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AVENIR DE L’ASILE, DESTINS DE DEBOUTÉ-E-SEtude sur les conséquences de la suppression de l’aide
sociale dans le domaine de l’asile pour lespersonnes frappées d’une décision de non-entrée en
matière
Sous la direction de Margarita SANCHEZ-MAZAS
HETS/Université de Genève
Equipes de recherche
HETS/Université de Genève:
Jenny MAGGI
Marta ROCA i ESCODA
SFM/Université de Neuchâtel:
Denise EFIONAYI
Christin ACHERMANN
Martine SCHAER
Fabienne STANTS
avec la collaboration de Jean-Christophe Loubier, Jean-Hugues Ravel
et Clément de Senarclens
L’étude résumée dans ce document a été réalisée avec le soutien du Centre de Recherche
Sociale (Ceres) de la Haute Ecole de Travail Social (HETS) de Genève sous l’égide et l’appui
scientifique du Cedic (Centre d’étude de la diversité culturelle et de la citoyenneté dans les
domaines de la santé et du social de la HES-SO) en collaboration entre la HETS et le SFM.
La HETS (www.ies-ge.ch) fait partie de la HES-SO (Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale)
qui regroupe différents domaines de formation (initiale et continue) et réalise des recherches axées sur
la pratique.
Le SFM (www.migration-population.ch) est un institut de recherche de l’Université de Neuchâtel qui
vise une meilleure compréhension des phénomènes migratoires.
Nous tenons à remercier les spécialistes et autres acteurs-trices du domaine de l’asile, ainsi que les
requérant-e-s touché-e-s par la décision de non entrée en matière, qui nous ont apporté leurs éclairages
et leurs témoignages pour la réalisation de cette recherche.
MSM/16 novembre 2009
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OBJECTIFS DE L’ETUDE
! xaminer la situation personnelle et les stratégies d’adaptation des migrant-e-s concerné-e-s
! Etudier les réactions des responsables et expert-e-s dans le domaine de l’asile
! Estimer l’efficacité de la suppression de l’aide sociale en regard des effets escomptés ou imprévus
DESCRIPTIF
• L’Etude porte sur une phase de la politique d’asile (2004-2007) où les personnes frappées d’une
décision de non-entrée en matière (NEM) ont été ciblées pour l’application de la mesure de
suppression de l’aide sociale (décidée dans le cadre du PAB 2003).
• A l’issue d’une première phase, où le système d’assistance a été remplacé par un système d’aide
d’urgence (prévu par l’art. 12 de la Constitution et mis sur pied selon diverses modalités
cantonales) pour les requérants frappés de NEM, la mesure de suppression de l’aide sociale a été
étendue en 2008 à l’ensemble des débouté-e-s.
• La recherche est basée sur des entretiens approfondis menés d’une part auprès d’expert-e-s, de
représentant-e-s des autorités (locales, policières, cantonales et fédérales), des églises, des ONG et
des milieux associatifs (N = 39, ci-après SPEC) et, d’autre part, auprès de migrant-e-s frappé-e-s
de NEM (N = 32, dont 3 femmes, ci-après NEM), parmi lesquel-le-s ont été réalisés des entretiens
de suivi. Elle a couvert les villes de Genève et Zurich, avec une extension à Berne et à Lausanne.
• L’enquête par entretiens approfondis a permis de saisir le vécu et le ressenti des personnes
affectées par une politique misant sur des dimensions subjectives (volonté de retour, attrait de la
Suisse, image de la migration, etc.) pour susciter le départ volontaire et dissuader les candidat-e-s.
• La problématique étudiée s’inscrit dans le cadre d’un système de traitement de la question de
l’asile reposant sur deux piliers, tels que synthétisés ci-dessous :
ADMISSION RESTRICTIVE : clause NEM ACCUEIL DISSUASIF : aide d’urgence
• elle vise à accélérer la procédure et renforcer
l’exécution du renvoi
• elle repose sur la formulation de motifs
autorisant le renvoi immédiat (dont absence
de papiers d’identité ou demande infondée)
et définit une liste de « pays sûrs »
• elle décrète les personnes concernées en
séjour illégal
• elle frappe des personnes pour qui le renvoi
immédiat n’est pas toujours réalisable
• elle se fonde sur le droit inconditionnel de
chacun d’obtenir une aide en cas de détresse,
art. 12 Cst.
• elle est prise en charge par les cantons selon
des modalités diversifiées
• elle est destinée à des situations transitoires
mais peut concerner de fait des requérant-e-s
en séjour prolongé
• employée dans le domaine de l’asile, elle
s’inscrit dans un objectif de dissuasion
prolongeant la suppression de l’aide sociale
Quelques dates Quelques chiffres pour la Suisse
(1.4.04-1.12.07)
• 1981 entrée en vigueur 1ère Loi sur l’asile
• 1990 1ères clauses de NEM
• 1995 détention en vue du renvoi
• 1998 NEM si absence de papiers
• 1999 Nouvelle LAsi
• 2004 suppression aide sociale en cas de
NEM (PAB 2003)
• 2006 nouvelles clauses de NEM et
extension aux débouté-e-s
• 9786 personnes NEM1
• 1/3 à l’aide d’urgence
• 151 jours en moy. à l’aide d’urgence
• 6350 interpellations
• 20% départs contrôlés2
• 60% entre 18 et 29 ans
• 85% hommes
• 14% nationalité inconnue
1 S’y ajoutent 4'990 personnes frappées d’une décision NEM entrée en force avant le 1er avril 2004 en régime
transitoire jusqu’au 31.12.04 (Rapport de monitoring NEM, ODM). 2 Essentiellement à partir des centres d’enregistrement (CERA). Pour la période d’avril 2004 à décembre 2007
les cantons ont déclaré 609 départs contrôlés ayant fait l’objet d’indemnités de la Confédértion soit environ 6%
du total (Rapport de suivi NEM, ODM).
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L’AIDE D’URGENCEo Aide en principe en nature
o Hébergement en centre collectif
o Vêtements 2ème main fournis si nécessaire par œuvres d’entraide
o Seules les personnes malades assurées à la LAMAl
o Soins médicaux : urgence seulement sauf à Genève (Centre Santé Migrants des Hug)
TENDANCES CANTONALES
• GENEVE : régime évolutif et réglementation complexe
Des controverses politiques en ont marqué la mise en œuvre, assurée par l’Hospice général. La
réglementation prévoit des traitements différenciés : une aide financière est accordée dès la 2ème année.
« Intendant social » au foyer d’hébergement collectif du Lagnon (actuellement PC de Châtelaine)
• VAUD : contrôle et pragmatisme
Le système a connu des évolutions notables induites par un pragmatisme humanitaire des responsables
et des prises de position critiques de divers acteurs associatifs. Une aide sociale a été réinstaurée pour
les personnes frappées de NEM dans le foyer de Vennes (assistante sociale et infirmière à temps
partiel) où les conditions et la surveillance sont très strictes (contrôle d’accès, fouilles).
• ZURICH : application stricte et claire distinction
Egalité de traitement pour toutes les personnes sans autorisation de séjour clairement distinguées des
personnes en procédure d’asile. Système de dynamisation, ou rotation des personnes (personnes
vulnérables exceptées) de centre en centre tous les 7 jours en vue d’éviter les contacts suivis et de
prévenir tout établissement. Intervention d’une personne du domaine médical dans les centres.
• BERNE : flexibilité et aide conditionnelle
Abandon des centres d’accueil « minimaux » décentrés. Les tentatives de retirer toute aide en cas de
non coopération ont été jugées anticonstitutionnelles. Les situations des personnes vulnérables sont
examinées de cas en cas. L’aide est assortie d’un devoir de présence dans le centre d’hébergement.
Absence de structure pour mineurs.
Berne Genève Vaud Zurich
Renouvellement15 jours (selon les
cas différences)5 jours 15 jours
Système de
rotation : 7 jours
Alimentation
8.50 (avec
workfare) sinon 6.-
/ bons Migros
Possibilité de
cuisiner
repas fournis (et
30.- en bons Migros
le w-e) et 10.- cash
dès 2ème année
possibilité de
cuisiner
8.-
repas fournis
cuisine impossible
8.50 (60.- par
semaine) bons
Migros délivrés
journellement
cuisine impossible
HygièneInclue dans les
bons
Inclue dans les
bons ou dans le
forfait de 10.-
1 bon Migros de
10.-/15 jours
Fr. 10.-/mois en
bons
TransportPayé:convocations
fréquentesCarte de bus Non Non
Travaux
communautaires
Nettoyage : Fr.
50.-/mois max.
Genève Roule 3.-
/h/ max 300.-/mois
Nettoyage : 300.-
/mois max
Nettoyage : 30.-
/mois max en bons
A NOTER :
" Aucune indication ne permet de conclure à un impact dissuasif différencié en fonction des
modalités d’aide d’urgence
" La détermination de l’aide minimale conforme à la dignité humaine (art. 12Cst) pose problème
" La question de l’égalité de traitement entre cantons reste posée
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DEFIS INSTITUTIONNELS ET REPONSES DES ACTEURS
! AUTORITES POLITIQUES
Les autorités cantonales de contrôle de la migration se chargent de l’identification des cas NEM
attribués aux cantons, décident des modalités d’octroi de l’aide, orientent les personnes vers une
structure d’accueil, examinent les possibilités de renvoi forcé ou de détention et collaborent avec
les responsables des structures d’accueil. La demande d’aide doit être renouvelée régulièrement
(toutes les semaines à ZH, tous les 5 jours à GE), ce qui met les personnes concernées en situation
de constante disponibilité et d’étroite dépendance à l’égard de l’autorité.
! STRUCTURES D’ACCUEIL
Leur fonction est limitée à un encadrement logistique et administratif confié à des employé-e-s
de sécurité (Securitas, Protectas, ORS) ou à des « intendants sociaux » (VD assure un suivi
psychosocial pour prévenir les situations de détresse). Malgré son caractère inconditionnel, l’aide
est parfois instrumentalisée pour inciter au départ et inciter à collaborer et assortie de menaces de
mise en détention.
! AIDE AU RETOUR
On note une difficulté à établir une relation constructive dans une situation dominée par la
menace du renvoi (par ex. pressions sur la Croix-Rouge à GE pour exhorter aux départs
volontaires, d’où baisse de confiance et de consultations). L’information sur l’aide au retour,
assurée à GE, est très limitée dans les autres cantons.
! SOINS DE SANTE
Seul le CSM (Centre de santé migrants de GE) accueille les personnes frappées de NEM et il est
consulté aussi par des titulaires passé-e-s dans la clandestinité ou provenant d’autres cantons
(« tourisme sanitaire »), ce qui pose au personnel soignant des dilemmes éthiques : faut-il soigner
tout le monde ou seulement les personnes attribuées au canton ?
! POLICE
Les migrants frappés de NEM peuvent être interpellés à tout moment et mis en détention en vue
du renvoi. ZH intente davantage de procédures pénales pour séjour illégal que BE et VD, tandis
que GE tolère le séjour en cas de possession d’une attestation d’aide d’urgence. Près de la moitié
des personnes rencontrées à ZH et BE ont séjourné en prison, sans bien identifier le motif :
détention en vue du renvoi, détention pénale pour séjour illégal, mendicité, resquille…Les
titulaires de NEM évitent en général d’attirer l’attention.
! ACTEURS ASSOCIATIFS
Le réseau associatif, dense dans les cantons romands, et dans une moindre mesure à Berne, a joué
un rôle actif et porté des affaires liées à l’aide d’urgence devant les tribunaux. A GE une
coopération avec les autorités a été institutionnalisée. A ZH la polarisation des positions a rendu la
recherche de compromis pragmatiques difficile. Les organismes d’entraide représentent une
ressource essentielle pour les personnes concernées (aide matérielle, réconfort, activités sportives,
démarches de recours).
! SOCIETE CIVILE
Le caractère précaire et instable de la (sur)vie quotidienne des personnes frappées de NEM est peu
propice au développement de relations personnelles en Suisse : situation géographique
excentrée, difficultés de déplacement, manque d’argent et impossibilité de payer en retour pour
l’occupation d’un logement. Les compagnons et compagnes motivent parfois un départ de l’aide
d’urgence (ou un retour en cas de rupture) mais les personnes font état de difficultés à s’engager
dans des relations affectives durables ou à envisager le mariage (difficile d’obtenir les papiers
exigés).
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LE TRAVAIL SOCIAL : DE L’AIDE A LA DISSUASION
PRINCIPES DIRECTEURS DU TRAVAIL SOCIAL
Le Conseil de l’Europe définit le TS comme un outil visant à développer chez des personnes, des
familles et des groupes défavorisés le sentiment de dignité et de responsabilité en utilisant leurs
ressources dans une visée d’intégration sociale (insertion dans des réseaux sociaux et
institutionnels) et structurelle (marché du travail).
Une relation d’aide se base sur deux volets de (ré)insertion
! la gestion de la vie quotidienne (sur les plans physique, psychique, financier) : récupérer une
autonomie, retrouver un sentiment d’utilité et faire émerger des capacités de sociabilité et
convivialité
! l’insertion professionnelle : (re)formuler un objectif par des formations et activités qualifiantes,
élaborer un cv, (re)créer un réseau d’employeurs potentiels
Ces principes fondent les valeurs relatives à la pratique du TS telle qu’enseignée dans les hautes
écoles. Dans le domaine de l’asile, l’aide sociale (de 50% inférieure aux normes CSIAS) implique
un accompagnement en vue d’une insertion sociale et professionnelle.
CHANGEMENTS DANS LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE AVEC LA NOUVELLE LEGISLATION
! l’objectif d’insertion a été remplacé par une visée générale d’exclusion en réponse aux
demandes du législatif et du politique
! la nouvelle pratique a consisté à informer les personnes des nouvelles dispositions, transmettre
la décision de l’autorité policière relative au départ fixé, organiser le départ du lieu
d’hébergement et informer les personnes de leurs droits (aide d’urgence, aide au retour,
soutiens juridiques ou d’entraide)
! la suppression de l’aide sociale implique celle du conseil social et de la compétence formelle
des AS pour répondre aux questions et besoins en lien avec le changement de régime
! l’AS est remplacé par des agents de contrôle et gestion ou doit travailler dans une logique
différente
! tensions et dilemmes éthiques résultent du conflit entre les valeurs et objectifs fondant la
profession (visant l’intégration) et les directives institutionnelles (visant l’exclusion). Le
contraste entre aide sociale générale et aide d’urgence liée à l’asile est synthétisé ci-dessous :
AIDE SOCIALE AIDE D’URGENCE
BASE INDIVIDUELLE COLLECTIVE
TYPE D’AIDE PERSONNALISEE UNIFORME
CRITERE BESOIN EXECUTION DU RENVOI
OCTROI SERVICES SOCIAUX AUTORITE POLICIERE
PERSONNEL EN CHARGE ASSISTANT-E-S SOCIAUX AGENTS DE SECURITE
IMPLICATION AUTONOMIE DEPENDANCE/CONTROLE
OBJECTIF INTEGRATION SOCIALE EXCLUSION SOCIALE
VISEE PROMOUVOIR LA DIGNITE EXERCER LA CONTRAINTE
A NOTER :
" la réintroduction de la figure de l’AS (VD) a surtout une fonction préventive des situations de
crise, de réduction des risques ou de relais avec d’autres instances
" une composante d’assistance sociale s’observe dans certains centres (GE) mais elle relève de
l’initiative personnelle et n’est pas attribuée par mandat
" la durée à l’aide d’urgence est la question la plus problématique
" de nombreux travailleurs sociaux prennent des distances ou renoncent à leur fonction
" le « tourisme inter-cantonal » en matière de soins est une réalité rapportée par les professionnels et
posant des problèmes éthiques aigus
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LES OBJECTIFS DE LA NOUVELLE POLITIQUE ONT-ILS ETE ATTEINTS ?
OBJECTIF 1 : agir sur les conditions de vie pour pousser les requérants au départ
Les témoignages recueillis suggèrent que la (sur)vie quotidienne est effectivement rendue
hautement problématique. Parmi d’autres, les répondants soulignent les difficultés suivantes :
! Nourriture et logement
« Depuis la NEM c’était le déclin total. Il faut le vivre pour comprendre. Un homme qui n’a plus
de maison, un lieu pour dormir, il faut se mettre dans sa peau pour comprendre, c’est difficile »
(GE_NEM02).
« Un jour il y avait le riz avarié dans les barquettes, ça sentait le pourri, et le Securitas a dit :
vous prenez du pain et vous mangez avec. C’est une réponse ? » (LA_NEM03).
! Restrictions à la mobilité
“The problem about Jaunpass was that you could not move: it was only a restricted area around
the centre in which we were allowed to move, there was like a wall around" (BE_NEM_01).
“To travel, you need a goal, somewhere to travel to. But I have nothing. I do nothing. So where could
I travel ?” (ZH_NEM01).
! Absence d'argent
" Les 10 frs, c’est tout d’abord un paquet de cigarettes[…]Le reste, je le prends comme ça… C’est
eux qui nous poussent à faire ça, ce n’est pas nous” (ZH_NEM05).
" En prison, je pourrai travailler et je lui rendrai l’argent " (ZH_NEM09).
! Pressions et humiliation
"[…]et ne parlons pas de la pression qu’on te met à la police quand tu vas pour prendre un tampon
d’aide d’urgence. Vous dites à quelqu’un de venir prendre de quoi subsister et vous l’insultez ?"
(GE_NEM02).
" Il y a aussi la peur d’être renvoyé, mais c’est la manière dont on te traite. L’idée d’aller se faire
humilier et tu n’as pas le choix, ça va pas, il y a des choses qu’on n’arrive pas à accepter
intérieurement, et tu n’as pas le choix, tu es obligé d’aller te faire humilier" (ZH_NEM05).
“Ich habe Angst rauszugehen, ich will nicht in ein Restaurant gehen. Dort könnte jemand sein, der
mich kennt. Ich habe Angst davor, dass ich zurückgeschickt werde“ (BE_NEM03).
! Incompréhension et confusion
"Dans mon rejet, il n’y avait pas d’arguments, sauf a) vous racontez des histoires et b) vous n’avez
pas de papiers. Rien d’autre, pas de réels arguments ont été avancés!" (ZH_NEM_02).
" Est-ce que c’est vrai que les illégaux peuvent aller en prison pendant 18 mois ? Ça c’est bizarre. Les
gens qui vendent de la drogue ou volent ne vont en prison que 2-3 mois […]" (ZH_NEM09).
"Quand tu n’arrives pas exactement à raconter, et que tu échoues un petit peu dans les phrases avec
l’attitude des autorités actuelles, ils s’en foutent de ce que tu as et directement te donnent une NEM."
(GE_NEM05)
! Découragement et impuissance
" C’est ça le système qui est mis en place pour que les gens s’autodétruisent. En plus c’est contre-
productif, comme ça on n’arrive plus à rentrer”. (GE_NEM02).
" Tous les jours c’est la même chose. C’est bizarre. Tout est bizarre. Comment dire… si on se lève
le matin…tu as vu la situation […]. Il n’y rien pour le moment. Pas de situation pour vivre"
(ZH_NEM05).
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OBJECTIF 2 : agir sur les conditions de vie pour décourager les candidats potentiels
Durant la période 2004-2007, les données quantitatives indiquent un recul global des
demandes traitées et une diminution des décisions NEM en nombre absolu mais non en
proportion des demandes traitées (motif principal : absence de papiers).
Diminution de décisions NEM en nombre absolu mais proportion constante
Année Décisions NEM Demandes traitées % NEM/demandes
2004 5’242 29’937 26,16%
2005 2’556 13’478 18,96%
2006 1’837 11’881 15,46%
2007 2’497 10’070 24,80%
Source : ODM, Statistiques en matière d’asile
http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home/themen/statistik/asylstatistik.html
Nombre de demandes et % de décisions NEM par rapport aux cas réglés pour trois provenances
Nigéria Guinée Géorgie Etat inconnu
demandes %NEM Demandes %NEM demandes %NEM demandes %NEM
2004 666 55% 439 52% 748 35% 236 40%
2005 382 49% 238 42% 441 31% 427 58%
2006 302 49% 88 35% 319 35% 378 57%
2007 327 75% 104 72% 221 63% 197 65%Source : idem.
! départs de Suisse, indépendamment de la destination
o ils concernent des circulations transnationales en Europe débouchant souvent sur un retour
en Suisse
o une personne sur trois fait appel à l’aide d’urgence et ne quitte donc pas immédiatement la
Suisse suite à une décision NEM
o d’après les données (aide d’urgence, arrestations), près d’une personne sur dix se trouve
encore ou de nouveau en Suisse un à deux ans plus tard
" limitation des nouvelles demandes d’asile risquant d’aboutir à une NEM
o selon certains spécialistes et représentants des autorités policières, il y aurait un
déplacement de l’asile vers d’autres stratégies
o la baisse des demandes d’asile entre 2003 et 2007 est diversement interprétée (effet
dissuasif, facteurs propres aux pays d’origine) et concerne l’ensemble des pays européens
A NOTER :
" La grande majorité des répondant-e-s n’envisage pas le retour au pays d’origine
" Nombre de personnes affichent même une grande détermination à rester sur le territoire malgré
une situation qu’ils perçoivent comme hostile
" La réitération de cette volonté malgré la politique dissuasive représente un des résultats centraux
de l’étude
" La remontée des demandes d’asile (surtout d’Afrique sub-saharienne) dès 2008 (période non
couverte par l’étude) ne conforte pas l’hypothèse de la dissuasion
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OBJECTIF 3 : réaliser des économies budgétaires, réduire les coûts de l’asile
la suppression de l’aide sociale a été justifiée également par les économies qu’on pouvait en
attendre. Si une véritable analyse des conséquences financières n’a pas été possible dans le
cadre de l’étude (absence de données d’avant 2004), il est néanmoins possible de noter les
points suivants :
! des économies substantielles ont certainement pu être réalisées au niveau de l’aide sociale fédérale
dans le domaine de l’asile (aide d’urgence en principe moins onéreuse, de courte durée,
concernant un tiers environ des personnes frappées de NEM)
! toutefois, des coûts ont été engendrés par l’introduction de la nouvelle politique, son monitorage et
l’appui fédéral croissant versé aux cantons (le forfait passant de CHF 600.- par personne en 2004 à
1'800.- en 2005, puis à 6'000.- dès 2008)
! les coûts supportés par les cantons ont dépassé de près de 37 millions l’indemnisation de la
Confédération du 1.04.2004 au 31.12.2007
! une série de coûts indirects non répertoriés : dépenses administratives, législatives, monitoring
cantonal, aide à la survie, police, aide des ONG et des personnes privées, etc.
! de par sa complexité, le nouveau régime a connu un peu partout de nombreux revers et
réorientations appelant un bilan des coûts administratifs et judiciaires engendrés
! vu le nombre limité de personnes concernées sur la période considérée (environ 10'000), ces
dépenses ont probablement été concédées en raison de l’aspect de mesure pilote de la suppression
de l’aide sociale aux personnes frappées de NEM, en vue de son extension à l’ensemble des
déboutés dès 2008.
LA PRODUCTION SOCIALE ET POLITIQUE DE L’INVISIBILITE
• les personnes se rendent « invisibles » face au risque d’être renvoyées (par ex.
elles sortent de l’aide d’urgence en cas de convocations répétées ou de plan de
vol)
• le contrôle et la contrainte à l’aide d’urgence induisent la disparition à
l’intérieur du territoire
• les mesures adoptées tendent à une gestion de l’asile et de ses coûts au prix de
la construction d’une catégorie de personnes sans existence légale avec les
risques encourus en termes de vulnérabilité et d’ordre public.
« Il faut tout de suite différencier les personnes qui faute de mieux vont solliciter l’aide d’urgence, de
l’immense majorité (environ 80-90%) qui préfère se débrouiller toute seule plutôt que de recevoir de la
nourriture en nature, avec toutes les contraintes que cela implique » (GE_SPEC12).
« Ce qui pose problème est que dans un pays où l’on a des administrations uniques en Europe, comme le
contrôle de l’habitant, où on part dans une dynamique très précise d’horloger, avec les NEM on dit
maintenant ils échappent à tout contrôle. Pour l’ordre public, cela me paraît contradictoire avec tout le
système mis en place. Si on dit on doit le présenter à l’ambassade pour identification, on ne sait plus où
il habite, il échappe à tout contrôle, alors qu’avant il devait venir renouveler, et on savait dans quel
foyer il était. Pour faire des économies minimes, des bouts de papier, et qu’on doit le chercher, on ne
sait pas où il est, il est parti dans la nature, dans une grande ville. Au niveau de notre notion de l’ordre
public cela est contradictoire » (GE_SPEC01).
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PARADOXES ET CONTRADICTIONS
! Le système institue un « statut de personnes sans statut »
! Interdire le séjour en Suisse tout en devant offrir une aide d’urgence rend la démarche difficile
à saisir
! Le dispositif mis en place prévoit une aide ponctuelle mais qui peut durer des années
! Il peut paraître contradictoire de prendre acte de l’illégalité de sa situation et de s’adresser aux
autorités pour leur demander de lui venir en aide
! L’absence d’accords entre Etats ou le refus de l’Etat supposé d’origine de reconnaître le/la
migrant-e comme son/sa ressortissant-e créent des situations où les demandeurs-ses se
retrouvent en quelque sorte captifs-ves dans l’Etat de destination
! On attend des personnes qu’elles quittent le territoire suisse, ce qui implique des stratégies de
mobilité, mais le système d’aide d’urgence les prive de toute liberté de mouvement
! Le manque d'argent liquide rend paradoxalement la prison plus "attrayante" que l'aide
d'urgence et pousse les personnes à la petite criminalité de survie
! La prison offre la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou l’accès à des soins médicaux
! L’insuffisance des ressources financières ne permet pas aux personnes de payer les amendes
qu’elles ont reçues et elles se voient assignées à l’exécution de travaux d’utilité publique pour
rembourser leur dette, alors que par ailleurs on leur interdit de travailler et de gagner de
l’argent
! Le départ vers un autre pays européen demande des ressources financières qui font
généralement défaut: les personnes qui ont de l’argent provenant d’une occupation illégale ne
sont pas prêtes à renoncer à cette source de revenus pour partir ailleurs
! Le système de rotation zurichois oblige les gens à changer de centre touts les sept jours mais
ne prévoit aucune mesure pour la réalisation ou le financement des déplacements engendrés,
ce qui revient à les pousser à commettre des actes illégaux
! Les communications avec le réseau international et la famille au pays se font généralement par
téléphone, sms ou internet mais les possibilités d’établir un contact en vue d’un éventuel
retour ou un départ vers un autre pays sont rendues difficiles faute d’argent
! Pour rendre l’aide d’urgence peu attractive, certains cantons (VD et GE) optent pour la
livraison de repas ou sandwichs préparés, qui est plus onéreuse et compliquée que le
versement de bons d’achat
! L’Etat, qui mise aujourd’hui sur les capacités et compétences des individus, déploie dans le
cas de l’asile une action institutionnelle expressément conçue pour priver les acteurs des
moyens de mener une existence digne et autonome et de construire des projets
! « Je pense que cela ne va pas affecter les délinquants, c’est un effet pervers du système NEM. Celui
qui vit du revenu du deal de cocaïne, qu’il vive avec l’aide d’urgence ou pas, ne va pas changer
grand chose. Celui qui ne monte pas dans un tram sans payer, lui ça va l’affecter. Encore une fois,
la non-entrée en matière cible ou mieux va avoir des effets négatifs sur les gentils, entre guillemets,
alors que sur les méchants, toujours entre guillemets, cela n’aura pas d’effet. Et c’est toute
l’absurdité de cette histoire de non-entrée en matière » (GE_SPEC01).
A NOTER :
" Le manque de lisibilité et de cohérence de la politique d’asile hevétique à la fois aux yeux des
bénéficiaires (potentiel-le-s) que des acteurs du système et des observateurs
" La fragilité de la clause de NEM et de l’usage de l’aide d’urgence dans le cadre de l’asile au
regard des exigences éthiques et du respect des droits humains (cf www.odae-romand.ch)
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LES OBSTACLES AU RETOUR
des mécanismes de nature psychosociale expliquent des effets paradoxaux induits par le
système dissuasif lui-même sur la « volonté » ou « capacité » d’envisager un retour
• La réactance psychologique!(Brehm, 1966).!La!privation de contrôle augmente la motivation à
exercer son contrôle sur les événements : les pressions au départ amènent les personnes à rester
en Suisse malgré les conditions précaires, afin de rétablir leur liberté de choix.
“Plus les gens ont le dos au mur, et plus ça pousse les gens au sacrifice suprême, rester là quoi qu’il
arrive” (LA_NEM04).
• L’impuissance acquise (Seligman, 1975). Le séjour prolongé dans des conditions de grande
précarité peut réduire à néant la motivation à rétablir le contrôle : les personnes restent alors
bloquées en Suisse car devenues incapables de se projeter dans le futur
« Bon, le principe est que les gens partent, mais la réalité de terrain fait que les gens sont
dépossédés de leur volonté, de leur capacité à décider. Les gens sont amorphes, il y en a qui disent
à d’autres : il faut bouger toi, un homme n’est pas comme ça. Il y en a qui restent à rien faire, ils
sont cloués » (LA_NEM03)
• La réduction de la dissonance cognitive (Festinger, 1957). Le décalage, psychologiquement
éprouvant, entre deux cognitions contradictoires (coût élevé de l’entreprise migratoire et situation
“dissuasive” au pays d’arrivée) conduit à revaloriser l’objet convoité (la migration) et à denier la
réalité de l’expérience. Ce mécanisme ne contribue pas à transmettre le message dissuasif au pays
d’origine.
des enjeux de reconnaissance au pays d’origine (renforcés par le déni de reconnaissance
dans le pays d’arrivée) rendent la perspective du retour problématique
• Le fait d’être placés par leur société dans un statut qu’ils n’ont pas atteint peut amener certains
migrants à appréhender un retour (sentiment d’échec, de honte, de « perdre la face »).
« Toute la famille s’est cotisée pour me permettre de partir, les attentes sont grandes, les espoirs sont sur
moi. Le retour c’est difficile car c’est un échec, et si on avait la possibilité de gagner sa propre vie et on
n’avait pas réussi ok. (…) On préfère souffrir dans l’ombre que vivre l’échec devant la famille. (…) »
(GE_NEM02).
• Le risque encouru en cas de retour les mains vides est de n’être pas cru ou de passer pour déloyal.
« J’ai même coupé les contacts avec mes frères et sœurs là-bas, car les gens pensent que lorsque tu es en
Europe, tu as la vie facile, et veulent que tu leur envoies toujours de l’argent » (GE_NEM05).
La fermeture des frontières et l’impossibilité de circuler constituent
aussi des obstacles au retour
« Avec un système plus libéral, il y aurait plus de retours volontaires. Surtout avec une formation, si on
planifie une formation sur 6 mois bien ciblée, vous rentrez chez vous et vous expérimentez. Si on peut
travailler pour une période limitée, 2-3 ans, après on peut rentrer dans des bonnes conditions. La bonne
politique sera celle des gens qui en arriveront là. S’ils avaient aussi le souci d’aider les Africains ce serait
ça qu’ils devraient faire, car l’aide au développement n’arrive jamais à la cible » (LA_NEM04).
A NOTER
" Les obstacles au retour constituent un véritable impensé de la réflexion sur l’asile et la migration
et sur leurs interconnexions
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Contact
Haute école de travail social
28, rue Prévost-Martin
Case postale 80
CH-1211 Genève 4
HETS/Université de Genève : [email protected]
SFM/Université de Neuchâtel : [email protected]
Groupe d’accompagnement
Gabriela Amarelle (déléguée à l’intégration, Ville de Lausanne), Jean-Christophe Bourquin
(Conseiller municipal Lausanne; Sécurité sociale et de l’environnement), Claudio Bolzman (HETS,
CEDIC), Yves Brutsch (CSP, Centre Social Protestant, Genève), Kathrin Buchmann (OSAR), Jakob
Clemant (OSEO, Oeuvre suisse d' entraide ouvrière), Marion Droz (Haute Ecole de Santé La Source,
HES-SO, Lausanne, CEDIC), Cécile Ehrensperger (EVAM, Etablissement Vaudois pour l'Accueil des
Migrants), Hugo Köppel (Croix-Rouge Berne), Françoise Kopf (IGA SOS Racisme Soleure), Thomas
Kunz (AOZ, Asyl-Organisation Zurich), Beat Meiner (OSAR), Jürg Schertenleib (OSAR), Muriel
Trummer (OSAR).
Soutiens financiers
CEDIC/HES-SO, Ville de Zurich, Ville de Winterthur, Ville de Lausanne, Ville de Genève, Ville de
Lucerne, Caritas, Commission Fédérale des Réfugiés (CFR), Croix-Rouge Suisse, Conférence Suisse
des Institutions d’Action Sociale (CSIAS), Entraide Protestante suisse (EPER), Organisation Suisse
d’Aide aux Réfugiés (OSAR), Oeuvre suisse d'entraide ouvrière (OSEO).