ne subsiste plus que des difficults d'ordre pratique; nous y avons fait allusion plusieurs reprises, mais il convient de les rexaminer une dernire fois. On a dit que, comme toute autre discipline historique, lhistoire des religions n'est que relativement autonome, puisqu'elle a besoin du secours d'autres disciplines (par exemple, l'histoire politique, la philologie, l'archologie); comme toute autre discipline historique, elle embrasse thoriquement un domaine si vaste qu'il chappe invitablement la connaissance d'un seul chercheur. Les difficults pratiques que l'on rencontre dans l'histoire des religions ne sont donc pas d'une autre nature que celles que le spcialiste de toute discipline historique rencontre quotidiennement sur son chemin. Il n'y a rien de surprenant, ni de dcourageant, ce que chaque chercheur soit oblig de borner son activit un troit secteur de la discipline laquelle il se consacre. Fort heureusement, les sciences transcendent les individus et progressent grce la collaboration souvent tout fait involontaire de ceux qui les pratiquent. La tendance actuelle et invitable des spcialisations toujours plus strictes, due l'accroissement continu des connaissances et aux exigences de plus en plus grandes de la recherche dans toutes les disciplines historiques et mme dans les autres (il suffit de penser aux spcialisations dans le domaine de la mdecine et de la physique) accentue encore les ncessits et les difficults de la collaboration. Il n'y aura plus, dans l'histoire des religions, de Rameau d'or d un seul auteur. L'avenir de l'histoire des religions ne dpend cependant pas de ces conditions, communes toutes les disciplines historiques. Il dpend de l'acquisition et de la diffusion de la conscience mthodologique particulire requise par cette discipline. Il n'est pas mauvais que l'historien des religions limite son propre domaine de recherches une seule religion, celle dont il est capable de bien connatre le milieu culturel, en philologue ou en archologue, etc. Ce qui est important, c'est qu'il tudie cette religion en historien des religions, et non en historien de cette civilisation; que sa problmatique et sa mthode soient celles de l'histoire des religions; mthode, nous l'avons vu, essentiellement comparative mme si dans la comparaison chaque chercheur doit s'en remettre aux recherches de ses collgues spcialiss dans les autres secteurs historiques et philologiques, mais galement historiens des religions. l'heure actuelle on n'en est pas encore l ! L'tude de chaque religion s'effectue essentiellement dans le cadre de l'tude de chaque civilisation; il peut, tout au plus, arriver que d'minents celtisants se spcialisent dans l'tude des religions celtes, des assyriologues dans celles des religions msopotamiennes. Mais, lorsque ce qui est aujourd'hui un phnomne sporadique deviendra plus frquent, quand les historiens des religions, conscients de la problmatique et de la mthodologie de leur discipline et, partant de celle-ci, se spcialiseront, par ncessit, dans des secteurs philologiques particuliers en vue d'insrer la religion tudie dans l'histoire des religions conue comme discipline autonome, la situation changera; la varit des instruments n'empchera plus l'utilisation d'un langage commun, d'une problmatique et d'une mthodologie communes, de sorte que la comparaison elle-mme, poursuivie en commun, deviendra de plus en plus sre et de mieux en mieux fonde. L'histoire des religions acquerra ainsi, au-del de l'uvre ncessairement limite de chaque chercheur, des bases toujours plus solides et plus vastes.

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