Résumé

Laromancevampirelaplusérotiquedumoment!

Ilssontdescentainesautourdemoidevantcetteimmensepierretantconvoitée.Tous,aufildutemps,sontdevenusdesamisetdevéritablesalliés,prêts,commemoi,àlaisserleurviedanslecombatquivafaireragetoutàl’heure.Monémotiongrimpesoudaind’uncrantandisque je couve du regard le sublime vampire qui s’approche du monument de granit. Desfrissons me parcourent, les battements de mon cœur s’accélèrent. On dit que le dangeraiguiseparfoisledésiretjesuisentraindelevérifier…Jem’appelleLilyCooper,j’ai25ansaujourd’hui.Et rien,vraiment rien,nem’avaitpréparéeà toutcelaenarrivantàYesterday,cettepetitebourgadetranquilleduNewHampshire…

Plongez dans une histoire envoûtante où Lily Cooper et Isaac Shine, l’alchimistemultimilliardaire, vont découvrir malgré eux que l’amour peut être la plus puissante desmagies!

BloodyLily–Sousl’empriseduvampireVol.6sur12.

1.UnvampirenomméTobyLitell

Ilestplusdeminuit, jepeuxpresquesentir lesondesdutéléphoneportablecolléàmonoreille,mon corps n’est que frissons,mon cœur bat la chamade et je ne suis pas certained’avoirsaisilateneurdespropostenusparWilmaAstair.

—Qu’est-ce…qu’est-cequetuviensdedire,Wilma?

—Jecroissavoirquiesttonvraipère,répète-t-elle.

Je serre le smartphonedansmamain,m’efforcede contrôler le troublequi s’emparedemoi. Je passe le doigt sur le bout de papier queWilma a dû glisser dans la poche demonblousonquandnousnoussommescroiséesàlafac.Leslettresarrondiestracéesparlajeunefemmedansentdevantmesyeux:

Jesaisdeschosesquejenepeuxdirequ’àtoi…

C’est à cause de cemessagemystérieux que,malgré l’heure tardive, je n’ai pas hésité àcomposerlenuméroindiquéàsasuite.Àprésent,j’aipeurdenepasarriveràm’exprimer,lesmots sont bloqués dans ma gorge, je suis à la fois effrayée par la situation et follementdésireused’écouterWilmameparlerdemon…pèrebiologique.Commentpeut-elledétenirdesinformationssurcettepersonnequejen’aimoi-mêmejamaisconnue?Desenceintesdemonordinateur,lavoixdeKurtCobainfredonnelerefraindeAboutAGirl,j’inspiredel’air,puisexpire,avantdelâcherd’unevoixétranglée:

—Raconte-moi,jen’ycomprendsrien.

Un court silence s’ensuit, qui me semble néanmoins interminable, et durant lequelj’entendslebourdonnementobsédantdufluxsanguinpulsantdansmestympans.

Wilmas’éclaircitenfinlavoix:

— J’imagine que c’est difficile à croire, Lily, mais ton père est un vampire mythiquenomméTobyLitell.

Autour de moi, le temps se fige. Ces paroles prononcées d’une voix naturelle par monénigmatiqueinterlocutriceontsurmoiuneffetparalysant.Moi,LilyCooper,jeseraislafilled’un…vampire.J’ail’impressiond’étouffer,c’estimpossible!

Inimaginable!

Wilmasetrompecertainementdepersonne.Oualorselleestcomplètement…folle.

—Lily?Tuestoujourslà?

—Arrêtede temoquerdemoi, répliquai-je surun tonhésitant.Jene saispasceque tucherchesmais…

—Jenememoquepasdetoi,coupe-t-ellegentiment.Etjenechercherien.Jeveuxjustet’aider.Tucomprends?

Jen’enpeuxplusdecomprendre,là,c’esttrop!

—Alorsdisonsqu’ildoityavoiruneerreur,c’estinsensé,je…

Jem’interromps,brusquement trèsmalà l’aise.Wilmaa l’airvraiment sérieuseet jenesais plus quoi dire. J’ai envie de me boucher les oreilles, de disparaître sous terre, dem’endormiretdemeréveillerlongtempsaprès…Àlafinducauchemar!

—Crois-moi,Lily,jen’inventerien.Tonpèreadisparulejourdetanaissance,ilyavingt-cinqans.

Jesuisbouleversée.CommentWilmapeut-elleêtreaufaitdetelleschosessurmoi?Etsic’estvrai,suis-jehumaine?Ouest-cequecelafaitdemoiunmonstre?

Leportabletoujoursplaquéàl’oreille,jemedirigeverslasalledebainspourm’observerdanslemiroir.J’inspectemesyeux,mesdents…toutestnormal.Pasderegardlumineux,pasdecrocs,c’estrassurant.

—Etmamèrealors,quiest-elle?

Unnouveausilences’installeentrenous,commesiWilmahésitaitàmerépondre.Depuisledébutdenotreconversation,jepeuxsentirqu’ellechercheàm’épargnerdanssafaçondeprésenterleschoses.Etc’estbiencequim’inquiète.Jesuisquasimentcertainequ’ellen’estpasdugenreàfairecetypedeblagues.Elleprendmêmelapeinedem’annoncerchaqueinfoaucompte-gouttes,commepourmelaisserletempsdedigérerl’impensable.

—Jesuisdésolée,répond-elle,maistamèreestmorteentemettantaumonde.

Jefermelesyeux.C’estunpetitcoupdepoignarddansmesentrailles,commeunedouleurinattendue. Je ne devrais pas en être si affectée puisque j’ai tiré un trait surmes parentsbiologiques.Mesparentsadoptifsm’ontaiméeetm’aimenttoujourscommeleurproprefille.Orjeressensmalgrétoutuninattenduetimmensevideenmoi.Lafemmequim’amiseaumonde,c’étaitquandmêmemapremièremaman!Ellen’apaseuletempsdel’être.Etjenepeuxmêmeplusluienvouloirdem’avoirabandonnéepuisqueteln’estpaslecas.

— Mais comment… enfin comment sais-tu tout cela ? dis-je d’une voix étranglée. Lesquestionssebousculentdansmatête,jenesaisplusparoùcommencer.

— Tum’as dit quemon père, enfin Toby Litell, avait disparu. Est-ce que tu sais s’il esttoujoursvivant?Dis-moi!

Montonestpresqueagressif,jesuissurladéfensive,maisWilman’enprendpasombrage.Ellemechuchotesansattendre:

—Non,pasautéléphone,Lily,çapourraitêtredangereux.

—Wilma,pourquoiceseraitdangereux?

—Soispatiente,Lily,s’ilteplaît.Voyons-nouslundiàlafacsituesd’accord?Etsurtoutjenet’airiendit,tum’entends?

Est-cequeWilmaserendbiencomptedel’étatdanslequeljesuisplongée?Imagine-t-ellequejevaispouvoirpassermondimanchesansruminercesincroyablesrévélations?

Lundi?Commentvais-jefairepourpatienterjusqu’à…lundi?

—Nedisàpersonnequenousavonsparlétouteslesdeux,insiste-t-elle,jecomptesurtoi.

Sachantque jenepourrai plus rien tirerd’elle au téléphone, je lui prometsde garder lesecretetm’enquiersdel’horaireauquelellecomptemeretrouverlundi.

—Entredeuxcoursdumatin,propose-t-elle.À10heuresàlabibliothèque,nousyseronstranquilles.

—Trèsbien,dis-jed’unevoixquimefaitpenseràcelled’unautomate.

Jenesaispasquoirépondred’autreenfait.Jesuistellementécraséepar lepoidsdecesnouvellesquej’ailasensationd’êtredépossédéedelamoindreoncedevolonté.

—Àlundi,Lily,conclutWilmaavantderaccrocher.

Sur lemoment, j’ai l’envie folle de relancer l’appel pour la secouer etme forcer à toutm’expliquertoutdesuite.J’aienviedeluicrierqu’ellen’apasledroitdemefairelanguir.Etpuis je pense que si mon père, au cas où il s’agirait vraiment de lui, est un vampire, laprobabilité est forte qu’il soit encore bel et bien vivant. Cette idée ahurissanteme flanqueaussitôt le vertige. Moi, Lily Cooper, j’aurais un père vampire caché quelque part en cemonde?J’ail’impressiond’êtreunepileélectrique,jesuisincapabledemeposer.Etjesaisd’avancequem’allongerpouressayerdedormirneserviraitstrictementàrien.

BesoindevoirIsaac…

Je glisse mon portable dans la poche intérieure de mon blouson que j’enfile sans plustarder,attrapemoncasque,claquelaportedustudioetenfinjerejoinslaHarleypourmettrelecapsurlafac.

Lebitumesedéroulesouslefaisceautremblantdemonphare,j’ailasensationd’évoluerdansunétrange jeuvidéo.Detempsàautre,parmi lesarbres fantomatiques, j’aperçoisdeschouettes perchées sur leurs branches. Leurs yeux clignotants semblent me juger avecsévérité comme si lemoteurde laHarley lesdérangeait.L’air est presque tiède, j’aimêmechaudsousmonblouson.Etlaroutemeparaîtinterminable.

***

Dèsqu’Isaacm’ouvreavecunairàlafoissurprisetréjoui, jemejettedanssesbras.Ilaencore legoûtdusablesursapeau.Des imagesdenotreplaisirquelquesheuresplus tôtàEnding Beach me reviennent. À cette heure avancée de la nuit, il règne une atmosphèreparticulièredansl’espacedulabo:çàetlà,quelqueslampesdetableéclairentlavastepièce,créantdemystérieuxhalosdelumièreorangée.Onsecroiraitdansundécordecinéma,avantletournaged’uneséquencedefilmfantastique.Kurt,sonassociéetami,n’apasl’aird’êtrelàoubieniltravaillepeut-êtredansunepièceattenante.

— Que se passe-t-il, miña linda ? murmure Isaac dans mes cheveux. Tu semblesbouleversée.

Je demeure quelques secondes silencieuse, à profiter du bonheur d’être lovée dans sesbras,àrespirersonparfumetressentirlachaleurdesoncorps.Jesuisbienprèsd’Isaac.

Il me fixe avec attention tandis que je lui parle enfin demes parents. Je n’évoque pasWilmaquim’afaitpromettredegardersecrètenotreconversationtéléphonique.Jem’efforcedenepaspenserqu’omettredeconfiercertaineschosesàIsaacestunefaçondeluimentir.Et jen’aimepas ça. Je commencepar lui raconterquemamère estmorte en couches.Unvoile d’étonnement et de tristesse passe aumême instant sur le visage du prince duNewHampshire. Je sens qu’il est plus que surpris par cette nouvelle et je sais qu’il pense à sapropremère,décédéedelamêmefaçon.Puisilsereprend,penchelatêtesurlecôtéquandjeluiapprendsquemonpèreseraitunvampireconnusouslenomdeTobyLitell.Ilreculed’unpas,commeprisaudépourvu,sepasselesmainsdanslescheveux.Uneridebarresonlargefront,ilesttrèsbeau.

—Tunelesavaispas,Isaac?

Maquestionestsérieuse,saréponseassuréel’esttoutautant.

—Comment pourrais-je le savoir, Lily ? Et puis crois-tu que je t’aurais caché une telleinformationsij’avaisétéaucourant?

Jehausse les épaules. Jene sais pas. Isaac est parfois si secret. Il aurait très bienpu lesavoiretdéciderdese tairepournepasm’effrayer.Cequiauraitétécompréhensible.C’estassezécrasantd’apprendredujouraulendemainqu’onestsansdoutelafilled’unvampire.J’observeIsaac.S’ilnelaisserientransparaître,jedevinequecettenouvellelesecoue.

—C’estjustequetuesunvampire,Isaac,dis-jeavecunepetitevoix.Etjemesuisditquetuavaispeut-êtredéjàrencontrémon…père!

J’aiunmal fouà considérer cepostulat. J’enveuxpresqueàWilmapour sa confession.Avant, j’étais tranquille, habituée à cette triste idéequemesparentsbiologiquesm’avaientabandonnée.Etmaintenant,jesuiscontrainted’admettrequemamèreestmorteaumomentoùj’aipoussémonpremiercrietd’envisagerquemonpèreestunvampirecachéjenesaisoù.Isaacposesamainsurmonépauleetjefrissonne.J’aibesoindesoncontact,surtoutàcetinstant.J’ail’impressiond’existerquandilestlà.

— Tu sais, Lily, tous les vampires ne se connaissent pas, murmure-t-il de sa voixenveloppante.Encesens,noussommescommeleshumains,nousentretenonsdesrelationsavec lesgensavecquinousavonsdebonnesrelations.Pourenreveniràtonpère…enfinàTobyLitell,cenommeditquelquechose…QuandonestarrivésavecSavannahàYesterday,ilhabitaitdéjàlà.Maisjen’aipasdesouvenirsplusprécis.Ilestpartid’iciilyalongtemps…peut-êtreàl’époqueoùSavannahadisparuelleaussi.

Isaacesquisseunemimiqueétonnée,avantdepencherlatêtesurlecôté.

— Mais dis-moi, miña linda, explique-moi comment as-tu pu apprendre une tellenouvelle?

Jehausselesépaules.Jem’enveuxdecacherlavéritéàIsaac,maisjen’aipasledroitdetrahirlaconfiancedeWilma.

—C’est-à-dire…j’aidécouvertçadanslelivresurlespierres.

Leregarddubitatifd’Isaacmefaitcomprendrequ’iln’estpasvraimentdupe.C’estcommes’ildevinaitquejeluicachequelquechose,maissonextrêmedélicatesseleconduitànepasinsister. Ce qui semble le plus compter à ses yeux, c’est tout ce que peut impliquer cetterévélation. D’une certaine façon, je ne peux pas m’empêcher de me dire que si je suisvraimentlafilled’unvampire,jesuisplusprochequejamaisd’Isaac.Bienquejenesoispasmoi-mêmeunecréaturesurnaturelle,j’aitoutdemême…unpèrequil’est.Ildoitégalementsentirquetoutcelametourmentecarilm’enlaceetcaressemescheveux.

—Ilfaudrapeut-êtrefairedesrecherchessurTobyLitell,chuchote-t-il.Nousallonsnousenoccuper.

Ilaraison,jedoissavoirquiestmonpère.Jesensl’émotionprêteàmesubmerger.Maisjenedoispas craquer. Il y a aussi tout ceque j’ai découvertdans le livre sur lespierres, surl’étoiledegranit, cettepierremagiquequi semble liéeàmonpassé. Il fautque j’enparleàIsaac.

Jemelibèreàcontrecœurdel’emprisedemonamant,extirpemonportabledemonsacetsélectionne l’applicationphotopour luimontrer lesdeux imagesque j’aiprisesde l’Autelàdesépoquesdifférentesdanslelivresurlespierres.

—Regarde,dis-jeenluitendantmonsmartphone.D’abordlepremiercliché,celuiquiaété

réaliséilyacinquanteans.

Isaacétudieavecintérêtlaphoto,écartantsesdoigtssurl’écranpouragrandirlazoneoùsetrouvelapierre.

—Etmaintenant,regardeledeuxièmeclichédel’Autelphotographiéilyavingt-cinqans.

—Lapierre,murmure-t-ill’airfasciné,ellen’yestplus.

Jem’éclaircislavoixetjeluifaispartdemesréflexions:

—Sitasœur,Savannah,adisparuenmêmetempsquelapierre,commeonpeutlepenseraveclesphotos…etsil’onadmetlefaitqu’ellesoitunegardiennedel’étoiledegranit,ainsiquel’auteurinconnudulivresurlespierresleprétend,onpeutsupposerqu’ellel’aemmenéepour…pour…fairequelquechose…Maisquoi?D’autrepart,ilsembleraitquemon…pèreaitdisparuàlamêmeépoque…Jemedemandedoncs’iln’auraitpasjouéunrôlelà-dedans…lesdatesconcordent,leslieuxconcordent.

—Commentça?Dis-moi,Lily!

Isaacm’observeavecattentiontandisquejepoursuismonraisonnement:

—C’est-à-dire…TobyLitellpourrait-ilêtre liéd’unefaçonoud’uneautreà ladisparitiondetasœur?

Isaac semasse un instant les paupières, avant dem’offrir son regard à tomber. Je lis letroubledanssesyeux.

—Jenesaispas,miñalinda.Pourl’instant,toutsemélangedansmatête.

C’estpareil dans lamienne… lemystère autourdeSavannah,monpère vampiredans lamêmeville.Aurait-ilpu…?Non!jeneveuxpasypenser!

Etpuisquelquechose seproduit soudainenmoi.Est-ce liéau silencequi règnedans lelabo?Est-cedûaufaitqu’Isaacn’estpasenmesuredemedonneruneréponse?Toujoursest-ilquejemesured’unseulcoupavecuneterribleacuitémapossibleimplicationdanscesmystères.

—Etmoi?gémis-jed’unevoixquimecolledesfrissons.Quelestmonrôleexactdanstoutcela?Ilyamonanneauquelessorcièresveulentàtoutprixetcettetachesurmacheville,identique au tatouage de Savannah, cettemarque désignant les gardiennes de l’étoile ! Jeserais donc la gardienne d’un objet qui a disparu et par-dessus lemarchémon père seraitun…vampire!Çafaittropdechosespourquejenesoispaschamboulée,je.Est-cequecelafaitdemoi...unmonstre?J’ai…

Latensionaccumuléeaucoursdesderniersjoursmefaitcraquer.Meslèvresbougentsansqu’aucunsonnedaigneplusensortir.Isaacmeréconforte,sesmainsjouentavecdesmèchesdemescheveux,tandisqu’ilmemurmuredesmotsdoux.

—Peuimportecequ’ontpufairetonpèreouSavannah,celanechangerienàcequetuestoi.Ettun’asriend’unmonstre,crois-moi.

—Maisj’aipeur,Isaac,etc’estcommesijemesentaiscoupablede…

—Chut,tun’escoupablederien.

Jemeplaquecontresoncorpscommesic’étaitmondernierrefugeaumonde.

— Je sais,murmurai-je, je sais que je n’y peux rien, à l’époque je n’étais qu’un bébé dequelques jours, mais... mais j’ai cette impression atroce d’être à l’origine d’un drame, tu

comprends?J’aideplusenpluslasensationdenepasêtrelàparhasard,commesi…j’avaisunrôleàjouer.

Isaacacquiesceetplongesonvisagedansmescheveux.Savoixmeparvient,àlafoisdouceetexaltée:

—Moijesuissûrdurôlequetujouesdansmavie,Lily.

Jememordslalèvre,jusqu’ausang.Songoûtmétalliquenetardepasàsepropagerdansmabouche.Jepenseàmonpèrevampire.Jepenseausangjustement.Etçam’angoisse.JeveuxêtreLilyCooper,jeveuxêtremoi.Jerêved’uneviesimple,sanstropdemystères.Unevieàdécouvriretaimer, loinde l’étrangeuniversdans lequel j’ai ladésagréable impressiondem’immergerpeuàpeu.

—C’estdinguetoutça,dis-jed’unevoixdontledésespoirinhabituelmedéroute.C’estsinoiretoppressant,Isaac.Je…

Leslarmesmemontentauxyeux,dessanglotsmesurprennent.Jecraque.Isaacmebercedanssesbraspuissants,ilmeprotègeetm’accompagnedansmonchagrin.Quandj’essuieleslarmesquicoulentsurmonvisage,jecroisesonregardemplidecompassion.

—Tudisquetuaspeur,chuchote-t-il,maismoijetetrouvetrèscourageuse.Tucherchesàensavoirplus,tutebats!Etturestestoi…avectoncaractère,ajoute-t-ilensouriant.

—Merci, Isaac…Mais c’est juste que c’est si lourd à porter ! Etre liée à tant de chosestellementétranges,ilfauts’habituer,accepter,etcen’estpasfacile.

Isaacembrassemonfront,doucement,longtemps.Cebaisermeréconforte.J’aivraimentplusquejamaisbesoindesatendresse.Etilestlà,parfait.Savoixchaleureuseetrassuranteconfirmecettesensationimmuablequejepeuxcomptersurlui,cettecertitudeinébranlablequenoussommesdeux,pourlemeilleuretpourlepire.

—Laisse-moi t’avouerquelquechoseàmon tour,annonce-t-il sansmequitterdesyeux.Onpeutêtrefortdanslavie,celan’impliquepaspourautantquel’onnesoitpasfragilefaceàunesituation.Avantquetun’arrives,j’étaisauborddugouffre.Jen’enmontraisrien,maisj’étaisécrasépar lacertituded’avoirmanquéquelquechose,d’avoireusans le comprendreunrôledansladisparitiondeSavannah.Lapremièrepersonnequ’onaccusedanslavie,c’esttoujourssoi-même.Ondoutedetout,c’est...humain.

Isaacesquisseunbrefsourirequiilluminelapénombredulabo.

—Etmaintenant que tu es là avecmoi, poursuit-il, je recommence à vivre, à voir de lalumière,làoùtoutétaitsombre.

—C’esttout?dis-jeenplaisantantpourcachermontrouble.

—Ne t’inquiète pas, promet-il à quelques centimètres demabouche, je n’ai pas fini. Jetenais à te dire que tupeux t’appuyer surmoi demêmeque je sais quemoi aussi je peuxcomptersurtoi.Ilyaquelquechosederareentrenous,quelquechosed’exceptionnel.

Quelquechosedemagique…

—Etj’aibesoindetoi,Lily.

Je fonds sur place avec l’impression de m’enfoncer dans un océan de coton. Je croisentendremavoixchuchoter«Moiaussi, j’aibesoindetoi»,maisjen’ensuispascertaine.Mesyeuxsontlourds,jemesenstoutemolleetlégèretandisqu’Isaacmeprenddanssesbraspourmeporterversuncoindulabooùsetientunpetitsofa.Ilm’ydéposeavecdélicatesse.

Jevoudraisleremercier,luidéclarerqu’ilestmagnifiqueetqu’ilmefaitcraquer,maisjen’enaipaslaforce.Jesuis…apaisée.J’ai justeletempsdecomprendrequ’ilvientd’userdesonpouvoirdevampirepourmedétendre.J’entendssavoixquej’aimetellementmemurmurer:

—Faisdebeauxrêves,monamour.Demainestunautrejour…

Mon cœur explose enmille morceaux, un sourire se pose sur mes lèvres, mes yeux sefermentetjem’endors.

2.LaMessagère

Je suis à la terrasse duLiberty, l’un des nombreux cafés du port deYesterday. Le soleils’élèveau-dessusdesvoilierssur lespontsdesquels laviecommenceàs’organiser, l’airesttiède, j’ai quitté Isaac voici une quinzaine de minutes après quelques heures de sommeilréparateursurlesofadulabo.Infatigable,iladécidédepoursuivresesexpériencesavecKurtqui l’a rejoint à l’aube. J’ai choisi quant àmoi de retourner au studio pourme plonger ànouveaudanslalecturedulivresurlespierres.C’estencheminquelaterrassedececafém’aattiréecommeunaimant.L’idéed’unpetitdéjeunerdanslesoleillevantétaitirrésistible!

Mon voisin, un vieil homme aux cheveux gris, se lève de sa chaise en m’adressant unsouriresympathique.Aprèsceluid’Isaacàmonréveil,c’estledeuxièmedelajournéeetc’estbienagréable.Jemerendscomptetroptardqu’ilaoubliésonjournalsurlatable.

Enmepenchantsurlecôté,j’avisequ’ilnes’agitpasduYesterdayNewsmaisduEssentialLife,unepublicationconcurrente.Demachaise,jepeuxenlirelaune,laquelleestconsacréeau malheureux laborantin assassiné la veille dont m’a parlé Kurt. Je ne résiste pas à lapulsion de récupérer le quotidien et de prendre connaissance de l’article en page quatre.L’auteurdupapierévoqueunealliancepossibledessorcièresetdesNobodies, lesvampiresrebellessouslacouped’ErnstWaldorff.Ilvajusqu’àavancerl’hypothèsequ’AllanMarshall,mairedeYesterday,administrateurdel’universitéetpropriétaireduYesterdayNewspourraitêtreleurcomplice.

Ilyvafortquandmême!

Si lejournalisteprécisequec’estunesuppositionétabliesurlabaseducompte-rendudequelques informateurs, il annonceque cet aspect duproblème fera l’objet d’uneprochaineenquêteapprofondie.Jemedisd’abordqu’ilauraitpuattendred’êtresûrdesonfaitavantdeporterdesaccusations,mais il faut reconnaîtrequ’après l’articlediffamatoireduYesterday,onpeuttoutàfaitimaginerqueMarshallnesoitpasblanccommeneige.Iln’apashésitéàcommanderàsonrédacteurenchefd’écriredeschosesfaussessurIsaacetdediscréditersesrecherchesavecKurt.Etcen’étaitpaspours’amuser!Lejournalisteterminesonarticlesansconcessionenassurantqu’unevéritablecriseseprépareàYesterday.Ilécritcettephrasedeconclusionquimedonnelachairdepoule:«Cen’estqueledébutduchaos,l’exécutiondecemalheureuxlaborantinestuntrèsmauvaisprésage.»

Je repose le journal sur la table. L’effet des sourires reçus depuismon réveil s’estomped’un seul coup. Cet article me replace face à la réalité. Si le soleil illumine Yesterday, ilsembleraitqu’ilsetrameeneffetdansl’ombredeschosesbeaucoupmoinsagréables.Jesuisparexempleforcéedeconstaterqueleportestquasimentdésertalorsquelogiquementtoutlemondedevraitêtredehorsàprofiterdubeautemps.Commesilesgensavaientdécidéderesterchezeuxensécurité.

Et en y réfléchissant, le décor a changé depuismon arrivée à Yesterday. Si ce n’est pasflagrant,s’ilflottepourl’heureuneatmosphèred’apparentequiétudedanscepetitparadisduNewHampshire,certainsdétailsnetrompentpas.Surlarouteentrelafacet leLiberty, j’aicroisédescarcassesdevoituresrécemment incendiées, j’aimêmeaperçuquelquesmaisonsbrûlées.Oriln’yavaitriendetoutcelalorsdemespremiersjoursenville.Cetteconstatation

meplongedansunabîmedeperplexité.Entempsnormal,jenepenseraispasunseulinstantàétablirunparallèleentremonarrivéeetcesincidents,maisjenepeuxpasfairel’autruche.

J’auraisbeaumeconvaincrequeKurtetIsaacsetrompentquandilsévoquentcefaitavecune quasi-certitude, j’aurais beaume dire que c’est une histoire entre les Nobodies et lessorcièresquinemeregardeabsolumentpas,celaneserviraitàrien.Mêmesijen’aipasvoulutoutçaetque j’ai l’impressionévidenteden’yêtrepourrien, il se trouvequecertains faitssontlà.Endehorsdescurieuxmessagesquejereçois,quecesoitpardesmotstracésdanslaneigeoupar lavoixdeWilmaAstair, les sorcièressontattiréespar l’anneauque jeporteàl’auriculaire, au point de m’agresser en plein jour ! Cet anneau légué par mes parentsbiologiquesetconfiéàmesparentsadoptifsvoicivingt-cinqansadoncson importance.Lalistenes’arrêtepaslà,ilyatoutlereste:monpèreseraitunvampire,matachedenaissancesur la cheville un tatouage considéré comme la marque des gardiennes de la pierre plusconnuesouslenomd’étoiledegranit.Jenepeuxdoncpasdécemmentfairecommesiderienn’était!

Deretourchezmoi,jemereplongedanslalecturedulivresurlespierrespouressayerd’ytrouverdesréponsesauxquestionsquejemeposeàproposdel’Autel,demonanneauetdetoutlereste.Lesheurespassent,jesuisdeplusenplusmotivée.Lesplaylistsdemonordisesuccèdent. Je cherche, je traque sans coup férir l’info qui nous permettrait de mettre enlumièrecertaineszonesd’ombre.Envain.J’ypasseenfindecomptelajournéeentièresansytrouverlamoindreinformationintéressante.J’aimalauxyeux,j’essuiemêmeunenouvellecriseoculairequim’obligeàmeplierendeux.

Çacommenceàbienfaire,ilfautvraimentquejeconsulteunophtalmo…

Malgré tout jem’accroche, j’oublie également cette douleur lombaire lancinante à forced’êtrepenchéesurlespagesdecesatanébouquin!Oui,parfoiscetouvragemerenddingue.Je maudis en pensée son auteur de ne pas avoir pensé à établir un sommaire et sonimprimeurd’avoiroptépourdescaractèressiminuscules.Jesuisobligéed’avancerpasàpas,ligne à ligne, avec circonspection, si je ne veux pas risquer de passer à côté d’une choseessentielle.Commesicelanesuffisaitpas,unSMSd’Isaacachèvedemedéprimer.

[Nousnepourronspasnousvoircesoir,miñalinda.Kurtetmoi-mêmesommessurunesériede testsassezprenante.Onse retrouvedemain, c’estpromis.Passeunedoucesoirée,repose-toi,soisprudente,jepenseàtoitoujours.]

Jereposeleportablesurlatable.J’auraisquandmêmeappréciéqu’ilm’appelle,rienquepourleplaisird’entendresavoix.Neserait-cequetroissecondes!Jeluienveuxunpeudepassertoutsontempsàtravailler,mêmesijel’admirepoursadétermination.Jecomposeunpetitmessagepourluisouhaiterboncourageetl’embrassertrèsfort.

Il est 20heures, je suis enoverdosedu livre sur lespierres, j’ai besoindemedétendre.D’untruccomme…

UncocktailauBlood&Food.

J’adressed’aborduntextoàmameilleureamiedeSanFrancisco,Samantha,pourluidiresimplement qu’ellememanque, je fais parvenir quelques photos de Yesterday parMMS àmes parents, puis je compose le numéro de Lukas. Je lui propose de me retrouver auBlood&Food.Iln’hésitepasunseulinstant.Etjemedisquec’estvraimentmonpremierami.Ilacomprisquej’avaisbesoindemechangerlesidées.

NouspassonsdeuxbonnesheuresàparlerensirotantunArrivederciFellini,moncocktail

préféré.Nousrions,parlonsdetoutetderien.Etçamefaitunbienfou.

Pasuninstant,jen’évoquelesincidentsétrangesquiseproduisentdansmavie.Jeneveuxpasl’impliquerd’unequelconquemanièrequecesoit.

Àmonretour,jemesensplusdétendue.JedécouvreunSMSdeSamanthaquimerépondqu’ellepenseàmoiaussi.Etunpetitmotdouxd’Isaacs’inquiétantdemonbien-être.Jeluirépondsqueçavamieux,quej’aibuunverreavecLukasauBlood&Foodetquejem’apprêteàmecoucher.Saréponsenetardepas.

[Jet’embrassedetoutesmesforcesetdetoutmoncœur,miñalinda.Àdemainquiestunautrejour…]

J’espèrevraimentquedemainseradifférent…

***

Lelendemain,auréveil,uneimpatienceinhabituelleanimechacundemesgestes.Jesuisfébrile. Le soleil illumine le studio et je ne pense qu’à une chose : retrouverWilma à labibliothèquedel’université.Aprèsunpassageéclairdanslasalledebains,jem’habille,avaleuncaféàlahâte,passemonblousonetsorsdechezmoi.Jen’aijamaisétésipressée.

Tandisquejerouleverslafac,jerepenseàLukasquim’abienfaitrireenmeracontantsescoursdeconduiteàmoto.Ildoitpassersonpermisdansquelquesjoursetjeferaisbiendeluidonnerdeuxoutroisconseilssupplémentairespourqu’ilassure.

Arrivéesurlecampus,jebéquillelaHarleyàcôtéducombiVolkswagendeKurtEpstein.EtjeconstateavecunpetitpincementaucœurquelaFerrarid’Isaacn’estpaslà.

Oùes-tu,princeduNewHampshire?

J’aidumal àmeconcentrerpendant le coursde chimiequenousdonneun intervenantextérieurqui aunenette tendanceàbégayer.Cen’estpasde sa fautemais la chimien’estdéjàpasmonfortetc’estassezdifficiledecomprendrequandlesmotsneviennentpastoutseuls.J’aipresquemalpourcethommesansâgequis’efforcedeterminersesphrases tantbienquemal.Autourdemoi,certainsétudiantssemoquent.Jetrouvequec’estdéplacédeleur part. D’ordinaire, je leur tomberais sur le col pour leur demander quelle serait leurréaction si l’on riait d’eux pour une raison ou une autre. Mais là, je suis ailleurs. Je fixel’écrandemonportableoùlesminutessemblentprendredesheuresàsesuccéder.J’attendslemomentoùjeverraislepassagede09:59à10:00etoùjejailliraidemonbancd’amphipour filer telle une fusée vers la bibliothèque. Lukas ne manque pas de remarquer monagitation.Ilsepencheversmoi,mefixeavecunaircurieux.

—Tuessûrequeçava?

—OuiLukas,pourquoi?

—C’estjustequetuasl’aird’avoirdesfourmissouslesfesses!

—Disonsque j’aidumalàmeconcentrercematin,avouai-jeensouriantà cette image.Déjàquelachimie,c’estchaudpourmoi,alorscommeça,c’estencoreplusdélicat.

—Je-je…jetecom-comprends,plaisante-t-il.

—Non,pastoiLukas.

Ilébouriffesatignasserousseetacquiesce.

—Tuasraison,c’étaitplusfortquemoi.

Je lui souris. Lukas n’est pas comme les autres. Il n’a pas fait ça parméchanceté, justepour me dérider un peu. Quand les chiffres tant attendus s’affichent sur l’écran de monsmartphone,jedécolledemonbanc.

—Àtoutàl’heureLukas,j’aiuntrucimportantàfaire.

—Commed’habitude!s’exclame-t-ilsuruntonblasé.

Jen’aipasletempsdeluirépondre.Surtoutqu’ilaraison.Jesuisdéjàdanslescouloirs.Jecours,moncœurbatfort,j’aihâtedesavoircequeWilmaAstairapromisdemedire.

J’ouvre la porte en frissonnant, le silence est impressionnant. Plus encore qu’àl’accoutumée, l’espace de la bibliothèque m’évoque un lieu sacré : il ne manque que lesvolutesd’encensetonauraitpresqueenviedes’agenouillerpourserecueillir,enivréparlesfragrances du bois ciré. La silhouette immobile et intemporelle de la jeune femme quim’attenddéjàajouteàcetteimpressiondemetrouverailleurs.

—BonjourLily,commence-t-elle.

—BonjourWilma,fais-jeenm’approchantlentement,commesijecraignaisquedesgestestropbrusquespuissentlafairedisparaîtred’unseulcoup.

—Tuesunpeuremisedemarévélation?s’enquiertWilmadebutenblanc.

Jem’installesurunechaisefaceàelle.Jemesenscommeuneélèveeninstancedepasserunexamencapital.Jen’enmènepaslarge.J’aienvied’ensavoirplusetenmêmetempsj’aipeurdecequ’elles’apprêteàmedire.

—C’est difficile à accepter, dis-je d’une voix faible et peu assurée.Pour êtrehonnête, jesuiscomplètementlarguée.

Wilmam’offreunsourirediscret.Sesmainssontposéessurlatableenboisprécieuxquinous sépare. Sesdoigts sont fins, ses ongles longs et vernis dedifférentes couleurs, ce quidétonneplutôtavecl’apparenceaustèredelajeunefemme.Commeellem’observeaveccetteinsistancequilacaractérisemaisqu’ellenemeditrien,jem’éclaircislavoix:

—Quies-tuexactement?demandai-jeàvoixbasse.

Wilmasemordl’intérieurdesjoues.

—Unesortede…messagère.Unemessagère?

—Pourrais-tu…pourrais-tum’endireunpeuplus?

Seslongsdoigtsseposentdoucementsurmesmainsetjefrissonne.Ondiraitqu’elleveutétablirunesortedecontact..corporel.Çamemetmalàl’aise,maisjen’osepasbouger.

—Jesuislàpourt’aider,répète-t-elle.Quelqu’unsesertdemoicommemessagère,maiscen’estpasfacileàmaîtriser.C’estcommeunpouvoirquimeseraitconféré.Jusqu’àtonarrivéeàYesterday,riendetelnes’étaitproduitenmoi.J’enaiétélapremièresurprise.Lefaitestquej’aireçucommeunappel,çaressemblaitàdesvoixquimeparlaient,medemandaientdeleurrendreservice.J’aid’abordfaitsemblantdenerienentendre,j’aimêmepenséquec’étaitliéausurmenage.Jetravailleeneffetbeaucouppourréussirmesétudes.Etpuis,voilà,cesvoixexistaientvraiment.Jelesailaisséess’installerenmoi.

Wilmas’interromptetchuchote:

—Tudoismeprendrepourunefolle,non?

Jesecouelatête.C’estsurréaliste,ça,c’estcertain,maisjepensequeWilma,elle,estsained’esprit. Sa façon de m’expliquer l’impensable m’inspire confiance. Elle est elle-mêmeintriguéepar cettemystérieusemissiondontelle se sent investie,maiselleassumece rôleinattenduetjelarespected’êtrehonnêteavecmoi.

Jesorsavecunvampire,j’aiunamiguérisseur,jecôtoiedessorcières,alorspourquoipasunemessagère?

— Je n’ai pas réfléchi, ajoute-t-elle. Je savais d’avance queme poser trop de questionsm’auraitparalysée.Dèsquejet’aivue,j’aicomprisques’ilfallaitt’aider,j’iraisjusqu’auboutquitteàcequemavieensoitbouleversée.J’aisutoutdesuitequequoiqu’ilarrive,jen’avaispasledroitdefairelasourdeoreille.

Noussourionstoutesdeuxnerveusementdecejeudemotsinvolontaire.Difficileeneffetdefairelasourdeoreillequandonentenddesvoix!

—Mais je te le redis, Lily, cela doit rester entre nous. Personne ne doit savoir ce qu’ilm’arrive.

Je comprends alors que malgré son calme apparent,Wilma est écrasée par ce pouvoir.Danssesyeuxquiclignent,jedevinequesonassurances’effrite,qu’elletentedefairebonnefiguremaisqu’ils’agitlàd’unelourdetâchepourunejeunefemmedesonâge.Riennel’avaitpréparée à un tel phénomène. Il faut dire que cela doit être particulièrement traumatisantd’entendredesvoixquivousdemandentdel’aideetdecomprendrequ’iln’yapasmoyendes’ydérober.

—J’aimeraistantqueças’arrête,gémit-elle.J’aimeraistantquetupuissesm’aideràfairepartircesvoix,situsavais.

Jenepeuxmalheureusementrienfairepourelle.Jenesuisnisorcièrenimagicienneouquoi que ce soit d’autre. Je suis juste Lily Cooper, étudiante en biologie, complètementdépasséeparlesévénements.

—D’unautrecôté,poursuitWilma,jesaisquec’estimportantpourlesvoixquejepuisseleurrendre…service.Etpourtoiaussi,Lily.

Wilmas’interromptetcachesonvisagedanssesmains.Ellen’enrevientpaselle-mêmedeprononcercesmots.Çaluiparaîtsansdouteaussifouqu’àmoi.Jerepenseàcettesensationéprouvéechaquefoisquejemeretrouveenprésencedulivresurlespierres.Biensûr,ilneme parle pas, mais il m’appelle vraiment, d’une certaine façon. Il flotte décidément unindubitableparfumdemystèredanscettezoneduNewHampshire.

— J’aimerais pouvoir te soulager, murmurai-je, mais je n’ai aucun pouvoir dans cedomaine.Jevoudraisbiendécouvrirquit’adressecesmessages.Est-cemonpère?Unerusedesorcière?Ouquelqu’und’autre?

Wilmasecouelatête.

— Comme toi, j’ai imaginé qu’il pouvait s’agir des sorcières, qu’elles essayaient dem’envoûter pour t’atteindre. C’était tellement bizarre que je me demandais vraiment siquelqu’unnem’avaitpasjetéunsort!Pourmeforceràtefairedumal,àtefragiliser,maisjenepensepasquecesoitpossible.Jen’aijamaisétéencontactavecelles,jepasseleplusclairdemontempsdanscettebibliothèqueouchezmoi,lenezplongédansleslivres.Jecroisqueles personnes qui m’ont choisie pour que je devienne une messagère, je crois que ces

personnescherchaientl’individuleplusdiscretetleplussecretdeYesterday.

Ellem’offreunregardunpeuperdu,puiselleajoute:

—Non,Lily,jecroisvraimentqu’onchercheàt’aider.Etc’estmoiquelesvoixontchoisiepourfairepasserlesinformations.

Je veux bien abonder dans son sens. Mais qui sont ces personnes ? Et pourquoi nedonnent-ellespasdesinfosplusprécises?

—Comments’appelaitmamère?Etpourquoim’as-tuditqueTobyLitellétaitmythique?Est-cequ’ilss’aimaient?Wilma,s’ilteplaît,dis-moiquiilsétaient?

—Jen’enaiaucuneidée,Lily!Lesvoix…ellesnem’ontpasdonnéplusd’indications…Jenelescontrôlepas,tusais.Jesuisdésolée.

— Est-ce que… l’une de ces voix t’aurait-elle parlé du dolmen par hasard ? hasardai-je,désespéréeden’obteniraucuneréponse.

Jeluidésignedanslemêmetempsl’anneauàmonauriculaire.

—Oudeçapeut-être?

Wilmasecoue la têteet jevoisdanssonattitudequ’elleest sincèrementdésolée.Autantquejesuismoi-mêmedéçue.Ledosvoûté,ellesoupire.

—SeulTobyLitellpourraitsavoirmaisiladisparu,cequimefaitpenserquelesmessagesviennentd’uneautrepersonne,d’unintermédiairepeut-être.Àvraidire,jen’ensaisrien.

Jememords la lèvre inférieure.Et j’ai aussi très enviedem’arracher les cheveux.À cetinstant précis, je me dis que je donnerais bien mon anneau pour retrouver la trace deSavannahetTobyLitell.Jesuisunpeudésespérée.

—C’estquandmêmeundrôledepèreceluiquimelaissem’enliserdansunmarécagedequestionssansréponse,murmurai-je.

Wilmam’offreunregardemplidecompassion.

—Jenesaispasquoitedire,Lily.Peut-êtrequetonpèreasesraisonsdedemeurersecret.Jecroisque…c’est-à-dire,ilsemblequetusoisendanger…Jesuisdésolée,c’estlateneurdespenséesquejereçois,qu’ils’agissedeSavannah,detonpèreoudequicesoitd’autre.Ellessont…insistantes…Terriblement.

—S’ilteplaît,Wilma,viens-enaufait.

Je n’arrive pas à croire quenous ayons une telle conversation.Normalement, je devraisfuir,signifieràWilmaquej’enaiassezentenduetqueceladevientn’importequoi.Maisjesuisdéjàembarquéedanscettehistoire,mêmesijem’efforcedefairelapartdeschoses.Lepire,c’estquejen’arrivepasàêtreterrorisée,alorsquej’auraistouteslesraisonsdel’être.

— Les sorcières de Yesterday sont revenues pour toi, lâche-t-elle… Et pour l’étoile degranit...

Jerestemuette,observantWilmad’unairébahi.Querépondreàcela?Jepressensquecenesontpasdesparolesenl’air.J’aimêmeeul’occasiond’expérimenterladéterminationdeMaraetsessbires.

—L’étoiledegranit?Tusaiscequec’estetoùelleest?

— Lily, je… non…Encore une fois, je ne sais pas. C’est unmessage que je dois te fairepasser.Jen’ensaispasplus.

LeslèvresdeWilmatremblent, jemesureàquelpointceladoitêtredifficilepourelledemeconfiertoutcela.Jepensesoudainàquelquechose.

—Tuprétendsquecesontlesvoixquitedisentceschoses,n’est-cepas?

Wilmaacquiesceetjepoursuis:

—Sicesvoixentrententoi,crois-tuqu’ilseraitpossiblequetuleurparles,quetuentresencontactavecelles?

Jelaissepasserunmomenttoutenmefaisantlaréflexionquejesuisvraimententraindedélirer.Jeviensdedemanderàunefillequientenddesvoixdeparleravecelles.LeregarddeWilma se crispe, ses lèvres tremblent de plus en plus sans qu’aucun son n’en sorte. Ellesemble…terrorisée.

—Jenepeuxpas,Lily,finit-elleparavouer…Je…jeneveuxpas,çamefaittroppeur.Jesuisjuste…unemessagère.Pardonne-moi,jedois.

Sansplusattendre,elleselèveetsedirigeverslasortie.Elles’enfuitpresque.Jelasuisduregard enme faisant la réflexionqu’elle est réellement enpanique.Aumoment de quitterl’espacefeutrédelabibliothèque,ellesetourneetannoncesuruntonapeuré:

—Jenet’abandonnepas,mais…nem’endemandepastrop.Jetediraicequej’apprendsaufuretàmesure,ça,jem’yengage.Maisjet’ensupplie,promets-moidenedireàpersonnecequ’ilm’arrive.

Jem’efforcedeluiadresserunsourireréconfortantmaisj’aiplusl’impressionqu’ils’agitd’unegrimace.Tandisqu’elledisparaîtdemonchampdevision,jem’affalesurmachaiseensoupirantcommeunballonquisedégonfle.JemedemandesijenedevraisquandmêmepasenparleravecIsaacmaisj’aviseégalementquecelarisqueraitdemettreWilmaendanger.

Non,jenepeuxpasfaireça!

D’un autre côté, puis-je espérer construire une relation surdesmensonges ? Je tapedupoingsurlatableetjemeretiensdepousserunhurlementpourmelibérerdetoutcestress.Jeplacemonvisagedansmesmains,jesuiscomplètementabattue.Jesuismêmeentraindemedemandersiavectouscesmystères,Isaacetmoiavonstoujoursunerelation.Ilyasansarrêt de nouveaux secrets qui viennent rompre l’harmonie, sans parler de nos recherchesrespectivesquinousprennentbeaucoupdetempsetnousempêchentdenousvoirquandbonnoussemble.Quandj’ypense,nouspassonsnotretempsdanslepasséàfairedesrecherchesetl’avenirnes’annoncepasmieux.

Maisc’estpourtantdanslepasséquenoustrouveronslasolution.

UnSMSmeparvient.C’estIsaacquimeproposeundéjeuneravecKurtàlacafétéria.Jenepeux pasm’empêcher de sourire à l’idée qu’ilme propose un truc tout simple, bien ancrédans le présent, juste pour être ensemble. Le cours suivant a été annulé, je dispose doncd’une petite heure pour faire des recherches avant de les retrouver. Je compose un petittexto:

[C’estd’accord.Àtoutàl’heure.Moiaussi,jepenseàtoi.Jet’embrassefort.]

C’estalorsquemonregardaccrocheunrayonnageenhauteuroùs’alignentdesclasseursserréscommedessardines.

3.Jeneveuxpasquetudisparaisses

IsaacetKurtsontinstallésdansuncoinisolédelacafétériaquiestbondée.Isaactournelesyeuxversmoicommes’ilm’avaitsentieavantmêmequej’apparaissedanssonchampdevision.Sonregarddefélinm’hypnotise.IlesttrèsséduisantavecsonjeanetsonT-shirtblancqui épouse les reliefs avantageuxde son corps. J’avance vers lui enpensantque j’aimeraisqueletempss’arrêteautourdenouspourquenouspuissionsnousembrasseràloisir.Jesuisenmanquedelui.Surtoutencemomentoùtantdechosesétrangesseproduisent.C’estunesensationquimerendpresquefragile.Jemeserreuninstantcontrelui.Cecontactm’apaiseautantqu’ilm’émeut.Par-dessus sonépaule, j’adresseun sourire àKurtquinousobserve,l’air attendri. Isaacm’invite àm’asseoir. Les enceintes de la cafétéria diffusent You Don’tKnowMyNameparAliciaKeys.

—VousallezbienLily?demandeKurt.

—Oui,merci,dis-jeenposantunpaquetdephotocopiessurleurpetitetable.Etvoicimadernièredécouverte.J’aisurlignélesquelquespassagesimportants.

IsaacetKurtsepenchentd’unseuletmêmeélansurlesdocumentsquej’aipréparésavantdelesrejoindre.J’attendsleurréactionavecimpatience.Jem’égareuninstantenobservantlesgrandesmainsd’Isaacposéessurlatable.J’aienviedelessentirsurmoi.

Tumemanques,tusais…

Isaac lève les yeux vers moi. Le bleu cobalt de ses yeux me chavire et son sourire deconnivencelaisseàpenserqu’ilressentmondésir.IlpasseunemaindanssescheveuxetmedésignelesphotocopiessurlesquellesKurtdemeurepenchédansunsilencequasireligieux,commeinsensibleauxvocalisestorridesd’AliciaKeys.Isaacpointel’indexsurlesdocumentsenmedécochantunregardemplid’admiration.

—Oùas-tu trouvé cela ? s’étonne-t-il.Comment tu t’yprendspour toujoursdénicher letrucimportant?

—C’estencherchantunouvragecitéenréférencedanslelivresurlespierres,expliquai-je.Jesuis tombéesurunrayonnageenhauteuroùétaient stockésdesclasseurscontenantdevieillescoupuresdejournaux.Personnen’adûlesconsulterdepuisuncertaintemps,c’étaitunrepairedepoussièreetdetoilesd’araignées.

Isaacpassel’indexsurl’arêtedesonnez,puisilsaisitl’unedesphotocopiespourenlireàvoixhauteunpassagesurlignéauStabilo:

—Hier, en fin d’après-midi, le climat de Yesterday dans leNewHampshire s’est trouvébrusquementbouleversé.Le soleil a semblé s’éteindre tandisquedeviolentesbourrasquesarrachaient letoitdecertaineshabitationsetcausaientdemultiplescollisionssurleréseauroutier.

Laneigeasuivi,accompagnéed’uneextrêmevaguede froid.Notonsqu’un tel climatestune anomalie au mois de septembre. Après enquête des pouvoirs publics, nous pouvonsdécréterdesourcesûrequecettemétéocalamiteuseaeulieuaumêmemomentquel’arrivéesubite d’un groupe de femmes vêtues de noir. Les services d’identification de la policeprécisentqu’ils’agitdesorcières.Ellessontinstalléesdansunmanoirauxabordsdelaville.

Prudenceetvigilancesontconseilléesàtousleshabitants.Lepouvoirdecesfemmessembleredoutableetnousavonstouteslesraisonsdepenserqu’ellesn’ontpasfaitçagratuitement.

Isaacs’interrompt,sonregardpasseinvariablementdeKurtàmoi.

—Tuasremarquéladate,Isaac?Ilacquiesce,l’airtourmenté.

—Vingt-cinqanspile,lâche-t-il.Enseptembre!Celas’estproduitlaveilledenotrearrivéeàYesterday.Jusqu’alors,nousvivionsdansunebourgadevoisineavecSavannahetEphrem.Mais notre sœur tenait expressément à se rapprocher de Calum Ferghus qui habitaitYesterday. Et comme il n’était pas question que nous la laissions partir seule, nous noussommesdoncrésolusàfairenosbagagespouryéliredomicile.Savannahvenaitdefêterses25ansetquelquesjoursplustardelleadisparu.

—Enmême tempsque l’étoile de granit apparemment, ajoutai-je, puisqu’elle n’apparaîtplussurl’Autel,dansleclichédulivresurlespierres.

Lesélémentsdupuzzles’imbriquentpeuàpeu.Etjesuisloind’êtrerassurée.MatachedenaissanceàlachevilleestenfaituntatouageidentiqueàceluideSavannah,noussommesenseptembre,jevaisavoir25ansdansquelquesjoursetlessorcièressontrevenuesàYesterdayau moment où je m’y suis moi-même installée. Sans oublier que le temps a égalementbrusquement changé voici quelques jours, au retour de notre déjeuner au restaurant ChezDimitrioùsetrouvaitcommeparhasardJudithBastberg.Jelisdansleregardtroubléd’Isaacqu’il sait la teneur de mes pensées. Et je vois bien à la mine désolée de Kurt qu’unraisonnementsimilaires’articuledanssatête.Lesmotsqu’ilprononcedansunlongsoupirleconfirment:

—Votrevenuerécenteenmêmetempsquelessorcières,Lily,cen’estdéfinitivementplusunecoïncidence.

J’acquiesce, je n’ai strictement rien à opposer à cette déclaration qui sonne comme unverdict.Lamaind’Isaacseposesurlamienne.Cecontacttièdemefaitfrissonnerenmêmetemps qu’il m’apaise. Tout à l’heure, j’ai lu des passages de ces articles machinalement,commeune chercheuse qui s’attache à collecter et regrouper des informations. Je n’ai paspensé à moi. Avec le recul, face au trouble de Kurt et Isaac, je mesure la situation danslaquellejemetrouve.Jenesuisdéfinitivementpasunesimpleétudianteenbiologie.

Jeneveuxpasdetoutça,merde!

LesautresarticlesdécriventlacruautéduchefdesNobodies.Etsesrelationsétroitesaveclessorcières.Lalistedeleursforfaitsaufildesdécenniesestimpressionnante:assassinats,maisons brûlées, véhicules vandalisés…Et si tout s’est tassé avec les années, si la ville deYesterday est peu à peu devenue une bourgade paisible où le traité de paix signé entreMarshall père et Capriccio garantissait la paix entre les humains et les vampires, lesévénements récents tendent à prouver que la situation est en passe de se dégradersérieusement. Je repense à l’agression des sorcières qui en voulaient à mon anneau, à laneigeenseptembre,àl’articlemensongerduYesterdayNews,aumeurtredulaborantin,auxvoix qu’entendWilma Astair qui serait une messagère. En établissant le parallèle avec lepassé,ilapparaîtassezclairementquetoutestentraindesereproduirecommeilyavingt-cinqans.

Desridesbarrentlefrontd’Isaacetilmecouveduregardcommesij’étaislapersonnelaplus importanteaumonde.En tempsnormal, je serais fière,mais là, jenesuispas loindefaireunecrisedepanique.C’estleregardd’unhommequiapeurdeperdrequelquechose.

—Jenesupporteraipasderevivrecequej’aivécuavecSavannah,tusais?

Sa voix est un mélange de tendresse et d’appréhension. Le prince du New Hampshiresemble presque fragile à cet instant. Je ne sais pas quoi répondre, je n’ose pas en fait.J’aimerais juste pouvoir effacer ces instants d’un coup de baguettemagique. Isaac semblealorsretrouverdesonassurancedontj’aitantbesoinquandilselèveetmeprenddanssesbras.

—Jeneveuxpasquetudisparaisses,murmure-t-ilàmonoreille.Moinonplus,jeneveuxpas,jamaisdelavie…

— Tu vas redoubler de prudence, Lily. Je serai là autant que possible, mais quand tucirculeras seule à moto, promets-moi de ne pas commettre d’imprudence. De ne jamaist’arrêter,parexemple, siuneouplusieurs sorcières croisaient tonchemin.Etdene jamaisrienmecacher.

Jesuisd’accordpourtout,saufencequiconcerneWilmaAstair,c’estlaseulechosequejen’aipasledroitderévéler.JeportemonattentionsurKurt,affairéàréunirlesphotocopiesdes coupures de presse. Ses mains tremblent légèrement, il prend sur lui mais je ne l’aijamaisvuaussipréoccupé.

—Jediraismêmequecen’estpasdutoutprudentdevousdéplacerseuletoutsimplement,ajoute-t-ilàmonadressepourenfoncerleclou.

—Jecomprendsquevoussoyeztouslesdeuxtrèsinquiets,répliquai-je,maisquecesoitàpied,àchevalouauguidondemaHarley,faceàdescréaturessurnaturelles,jeneseraisdetoutefaçonnullepartensécurité.

Jem’interrompsetmetourneversIsaac:

—Saufavectoi,biensûr,maisnousnepouvonspasvivrecollésl’unàl’autreaudétrimentdenosrecherches.

Isaacreplaceunemèchedemescheveuxetsusurred’unevoixcraquante:

— Tu as raison, miña linda, mais désormais, je compte bien passer le plus de tempspossibleprèsdetoi.

C’estaumoinsl’avantaged’unetellesituation.

— Le programme me convient, Isaac. J’aimerais vraiment que nous partagions plussouventd’autreschosesquenosrecherches.

Kurts’éclaircitlavoixetannoncesuruntonquimefaitsourire:

—Hum,n’hésitezpasàmediresijesuisdetrop.

Isaacritetc’estunimmenseréconfortdel’entendreselâcherunpeu.Aprèscemomentdetensionpartagée,unpeudedétentenepeutpasnousnuire.Si lasituationestalarmante, ilfauttenterdegarderlatêtefroideetcesserdedramatiseràtoutboutdechamp.Jesensquemon caractère est en passe de reprendre le dessus. Plus que tout, malgré la peur et cesentimentd’êtrelarguée,jedésiretrouverlasolutiondecemystèrequinousencercle.C’estàce prix que nous pourrons espérer faire table rase du passé et profiter du présent dansl’harmonie. L’envie latente de m’enfermer en bibliothèque avant la reprise des cours metaraude. Il y a ce vieil almanach de l’histoire de Yesterdaymentionné dans le livre sur lespierres ! Je rêve de pouvoirmettre lamain dessus. C’est dans la genèse de la ville que jerisquefortdetrouverdesindicesquinouspermettrontdeprogresser.

— Nous devons poursuivre nos recherches, proposai-je. Je vais retourner un peu enbibliothèque.LeregardadmiratifdeKurtetIsaacmeredonneducourage.

—Onsevoitcesoir,d’accord?medemandeIsaacenapartésuruntonirrésistible.

—Oui,Isaac.

Aumomentdeprendrecongéd’eux,Kurtmeretientuninstantetfouilledansunepochedesablouseblanche.

—Tenez,Lily,cesontlesclésdelaréserve.Jemesuisrenducomptequ’ellesn’étaientpassurletrousseauquejevousaiconfiépendantleweek-end.

— Merci, Kurt ! Je crois que je ne vais pas résister à l’envie d’y faire un tourimmédiatement.

Jem’éloigneet jesens leregardd’Isaacdansmondos.C’estcommeunecaressequimedonneenvied’êtreviteàcesoir.

4.Uncadeaudefolie

Laclocheannonçantlafindescoursestunelibération.Jerangemeslivresdansmonsacbesace,àtoutevitesse.Jen’aipassouvenird’avoirécouténosprofesseurssuccessifs.Jen’aid’ailleursprisaucunenote.Etjerisquefortd’avoirunetrèsmauvaisesurpriselorsd’unedenosfuturesévaluations.Enfait,jen’arrêtaispasdepenseràmavisitedelaréserve,unepiècede cinquante mètres carrés remplie de livres et de classeurs. Le tout dans un désordreindescriptible.J’aifouilléauhasard…sansrientrouver.Jen’airécoltéquedelapoussièreetdes toiles d’araignées. Jeme revois glissant le long d’une cloison, dans un lieu sombre oùrégnaitundésespérantcapharnaüm,dépriméeparlamultitudedesdocumentsentassésquisemblaientme défier. Après un petitmoment de découragement, j’ai décidé de ne pasmelaisserabattre.Jemesuis relevéepourmerendreencours.Avantde refermer la réserveàdouble tour, je n’ai pas pum’empêcher demurmurer «Où que tu sois, je compte bien teretrouver».Quandonsaitquejeparlaisàunalmanach,c’estunpeuinquiétant!

C’estcommeça,c’estYesterday…

J’embrasseLukassurlajoueetjefilesansdemandermonreste.

***

JuchéesurlaselledelaHarley,jefoncedésormaisversYesterday.Lesoleilbrillemaisdesnuagesnoirsetmenaçantsseformentdansleciel.UnelumièrepresqueargentéeéclairepeuàpeuleNewHampshire.Lebitumequidéfilesousmesrouesressembleàlongruband’Inox.J’accélère, pressée d’arriver chez moi pour prendre une douche et me changer avant deretrouverIsaac.Ilm’aadresséunSMSprécisantqu’ilpasserameprendreà20heurespourmefaireune…surprise!

Mavieencemomentn’estqu’unesuitedesurprises…

Lesnuagesobscurcissentleciel,voilantinexorablementlesoleil.Jen’aimepasdutoutça.C’estanormalune foisdeplusque le tempschangeaussivite.Quanduncoupde tonnerrecraque soudain sans prévenir, d’une violence inouïe, je sursaute et manque de perdre lecontrôledemamoto.Jem’accrocheauguidontantj’ail’impressionquelaterres’estmiseàtrembler.

Jen’aijamaisvuça,merde!

Jemecourbe,corpsplaquésurleréservoir,pourmeprotégerdesgrêlonsquis’abattentàprésent sur Yesterday et ses environs. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux vieuxarticles retrouvés dans la bibliothèque. Ces phénomènesmétéorologiques si brusques sontparfaitement anormaux. La violence des éléments gifle mon visage et pour une fois jeregretteden’êtrepascoifféed’uncasqueintégral.Desbourrasquesmedéportentetmefontzigzaguer.À ladifficultéde roulerdansde telles conditions s’ajoute la craintegrandissanted’être prise en embuscade par Judith Bastberg et son armée de sorcières. J’ai vraimentchangédepuismonarrivéedans leNewHampshire.Avant, jen’aurais jamais imaginéunechosepareille.Mais ce soir, sur cette routebalayéepar les grêlons, sous lenoir affolant et

oppressantducielquirecouvrelesenvirons, j’aiconsciencequetoutestdevenupossibleetquejepeuxtireruntraitsurmonespoird’unepaisiblevieestudiantine.

Jem’étonnedeparvenirenunseulmorceausurleportdeYesterdayquiressembleàundécordefilmcatastrophetantl’obscuritéluiconfèredesalluresdefindumonde.Etpourlapremièrefois, jesuisheureusederéintégrermonminusculestudio.Ilm’apparaîtd’unseulcoupcommeunvéritablecocon,undouxrefugeoùjevaispouvoirmeremettredecedrôledevoyage. Je me déshabille en grelottant, sursautant malgré moi quand des éclairsapocalyptiqueszèbrentlecieldeYesterday.Lesbillesdeglacemartèlentsanspitiélasurfacedelabaievitrée.

Vite,unedouchechaude!

***

Jeporteunejupecrayontaillehauteensoieivoireetuncorsagenoirsanssoutien-gorge.J’aimelecontactdel’étoffesurmapeaunue.J’écouteensourdineuneplaylistdeNirvanaenattendantl’arrivéed’Isaac.Jesuismaquillée,parfumée,mescheveuxsontcoiffésenchignond’oùquelquesmèches rebelles ondulent en liberté commepour soulignermonpetit côté…sauvage !Ondiraitque jevaisme rendreàundéfilédemode.J’aimecedésirnouveauenmoi,celuidemepréparerpourquelqu’un,d’accomplirceteffort inhabitueld’êtreféminine.JeremercieenpenséeSamanthadem’avoiroffertquelquestenueschicsaumomentdemondépart.C’estfoumaismalgrétoutcequ’ilnousarriveàIsaacetmoi,j’arriveàtirerduplaisirdecespetiteschosesdelavie.

Et jeneregrettepasmeseffortsvestimentaires !LeregarddebraisequemeporteIsaacquandilapparaîtsurlaterrassedustudioesteneffetlaplusbelledesrécompenses.Lagrêlea cessé, le tonnerre a rendu les armes. Sous l’arche d’un arc-en-ciel féerique, le port deYesterdayluitdanslesoleilcouchantetIsaacestsanscontesteleplusbelélémentdudécor!Sonsmokingtaillésurmesureparunorfèvreenlamatièreluiprocurel’allured’unestardecinéma.Jel’imaginesuruneafficheàBroadway.S’ilselançaitdanslecinéma,nuldoutequeleprinceduNewHampshirecrèveraitl’écran.Ilest…somptueux.

Je fais glisser la baie vitrée sur son rail et je le regarde s’approcher demoi. Son sourirerenversant faitvolermillepapillonsdansmonventre. Ilmeserrecontre lui, lapressiondesesmainssurmeshanchesmecombledeplaisir,etilmurmuredesavoixsichaude:

— Vous êtes ravissante, mademoiselle. Cette jupe, ce corsage, ces délicats traits d’eye-liner…

Ses mains remontent sur mon corps frissonnant. L’une se pose enfin sur mon épaule,tandis que l’autre glisse surma joue en tremblant légèrement. Ses paumes sont tièdes etd’unedouceurinfinie.

—Situveuxbienmesuivre,miñalinda,j’aiunesurprisepourtoi.

Jeluiemboîtelepasetfrisel’évanouissementquandjeremarquequ’iladécidédeprendrel’AstonMartin.Ce soir, je sors avec l’agent007, je suisuneJamesBondGirl…La seule etunique,j’espère!

—Alorsçayest,elleroule?

—Non,jel’aipousséedepuischezmoijusqu’ici,plaisante-t-il.

—Elleestmagnifique,dis-jeenriant.

—Oui, réplique-t-il debonnehumeur.Elle est certesunpeu capricieuse,mais c’estuneœuvred’art.Ilfallaitbiençapourunefemmetellequevous,MissCooper.

Jemegargarisedesadélicatesse,sonhumouretsabonnehumeur,tandisqu’ilm’ouvrelaportièrepourm’inviteràprendreplacesurlesiègepassager.L’habitacleestemplid’unsavantmélange de fragrances d’huile et de cuir propre aux voitures de sport à l’ancienne. C’étaitpareildanslavieilleMGdemesparents.Etc’estunbonheurderetrouvercessensations.JerevoismonpèreetsamoustacheàlaErrolFlynn,lesmainsaccrochéesauvolantenbois,mamère à ses côtés, foulard sur la tête, sourire exquis aux lèvres tandis qu’elle l’admiraitconduire. À l’arrière, je les regardais en riant, emplie du sentiment d’être l’enfant le plusheureuxdel’univers.JechérisceskilomètresavalésenfamillesurlesroutesensoleilléesdeCalifornie.Mesparentsadoptifsm’ontvraimentlaissédebeauxsouvenirs.Ilsm’ontdonnélegoût de la route, un petit côté Kerouac qui colle parfaitement à mon état d’esprit.Aujourd’hui,j’aigrandi:jesuisdevantetc’estmoiquiregardeIsaacentraindeconduire.Unspectacledontjenemelasseraijamais.Jemelaissebercerparleronronnementdumoteur,j’observeleprofilàtomberd’unvampirequimeplaîtdeplusenplusetrouleversjenesaisoù.

Tupeuxbienmeconduiren’importeoù,tantquenoussommesensemble…

AuboutdedixminutesderouteausuddeYesterday,Isaacemprunteunealléebordéedesycomoresoùquelquesvillasdesplusluxueusessemblentadmirerlamerencontrebas.C’estun lieu idyllique où règne un silence sans pareil. L’Aston Martin parcourt encore unecentainedemètresavantdes’immobiliserdevantuneimmensemaisontoutencèdrerougequidominelabaiedeYesterday.Ondiraitlavillégiaturedesignd’unarchitecteenvogue.Seslignessontpures,ellesefondmerveilleusementdansledécordeboisetderochesalentour.

—C’est…woaww!

Isaacritencoulantsonregarddanslemien.

—Oùsommes-nous,demandai-jed’unevoiximpressionnée.

—Cheztoi,répond-ildesavoixlapluschaudeenmetendantuntrousseaudeclés.

—Tu…tuplaisanteslà?

Isaacsecouelatête.Jel’observeuninstant,lesoufflecoupé,sansparveniràprononcerlemoindremot.

Merde,ilestsérieux!

—Alorstu…tuescomplètementfou,finis-jepardire.

—Foudetoi,murmure-t-ildansunsourire,ça,c’estcertain!

Jen’arrivepasvraimentàréaliser.Isaacestréellemententraindemefairecadeaud’unemaisonincroyable.Legenrededemeuresdontonrêvetousquandonfeuilletteunmagazinededécorationouunlivred’architectureregroupantlesplusbellesréalisationsenlamatière.Unprojetquinereste laplupartdutempsqu’un joli fantasme,àmoinsdegagner très trèsbien sa vie ou de faire sauter la banque au casino. Mon cœur bat à tout rompre. Je suissubmergéeparl’émotion.

Ceseraitbienquecesoitcheznous…

Cettepenséem’estvenuenaturellement.Lesimplefaitdelacontemplermedonneenvie

d’yvivreunjouretpourtoujoursavecIsaac.Oui,c’estlàquejenousvoistouslesdeux.Làque je rêved’ouvrir chaquematinmesyeuxsur levisageduprinceduNewHampshire.Jepivotesurlesiègedel’Astonpourmerapprocherd’Isaac.Jeplantemonregarddanslesien.

— Pourquoi tu fais tout ça, Isaac ? Les fleurs magiques, la maison, toutes ces chosesincroyables.Tusais,lesimplefaitd’êtreavectoi,c’estdéjàmerveilleux,jen’aipasbesoindureste.C’estadorable,maistun’espasobligéde…

—Chut,m’interrompt-ilavectendresse.Jenemesensobligéderien,Lily.C’estjustequetuleméritesetquej’aienviedet’offrirleschosesquej’aime.Jeveuxquetusoisbien,quetun’éprouvesjamaisledésirdequitterYesterday.Alorsj’aipenséqueceseraitbienquetut’ysentesvraimentcheztoi,tucomprends?

Jehochelatête,jecomprendsmaisjeveuxquecesoit…cheznous,vraiment.Ilesttroptôtpourlediremaisc’estcommeuneévidence.Cettemaisonestexactementlegenred’endroitoùjerêvedepartagermesjoursetmesnuitsavecl’êtreaimé.

— C’est également pour ta sécurité, ajoute Isaac en me gratifiant d’un regard intense.Personne n’a jamais habité cettemaison, aucun sort n’a pu y être jeté. Avec Kurt, nous yavonsmêmeinstallécertainespierresquidétectentlamagieets’allumeraientaussitôtaucasoùunemauvaiseâmeinvestiraitlaplace.

—Unpeucommelapetitepierrequetum’asoffertepourlestudio?

—Oui,concède-t-il,maisleurpouvoirestadaptéàlasurfacedelamaison.Allonslavisiter,silecœurt’endit.

C’estdingue,j’aitantdemalàycroire!

Parfumdesessencesdebois,silenceetluminosité,vastespiècesprocurantunesensationdeplénitude,cettemaisonestparcourued’ondespositives.Auxcloisons,destoilesabstraitessublimessavammentdisposéessemblentavoirétéglanéesdanslesplusgrandesventesauxenchères,d’interminablesbaies vitrées laissentpasser la lumière,mespieds foulentun solqui alterne entre le bois et le béton ciré, une cuisineultramoderne s’ouvre surun colossalséjouroffrantunevuerenversantesurleportdeYesterday,avecdesarbresmajestueuxtoutautour.Etdeséclairagesdiffussedéclenchentausondelavoixd’Isaac.Encoreuneinventiondemongénialalchimiste!Jenousrevoisavecunecertaineémotion,lorsdenotrepremièrenuitdanssonvoilier…Quandlesphotophoress’allumaientcommeparmagie.

— Nous réglerons le système pour que les lumières réagissent au timbre de la tienne,précise-t-ilenpoursuivantletourdelapropriétaire.

Je suis bouche bée et Isaac me conduit enfin sur la terrasse où sont disposées demagnifiqueschaises longuesqui invitentà laparesse.Entourésd’orangersetdecitronniersplantésdansd’immensespotsfabriquésparunpotierauxmainsd’or,nousnousserronsl’uncontrel’autrepouradmirer lesoleils’évanouirà l’horizon.Lalumièreestsplendide.QuandIsaac se place face à moi, je lève les yeux pour soutenir son regard tandis qu’il prenddélicatementmonvisageentresesmains.J’aimevraimentquandilfaitça.

—Çateplaît,miñalinda?

—C’estgrandiose,maisjesuis…gênée,je…

—N’ypensemêmepas,Lily,objecte-t-il,jeteconnaisetjesaisquetuseraiscapabledemedirequetunepeuxpasaccepter.

—Oui, c’est exactement ce que je pensais. J’ai à peine 25 ans, Isaac, je ne suis qu’une

étudianteetvoilàquejemeretrouvedansunemaisondeprestige.Je…

—Neteposepasdequestions,Lily.Jefaisçaparcequejepeuxlefaire.Quoiqu’ilarriveentrenous,cettemaisonseratoujoursàtoi.

Lesmotsd’Isaacrésonnentenmoi.Jen’aimepasce«Quoiqu’ilarrive»,cettepossibilitéqu’unjournousnesoyonsplusensemble.J’effaceaussitôtcetteidéedemonesprit.

—Jedoist’avouerautrechose,Lily,murmure-t-ilenpassantunemaindanssescheveux.Marecherchedu remèdeestdésormaismotivéeparunnouveaudésir.Si jeveux retrouvermonhumanité,c’estpourvivreetvieilliravectoi.

Jemenoiedanslecobaltdesesyeux,touchéeenpleincœurparcesmotsprononcéssurles lieux mêmes où je m’imagine tant vivre avec lui. Le fait qu’Isaac éprouve le désir deredevenir humain pour que nous puissions tout partager me bouleverse. Cette différenceentrenous faiteneffetpartiedemesangoissesdepuis ledébut.L’idéedevieilliretmouriralorsqueluiseraitéternelmeterrifie.Isaacm’enlaceetmurmured’unevoixémue:

—Jesuisamoureuxd’unehumaine.

Cesmots si douxeffacentmesdoutes, soulagentmesangoisses, Isaacm’aimevraiment.Biensûr, je le sensauplusprofonddemoidepuis ledébut,mais lesmystèreset ledangerassociésautempspasséàfairedesrecherchesmefontparfoispeurquantàl’issuedenotrehistoire.EntreIsaacetmoi,c’estvraimentpourlemeilleuretpourlepire.Jefrissonnedanssesbrastandisqu’ilmurmure:

—Jeproposeunecoupedechampagnepourporteruntoastàtonnouveauchez-toi.

Aprèsunpassageparlacuisinepourrécupérerdeuxcoupesetunebouteilledechampagneau frais dans le réfrigérateur aussi grand qu’un dressing, nous descendons vers le jardinarborédemanouvellemaison!Dansleslueursdoréesdusoleilcouchant,desarbresfruitiersycohabitentavecdespalmiers,desoliviersetdesplantesdontjeneconnaispaslenom.Jeme demande même si certaines d’entre elles ne sont pas tout bonnement des créationsd’Isaac. C’est en tout cas un savantmélange d’espèces qui crée une harmonie parfaite. Cejardinextraordinairedoitêtreunlieupropiceàlaméditation.Lepopdubouchonquis’envolevers le ciel me fait sursauter. Le rire d’Isaac me chavire une fois de plus. Nos coupess’entrechoquent, produisant un son cristallin qui se propagedans le silencedu crépuscule.Nousbuvonsunegorgéeennous regardantdans lesyeux.Les irisd’Isaac sontbrillantsdedésir.Unsourireexquissedessineàlacommissuredeseslèvresourléesdontjen’arrivepasàmedétacher.

—Tuesdevenuemaraisondevivre,Lily,avoue-t-il.Pourtoi,jesuisprêtàmedépasser.Jeveuxrire,vivreetdésireràtescôtés.Maisj’aiparfoispeur,je.

— Tu peux toutme dire, l’encourageai-je,même les choses difficiles. Je suis là pour çaaussi,tusais.

Sur la ligne sinueuse créée par la ride barrant son front, je peux presque visualiser lessouvenirsdifficilesquivoyagentdanssatêteetsemblentlehanter.

—EltonShine,reprend-il,c’étaitlenomdemonpère,n’apassupportélamortdeMélanie,sa deuxième femme, la mère de Savannah. Quelques jours après le crash du boeing danslequelellesetrouvait,ils’estferméàtout.Malgrésafilleetsesdeuxfils,ils’estenfuipeuàpeudelavie.AvecEphrem,nousn’avonsrienpufaire.Unmatin,ilestpartisanspréciseroùilallait.Le lendemain, les journauxannonçaientqu’unvampireavaitétéassassinéparune

arméedeHuntersàSanFrancisco.Etcevampire,c’étaitmonpère.Lavérité,c’estqu’ils’esttout simplement suicidé en se jetant dans la gueule du loup. Il est allé provoquer ceschasseursde vampires sur leurpropre terrain. Il savait parfaitementquemalgré sa grandeforce,ilsecondamnaitàunemortcertaine.Surlemoment,jen’aipasacceptésongeste, jeluienaivoulupendantdesannéesdenousavoirabandonnés.Etpuis.

Isaacs’interromptunenouvelle fois.Le ressentimentdanssesyeuxsemueen tristesse.C’est la première fois qu’il se confie autant sur lui, la première fois qu’il ose avouer sesblessures.Jesuistouchéequ’ilm’accordesaconfianceaupointdemelivrercettepartintimedelui.

—Continue,murmurai-je,jesuislà.

—Etpuisj’aicomprisàquelpointilaimaitMélanie.J’aicomprisquec’étaitplusfortquelui,plusfortquetout!Ilnepouvaitpasvivresanselle.Cejour-là,j’aipuluipardonner.Danslemêmetemps,jemesuisfaitlapromessedenejamaism’attacheràquelqu’un,pournepasrisquer de souffrir un jour comme lui. Et ce sentiment s’est évidemment renforcé à ladisparitiondeSavannah.Puislesannéesontpassé,jusqu’aujouroùtuesapparue.Dèsnotrepremier échange de regards sur le campus, je me suis retrouvé confronté à un dilemmecornélien.Soitjemeforçaisàtefuiraveclacertitudeinexplicabledeleregrettertoutemavie.Soit j’ouvrais enfin mon cœur et je prenais le risque de faire ce que je m’étais toujoursinterditafindemeprotéger.

—Lesêtres,quellequesoitleurnature,sontfaitspourêtreamoureux,murmurai-jed’unevoixétrangléeparl’émotion.

—Je lecroisaussi,Lily,concède-t-ilenmepénétrantduregard.Leproblèmec’estque…maintenantquejesuisfoudetoi,jen’arrêtepasdepenseràl’histoiredemonpère.Jesuis...commelui.Jen’aipaspeurdemourir,j’aipeur…deteperdre.

Jeme jette dans ses bras et ilme serre contre son torse. Sesmuscles sont bandés, soncœurbatvite.Jesuiscertainequec’estlapremièrefoisqu’Isaacparledeçaàquelqu’un.

—Tunemeperdrasjamais,soufflai-jed’unevoixétrangléeparl’émotion.C’esttellementbond’entendrecequetuviensdedire.Tellementgrandtoutcequetumedonnes…

Je me détache de lui, recule de quelques pas. Je me mords la lèvre inférieure, puis jeprononcecesquelquesmotsquiviennenttoutseuls.

—J’aiunefurieuseenviedefairel’amouravectoi,monamour.

—Lily,situn’existaispas,je…

Commepourseconvaincredemaréelleprésencephysique,ileffleuremonépauleduboutdeseslongsdoigts.Toutmoncorpsestaussitôtparcouruparuneondeélectrique.

—Quedirais-tudevisiterlachambredemanouvellemaison?susurrai-je.

—Riennepourraitmefaireplusplaisir,répond-ilendétachantmescheveux.

Seslèvresseposentsurlesmiennes.Sesmainsdescendentdemesépaulesàmesavant-bras. Je ressens cette chaleur caractéristique se propager dansmon bas-ventre.Nous nousdirigeons tantbienquemalvers la chambre, incapabledenousdécoller l’unde l’autre.Dusalon, la voix de RobbieWilliams nous parvient et nous nous sentons en accord avec lesAngels que le chanteur décrit de sa voix mélodieuse et sensuelle. Nous savonsinconsciemment,Isaacetmoi,quelavienenousbriserapas.

Parfoisletimingestparfait…

Noslanguess’emmêlent,noscorpsenlacéstitubentsurleseuildelachambre.

Desmursblancs,unparqueten iroko,un immense litplacéaucentrede lapièceetunebaie vitrée s’ouvrant sur une terrasse, c’est le décor demanouvelle chambre.À elle seule,cettepiècefaittroisfoislatailledemonpetitstudio.

—Merci,monamour,soupirai-jeentredeuxbaisers,c’esttropbeautoutça.

Enguisederéponse,Isaacmefaitpivoter,seplaquecontremondosetjesenssonérectiondanslecreuxdemesreins.Sesmainscourentsurmeshanches,jen’aijamaisétésipresséedelesentirenmoi.Lefaitd’avoireucetteconversationàproposdesapeurdemeperdre,lefaitd’avoirpartagédessentimentsetdesblessuresnousrapprocheencoreplus.Ilyaencetinstant comme une urgence entre nous. Le désir de profiter de chaque seconde comme sic’étaitladernière.

—Cettechambreteplaît,miñalinda?

Jehochelatêteenondulantsouslapressiondélicieusedesespaumesquimecaressentdeplusenplusintensément.Sonsoufflecaressemescheveux,sesmainsdansentsurlasoiedema jupe. Ilm’exploreavecpassion,dessine lecontourdemeshanches, remonte le longdemes côtes sur l’étoffe de mon corsage pour atteindre mes seins dont les pointes sontdressées. Ses doigts pincent et titillent mes tétons, son bas-ventre se presse avec vigueurcontremesreinscambrés.Jemetortillesoussonempriseetj’ail’impressiondeprendrefeu.Cettetiédeurentremescuissesdevientpresqueunsupplice.Jem’imaginelabouched’Isaac,sesdoigts, son sexe longetdur enmoi. Jem’étonneune foisdeplusd’être simouillée, sidésireused’êtrepossédée,àenperdrelaraison.Jesuisprêteàtoutaveclui.Noscœursetnoscorpssontenaccordparfait.

—Pourquoijeressenstoutçaavectoi,Isaac?Pourquoic’estsifort?

—J’allaisteposerlamêmequestion,susurre-t-ilenaugmentantlavigueurdesescaressessurmestétons.

Jemedégagebrusquementdesonemprise,reculedequelquespaspourluifaireface.Jeleprovoque du regard. J’admire ses cheveux décoiffés dans lesquels il passe ses mains ensouriant. Et ce sourire à tomber me donne envie de m’agenouiller. Je plaquemon visagecontresonérection.Letissudesonpantaloncaressemesjoues,mesmainsseposentsursesfesses musclées qu’elles pétrissent à travers la flanelle du smoking. Les doigts d’Isaac seperdent dans ma chevelure, son corps est animé de contractions. Je mesure au fil dessecondessondésird’êtreprisonnierdemabouche.Je faisglissersa fermetureÉclair,posemeslèvressurlecotonimmaculédesonboxerblancdéforméparundésir impressionnant.D’unemain,jelibèresonsexequisedressesoudainàquelquescentimètresdemesyeux,demeslèvresquipalpitent.Jeposeleboutdemalanguesursonglanddéjàgonflé.Au-dessusdemoi,immenseetimpressionnant,Isaaclaisseéchapperungémissement.

—Mmm,Lily.

Incapable d’attendre une seconde de plus, j’entrouvre mes lèvres et j’introduis sonmembredansmabouche.J’adorecesentimentd’êtreàlafoissoumise,àgenouxdevantlui,tout en contrôlant la situation à ma guise. J’aime pouvoir signifier à Isaac que je luiappartiensmaisqu’ilestentremesmains.

Enfin,façondeparler…

Ma bouche l’enserre, je vais et je viens inlassablement le long de sa hampe si dure etimposante. Je l’aspire, je le gobe, je suis de plus en plus excitée de sucer Isaac. Je faisdescendresonpantalon,mefraieunpassagesouslasoiedesonboxer,mesonglesgriffentlapeau satinée de ses fesses athlétiques. Je fais coulisser sa verge au fond de ma gorge, jemordille son gland, une demesmains glisse sans répit sur son érection, l’autre se faufileenfinparl’ouvertureduboxerpouratteindresestesticules,ronds,parfaits,gorgésdesève.Jele reprends dans ma bouche et j’accélère le rythme. Ses mains agrippées à mes cheveuxaccompagnentlesmouvementsdematêteetçamemethorsdemoi.Commesic’étaitencorepossible, j’accélère la cadence, galvanisée par les furieuxmouvements de reins d’Isaac. Jemassesestesticulesquiroulentsousmesdoigtsetlesonmouillédemabouchesursonsexemerenddeplusenplusfolle.Larespirationd’Isaacs’emballe,ilacomprisquej’iraijusqu’aubout.Jeveuxqu’iljouissedansmabouche,sentirsasemencem’envahir.

—Lily,jevais…

Je continue à le sucer, je l’encourage en poussant des petits gémissements. Le corpsd’Isaacseraiditet il jaillitsoudainenmoiparsaccades,sedéversesurmalangue,dansmagorge,surmeslèvres.Jelegoûte,lebois,ledégusteetl’avaleavecferveur.J’adore.Aveclui,j’adore. Avant je n’aimais pas vraiment ça, je le faisais pour faire. plaisir.Mais là, tout leplaisirestpourmoi.C’estdevenuunbesoinviscéral.Je legardeprisonnier,savourantavecdélice les contractions qui animent son bassin. Je veux que sa jouissance dure, je veuxaccentuersonplaisirenpoursuivantmescaressessursonmembredevenusisensible.

—Tumerendsfou,Lily…

Surcesparolesprononcéesdansunsouffleexcité,ilprendmesmainsdanslessiennesetm’aideàmerelever.Ilmecollegentimentcontrelabaievitréedelachambre.Lecontactfraisdudoublevitragemesaisit. Il enfileunpréservatif le longdesavergeànouveauvaillante,puisilremontelebasdemajupecrayon,metroussesansmequitterdesyeux.Desflammesde foliebrillentdans son regard, ses lèvres s’entrouvrent sur sesdentsblanches, sa languepasse sur ses lèvres. Les doigts d’Isaac se réunissent pour me caresser, glisser dans monintimité, titiller mon clitoris. Son autre main empoigne littéralement mes fesses et ilm’intime l’ordredouxdeme tourner. Je faisdésormais face à la vitre.Mon regard seperddans les reliefsdu jardinéclairéde toutesparts.Ma jupeest relevéesurmes fesses.D’unemain,Isaacfaitglissermonstringle longdemescuisses,de l’autre ilenserremescheveuxpourme forcer gentimentmais fermement àpencher la tête en arrière.C’est juste commej’aime.

—Tum’asvraimentrenducomplètementdingue,murmure-t-ild’unevoixquim’évoquelefeulementd’unguépard.

Jen’aipasletempsderépondrecarjesensl’extrémitédesonsexeaffleurerauborddemafentepourseglisserentremeslèvres,puisIsaacmepénètred’unseulcoup.J’émetsunlongsoupir de surprise et de plaisir. C’est une sensation indescriptible. Comment fait-il pourrécupérersivite?Ilestenmoi,dur,énorme,ilmeremplit.Ilmepossèdeetmoijem’offre.Mespaumescrissentsurlevitragetandisqu’ilmepilonne,lesmainssoudéesàmeshanches.De la buée se forme sur la paroi vitrée au rythmedema respiration emballée. Les furieuxcoupsdeboutoirdemonamantfantastiquemedévastent.Lapressiondesesabdominauxsurmesfessesesthallucinante.

—Isaac…jevais…

Jesuistellementàboutdesoufflequelesmotss’évanouissentauborddemeslèvres.Lesangbat dansmes tempes.Une vaguebrûlante se forme inexorablement au creuxdemonventreetdemesreinspourdéferlertelleunecouléedelaveentremescuisses.Monsexesecontractesoudainautourdumembred’Isaac.Etjeperdspied,jejouis,incapabledemaîtrisermesmainsdontlespaumesbattentinlassablementsurlaparoivitréedelabaiecoulissante.Une longueminute s’écoule où je suffoque et gémis, le corps secoué de convulsions, puisIsaacseretiredélicatement.

—Non,resteenmoi,s’ilteplaît.

—Chut,fait-iltoutenposantsesmainssurmesépaulespourmeconduireàluifaireface.Cen’estpasfinimonamour.

Cetteperspectivemeravit, jememords la lèvreet jesouris. Isaacmetend lamainpourm’entraîner vers le lit. Mes jambes flageolent, je ne suis pas vraiment remise de monorgasme. Mais ça ne m’empêche pas d’admirer les fesses sublimes de mon vampiremagnifique qui se balancent au rythmede ses pas.Quand ilm’allonge enfin sur le dos, jem’étiresurlematelasconfortableetaccueillant.Isaacmedominedetoutesahauteuretjelisdans ses pupilles dilatées qu’il vame prendre à nouveau. Je n’attends que ça.Mon regards’attardeuninstantsursonsexefieretdressé.Ilsouritdesonsourireexquis,merejoint,seplace au-dessus de moi en appui sur les avant-bras, puis il me pénètre avec une infiniedouceur.Jenelequittepasdesyeuxtandisqu’ils’étendsurmoncorpsensueuretjefrémisdesentirsapuissance.Ilsesaisitdemespoignetsqu’ilréunitdansunedesesmainspourmemaintenirlesbrasau-dessusdelatête.Jesuisexcitéed’êtretenuecommeça.Lesdoigtsdeson autremain dessinent avec précaution les contours demes yeux, demon nez, demeslèvres.Ondiraitqu’ilvamesculpter,qu’ilmedécouvreetqu’ilesttouchéparunerévélation.Ses lèvres tremblent, ses yeux sont brillants et moi je suis amoureuse de toutes sesexpressions.Ellesparticipentpourunegrandepartauplaisirqu’Isaacmedonne.Ilvaetvientlentementenmoi.Mavuesetrouble,mesreinssontparcourusparunedéchargeélectriqueetjen’enrevienspasd’êtredéjàentraindejouir.

Commentfais-tu,Isaac?Pourquoic’estsifouentrenous?

Sesyeuxcouleurcobaltsebrouillentquandsonplaisirrejoint lemienavecviolence,soncorpstressautecontremescuisses,monsexe,monventre,messeinsetjelesensvraimentenmoi.Jepassemesmainsdanssescheveuxépaisetsoyeuxpouraccompagnersajouissance.Jemedisquec’estintensedeleregarderjouir.Danscesinstantsd’intimité,ilestencoreplusbeau et semble totalement libre. Il s’abandonne comme s’il venait aumonde. Et c’est trèsémouvant.Unegouttedesueursedétachedesonfrontpouratterrirauborddemeslèvresoùjepasse la langueen luisouriant.Sonvisagedescendversmoncou,saboucheseposeà lafrontièredemanuque.Sonsoufflemechatouilleet lesmotsqu’ilprononcealorschangentquelquechosedansmavie.

—Jet’aime,Lily.

Dans le salon,PhilCollinschante InTheAirTonight, unepremière larmeglisse surmajoue,puisunedeuxième, et jeme laissealler à l’émotion.Simoncorps trembleencoreduplaisirquejeviensderecevoir,moncœurbattrèsfortdecesdeuxmotsd’amour.

Lesplusbeauxdumonde…

5.Accordsetdésaccords

Réveillée par les premiers rayons du soleil, je soulève les paupières et jemets quelquessecondesàréaliserquejesuisdanslachambrespacieusedemanouvellemaison!C’estunesensation des plus grisantes. Àmes côtés, sous les draps froissés de nos folies nocturnes,Isaacrespirepaisiblement.Sonprofilgrecsedessineàcontre-jouretjemerendscomptedemachanceetdemonbonheur.Jemelovedoucementcontreluipournepasleréveiller.Etjel’observe.Seslèvresaffichentunlégersourire.Est-ceundouxrêve?Est-cedubonheur?Jelesouhaitedetoutcœurcarj’aiparfoispeur.Toutestsiparfait,fusionnelentrenous,quejenepeuxpasm’empêcherde penser que c’est très tropbeaupour être vrai. Troppassionnépourdurer.Lebonheurfaitbattre lecœurmais ilrendparfoisfragile.Aumomentdenotreplaisir, quand Isaac m’a dit « Je t’aime » pour la première fois, j’ai eu l’impression folled’atteindrelesommetdel’osmose.Safaçondeledirem’aprofondémentbouleversée.Àtelpoint que je n’ai pas su lui dire quemoi aussi je l’aimais, exactement de lamême façon,exactementaumêmemoment.Jemesuissimplementserréefortcontreluietj’aipleuré.Etlui,ilm’agardéedanssesbrassansdireunmot,melaissantalleràmesémotions.Quelquechoseachangédansmavieàcetinstantprécis.Quoiqu’ilarrive,jenesuisplustoutàfaitlamêmeLily. Etmaintenant, nous sommes nus, apaisés, ivres de plaisir. Chaque parcelle demoncorpsestencoreàfleurdepeau.Jem’étireengémissant.Isaacsoupireetsetourneversmoi.Sesgrandsyeuxbleucobaltmepénètrentcorpsetâme.

—Bonjour,miñalinda,j’airêvédenous.

—Etc’étaitbien?murmurai-je.

—Sublime,chuchote-t-il.D’autantplusqu’àmonréveil,lerêvecontinue.

—Espècedebeauparleur,plaisantai-jeendéposantunesériedebaiserssursontorse.

Ilritetsoncorpsfrémitsouslacaressedemeslèvres.

—Jepourraist’embrassercommeçapendantdesheures,tusais?

—Jecroisquejevaismelaisserfaire,répond-ilàvoixbasse.Maisjeteproposeégalementunpetitdéjeuner.Café,viennoiseries,jusdefruits,laitages,sileprogrammetetente?

—Mmm…

—C’est comme si c’était fait, s’exclame-t-il en se levant pour traverser la chambre sansprendrelapeinedes’habiller.

Etc’esttantmieux.

Jel’admirejusqu’àcequ’ildisparaisse,ilestsinaturel,tellementàl’aiseetfurieusementsexy. J’hésiteun instant àme lancer à sapoursuitepour le retenir et recommencerà fairel’amour,puis jeme lève,passesachemisedesmokingquime fait commeunerobecourteplutôtfashion.Jerespiresonparfumenplongeantmonvisagedanssoncol.

Sionm’avaitditquejeferaisçaunjour…

Je passe à la salle de bains ultramoderne où je me rafraîchis avant de démêler mescheveux. Je souris d’abord à la sauvage qui se reflète dans le largemiroir, puis jeme pliesoudainendeuxtantladouleuroculairequivientdemesurprendreestviolente.

Merde,çafaittellementmal,j’enaimarre…

Quandlesélancementss’estompentenfin,jerelèvelatêteetjelisl’inquiétudedanscetteimagedemoi-même.Quelquechosemedérange,mefaitpeur.Unequestionsefaitjourdansmon esprit : et si ces douleurs de plus en plus rapprochées et violentes étaient en rapportavec tout ce qu’il se produit à Yesterday ? Et si c’était plus grave qu’une simplemigraineophtalmique ? Ces questions me ramènent à tous les mystères qui m’entourent depuisquelquesjours.Unirrépressiblemalaises’emparedemoi.Jevoistoutennoird’unseulcoup.J’oublielesoleilquiselève,j’oublielamaisonmerveilleuseoùjemetrouve,j’oubliequ’Isaacesten traindemepréparerunpetitdéjeuner.Jesorsde lasalledebainsaumomentoù ilarriveavecunplateauqu’ilposesurnotrelit.Ilmecomplimentesurmafaçondeportersachemisequ’iltrouvetrèssexy.Ilseredresseetremarqueaussitôtquejenevaispasbiendutout.

—Quesepasse-t-il?s’inquiète-t-ilenmerejoignantpourm’enlacer.

Jereculedequelquespaspourmedégagerdesonétreinte.Jem’enveuxdéjàmaisc’estplusfortquemoi.J’aibesoinderespirer,defairelepoint.Or,danslesbrasd’Isaac,j’oublietoutenotionderéalité.Etjesaisquejenepeuxpaspassermaviedanssongiron.Jesaisquelaréalitéviendra toujoursmeréveilleretgâchermonbonheuravec lui tantque jen’auraispas trouvé des réponses aux mille et une questions que je me pose. Les mains sur leshanches,Isaacpenchelatêtedecôtéetmedévisaged’unairsurpris.JeperçoislesparolesdeIWillAlwaysLoveYouparWhitneyHoustonquirésonnentdanslesalon.

—Dis-moitout,souffle-t-il.Qu’est-cequinevapas?

—Tout!m’écriai-je.

—Mêmenous?murmure-t-ilengardanttoutsoncalme.

—Non,pasnous,Isaac.Non,nous,c’est…merveilleux.Maisilya…

Jem’interrompsuncourtmoment,toutsemélangedansmatête.Etjemerendscomptequejesuisentraindegâchercettebellematinée.Jesaisqu’Isaacn’yestpourrien.Ilfaittantpourmoidepuislepremierjour.

—Ilyatropdechoses,continuai-je.Cettehistoiredemonpèred’abord!Jecommenceàmepersuaderqu’ilestliéàladisparitiondeSavannah.Etmoi,j’aiunrôledanscetteaffaire.Par les liens du sang d’abord. Et aussi parce que je possède cet anneau que mon père,précisément,m’aoffert.Etpourquoilessorcièresn’ontpastentéànouveaudemelevoler?Qu’est-cequ’ellesattendentàlafin?EllesoulesNobodiesontassassinéunlaborantinetlaville se transforme peu à peu…C’est comme…C’est comme si ellemourait à petit feu. Etparfoisoui,c’estvrai…jenesuisplussûrequenotrerelationrimeàautrechosequetoutescesrecherchesetcesmystères.

—Nedispasça,Lily.Tusaiscommemoiquecequ’ilsepasseentrenousestunechoserare.Alors.

— Alors quoi ? coupai-je. Regarde-nous, Isaac ! Tu m’offres des fleurs magiques, unemaisonfabuleuse, tuveuxmeprotéger,maisçanem’empêchepasd’avoirpeur.JepenseàSavannah.Elleadisparumalgrétoutl’amourquevousaviezpourelle,toietEphrem.Etsiçam’arrivaitàmoi?Jeferaismieuxdetout laissertomber,departirpeut-être.Jemedisquesansdouteleschosesreviendraientdansl’ordre.

—Lily,viensdansmesbras.Toutvas’arranger,crois-moi.

Jesecouelatête.Jenesaispasquoicroire.Malgrésespouvoirsmultiples,Isaacn’estpastout-puissant.Mêmesonpèreafiniparpérir.Etcellesetceuxquimeveulentdumalirontjusqu’au bout, je le sens. La douleur dansmes yeux revient, j’en ai plus quemarre. C’esttellementbizarrecequ’ilm’arrive.Uneidéefollemepasseparlatête.Jesaisd’avancequelleseralaréactiond’Isaac,maisj’aimaletjen’aipaslaforceoul’intelligencedemetaire.

—Etsinouspartionstouslesdeux,Isaac?Loin,trèsloindetoutça?Sonregardpassedel’étonnementàlatristesse.

—Qu’est-ce qu’il te prend, Lily ? Je ne peux pas croire que ce soit toi qui dises ça ! Jet’aimeàlafolie,jeferaisn’importequoipourtoi,maistunepeuxpasmedemanderdefuir,d’abandonnerKurt alorsquenous sommesenpleine recherche.Etmondésirde retrouverSavannahgranditdejourenjour,tucomprends?

Jehoche la tête.Bien sûr que je comprends. Jen’ai pasmoi-même réellement envie departir.Jenesaismêmepascequ’ilm’aprisdeluiproposerunechosepareille.Non,cen’estpasmoi,jenesuispascommeça.Jedoistraverserunemauvaisepasse.Etcematin,danslabalance,lesangoissesontpesépluslourdquelesinstantsmerveilleuxpartagésavecIsaac.Jevoudraisluidirepourmesdouleursoculaires,luiexpliquerquec’estcequiatoutdéclenchéquand jeme suis vuedans lemiroirde la salledebains.Mais j’ai peurd’enparler, je suisterrorisée à l’idée que quelque chose se transforme en moi et que ce soit très sérieux.L’incompréhensionetladéceptionsurlevisaged’Isaacmefontmal.Ilsedirigeverslepetitfauteuilcluboùsonsmokingaatterrihiersoir,passesonboxer,sonpantalonetrevientversmoi. Ses pectoraux palpitent, il est tendu comme un arc. Aumême instant, mon portablem’indique un SMS en attente. Je marche jusqu’à la petite table de nuit et consulte monmessage.

[J’ai réfléchi à tout ce que nous nous sommes dit. Même si je pense toujours queSavannahestpartiedesonpleingréetnousaabandonnés,çamefaitsouffrir.Etj’aimeraisenparleravectoi,Lily,laseuleàconnaîtremapartd’humanité.Ephrem]

JelèvelesyeuxversIsaac.

—C’estunmessaged’Ephrem,bredouillai-je.Ilal’airbouleversé,il…

—C’estbon,mecoupe-t-il,j’aicomprisLily.

Je l’interroge du regard, il me domine de sa stature impressionnante. J’ai l’impressiond’êtreminuscule.Ilémanedesapersonneunepuissanceetunecolèreincommensurables.Etla douleur dans mes yeux se fait de plus en plus sentir. J’ai peur de m’évanouir, j’ail’impressiondésagréabledepartirpeuàpeu.

—Ephremestbouleversé,tun’asplusconfianceenmoi,vousdevriezbienvousentendretouslesdeux.PlutôtquedevousécriredesSMS,vousferiezmieuxdevousretrouver.

Surcesparoles,ilattrapesavestedesmokingetlapasseàmêmesapeaunue.

—Attends,Isaac,jevaisterendretachemise.Etpuisje…

—Tupeuxlagarder,coupe-t-il.Jemefichedecettechemise.Prendssoindetoi,c’esttout.J’espèrequeladécodetamaisonplairaàmoncherfrère.Jevoussouhaitetoutlebonheurdumonde.

Chaque mot d’Isaac me crucifie un peu plus. Je comprends qu’il est jaloux, qu’il croitqu’Ephremmetoucheautantquelui,peut-êtremêmequej’aidessentimentspourlui.Jen’aijamais vu Isaac ainsi, si triste et tellement en colère. Dans ses pupilles, il y a toute la

déceptiondumonde. Je sais qu’il se sent trahi. Parmon comportement et parmonamitiéavecEphrem.Jevoudraism’agenouillerpourluidirequejesuisdésoléepourcematinetqueson frèreest justemonami.Jevoudrais lui jurerquec’estavec luietseulement luique jeveuxtoutpartager.MaisriennevientetIsaacdoitprendreçacommeunaveu.Jeposemesmainssurmonvisage,mevoilelaface,commepouressayerdetouteffacer,defairetomberlemasque.C’esttropstupide.Quelquechosed’immensegranditentreIsaacetmoi.Chaquemomentpasséensembleestmerveilleux.Alorslerestenecomptepas.Biensûrquejenevaispasabandonner.Ilsuffiraitdequelquesmotspourtoutarranger,justeun«Jet’aime»quejepensemaisn’arrivepasàexprimertouthaut.

Jem’apprêteàluidiretoutcela.Malgréladouleur,j’ouvrelesyeux.

Iln’estpluslà!

Jenel’aimêmepasentendupartir.Maislachambreestbeletbienvide.J’ail’impressiond’êtreaspiréeparun trounoir.Jeme laisse tombersur leparquet.Des larmesglissentsurmesjoues.Penchéeenavant,paumessurlesgenoux,jesangloteensilenceavecl’impressionquejen’arriveraiplusjamaisàretrouvermonsouffle.LavoixdeWhitneyHoustonprononcelesdernièresparolesdeIWillAlwaysLoveYou.Etj’aimeraistantquecesoitvrai.Ladouleurdansmes yeux s’intensifie,mon corps est secoué de tremblements, c’est tellement bizarreet… insupportable.J’ai l’impressionque lavies’échappedemoi.Etc’estcommesima têteexplosait,commesimoncœurétaitentraindes’arrêter.Jemesensvaciller,uncrisilencieuxme vrille les tympans et jem’effondre.Unedernière penséeme traverse l’esprit, desmotsquejen’aipassudire.

Jet’aime,Isaac…

Etpuisplusrien.