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Avec la collaboration de :Michel Robichez

Sylvie Fleury

Sciences économiques et sociales Terminale, série ES

Une réalisation de

Réviser son bacavec

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AVANT-PROPOS

Le cahier que vous avez entre les mains a pour objectif de vous aider dans la préparation de l’épreuve de Sciences économiques et sociales au baccalauréat. il est, évidemment, conforme au programme dé-fini par le ministère de l’éducation nationale. Son intérêt réside d’abord dans la manière dont il reprend, point par point, les différents thèmes du programme de Terminale en synthétisant dans L’essentiel du cours le socle des connaissances que vous devez maîtriser, mais aussi en listant dans les colonnes, les notions et les mots-clés dont vous devez connaître la définition précise.

Un sujet corrigé ou une partie de sujet, parfois deux, vous sont proposés pour chaque thème. Vous y trouverez ainsi des exemples de sujets récents tombés au bac.

Cependant, la véritable originalité de ce cahier tient à la mise en perspective du programme qu’apportent les articles tirés du journal Le Monde. Il s’agit de textes approfondis, parfois polémiques, dont certains ont pour auteurs des spécialistes reconnus en économie et en sociologie. Ils doivent vous permettre d’ajouter à la vision scolaire du programme un angle d’attaque plus « documenté » qui enri-chira votre copie à l’examen en vous fournissant, en particulier, des exemples précis.

Toutes les questions abordées reprennent des thématiques capitales comme celle des difficultés que connaît l’europe à consolider son unité ou les enjeux de la conciliation de la croissance économique et de la préservation de l’environnement.

Certaines problématiques, enfin, exigent de « croiser vos regards » en mélangeant les axes d’analyse de l’économie et de la sociologie.

Vous trouverez par ailleurs, en fin d’ouvrage, un guide pratique qui vous rappelle les grands principes de la méthodologie de la dissertation et de l’épreuve composée. Pensez également à vous inspirer des conseils que nous vous donnons sur le calendrier des révisions. Ces conseils sont, bien sûr généraux et chacun d’entre vous saura les adapter à son tempérament et à ses méthodes de travail.

Il nous reste à vous souhaiter bon courage en espérant que nous aurons, à travers cet ouvrage, contribué à votre succès.

Les auteurs

Message à destination des auteurs des textes figurant dans cet ouvrage ou de leurs ayants-droit : si malgré nos efforts, nous n’avons pas été en mesure de vous contacter afin de formaliser la cession des droits d’exploitation de votre œuvre, nous vous invitons à bien vouloir nous contacter à l’adresse [email protected].

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L’ESSENTIEL DU COURS

CROISSANCE, FLUCTUATIONS ET CRISES p. 5chapitre 01 – Quelles sont les sources de la croissance économique ? p. 6chapitre 02 – Comment expliquer l’instabilité de la croissance ? p. 14

MONDIALISATION, FINANCE INTERNATIONALE ET INTÉGRATION EUROPÉENNE P. 21chapitre 03 – Quels sont les fondements du commerce international

et de l’internationalisation de la production ? p. 22chapitre 04 – Quelle est la place de l’Union européenne dans l’économie globale ? p. 30

ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE p. 37chapitre 05 – La croissance économique est-elle compatible avec la préservation

de l’environnement ? p. 38

CLASSES, STRATIFICATION ET MOBILITÉ SOCIALES p. 47chapitre 06 – Comment analyser la structure sociale ? p. 48chapitre 07 – Comment rendre compte de la mobilité sociale ? p. 54

INTÉGRATION, CONFLIT, CHANGEMENT SOCIAL p. 61chapitre 08 – Quels liens sociaux dans des sociétés où s’affirme le primat

de l’individu ? p. 62chapitre 09 – La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur

du changement social ? p. 68

JUSTICE SOCIALE ET INÉGALITÉS p. 73chapitre 10 – Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice

sociale ? p. 74

TRAVAIL, EMPLOI, CHÔMAGE p. 79chapitre 11 – Comment s’articulent marché du travail et gestion de l’emploi ? p. 80chapitre 12 – Quelles politiques pour l’emploi ? p. 86

LE GUIDE PRATIQUE p. 93

SOMMAIRE

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L’ESSENTIEL DU COURS

Croissance, fluctuations et crises

MOTS CLÉS

COEFFICIENT D’INTENSITÉ CAPITALISTIQUE

Quotient de la valeur des équipe-ments techniques d’une entre-prise rapportée au nombre de salariés à temps plein. Mesure la valeur moyenne d’un poste de travail et augmente en fonction de la tendance engendrée par l’automatisation sur une longue période.

EUROS COURANTS/EU-ROS CONSTANTS

Quand on évalue une production aux prix de l’année en cours (en euros courants), on est victime d’une « illusion monétaire » puisqu’une partie de l’augmen-tation constatée sur l’année provient en fait de la hausse des prix et non de l’augmentation des volumes produits. Il faut donc déflater, chaque année, la valeur apparente de la production, de la hausse des prix de l’année, pour obtenir une série en euros constants.

PIBProduit intérieur brut. Principal agrégat de la comptabilité nationale. Mesure la valeur de la production d’un pays en une année. Se calcule en additionnant la valeur ajoutée créée par l’en-semble des agents économiques résidents dans un pays. Se décom-pose en PIB marchand et PIB non marchand.

PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL

Rapport entre la production réalisée et la quantité de travail utilisée. Peut se calculer « par tête » ou par heure (productivité horaire).

VALEUR AJOUTÉEMesure la contribution propre d’une entreprise à la création de richesses. Se calcule en soustrayant du chiffre d’affaires le total des consommations intermédiaires utilisées par l’entreprise, c’est-à-dire les achats de biens non durables et de services à d’autres entreprises.

Quelles sont les sources de la croissance économique ?

La croissance économique est, pour un pays, un enjeu de pre-mière importance parce qu’elle conditionne l’élévation du niveau de vie de ses habitants. Elle représente, pour les pou-

voirs publics, l’objectif principal de la politique économique. Mais ses origines sont difficiles à préciser.

Qu’est-ce que la croissance économique ?La croissance économique est l’augmentation sou-tenue, sur une longue période, de la production de biens et de services d’un pays. On la mesure par le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) à prix constants, calculé par année. Le PIB comporte deux sous-ensembles : le PIB marchand (somme des valeurs ajoutées créées par les unités de production résidentes sur le territoire national en un an) et le PIB non marchand (valeur de la production non marchande c’est-à-dire disponible gratuitement ou à un prix inférieur à son coût de production, ce qui recouvre les biens et services produits par les admi-nistrations publiques et privées mais ne s’échangeant pas sur un marché).On calcule le PIB par habitant en rapportant le PIB à la population du pays, ce qui fournit une évaluation assez grossière du niveau de développement du pays.

Les insuffisances du PIB comme indicateur de niveau de vie et de développementPour comparer les PIB/habitant de différents pays, il faut les traduire en une unité monétaire commune. L’utilisation des taux de change officiels des monnaies est à proscrire, parce que ces parités monétaires sont instables et fluctuent sans cesse, et parce qu’elles ne reflètent pas les parités de pouvoir d’achat entre les pays. La méthode des parités de pouvoir d’achat permet d’éliminer cette difficulté.

Mais les insuffisances du PIB tiennent surtout aux imprécisions concernant la valeur de certains biens ou services, notamment les services non marchands qui, n’ayant pas de « prix » sur un marché, sont simplement évalués à leurs coûts de production. De même, les activités non rémunérées (bénévolat, autoconsommation, entraide…) ne font pas l’objet d’une évaluation comptable et sont donc hors du périmètre de calcul. L’économie souterraine (le travail au noir, les trafics, etc.) échappe également à la comptabilisation.Enfin, le PIB inclut, dans son calcul, les activités de « réparation » de dégâts économiques et sociaux qui accompagnent l’activité économique : crimes et délits, accidents de la route, pollutions, alcoolisme, drogue, etc. Cet agrégat ne prend pas non plus en compte la perte de richesse collective que constituent, à long terme, l’épuisement des ressources naturelles et les atteintes irréversibles à l’environnement.

Les indicateurs complémentairesDe nombreux économistes ont, depuis les années soixante-dix, pris conscience de ces insuffisances et utilisent des indicateurs complémentaires pour évaluer le niveau de développement des pays en prenant en compte des éléments qualitatifs variés.L’indicateur le plus connu est l’indice de dévelop-pement humain (IDH), élaboré en particulier par le Prix Nobel Amartya Sen, et calculé depuis le début des années quatre-vingt-dix par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). C’est un indice composite intégrant trois critères : l’espérance de vie à la naissance, le revenu national brut par habitant, le niveau d’instruction de la population (repéré par la durée de scolarisation des adultes et la durée de scolarisation escomptée des enfants).L’IDH a une valeur comprise entre 0 et 1, le niveau de développement étant d’autant plus élevé qu’il est proche de 1. Ainsi, en 2013, la Norvège, l’Australie et les la Suisse occupent les trois premières places du classement (de 0,944 a 0,917), alors que la République démocratique du Congo et le Niger sont aux derniers rangs (0,338 et 0,337).Certains autres indicateurs mettent l’accent sur l’importance de la pauvreté ou sur l’amplitude des ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

Croissance, fluctuations et crises

NOTIONS CLÉSLE CAPITAL HUMAIN

Créée par le Prix Nobel d’écono-mie G. Becker, cette expression désigne les savoirs et savoir-faire accumulés par une personne. Le mot « capital » est utilisé parce qu’on considère que ce stock est le résultat des « investissements » réalisés au cours de la vie, par l’éducation initiale à l’école, puis par la formation professionnelle pendant la vie active. Mais, si ces éléments sont mesurables (niveau de diplôme, dépenses de formation), d’autres aspects moins chiffrables en font aussi partie : échanges spontanés de connaissances dans le milieu professionnel, expérience accu-mulée, ou encore état de santé de la population et aptitude physique et mentale au travail.

LA MÉTHODE DES PPALes comparaisons internatio-nales des niveaux de vie sont délicates et ne peuvent se faire en utilisant, pour convertir les diverses données nationales, les taux de change officiels : d’une part, ceux-ci fluctuent sans cesse sur le marché des changes et, par ailleurs, ils ne reflètent pas les rapports des prix entre pays. Il faut donc utiliser des «taux de change PPA» qui rendent équivalent, dans tous les pays, le prix d’un «panier de référence» composé approximativement des mêmes biens et services.

LE PROGRÈS TECHNIQUEQuelle est l’origine du progrès tech-nique ? Est-il un facteur exogène, extérieur au champ de l’activité économique, ou au contraire un facteur endogène de la crois-sance, produit par elle et permet-tant en retour de la renforcer ? Certains économistes comme les Américains Paul Romer et Robert Barro mettent particulièrement l’accent sur la course à l’innova-tion, l’amélioration qualitative du capital humain ou l’influence des externalités positives consé-cutives à l’action des pouvoirs publics (amélioration du niveau d’éducation et des infrastructures collectives).

inégalités sociales ou des inégalités hommes/femmes, d’autres intègrent la dimension écologique comme critère d’évaluation de la qualité de la croissance.

Quelles sont les sources de la croissance ?Cette question est une des plus discutées de la science économique car la réponse apportée a des impli-cations importantes sur la politique économique. Certains économistes ont cherché à mettre en équa-tion le lien existant entre les facteurs de production, les input, (le travail et le capital) et la production réalisée, l’output.La fonction Cobb-Douglas (du nom de deux cher-cheurs américains) se présente, par exemple, sous la forme suivante : Y = f(K,L), dans laquelle la production (Y) est fonction des quantités respectives de capital productif (K) et de travail (L) utilisées par l’appareil de production. La croissance de la produc-tion (∆Y) s’expliquerait en partie par l’accroissement des quantités de facteurs (∆K et ∆L) mises en œuvre.D’autres travaux (notamment ceux de l’Américain Robert Solow ou des Français Jean-Jacques Carré, Paul Dubois et Edmond Malinvaud) ont montré que l’explication de la croissance par l’accroissement des quantités de facteurs ne permet de rendre compte que d’une faible part de la croissance observée.Il faut donc faire appel à des facteurs qualitatifs pour expliquer ce que R. Solow appelle le « résidu » (part inexpliquée de la croissance). Ce résidu correspond, en réalité, à ce qu’on peut désigner par l’expres-sion « progrès technique ». Cette notion un peu vague recouvre tous les éléments qui, à quantités de facteurs inchangées, permettent d’obtenir une production supérieure, c’est-à-dire d’améliorer la productivité globale des facteurs de production (connaissances scientifiques accrues, savoir-faire amélioré, expérience, accroissement de la qualifica-tion de la main-d’œuvre, technologies plus efficaces, meilleure organisation productive, etc.). Parmi ces éléments, Gary Becker met l’accent sur la notion de capital humain.L’historien Douglass North, quant à lui, a montré l’importance du cadre institutionnel dans le pro-cessus de croissance, par exemple la qualité de la gestion des administrations publiques et la capacité

des structures politiques à résister à la corruption. Il inclut également dans ce cadre la capacité du système juridique (lois, règlements, tribunaux) à protéger les droits de propriété – ce qui garantit aux agents économiques de pouvoir disposer librement des biens qu’ils possèdent et d’arbitrer entre leurs usages, en ayant la certitude de recevoir les bénéfices éventuels issus de leurs décisions. Une situation politique stable par exemple, ou une protection rigoureuse des brevets protégeant l’innovation sont, selon D. North, des incitations fortes à l’initiative et au dynamisme économique, donc à la croissance de l’économie.L’observation des tendances longues de la croissance économique permet de remarquer qu’il ne s’agit pas d’un mouvement régulier et harmonieux. Des périodes exceptionnelles émergent (les célèbres « Trente Glorieuses » des années 1945-1975) mais aussi des périodes de crise (1929 ou 2008), venant interrompre le trend de croissance.

Joseph Schumpeter (1883-1950).

Enfin l’économiste J. Schumpeter a mis au centre de l’analyse des cycles de l’économie le rôle des vagues discontinues d’innovations qui, périodiquement, engendrent un processus de « destruction créatrice » se traduisant par des crises, des faillites et du chô-mage avant que ne s’amorce un nouveau cycle de croissance.

TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• D’un pays émergent à l’autre p. 10-11

(Claire Guélaud, Le Monde daté du 22.01.2014)

• Les économistes face à la mystérieuse panne de la productivité p. 11-12

(Valérie Segond, Le Monde daté du 01.07.2014)

• La Chine déboussole les marchés mondiaux p. 13

(Claire Guélaud, Le Monde daté du 24.08.2015)

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UN SUJET PAS À PAS

Document 1

Document 2Les pays industrialisés ont connu des gains de pro-ductivité d’une ampleur fantastique depuis 1870 : la production par emploi a été multipliée par environ 12 en France et 8,5 aux États-Unis sur ces 130 années.Les « Trente Glorieuses » de l’après Seconde Guerre mondiale au 1er choc pétrolier sont les années fastes de forte croissance de la productivité. C’est la fameuse « grande vague » de productivité, évoquée par Gordon, déferlant sur les États-Unis dès 1913. Puis, succèdent des années de fort ralentissement de la productivité, dès le milieu des années soixante aux États-Unis, et après le 1er choc pétrolier dans les différents pays industrialisés. Le rattrapage des niveaux de productivité américains par les économies européennes et japonaises s’amorce au début des années cinquante pour se poursuivre jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, sans être interrompu par le 1er choc pétrolier. Puis s’opère une réelle rupture des évolutions relatives de productivité

au cours des années quatre-vingt-dix : une accélération de la produc-tivité aux États-Unis et au contraire un ralentissement dans les pays européens. [...]Les écarts de gains de producti-vité entre l’Europe et les États-Unis : la production et la diffu-sion des TIC…L’impact de la production et de diffusion des technologies de l’information et de la communi-cation (TIC) sur les gains de pro-ductivité du travail transite par trois canaux :– grâce à l’augmentation des per-

formances des processeurs, la baisse rapide des prix des TIC amplifie la forte hausse des volumes produits par ces secteurs et permet des gains de productivité globale des facteurs dans ces secteurs et dans l’éco-nomie avec le renforcement de leur part dans le PIB ;– la diffusion des TIC permet aussi d’augmenter la productivité globale des facteurs des secteurs non-TIC qui utilisent intensément ces technologies, comme les assurances, la finance, la grande distribution ou l’aéronautique, grâce notamment à une meilleure coordination des acteurs du processus de production ;– l’investissement en TIC entraîne une hausse du stock de capital TIC disponible par emploi (substitution du capital au travail) et un renouvellement plus rapide des matériels, et aurait un effet positif sur la productivité du travail.

(Source : Rapports de Patrick Artus et Gilbert Cette, Productivité et croissance, Conseil d’Analyse

Économique, n° 4, 2004.)

ÉCONOMIES D’ÉCHELLEDiminution du coût moyen de production en raison de l’accrois-sement des quantités produites, les coûts fixes s’étalant sur un volume de production croissant.

INVESTISSEMENT BRUT/NET

Le capital fixe d’une entreprise est un stock alimenté par deux flux de sens opposés : un flux entrant (l’investissement brut) et un flux sortant (le matériel déclassé parce qu’il est usé ou obsolète). Le solde de ces deux flux, l’investissement net, mesure l’accroissement réel des capacités de production de l’entreprise.

RECHERCHE- DÉVELOPPEMENT

L’expression désigne la chaîne qui va de la recherche fondamen-tale (découvertes scientifiques) à l’application industrielle et commerciale (développement), en passant par la recherche appli-quée (mise au point d’un proto-type). L’effort de recherche-déve-loppement d’un pays est mesuré par la DIRD (dépense intérieure de R-D), souvent présentée en % du PIB.

TAUX D’INVESTISSEMENTAu niveau macro-économique, il se calcule par la formule : FBCF/PIB x 100. Il traduit l’effort d’inves-tissement consenti par un pays pour préparer l’avenir. En France, en 2014, il est de 22 %.

TAUX D’UTILISATION DES CAPACITÉS PRODUCTIVES

Il rend compte de la part du poten-tiel d’une entreprise qui, à l’ins-tant t, est effectivement utilisée. Il dépend largement de l’intensité de la demande, une entreprise pouvant se trouver, à certaines périodes, en surcapacité de produc-tion momentanée. On considère généralement que le plein-emploi des capacités se situe autour de 85 %, une marge de sécurité étant nécessaire pour permettre les opérations de maintenance et de réparation.

Épreuve composée, 3e partie : À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez comment le progrès technique favorise la croissance économique

NOTIONS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Mobilisation des connaissances– En quoi les gains de productivité sont-ils un facteur de croissance ?– Le PIB est-il un bon indicateur du niveau de développement d’un pays ?

Contribution des facteurs de production à la croissance

Taux de croissance annuels moyens en %1966-1970 1971-1980 1981-1990 1991-1995 1996-2008

États-UnisPIB 3,4 3,2 3,1 2,4 2,8

Travail 1,6 1,6 1,7 1,3 1,1Capital 0,6 0,5 0,3 0,2 0,5

Productivité globale des facteurs 1,2 1,1 1,1 0,8 1,2Union européenne à 15

PIB 5,0 3,2 2,4 1,7 1,9Travail - 0,7 - 0,6 0,1 - 0,7 0,9Capital 1,8 1,4 0,7 1,0 0,5

Productivité globale des facteurs 3,8 2,4 1,5 1,4 0,5Source : Eurostat 2010.

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9Croissance, fluctuations et crises

UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…La notion d’élasticitéLes économistes calculent une élasticité pour étudier dans quelle mesure une variable Y varie quand un de ses déterminants X varie. L’élasticité est égale au rapport : variation de Y (en %) sur varia-tion de X (en %). Par exemple, si la demande d’un bien augmente de 20 % quand son prix baisse de 10 %, l’élasticité de la demande par rapport au prix est égale à : 20/-10 = -2. La demande de ce bien est très sensible aux variations de prix. À l’inverse, l’élasticité de la demande/prix de certains biens est très faible : la demande de poivre est très peu sensible aux variations de son prix, quel qu’en soit le sens. Par contre, les études de marché montrent que la demande d’un journal quoti-dien a une forte élasticité/prix. On peut calculer de nombreuses élasticités, par exemple l’élasticité de la consommation par rapport au revenu : une personne perce-vant le RSA qui voit son revenu augmenter va accroître son niveau de consommation, alors qu’un milliardaire n’augmentera pas sa consommation si son revenu s’accroît. Une élasticité élevée entre deux variables suggère donc un lien de causalité entre ces deux éléments ou, au moins, leur liaison éventuelle avec une 3e variable.

La notion de productivité globale des facteursLa productivité mesure le rapport entre une production et la quantité d’un facteur de production utilisée pour la produire. On peut ainsi calculer la productivité du travail ou la productivité du capital. Mais il est difficile d’isoler, dans l’acte productif, la contribution précise de chaque facteur. La producti-vité globale des facteurs a pour objet de synthétiser l’efficacité de l’ensemble du processus de production en incorporant donc l’effet du progrès technique. Elle se calcule en rapportant la produc-tion à la valeur totale des facteurs (travail + capital + consommations intermédiaires) mobilisés pour l’obtenir.

Document 3

Exemple de corrigé rédigéLa question des origines de la croissance écono-mique amène à s’interroger sur le rôle qu’y joue le progrès technique. Les modèles de croissance extensive du passé se sont plutôt fondés sur l’ac-croissement des quantités de facteurs de produc-tion mis en œuvre (travail et capital). Aujourd’hui, la croissance de la production est souvent le résultat de gains de productivité obtenus dans l’utilisation des facteurs. Or ces gains de productivité sont en grande partie des conséquences du progrès technique.Les études sur la contribution des facteurs de pro-duction à la croissance montrent qu’une partie importante de l’accroissement de la production ne peut s’expliquer, de manière mécanique, par l’augmentation des quantités de capital et de travail. Ainsi, dans l’Union européenne, la croissance des années 1966-1970 s’explique-t-elle, pour 3,8 points sur 5, par des facteurs qualitatifs. Le constat peut être reproduit pour la période récente : aux États-Unis, la moitié de la croissance (1,2 point sur 2,8) a été obtenue, entre 1996 et 2008, par une progression de la productivité globale des facteurs.Mais le progrès technique recouvre une réa-lité complexe. Il se compose d’éléments qui s’incorporent aux facteurs de production. Ainsi, l’amélioration du niveau des connaissances par la recherche et la diffusion des savoirs par le sys-tème d’enseignement constituent des éléments majeurs de l’accroissement de l’efficacité du travail. De même, les innovations de procédés qui révolutionnent les modes de production des biens et des services s’incorporent généralement au capital technique par l’intermédiaire des investissements de productivité. Les gains de productivité issus des innovations de procédé ont deux types de conséquences favorables sur la croissance économique : d’une part, ils font baisser les coûts unitaires de production et, en aval, les prix de vente des biens ; d’autre part, par l’accroissement des revenus (salaires, profits) qu’ils engendrent, ils entraînent un accroissement de demande qui suscite une offre supplémentaire.

Cependant, l’économiste autri-chien Joseph Schumpeter (1883-1950) a montré que cet impact du progrès technique sur la production n’est pas linéaire et continu. Il procède par vagues (les grappes d’innovation) qui, de manière relativement régulière selon Schumpeter, déclenchent un processus de « destruction créatrice » : une innovation majeure disqualifie les modes de production et les produits anciens et provoque souvent une phase de crise, avant que

la diffusion du progrès ne relance une phase de croissance. Schumpeter a expliqué de cette manière les célèbres cycles Kondratieff d’une durée totale de 50 ans, marqués par l’alternance d’une phase de dépression et d’une phase de prospérité.

Ce qu’il ne faut pas faire• Oublier de définir les concepts clés de producti-

vité, d’élasticité et d’innovation.• Plaquer des parties de cours sans organiser leur

articulation au sujet.• Ne pas utiliser un ou plusieurs des documents

accompagnant le sujet.

Cette relation entre progrès technique et croissance économique fait aussi intervenir le rôle du cadre institutionnel et de l’action des pouvoirs publics. La nature des droits de propriété, par exemple, est plus ou moins favorable à l’initiative : en assurant aux innovateurs, par la protection des brevets, une « récompense monétaire », les pouvoirs publics encouragent l’innovation. Un autre aspect positif de l’intervention active de l’État peut être la mise en œuvre d’une politique de recherche-développement adossée à un financement public, notamment en ce qui concerne la recherche fondamentale, phase la plus onéreuse et la plus aléatoire de la recherche. L’accompagnement de la croissance par le dévelop-pement efficace des grandes infrastructures collec-tives innovantes (transports, communications...) génère des externalités positives pour les acteurs économiques privés et a des retombées favorables à la croissance.Cette contribution des pouvoirs publics qui, par leurs actions, facilitent l’apparition de l’innovation est légitimée par les théories dites « de la croissance endogène ». Celles-ci considèrent que le progrès technique, loin d’être un facteur extérieur non maîtrisable et un peu aléatoire, peut être suscité et encouragé par les politiques publiques en matière de recherche et d’enseignement. C’est la constance de cet effort, y compris en période de ralentissement économique, qui fait la différence entre les pays leaders et les autres.

Innovation de procédé

Croissance de laproductivité

Baisse de prix

Élasticité prixde la demande

Côté offre

Côté demande

Augmentation de l’offre

Augmentation de la demande

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LES ARTICLES DU

Croissance, fluctuations et crises

Y-a-t-il une vie au-delà des BRICS ? Quels pays sortent du lot après le Brésil, la

Russie, l’Inde, la Chine puis l’Afrique du Sud qui ont tant fait parler d’eux au début des années 2000 ? La banque HSBC pariait, en 2010, sur les « Civets » (Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie, Afrique du Sud). L’assureur-crédit Coface en tient, lui, pour les « CIPP » (Colombie, Indonésie, Pérou, Philippines). Et la liste est loin d’être close ! La question intéresse au plus haut point chefs d’entreprise et cabinets de conseil en quête de nouvelles frontières ; et elle divise les économistes. L’environnement macroéconomique a beaucoup changé depuis que Jim O’Neill, alors chez Goldman Sachs, a créé, en 2001, l’acronyme BRIC pour désigner un groupe de quatre pays à forte croissance (rejoints ensuite par Pretoria), jugé bien placé pour rattraper les économies dites avancées.Mais l’Inde, la Russie ou l’Afrique du Sud affrontent aujourd’hui de sérieuses difficultés. L’euphorie des années 2000 a disparu. Un vent de pessimisme lui a succédé, souvent excessif. Car les faits sont têtus. En 2013, le poids des écono-mies émergentes et en dévelop-pement dans le produit intérieur brut (PIB) mondial exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPA), a dépassé, pour la première fois, celui des pays avancés. En 2000, il ne représentait que 37 % de celui-ci, selon le Cepii, un centre d’exper-tise en économie internationale.

Une croissance moins soutenueLes émergents inquiètent. On les découvre fragiles : croissance ralentie, retour du risque-pays, exposition à la volatilité des capi-taux, instabilité politique. Leurs prévisions de croissance pour 2014 ont été revues à la baisse : + 5,1 % au lieu des + 5,5 % attendus

en juillet, a annoncé le Fonds monétaire international (FMI) en octobre 2013. La Banque mondiale tablait, elle, mi-janvier, sur + 5,3 % au lieu des + 5,6 % de juin 2013. On est loin des niveaux d’avant crise (+ 7,8 % par an entre 2003 et 2007).Chef économiste pour les pays émergents à la Société générale, Olivier de Boysson est catégo-rique : il « ne voit pas venir » de nouveaux BRICS. « Dans les années 2000, il y avait des facteurs importants de croissance, comme le rattrapage chinois, la hausse du prix des matières premières, l’ amélioration des termes de l’échange [le pouvoir d’achat qu’un pays détient grâce à ses exportations] ou encore des liquidités abondantes dans un contexte de taux directeurs bas. Certains d’entre eux jouent moins fortement, d’autres ont purement et simplement disparu », explique-t-il.François Faure, son homologue de BNP Paribas, est formel : « En termes de potentiel de croissance et de démographie, personne ne pourra se substituer à l’Inde ou à la Chine. » Sûrement. Mais de là à exclure la possibilité que s’affirme une seconde vague d’émergents, il y a un pas que nombre d’écono-mistes se refusent à franchir.

De nouveaux pays s’imposentÀ l’image du Myanmar (Birmanie), du Vietnam et de la Colombie, de nouvelles économies font une percée, tandis que d’autres consolident leur position, comme la Corée du Sud, la Turquie ou l’Indonésie. Ils évoluent dans un contexte différent de celui des années 2000, sont souvent moins dépendants des économies avan-cées et plus intégrés entre eux commercialement, observe le Trésor dans sa Lettre Trésor-Eco de janvier.Aussi, on ne compte plus les col-loques consacrés à l’Afrique, le

continent où il faut être. Il est vrai que son PIB croît de plus de 5 % par an depuis dix ans. Il s’y trouve des pépites. Le Nigeria, entre sa production de pétrole et sa popu-lation, en est une. L’Éthiopie, où la Chine investit massivement, commence à peine son décollage, mais elle suscite un intérêt crois-sant. Tout comme le Ghana et les pays lusophones (Mozambique, Angola). D’ici à 2020, le nombre de consommateurs africains apparte-nant aux classes moyennes — près de 400 millions — sera, il est vrai, comparable à celui de l’Europe de l’Ouest, selon le cabinet Boston Consulting Group (BCG).

Être émergent ou ne pas l’êtreFace à cette abondance, comment faire le tri ? Yves Zlotowski, éco-nomiste en chef de Coface, retient six critères pour identifier une économie émergente : « Une croissance à la fois forte, stable et régulière ; un certain degré de diversification économique ; un État sain ; un risque souverain sous contrôle ; une inflation relativement maîtrisée ; une stabilité politique accrue et une amélioration de la gouvernance et de l’environnement des affaires. »À cette aune, dit-il, quatre pays émergent : la Colombie, l’Indo-nésie, le Pérou et les Philippines. Tous, sauf le dernier, sont en déficit courant, ce qui reflète tou-tefois une certaine vulnérabilité. Le Mexique et la Corée du Sud, eux, n’ont pas été retenus. Trop matures, pas assez émergents.L’approche de Pricewater- houseCoopers (PwC), moins polarisée sur le risque-crédit et l’instabilité politique, est aussi intéressante. Dans son étude de janvier 2013 sur le monde en 2050, le cabinet d’audit tient compte de quatre facteurs-clés pour mesurer la croissance de long terme : l’augmentation de la population en âge de travailler, les niveaux

moyens d’éducation de la popu-lation adulte, les investissements et la « productivité globale des facteurs » (c’est-à-dire la part de la croissance qui ne s’explique pas seulement par l’accroissement d’un usage des facteurs de produc-tion, capital ou travail, mais, par exemple, par l’innovation). Dans la majorité de ces domaines, les pays émergents ont des potentiels de croissance supérieurs à ceux des pays avancés.

Un nouveau club, le « E7 »Les sept plus grandes économies émergentes (les BRIC, plus l’Indo-nésie, le Mexique et la Turquie) dépasseront le G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie et Canada) dès 2017 en termes de PIB exprimé en PPA. Selon ce même classement, la Chine devrait être leader mon-dial devant les États-Unis et l’Inde dans trois ans. Et derrière ce trio de tête, pointeront, en 2030, le Mexique, l’Indonésie, la Turquie et la Pologne et, en 2050, le Mexique, l’Indonésie, la Turquie, le Nigeria et le Vietnam.« Le Mexique, souligne Nicolas Granier, associé chez PwC, est un des pays qui progresse le plus. C’est le plus grand Etat hispanophone au monde. Il occupe une position-clé entre Amérique du Nord et Amérique du Sud. Il est très actif sur le plan commercial et diplomatique. Il a amélioré ses performances en matière d’alphabétisation, de scolarisation et de suivi de la santé. » Antoine de Riedmatten, associé chez Deloitte, confirme : « Le Mexique, c’est un peu l’usine des États-Unis. Le pays a de très belles années devant lui et ses problèmes de sécurité sont très localisés. »

Une logique de « clusters »Mais des pays de second rang possèdent aussi des atouts. « Pour une entreprise de taille

D’un pays émergent à l’autreLes BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ralentissent, d’autres économies connaissent une forte croissance.

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intermédiaire désireuse de s’ouvrir à l’international, le Maroc apparaît comme un “hub” pour développer le commerce en Afrique, selon Stéphane Baller, associé d’Ernst & Young. De même, Oman ou le Koweït peuvent constituer une alternative à Dubaï. »À ses clients qui recherchent d’autres eldorados que les BRICS, où la concurrence est souvent déjà rude, le BCG propose une méthodologie. « Il faut s’intéresser aux groupes de pays ayant une population suffisante pour tirer

la consommation et dont le PIB en termes de PPA atteint 15 000 dollars [11 000 euros]. C’est à partir de ce seuil que se fait le décollage économique et qu’apparaissent des classes moyennes et influentes, consommatrices d’électroménager, d’automobile, de services, de voyages, de beauté », analyse Olivier Scalabre, du BCG.Dans l’automobile, le cabinet a identifié quinze pays prioritaires regroupés par « clusters » : les nations de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est),

l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, les pays andins — Chili, Bolivie, Pérou — et l’Afrique du Nord — Algérie, Maroc, Égypte. Une approche complémentaire, plus fine, utile pour se mouvoir dans un environnement mondial compliqué et changeant.

Claire Guélaud Le Monde daté du 22.01.2014

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Les pays émergents sont au-jourd’hui les principaux sou-tiens de la croissance mondiale. Pourtant, ces pays commencent eux aussi à connaître des signes de ralentissement. Une nouvelle vague d’émergents va-t-elle prendre le relais des BRICS ? Les avis des experts sont, sur ce point, partagés.

Les économistes face à la mystérieuse panne de la productivité

C’est dans un contexte par-ticulier que vont s’ouvrir, du 4 au 6 juillet [2014],

les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, sous l’égide du Cercle des économistes sur le thème « Investir pour inventer demain ». Alors que tous s’accordent sur l’idée qu’inves-tissement et innovation sont les moteurs de la productivité du travail, laquelle détermine à long terme croissance et pros-périté, les voilà confrontés à une étrange panne de la pro-ductivité dans les économies avancées.Il ne manque pourtant pas d’éco-nomistes au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et à l’OCDE (Organisation de coopéra-tion et de développement écono-miques) pour expliquer que les nouvelles technologies de l’infor-mation et de la communication (NTIC), dopent en principe la pro-ductivité du travail dans toutes les économies. Car, avec la baisse des prix, ces technologies se diffusent dans tous les secteurs d’activité tout en améliorant en permanence leurs performances grâce à la loi de Moore. Mais cette fois les faits semblent résister à la théorie : à l’exception des années 2000, les investissements massifs dans les

NTIC n’ont pas eu l’effet annoncé sur la croissance des économies avancées et sur leur productivité. C’est bien le retour du paradoxe de Robert Solow, cet économiste américain, Prix Nobel en 1987, qui s’étonnait que la multiplica-tion des ordinateurs n’ait pas eu d’effets sur les statistiques.Tout se passe comme si certaines bonnes vieilles lois économiques ne fonctionnaient plus : « On a eu beau accroître le capital par salarié, cela n’a pas accéléré la pro-ductivité du travail, qui a ralenti partout », alerte l’économiste de Natixis Patrick Artus. Résumant le désarroi général, Gilbert Cette, économiste à la Banque de France, affirme : « Alors que la diffusion des NTIC dans les entreprises devait en toute logique accélérer les gains de productivité dans l’économie, ceux-ci ont énormément ralenti, et ce bien avant la crise de 2008. »Mais où sont donc passés les gains de productivité ? Si chacun s’interroge, il y a d’abord un double problème de lecture. « Alors que la comptabilité natio-nale tient compte de la qualité des produits, elle ne sait pas faire de même pour les services, souligne Patrick Artus. Ainsi, un billet de train acheté sur Internet qui a fait économiser une demi-heure de

queue n’est pas mesuré différem-ment. L’amélioration de la qualité est comptée pour zéro. » L’outil sta-tistique est d’autant plus déficient que, remarque l’économiste amé-ricain Erik Brynjolfsson, « dans un monde où la gratuité s’étend, les services “offerts” par les Google, Facebook, YouTube comptent pour zéro dans le PIB nominal. De façon générale, en pesant sur les prix, la digitalisation des services pèse sur le PIB, donc sur la productivité. » Et Patrick Artus de conclure : « Il est bien possible que le PIB et, partant, les gains de productivité soient aujourd’hui très largement sous-estimés. »Le deuxième problème de lec-ture du phénomène tient à « la crise de 2008, dont la violence et la durée ont brouillé la lisibi-lité de la productivité », estime Dirk Pilat, directeur adjoint des sciences, technologies et indus-tries à l’OCDE. Si l’on voit bien que la productivité a chuté avec la croissance en 2008, ce qui est frap-pant, c’est que, selon les sources, les périodes et les périmètres retenus par les économistes, les évaluations de la productivité par tête varient du tout au tout. C’est ainsi que, s’appuyant sur les sta-tistiques du « Bureau of Labor » américain, Erik Brynjolfsson et

Andrew McAfee affirment, dans leur livre Race Against the Machine (2011), que dans la décennie 2000 à 2010 la productivité du tra-vail dans le secteur marchand non agricole aux États-Unis a retrouvé son niveau des années 1960, à 2,5 % l’an. Pour eux, elle ne stagne pas, bien au contraire : elle accélère à nouveau.C’est tout le paradoxe de la pro-ductivité : alors que c’est la clé de notre future prospérité, son appréciation, qui est un résidu de la croissance une fois retirée l’aug-mentation du capital et du travail, ne relève pas d’une science exacte. Une confusion qui sera peut-être levée par les nombreux travaux de recherche en cours sur le sujet aux Etats-Unis comme en Europe. Et par la conférence sur l’avenir de la productivité que l’OCDE organise les 25 et 26 septembre prochains.Mais si la lecture des effets des NTIC est si délicate, c’est aussi parce que, « entre l’apparition d’une nouvelle technologie et son impact sur la productivité de l’ensemble de l’économie, les délais sont toujours plus longs qu’on ne le pense, explique Dan Andrews, économiste senior à l’OCDE. Il aura fallu trente ans pour que la diffusion de l’électricité dans l’ensemble des usines américaines ©

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porte ses fruits. » Quant aux effets des premières NTIC, ils ont mis dix ans à apparaître dans les secteurs qui les ont utilisées, car, précise M. Andrews, elles entraînent des réorganisations massives au sein des entreprises, dont les effets sur l’efficacité n’apparaissent qu’au bout d’un certain temps, si elles disposent des compétences spécifiques pour les utiliser au mieux. Sans oublier, ajoute-t-il, « que les NTIC ne donnent leur plein effet que si l’environnement réglementaire permet aux acteurs de réallouer rapidement leurs res-sources. » Ce qui explique, selon lui, l’écart persistant entre les gains de productivité aux États-Unis et en zone euro.C’est peut-être le facteur temps qui a été sous-estimé. « En vérité, les investissements en NTIC ne permettent pas de dégager rapi-dement des gains de productivité, affirme Didier Desert, associé chez EY. Car ils coûtent cher, ils exigent une transformation en profondeur des organisations et méthodes de travail et leurs premiers bénéfices sont souvent réinvestis dans une baisse des prix ou une améliora-tion du service offert aux clients. » Ainsi, pour renforcer, voire pour seulement maintenir leur position concurrentielle dans un monde qui change de plus en plus vite, croît en complexité et voit surgir de nouvelles menaces, les entre-prises sont amenées à consommer immédiatement les gains de pro-ductivité qu’elles parviennent tant

bien que mal à réaliser. Lesquels demeurent ainsi invisibles.Et ce d’autant que les NTIC génèrent d’importantes externa-lités négatives qui absorbent une large partie des gains attendus. Le coût réel des gains de productivité pourrait bien lui aussi avoir été sous-estimé. « On oublie toujours qu’il faut maintenir des équipes entières d’entretien des serveurs, des systèmes et des réseaux, des gardiens de la sécurité informa-tique, etc., dont les coûts absorbent une grande partie des économies réalisées », met en garde M. Artus.« Dans la grande majorité des cas, les outils informatiques choisis ne répondent pas aux objectifs d’opti-misation, car les systèmes d’infor-mation sont des kaléidoscopes de systèmes hétérogènes portés par des outils qui ne se parlent pas entre eux, en particulier dans les groupes qui ont grandi par croissance externe en absorbant des nouveaux systèmes étrangers, confirme Michelle Gillet, consul-tante et auteur du Management des systèmes d’information (Dunod, 2010). Pour éviter les erreurs, il faut toujours mettre en place des équipes qui assurent le contrôle des données et la récon-ciliation des systèmes. Combien de gains de productivité attendus sont ramenés à zéro par ces charges de structure supplémentaires ? Mais les entreprises n’en sont pas conscientes car, les solutions infor-matiques ayant été choisies par leurs directions, ces dernières ne

mènent pas l’audit global pour en mesurer l’efficacité réelle. »Au-delà, des tendances lourdes modifient aussi en profondeur la dynamique des économies avan-cées, comme le souligne M. Artus. D’abord le vieillissement des popu-lations qui, devenant plus gour-mandes en services qu’en biens, tend à déplacer l’emploi d’activités industrielles et financières très productives vers des activités peu productives, telles que les services à la personne et la restauration, comme aux États-Unis. C’est donc la structure de l’économie qui, en se déformant, pèse sur sa pro-ductivité globale. Ensuite, toutes les activités productives sont devenues elles-mêmes beaucoup plus capitalistiques. En 2000, la construction d’une usine de semi-conducteurs coûtait 5 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros). Aujourd’hui, pour les nouvelles générations de semi-conducteurs, il faut compter 15 milliards. De même dans l’industrie pétrolière, selon les lieux d’extraction, il faut trois à cinq fois plus de capital qu’il y a dix ans pour produire un baril.Enfin, la recherche elle-même a aujourd’hui des rendements décroissants, comme dans la phar-macie, où les coûts de lancement d’un médicament n’ont jamais été aussi élevés, pour de vraies innovations de plus en plus rares. « Il n’y a jamais eu autant de cher-cheurs ni de brevets accordés dans le monde, dit Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives. Mais il s’agit davantage de briques d’innovations que d’innovations de rupture. »La panne de l’innovation : serait-ce le mal qui sape notre productivité du travail ? Patrick Artus en est convaincu. « Si la productivité du travail ralentit, bien que le capital par salarié augmente partout, c’est parce qu’il n’y a plus de progrès

technique depuis dix ans », dit-il. En jargon économique, on appelle ça la stagnation de la productivité globale des facteurs. Un propos qui fait écho aux conclusions de plusieurs économistes américains. Tels que Tyler Cowen, qui affirme, dans La Grande Stagnation (Dutton, 2011), que nous avons déjà récolté les fruits des innova-tions les plus faciles à exploiter et qui ont tiré la croissance du milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin des années 1970, et son confrère Robert Gordon, pour qui les inno-vations digitales ne sauraient constituer une véritable révolu-tion, comme le furent naguère celles de l’électricité, du moteur et des WC à l’intérieur. Pour ce dernier, en l’absence d’une véri-table nouvelle révolution tech-nologique, nous avons épuisé les gains de productivité.Si cette thèse est très débattue, notamment aux États-Unis, où Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee en ont pris le contre-pied, économistes et politiques s’inter-rogent aujourd’hui : sommes-nous à la fin d’un cycle d’innovations nous condamnant à une crois-sance plate ? Ou en transition, en attendant la nouvelle vague qui ramènera la croissance ? « Nous ne sommes que dans la première phase de la transformation, celle de la rationalisation des activités par l’abaissement des coûts, estime M. Giget. Dans toutes les révolu-tions technologiques, cette phase de destruction a toujours été anté-rieure à la phase de création de richesses et d’emplois. Mais il se pourrait bien qu’avec la transfor-mation numérique cette première phase soit beaucoup plus longue que les précédentes. »

Valérie Segond Le Monde daté du 01.07.2014

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Au cœur de l’explication des origines de la croissance, les théories économiques privilégient le rôle des innovations. Pourtant, la diffusion massive des technologies numériques ne semble pas avoir eu, jusqu’à présent, d’effet dynamisant sur les gains de productivité. Est-il encore trop tôt pour voir apparaître ces effets ou s’agit-il d’une « panne » historique du progrès technique ?

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13Croissance, fluctuations et crises

L’économie mondiale peut-elle résister à la crise chinoise, à l’effondrement

du prix des matières premières et au plongeon des Bourses ? Ou faut-il croire Jacques Attali, qui voit poindre une «  dépression planétaire » ? Vendredi 21 août, l’annonce d’une contraction marquée de l’activité manu-facturière en Chine – la plus forte depuis 2009 – a ravivé les craintes sur l’état réel de la deuxième économie mon-diale et prolongé le blues des marchés. En une semaine, le Dow Jones plonge de 5,8 % et le CAC 40 de 6,57 %. Et ce ne sont pas quelques enquêtes pas si mauvaises sur la zone euro qui les rasséréneront. La croissance s’est faite rare et faible. Huit ans après le début de la crise des subprimes aux Etats-Unis, les économistes du Centre de recherche français dans le domaine de l’économie internationale, le Cepii, dans leur ouvrage à paraître sur l’économie mondiale en 2016, notent que « le doute demeure » sur la possibilité d’un « retour à la normale  » dans des éco-nomies avancées exposées au risque de stagnation séculaire. En calant, la Chine entraîne dans son sillage des émergents fragilisés depuis déjà cinq ans. La nouveauté de la rentrée est que plus aucune grande région du monde ne va vraiment bien, même si quelques pays s’en sortent.

« Hard landing »La croissance à deux chiffres de l’ancien empire du Milieu ne pouvait durer. Mais son ralentis-sement, souhaité par les autorités

désireuses de changer de modèle économique, est bien plus brutal que prévu et s’apparente à un « hard landing », ou atterrissage forcé. Plus personne ne croit aux 6,8 % prévus pour la Chine en 2015 par le Fonds monétaire interna-tional. La baisse des exportations en juillet (– 8,3 %) atteste les pro-blèmes de compétitivité chinois ; la chute des importations reflète l’insuffisance de la demande intérieure ; la baisse continue des prix à la production signale l’excès d’offre et l’existence de surcapacités dans de nombreux secteurs.D’après l’économiste en chef de Natixis, Patrick Artus, qui signale aussi une stagnation de la consommation d’électricité, la croissance chinoise serait plus proche des « 2 % à 3 % » que des 7 % fixés par Pékin. « Avec un PIB chinois progressant de seulement 3  %, la croissance de l’économie mondiale se limitera en 2015 à 2 %, soit 1,5 point en dessous de son potentiel. A ce niveau, on peut déjà parler de récession mondiale  », analyse-t-il.

« La Chine exporte son ralentissement »Circonstance aggravante, la Chine occupe une place à part dans un commerce mondial faiblard. Premier partenaire commer-cial de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, elle est l’un des plus gros consommateurs de matières premières. La faiblesse de sa demande aggrave les dif-ficultés des pays producteurs : Chili, Russie, pays de l’OPEP, Nigeria, Afrique du Sud, Angola, etc. Le cas le plus dramatique est celui du Brésil, ce géant aux pieds d’argile dont le PIB représente

le quart de celui de la Chine et qui n’a pas su profiter de la période de l’argent facile et du boom des matières premières pour engager les réformes néces-saires à sa croissance (éducation, infrastructures…).«  La Chine exporte son ralentis-sement dans des pays émergents qui ne peuvent plus jouer, comme entre 2009 et 2013, le rôle de sou-tien de l’économie mondiale  », note le directeur général de COE Rexecode, Denis Ferrand. « Ce qui se joue en Chine peut entraîner, par contagion, une dépression pla-nétaire (...). Au total, la récession chinoise, si elle se confirme, entraî-nera celle du Brésil, qui provoquera celle des Etats-Unis, puis la nôtre », s’inquiète M. Attali dans un post de blog du 17 août. Même limitée, la dévaluation du yuan a accentué le dévissage de plusieurs devises. Vendredi 21 août, la Banque asia-tique de développement a volé au secours du Kazakhstan. Ce pays producteur de pétrole avait décidé jeudi de laisser flotter sa mon-naie, le teng. Elle a perdu près de 25 % de sa valeur. Une deuxième dévaluation massive en un an et demi ! D’autres pays, notamment africains, peuvent être tentés d’ajuster à leur tour leurs taux de change. L’économie mondiale n’aurait rien à y gagner…

Des politiques monétaires sans effetNombreux sont les investisseurs à voir dans la dépréciation du yuan le signe que les autorités du pays sont divisées sur leur politique économique et moins sûres de son efficacité. La difficulté pour tous les gouvernements et pas seulement pour Pékin est, comme le dit M. Ferrand, qu’«  ils n’ont

plus rien dans leur cartouchière ». Que faire ? Pour M. Attali «  la solution la plus folle, la plus facile, serait d’imprimer encore plus de billets, comme on le fait déjà aux Etats-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne et dans la zone euro ».Ce scénario est en marche, selon M. Artus : « Il y aura une hausse symbolique des taux d’intérêt américains, probablement en sep-tembre, mais globalement les politiques monétaires seront encore plus expansionnistes, tout en restant très inefficaces.  » L’énorme matelas de liquidités flottantes (20 000 milliards de dollars) que ces politiques ont fabriqué, « se balade » au gré des humeurs des investisseurs d’une région du monde ou d’une classe d’actifs à une autre. « L’épargne se replie sur les actifs sans risques, déplore l’économiste. Elle cesse de financer le capital productif. Cette crise financière permanente entre-tient le sous-investissement.  » Et participe ainsi à la crise de l’éco-nomie réelle.

Claire GuélaudLe Monde daté du 24.08.2015

La Chine déboussole les marchés mondiauxLa faible croissance chinoise fait plonger les Bourses et entraîne dans son sillage devises et matières premières.

POURQUOI CET ARTICLE ?

Depuis une décennie, la crois-sance chinoise a « tiré » la crois-sance mondiale en grande partie grâce à des exportations dyna-miques. Cependant, la compé-titivité des produits chinois est désormais en recul, et le taux de croissance du PIB chinois ne cesse de fléchir, faisant courir à l’économie mondiale le risque d’une nouvelle récession.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Croissance, fluctuations et crises

MOTS CLÉSDEMANDE GLOBALE

Constituée de l’addition de toutes les utilisations possibles de la production d’un pays, la demande globale comprend la consomma-tion finale + la formation brute de capital fixe + les exportations + les variations de stocks. Les évolutions de ses composantes conditionnent le niveau de la croissance du PIB.

INFLATION/ DÉSINFLATION/ DÉFLATION

L’inflation désigne un mouve-ment général et continu de hausse des prix. La déflation correspond à un mouvement de baisse des prix. Le terme « déflation » est aussi utilisé pour désigner la baisse de l’acti-vité économique, consécutive à la spirale baisse des prix à baisse des revenus à baisse de la demande. On appelle « désinflation » le ralen-tissement de l’inflation.

POLITIQUE BUDGÉTAIRELa politique budgétaire est un ensemble de mesures ayant des conséquences sur les ressources ou les dépenses inscrites au budget de l’État et destinées à agir sur la situation économique du moment (on parle de politique « conjoncturelle »).

POLITIQUE MONÉTAIRELa politique monétaire est un ensemble de mesures destinées à agir sur les conditions du finan-cement de l’économie à travers le volume de la masse monétaire et les taux d’intérêt. Une politique monétaire peut être restrictive pour endiguer les risques d’inflation ou au contraire expansive pour favori-ser la relance de l’économie.

RÉCESSIONLe terme désigne, traditionnelle-ment, une phase momentanée de ralentissement de l’activité économique, contrairement à la « dépression », qui a un caractère durable. Les organismes américains d’analyse économique et l’Insee la définissent officiellement comme un recul du PIB d’au moins deux trimestres consécutifs.

Comment expliquer l’instabilité de la croissance ?

La croissance économique ne suit pas, sur le long terme, un rythme régulier et connaît des périodes d’accélération et de ralentissement, voire de recul. Les grandes crises écono-

miques des xixe et xxe siècles, ou la « panne de croissance » prolongée que connaît l’Europe depuis plusieurs décennies témoignent de cette irrégularité de la croissance. Les économistes divergent sur les explications de ces fluctuations économiques contre lesquelles les politiques menées par les pouvoirs publics sont aujourd’hui relativement impuissantes.

Le constat de l’irrégularité de la croissance économiqueDe multiples observations statistiques ont, depuis la fin du xixe siècle, confirmé l’instabilité de la croissance : le Français C. Juglar ou le Russe N. Kondratiev ont mis en évidence des « ondulations » de certaines variables, notamment du rythme de la production et de l’évolu-tion des prix. Ces mouvements semblent montrer que l’activité économique évolue selon des « cycles » dont la périodicité serait relativement régulière. La « Grande Dépression » de 1929 a, par exemple, interrompu bru-talement un cycle de croissance et s’est traduite, dans certains pays, par un recul massif de la production. Aux États-Unis, le Produit intérieur brut a presque été divisé par deux, en termes réels, entre 1929 et 1933. À l’inverse, après la Seconde Guerre mondiale, la France, et plus globalement l’Europe occidentale, ont connu une longue phase de croissance forte, les « Trente Glorieuses », entre 1945 et 1975, pendant laquelle le taux de croissance du PIB a été, en moyenne, de l’ordre de 5 % par an. À cette période de prospérité exceptionnelle a succédé une phase de ralentissement marqué. La différence avec la « Grande Dépression » de 1929 est que, depuis 1975, les baisses du PIB ont été peu nom-breuses, la production continuant à progresser, mais à un rythme ralenti. Cette nouvelle situation n’exclut cependant pas le retour des crises : en 2009, à la suite de la crise financière mondiale de 2008, la plupart des pays développés ont connu un recul de leur PIB (− 2,7 % pour la France et − 6,3 % pour le Japon, par exemple). La France n’a retrouvé le niveau du PIB de 2008 qu’à la fin de 2013 et depuis, notre pays connaît une croissance ralentie (+0,2 % en 2014, +1,1 % prévu en 2015).

Des explications multiplesLes différentes hypothèses avancées pour expliquer ces fluctuations reflètent des clivages d’analyse révélateurs de l’éventail théorique et idéologique de la science économique. Certaines écoles de pensée mettent en effet l’accent sur des phénomènes affec-tant la demande comme moteur de la croissance,

alors que d’autres privilégient la prise en compte des conditions qui caractérisent le fonctionnement de l’appareil productif et sa capacité à générer l’offre de biens et de services.

L’insuffisance de la demandeL’économiste britannique J. M. Keynes (1883-1946) a mis au cœur de son analyse de la crise l’insuffisance de la demande globale. Pour lui, le ralentissement du rythme de la production est le résultat de l’insuf-fisance de débouchés au niveau des composantes de cette demande globale, c’est-à-dire de la consom-mation des ménages ou des dépenses publiques et, par rebond, de l’investissement des entreprises. Confronté à la dépression de 1929, Keynes décrit le cercle vicieux qui, selon lui, auto-alimente la crise : baisse de la demande globale ralentissement de l’activité économique montée du chômage et baisse des revenus des ménages baisse de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises, etc.

« Jeudi noir » du 24 octobre 1929, à Wall Street.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Croissance, fluctuations et crises

NOTIONS CLÉSLES CYCLES JUGLAR ET KONDRATIEV

Le cycle Juglar a une durée de huit à dix ans. Le cycle Kondratiev, d’une durée moyenne de cinquante ans environ, alternerait une phase de forte croissance de vingt-cinq ans, suivie d’une phase de même durée de ralentissement économique pouvant déboucher sur une baisse de la production (dépression).

LA DESTRUCTION CRÉATRICE

Concept développé par l’écono-miste autrichien J. Schumpeter (1883-1950) pour décrire le processus contradictoire auquel on assiste lors des grandes crises, la destruction des « éléments vieil-lis » (industries traditionnelles, modes de production anciens) et la création « d’éléments neufs » (nouvelles technologies, nouveaux produits, etc). Ce processus, souvent socialement douloureux, serait à l’origine de la dynamique du capitalisme.

L’INNOVATIONSchumpeter distingue cinq grandes formes d’innovation : nouveau produit, nouveau procédé de production, nouveau débouché, nouvelle matière première, nouvelle organisa-tion des structures productives. Aujourd’hui, on distingue « inno-vation de produit », « innovation de procédé » et « innovation organisationnelle ».

ZOOM SUR…La BCE, pilote monétaire de la zone euroLa Banque centrale européenne (BCE) a pour mission de gérer la monnaie de la zone euro en maintenant la stabilité des prix. Son principal outil de régulation du crédit est le taux directeur, taux auquel les banques commerciales se refinancent auprès d’elle. Depuis 2008, la BCE a ouvert des facilités de refinancement pratiquement sans limites pour éviter l’effon-drement du système bancaire européen.

La crise de surproductionKarl Marx (1818-1883), dans une analyse critique du mode de production capitaliste, a mis en cause la logique de l’accumulation des profits réalisés par les détenteurs du capital, accumulation qui les amène à sur-développer les capacités de production par rapport aux débouchés de la consommation. Ce décalage récurrent entraîne un retour régulier des crises de surproduction qui engendrent un chômage de masse aggravant la surproduction. Le retour cumulatif des crises conduit K. Marx à prophétiser, à terme, un processus de destruction des structures du capitalisme.

Le choc d’offre de l’innovationL’expression « choc d’offre » désigne les effets sur l’éco-nomie d’une transformation soudaine et importante des conditions de la production, comme la hausse ou la baisse brutale des prix d’une matière première ou la mise au point d’un procédé de production innovant ou d’un produit nouveau. L’économiste autrichien J. Schumpeter (1883-1950) a développé une analyse des cycles économiques fondée sur l’irruption, à intervalles réguliers, d’innovations majeures qui révolutionnent les modes de production et de consommation. Ce choc sur l’offre se traduit, dans un premier temps, par l’élimination des structures vieillies et des produits obsolètes (situation de crise et montée du chômage), mais provoque ensuite une phase de croissance dynamique lorsque les effets de l’innovation se diffusent. Le concept schumpétérien de « destruction créatrice » rend compte de ces deux mouvements contradictoires.

La crise pétrolière, choc d’offre et de demandeLa crise du milieu des années 1970 est souvent attri-buée à l’envolée du prix du pétrole en 1974 (multiplié par 4 en quelques mois) car cette hausse se répercute sur les coûts de production des entreprises et nuit à leur compétitivité. Cette pression sur les coûts contraint les entreprises les plus fragiles à réduire leur production et entraîne la faillite de certaines d’entre elles. Pour les ménages, cette hausse déclenche aussi un « choc de demande » : en augmentant le poids de la facture énergétique dans les budgets, elle comprime le pouvoir d’achat et réduit la consommation des autres produits manufacturés et services, mettant en difficulté les entreprises qui les produisent. La spirale de la récession est alors en marche.

Crise financière, crise du créditUne autre explication met en avant le rôle des désordres financiers dans la genèse de la crise. On sait que la « Grande Dépression » des années 1930 a, au départ, une origine boursière, le krach de Wall Street d’octobre 1929, en raison du climat général de spéculation sur les valeurs mobilières qui débouche sur une déconnexion entre la sphère financière et la sphère de l’économie réelle. La rapide diffusion de la crise d’une sphère à l’autre se fait alors par la contraction du volume du crédit (credit crunch), qui résulte de l’effondrement des titres boursiers et des faillites bancaires.Sur le même schéma, la bulle financière engendrée par la spéculation immobilière des années 2000 aux États-Unis a débouché sur la crise des subprimes à partir de 2007. Ces emprunts « à risque », accordés à des débiteurs insolvables, incapables de les rem-bourser, ont fait s’effondrer la valeur du patrimoine de ceux qui détenaient ces titres dans leurs porte-feuilles de valeurs. Les répercussions en chaîne sur les banques, les entreprises et les ménages ont, une fois encore, diffusé la crise de la sphère financière à l’économie réelle avec un impact brutal sur la produc-tion et l’emploi. La dégradation du niveau d’emploi (destructions nettes d’emplois, augmentation du chômage, montée des emplois précaires) a des effets négatifs en retour sur les revenus des ménages, ce qui conduit à un ralentissement, voire un recul, de la consommation privée, qui finit par se traduire néga-tivement sur l’incitation des entreprises à investir (à l’image, par exemple, du secteur automobile).

Face à cette instabilité, les moyens d’action entre les mains de la puis-sance publique semblent avoir perdu une grande part de leur effi-cacité. L’endettement public massif de la plupart des grands pays déve-loppés leur interdit désormais de mettre en œuvre des politiques de soutien de la demande, notam-ment par le biais des dépenses publiques (politique budgétaire) ou en agissant sur le volume du crédit (politique monétaire).

TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• L’austérité, viatique vers la croissance p. 18

(Jean-Marc Daniel, Fondapol, Le Monde daté du 07.10.2011)

• Pourquoi la Grèce peine à sortir la tête de l’eau p. 19

(Marie Charrel, Le Monde daté du 21.09.2015)

• La Chine, un pays déjà vieux p. 20

(Jean-Pierre Petit, Le Monde daté du 29.04.2013)

Siège de la BCE, à Francfort.

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16 Croissance, fluctuations et crises

UN SUJET PAS À PAS

Présentation du documentLe document, élaboré par l’Insee, présente l’évolution entre 2006 et 2010, en France, de la contribution à la croissance du produit intérieur brut (PIB) des différentes composantes de ce dernier.Il distingue donc les quatre grands « moteurs » de la croissance du produit intérieur brut :– la consommation des ménages et des administrations, composante essentielle puisqu’elle représente plus de 70 % du PIB ;

Ce qu’il ne faut pas faire• Omettre de présenter globalement

le document.• Ne pas contextualiser l’analyse

de l’année 2010 à la lumière des années précédentes.

– l’investissement des entreprises et des administrations (appelé aussi formation brute de capital fixe ou FBCF) ;– le solde du commerce extérieur (exportations moins importations) ;– la variation des stocks qui peut être positive ou négative selon la conjoncture et les anticipations des entreprises.

Analyse du documentLe graphique montre qu’en 2006 et 2007, le PIB en France a progressé positivement (+ 2,5 % puis + 2,3 %) sous l’effet d’une consommation des ménages relativement dynamique, relayée par des dépenses d’investissement des entreprises en augmentation.

Par contre, dès 2007, la dégradation des échanges extérieurs a un effet négatif sur la croissance. Les années 2008 et 2009 sont des années de récession (- 0,1 % puis - 2,7 % pour le PIB), en raison du ralentissement de la consommation des ménages et, en 2009, de la contraction des dépenses d’investissement. L’ajustement à la baisse des stocks, cette année-là, amplifie encore les tendances récessionnistes.2010 est donc une année de rebond de la croissance du PIB (+ 1,5 %), notamment en raison de la reprise de la consommation des ménages et des administrations, ce qui redynamise la production en contribuant aux deux tiers de la croissance observée (1 point de croissance). Ce rebond atténue les effets négatifs de l’investissement des entreprises alors que la reconstitution de leurs stocks participe pour 0,5 point environ à cette modeste reprise de l’économie française.

CHOC DE DEMANDEEffet d’une modification brutale des conditions de la demande de biens ou de services, par exemple une baisse des exportations liée à la fermeture d’un débouché extérieur ou une baisse de la consommation des ménages liée à une montée des anticipations pessimistes des ménages ou une diminution de leur revenu disponible.

CHOC D’OFFREIl est provoqué par un changement brutal et important des conditions de la production de biens et de services, par exemple une hausse ou une baisse inattendue et forte du prix d’une matière première ou des gains exceptionnels de produc-tivité consécutifs à une innovation technique.

CREDIT CRUNCHExpression anglo-saxonne qui désigne le rationnement du crédit pour les entreprises et les parti-culiers, engendré par le durcisse-ment des conditions d’octroi des prêts par les banques, en raison des craintes d’insolvabilité des emprunteurs.

RELANCECette politique économique vise à redynamiser le rythme de l’activité économique. Elle peut se faire en cherchant à augmenter les reve-nus des ménages pour que ces derniers accroissent leurs dépenses de consommation (relance par la consommation). Elle peut aussi privilégier les mesures en direction des entreprises pour que celles-ci augmentent leurs achats d’équi-pements (relance par l’investisse-ment productif).

RIGUEURCette politique est axée sur la dimi-nution des dépenses publiques et la hausse de la fiscalité, dans le but de réduire le déficit des finances publiques ou de lutter contre les tensions inflationnistes. Elle se traduit le plus souvent par une contraction du revenu disponible des ménages, raison pour laquelle ses détracteurs la qualifient de poli-tique d’austérité.

Épreuve composée, 2e partie : Vous présenterez le document, puis montrerez comment il permet d’expliquer l’évolution du PIB en 2010

NOTIONS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Mobilisation des connaissances– Expliquez, en vous appuyant sur un exemple, ce qu’est un choc d’offre.– Comment une politique budgétaire peut-elle relancer la croissance ?– Qu’est-ce qu’un cycle économique ?– Comment s’expliquent les crises économiques selon Keynes ?– Qu’est-ce qu’une politique de rigueur ?

Consommation

Contributions à l’évolution du PIB en volume (en points)

Solde du commerce extérieurInvestissementVariation de stocks

Produit intérieur brut (PIB)en %

3,02,5

2,52,3

-1,0

-2,7

1,52,01,51,00,50,0

-0,5-1,0-1,5-2,0-2,5-3,0

2006 2007 2008 2009 2010

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17Croissance, fluctuations et crises

UN SUJET PAS À PAS

Dissertation : Dans quelle mesure les variations de la demande expliquent-elles les fluctuations économiques ?L’analyse du sujetLe thème de l’instabilité de la croissance fait l’objet de débats entre les économistes. Il est demandé ici de privilégier une des approches explicatives des fluctuations : l’influence des variations de la demande. La forme de la question (« Dans quelle mesure… ») exige une réponse en deux temps : d’une part, évaluer l’importance du facteur « demande » dans l’irrégu-larité de la croissance, d’autre part, relativiser cette importance en mobilisant d’autres facteurs explicatifs.

La problématiqueLes variations des composantes de la demande sont au cœur des fluctuations économiques. Cependant, d’autres facteurs affectant l’offre ou les modalités de financement de l’économie doivent être pris en compte.

IntroductionDepuis des siècles, l’activité économique a connu une alternance de périodes de prospérité et de périodes de crise. Le début du xxie siècle n’échappe pas à cette ins-tabilité. Les explications de cette irrégularité donnent lieu à de nombreuses analyses mettant en avant des causes internes au fonctionnement même de l’éco-nomie de marché, comme l’évolution de la demande, l’innovation ou le crédit. Les variations de la demande et de ses composantes peuvent, dans une première approche, être considérées comme étant à l’origine des fluctuations, mais d’autres facteurs comme les chocs d’offre ou les perturbations financières peuvent également permettre de les comprendre.

Le plan détailléI. Les fluctuations sont largement la conséquence des variations de la demande globale

a) L’impact des composantes de la demande globale sur la production

Consommation des ménages et des administrations, formation brute de capital fixe des entreprises et des administrations, variations de stocks, solde des échanges extérieurs.

b) Chocs de demande et instabilité de la croissanceChocs positifs (nouveau débouché extérieur, baisse des droits de douane d’un pays client, relance de la consommation des ménages). Chocs négatifs (hausse des impôts, augmentation des prix de l’énergie pour les ménages). Effet d’accélérateur (négatif ou positif) sur l’investissement des entreprises.

II. D’autres déterminants liés à l’offre et au système financier

a) Des chocs d’offre qui modifient le fonctionnement des appareils productifs

Cours des matières premières, niveau des salaires, cotisations sociales, innovations de procédé.

b) L’effet du cycle du crédit et des bulles financièresSpéculation boursière, endettement, éclatement de « bulles spéculatives », puis contraction du crédit.

ConclusionLa période que traversent les pays développés est caractérisée par une forte instabilité de la vie écono-mique. Les crises, ces dernières années, se sont succédé sans qu’on entrevoie de perspectives de retour à une croissance régulière. L’effet des désordres financiers est une des causes majeures de cette instabilité chronique, mais les difficultés à retrouver un chemin de croissance équilibrée semblent témoigner aussi de l’influence des chocs de demande et d’offre sur le rythme de l’activité. La relative impuissance des politiques économiques face à la récession montre que ces facteurs ne se « pilotent » pas de l’extérieur et qu’ils obéissent à une logique interne parfois insaisissable.

Ce qu’il ne faut pas faire• Ne pas tenir compte de la formulation du sujet, qui incite à rechercher d’autres

facteurs explicatifs.• Ne parler que de la consommation des ménages

en oubliant les autres composantes de la demande globale (investissements, exportations, etc.).

NOTIONS CLÉSBULLE SPÉCULATIVE

Gonflement excessif de la valeur des titres boursiers en raison de la spéculation. Ce mouvement aboutit à une surévaluation de la capitalisation boursière (valeur de l’ensemble des titres cotés) par rapport à la valeur réelle des actifs (entreprises, biens immobiliers, etc.) que ces titres représentent.

CYCLE DU CRÉDITFluctuations du volume de crédit distribué par les établissements bancaires en relation avec les variations de l’activité écono-miques. En période d’expansion, les banques accordent des prêts de manière abondante alors qu’elles durcissent leurs condi-tions d’attribution en période de récession, contribuant à renforcer la tendance en cours.

DEMANDE GLOBALEEnsemble constitué par la demande de consommation des ménages et des administrations, la formation brute de capital fixe (investissement) de l’ensemble des agents économiques, la variation des stocks des entreprises et les exportations nettes de biens et services (solde des exportations et des importations).

EFFET ACCÉLÉRATEURRelation (mise en évidence par A. Aftalion) entre la variation d’un élément de la demande et la varia-tion de l’investissement. Devant une hausse de leur demande, les entreprises augmentent leurs investissements de manière plus que proportionnelle. Le méca-nisme amplifie donc la tendance initiale, mais il se vérifie égale-ment à la baisse.

FLUCTUATIONS ÉCONOMIQUES

Mouvements de hausse ou de baisse des grandes variables de l’activité économique, repé-rables à travers les indicateurs de la production, de l’emploi et des prix (périodes d’expansion suivies de périodes de ralentisse-ment, voire de récession). ©

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LES ARTICLES DU

Croissance, fluctuations et crises

Dans les programmes présidentiels qui com-mencent à s’esquisser, la

réduction de la dette publique fait figure de priorité. Pour autant, les moyens d’y parvenir ne font pas l’unanimité. Nous avons vu dans un précédent article que toute politique de réduction de la dette se devait, pour être efficace, de prendre en compte les cycles économiques. Au-delà de cette condition sine qua non, parmi toutes les politiques économiques envisageables, quelles sont celles qui permettront de réduire nos déficits, donc notre dette, tout en préservant la croissance ?

Les pistes à éviter : l’inflation et l’augmentation des impôtsSelon les études récentes et les exemples de réduction du déficit (donc de la dette publique), les poli-tiques optimales sur le plan écono-mique sont celles qui sont fondées sur une combinaison entre la baisse de la part des dépenses dans le PIB et un accroissement rapide du PIB. Cette augmentation pouvant s’obtenir en valeur, la tentation naturelle des gouvernements est de chercher dans l’inflation un remède à leur endettement.Mais les nostalgiques de l’inflation refusent de voir qu’après avoir été une solution au problème de la dette dans les années 1950 et 1960, elle est devenue une bombe à retardement dans les années 1970, obligeant les gouvernements des années 1980 à mener des politiques restrictives freinant la croissance et recréant un déséqui-libre des finances publiques. Cela a réalimenté le mécanisme d’accu-mulation de la dette publique : l’inflation nous défait de la dette d’aujourd’hui en préparant la dette de demain.La voie de la hausse des impôts, à l’instar de celle de l’inflation, est fermée. En effet, au regard du niveau de prélèvements obliga-toires – 44 % de façon tendancielle –,

nous estimons qu’un alourdisse-ment serait délicat. Néanmoins, si cela s’avérait indispensable, il faudrait évaluer comment procéder afin d’handicaper le moins possible la croissance économique. En fait, la meilleure modalité de réduction du déficit est la baisse des dépenses, préférable à la hausse des impôts.

Austérité et croissance : Keynes contre RicardoEn luttant contre les déficits, ne risque-t-on pas de freiner la croissance et d’aggraver à terme la situation des finances publiques en grevant les recettes ? La ques-tion mérite d’être posée. Sur le plan de la théorie économique, une politique d’austérité budgé-taire peut avoir deux types d’effets sur la croissance : les effets keyné-siens et l’équivalence ricardienne.On parle d’effet keynésien lorsque la réduction de la dépense publique entraîne une contraction de la demande globale, qui elle-même conduit à un ralentisse-ment de la croissance.À l’inverse, selon la théorie de l’équi-valence ricardienne, une politique de relance par la dépense publique créée un phénomène d’éviction sur les dépenses privées. Chaque fois que l’État augmente ses dépenses, les agents privés sont obligés de diminuer les leurs. En effet, la dépense publique entraîne l’aug-mentation des impôts ou le recours à l’emprunt public. Dans les deux cas, les agents privés remettent leurs dépenses à plus tard.Cette notion d’équivalence ricar-dienne se retourne positivement dans le cas où l’État n’accroît pas son déficit mais le réduit. En effet, dans cette éventualité, l’équiva-lence ricardienne, qui postule que le déficit augmente l’épargne, conduit à constater que les poli-tiques de rigueur faisant baisser le déficit impliquent une réduction de l’épargne, par conséquent un accroissement, directement de la consommation, ou indirectement de l’investissement.

Les exemples récents montrent que les politiques d’assainisse-ment budgétaire favorisent la croissance, donc que les effets néoricardiens l’emportent sur les effets keynésiens.

L’austérité facteur de croissance ? La preuve par l’expérienceL’OCDE a mené une étude concer-nant les politiques économiques de seize pays sur la période 1970-2002. Il en ressort que si, en général, les politiques d’assainissement bud-gétaire ralentissent la croissance, celle-ci se redresse assez vite.Dans une publication plus récente, l’organisation internationale, repre-nant l’analyse sur longue période des politiques budgétaires, constate, pour les pays de la zone OCDE, que toute réduction du déficit budgé-taire d’un point de PIB conduit en moyenne à une récession de 0,7 %. Mais cet effet sur la croissance est effacé au bout de deux ans, et les pays qui reviennent à l’équilibre budgétaire ont en cinq ans un PIB plus élevé que s’ils avaient maintenu leur déficit public.Le cas particulier de la Suède est particulièrement éloquent. Entre 1991 et 1994, la Suède a connu une crise économique très violente. Son PIB en 1993 est inférieur de 5 % à celui de 1991. Constatant que le creusement du déficit budgé-taire ne parvient pas à ramener la croissance, les sociaux-démocrates suédois changent de politique budgétaire. Entre 1994 et 1999, le gouvernement suédois diminue considérablement la dépense publique, qui passe de 67 à 53 % du PIB. Quel a été le résultat de cette baisse drastique ?

En 2000, l’excédent budgétaire atteint 5 % du PIB. Sur la durée du cycle économique concomitant à cet assainissement, le PIB par tête en Suède s’est accru de 2,8 % par an. Le taux de chômage, qui était monté à 8,5 % en 1993, est redescendu lorsque l’on a atteint le sommet du cycle, en 2000, à 4 %.

Les ingrédients d’une politique d’austérité réussieLa politique économique suédoise a connu cette réussite exception-nelle grâce à la reprise de l’investis-sement privé. À court terme, celle-ci a donné la demande nécessaire à la croissance, et à long terme elle a fourni les moyens permettant aux entreprises de produire davantage. Cet effet de substitution positive de l’investissement privé à la dépense publique fonctionne à trois condi-tions. Tout d’abord, la politique d’assainissement ne doit pas péna-liser les entreprises, ce qui impose que leurs impôts n’augmentent pas. Ensuite, les ménages doivent maintenir leur demande, et donc, là encore, ne pas être pénalisés par des impôts supplémentaires allant au-delà de leur capacité et de leur volonté de désépargne.Enfin, la visibilité de la politique économique doit être suffisam-ment claire pour que la dyna-mique de l’investissement fonc-tionne parfaitement. Cette visibilité, dans les cas de réussite de la politique d’austérité, se traduit en général par une baisse des taux d’intérêt. C’est à ces conditions qu’austérité bud-gétaire et croissance durable vont de pair.

Jean-Marc Daniel (Fondapol)

Le Monde daté du 07.10.2011

L’austérité, viatique vers la croissance

POURQUOI CET ARTICLE ?

Au nom d’un « think tank » d’inspiration libérale, un plaidoyer pour la baisse des dépenses publiques et une vigoureuse attaque contre la tentation de la relance keynésienne. L’auteur préconise une « purge vertueuse » d’austé-rité qui doit, à terme, nous ramener à la croissance.

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LES ARTICLES DU

19Croissance, fluctuations et crises

Quel que soit le résultat des élections législatives du 20 septembre, le pro-

chain gouvernement grec aura devant lui une tâche immense : redresser l’économie hellène, essorée par six ans de récession et d’incertitudes politiques. Les derniers sondages donnaient Syriza (gauche radicale), le parti du premier ministre sortant, Alexis Tsipras, au coude-à-coude avec les conservateurs de Nouvelle Démocratie. Dans tous les cas, le vainqueur devra sans doute former une coali-tion. Et sa première mission sera d’appliquer le troisième plan d’aide au pays, adopté le 14 août par le Parlement. Celui-ci apportera une aide de 86 mil-liards d’euros à Athènes sur trois ans, financée par le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds monétaire international, qui n’a néanmoins pas encore confirmé sa participation. En échange, la Grèce devra poursuivre la mise en œuvre de réformes ambi-tieuses, allant de l’ouverture du marché de l’énergie à la lutte

contre la corruption. Si les éco-nomistes sont divisés sur la pertinence de ce programme, une chose est sûre : le produit intérieur brut (PIB) grec est toujours inférieur de 25 % à son niveau de 2009. Et il faudra des années encore, peut-être même une décennie, avant qu’il ne le retrouve.Et pour cause : le taux de chômage est aujourd’hui le plus élevé de la zone euro, culminant à 25,2 %, tandis que l’investissement a reculé en volume de 65 % depuis 2007. La production industrielle, hors bâtiment, s’est quant à elle contractée de 20 % depuis 1999. Si la baisse des salaires enre-gistrée depuis 2008 (– 25 %) a regonflé la compétitivité des entreprises à l’export, celles-ci sont pénalisées par l’assèche-ment du crédit bancaire et le contrôle des capitaux, instauré le 29 juin par le gouvernement Tsipras. « Les incertitudes poli-tiques et économiques planant sur notre pays depuis des mois sont particulièrement délétères

pour l’activité des PME  », se désole Vassilis Korkidis, le président de la Confédération nationale du commerce grec.

Le poison des créances douteusesAprès une petite embellie en 2014, l’économie devrait se contracter en 2015 (– 2,3 %) et en 2016 (– 1,3 %), selon les prévi-sions de la Commission euro-péenne, avant de renouer avec la croissance en 2017 (2,7 %). D’ici là, le pays devra régler le problème des créances dou-teuses, qui empoisonnent les banques grecques. Affaiblies par la fuite des dépôts, ces der-nières devraient être recapitali-sées à hauteur de 25 milliards

d’euros, puisés dans le pro-gramme d’aide, d’ici à la fin de l’année. Le nouveau gouverne-ment devra aussi remettre sur la table des négociations la restructuration de la dette publique, qui culmine toujours à plus de 175 % du PIB. Nombre d’économistes la jugent insou-tenable. Le FMI lui-même estime nécessaire de l’alléger – par exemple en allongeant la maturité des prêts. Une option à laquelle certains partenaires européens d’Athènes, dont l’Al-lemagne, ne parviennent pas pour l’instant à se résoudre.

Marie CharrelLe Monde daté du 21.09.2015

Pourquoi la Grèce peine à sortir la tête de l’eau

POURQUOI CET ARTICLE ?

Depuis 2009, l’économie grecque s’est effondrée. La crise de la dette et le climat d’incertitude qui l’accom-pagne paralysent l’investissement, tandis que la baisse du pouvoir

d’achat a provoqué une forte chute de la consommation intérieure et une explosion du chômage. Le che-min du retour à la croissance passe inévitablement par le règlement du problème de la dette publique.

Malgré les plans d’aide, la croissance du pays reste anémique La dette publique grecque tutoie des sommets

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LES ARTICLES DU

Croissance, fluctuations et crises

Ralentissement, puis rebond, puis ralentis-sement. Le traitement

médiatique de l’activité écono-mique chinoise pourrait faire penser à une certaine instabi-lité. Mais il cache l’essentiel, qui est une inflexion à la baisse de la croissance depuis presque trois ans. La très forte crois-sance des années 2000 (10,5 % en moyenne annuelle contre 10,4 % durant la décennie 1990 et 9,3 % durant la décennie 1980) a été d’autant plus spec-taculaire que le processus de rattrapage avait commencé vingt ans avant le début de cette décennie.C’est un faisceau de circons-tances qui avait favorisé cette exceptionnelle expansion : entrée de la Chine dans l’Orga-nisation mondiale du com-merce (OMC) en 2001, sous-éva-luation de sa monnaie (baisse du taux de change effectif réel jusqu’en 2005), modération de la hausse des coûts salariaux unitaires jusqu’en 2007 grâce à l’afflux de jeunes travailleurs ruraux, surinvestissement – avec un taux d’investissement supérieur à 40 % du produit intérieur brut (PIB) depuis dix ans –, maintien d’une demande intérieure soutenue dans les pays occidentaux grâce aux bulles immobilières et au surendettement. Auxquelles s’ajoutent une accélération de la hausse de la population en âge de travailler (15-64 ans) jusqu’au milieu des années 2000 et une hausse du taux d’emploi (72 % à l’automne 2010).Après le choc de la faillite de la banque américaine Lehman à l’automne 2008, un plan de relance budgétaire sans équi-valent dans l’après-guerre et un relâchement quasi total des contraintes de crédit qui ont maintenu un temps l’illusion d’une très forte croissance

(10,4 % en 2010 et 9,3 % en 2011) et ont fait exploser la dette. L’année 2012 a déjà constitué une rupture avec une crois-sance de « seulement » 7,8 %, la plus faible depuis une décennie.

Le modèle mercantile mis à malTous les facteurs mentionnés plus haut sont désormais der-rière nous. Chute de la demande intérieure des pays riches, valeur effective réelle du renminbi en hausse depuis 2005 – il est aujourd’hui proche de son taux d’équilibre –, baisse de la compé-titivité-coût du fait de la hausse des salaires et du ralentissement de la productivité par tête… Tout cela a mis à mal le modèle mer-cantile des années 2000.Le ratio de dette publique et privée sur PIB est aujourd’hui proche de 200 %, contre 140 % avant la crise, soit l’un des ratios les plus élevés du monde émergent. Certes, il n’atteint pas les 280 % du monde riche, mais limitera néanmoins les capacités d’expansion futures.L’expérience montre que les pays ayant connu un tel pic de taux d’investissement ont subi ensuite une sensible baisse de la rentabilité du capital et de leur croissance. En particulier le Japon en 1973 et la Corée du Sud en 1991, qui avaient pourtant connu un pic de taux d’investis-sement plus faible qu’en Chine.Les facteurs démographiques limiteront aussi le potentiel chinois. Le taux de dépendance (part des plus de 64 ans et des moins de 15 ans par rapport à la population en âge de travailler) va progresser dès la seconde partie de la décennie. L’âge médian (36 ans) est quasi équi-valent à celui des États-Unis. La population en âge de travailler va commencer à décliner durant la seconde partie de la décennie : c’est déjà le cas en 2012 pour les

15-59 ans. Et ne négligeons pas, enfin, les contraintes environ-nementales qui pèseront sur le modèle manufacturier chinois.Bref, la Chine est un pays déjà vieux, déjà endetté, déjà pollué et déjà surcapacitaire dans cer-tains secteurs. Les projections du Fonds monétaire interna-tional (FMI) à dix ans (crois-sance de 8,4 % en moyenne) paraissent donc sensiblement trop optimistes.D’une manière générale, la Chine a multiplié son niveau de vie moyen par dix en un peu plus de trente ans et est devenue un pays à revenu intermédiaire. Avec aujourd’hui un PIB par habitant de près de 9 200 dollars (en parité de pouvoir d’achat), elle ne peut plus espérer une tendance de croissance aussi forte que sur les trente dernières années.La menace de moyen et long terme la plus forte est sans doute de ne pas pouvoir accéder au statut de pays à revenu élevé, comme ce fut le cas de l’écra-sante majorité des pays émer-gents d’après-guerre, à quelques exceptions notables telles que la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, Hongkong, le Japon ou le Chili.

L’innovation en retardL’histoire montre que les chances de succès sont liées dans ce domaine à des choix stratégiques plus précis, plus qualitatifs et plus complexes à mettre en œuvre : éducation, recherche et développement (R&D), flexibilité du marché des

biens et du travail, développe-ment du sec-teur privé, respect du droit…Le débat sur le passage à une croissance plus soutenue par la consommation privée reflète ces difficultés. Développer la protection sociale et un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés en évitant une crise systémique et une brusque chute de la croissance nécessite de rem-plir certaines conditions : libéralisation du système financier, montée en gamme de l’industrie, développement des services…En matière d’innovation, la Chine est notamment en retard concernant l’intensité de la R&D, le nombre de cher-cheurs dans l’emploi total ou la qualité du contenu des brevets. La recherche reste sous emprise publique, et la protection de la propriété intellectuelle, le financement des sociétés innovantes et l’autonomie des universités sont quasi inexistants.Le ralentissement de la crois-sance chinoise est un phéno-mène logique et inévitable. L’absence de chute brutale et/ou de crise de système ne sera envisageable que sous réserve d’une bonne gestion publique de la transition vers un nou-veau modèle de croissance.

Jean-Pierre Petit (économiste et président

des Cahiers verts de l’économie)

Le Monde daté du 29.04.2013

La Chine, un pays déjà vieux

POURQUOI CET ARTICLE ?

Derrière les soubresauts de court terme, le modèle chinois est confronté à une tendance de fond, la baisse tendancielle du taux de croissance. La Chine n’est plus, aujourd’hui, un pays émergent, elle entre dans une phase de maturité.

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NOTIONS CLÉSAVANTAGE COMPARATIF

Selon cette théorie, développée par D. Ricardo (1772-1823), chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production du ou des biens pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif par rapport aux autres pays et à acheter les biens qu’il n’a pas produits. L’avantage est dit « comparatif » parce qu’il est envi-sagé par rapport aux autres pays et surtout par rapport aux autres biens que le pays est susceptible de produire.

COMPÉTITIVITÉCapacité qu’a une entreprise à conserver ou à augmenter ses parts de marché en faisant face à ses concurrents. On parle de compéti-tivité-prix lorsque la compétition porte sur le prix du produit. La compétitivité hors-prix ou structu-relle porte sur la nature du produit (sa qualité, son image de marque, son mode de commercialisation, etc.).

DIPPLa décomposition internationale des processus productifs est le fraction-nement des processus de fabrication d’un produit complexe à l’échelle du monde, en jouant sur la spécialisa-tion fine et les avantages comparatifs de chaque site de production.

DUMPINGVente à perte pendant un temps, afin de pénétrer sur un marché ou d’accroître ses parts de marché. Quand une entreprise délocalise sa production afin de tirer avantage de différences de législation sociale et d’un coût du travail moins élevé, on parle de dumping social.

TAUX DE CHANGE/PARITÉValeur d’une monnaie exprimée dans une autre devise. Un pays peut manipuler son taux de change (en le maintenant artificiellement bas) pour donner à ses marchandises exportées un avantage de compéti-tivité/prix. Dans le système actuel de changes flottants, c’est sur le marché des changes que se déterminent chaque jour les parités monétaires, en fonction de l’offre et la demande de chaque monnaie.

Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ?

Le développement des échanges internationaux depuis 1950 s’est accompagné d’une transformation des logiques de l’échange et de la répartition mondiale des activités, sous

l’égide des entreprises multinationales. Mais le retour des crises a conduit à une résurgence des réflexes protectionnistes et à une course aux avantages de la compétitivité. Ces transformations ont modifié la hiérarchie économique entre les régions du monde, faisant émerger de nouveaux partenaires.

Les grandes tendances de l’évolutionEn un demi-siècle, le degré d’ouverture des écono-mies s’est accru, le commerce international progres-sant plus rapidement que la production mondiale. Le nombre des pays participant à l’échange s’est élargi à des partenaires plus divers, notamment les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde). Dans la structure des échanges, la part des produits manu-facturés a augmenté alors que celle des produits de base (miniers et agricoles) a régressé et les échanges de services ont fortement progressé. Par ailleurs, les échanges intra-branche (échanges croisés de produits appartenant à la même branche productive) se sont fortement développés. Cette évolution s’est accompagnée d’une forte diminution des coûts de transport des marchandises et des communications du fait d’innovations importantes dans ce secteur.La cartographie des échanges commerciaux montre, d’une part, l’importance du commerce entre les pôles de la Triade (Amérique du Nord, Europe occiden-tale, Asie), d’autre part la persistance du commerce intra-zone : en 2013, par exemple, 70 % environ des exportations de l’Europe sont allées vers un pays européen. Le grand absent de ces échanges reste l’Afrique qui n’a représenté, en 2013, qu’un peu plus de 3 % des exportations mondiales.

Le débat théorique : libre-échange ou protectionnisme ?En situation de libre-échange, les échanges exté-rieurs d’un pays ne sont pas entravés, le protec-tionnisme désignant une situation où un pays se

protège de la concurrence étrangère en limitant, par différents moyens, ses importations.La théorie des avantages comparatifs de l’écono-miste David Ricardo soutient qu’un pays doit se spécialiser dans les productions pour lesquelles il dispose de l’avantage comparatif le plus élevé (ou du désavantage comparatif le plus faible), c’est-à-dire dans les branches où la productivité du travail est la plus élevée. Généralisée, cette logique conduit à une division internationale du travail (DIT), répartition optimale des activités au niveau mondial.Reprenant la logique de Ricardo, le théorème H.O.S. met en avant la disponibilité des facteurs de pro-duction (travail et capital) dans chaque pays pour fonder cette DIT sur la « dotation factorielle » la plus favorable.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

ZOOM SUR…Le débat libre-échange/protectionnismeLes économistes libre-échan-gistes insistent sur le « gain à l’échange » issu de la spéciali-sation des activités : baisse des coûts, baisse des prix, gains pour les consommateurs. Le protec-tionnisme, en protégeant les économies de la concurrence, freinerait la modernisation des entreprises, renchérirait les prix des biens et ralentirait la diffusion du progrès tech-nique. Les opposants au libre-échange constatent l’extrême hétérogénéité des conditions de production dans le monde : les niveaux de salaires, les systèmes de protection sociale et les contraintes écologiques pesant sur les entreprises sont incomparables entre pays déve-loppés, pays émergents et pays en développement. La concur-rence entre ces appareils produc-tifs est donc faussée et la division internationale du travail conduit à la désindustrialisation des pays développés et à une destruction de leurs emplois.

CITATIONSDeux points de vue antago-nistes sur le libre-échange« Dans un système d’entière liberté de commerce, chaque pays consacre son capital et son industrie à tel emploi qui lui paraît le plus utile. Les vues de l’intérêt individuel s’accordent parfaitement avec le bien univer-sel de toute la société. » (D. Ricardo, Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817)

« La montée d’un prolétariat chinois sous-payé a un effet gravement déflationniste sur les prix et les salaires des pays industrialisés et elle n’est pas près d’être enrayée, car la Chine est un pays totalitaire. Il faut donc des barrières douanières et des contingentements provi-soires. » (Emmanuel Todd, inter-view pour Télérama, 2007)

Face à ces théories libre-échangistes, les tenants du protectionnisme défendent la nécessité de protéger les industries naissantes, encore trop fragiles pour résister à la concurrence des pays plus développés (« protectionnisme éducateur » de l’Allemand Friedrich List au milieu du XIXe siècle).

Caractéristiques et conditions de la mondialisationLe processus d’internationalisation des économies, qualifié désormais de mondialisation, s’est accé-léré depuis quatre décennies environ et se décline aujourd’hui sous trois aspects essentiels :– l’internationalisation des échanges de biens et ser-vices avec l’ouverture des frontières et la diminution des obstacles aux échanges,– l’internationalisation de la production et la mise en place d’une décomposition internationale des processus productifs,– la globalisation financière liée à la libéralisation internationale des mouvements de capitaux.Au cœur de la mondialisation se trouvent les entre-prises transnationales (ou multinationales), opérant à l’échelle du monde. La plupart ont développé des stratégies de délocalisation de leurs sites traditionnels de production en s’appuyant sur la recherche d’un avantage de coût (souvent de coût du travail). Cela les a conduites, au-delà des délocalisations, à mettre en place une décomposition internationale des pro-cessus productifs (DIPP) qui fait éclater la fabrication d’un produit entre plusieurs sites de production, en jouant sur la spécialisation fine et l’avantage com-paratif de chaque site. Elles intègrent souvent à ces stratégies une externalisation de certains segments du processus de production vers des sous-traitants locaux produisant à bas coûts.La mondialisation s’est, par ailleurs, opérée dans un cadre institutionnel renouvelé : après les multiples accords du GATT sur l’abaissement des barrières tarifaires (1947-1995), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) conduit les négociations commer-ciales en faveur du libre-échange en étant dotée d’un pouvoir d’arbitrage et de sanction à travers l’Organe de règlement des différends.

Commerce international et compétitivité : des enjeux renouvelésLa traditionnelle logique ricardienne de la spéciali-sation et de la complémentarité dans l’échange est aujourd’hui en partie démentie par les faits. Une grande part du commerce mondial est constituée d’échanges « intra-branche », sur les mêmes caté-gories de produits : la France vend et achète des voitures à l’Allemagne ou l’Italie, par exemple. Il n’y a pas réellement de spécialisation. Ici, la compétitivité s’appuie, non sur la recherche d’un avantage de prix (compétitivité-prix), mais sur d’autres cri-tères de compétitivité (diversité, qualité, image de marque, etc.), c’est-à-dire sur une compétitivité hors-prix, appelée aussi compétitivité structurelle. Notons que la compétitivité peut être aussi améliorée,

de manière artificielle, par une variation à la baisse du taux de change de la monnaie nationale : le prix international des exportations diminue alors que les importations se renchérissent, ce qui peut conduire à une amélioration du solde commercial. Le taux de change de la monnaie chinoise, le yuan, par rapport au dollar, est ainsi volontairement sous-évalué depuis des années, ce qui favorise les exportations de la Chine vers le reste du monde.Enfin, une large part des échanges internationaux est constituée d’un commerce « intra-firme », c’est-à-dire d’échanges entre les filiales d’une même firme multinationale (notamment dans le cadre de la DIPP). L’intérêt de ce type d’échanges est, pour les firmes, de pouvoir, à travers les procédures de facturation interne, faire apparaître les marges de profit dans les pays ayant la fiscalité sur les bénéfices la plus avantageuse.

Des gagnants et des perdantsLe Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, tout en étant favorable aux principes du libre-échange, reconnaît, dans La Grande Désillusion, que les conditions dans lesquelles s’est opérée la mondialisation économique conduit à distinguer des gagnants et des perdants. Contrairement à l’optimisme ricardien du « jeu à somme positive » pour tous, certaines économies ont souffert et souffrent encore de la mise en concurrence brutale de leur appareil productif avec des pays bénéficiant d’avantages décisifs. D’autres restent encore largement « en dehors du jeu », de l’échange. On peut espérer qu’à long terme l’échange favorise l’homogénéisation des niveaux de développement et permette des relations plus harmonieuses. Force est de constater que ce n’est pas encore le cas.

QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• OMC : les enjeux de l’adhésion de la Russie p.26

(Laure Beaulieu, Le Monde daté du 22.08.2012)

• Le rapport Jacob-Guillon préconise la lutte contre la « mondialisation déloyale » p. 27

(Alain Faujas, Le Monde daté du 30.03.2012)

• Dix ans de Chine à l’OMC : bilan p. 28

(Alain Frachon, Le Monde daté du 30.09.2011)

• Vers un recentrage de la mondialisation p. 29

(Laurent Faibis et Olivier Passet, Le Monde daté du 03.10.2013)

Le transport par conteneurs, clé de voûte du commerce mondialisé.

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24 Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetIl s’agit d’explorer les raisons de l’essor du commerce international de marchandises. Il faut partir des analyses classiques de l’échange et montrer qu’elles n’expliquent pas toutes les caractéristiques du commerce mondial. Le bagage théorique nécessaire est donc conséquent.

La problématiqueDepuis Ricardo, la spécialisation est au cœur des analyses de l’échange. Mais la compréhension du commerce mondial actuel exige de prendre en compte les stratégies des firmes transnationales.

Siège social d’une firme transnationale.

IntroductionLe commerce international a connu, depuis les années 1950, une croissance plus rapide que celle de la production mondiale. Cette évolution témoigne des progrès du libre-échange et de l’ouverture des économies. Les thèses traditionnelles sur la spécialisation des économies et la division internationale du travail sont en partie invalidées aujourd’hui, ce qui conduit à se pencher sur le rôle des firmes transnationales dans le remodelage de l’économie mondiale.

Ce qu’il ne faut pas faire• Se borner à faire un constat du commerce

mondial en négligeant la consigne d’explication.• Ne pas utiliser les outils théoriques d’analyse les

plus fréquents sur ce thème.• Omettre de mobiliser les concepts d’échanges

intra-branches et intra-firmes.

Le plan détailléI. À la base de l’échange, complémentarité et spécialisationa) Pourquoi échange-t-on ?La logique ricardienne.b) Échanges internationaux et croissance économiqueOuverture aux échanges et croissance (les exemples historiques de la Grande-Bretagne et de la Chine).c) Les fondements de la spécialisationLe théorème HOS et sa critique.

II. Au cœur des échanges, des acteurs en concurrencea) L’importance des échanges intra-brancheDifférenciation fine et élargissement des gammes : l’exemple de l’U.E.b) L’omniprésence des firmes transnationalesLes échanges intra-firmes, instruments de la concurrence mondialisée et de l’optimisation fiscale.c) DIT ou DIPP, la nouvelle alternativeDélocalisations, IDE et remodelage mondial des modes de production.

ConclusionLa mondialisation redistribue les cartes de la puissance. Si la logique de la complémentarité n’a pas disparu, la concurrence entre les firmes transnationales impose une autre logique qui remodèle la carte des flux d’échange en jouant sur la compétitivité-prix. Les écarts de coût du travail obligent les pays développés à recentrer leurs échanges sur la compétitivité hors-prix en accentuant la course à la technologie. Dans cette course, l’Europe a évidemment pris du retard.

COMMERCE INTRA-BRANCHE

Échanges de produits de même nature, sur la base d’une divi-sion du travail « horizontale ». Ils ne reflètent pas une complé-mentarité mais des rapports de concurrence.

COMMERCE INTRA-FIRMEÉchanges de biens entre les filiales d’une même firme multinationale permettant de faire apparaître les profits dans les pays ayant la fiscalité la plus avantageuse pour la firme.

COMMERCE INTRA-RÉGIONAL

Polarisation réciproque des échanges d’un ensemble de pays vers les pays appartenant à la même zone économique. Par exemple, 70 % environ des échanges des pays de l’Union européenne se font avec des pays appartenant à l’UE.

DÉLOCALISATIONDéplacement géographique d’une unité de production du territoire national vers un autre pays en fonction d’un avantage de coût de production ou pour se rapprocher des marchés de consommation.

FILIALEPlusieurs entreprises liées par des participations constituent un groupe, composé d’une société mère et de filiales. Le capital d’une filiale est détenu majoritairement par une autre société.

IDEInvestissement direct à l’étranger réalisé par une firme hors de son pays d’origine pour prendre le contrôle, au moins partiel, d’une entreprise ou en créer une nouvelle.

LIBÉRALISATION DU COMMERCE

Ensemble des mesures ayant peu à peu aboli les entraves aux échanges internationaux, d’abord à travers les négociations du GATT, et aujourd’hui par l’intermédiaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Dissertation : Comment peut-on expliquer les échanges internationaux de marchandises ?

MOTS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– Quels sont les effets de la mondialisation sur l’emploi dans les pays développés ?– Quel rôle les firmes multinationales jouent-elles dans la mondialisation ?– Libre-échange ou protectionnisme : un débat dépassé ?

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25Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLa vision dominante en économie privilégie le libre-échange au protectionnisme. On vous propose ici de vous interroger sur la légitimité du protectionnisme. La nature de l’interrogation (« Dans quelle mesure… ») exige une réponse sélective et nuancée. Il faudra donc, pour répondre, avoir identifié à quelles situations problématiques le protectionnisme peut répondre et comment il peut le faire.

La problématiqueLe recours à des mesures protectionnistes peut sembler être une réponse légitime à certaines situa-tions jugées inacceptables. Pourtant, l’abandon du libre-échange comporte des effets négatifs qui sont souvent sous-estimés.

IntroductionLa crise des années 2007-2009 a relancé le débat entre libre-échange et protectionnisme. L’ouverture générale des pays au commerce mondial peut appa-raître comme étant responsable du processus de désindustrialisation des pays développés, engendré par la concurrence des pays à bas salaires, et avoir favorisé la tentation d’un repli protectionniste.Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui peuvent justifier le recours à des mesures protectionnistes en soulignant cependant que les pratiques protectionnistes rencontrent souvent des limites et peuvent engendrer, en retour, des effets pervers.

Le plan détaillé du développementI. Le recours au protectionnisme, une tentation justifiable…a) Une logique renforcée par la criseAmortir les effets de la crise, protéger les emplois nationaux, garantir la souveraineté alimentaire.

Exemple de la contraction du commerce mondial en 2009.b) Une conséquence de la concurrence sociale et écologiqueContre le « dumping social » des pays à bas salaires. Sauvegarde de la protection sociale.Contre le « dumping écologique » et la non-prise en compte des critères de soutenabilité.c) Une réponse à des stratégies monétairesContre le « dumping monétaire » (avantage artifi-ciel de compétitivité lié à la sous-évaluation de la monnaie).

II. … qui comporte cependant des limites et des effets perversa) Le renoncement aux avantages du libre-échangeLa théorie des avantages comparatifs de Ricardo. Les bienfaits de la division internationale du travail.b) Le risque de la spirale du repliGuerre commerciale et discriminations. Contraction des échanges et risques de dépres-sion. La menace protectionniste comme arme de négociation.c) Une solution qui ne peut être que ponctuelleLa liberté des échanges, condition de l’efficacité de la décomposition internationale des processus productifs.

ConclusionLes perturbations économiques que le monde connaît depuis plusieurs décennies ont eu pour effet d’amener la réflexion économique à nuancer le discours du libre-échangisme triomphant, tel qu’il s’est longtemps exprimé. Comme l’explique P. Krugman, le libre-échange généralisé n’est pas toujours et partout la solution optimale. Mais les appels au protectionnisme comportent également des dangers. Les échanges internationaux néces-sitent que des règles du jeu claires et justes per-mettent de réguler des intérêts par nature diver-gents. C’est à ce prix qu’une concurrence « libre et non faussée » peut devenir un instrument de pro-grès.

Dissertation : Dans quelle mesure le recours au protectionnisme est-il souhaitable ?

Ce qu’il ne faut pas faire• Ne pas nuancer la réponse en disqualifiant

de manière caricaturale l’un ou l’autre des points de vue sur les échanges internationaux.

• Oublier d’évoquer les fondements théoriques de ce débat (Ricardo et l’avantage comparatif).

NOTIONS CLÉSDUMPING ÉCOLOGIQUE

Non-respect par certains pays des normes environnemen-tales en vigueur de manière à obtenir, pour leurs entreprises, une compétitivité-prix de leurs produits, notamment ceux qui sont destinés à l’exportation.

DUMPING FISCALPolitique de maintien de la fiscalité à des niveaux faibles par rapport aux autres États, notam-ment sur les capitaux et sur les profits, de manière à attirer les flux de capitaux dans le pays.

DUMPING MONÉTAIREAvantage artificiel obtenu par un pays en matière de compétitivité-prix par la sous-évaluation de sa monnaie, soit par le maintien d’un taux de change fixe bas, soit par des manipulations sur le marché des changes.

DUMPING SOCIALPratique consistant à adopter une politique de protection sociale minimale pour mini-miser les charges sociales et les contraintes de législation sociale afin d’obtenir, pour les produits nationaux, un avantage de compétitivité-prix.

OBSTACLES TARIFAIRES/NON TARIFAIRES

Entraves au libre-échange des biens et des services, soit au travers de droits de douane impo-sés aux frontières, soit par des mesures de limitation en volume des importations (contingente-ments ou quotas), soit par des normes sanitaires ou de sécurité.

OMC (ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE)

Organe de contrôle et de régu-lation du commerce mondial, créé en 1994 et chargé d’assurer la transparence des échanges internationaux en réduisant les obstacles au libre-échange. Les conflits commerciaux entre pays sont examinés et arbitrés par l’Organe de règlement des différends de l’OMC. ©

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LES ARTICLES DU

Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

Qu’est-ce que l’Organisation mondiale du commerce ?Organisation internationale créée en 1994, l’OMC s’occupe des règles régissant le commerce international, dans le but de favo-riser la liberté et la transparence dans les échanges. Les gouverne-ments membres négocient des accords commerciaux et règlent leurs différends commerciaux à l’OMC.

Quel est le processus d’adhésion à l’OMC ?« Tout État ou territoire doua-nier jouissant d’une entière autonomie dans la conduite de sa politique commerciale peut accéder à l’OMC à des condi-tions à convenir entre lui et les membres de l’OMC », selon l’accord de l’OMC. Le processus complexe d’accession à l’OMC prend la forme de négociations bilatérales et multilatérales. Pour la Russie, candidate depuis la création de l’OMC, les négocia-tions auront donc duré dix-huit ans. Pourquoi un processus si long ? Le soutien politique à l’adhésion de la Russie a long-temps fait défaut. Dominic Fean note « le scepticisme récurrent de Poutine à l’égard de l’OMC », dans son article « La Russie et l’OMC, mariage d’amour ou de raison », publié en février. En outre, le problème de la Géorgie « a longtemps constitué un obstacle majeur à l’entrée de la Russie dans l’OMC », explique le chercheur. Grâce à l’aug-mentation du prix du pétrole, enfin, la Russie connaissait un enrichissement économique, et s’était développée « la croyance que le pays suivait son propre modèle de développement », sans avoir besoin de l’OMC. C’est la

crise économique mondiale de 2008-2009 qui a finalement per-suadé Moscou du bien-fondé de l’adhésion.

Qu’est-ce qu’implique l’adhésion pour un pays devenu membre ?« Chaque État adhère à des conditions spécifiques, qui ont été définies par un long pro-cessus de négociations avec les pays membres de l’OMC qui sont intéressés. La première implica-tion d’une adhésion d’un État à l’OMC est donc de se conformer aux règles de fonctionnement de l’OMC », explique Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie. Pour respecter ces règles, la Russie devra baisser ses droits de douane à 7,8 % sur les produits, « ouvrir davantage un certain nombre de secteurs (d’industries et de services) aux investisseurs étrangers et se conformer aux règles internationales en matière de réglementations antidum-ping », poursuit le chercheur. L’adhésion à l’OMC donne des devoirs mais aussi des droits. « Les nouveaux membres bénéficient des privilèges que leur accordent les autres pays membres et de la sécurité que leur procurent les règles commerciales », explique l’OMC. Ainsi, « la Russie a désor-mais accès non seulement aux pratiques commerciales des pays membres mais aussi aux disposi-tifs communs d’arbitrage, en par-ticulier l’Organe de règlement des différends, qui permet de régler des conflits commerciaux entre deux pays membres », note Julien Vercueil.

L’adhésion à l’OMC peut-elle être une bonne chose pour l’économie d’un pays ?

La Chine a connu, après son inté-gration, en 2001, une décennie économique faste du fait de l’implantation des entreprises étrangères dans le pays. La Russie espère connaître le même sort.Le commissaire européen chargé du commerce, Karel de Gucht, croit aux conséquences positives pour la Russie de son adhésion à l’OMC, qui « va faciliter les inves-tissements et le commerce, per-mettre d’accélérer la modernisa-tion de l’économie russe et offrir de nombreuses opportunités commerciales pour les entre-prises russes et européennes », écrit-il dans un communiqué. La Banque mondiale a calculé, sur la base des prix de 2010, que l’entrée dans l’OMC devrait rap-porter à la Russie à court terme pas moins de 49 milliards de dollars par an, soit au moins 3 % de son produit intérieur brut (PIB). Selon Julien Vercueil, l’ad-hésion russe permettra aussi de faire disparaître « des faiblesses dans le système légal encadrant les affaires : cette amélioration peut bénéficier aux entreprises étrangères, mais aussi aux entre-prises russes qui ont besoin d’un environnement institutionnel stabilisé ».

L’adhésion : une mauvaise nouvelle pour l’économie russe ?Principal problème : la baisse des droits de douane devrait per-mettre aux pays étrangers d’inonder le marché russe de produits bon marché, signant l’arrêt de mort de nombreuses industries héritées de l’époque soviétique. Maxime Medvedkov, chargé du dossier d’adhésion à l’OMC, a reconnu dans un quoti-dien officiel russe que les risques de cette adhésion sont « la baisse des taxes d’importation, la limi-tation des formes de soutien de l’État à certains secteurs et par conséquent la hausse de la com-pétitivité des produits étran-gers ». Selon Julien Vercueil, la Russie risque de ne pas suivre la même voie que la Chine, car « les conditions sont totalement diffé-rentes ». Les exportations russes portent essentiellement sur le pétrole et le gaz, qui ne sont pas sujets à des barrières commer-ciales. Les coûts du travail élevés ne font en outre pas de la Russie une terre propice à la délocalisa-tion. La situation économique est surtout très différente de celle de 2001, date d’entrée de la Chine. Étant donné la dégrada-tion de la situation économique de l’Union européenne, « les effets positifs espérés par l’adhésion à l’OMC sur la diversification de l’économie russe seront limités, puisqu’une partie de ces effets dépend de l’intensité de l’activité économique de l’UE, son premier partenaire d’affaires », explique Julien Vercueil. La Russie aura donc du mal à faire aussi bien que le géant chinois.

Laure BeaulieuLe Monde daté du 22.08.2012

OMC : les enjeux de l’adhésion de la RussieLa Russie est entrée au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 22 août 2012, devenant son 156e membre.

POURQUOI CET ARTICLE ?

Longtemps réticente à l’égard des contraintes commerciales de l’OMC, la Russie estime qu’il est désormais de son intérêt de rejoindre l’organisation. Le pays va devoir cependant ouvrir son marché intérieur en abaissant les droits de douane qui proté-geaient ses industries.

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27Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

Soixante-seize pour cent des briquets importés au sein de l’Union euro-

péenne – essentiellement des briquets chinois – ne sont pas conformes à la norme ISO 9994. L’Union veut pré-venir l’explosion du briquet en l’obligeant à résister à trois chutes successives de 1,5 mètre. Les laboratoires chinois certi-fient conformes des produits qui ne le sont pas selon l’Union européenne. Cette tricherie est dommageable au français Bic contraint à des dépenses dont s’exonèrent ses concurrents chinois. Cet exemple est l’un des plus criants que cite le rapport « En finir avec la mondialisation déloyale ! » publié, jeudi 29 mars, par Yvon Jacob, ambassadeur de l’industrie, et Serge Guillon, contrôleur général économique et financier. Chargés de faire la lumière sur les causes de la désindustrialisation de la France par le ministère des affaires étrangères et européennes et le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, les auteurs ont recensé les han-dicaps européens. Car, à leurs yeux, l’Europe est trop ouverte à la concurrence et un peu trop naïve par rapport aux pratiques

déloyales de ses partenaires commerciaux. Cette publication tombe en plein débat, qu’exas-père la campagne électorale, sur la nécessité de recourir au pro-tectionnisme pour protéger les emplois français. Aussi, M. Jacob prend-il la précaution de pré-ciser en préambule qu’« il n’y a pas de sous-jacent protection-niste dans notre démarche, mais le libre-échange que nous préco-nisons se doit d’être honnête ».Car il ne suffit pas de mesurer les déséquilibres commerciaux quantitatifs que font apparaître les balances commerciales. Le rapport cible les anomalies qualitatives que pratiquent nombre de pays émergents et que ne compense pas la « réciprocité » des concessions douanières prévue par l’Orga-nisation mondiale du com-merce (OMC) : les financements très privilégiés, le non-respect des normes sociales, environ-nementales et sanitaires, les subventions déguisées, etc. À travers leurs vingt propo-sitions, MM. Jacob et Guillon veulent redonner liberté et compétitivité aux entreprises européennes pour leur per-mettre de résister à la concur-rence du « Sud ». Pour cela,

ils ciblent Bruxelles, puisque le commerce extérieur est de sa compétence. Ils demandent que l’on ne privilégie plus le consommateur par rapport au producteur et au salarié. Par exemple, ils préconisent que l’on allège les procédures Reach qui surveillent les substances chimiques et coûtent 80 mil-lions d’euros par an au fabri-cant d’Airbus. Et que l’on fasse enfin respecter les règlements européens. « Bruxelles édicte des textes sans y associer les Douanes et ne se préoccupe pas du contrôle de leur application, constate M. Guillon. Ce sont nos entreprises qui veillent au grain, mais plus ou moins bien, et le marché européen est devenu une vraie passoire. » La marque « CE » que les entreprises décident de faire figurer sur leurs produits donne à croire que le produit est conforme, voire fabriqué en Europe. « Il n’en est rien et cette marque

trompe les consommateurs », poursuit-il.Les auteurs ont recensé les assouplissements pour faci-liter la vie des entreprises. « Relevons les minima des aides aux PME qui obligent à les notifier à Bruxelles, prônent-ils. Autorisons nos États à épauler financièrement leurs entre-prises lorsque les pays étran-gers faussent la concurrence. Mettons sur pied une aide tem-poraire pour les secteurs indus-triels en crise, comme on l’a fait pour les banques en 2008. Obligeons Bruxelles à instruire en deux mois et non en un an les rachats d’entreprises. »En résumé, ils appellent la France à accroître ses actions d’in-fluence à Bruxelles et persuader ses partenaires de la nécessité de se mobiliser pour défendre l’in-dustrie commune.

Alain FaujasLe Monde daté du 30.03.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

Face au déficit inquiétant de nos échanges extérieurs, l’exigence de la réciprocité des pratiques techniques et commerciales s’impose. Or, de nombreux produits importés ne respectent pas les normes imposées aux produits européens. L’espace européen ne doit plus être une « passoire ».

Le rapport Jacob-Guillon préconise la lutte contre la « mondialisation déloyale »Pour protéger la compétitivité des entreprises européennes, les auteurs veulent que Bruxelles fasse respecter ses règles aux produits importés et autorise des aides aux industries en crise.

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LES ARTICLES DU

Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

Dix ans de Chine à l’OMC : bilan

On sort d’un anniver-saire, celui des attentats du 11 septembre 2001.

On s’apprête à en célébrer un autre : celui d’un événement moins tonitruant, certes, mais peut-être pas moins important au regard de l’Histoire. Il y a dix ans, la Chine devenait membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).C’était à l’automne 2001. Le Nord entrait en concurrence commer-ciale directe avec « l’atelier du monde ». L’Europe et les États-Unis affrontaient la Chine sans protection. Les uns et les autres allaient boxer dans la même catégorie, comme à armes égales ou à peu près.On nous dessinait le plus ver-tueux des cercles. L’abolition des barrières dans les échanges avec la Chine allait doper le commerce mondial, lequel nourrirait la croissance – donc l’emploi –, au Nord comme au Sud. Dix ans plus tard, quel bilan ? Controversé.Puissance exportatrice majeure, la Chine aspirait naturellement à entrer à l’OMC. Devenir membre de l’organisation chargée de pro-mouvoir un désarmement doua-nier ordonné lui ouvrait plus grands les marchés du monde riche, notamment celui des États-Unis. En contrepartie, elle devait obéir à une injonction de réciprocité et abaisser à son tour ses tarifs aux frontières, afin d’être plus perméable aux pro-duits des autres. Pékin y voyait l’aboutissement des réformes entreprises par Deng Xiaoping à la fin des années 1970.L’Amérique le voulait aussi. Depuis la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, en 1979, les États-Unis n’ont cessé d’accompagner le développement économique de la Chine. Sûre d’elle, l’Amé-rique de la fin du xxe siècle n’imagine pas qu’une Chine plus riche ne devienne pas mécani-quement plus démocratique, et donc une alliée.

Faire entrer la Chine à l’OMC est l’objectif poursuivi par George Bush père, un républicain, puis aussi ardemment, sinon plus encore, par le démocrate Bill Clinton. Avec le même raison-nement : les produits chinois viendront plus facilement chez nous, mais les exportations amé-ricaines, elles, vont envahir ce marché sans fond qu’est l’empire du Milieu. Et la même certitude : les États-Unis vont ainsi com-bler le déficit commercial qu’ils enregistrent (déjà) dans leurs échanges avec la Chine.« Cela va favoriser l’emploi chez nous, dit Bill Clinton en mars 2000, et rééquilibrer notre balance commerciale avec la Chine. » Dix ans plus tard, c’est le contraire qui s’est produit, exactement. Le déficit américain avec la Chine a explosé ; l’emploi est plus dégradé que jamais aux États-Unis. Coïncidence ? Ou faut-il incriminer le commerce avec la Chine, bref, son entrée à l’OMC ?Pékin a rempli ses engagements : baisse de ses droits de douane,

élargissement de ses quotas d’importations agricoles, ouver-ture du secteur des services aux investisseurs étrangers. La Chine est un atelier, mais un marché aussi. Elle est devenue le premier exportateur mondial et le deuxième importateur : ses échanges commerciaux ont été multipliés par cinq, dans les deux sens.« Marché de dupes », tonnent les syndicats américains (et européens). Les multinationales ont délocalisé en Chine pour produire à bas prix des produits qu’elles ont ensuite exportés aux États-Unis. Bénéficiaires : les actionnaires. Victimes : les tra-vailleurs américains. En dix ans, les États-Unis auraient perdu un tiers de leurs emplois indus-triels ; leur déficit commercial avec la Chine est passé de 83 à plus de 200 milliards de dollars.Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, juge que Pékin se comporte comme ses autres membres - ni mieux ni plus mal. Dans les chambres de commerce, on entend pourtant un autre discours. Ouvert sur le papier, le marché chinois resterait très difficile à pénétrer ; Pékin privi-légie ses entreprises.Exportateurs ou investisseurs, les entrepreneurs étrangers évo-luent en Chine dans un cadre juridique encore incertain. Pour sortir de la théorie, rien de tel que le merveilleux récit du Britannique Tim Clissold que les éditions Saint-Simon ont la bonne idée de rééditer juste-ment cet automne.Dans Mr China, comment perdre 450 millions de dollars à Pékin après avoir fait fortune à Wall Street (Saint-Simon, 241 p., 18 €), Tim Clissold, cocasse, touchant et profond, raconte ses mésaven-tures d’investisseur en Chine. Le marché là-bas, écrit-il, c’est le « domaine des oukases, des fausses lettres de crédit, des juges qui ne comprennent rien à un dossier mais rendent quand même un jugement, des agents

d’un bureau anticorruption qui, avant d’accepter une enquête, réclament une voiture ou une valise d’argent liquide ». « Une chose est sûre, dit-il, si vous respectez les règles, vous êtes fichu. »Arrivés il y a plus de vingt ans, Clissold et son groupe sont toujours en Chine. Comme s’ils voulaient donner raison à ceux qui, aux États-Unis notamment, réfutent le bilan négatif du commerce avec la Chine. Ils alignent trois argu-ments. Le mode de calcul des balances commerciales fausse la réalité des échanges : des produits estampillés « made in China » en douane sont en fait l’aboutissement d’une chaîne de production compliquée, souvent multinationale, où la part de la Chine en valeur ajoutée est en général infime. C’est d’abord la technologie qui permet de délocaliser le travail : s’ils ne l’avaient pas été du fait de la Chine, les emplois détruits aux États-Unis l’auraient été par d’autres pays du Sud. Enfin, pour les défenseurs du libre-échange avec la Chine, c’est avant tout la sous-évaluation de sa monnaie – le yuan – qui lui donne un avantage commercial inique.Le vrai bilan de la Chine à l’OMC est peut-être ailleurs. Car les uns et les autres sont d’accord sur un point : par effet de concurrence exacerbé, le poids de l’empire du Milieu dans le commerce mondial pèse sur les prix, y com-pris ceux du travail. Autrement dit, le pas de géant dans la globalisation économique que représente l’arrivée de la Chine à l’OMC explique en partie la stagnation du salaire médian aux États-Unis.Et, du bas au milieu de l’échelle sociale, on a maintenu le pouvoir d’achat en s’endettant. Ce qui est l’une des explications de la crise de la dette d’aujourd’hui.

Alain FrachonLe Monde daté du 30.09.2011

POURQUOI CET ARTICLE ?

L’admission de la Chine à l’OMC en 2001 était analysée par les Occidentaux comme une formi-dable opportunité d’ouverture d’un marché gigantesque qui devait avoir des retombées béné-fiques sur la croissance écono-mique et l’emploi aux États-Unis et en Europe. Cette vision un peu naïve doit être confrontée à la réalité brutale des faits : le grand gagnant de cet accord a été la Chine, qui a ainsi pu pénétrer les marchés des pays développés, en y faisant dispa-raître des millions d’emplois industriels. S’appuyant, par ail-leurs, sur une sous-évaluation évidente du yuan, la Chine a aussi pesé, par le niveau de ses salaires, sur le prix du travail dans les économies développées.

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29Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

Le retour des pays développés.

Le ralentissement des pays émergents, le nouvel accès de faiblesse du commerce

mondial, la légère reprise dans les pays avancés, le mouvement de reflux des capitaux du Sud vers le Nord… tous ces signaux ne reflètent pas un simple déphasage conjoncturel. Ils sont peut-être le révélateur d’un basculement plus profond dans une nouvelle phase de la mondialisation. Au lieu de provoquer un nouveau ralentis-sement mondial, ils pourraient bien être le prélude d’un rééquili-brage géographique durable de la croissance.Pourquoi une telle modification de perspective ? Parce que le ralentis-sement des émergents manifeste l’épuisement d’un modèle de développement excessivement extraverti. Parce qu’il survient au moment où la puissance amé-ricaine se replace au centre du jeu et où certains pays du monde développé repartent à l’offensive.Le fossé de croissance, qui n’a cessé de se creuser depuis vingt ans entre pays avancés et émergents, apparaît ainsi comme une ten-dance moins inexorable et uni-voque qu’annoncé.C’est d’abord la réaffirmation du leadership américain sur l’économie mondiale. La crise, déclenchée par les dérives du système financier américain, débouche paradoxalement sur un renforcement de l’ascendant des États-Unis.

L’Amérique, décidée à sortir de l’illusion monétaire, met délibé-rément le cap sur la restauration de sa compétitivité industrielle, tant par la technologie que par le déplacement des usines vers ses propres États à bas salaires.Une stratégie qui fait feu de tout bois : les coûts unitaires des États-Unis sont aujourd’hui parmi les

plus bas des pays industrialisés ; l’arme du change renforce leur position relative – en particulier face à la Chine – ; l’exploitation du gaz de schiste fait baisser le coût de l’énergie ; la realpolitik de l’admi-nistration Obama se recentre sur le territoire national ; un nombre croissant de multinationales cherchent à raccourcir leurs chaînes de valeur – une volonté qui n’est certainement pas sans lien avec l’offensive généralisée de l’administration fédérale contre l’évasion fiscale de plusieurs grands groupes – , bien obligés de composer avec le gouvernement du premier marché et du premier centre financier mondial.L’affaire Apple montre qu’un grand marchandage donnant-donnant – relocalisation de pans entiers de la chaîne de valeur industrielle en échange d’une certaine clémence fiscale – est à présent engagé.Les États-Unis mettent ainsi fin aux impasses de la « Chinamérique ». Ils organisent patiemment le containment (« endiguement ») stratégique, commercial et monétaire de la nouvelle super-puissance économique asiatique, et déplacent leur jeu d’alliance en direction de l’Allemagne et du Japon.La relance des négociations de libre-échange transatlantique révèle le repositionnement du centre de gravité économique et géostratégique américain. Il marque aussi sa nouvelle capa-cité d’offensive pour déverrouiller des marchés. Un basculement que confirme l’inclusion, au printemps 2013, du Japon dans la négociation transpacifique, au moment même où, près de trente ans après les accords du Plaza, Washington permet à la Banque du Japon de faire glisser le yen en échange du déverrouillage de son marché intérieur.

Dans le même temps, l’Europe entre en convalescence. De crise en psychodrame, la zone euro aura finalement été rafistolée sous le leadership d’un pôle germa-nique, déjà largement redressé après avoir renforcé l’intégration économique de son hinterland est-européen.Quant à l’Europe du Sud, elle res-taure lentement sa compétitivité à coups de déflation salariale, et ses équilibres financiers à coups de restrictions budgétaires. On a oublié dans la tourmente que l’Europe, cet homme malade de l’Occident, restait une zone de richesse, de production et de consommation de premier plan.Après avoir plié pendant la période qui a suivi l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fin 2001, après avoir surmonté la tourmente ban-caire, financière et économique déclenchée en 2007 par la crise des subprimes, les pays avancés abordent une nouvelle phase de la mondialisation en rangs plus serrés autour d’un trio emmené par les États-Unis et leurs alliés allemands et japonais.Face à ce rééquilibrage, les grands émergents sont à la peine. Qu’ils aient bâti leur croissance sur l’abondance d’une main-d’œuvre bon marché ou sur celle des res-sources naturelles, leur accès de faiblesse souligne l’impératif de recentrer leur croissance trop extravertie vers la demande inté-rieure, de rééquilibrer le partage intérieur des fruits de la croissance et de faire face à l’érosion de leur compétitivité non seulement vis-à-vis des pays avancés, mais aussi des nouveaux émergents à coûts encore plus bas.

L’atelier du monde chinois est durement concurrencé par des pays périphériques sur les marchés

d’entrée de gamme : Indonésie, Bangladesh, Philippines, Vietnam, et bientôt Afrique. Enfin, la crois-sance par l’investissement ne peut avoir qu’un temps, même si ces pays ont bénéficié du faible coût du capital et des liquidités, libérés par le marasme des marchés développés.Le ralentissement des émergents ne sonne pas le glas de la reprise du monde développé. Il draine les liquidités vers les entreprises des marchés matures des économies développées, qui se recentrent vers leurs marchés traditionnels et leurs zones d’influence.Ce recentrage déplace aussi la com-pétition des coûts vers la qualité. À la substitution du capital par du travail délocalisé à bon marché pourrait succéder une phase de rebond de l’investissement pour remplacer les équipements obso-lètes et tirer parti des opportunités offertes par la troisième révolution industrielle : mise en réseau géné-ralisée de la production et de la demande, robotisation plus poussée, transformation des modes de consommation. Le ralen-tissement des émergents est le miroir du regain des économies matures.

Laurent Faibis et Olivier Passet (Xerfi)

Le Monde daté du 03.10.2013

Vers un recentrage de la mondialisation

POURQUOI CET ARTICLE ?

La mondialisation, parfois dé-criée au nom des dégâts qu’elle engendre, prend aujourd’hui un nouveau virage qui pour-rait remettre les États-Unis au centre du jeu planétaire. Y a-t-il une place pour l’Europe dans ce recentrage ?

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Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

NOTIONS CLÉSBUDGET EUROPÉEN

Ensemble des dépenses de l’Union européenne, financées par les contributions des 28 Etats membres. En 2015, le montant des ressources de l’UE s’élève à 145 milliards d’euros , ce qui représente un peu plus de 1 % du PIB global de l’Union.

CHOC ASYMÉTRIQUEÉvénement économique (hausse du prix d’une matière première, baisse de la demande d’un produit…) affectant, dans la zone euro, un ou quelques pays sans que les autres soient touchés. Les chocs symétriques, eux, concernent l’ensemble des pays de la zone.

PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE

Accords signés en 1997 à Amsterdam, liant les pays de la zone euro en fixant les critères que ces pays s’engagent à respecter en matière d’endettement public : le déficit public doit être maintenu dans la limite de 3 % du PIB, la dette publique ne doit pas dépas-ser 60 % du PIB. Une procédure de sanction est prévue contre les pays ne respectant pas ces critères.

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE (PAC)

Ensemble des mesures prises par les autorités européennes depuis les années 1950 ayant pour objectif de soutenir les revenus des agricul-teurs européens et de permettre la modernisation des exploitations agricoles, en accompagnant le mouvement d’exode rural. La PAC absorbe aujourd’hui, à elle seule, 38 % du budget européen.

ZONE EUROZone monétaire rassemblant, au sein de l’Union économique euro-péenne (UEM) les pays de l’Union européenne qui ont renoncé à leur monnaie nationale et ont adopté l’euro. En 2015, 19 pays en font partie : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie.

Quelle est la place de l’Union européenne dans l’économie globale ?

Le processus d’intégration économique de l’Europe a débuté après la Seconde Guerre mondiale et, étape par étape, a abouti à une union monétaire partielle. Aujourd’hui, cette intégration

butte sur la question de l’unification politique qui fait débat. L’UE à 27 pèse pour un quart du PIB mondial, mais son influence doit faire face à la suprématie américaine autant qu’à la montée des grands pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.

L’Union européenne, une construction inachevéeL’Union européenne résulte d’un processus d’intégra-tion voulue notamment par quelques grandes figures politiques (Robert Schumann, Konrad Adenauer, Jean Monnet) dans les années 1950. Ce processus a commencé en 1951 avec la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) et s’est poursuivi avec la signature, en 1957, du traité de Rome instituant un marché commun entre les six pays fondateurs. La disparition des droits de douane à l’intérieur de cette zone (libre circulation des mar-chandises) s’est poursuivie par la mise en œuvre de la liberté de circulation des hommes et des capitaux. Les avantages attendus de cette intégration économique concernaient les entreprises (baisse des coûts de production, gains de productivité, amélioration de la compétitivité), mais aussi les consommateurs (baisse des prix, augmentation du pouvoir d’achat, diversification de l’offre de biens). Enfin, l’unification était censée dynamiser la croissance économique. Parallèlement, quelques politiques communes ont vu le jour, notamment la politique agricole commune.En 1992, le traité de Maastricht a marqué une étape supplémentaire en instituant l’Union européenne et en prévoyant une coordination des politiques économiques des États-membres et la création d’une monnaie unique, l’euro, sous l’égide de la Banque centrale européenne (BCE). Des critères de conver-gence ont été fixés, concernant les objectifs d’inflation et d’endettement des États.

Une union monétaire encore fragileL’intégration monétaire est intervenue avec la créa-tion de la zone euro en 1999 : les 11 pays adhérents du départ ont été progressivement rejoints par huit autres pays. La mise en circulation des pièces et des

billets en euros est intervenue le 1er janvier 2002. Pour pouvoir adhérer à l’union monétaire, chaque pays s’engage à respecter les critères du Pacte de stabilité et de croissance de 1997, parmi lesquels les plus importants sont de maintenir le déficit public annuel au-dessous de 3 % du PIB et la dette publique globale au-dessous de 60 % du PIB.En raison de l’emballement des déficits publics et du poids de la dette publique cumulée, cette ambition d’un pacte imposant des règles du jeu communes fait l’objet de controverses. La plupart des pays de la zone euro ne respectent plus les critères du pacte de stabilité et les crises des dettes publiques alimentent les doutes. Peu de pays sont aujourd’hui à l’abri d’un déclassement de leur note par les agences de notation. Les pays les plus vertueux renâclent face au devoir de solidarité à l’égard des pays endettés, et la spirale de l’austérité et de la récession menace d’aggraver cette situation. L’Union est, d’une certaine manière, à réinventer : sur le plan monétaire, dix pays de l’Union n’ont pas adopté la monnaie unique et manifestent une réelle défiance à son égard, notamment le Royaume-Uni. Cette fragilisation de la crédibilité internationale de l’euro fait peser des doutes sur la pérennité du système et alimente les craintes d’éclatement de la zone euro.

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Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

ZOOM SUR…Trois points de vue sur l’Europe« La logique actuelle de la consti-tution économique de l’Europe crée une dynamique objective d’évolution vers une économie de plus en plus libérale, portée par des institutions européennes qui ne peuvent choisir une autre direction. Leur seul pouvoir est d’accroître la concurrence dans le marché unique, non de la réduire. Mais est-ce bien ce que souhaitent aujourd’hui, majoritairement, les citoyens des démocraties euro-péennes ? Et, si tel est le cas, est-ce que demain des choix différents pourront être faits ? » (Jean Paul Fitoussi, La Politique de l’impuis-sance, 2005)« Je pense fermement que l’élar-gissement de l’UE contribuera positivement à la croissance économique et au bien-être de l’ensemble de l’UE. Il ouvrira de nouvelles possibilités en termes d’échanges commerciaux et de flux d’investissement [...]. Ce mouve-ment devrait se traduire par des baisses de prix et une hausse de la productivité et contribuer à rele-ver le potentiel de croissance de l’Union. » (Discours de Jean-Claude Trichet, ex-président de la BCE, Forum économique international des Amériques, conférence de Montréal, mai 2005.)« Nous avons été nombreux aussi pour dénoncer la mise en place d’un marché intérieur sociale-ment si dérégulé qu’il menace d’emporter toute l’organisation de nos sociétés. Pourtant quand une crise éclate dont les conséquences s’annoncent si profondes, on est en droit d’examiner soigneu-sement les méthodes mises en œuvre pour y faire face. On mesure alors bien la stupidité des techniques utilisées dans cette circonstance. C’est le dogmatisme libéral qui a conduit à l’applica-tion de recettes aussi éculées que ces politiques d’austérité et de privatisation généralisée imposées de force par le FMI et la Commission européenne. » (Jean-Luc Mélenchon, Parti de gauche, «Il ne faut pas laisser tomber la Grèce», billet posté sur son blog le 14/09/2011)

Des enjeux économiques, sociaux et politiques pour l’avenirPour tenter de remédier aux risques d’éclatement de l’union monétaire, un nouveau traité instituant le mécanisme européen de stabilité a été adopté par le Parlement européen (mars 2011) et doit être ratifié par les parlements nationaux. Il prévoit la création du MES (Mécanisme européen de stabilité), fonds commun de ressources monétaires, d’un montant de 700 milliards d’euros, alimenté par les États-membres. L’Allemagne (27 %) et la France (20 %) sont les deux plus gros contributeurs. Le traité institue une solidarité entre les États pour venir en aide au financement de la dette publique de certains d’entre eux, en leur accordant des prêts, ou en rachetant une partie de la dette. Les États concernés doivent respecter les recommandations de redressement des comptes publics et de diminu-tion de leur endettement.Par ailleurs, l’UE affiche l’ambition de parvenir à une certaine harmonisation sociale entre ses membres. Cet objectif est loin d’être réalisé, car le paysage social de l’Europe est d’une grande diver-sité. Si l’on parle parfois d’un modèle social euro-péen, c’est surtout par référence à celui des pays fondateurs de l’Union, car la protection sociale, par exemple, n’est pas homogène d’un bout à l’autre du continent. Les nouveaux arrivants de l’Europe de l’Est, du Centre et du Sud ont des caractéristiques sociales (niveau de salaires, politique familiale, systèmes de retraite, couverture santé…) éloignées de celles des pays de l’ouest et du nord de l’Europe. L’Europe sociale est aujourd’hui une mosaïque, autrement dit une illusion.Derrière les objectifs économiques se profile un objectif politique qui ne fait pas consensus. L’Union peut-elle aller vers une gouvernance européenne avec un exécutif émanant d’un vote démocratique ? Les organes politiques existants (Commission euro-péenne et Parlement européen) ont aujourd’hui un pouvoir limité et de faibles marges d’action. La BCE est indépendante du pouvoir politique, ce qui pose la question de la légitimité de ses décisions. Le budget communautaire est embryonnaire et encore dévoré par la Politique agricole commune

(PAC). Les tentatives pour coordonner les politiques économiques sont, pour l’instant, restées modestes.Selon certaines analyses, la construction euro-péenne s’est faite « à l’envers » : le monétaire

d’abord, le politique ensuite. Il n’y a pas, au sein de l’Europe, une autorité politique incontestée, ni un budget européen permettant de mobiliser des moyens financiers importants. La politique budgétaire reste entre les mains des États natio-naux et la crise financière a fait perdre au pacte de stabilité l’essentiel de sa crédibilité. La BCE a assoupli sa position, mais elle doit mener une politique monétaire unique face à des pays dont les problèmes exigeraient des réponses différenciées. L’Union fait face à des chocs asymétriques touchant certains de ses membres sans concerner les autres (dette publique, vieillissement démographique, déficit de la protection sociale…).Parler d’une seule voix sur la scène internationale face aux autres géants suppose des abandons de souveraineté dans des domaines comme la poli-tique étrangère ou la défense nationale, préroga-tives traditionnelles des États-Nations. Les cultures politiques marquées par l’Histoire et le poids des opinions publiques nationales rendent cette étape de l’intégration plus problématique que les précé-dentes.

QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Optimisation fiscale : l’Europe impose plus de transparence p. 34

(Cécile Ducourtieux, lemonde.fr, 04.10.2015)

• Les Européens ne sont pas prêts au « big bang fédéral » p. 34-35

(Claire Gatinois et Philippe Ricard, Le Monde daté du 15.09.2012)

• Bataille sur le programme de la Commission européenne p. 35-36

(Philippe Ricard, Le Monde daté du 26.06.2014)

• L’objectif (presque) secret de la BCE p. 36

(Marie Charrel, Le Monde daté du 05.10.2015)

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32 Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

UN SUJET PAS À PAS

Les étapes de l’intégration européenne

Lorsque plusieurs nations ou régions constituent un espace économique unique à partir d’éco-nomies nationales cloisonnées, on parle de « processus d’inté-gration ». Traditionnellement, on distingue cinq étapes dans l’inté-gration. Les trois premières étapes ont pour objectif la création d’un grand marché par la suppression des entraves à l’échange.

ZONE DE LIBRE-ÉCHANGEAucune barrière tarifaire ou non tarifaire au sein de la zone, mais conservation par chaque pays d’une politique douanière exté-rieure autonome (1951 : marché commun du charbon et de l’acier, la CECA).

UNION DOUANIÈREMise en œuvre d’une politique douanière commune aux membres de la zone vis-à-vis de l’extérieur. (1957 : traité de Rome ; création de la CEE et mise en place progressive d’une union douanière).

MARCHÉ COMMUNOuverture de l’ensemble des marchés (1986 : signature de l’Acte unique européen. La CE se dote d’un symbole d’unité : le drapeau euro-péen. L’Acte unique prévoit l’harmo-nisation des normes, la disparition des contrôles aux frontières, l’ouver-ture des marchés publics).

UNION ÉCONOMIQUEApproche plus volontariste qui prévoit une régulation du marché par des interventions étatiques et une harmonisation des politiques économiques (1992 : signature du traité de Maastricht ; création de la Banque centrale européenne, adop-tion du principe de subsidiarité).

UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE

La zone se dote de politiques communes et crée une monnaie commune, voire unique (1999 : création de la zone euro par 11 pays, la zone comportant aujourd’hui 19 membres).

ZOOM SUR…

Document 1

Document 2

Document 3

2010 2011

Flux (en %) Flux (en %)Union européenne à 27

28,4 56,7 35,6 57,5

Union européenne et monétaire à 17

24,0 48,0 22,0 35,6

dont :Allemagne 2,1 4,2 0,7 1,1Belgique 12,8 25,6 8,6 13,9Espagne 1,5 3,0 – 1,3 – 2,1Irlande 1,2 2,5 0,7 1,2Italie – 0,3 – 0,7 11,9 19,2Luxembourg 1,5 3,0 – 1,5 – 2,4Pays- Bas 4,9 9,8 2,5 4,0Autres pays de l’Union européenne

4,4 8,7 13,6 21,9

dont : Pologne 0,8 1,7 0,3 0,5République tchèque 0,5 1,0 0,8 1,3Roumanie 0,4 0,7 0,0 0,0Royaume-Uni 5,1 10,2 12,1 19,6Suède – 2,6 – 5,1 0,4 0,6Autres pays industrialisés

7,9 15,7 5,6 9,0

dont :Australie 0,4 0,8 1,9 3,1États-Unis 0,2 0,4 4,5 7,2Japon – 0,8 – 1,5 0,5 0,7Norvège 0,4 0,7 1,5 2,4Suisse 8,3 16,5 – 2,0 – 3,2Reste du monde 13,8 27,6 20,7 33,5

dont :Brésil 3,7 7,3 3,4 5,4Chine 1,4 2,9 1,6 2,6Hong-Kong 1,6 3,1 1,6 2,6Inde 0,8 1,7 0,7 1,1Russie 1,6 3,3 5,2 8,4

Total 50,1 100,0 61,9 100,0

Épreuve composée, 3e partie : À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous expliquerez que la constitution d’une union économique et monétaire a été une étape importante de l’intégration européenne.

Trois ans après la naissance de l’euro, monnaies et pièces sont finalement disponibles. […] mais qu’est-ce que ça change ? La différence est énorme. La façon dont les Européens construisent leur identité ne sera plus jamais la même. La monnaie a toujours eu une grande influence sur la façon dont les gens se perçoivent. Elle représente beaucoup plus qu’un bien utile pour l’économie. Elle remplit également des fonctions sociales importantes de par son statut de symbole national. Comme un drapeau, ou un hymne national, la monnaie contribue à créer une identité collective, le sens d’une appartenance à une communauté. […] Les Français n’auront plus leurs francs pour leur rappeler leurs origines. Les Allemands n’auront plus leurs marks, symboles de l’Allemagne respectable née des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Les Grecs n’auront plus leurs drachmes et leurs échos de la splendeur passée d’Athènes. À la place, dans une génération, tout le monde n’aura connu que l’euro. De manière inévitable, les citoyens de tous les pays membres de la zone vont commencer à se sentir liés par une entité sociale identique, l’Europe. Les identités nationales ne vont bien évidemment pas disparaître, mais une nouvelle identité européenne va sûrement naître. […] Français, Allemands, Portugais, Finlandais se sentiront désormais unis comme jamais auparavant. Plusieurs peuples, une seule nation.

(Source : « Euro identité », Benjamin Cohen, Alternatives économiques, n° 199, janvier 2002.)

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33Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

UN SUJET PAS À PAS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– À quels obstacles la coordination des politiques économiques se heurte-t-elle dans l’Union européenne ?– L’Union européenne constitue-t-elle un espace économique homogène ?

Exemple de corrigé rédigéL’intégration européenne est une œuvre de longue haleine qui a débuté dans les années 1950 et a été marquée par les étapes décisives du traité de Rome en 1957 (marché commun), du traité de Maastricht (1992) et de la création de la monnaie unique pour la zone euro (1999). Chacune de ces étapes a constitué un approfondissement du processus d’intégration, qui devrait conduire, à terme, à une unification économique complète de l’Europe. Une autre ambition consiste à envisager pour le futur une intégration sociale et politique, mais cette option rencontre des résistances et ne fait pas l’unanimité.L’étape de la création d’un grand marché intérieur européen s’est appuyée sur la disparition des droits de douane intra-européens, l’homogénéi-sation des réglementations concernant la produc-tion de biens et de services en matière de normes sanitaires ou de sécurité, l’instauration de règles de concurrence harmonisées dans l’Union et la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux.Pour parvenir à ce résultat, les États ont dû renoncer à une part de leur souveraineté politique sur l’organisation des structures productives et des échanges sur leur territoire. Le résultat de cette étape d’intégration commerciale se lit clairement dans les documents 1 et 3 : le commerce extérieur de la France, par exemple, est essentiellement centré sur ses voisins immédiats appartenant à l’Union européenne (en 2010, plus des deux tiers du commerce extérieur de la France concernaient un partenaire localisé en Europe). De même, plus de la moitié des flux d’investissements directs à l’étranger réalisés par les entreprises françaises ont pour destinataire un pays appartenant à l’Union européenne à 27, en particulier un pays de la zone euro.Une étape supplémentaire a consisté, pour une partie des pays de l’Union (11 pays au départ, 17 aujourd’hui) à se défaire de leur souveraineté monétaire au profit d’une monnaie unique, l’euro, désormais gérée par un organisme supranational, la Banque centrale européenne. Le document 2 affirme que cette unification monétaire, au-delà des avantages techniques qu’elle était censée pro-curer, a aussi une dimension symbolique qui en fait un instrument de la construction d’une iden-tité européenne. Cette affirmation doit cependant être prise avec prudence, au regard notamment des déboires récents d’un certain nombre de pays de la zone euro pour lesquels l’hypothèse d’une sortie du système a été envisagée. Si l’euro a des

avantages techniques indéniables sur l’harmoni-sation des systèmes de prix et sur la fluidité des paiements, il est loin d’être aujourd’hui plébiscité comme le symbole d’une citoyenneté européenne et fait l’objet d’une crise de confiance.Mais la question de la cohérence monétaire de l’Union européenne (incomplète puisque 10 pays n’appartiennent pas à la zone euro) renvoie à la question de la coordination des politiques économiques nationales : cette coordination est aujourd’hui encore très fragile. La situation des finances publiques des États membres est très dis-parate. Certains sont excédentaires (Allemagne) ou faiblement déficitaires (Suède, Finlande, Autriche). D’autres pays, au contraire, sont au bord de la ces-sation de paiement (Grèce, Espagne) ou affichent des taux de dette publique dépassant le montant de leur propre PIB (Italie, Irlande, Portugal).Cette situation de l’endettement public interdit aujourd’hui d’envisager une autre coordination des politiques économiques que celle qui prône l’austérité budgétaire mais engendre la spirale de la stagnation ou de la récession. Dans ces condi-tions, on voit mal comment l’étape suivante de l’intégration, l’intégration politique, pourrait être mise en œuvre.

Ce qu’il ne faut pas faire• Omettre de souligner, à partir du document 1,

l’importance relative du commerce intra-européen.

• Prendre « au pied de la lettre » le jugement exprimé par l’auteur du document 2,

sans le confronter, avec le recul, à la réalité du fonctionnement actuel de la zone euro.

ZOOM SUR...Les étapes de la construction européenne

1951Création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier).

1957Traité de Rome (marché commun entre l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et l’Italie).

1973L’Europe à 9 : adhésion du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni.

1981Entrée de la Grèce.

1985Accords de Schengen : libre circu-lation des personnes, entrée en vigueur en 1995.

1986L’Europe à 12 : entrée de l’Espagne et du Portugal.

1992Traité de Maastricht instituant l’Union européenne.

1995Europe à 15 (entrée de l’Autriche, la Finlande et la Suède).

1999Création de la zone euro (au départ 11 pays, aujourd’hui 17).

2002Passage effectif à l’euro en billets et en pièces.

2004Europe à 25 (Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie).

2005Rejet en France et aux Pays-Bas du projet de Constitution européenne.

2013Entrée du 28e État, la Croatie. ©

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LES ARTICLES DU

Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

Optimisation fiscale : l’Europe impose plus de transparence

Ce devait être l’essentiel du menu de l’Ecofin (réunion des ministres

des finances de l’Union euro-péenne), du mardi 6 octobre à Luxembourg. Les grands argen-tiers européens ont – enfin – trouvé un accord politique sur la transparence des « rulings », ces contrats fiscaux ultra-avantageux signés entre des administrations et certaines multinationales, et dénoncés

par les révélations LuxLeaks visant le Luxembourg, en novembre 2014.Critiquée pour son manque de volonté jusqu’alors pour régenter ce type de pratiques choquantes (certaines sociétés parvenant à échapper totale-ment à l’impôt), la Commission européenne avait voulu réagir vite et fort, en 2014. D’autant plus que son tout nouveau président, Jean-Claude Juncker, était personnellement attaqué, certains dénonçant sa supposée tolérance à l’égard de tels contrats quand il était premier ministre du Luxembourg (il a occupé ce poste pendant près de dix-neuf ans). Le commis-saire en charge de la fiscalité, le Français Pierre Moscovici, a fait une proposition de directive dès mars 2015. Elle rendait obli-gatoire la transmission auto-matique des accords fiscaux entre Etats membres de l’Union. Avec une réactivité de dix ans : tous les rulings des dix der-nières années, y compris ceux n’ayant plus cours aujourd’hui, devaient être déclarés par les administrations fiscales.

Un secteur sanctifiéLe pari de Bruxelles ? Que les rulings, une fois connus, soient dénoncés par les Etats s’esti-mant lésés, et que ces pratiques finissent du coup par dispa-raître. Mais si, fin 2014, tout le monde y est allé de sa décla-ration sur la nécessité d’une plus grande justice fiscale, les mois passant, et d’autres crises s’accumulant (les migrants, la Grèce, etc.), le « momentum » politique européen s’est un peu dilué. La proposition de la Commission a fait son chemin, mais laborieusement.Il faut dire que la fiscalité est un des secteurs les plus sanctifiés de l’Europe. Pour y toucher, il faut l’unanimité des Etats membres et certains rechignent. Ce sont en général toujours les mêmes : l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Luxembourg, qui ont fait de la fiscalité une des armes de leur attractivité économique.

RétroactivitéLe texte propose que la rétroac-tivité des rulings soit de 5 ans pour les rulings encore valides

au 1er janvier 2017 et que la rétroactivité soit de 3 ans seu-lement pour les rulings ter-minés au 1er janvier 2017, date de l’entrée en vigueur de cette directive transparence.L’enjeu de la rétroactivité est conséquent : elle peut per-mettre de lancer des redresse-ments fiscaux potentiellement lucratifs.Il est en tout cas notable que le Luxembourg, qui occupe la présidence tournante de l’Union depuis juillet et jusqu’à fin 2015, a fait beaucoup pour faire avancer le dossier. Il est manifeste qu’il veut être irré-prochable sur ce sujet, pour ne pas prêter, à nouveau, le flanc à la critique.Avec cet accord trouvé à 28 Etats membres, mardi, il ne manque plus que l’avis du Parlement pour une entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2017.

Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)

lemonde.fr, 04.10.2015

POURQUOI CET ARTICLE ?

La « bienveillance fiscale » de certains États de l’Union euro-péenne à l’égard de firmes mul-tinationales constitue une « dis-torsion de concurrence » qui avantage certains pays et péna-lise les autres. Les contrats fis-caux opaques permettent en ef-fet à des entreprises de pratiquer une sorte de « dumping fiscal ». La Commission européenne se propose d’encadrer plus sévère-ment ces pratiques déloyales.

Les Européens ne sont pas prêts au « big bang fédéral »

Faire de l’Europe une fédération. Le général de Gaulle jugeait la tâche

impossible. « On ne peut, disait-il, faire une omelette fédérale avec les œufs durs que sont les vieilles nations d’Europe. » Des décennies plus tard, c’est pour-tant le « saut fédéral » qui est évoqué pour réparer les mal-façons d’une union monétaire

bâtie sans union politique. L’Américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001, est de cet avis. Pour sortir de la crise, la zone euro n’a, dit-il, que deux options : « Faire plus ou moins d’Europe. » Autrement dit : redonner aux pays la liberté de dévaluer leur propre monnaie ou construire des États-Unis d’Europe. Une vision

anglo-saxonne un brin chimé-rique. « Le big bang fédéral n’est pas possible : les dirigeants n’y sont pas favorables, pas plus que les opinions, constate un diplomate européen. Il faut chercher des voies moyennes pour avancer. »Les ministres des finances de l’union monétaire, réunis ven-dredi 14 et samedi 15 septembre

POURQUOI CET ARTICLE ?

La construction européenne semble dans une impasse : l’union politique, dans une optique fédé-raliste, ne fait pas consensus dans les opinions publiques des différents pays de l’Union L’idée d’une solidarité financière euro-péenne a du mal à vaincre le poids de l’Histoire.

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LES ARTICLES DU

35Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

à Nicosie, procèdent donc par étapes. À Chypre, il sera ques-tion de l’Union bancaire. Une avancée vers l’intégration finan-cière puisque les banques de la zone euro seront soumises, d’ici à 2013, à une supervision unique de la Banque centrale européenne (BCE), seule véri-table institution fédérale.Avant d’aller au-delà, il faudra attendre les premières conclu-sions du rapport d’Herman Van Rompuy, lors du sommet européen des 18 et 19 octobre. Jeudi, le président du Conseil européen a déjà suggéré, dans une note envoyée aux capitales, d’aller vers un « budget central » de la zone euro, susceptible de doper les transferts entre États en contrôlant davantage leurs choix. Une façon de réconcilier ceux qui ne veulent pas d’un grand soir fédéral, comme les Français, et ceux qui refusent une mutualisation des dettes, comme les Allemands. Mais, nulle part, le mot fédéralisme n’est écrit. C’est Manuel Barroso, président de la Commission européenne qui a osé, le pre-mier, franchir la ligne, en

plaidant mercredi, au parle-ment européen, pour « une fédération d’États nation »… vingt ans après un discours très similaire de Jacques Delors. En prônant une réforme des traités, il se rapproche ainsi de la vision d’Angela Merkel. La chancelière allemande appelle à la mise en place d’une Union politique d’inspiration fédérale, autour d’un parlement européen aux pouvoirs renforcés.

La « bonne combinaison »Une vision qui froisse encore la France jacobine. À l’Élysée, on cherche plutôt la « bonne combinaison » entre la souverai-neté des États et les instruments fédéraux, comme la BCE. Le débat est donc (ré) ouvert. Dans la sphère politique en tout cas. Mais les populations sont-elles prêtes ?En Italie, « le fédéralisme est culturellement, économique-ment, et politiquement accep-table, assure Matteo Cominetta, économiste italien résident à Londres, nous n’avons pas la fierté nationale que vous avez en France ! » Mais le sentiment

traditionnel proeuropéen de la Péninsule faiblit. L’appartenance à la zone euro est devenue syno-nyme d’efforts non récom-pensés. « Pendant des années, l’Europe a représenté ‘’quelque chose de plus’’, aujourd’hui, c’est ‘’quelque chose en moins’’ », regrette l’ancien président du Conseil Giuliano Amato. La crise et l’austérité n’expliquent pas tout. En Finlande, petit pays relativement épargné par les turbulences, parler de mutuali-sation de dettes, de solidarité financière ou d’union budgé-taire est très « délicat », recon-naît Teija Tiilikainen, directrice de recherche à l’institut finlan-dais des affaires internationales. Même en Allemagne, fédérale par construction, le sentiment proeuropéen décline, observe Ulrike Guérot, responsable à Berlin du centre de réflexion European Council on Foreign Relations. « Aujourd’hui, si on interroge la population, je pense qu’elle sera à 70 % contre un saut fédéral, déplore-t-elle. Les Allemands éprouvent un senti-ment de trahison. » Ils se sentent victimes et pensent qu’ils paient

pour ceux qui n’ont pas respecté les règles. Finalement, les plus fédéralistes sont ceux qui ont tout à gagner d’une Europe plus politique. Au Portugal par exemple, sous tutelle de la « troïka » de ses bailleurs de fonds (Commission, Fonds monétaire international et BCE). « Un vrai fédéralisme remettrait un peu de démocratie dans cette Europe qui nous impose des choses [par l’intermédiaire d’entités non élues] », pense Diogo Teixeira, financier de Lisbonne. En Espagne, la popu-lation, frappée par un chômage de masse, est en colère mais surtout contre l’État. Et cer-taines régions indépendan-tistes, comme la Catalogne, verraient d’un bon œil que le gouvernement central perde du pouvoir au profit de l’Europe, suppose Rafaël Pampillon, pro-fesseur à l’IE Business School de Madrid.

Claire Gatinois et Philippe Ricard

Le Monde daté du 15.09.2012

Bataille sur le programme de la Commission européenne

Derrière la nomination de Jean-Claude Juncker, une autre bataille est

engagée par David Cameron : les priorités du prochain pré-sident de la Commission euro-péenne. Elles devaient être discutées par les chefs d’États et de gouvernement des Vingt-Huit jeudi 26 juin, en marge des cérémonies de commémo-ration de la Grande Guerre, à Ypres (Belgique). Herman Van Rompuy a esquissé cinq axes : « Croissance, emplois et com-pétitivité », « une Union pour tous » dans le domaine social, « une Union de l’énergie », « une

Union de libertés, de justice et de sécurité » et l’Europe comme « un acteur mondial fort ».Derrière les slogans se cachent des divergences en matière éco-nomique, tandis que l’union monétaire est en convalescence, avec une reprise modeste et une déflation rampante. Les dirigeants sociaux-démocrates, Matteo Renzi en tête, sont prêts à soutenir Jean-Claude Juncker, mais ils lui demandent sinon de réformer le pacte de stabilité, du moins d’en avoir une interpréta-tion « intelligente » et « souple ». François Hollande insiste en public pour mettre en œuvre

une politique d’investissements européens plus ambitieuse, susceptible de soutenir la croissance sans creuser davan-tage les déficits nationaux, en particulier dans les pays qui n’ont, comme la France, plus de marges de manœuvre.

LA « PIRE DES ERREURS »En face, Angela Merkel défend bec et ongles le pacte de stabilité et de croissance en dépit des ajustements suggérés par son partenaire de grande coalition à Berlin, le Parti social-démocrate. Mercredi, la chancelière alle-mande a répété que cet

instrument de discipline budgé-taire est « un excellent cadre » et offre déjà « une multitude de possibilités de flexibilité ». Pour

POURQUOI CET ARTICLE ?

L’Europe est partagée entre une vision « rigoriste » qui privilégie la discipline budgétaire et la réduc-tion des dettes publiques et une vision « souple » qui préconise la relance de la croissance, en étant moins regardant sur les critères du Pacte de stabilité. Vertu contre laxisme ? Ou entêtement contre lucidité ?

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LES ARTICLES DU

Mondialisation, finance internationale et intégration européenne

A première vue, le chiffre est plutôt encombrant pour Mario Draghi, le

président de la Banque centrale européenne (BCE). D’après les statistiques publiées mercredi 30 septembre par Eurostat, l’in-flation a en effet reculé de 0,1 % dans la zone euro en septembre. Coupable : la baisse des cours du pétrole. Mais pas seulement. Si l’on exclut les tarifs de l’énergie et de l’alimentation, les prix ont en effet progressé de 1 %. Soit bien en dessous de la cible de 2 % que s’est fixée l’institution.Cela fait des mois que l’union monétaire est piégée dans la trappe de l’inflation basse. Une bonne chose pour les consom-mateurs. Moins pour les Etats, car, dans ces conditions, il est compliqué de réduire l’endet-tement public. Surtout : les prix atones sont également synonymes de croissance ané-mique. Pour les réanimer, la BCE a donc lancé, en janvier, un programme de rachat massif de titres de dettes, essentiellement publiques : l’assouplissement quantitatif («  quantitative

easing  » en anglais, QE). De 60 milliards d’euros par mois, ce plan doit durer jusqu’en septembre 2016, soit plus de 1 100 milliards au total.Las ! Inquiets de la faiblesse des prix, les économistes appellent déjà la BCE à faire davantage. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s, il conviendrait que le QE s’étende au moins jusqu’à mi-2018, et en augmenter les mon-tants jusqu’à 2 400 milliards d’euros. D’autres estiment que les rachats devraient passer à 80 milliards par mois. La pres-sion monte, et les membres de la BCE y semblent réceptifs. Mais pas tellement à cause de l’inflation.Car l’institution, qui présente pourtant la transparence comme l’un des piliers de sa stratégie, n’a pas été complètement franche. En vérité, l’objectif du QE est moins de relancer l’inflation que de maintenir les taux d’intérêt souverains à un niveau très bas. Et surtout, de tirer le cours de l’euro à la baisse face aux autres devises, afin de regonfler

la compétitivité à l’export des produits de la zone euro.

Tirer l’euro à la baisseEn théorie, influencer le taux de change ne relève pas du mandat de la BCE, contraire-ment à d’autres banques cen-trales. Longtemps, elle a d’ail-leurs rechigné à entrer dans « la guerre des monnaies », au grand dam des industriels français. Mais, aujourd’hui, elle ne se prive plus de le faire. Avec succès : entre avril 2011 et mars 2014, l’euro est tombé de 1,40 à 1,05 dollar. Depuis, il est remonté à 1,11 dollar.Que se serait-il passé si, dans le même temps, les prix étaient eux aussi remontés ? La BCE se serait retrouvée en porte-à-faux entre sa cible officielle, l’infla-tion à 2 %, et son objectif de moins en moins officieux, tirer l’euro à la baisse. Maintenir le QE ou l’augmenter aurait alors été difficile à justifier.Mais le hasard fait bien les choses. Car en repoussant un peu le relèvement de ses taux directeurs, que nombre

d’économistes attendaient pour septembre, la Réserve fédérale américaine a poussé le cours du billet vert à la baisse face à l’euro. De quoi contrarier les plans de Mario Draghi. Et justifier l’augmentation de la taille du QE. La question est désormais de savoir quand il l’annoncera. Et quels motifs il avancera pour le justifier. Merci l’inflation faible…

Marie Charrel Le Monde daté du 05.10.2015

son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, créer de nouvelles dettes serait la « pire des erreurs ». Dans son projet de déclaration, Herman Van Rompuy cherche le juste équi-libre entre « une consolidation budgétaire favorable à la crois-sance » et « les réformes structu-relles », en ligne avec les règles édictées par le pacte de stabilité et de croissance. Mais il appelle à de nouvelles avancées dans le

pilotage de l’union monétaire : « La coordination des politiques économiques doit être encore renforcée », écrit-il. Le président du Conseil européen sait qu’An-gela Merkel cherchera à relancer d’ici à la fin de l’année l’idée de contrats signés entre chaque gouvernement et les autorités européennes, afin d’encadrer les réformes en échange d’incita-tions financières. Cette perspec-tive ne plaît pas vraiment ni au

nord ni au sud de la zone euro. Les pays vertueux ne veulent pas financer sur des fonds euro-péens les réformes de leurs voisins. Ceux du sud mettent en avant leur souveraineté pour ne pas se laisser « dicter » ce qu’ils ont à faire.En décembre 2013, la discussion sur le sujet avait été particulièrement houleuse. La chancelière avait conclu qu’il valait mieux ne pas trancher avant les élections européennes.

Mais la dirigeante allemande est d’autant plus déterminée qu’elle considère que la France et l’Italie ne réforment pas assez vite et ont du mal à tenir leurs engage-ments en termes de finances publiques.

Philippe Ricard Le Monde daté du 26.06.2014

L’objectif (presque) secret de la BCE

POURQUOI CET ARTICLE ?

Après des décennies de lutte contre l’inflation, il apparaît aujourd’hui qu’un minimum de hausse des prix est néces-saire au soutien de l’activité économique. La politique monétaire de la BCE en faveur d’un crédit abondant vise à la fois à retrouver l’objectif des 2 % annuels d’inflation et à faire baisser l’euro, face au dollar notamment.

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38 Économie du développement durable

L’ESSENTIEL DU COURS

NOTIONS CLÉSBIEN-ÊTRE

Sentiment de satisfaction qu’une population éprouve à l’égard de ses conditions d’existence. Cette notion subjective peut être appro-chée par des mesures objectives (niveau de vie, état de santé, climat social, etc.), mais aussi par des enquêtes d’opinion.

BIENS COLLECTIFSBiens sans propriétaire repé-rable pour lesquels il n’y a ni rivalité d’usage (l’usage par une personne n’empêche pas l’usage par d’autres) ni exclusion d’usage (tout le monde peut en profiter) : l’éclairage d’un phare en mer, la propreté des rues, la lumière de la pleine Lune…

BIENS COMMUNSBiens de nature collective dont l’usage est non exclusif (accessible à tous), comme la qualité de l’air ou les ressources en eau. Ils peuvent cependant faire l’objet d’une riva-lité d’usage s’ils ne font pas l’objet d’une gestion raisonnée.

BIOCAPACITÉCapacité d’une zone biologique-ment productive à générer des ressources renouvelables et à absorber les déchets résultant de leur consommation. La biocapacité de la Terre est évaluée à 12 milliards d’hectares globaux, soit 1,8 hectare en moyenne par personne.

DÉCROISSANCEObjectif prôné par certains courants de pensée critiques à l’égard de la poursuite de notre modèle de croissance. Ces courants antiproductivistes alimentent leur réflexion par le constat de l’épuisement des ressources non renouvelables et des atteintes à l’environnement (dégradation des sites, pollution, etc.).

EXTERNALITÉ NÉGATIVEEffet négatif d’une activité écono-mique sur son environnement, non compensé financièrement par son auteur. Exemples : pollu-tion atmosphérique industrielle, disparition d’une ressource natu-relle, embouteillages routiers, etc.

La croissance économique est-elle compatible avec la préservation de l’environnement ?

La croissance économique a pour finalité d’améliorer les condi-tions de vie et le bien-être de la population. Pourtant, certaines de ses conséquences, comme l’épuisement des ressources

naturelles ou l’aggravation de la pollution, posent la question de sa soutenabilité à long terme. Dans quelle mesure, par exemple, les risques liés au réchauffement climatique pour les générations futures peuvent-ils faire l’objet d’une politique climatique de la part des pouvoirs publics ?

Croissance économique et bien être : une relation complexeLa corrélation entre l’abondance de biens matériels et le bien-être des êtres humains fait aujourd’hui, dans les pays développés, l’objet d’analyses critiques : les études montrent, en effet, qu’au fur et à mesure de l’accroissement de la richesse le degré d’insatisfac-tion de la population ne recule pas, voire, parfois, augmente. Au-delà d’un certain seuil, il semble que le « rendement marginal en bien-être » de la croissance devienne décroissant.Pour améliorer leurs conditions de vie, les hommes ont à leur disposition quatre types de « capital » : naturel, physique produit, humain, social et insti-tutionnel. Le capital naturel regroupe les ressources renouvelables et non renouvelables offertes par la nature. Par exemple, l’énergie fossile est non renouvelable, mais les forêts, en tenant compte des rythmes de reconstitution, sont des ressources renouvelables.Le capital physique produit recouvre les biens de production destinés à une utilisation future (concrè-tement, le stock de capital accumulé par l’homme par le biais de l’investissement).Le capital humain, notion introduite par l’éco-nomiste G. Becker, comprend les connaissances et les aptitudes humaines, dont certaines sont transférables, notamment par l’éducation, ainsi que l’expérience et le savoir-faire accumulés par chacun.Le capital social comprend les réseaux de relations dont dispose une personne ou un groupe social, dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée.

Mobilisable au niveau individuel ou collectif, il peut être vecteur de confiance, de coopération voire de convictions communes.Le capital institutionnel représente les structures sociales et politiques (État, juridictions, administra-tions, groupes d’intérêts, etc.), qui peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur la vie de chacun. On considère, par exemple, que des institutions démo-cratiques ont des effets positifs sur les relations sociales et la diffusion du savoir. ©

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39Économie du développement durable

L’ESSENTIEL DU COURS

ZOOM SUR…Soutenabilité faible ou forteLa soutenabilité faible (soutenue par le courant libéral) consiste à considérer que la disparition d’une ressource naturelle est acceptable si elle peut, pour les générations futures, être rempla-cée par une ressource de subs-titution produite par l’homme. Par exemple, la déforestation des forêts primaires peut être compensée par des politiques de reboisement. Le capital produit par l’homme est donc substituable au capital naturel. La « version forte » de la soutena-bilité, défendue notamment par le courant écologiste, considère que la disparition irréversible de certaines ressources natu-relles constitue une catastrophe pour l’avenir en raison de leur caractère « irremplaçable » (sites naturels, biodiversité animale ou végétale). Ce courant préco-nise donc l’arrêt de l’usage des ressources non renouvelables (par exemple, les énergies fossiles) et leur remplacement par des ressources reconsti-tuables (énergie solaire par exemple).

Le protocole de KyotoLa conférence de Kyoto, en 1997, a débouché sur la signature d’un accord visant à réduire les émis-sions de gaz à effet de serre au niveau international. Relayé par de nombreuses ren-contres, cet accord aurait dû déboucher, au-delà de sa date butoir (2012), sur de nouveaux engagements des États en matière de réduction des émissions. Fin 2012, la conférence de Doha au Qatar est juste parvenue à un accord prolongeant Kyoto jusqu’en 2020 Mais le consensus est difficile à trouver, certains grands pays émer-gents comme la Chine, le Brésil ou l’Inde refusant les mesures, qui leur semblent porter atteinte notamment à leurs perspectives de développement industriel.Par ailleurs, les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le Protocole de Kyoto.

Les limites écologiques de la croissance économiqueLa prise de conscience des dommages que la crois-sance fait subir à l’environnement s’est faite progres-sivement, mais elle est de plus en plus partagée par l’opinion publique.Le problème majeur concerne le réchauffement climatique, conséquence des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’activité humaine (trans-ports, agriculture, logement résidentiel, industrie manufacturière, etc.). Des accords internationaux ont été signés pour réduire ces émissions, mais le consensus politique n’est pas acquis au niveau mondial. L’augmentation de la pollution de l’air et la dégradation de la qualité de l’eau constituent d’autres aspects de ces dommages.La surexploitation des ressources naturelles fait naître d’autres inquiétudes pour le futur (épuise-ment des gisements énergétiques et des réserves de minerais, mais aussi prélèvements excessifs sur les ressources renouvelables [ressources halieutiques des océans, déforestation…]). Enfin, la disparition de milliers d’espèces animales ou végétales chaque année représente une menace pour l’avenir des écosystèmes et pour la biodiversité.

Vers un modèle de développement soutenable ?La notion de développement soutenable ou durable (en anglais sustainable) est apparue dans les travaux de la commission Brundtland en 1987, sous l’égide des Nations unies. On le définit comme « un mode de déve-loppement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».Mais ce concept de soutenabilité fait l’objet de lectures divergentes : les économistes défendent une « soutena-bilité faible », qui considère que les ressources naturelles épuisées sont substituables, c’est-à-dire remplaçables par du capital technique produit. À l’inverse, le courant écologiste souligne le caractère irremplaçable de cer-taines ressources et l’irréversibilité de leur disparition. Partisan d’une « soutenabilité forte », il propose l’uti-lisation prioritaire des ressources renouvelables pour assurer la non-décroissance du capital naturel.

L’exemple de la politique climatiqueLa communauté scientifique a désormais démontré le lien entre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment de CO2, dues à l’activité humaine. Ce réchauffement conduit, à terme, au recul de la banquise et des grands glaciers et à l’élévation du niveau des océans, mettant en péril de nombreuses régions du monde. Face à cette menace, il faut admettre que les mécanismes spontanés du marché n’intègrent pas ce coût environnemental, cette externalité néga-tive. Les entreprises n’internalisent pas, en effet, dans leurs coûts et leurs prix de vente, cette atteinte au bien commun que constitue le climat de la planète. Pour remédier à cette situation, les pouvoirs publics disposent de trois instruments principaux : la réglementation, la fiscalité écologique et le marché des quotas d’émissions.

Les réglementations consistent à limiter voire interdire les émissions par la loi, par la fixation de normes et de sanctions en cas de non-respect. L’arme fiscale, quant à elle, consiste à faire payer le coût environnemental des émissions par le producteur ou l’utilisateur par le biais d’une écotaxe qui augmente le prix des produits : l’utilisateur (entreprise ou ménage) est incité à choisir les produits les moins polluants car moins taxés. Enfin, le marché des droits d’émission, mis en place par exemple dans l’Union européenne depuis 2005, consiste à attri-buer à chaque site de production des « droits à polluer », ces droits pouvant être revendus en cas de non-utilisation. Les entreprises les plus polluantes sont contraintes d’acheter des droits au-delà de leurs propres quotas, les entreprises « vertueuses » tirant profit de leurs droits non utilisés.

Quels effets attendre de ces instruments ?L’ensemble de ces mesures n’a pas eu, jusqu’à présent, d’effet significatif global sur les niveaux d’émissions mondiales de GES. Certains pays ont obtenu des résul-tats, comme la Suède, qui a mis en place une taxe-car-bone depuis plus de vingt ans. Mais l’Union européenne n’a toujours pas de fiscalité écologique cohérente. Le marché des quotas d’émissions qu’elle a mis en place n’est pas efficace car les attributions initiales de droits à polluer ont été trop généreuses, et le prix de la tonne de carbone s’est effondré, ôtant au mécanisme tout caractère incitatif. D’autre part, certains grands pays émergents, et les États-Unis eux-mêmes, refusent d’accroître les contraintes qu’une politique climatique fait nécessairement peser sur les activités économiques. On comprend, dans ces conditions, que le dernier rap-port de septembre 2013 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) soit, sur cette question, plus pessimiste que les précédents.

CINQ ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Amartya Sen : « Nous devons repenser la notion de progrès » p. 42-43

(Propos recueillis par Grégoire Allix et Laurence Caramel, Le Monde daté du 09.06.2009)

• À la veille de Rio+20, nouveau cri d’alarme sur l’état de la planète p. 43-44

(Rémi Barroux, lemonde.fr, 06.06.2012)

• À Schönau, en Allemagne, l’électricité est verte et citoyenne p. 44

(Frédéric Lemaître, Le Monde daté du 22.01.2014)

• La France va augmenter ses financements climat p. 45

(Simon Roger, Le Monde daté du 30.09.2015)

• Climat : la course aux 100 milliards de dollars est bien engagée p. 46

(Claire Guélaud, Le Monde Éco et entreprise daté du 12.10.2015) ©

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40 Économie du développement durable

UN SUJET PAS À PAS

[Source FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations)]

Ce qu’il ne faut pas faire• Se lancer dans les analyses de détail sans avoir

dégagé la tendance globale.• À l’inverse, ne pas tenir compte de la diversité des

bilans forestiers par grandes régions.

Présentation du documentLe document de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture présente l’évolu-tion annuelle moyenne des surfaces forestières dans le monde et par grandes régions du monde, de 1990 à 2005 en deux sous-périodes. Le bilan global fait apparaître une tendance continue à la déforestation qui, pour la période 2000-2005, semble cependant se ralentir un peu par rapport à la décennie précédente (– 7 millions d’hectares chaque année contre – 9 mil-lions auparavant).

Analyse du documentCe bilan global masque des situations et des évo-lutions très contrastées : l’Amérique du Sud et l’Afrique sont en situation de déforestation massive (– 4 millions d’hectares chacune par an), situation qui touche également l’Asie du Sud et du Sud-Est où, comme en Afrique, la tendance est l’aggravation du phénomène.L’Amérique du Nord et l’Amérique centrale sont en légère situation de « déficit forestier », presque à l’équilibre, alors que l’Europe et plus encore l’Asie de l’Ouest et de l’Est voient leurs surfaces forestières progresser, ce qui signifie que les prélèvements y sont plus que compensés par des plantations nouvelles.La situation des zones lourdement déficitaires en surfaces forestières risque de poser, à terme, les problèmes d’équilibre écologique majeur, d’autant qu’il s’agit, pour l’essentiel, de pays en développement ou émergents et que la destruction des forêts y concerne souvent des forêts primaires.

Les conclusions du rapport Stiglitz« Le bien-être à venir dépen-dra du volume des stocks de ressources épuisables que nous laisserons aux prochaines générations. Il dépendra égale-ment de la manière dont nous maintiendrons la quantité et la qualité de toutes les autres ressources naturelles renouve-lables nécessaires à la vie. D’un point de vue plus économique, il dépendra en outre de la quantité de capital physique (machines et immeubles) que nous transmet-trons, et des investissements que nous consacrons à la constitu-tion du «capital humain» de ces générations futures, essentiel-lement par des dépenses dans l’éducation et la recherche. Et il dépendra enfin de la qualité des institutions que nous leur trans-mettrons, qui sont une autre forme de «capital» essentiel au maintien d’une société humaine fonctionnant correctement. » (Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2008.)

NOTIONS CLÉSBIEN PUBLIC MONDIAL

Les biens publics mondiaux sont des biens collectifs, donc non exclusifs et non rivaux, qui concernent l’ensemble de l’huma-nité à travers le temps. La biodiver-sité ou le réseau Internet sont des biens publics mondiaux.

DETTE ÉCOLOGIQUESituation dans laquelle se trouve un pays dont l’empreinte écolo-gique par habitant est supérieure à la biocapacité par habitant, ce qui signifie que ce pays prélève sur la biocapacité du reste du monde.

INTENSITÉ CARBONEIl s’agit de la quantité de dioxyde de carbone (CO

2) par euro de PIB.

INTENSITÉ ÉNERGÉTIQUEIl s’agit de la quantité d’énergie nécessaire pour produire un euro de PIB.

Épreuve composée, 2e partie : Vous présenterez le document et vous en déga-gerez les principales tendances

ZOOM SUR…

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Mobilisation des connaissances– Vous définirez l’expression « développement soutenable ».– Pourquoi le PIB n’est-il qu’un indicateur imparfait du développement ?– Vous définirez l’indice de développement humain.– Définissez les 4 formes de capital à la disposition des hommes.– Pourquoi dit-on que le bien-être est une notion multidimensionnelle ?

Évolution des surfaces de forêts depuis 1990 (en 1000/ha/an)

Amériquedu Sud Afrique

Asie duSud et duSud-Est Océanie

Amériquesdu Nord et

centrale

Europe Reste del’Asie

(Ouest et Est)

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41Économie du développement durable

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe cœur du sujet concerne les instruments que peut mettre en œuvre une politique climatique. Il est cependant nécessaire de contextualiser la question en la replaçant dans le cycle des négociations sur le réchauffement climatique.

La problématiqueLe climat est un élément du patrimoine mondial, aujourd’hui mis en péril par nos modes de produc-tion et de consommation. Les outils permettant de le préserver existent mais n’ont d’efficacité que s’ils font l’objet d’une mise en œuvre à l’échelle de la planète.

Ce qu’il ne faut pas faire• Oublier de définir, dès le départ, le concept clé

de bien public mondial.• Se contenter de citer, sans expliciter leur logique

propre, les 3 instruments majeurs d’une politique climatique.

• Minimiser les oppositions d’intérêts entre les régions du monde sur cette question.

IntroductionL’équilibre de long terme de nos écosystèmes ter-restres est aujourd’hui gravement mis en danger par le réchauffement climatique, conséquence des émis-sions de gaz à effet de serre, liées à l’activité humaine. Il est urgent, aujourd’hui, de mettre en œuvre les instruments qui permettront de préserver, pour les générations futures, ce patrimoine précieux que constitue le climat. Une telle préservation nécessite cependant une coopération internationale qui tarde à voir le jour, en raison de la divergence des intérêts particuliers.

Le plan détaillé du développementI. Le climat, un bien public mondial aujourd’hui menacéa) Qu’est-ce qu’un bien public mondial ?Les principes de non-exclusion et de non-rivalité : leur application au climat.

b) Le réchauffement climatique, une externalité négative liée à l’activité humaineLes émissions de gaz à effet de serre et leurs consé-quences constatables et prévisibles.

II. Des politiques climatiques encore embryonnairesa) Quels sont les instruments mobilisables ?Les 3 axes d’une politique climatique : réglementa-tion, écotaxes et marché des droits à polluer.b) Un consensus international introuvable ?Du protocole de Kyoto à la conférence de Doha, des intérêts difficilement conciliables.

ConclusionLes enjeux de la lutte contre le réchauffement cli-matique sont communs à toute l’humanité, mais la perception de l’urgence d’une action se heurte à la diversité des situations dans lesquelles vivent les populations de la planète. Que signifie, pour un habitant déshérité d’un pays d’Afrique subsaha-rienne, la préservation des chances du futur, alors que son quotidien est fait de mal-développement et de précarité ? Les exigences du développement soutenable entrent souvent en conflit avec l’urgence de besoins immédiats. La préservation du bien public mondial climatique ne doit pas être un alibi pour négliger les impératifs d’une juste répartition du bien-être.

Dissertation : Comment préserver le bien public mondial que constitue le climat ?

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– Une politique climatique peut-elle s’appuyer exclusivement sur les mécanismes du marché ?– La lutte contre le réchauffement climatique peut-elle devenir un facteur de croissance économique ?

DÉFAILLANCE DU MARCHÉ

Situation dans laquelle les méca-nismes spontanés du marché se révèlent incapables d’assurer l’allo-cation optimale des ressources économiques, et qui nécessite donc une intervention de la puissance publique.

EFFET DE SERREPhénomène (au départ naturel) qui piège la chaleur du rayonne-ment solaire dans l’atmosphère terrestre et en accroît la tempéra-ture. L’augmentation de cet effet par les émissions de « gaz à effet de serre », notamment le dioxyde de carbone, conduit au réchauffement climatique.

FISCALITÉ ÉCOLOGIQUEEnsemble des dispositifs fiscaux visant à faire prendre en charge par l’utilisateur d’un procédé ou d’un bien les dommages environ-nementaux qu’il engendre. Le système du bonus/malus pour les voitures ou la taxe carbone font partie de ces dispositifs.

INTERNALISATIONIntégration dans les coûts privés d’une entreprise du coût envi-ronnemental engendré par ses activités de production. Cette notion s’appuie sur le prin-cipe du « pollueur-payeur » et peut être mise en œuvre par l’instauration d’une taxe ou par l’obligation d’équipements antipolluants.

NORME D’ÉMISSIONLimites d’émissions de produits polluants imposées à un matériel ou une activité de service par une réglementation publique. L’Union européenne s’est dotée, pour les moteurs à explosion, de « normes Euro » de plus en plus sévères à l’horizon 2015.

NORME DE PROCÉDÉSpécification contraignante sur le plan environnemental concernant un procédé de production (inter-diction de certaines méthodes ou de l’utilisation de certaines matières premières).

MOTS CLÉS

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LES ARTICLES DU

Économie du développement durable

Bien avant que la crise économique ne fasse redécouvrir les vertus de

la régulation aux gouvernements des grandes puissances mon-diales, l’Indien Amartya Sen, Prix Nobel d’économie en 1998, faisait partie des quelques économistes à défendre le rôle de l’État contre la vague libérale. Ses travaux ont démontré que les famines étaient créées par l’absence de démo-cratie plus que par le manque de nourriture. On lui doit l’invention, avec Mahbub Ul Haq, en 1990, de l’indice de développement humain (IDH), qui intègre, en plus du niveau de revenu par habitant, les questions de santé et d’éducation.C’est à ce titre que M. Sen, âgé de 75 ans et professeur à Harvard (États-Unis), a été invité par Nicolas Sarkozy à participer à la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, qui doit proposer avant fin juillet de nouveaux indicateurs économiques, sociaux et environnementaux des-tinés à compléter le produit intérieur brut (PIB). Des indicateurs qui ne sont que des instruments au service du débat public, pour l’économiste dont le prochain livre, The Idea of Justice, doit être publié en France cet automne.

La crise économique est-elle l’occasion de revoir notre modèle de croissance ?C’est certainement une opportunité de le faire, et j’espère en tout cas qu’on ne reviendra pas au « business as usual » une fois le séisme passé. La crise est le produit des mauvaises politiques économiques, particuliè-rement aux États-Unis. Les outils de régulation ont été démolis un par un par l’administration Reagan jusqu’à celle de George Bush. Or

le succès de l’économie libérale a toujours dépendu, certes, du dyna-misme du marché lui-même, mais aussi de mécanismes de régulation et de contrôle, pour éviter que la spéculation et la recherche de pro-fits conduisent à prendre trop de risques.

Est-ce seulement une question de régulation, ou faut-il repenser plus largement les notions de progrès et de bonheur ?Oui, il faut les repenser. Mais le bonheur et la régulation sont des questions liées. Penser au bonheur des gens, mais aussi à leur liberté, à leur capacité à vivre comme des êtres doués de raison, capables de prendre des décisions, cela revient à se demander comment la société doit être organisée. Si vous pensez que le marché n’a pas besoin de contrôle, que les gens feront automatiquement les bons choix, alors vous ne vous posez même pas ce genre de question. Si vous êtes préoccupés par la liberté et le bonheur, vous essayez d’organiser l’économie de telle sorte que ces choses soient possibles. Quelles régulations voulons-nous ? Jusqu’à quel point ? Voilà les questions importantes dont nous devons discuter collectivement.

Faut-il pour cela développer d’autres outils de mesure que le PIB, qui fait débat ?C’est absolument nécessaire. Le PIB est très limité. Utilisé seul, c’est un désastre. Les indicateurs de pro-duction ou de consommation de marchandises ne disent pas grand-chose de la liberté et du bien-être, qui dépendent de l’organisation de la société, de la distribution des revenus. Cela dit, aucun chiffre

simple ne peut suffire. Nous aurons besoin de plusieurs indicateurs, parmi lesquels un PIB redéfini aura son rôle à jouer.Les indicateurs reflètent l’espérance de vie, l’éducation, la pauvreté, mais l’essentiel n’est pas de les mesurer, c’est de reconnaître que ni l’éco-nomie de marché ni la société ne sont des processus autorégulés. Nous avons besoin de l’intervention raisonnée de l’être humain. C’est ce pourquoi la démocratie est faite. Pour discuter du monde que nous voulons, y compris en termes de régulation, de système de santé, d’éducation, d’assurance chômage… Le rôle des indicateurs est d’aider à porter ces débats dans l’arène publique, ce sont des outils pour la décision démocratique.

L’indice de développement humain (IDH) peut-il être un de ces indicateurs ?L’IDH a été au départ conçu pour les pays en développement. Il permet de comparer la Chine, l’Inde, Cuba… Il donne aussi des résultats inté-ressants avec les États-Unis, prin-cipalement parce que le pays n’a pas d’assurance santé universelle et est marqué par de fortes inégalités. Mais nous avons besoin d’autres types d’indicateurs pour l’Europe et l’Amérique du Nord, sachant que ce ne seront jamais des indicateurs parfaits.

Quand vous avez construit l’IDH, la crise environnementale n’était pas perçue dans toute sa gravité. Modifie-t-elle votre vision de la lutte contre la pauvreté ?Le déclin de l’environnement affecte nos vies. De façon im-

médiate, dans notre quotidien, mais il affecte aussi les possibi-lités du développement à plus long terme. L’impact du changement climatique est plus fort sur les populations les plus pauvres. Prenez l’exemple de la pollution urbaine : ceux qui souffrent le plus sont ceux qui vivent dans la rue. La plupart des indicateurs de pauvreté ou de qualité de la vie sont sensibles à l’état de l’envi-ronnement. Voilà pourquoi il est important que les questions de pauvreté, d’inégalités soient prises en compte dans les négociations climatiques internationales.

Comment faire ?Il faut que les pays les plus pauvres soient représentés dans les instances de négociation. L’élargissement du G8 à vingt pays marque un vrai progrès. Les points de vue de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique du Sud et de quelques autres pays émergents sont main-tenant pris en compte. Mais il n’est pas suffisant de donner la parole à ceux qui ont le mieux réussi. Ils ne portent pas les préoccupations des plus pauvres. L’Afrique reste trop négligée. Le rôle de l’Assemblée générale des Nations unies doit être renforcé. C’est le seul lieu où, quel que soit son poids écono-mique, un pays peut s’exprimer à égalité avec les autres.

Vos travaux sur la résolution des famines grâce à la démocratie s’appliquent-ils à la crise alimentaire actuelle ?La démocratie permet d’éviter les famines, car c’est un phénomène contre lequel il est assez facile de mobiliser l’opinion. À partir du moment où l’Inde a eu un gou-vernement démocratique, en 1947,

Amartya Sen : « Nous devons repenser la notion de progrès »Pour le Prix Nobel d’économie (1998), le changement climatique affecte le développe-ment des plus démunis.

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LES ARTICLES DU

43Économie du développement durable

elle n’a plus connu de famine. En revanche, la démocratie ne suffit pas à enrayer la malnutrition, qui est un phénomène plus complexe. Il faut un engagement très fort des

partis politiques et des médias pour attirer l’attention sur ces questions et créer un débat public.

Êtes-vous inquiet de voir les surfaces destinées aux agrocarburants s’accroître au détriment des cultures alimentaires ?Oui, je suis inquiet de voir com-bien il peut être plus rentable d’utiliser la production agricole pour fabriquer de l’éthanol que pour nourrir des gens. La crise alimentaire ne s’explique pas de façon malthusienne – ce n’est pas un problème en soi de nourrir 6 milliards ou 9 milliards de per-sonnes. Les raisons de la pénurie sont plus complexes. Je pense notamment à la compétition entre

les différents usages de la terre, mais aussi à l’évolution du régime alimentaire en Inde et en Chine, où la demande de nourriture par habitant s’accroît.

Vous dénoncez une approche coercitive des politiques démographiques. Pourquoi ?Il y a deux façons de voir l’huma-nité : comme une population inerte, qui se contente de pro-duire et de consommer pour satisfaire des besoins ; ou comme un ensemble d’individus doués de la capacité de raisonner, d’une liberté d’action, de valeurs. Les malthusiens appartiennent à la première catégorie : ils pensent par exemple que pour résoudre

les problèmes de surpopulation, il suffit de limiter le nombre d’enfants par famille. Plusieurs pays ont essayé et ils n’ont pas eu beaucoup de succès.Le cas de la Chine est plus complexe qu’il n’y paraît : on accorde selon moi trop de crédit à la politique de l’enfant unique, alors que les pro-grammes en faveur de l’éducation des femmes, l’accès à l’emploi ont certainement fait autant pour la maîtrise de la croissance démogra-phique. Et n’oublions pas que, pour Malthus, à la fin du XVIIIe siècle, un milliard d’humains sur Terre, c’était déjà trop !

Propos recueillis par Grégoire Allix

et Laurence CaramelLe Monde daté du 09.06.2009

POURQUOI CET ARTICLE ?

Spécialiste du développement, Amartya Sen revient sur la crise financière, qui nous donne l’oc-casion de repenser la régulation de notre système économique et de redéfinir ses finalités. Cela nécessite une réflexion critique sur les indicateurs (dont l’IDH) qui construisent notre vision du réel. Sa priorité reste la lutte contre la pauvreté, qu’il asso-cie intimement aux progrès de la démocratie.

À la veille de Rio+20, nouveau cri d’alarme sur l’état de la planète

À deux semaines de l’ouver-ture, au Brésil, du sommet mondial Rio+20 consacré

au développement durable, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) veut mettre sous pression les respon-sables politiques. « Si rien n’est fait pour inverser la tendance, les gouvernements devront assumer la responsabilité d’un niveau de dégradation et de répercussions sans précédent », a déclaré Achim Steiner, directeur général du PNUE en présentant, mercredi 6 juin, le rapport sur « l’avenir de l’envi-ronnement durable », Geo-5. Ce scénario dramatique est connu et repris dans de nombreux rapports des Nations unies, du WWF, de l’OCDE, etc. : avec le développe-ment démographique de la Terre qui doit s’apprêter à accueillir, et nourrir, 9 milliards d’humains, et la raréfaction des ressources natu-relles, l’état de la planète se dégrade à grande vitesse, explique le PNUE. Sur 90 objectifs définis comme prioritaires, tels que la protection

de la biodiversité, le contrôle et la réduction de la pollution de l’eau douce, la réduction de la pro-duction et de l’usage des métaux lourds, la majorité n’a pas connu de réelle amélioration. Sur le chan-gement climatique notamment, indique le rapport, sur la protec-tion des réserves halieutiques ou encore la lutte contre la désertifica-tion, soit au total 24 objectifs, il n’y a eu aucun progrès ou seulement à la marge. Pire, la situation s’est détériorée pour 8 de ces objectifs, notamment la protection des récifs coralliens dans le monde.Si l’on tient compte de l’impossibi-lité pour le PNUE d’évaluer 14 des objectifs prédéfinis – l’organisation basée à Nairobi déplore fortement le manque de données disponibles dans de nombreux secteurs et pro-pose que ces informations soient systématiquement intégrées aux statistiques nationales –, « certains progrès ont été accomplis à l’égard d’une quarantaine d’objectifs por-tant notamment sur l’extension des zones protégées comme les parcs

nationaux et les efforts en vue de la réduction de la déforestation », dit le PNUE.

Les bons exemplesMais ce tableau à destination des participants à Rio+20 n’est pas qu’un cri d’alarme et un aveu d’impuissance. Au contraire, expliquent les responsables du PNUE, les exemples de politiques volontaristes sont nombreux, au niveau d’États, de régions, voire de villes : politique de l’eau gratuite en Afrique du Sud, taxe-carbone instaurée dans l’État de Colombie britannique au Canada, détection et réduction des fuites dans le système de distribution d’eau au Bahreïn, péage urbain à Stockholm ou encore programme aux Maldives, menacées par la montée des eaux, pour atteindre l’objectif de zéro émission de car-bone en 2019.Le patchwork de ces initiatives est impressionnant. Mais ne sau-rait masquer l’inertie qui règne au niveau mondial. « Il y a une

dichotomie entre la morosité ambiante et le fait qu’un certain nombre de pays avancent sans attendre, chacun dans leur coin », explique Sylvie Lemmet, direc-trice de la division technologie, industrie et économie du PNUE. Cette dichotomie s’illustre aussi au niveau des États. La Chine, premier producteur de panneaux photovoltaïques au monde, cham-pionne des investissements dans l’économie verte… et aussi premier pays émetteur de CO

2, est très

dynamique pour transformer son économie mais refuse les contraintes au niveau mondial.« Les pays entendent rester souve-rains quant à leur mode et leurs capacités de croissance », avance Mme Lemmet. Autrement dit par Steven Stone, responsable de la branche économie et commerce du PNUE, en charge de l’économie verte, « certains gouvernements ont des pro-grammes remarquables pour développer les emplois verts mais cela ne débouche pas au niveau ©

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LES ARTICLES DU

Économie du développement durable

mondial, parce que dans le cadre de la concurrence exacerbée par la mondialisation, les problèmes de leadership se posent ».Ce qui réduit d’autant les chances de progression et d’ac-cord au sommet mondial au Brésil. Le PNUE veut croire que Rio+20 sera l’occasion « d’éva-luer les réalisations et les échecs, ainsi que d’encourager la mise en œuvre de mesures mondiales

vers le changement » . « Le moment est venu de dépasser la paralysie de l’indécision, de reconnaître les faits et de regarder en face l’humanité col-l e c t ive q u i u n i t t o u s les peuples », insiste Achim Steiner.

Rémi Barroux lemonde.fr, 06.06.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

Même si des initiatives dispersées témoignent d’un changement d’at-titude à l’égard de l’impact écologique de nos modes de vie, il manque encore une traduction politique, au niveau mondial, de la volonté de construire un véritable modèle de croissance soutenable. Les contra-dictions d’intérêts viennent perturber l’émergence d’un véritable consensus sur cette question.

POURQUOI CET ARTICLE ?

Des citoyens, inquiets de l’immo-bilisme écologique des pouvoirs publics, prennent en main leur destin énergétique pour s’éloi-gner des approvisionnements nucléaires et du charbon en favo-risant les énergies renouvelables. Un modèle qui n’est possible qu’en rompant avec les exigences du profit et qu’en s’appuyant sur l’engagement citoyen.

À Schönau, en Allemagne, l’électricité est verte et citoyenneRéunis en coopérative, les habitants ont racheté le réseau de distribution électrique local et rompu avec le nucléaire et le charbon.

La presse allemande continue de la surnommer « la rebelle de l’électricité ». Pourtant,

en entrant dans les locaux d’EWS, l’entreprise qu’Ursula Sladek dirige, à Schönau, c’est l’impression inverse qui domine. On voit dans des vitrines d’innombrables distinctions, signes d’une indéniable reconnaissance.Deux attirent particulièrement l’attention. D’un côté, le Prix de l’environnement remis en 2013 par le président de la République, Joachim Gauck, le prix le plus prestigieux et le plus richement doté accordé par les autorités fédérales. De l’autre côté du hall, deux photos d’Ursula Sladek en grande discussion avec Barack Obama à la Maison Blanche. C’était en 2011. Ursula Sladek venait de recevoir le Prix Goldman de l’environnement, surnommé le « Nobel de l’environ-nement », « pour sa contribution remarquable à la démocratisation de la fourniture d’électricité ». Ce qu’a fait cette enseignante, âgée aujourd’hui de 67 ans, avec les autres habitants de Schönau, petite commune du Bade-Wurtemberg située tout au sud de l’Allemagne, non loin de la frontière française, est à la fois typiquement allemand et sans équivalent dans le pays.Profondément marquée par la catas-trophe de Tchernobyl en 1986, cette mère de cinq enfants a milité sans relâche avec son mari et d’autres habi-tants de ce village de la Forêt-Noire

pour ne plus consommer d’électricité issue du nucléaire.Face au refus du distributeur d’élec-tricité local, ces rebelles parviendront – dix ans et deux référendums d’ini-tiative populaire plus tard – à racheter ledit réseau et à le transformer en coopérative.Grâce à la libéralisation de l’énergie, en 1997, le réseau électrique muni-cipal de Schönau ne se contente plus de desservir les 2 600 habitants de ce bourg rural. Aujourd’hui, la coopéra-tive compte 135 000 clients dans toute l’Allemagne et prend des participa-tions dans des réseaux qui veulent également se fournir en électricité verte.C’est le cas notamment à Stuttgart. Forte de 3 300 sociétaires (disposant au total d’un capital de 28 millions d’euros) et de 92 salariés, EWS est une coopérative prospère qui a réalisé, en 2012, 140 millions d’euros de chiffre d’affaires et 4,3 millions d’euros de profits après impôts.« Nous n’avons jamais perdu d’argent, sauf la première année », commente fièrement Ursula Sladek qui, depuis le début, dirige la coopérative avec son mari.Pour choisir ses fournisseurs, EWS pose deux conditions : qu’ils n’aient de lien ni avec le nucléaire ni avec le charbon, mais aussi que leurs instal-lations aient moins de six ans.« Nous nous fournissons en Allemagne, mais aussi auprès de producteurs

d’énergie éolienne autrichiens et de producteurs d’hydroélectricité nor-végiens : 100 % de notre électricité provient d’énergies renouvelables », explique Ursula Sladek.Alors que nombre d’experts mettent en avant les limites de l’éolien et du solaire quand il n’y a ni vent ni soleil, Ursula Sladek insiste sur une autre réussite d’EWS : « La majorité de nos clients sont des particuliers, mais nous avons aussi des petites entreprises et même de grands entrepreneurs comme la chaîne de droguerie DM ou le chocolatier Ritter Sport, ce qui prouve la fiabilité de notre appro-visionnement, car ces industriels ne peuvent pas courir le risque de subir des coupures de courant. »Côté tarifs, EWS est tout à fait compé-titif, « car les actionnaires n’exigent pas 15 % de retour sur investissement mais environ 4 %, ce qui est bien supérieur au rendement d’un plan d’épargne. Par ailleurs, les cadres de l’entreprise sont moins payés que dans les groupes traditionnels et nous faisons beaucoup moins de publicité », explique Ursula Sladek.Cependant, certains clients, militants, acceptent de payer quelques euros de plus leur électricité pour permettre à EWS d’aider des ménages ou des PME qui investissent dans le renouvelable pour leur propre consommation. En 2012, 1,5 million d’euros a été dépensé pour soutenir environ cinq cents investissements.

Désireux que ses clients consomment moins mais s’impliquent davantage dans les questions énergétiques, EWS multiplie les formations pour per-mettre les échanges sur différentes questions, et l’argent récolté lors de la remise de prix permet à EWS de subventionner d’autres démarches citoyennes.« Nous nous sommes rendu compte dans les années 1970, lors des combats contre le nucléaire, que les gens avaient de très grandes compétences sur le sujet. C’est pourquoi la participation des citoyens est le fondement de notre engagement », raconte Ursula Sladek. Soucieuse de « travailler avec tous les partis » politiques, celle-ci a toujours refusé d’adhérer à l’un d’entre eux.

Frédéric Lemaître Le Monde daté du 22.01.2014

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45Économie du développement durable

La France va augmenter ses financements climatA l’ONU, François Hollande a promis que l’aide de Paris passerait de 3 à 5 milliards d’euros par an en 2020.

«Accélérer.  » Le message de François Hollande sur le climat, martelé

jusqu’à la fin de son déplacement aux Nations unies, lundi 28  sep-tembre au soir, avait le mérite de la simplicité. Encore fallait-il lui donner de la substance.A force d’exhorter les autres pays à intensifier leurs efforts dans la lutte contre le réchauffement, le risque était aussi d’exempter la France, pays hôte de la prochaine conférence mondiale sur le climat (COP21), de ce coup d’accélérateur. Le chef de l’Etat a donc pressé le pas, dimanche et lundi, et apporté des précisions sur la nature du texte qui pourrait être signé en décembre à Paris et les financements supplé-mentaires de la France en faveur du climat. Paris s’est ainsi engagé à augmenter son aide de 2 milliards d’euros. A propos de l’accord que négocient, dans la douleur, les 195 Etats membres la Convention-cadre des Nations unies sur les change-ments climatiques (CCNUCC), «  on peut dire, ça peut être plus tard, à une autre conférence, a suggéré François Hollande à la tribune de l’Assem-blée générale onusienne. Mais si ce n’est pas à Paris, ce ne sera pas tard, ce sera trop tard pour le monde  ». Dans le marathon présidentiel de quarante-huit heures à New York, largement dominé par l’actualité syrienne, le dossier du terrorisme et les crises humanitaires, l’enjeu était de confirmer la dynamique enclen-chée par la diplomatie française en vue de la COP21.

Exemplarité relativeDimanche 27 septembre, le déjeuner co-organisé par la France, le Pérou (qui cédera la présidence de la COP le 30 novembre) et le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, n’a pas eu pour seul effet d’afficher une bonne volonté de façade de

la communauté internationale. Il a permis d’avancer sur un point-clé pour inscrire dans la durée un accord limitant le réchauffement sous le seuil des 2 °C : la mise en place d’un mécanisme de révision, tous les cinq ans, des contributions nationales, c’est-à-dire des objectifs des Etats de réduction de leurs émis-sions de gaz à effet de serre.Quelques heures plus tard, profitant de son intervention en clôture du sommet des objectifs de dévelop-pement durable, François Hollande a envoyé un autre signal, cette fois sur la question du financement, qualifiée de «  question majeure  ». « La France, qui veut toujours mon-trer l’exemple, a décidé d’augmenter son niveau d’aide publique au développement [APD] pour dégager 4  milliards d’euros de plus à partir de 2020 », a-t-il assuré. Une exem-plarité toute relative lorsque l’on sait que la France n’a consacré en 2014 que 0,36 % de son produit national brut à l’APD, deux fois moins que l’objectif de 0,70 % fixé par l’ONU et respecté par seulement cinq pays, le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni.Restait à identifier dans cette manne financière la part consa-crée à la lutte contre les impacts du changement climatique. Une inconnue en partie levée lundi à la tribune de l’ONU. « Les financements annuels de la France [sur le climat], de 3  milliards d’euros aujourd’hui, seront de 5  milliards en 2020, avec des prêts mais aussi des dons  », a précisé François Hollande. Deux mécanismes devraient permettre d’agréger ces 2 milliards de plus aux projets liés au climat : un rappro-chement entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts, programmée en 2016, et l’introduction en janvier 2017 d’une taxe sur les transactions financières (TTF) à l’échelle européenne.

Si l’échafaudage budgétaire menant aux 2 milliards manque pour le moment de solidité, la France estime avoir consolidé le socle financier sans lequel aucun accord ne sera possible à Paris. Dans les intermi-nables couloirs des Nations unies à New York comme dans les multiples salles de réunion de la CCNUCC à Bonn, toutes les nations du Sud gardent en mémoire l’engagement pris par les pays du Nord à l’issue de la conférence de Copenhague en 2009 : mobiliser 100 milliards de dollars (88,7 milliards d’euros) par an, d’ici à 2020, pour aider les pays en développement à faire face aux effets du réchauffement.

PrudenceC’est le sens de l’annonce faite le 28 septembre par la France, de celle de l’Allemagne en mai (qui s’était engagée à doubler ses finan-cements climat, pour un total de 4 milliards d’euros) ou encore de celle du Royaume-Uni (qui a promis d’augmenter sa contribution d’au moins 50 %, soit près de 6 millions de livres entre 2016 et 2021) la veille de l’allocution française. Mis bout à bout, ces engagements et ceux des autres pays industrialisés sont loin, cependant, de totaliser 100 milliards de dollars. Selon plusieurs exercices

d’évaluation des flux financiers publics du Nord vers le Sud, entre 14 et 34 milliards de dollars de finan-cement publics ont été consacrés au climat en 2012.Le Fonds vert, créé en 2010 pour recevoir une partie de ces finance-ments, n’est capitalisé aujourd’hui qu’à hauteur de 10 milliards de dollars (dont 1 milliard de la France) pour la période 2015-2018, soit 2,5 milliards par an en moyenne. Un état des lieux des 100 milliards est prévu lors de l’assemblée générale des institutions financières interna-tionales, en octobre, à Lima.Satisfaite malgré tout du signal envoyé par François Hollande à deux mois de la COP21, l’ONG Oxfam, très impliquée sur le volet financier, accueille le discours avec prudence. « Il reste à traduire cette annonce new-yorkaise de manière très concrète dès les prochains jours dans un projet de loi de finances 2016 et à s’assurer que la part des dons augmente véritablement  », réagit Romain Benicchio, d’Oxfam International.Les pays les plus vulnérables pré-sentent un niveau d’endettement souvent très élevé, leur fermant les portes des prêts. Seuls des dons peuvent leur permettre de financer les stratégies d’adaptation qu’im-pose le dérèglement climatique.Dès les prochains jours, le 6 octobre, doit également se tenir une réunion des ministres des finances euro-péens. La question de l’assiette de la TTF devrait y être abordée par les onze pays qui planchent sur le projet depuis 2013. La question suivante sera celle de l’affection de cette taxe, destinée à la fois à la lutte contre le changement climatique, les pandé-mies et les inégalités.

Simon Roger (New York, Nations unies, envoyé spécial)

Le Monde daté du 30.09.2015

POURQUOI CET ARTICLE ?

La tenue, à Paris à la fin de l’année 2015, de la conférence mondiale sur le climat (COP21) amène la France à militer de manière active dans la lutte contre les consé-quences du réchauffement clima-tique, notamment en faveur des pays les plus vulnérables. L’aug-mentation de la contribution financière française a manifes-tement pour objectif de donner l’exemple.

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LES ARTICLES DU

Économie du développement durable

Climat : la course aux 100 milliards de dollars est bien engagéeLes efforts pour lutter contre le dérèglement climatique sont augmentés de 15 milliards par an.

En 2009, la conférence de Copenhague avait achoppé sur la question

du financement de la lutte contre le dérèglement clima-tique. A priori, ce ne devrait pas être le cas de la COP21 – elle se tient à Paris du 30  novembre au 11  décembre – si l’on en juge par les progrès qui ont été accomplis vendredi 9  octobre à Lima, et par l’ambiance qui régnait dans la capitale du Pérou, en marge des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. « Les choses vont dans le bon sens », a sobre-ment déclaré Laurent Fabius, le ministre français des affaires étrangères, à l’issue d’une réu-nion ministérielle sur le climat qu’il a jugée «  importante » et qui, selon lui, «  permet d’être optimiste  ». «  La question des financements est essentielle au succès de la COP21 à Paris. Nous nous sommes assurés que nous atteindrions bien l’objectif de 100 milliards de dollars [88 mil-liards d’euros] », a assuré, plus catégorique, Manuel Pulgar-Vidal, ministre péruvien de l’environnement et président de la COP20.Les pays développés avaient promis, en 2009, de mobiliser ensemble quelque 100 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement clima-tique. Michel Sapin l’a rappelé vendredi à l’ouverture d’un déjeuner réunissant 73 ministres des finances et patrons d’ins-titutions multilatérales : le respect de cet engagement est « une condition nécessaire pour renforcer la confiance lors des négociations » et pour permettre la conclusion d’un accord à Paris.

Fabius : L’effort qui reste à faire est « accessible »Vendredi à Lima, les banques de développement ont promis de faire un effort supplémentaire d’environ 15 milliards de dollars par an en faveur du climat à l’horizon de 2020. Les sommes concernées passeraient à 28 % du total des financements pour la Banque mondiale, à 30 % pour la Banque asiatique de dévelop-pement. Elles doubleraient pour la Banque européenne pour la reconstruction et le dévelop-pement (BERD) et la Banque africaine de développement, passant de 20 % à 40 %, et pour la Banque interaméricaine de développement, de 14 % à 28 %. Celles de la Banque européenne d’investissement (BEI) attein-draient 35 % du total contre 25 % actuellement.Cette quinzaine de milliards de dollars s’ajoutera aux 61,8 mil-liards que les pays développés ont consacrés en 2014, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), au financement d’ac-tions de lutte contre le dérègle-ment climatique dans les pays du Sud. Si l’on y ajoute les 10 mil-liards de dollars espérés pour le Fonds Vert – un mécanisme financier des Nations unies –, les contributions publiques supplémentaires annoncées par plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France avec 5 milliards de dol-lars par an d’ici à 2020, et leurs effets de levier sur le secteur privé, on voit que la promesse des 100 milliards de dollars est à portée de main. Et que, comme l’avait déclaré le ministre fran-çais des finances, peu après son arrivée à Lima, l’effort qui reste à faire est « accessible ».

Emergence d’une forme de maturité généraleAu-delà des promesses d’effort financier supplémentaire, ce sont la qualité des échanges qui ont frappé les participants à ce déjeuner ministériel et, d’une certaine manière, l’émergence d’une forme de maturité générale sur la question du climat. Les ministres péruvien et français, qui avaient demandé à l’OCDE, en collaboration avec le think tank Climate Policy Initiative, de rédiger un rapport présentant un état des lieux de la mobilisation des pays développés en faveur des pays en développement se sont tous deux félicités du bon accueil reçu par ce rapport. « Un nombre considérable d’interve-nants a souligné la qualité de ce travail et de la méthodologie, claire et transparente, de l’OCDE », a observé M. Sapin. Il n’y a eu aucune fausse note, même parmi les pays généralement les plus pointilleux sur le sujet.Cette unanimité est un point d’appui important pour les négo-ciateurs à moins de deux mois de l’ouverture de la conférence de Paris. Mais toutes les difficultés ne sont pas aplanies d’un coup de baguette magique : la part des financements allant à l’« adap-tation » (les actions pour lutter contre les impacts du réchauffe-ment) – soit 16 % en 2013-2014 –, contre 77 % consacrés à l’« atté-nuation » (les politiques desti-nées à réduire les émissions de

gaz à effet de serre), reste un sujet sensible. Le Pérou, par exemple, souhaite que les financements consacrés à l’adaptation augmen-tent. De même, la question de la réduction ou de la suppression des subventions à l’économie carbonée devra être posée.Enfin et surtout, l’ampleur des investissements nécessaires pour rester en deçà d’une aug-mentation des températures de 2 °C est largement supérieure à 100 milliards de dollars par an. Dans les prochaines semaines, le secteur privé devrait être appelé à faire plus. Le secrétariat général des Nations unies a d’ailleurs fait le point sur la mobilisation de la communauté financière privée depuis septembre 2014 tandis que le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, par ailleurs président du Conseil de stabilité financière – groupement économique international créé en 2009 lors de la réunion du G20 à Londres –, a commencé à mobi-liser les banques, les assureurs et les gestionnaires de fond. Michel Sapin l’a d’ailleurs remercié pour le «  travail remarquable  » qu’il avait engagé. Le 29 septembre, M. Carney avait créé une cer-taine sensation en parlant de la «  tragédie  » du réchauffement climatique.

Claire Guélaud

(Lima, envoyée spéciale)Le Monde Éco et entreprise daté

du 12.10.2015

POURQUOI CET ARTICLE ?

Le nouveau cycle de négociations internationales sur la lutte contre le réchauffement climatique dé-bouche, à la fin de l’année 2015, sur

la COP21 à Paris. L’aide à apporter, dans cette lutte, aux pays du Sud se chiffre, dans un premier temps, autour de 100 milliards de dollars chaque année. Mais sur le long terme, l’effort devra être amplifié.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Classes, stratification et mobilité sociales

NOTIONS CLÉSCAPITAL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET CULTUREL

C’est le sociologue Pierre Bourdieu qui a introduit cette distinction. Le capital économique regroupe les ressources matérielles et financières qu’un individu a à sa disposition. Le capital culturel est composé des comportements « incorporés » que chacun a acquis au cours de sa socialisation (habitus), des biens culturels que chacun peut s’approprier et des titres scolaires acquis. Le capital social regroupe le réseau de rela-tions sociales qu’une personne peut mobiliser implicitement ou explicitement à son profit (ou au profit de ses proches) et les ressources symboliques que sa position sociale lui confère.

CASTESIl s’agit d’une stratification sociale héréditaire fondée sur le degré de pureté religieuse. Les castes sont des groupes où règne « l’endoga-mie », c’est-à-dire la prescription du mariage à l’intérieur du groupe.

ORDRESCe principe de stratification orga-nise la hiérarchie sociale selon le degré de dignité, d’honneur et de pouvoir accordé aux différentes positions sociales. Exemple : noblesse, clergé et tiers état dans la société française de l’Ancien Régime.

SEUIL DE PAUVRETÉNiveau de ressources en dessous duquel une personne est considé-rée comme pauvre. L’Union euro-péenne considère comme pauvre une personne disposant de moins de 60 % du revenu médian dans la société considérée. Selon ce critère, il y a en France, en 2012, un peu plus de 8 millions de pauvres, soit 12 % à 13 % de la population totale.

STRATIFICATION SOCIALEDivision de la société en groupes sociaux hiérarchisés et présentant chacun une forte homogénéité au regard de certains critères (reve-nus, modes de vie, valeurs, statut, etc.).

Comment analyser la structure sociale ?

Toute société humaine est structurée par une hiérarchie orga-nisant les rapports entre les individus et les groupes et cor-respondant à une distribution inégale de la richesse et du

pouvoir. L’analyse de la structure sociale s’est longtemps centrée sur le concept de « classe sociale », aujourd’hui peu adapté à l’ana-lyse des sociétés postindustrielles. Les inégalités sont aujourd’hui multiformes et dessinent des logiques de classement complexes, dans l’ordre économique, social, culturel et politique.

Des principes d’analyse divergentsSelon l’analyse fondatrice de Karl Marx, toute société est marquée par un antagonisme entre deux grands groupes sociaux, une « lutte des classes ». Dans la société capitaliste, cette lutte a pour fondement la propriété privée des moyens de production, détenus par la bourgeoisie capitaliste , alors que le prolétariat ne possède que sa force de travail et subit un rapport d’exploitation.Marx distingue deux états de la classe sociale : la « classe en soi » rassemble des individus ayant des intérêts communs mais n’en ayant pas conscience. L’émergence d’une « conscience de classe » transforme la classe en soi en « classe pour soi ». Il s’agit donc d’une conception « réaliste » des classes sociales. Celles-ci existent, fabriquent l’histoire par leurs conflits et ne sont pas de simples constructions abstraites d’un observateur extérieur.Max Weber adopte, quant à lui, une vision « nomi-naliste » : les groupes sociaux « n’existent » pas réellement et sont le résultat de la construction qu’en fait le sociologue à partir de critères de classement. Ce classement comporte trois dimen-sions : les classes regroupent des individus ayant le même niveau de vie et le même mode de vie et fondent l’ordre économique, mais l’ordre social s’organise, quant à lui, selon l’échelle de prestige des positions sociales (« groupes de statuts »). Le troisième registre est l’ordre politique, dans lequel les positions se hiérarchisent par la proximité avec l’exercice du pouvoir politique. Selon Weber, il n’y a pas nécessairement convergence entre ces trois modes de classement : certains individus ayant du pouvoir dans une des sphères en sont dépourvus dans une autre (leader politique sans fortune ou « nouveau riche » sans prestige social).Pierre Bourdieu a tenté de rapprocher ces visions. Selon lui, le classement social est fondé sur la détention de trois formes de capital : le capital

économique (revenus et patrimoines), le capital culturel (niveau de diplôme et pratiques cultu-relles) et le capital social (réseau de relations, prestige, etc.). La combinaison de ces formes de capital est variable et dessine des univers sociaux caractérisés à la fois par le volume global de capital détenu et par la composition de ce capital. Les groupes cumulant de manière intensive les trois formes de capital disposent du plus fort pouvoir de domination symbolique qui leur permet d’imposer leur conception de l’ordre social au reste de la société.

La nécessité d’approches nouvellesLes évolutions massives des soixante dernières années obligent à repenser l’analyse de la structure sociale. Les ouvriers ne représentent plus, en 2010, que 22 % des actifs, moins que les employés (29 %), les cadres et professions intermédiaires atteignant 40 % du total. Simultanément, on constate une certaine homogénéisation des modes de vie et un mouvement de moyennisation de la structure sociale, les « classes moyennes » regroupant désor-mais l’essentiel de la population, à l’exception de deux groupes extrêmes, les pauvres et l’élite sociale.Face à ces évolutions, H. Mendras développe l’image d’une « cosmographie sociale » composée de « constellations » (constellation centrale, popu-laire…) entre lesquelles la circulation est forte. Les frontières de classe s’effacent au profit d’une forme de mobilité sociale, à l’intérieur de chaque constellation et entre constellations.

La persistance des inégalitésLes inégalités se manifestent d’abord sur le terrain économique. On peut analyser les écarts de revenus à partir des revenus primaires (salaires, revenus du capital, revenus mixtes) ou des revenus disponibles après redistribution par les revenus de transfert et les ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

Classes, stratification et mobilité sociales

ZOOM SUR...MÉTHODE DES DÉCILES

Cette méthode statistique classe les ménages par ordre de revenu croissant en 10 groupes d’effectif identique. Le 1er décile délimite les 10 % de ménages les plus pauvres, le 2e les 10 % un peu moins pauvres, etc. Au-delà du 9e décile, on trouve les 10 % de ménages les plus riches. Cette méthode permet de construire la courbe de Lorenz et de calculer le coefficient de Gini. Certaines études utilisent une grille plus fine, en « centiles » (1 %).

MÉRITOCRATIEIl s’agit du principe selon lequel chacun doit avoir accès aux ressources économiques ou aux positions sociales ou politiques en fonction de ses compétences et de ses capacités (« mérite ») et non en fonction de son hérédité ou de son milieu d’origine.

PATRIMOINEIl s’agit de l’ensemble des avoirs possédés par un agent écono-mique (biens immobiliers, biens durables, argent sur des comptes, liquidités, œuvres d’art, titres de propriété, etc.). Le patrimoine brut additionne tous les avoirs, le patrimoine net, lui, se calcule en retranchant les dettes du patri-moine brut.

PLAFOND DE VERREL’expression désigne le barrage que rencontrent souvent les femmes dans leur progression professionnelle et qui les empêche de parvenir aux échelons hiérar-chiques les plus élevés dans les entreprises.

REVENUS PRIMAIRES/REVENU DISPONIBLE

Les revenus primaires sont issus d’une participation à l’activité économique (salaires, revenus du capital, revenus mixtes des profes-sions indépendantes). Le revenu disponible se calcule en ajoutant aux revenus primaires les revenus de transfert (prestations sociales et subventions) et en soustrayant les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales).

prélèvements obligatoires. L’hétérogénéité croissante des PCS (Professions et catégories socioprofession-nelles) amène aujourd’hui à privilégier, pour mesurer les écarts entre groupes sociaux, la méthode des déciles. Un décile représente 10 % de la population totale, des plus pauvres aux plus riches. En France, le rapport interdécile des niveaux de vie (D9/D1, soit les deux déciles extrêmes) est passé de 3,3 en 2004 à 3,5 en 2013, montrant un accroissement des inégalités sur la période. Les inégalités de patrimoine ont, elles aussi, augmenté : en France, en 2011, le décile le plus riche possède 46 % du patrimoine total, les quatre suivants en détenant également 46 %. La moitié la plus pauvre de la population se contente de 8 % du patrimoine total. Une autre approche de la question consiste à mesurer la pauvreté. La définition de l’Union européenne correspond à un revenu inférieur à 60 % du revenu médian. En 2012, 8,6 millions de personnes, en France, étaient considérées comme pauvres (14 % de la population), avec un revenu infé-rieur à 993 euros par mois pour une personne seule.

Des inégalités sociales multiformesLes inégalités économiques induisent des iné-galités sociales de toute nature, par exemple sur les modes de vie : l’importance des postes de dépenses dans le budget des ménages est liée au niveau de revenus et de patrimoine. Pour le décile le plus pauvre, le 1er poste budgétaire, le logement, absorbe à lui seul 25 % du budget, le 2e,

l’alimentation 17,2 %, soit au total 42 % du budget pour ces deux postes prioritaires (chiffres 2006). À l’inverse, pour le décile le plus riche, le 1er poste concerne les transports (15,8 %), le 2e, les loisirs et la culture (14,6 %), l’alimentation n’arrivant qu’en 4e position avec 12,1 %.Les écarts d’espérance de vie à 35 ans (47,2 ans pour un cadre supérieur, contre 40,9 ans pour un ouvrier) ou les écarts de taux de départ en vacances (71 % des cadres, contre 41 % des ouvriers) sont deux autres illustrations de l’influence des inégalités économiques sur les conditions de vie.L’inégalité de réussite scolaire conduit à des formes de reproduction sociale qui contredisent l’idéal égalitaire et méritocratique de nos démo-craties : aujourd’hui, 90 % des enfants d’ensei-gnants obtiennent un baccalauréat (toutes filières confondues) contre 40 % des enfants d’ouvriers non qualifiés.À cette liste déjà longue, on pourrait ajouter les inégalités entre les sexes ou entre les générations. L’accès des femmes aux fonctions politiques ou aux fonctions dirigeantes dans les entreprises se heurte encore souvent au « plafond de verre », qui agit comme un facteur discriminant.

Les inégalités économiques et sociales ont souvent un caractère cumulatif : la spirale de la réussite sociale et économique entre en contraste avec la spirale de la pauvreté. Les explications des inéga-lités ne sont pas univoques : certaines sont liées à l’origine sociale et à la logique des « héritages » (économique, social et culturel), d’autres sont la conséquence des parcours de formation et des inégalités scolaires. D’autres, enfin, s’expliquent par les discriminations de genre ou par les effets de génération. Le cumul des handicaps ou des avantages peut conduire, dans un sens, au déclas-sement, à la pauvreté, voire à l’exclusion, dans l’autre, à la ségrégation élitiste.

DEUX ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Les classes populaires ont changé p. 52

(Serge Guérin et Christophe Guilluy, Le Monde daté du 29.05.2012)

• Les « maîtres du monde » invités à réfléchir aux dangers de la montée des inégalités p. 53

(Alain Faujas, Le Monde daté du 22.01.2014)

Comment rendre des réalités multiples de la structure sociale ?

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50 Classes, stratification et mobilité sociales

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe sujet invite à se pencher sur le contenu des concepts de « classe moyenne » et de « moyennisa-tion ». L’apparente simplicité de ces expressions doit être dépassée pour cerner la réalité de la stratification sociale actuelle.

La problématiqueLa montée des classes moyennes est une réalité qui s’explique par certaines évolutions majeures de la société française. Cependant, la persistance, voire le renforcement de certaines inégalités vont à contre-courant de la thèse de l’homogénéisation sociale.

Ce qu’il ne faut pas faire• Omettre de donner des indicateurs précis

attestant de la moyennisation (écarts de revenus, rapprochement des coefficients budgétaires,

montée du nombre des diplômes, etc.).• Minimiser la résurgence de certains clivages

sociaux, qui nuancent, voire invalident la thèse de la moyennisation.

IntroductionLa problématique de la moyennisation de la société française renvoie à la question de l’insertion des individus dans la société et de leurs perspectives de

mobilité sociale. La promesse républicaine d’égalité des chances devant l’accès aux différentes positions sociales dépend, en effet, des caractéristiques de la stratification de la société. Si la France a connu, en l’espace d’un demi-siècle, une indéniable montée des classes moyennes, il importe cependant de marquer les limites de cette évolution.

Le plan détaillé du développementI. La société française a connu un processus de moyennisationa) Les principales modalités de cette évolutionRéduction, en longue période, des écarts de revenus et de niveaux de vie. Mobilité sociale accrue.b) Les facteurs qui sont à l’origine de ce processusImpact de la croissance forte des « Trente Glorieuses », effet de la tertiarisation, rôle de l’école, essor de l’État-providence.

II. Les limites de la montée des classes moyennesa) La persistance de clivages sociaux multidimensionnelsRemontée des inégalités de revenus et de patrimoines, ségrégation scolaire et inégalité face à l’emploi, mixité sociale défaillante.b) La crise et le retour massif de la pauvreté et de l’exclusionMontée du taux de pauvreté, nouveaux territoires de la précarité et de l’exclusion sociale.

ConclusionLa montée des classes moyennes au sein de la société française est un fait incontestable, qui a caractérisé la France des années 1950 aux années 1980. Depuis, le mouvement semble s’être figé, voire inversé, et on a pu voir réapparaître, aux deux extrêmes de la pyramide sociale, des groupes isolés, d’un côté dans l’étalage de leur opulence, de l’autre dans le ghetto de leur exclusion. La logique libérale et la montée de l’individualisme à l’œuvre depuis trois décennies semblent largement responsables de cette situation qui menace la cohésion sociale.

CLASSES SOCIALESConcept central de l’analyse marxiste : groupe d’individus occupant la même place dans le processus de production (déten-teurs du capital ou détenteurs de la force de travail). Ces deux groupes, spécifiques de la société capitaliste, sont nécessairement en lutte.

GROUPE D’APPARTENANCE

Groupe social auquel une personne appartient en fonction de caracté-ristiques objectives.

GROUPE DE RÉFÉRENCEGroupe auquel une personne s’identifie parce qu’elle souhaite en faire partie et dont elle adopte le système de valeurs, les normes de comportement et le mode de vie.

GROUPE DE STATUTSSelon le sociologue Max Weber, il s’agit d’ensembles sociaux homo-gènes définis par leur position dans la distribution inégale du prestige social.

MOYENNISATIONTendance perceptible dans les socié-tés qui se développent, où se forme un vaste groupe central, dont les caractéristiques (revenus, modes de vie, niveau de diplômes, etc.) sont de plus en plus homogènes.

STRATESDifférenciation sociale permet-tant d’agréger des individus selon certaines caractéristiques comme les revenus ou le niveau d’instruc-tion, etc. L’utilisation du terme « strates » suppose une concep-tion du corps social comme étant constitué de groupes proches, dans un continuum plutôt que dans une relation d’affrontement.

STRUCTURE SOCIALEManière dont une population est répartie entre différents groupes sociaux. On distingue les struc-tures sociales de droit (castes et ordres ayant une existence juri-dique reconnue) et les structures sociales de fait (sans reconnais-sance juridique comme les classes sociales ou les groupes de statuts).

Dissertation : Quelles sont les limites du processus de moyennisation de la société française ?

MOTS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– Le concept de classe sociale a-t-il encore un sens dans les pays développés contemporains ?– Peut-on parler de la fin de la paysannerie française ?– Les jeunes forment-ils un groupe social ?

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51Classes, stratification et mobilité sociales

UN SUJET PAS À PAS

Distribution du revenu salarial(1) par sexe sur l’ensemble des salariés en 2007 en euros courants

Décile Hommes Femmes

1er décile (D1) 2 872 1 770

2ème décile (D2) 8 260 5 053

3ème décile (D3) 13 233 8 724

4ème décile (D4) 15 652 12 084

Médiane (D5) 17 748 14 472

6ème décile (D6) 20 093 16 614

7ème décile (D7) 23 120 19 137

8ème décile (D8) 27 842 22 570

9ème décile (D9) 37 259 28 236

D9/D1 13,0 16,0

D9/D5 2,0 2,0

D5/D1 6,0 8,0

(1) Le revenu salarial correspond à la somme de tous les salaires perçus par un individu au cours d’une année donnée. Champ : tous les revenus salariaux, y compris temps partiel, contrats à durée déterminée et contrats de travail temporaire.

Présentation du documentLe document analyse la répartition des salaires annuels, en 2007, selon le sexe et par déciles. Les déciles, au nombre de 9, découpent la popula-tion étudiée en 10 groupes d’effectifs égaux (10 % chacun) selon un ordre de revenus croissants. Le tableau peut donc donner lieu à deux dimensions d’analyse, les inégalités salariales « verticales » entre les salariés les moins et les plus payés, mais aussi les inégalités « horizontales » entre les hommes et les femmes. Les ratios proposés au bas du tableau synthétisent les degrés d’inégalités.

Analyse du documentLes écarts entre ce que gagnent au plus les 10 % les moins bien payés et ce que gagnent au moins les 10 % les mieux payés sont de 1 à 13 pour les hommes, de 1 à 16 pour les femmes, la « fourchette » étant donc plus ouverte pour ces dernières. Mais cette amplitude plus forte provient du bas de la hiérarchie des salaires (D5/D1 étant de 6 pour les hommes et de 8 pour les femmes).

En ce qui concerne les inégalités hommes/femmes, les chiffres sont clairs : les femmes ont des niveaux de salaires nettement inférieurs à ceux des hommes. La médiane des salaires féminins (ce qui signifie que 50 % des femmes gagnent au plus cette somme) est de 14 472 € et est donc infé-rieure d’environ 20 % à celle des hommes.Ces différences « verticales » (entre déciles) et « horizontales » (entre hommes et femmes) s’expliquent par des facteurs divers qui peuvent cumuler leurs effets : les différences de qualifi-cation et de responsabilité ou de secteurs d’activité, les écarts de

diplômes, la nature des entreprises ou des admi-nistrations, mais aussi le type de contrat de travail (CDI, CDD ou intérim) ou encore le temps de travail (temps plein ou temps partiel). De ce point de vue, la situation salariale moins favorable des femmes s’explique en partie par une plus grande fréquence des contrats précaires ou à temps partiel, ainsi que par la persistance d’une discrimination salariale qui les pénalise souvent.

Ce qu’il ne faut pas faire• Ne pas définir la méthodologie des déciles qui a servi à élaborer

le document.• Oublier les expressions « au plus »

et « au moins » pour caractériser les niveaux de revenus

de chaque décile.• Oublier les écarts hommes/femmes

en n’analysant que les écarts « verticaux ».

COEFFICIENT DE GINICet indice, calculé à partir de la méthode de Lorenz, synthétise dans une valeur comprise entre 0 et 1, le degré des inégalités dans une population. Il permet de comparer les inégalités dans différents pays : plus le coefficient est élevé et proche de 1, plus les inégalités sont fortes. Il permet aussi des comparaisons dans le temps.

COURBE DE LORENZCette courbe permet une repré-sentation graphique des inégalités de répartition des revenus ou des patrimoines. Elle visualise la part du revenu ou du patrimoine total perçue par une fraction (généra-lement les déciles) de la popula-tion, rangée par ordre de richesse croissant.

DISPARITÉ/DISPERSIONOn parle de disparité des reve-nus quand on mesure les écarts entre les revenus moyens de groupes sociaux différents (par exemple, les ouvriers et les cadres). On parle de dispersion lorsqu’on mesure les écarts à la moyenne à l’intérieur d’un même groupe social (par exemple, les agriculteurs).

RAPPORT INTERDÉCILEIl s’agit d’un outil statistique mettant en rapport les niveaux de revenus de deux groupes de la population. Le rapport interdécile le plus fréquent est le rapport D9/D1 qui divise le revenu minimum perçu par les 10 % les plus riches, par le revenu maximum perçu par les 10 % les plus pauvres. L’étude de l’évolution de ce rapport permet de suivre la tendance des inégalités à se réduire ou à s’aggraver au fil des années.

SALAIRE MÉDIANIl s’agit du niveau de salaire qui sépare la population salariée en deux groupes d’effectifs iden-tiques : les 50 % qui perçoivent au plus ce salaire et les 50 % qui perçoivent plus que ce salaire. En France, en 2013, le salaire médian net atteignait 1772 € par mois.

Épreuve composée, 2e partie : Vous présenterez le document puis caractériserez les inégalités salariales qu’il met en évidence

NOTIONS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Mobilisation des connaissances– Comment s’explique le caractère cumulatif des inégalités ?– En quoi les inégalités de revenus et de patrimoines produisent-elles d’autres inégalités ?– Peut-on parler d’une fracture culturelle et sociale dans la France d’aujourd’hui ?

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LES ARTICLES DU

Classes, stratification et mobilité sociales

Les résultats de la présiden-tielle font ressortir une fracture géographique

et sociale très marquée entre la « France des métropoles » et la France périphérique, celle des espaces périurbains, ruraux, des villes moyennes et petites. Cette France située à l’écart des grandes métropoles mondialisées est celle des fra-gilités sociales. Si la pauvreté s’y incruste, elle se caractérise d’abord par une forme de « mal-santé sociale » où la précarité et surtout l’absence de perspec-tive sont souvent la norme. Le succès de François Hollande, élu en grande partie grâce à l’antisarkozysme des catégories populaires, peut conduire rapi-dement les élites politiques de la gauche et des écologistes à oublier la leçon : les catégories populaires en situation de fra-gilisation sont en augmentation constante et se sentent toujours plus dépréciées socialement et culturellement.Car c’est la « France d’après » qui vient de surgir de l’élec-tion. Une France où les frac-tures géographiques, sociales et culturelles tendent à effacer peu à peu les représentations traditionnelles. Une France qui ne se structurera pas sur la sociologie ou le système politique d’hier. Ce qui est en jeu, c’est l’émergence de nouvelles classes populaires majoritaires fragilisées par la mondialisation sur les lignes de fracture d’une nouvelle géo-graphie sociale. Le diagnostic est d’autant plus complexe que cette nouvelle question sociale se double aujourd’hui d’une question identitaire d’autant plus sensible qu’elle « travaille » prioritairement l’ensemble des classes popu-laires et singulièrement les jeunesses populaires, quelles que soient leurs origines. Or, la situation de ces populations

risque de s’aggraver encore dans les mois et les années qui viennent. Pire : la tendance est à l’élargissement du nombre de personnes concernées. Avec la hausse des prix de l’habitat et la baisse du pouvoir d’achat d’une part croissante de la population (travailleurs pauvres, salariés à temps par-tiel contraint, retraités préca-risés…), le nombre de personnes qui viennent trouver refuge à l’écart des grands centres urbains se renforce toujours plus. L’étalement urbain va se poursuivre, mais aussi la relocalisation en dehors des métropoles les plus actives d’une majorité des classes populaires, actives et retraitées. Aujourd’hui, on peut estimer que 60 % de la population vit en dehors des métropoles centrales. Cela signifie que la France des fragilités sociales est d’abord celle des espaces périurbains, ruraux, indus-triels, des villes moyennes et petites.Cette dynamique de dispersion, qui va souvent de pair avec une moindre densité et efficacité des services publics, de la couverture médicale, de la qualité de l’offre de loisirs et de culture, souligne de nouveaux enjeux. Dans cette France périphérique, qui cumule éloignement des services publics et de l’emploi avec hausse des coûts et des temps de transport, la présence de l’État doit être repensée en fonction de la fragi-lité sociale de ces habitants. Alors que la France vient de voter pour l’alternance sereine, oublier ces réalités, c’est prendre le risque d’un réveil très rude aux pro-chaines échéances électorales. C’est prendre le risque de laisser se renforcer une fracture géo-graphique qui est aussi sociale et culturelle. Pour éviter une situation de véritable apartheid géographique et social, il est de la responsabilité des pouvoirs

publics d’agir. C’est au plan des territoires que peuvent se déployer les services publics et les solidarités à travers la prise en compte de la spécificité des besoins des populations. D’une part, il s’agit de freiner l’étale-ment urbain, coûteux à vivre au quotidien, destructeur de l’écosystème et nécessitant un recours prioritaire à la voiture, par une politique de densifica-tion de l’habitat. D’autre part, il est vital de renforcer la présence des services publics non par une multiplicité des guichets que l’État et les collectivités ne sont plus capables d’assumer mais par la concentration des services dans des lieux centraux et identi-fiés. Si, dans les métropoles et les villes moyennes, les transports en commun doivent continuer d’être la priorité pour réduire l’utilisation et l’encombrement des voitures, et favoriser ainsi une écologie sociale protégeant la planète comme le pouvoir d’achat, dans les zones rurales et périurbaines, il importe de favoriser la diversité et la conti-nuité de l’offre : transports en commun, voitures disponibles à partir des points de regroupe-ment, organisation du covoitu-rage, mise à disposition de vélos et de voies réservées, minibus à la demande… Ces derniers étant par ailleurs d’accès prioritaire pour les personnes à mobilité réduite.Mais redonner confiance aux populations vivant dans les zones rurales, périurbaines, les

petites villes passe par l’innova-tion sociale de proximité. Cela implique que l’État et les collec-tivités territoriales soutiennent les initiatives des associations, des entreprises sociales et soli-daires et des bailleurs sociaux qui dynamisent les territoires. L’innovation sociale, c’est aussi bien de favoriser l’accès à la compétence numérique des populations que d’organiser du soutien scolaire ou encore la diffusion et la pratique cultu-relle. Mais c’est aussi de faciliter l’habitat partagé, d’accompa-gner l’autoconstruction de loge-ments, de soutenir l’organisa-tion du recyclage ou l’échange non monétaire de biens et de services. Cette économie de la proximité favorisant les emplois dans les bassins de vie et réduisant les durées de dépla-cement peut, certes, entraîner des hausses de charges. Mais elles seront en grande partie compensées par des réductions de coûts, en particulier de trans-port, et par l’amélioration de la qualité et de la durabilité des produits. La perte de confiance dans les institutions, dans le progrès social et dans l’avenir de la France périphérique ne pourra être jugulée par quelques formules creuses, moralisatrices et incantatoires. Il ne s’agit pas de fustiger le racisme et de communiquer sur de bons sentiments pour inverser la tendance. Mais il faut agir sur les territoires et donner sa chance à l’innovation sociale. Maintenant.

Serge Guérin et Christophe Guilluy

Le Monde daté du 29.05.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

La recomposition permanente de la société française et l’impact de la crise économique redessinent la géographie sociale de la France : la redynamisation des territoires périurbains est un impératif pour éviter un apartheid géogra-phique désastreux.

Les classes populaires ont changéAttention aux nouvelles fractures sociales

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LES ARTICLES DU

53Classes, stratification et mobilité sociales

Les « maîtres du monde » invités à réfléchir aux dangers de la montée des inégalités

Les très riches et les très puissants participants au Forum économique mon-

dial de Davos (Suisse) devraient pour la première fois se pencher, du mercredi 22 au samedi 25 jan-vier, sur les dangers que repré-sente l’aggravation des inégalités pour la stabilité mondiale.Après avoir longtemps cru, dur comme fer, que les inégalités de revenus étaient nécessaires pour récompenser le talent et inciter à l’innovation, le Forum com-mence à écouter les économistes qui alertent sur la dangerosité du fossé qui est en train de s’élargir

entre les riches et les pauvres, à l’instar de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001, ou François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque mondiale (2003-2007).Dans son « Agenda mondial 2014 » publié en novembre 2013, le Forum avait classé la dispa-rité grandissante des revenus au deuxième rang des risques les plus graves pour la stabilité sociale et pour la sécurité de la planète.Dans le Financial Times, publié lundi 20 janvier, Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire interna-tional (FMI), invite les « maîtres du monde » réunis à Davos à s’inquiéter que, « dans de trop nombreux pays, les bénéfices de la croissance ont profité à trop peu de gens, ce qui n’est pas la bonne recette pour la stabilité et la durabilité » de la croissance mondiale.L’ONG Oxfam profite de cette prise de conscience pour rendre

public, lundi également, un rapport intitulé « En finir avec les inégalités extrêmes » qui fournira matière à réflexion aux congressistes de Davos.Selon ce document, le degré d’inégalité économique a dépassé ce qui était « nécessaire pour le progrès et la croissance ». La concentration extrême des richesses « menace de priver des centaines de millions de per-sonnes des fruits de leur talent et de leur travail », souligne également l’ONG.

« Moralement contestables »La fortune du 1 % de l’huma-nité le plus riche s’élève à 110 000 milliards de dollars (81 126 milliards d’euros), c’est-à-dire autant que celle possédée par les 99 % restants. Ou encore 1 % des Américains les plus for-tunés se sont appropriés 95 % de la croissance postérieure à la crise financière, depuis 2009, et les 90 % les moins riches se sont appauvris. Sept personnes

sur dix vivent dans un pays où l’inégalité économique a augmenté au cours des trente dernières années.L’organisation internationale Oxfam affirme que ces évolu-tions sont « moralement contes-tables » et qu’elles permettent aux plus riches de « biaiser les règles en leur faveur », ce qui ébranle la cohésion sociale et les fondements de la démocratie.L’ONG appelle les participants au Forum de Davos à s’engager notamment « à ne pas contourner la fiscalité (…) en tirant parti des paradis fiscaux », « à encourager les Etats à (…) financer une couverture univer-selle en matière de soins de santé, d’éducation et de protec-tion sociale » ou encore « à défendre un salaire minimum vital dans toutes les sociétés qu’ils contrôlent ».

Alain Faujas Le Monde daté du 22.01.2014

POURQUOI CET ARTICLE ?

Une réflexion critique sur les effets pervers de l’accroissement des inégalités économiques et sociales. La richesse insolente d’une minorité est non seulement moralement discutable, mais elle fragilise la stabilité sociale et la prospérité économique générale.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Classes, stratification et mobilité sociales

NOTIONS CLÉSASCENSEUR SOCIAL

Métaphore désignant les possi-bilités de progresser dans la hiérarchie des statuts sociaux. Cet « ascenseur » a relativement bien fonctionné pendant les Trente Glorieuses. La rigidité sociale actuelle amène certains sociologues à parler de « descenseur social ».

SUR-REPRÉSENTATION/SOUS-REPRÉSENTATION

Il y a sur-représentation, par exemple, quand 55 % des élèves-ingénieurs sont des enfants de cadres supérieurs alors que leurs parents ne représentent que 15 % des actifs. À l’inverse, les enfants d’ouvriers et employés sont sous-représentés dans cette filière (16 % des élèves, 52 % des actifs).

TRAJETS COURTS/LONGSLa mobilité peut se faire entre statuts sociaux proches (fils d’agent de maîtrise devenu professeur des écoles) ou entre statuts éloignés (fille d’ouvrier devenue avocate). Les trajets longs sont statistiquement peu fréquents. Ils se constatent cependant sur plusieurs générations.

REPÈRESLes différentes formes de mobilité sociale

ASCENDANTE/ DESCENDANTE

Trajectoire vers une position supé-rieure/inférieure dans l’espace social.

BRUTEEnsemble des changements de positions sociales observés.

INTERGÉNÉRATIONNELLETrajectoire entre une génération et la suivante (père et fils/filles, par exemple).

INTRAGÉNÉRATIONNELLETrajectoire à l’intérieur d’une même génération.

NETTEMobilité brute – mobilité structurelle.

STRUCTURELLEMobilité contrainte par le change-ment des structures économiques.

Comment rendre compte de la mobilité sociale ?

En sociologie, l’expression « mobilité sociale » désigne les par-cours d’un individu ou d’une génération dans l’espace social. Cette mobilité est une des valeurs de la démocratie, fondée sur

l’égalité des droits et des chances. L’analyse des réalités sociales oblige, cependant, à un diagnostic nuancé.

Les formes de la mobilité socialeLa mobilité sociale désigne les changements de statut social des individus, soit au cours de leur vie (mobilité intragénérationnelle) soit d’une génération à une autre (mobilité intergénérationnelle).On utilise fréquemment la table de mobilité inter-générationnelle comparant les statuts des pères et ceux des fils. Il existe aussi des tables pères/filles, mais l’outil traditionnel concerne les fils de 40 à 59 ans, population supposée « stabilisée » sur le plan professionnel. On peut repérer la mobilité verticale ascendante (statut du fils plus élevé que celui du père), la mobilité verticale descendante (situation inverse), ainsi que les situations de mobilité horizontale (sans ascension ni régres-sion), et de reproduction sociale (statut identique dans les deux générations).La mobilité observée (mobilité brute) peut être décomposée : une part des changements de sta-tuts entre pères et fils est en effet « contrainte », dictée par les transformations économiques : la baisse des emplois agricoles dans les soixante dernières années a contraint les fils d’agriculteurs à d’autres métiers que leurs pères. À l’inverse, les emplois de cadres ont augmenté et le recrutement sur ces nouveaux emplois a dû se faire au-delà des fils de cadres. Cette mobilité contrainte est appelée « mobilité structurelle ».En retirant de la mobilité brute la mobilité structurelle, on obtient la mobilité nette (ou de circulation), non liée à l’évolution des structures de l’emploi. Ainsi, en France, en 2003, on estimait à 65 % le taux de mobilité brute, dont 25 points de mobilité structu-relle et 40 points de mobilité nette. Cette dernière exprime la plus ou moins grande fluidité de cir-culation au sein d’une société. Elle illustre l’idéal démocratique de l’égalité des chances puisqu’elle ne résulte pas des transformations de l’économie. Les analyses les plus récentes utilisent désormais la notion de « fluidité sociale » : il s’agit de comparer

les taux relatifs de mobilité : on dira, par exemple, qu’on constate un accroissement de la fluidité si les chances de devenir cadre augmentent plus vite pour les enfants d’ouvrier que pour les enfants de cadre.

La société française, entre mobilité et reproductionLa mobilité parfaite correspondrait à une situa-tion dans laquelle l’origine sociale d’un individu n’interviendrait pas sur sa destinée sociale. Face à cet idéal, l’examen des réalités sociales exige de la nuance : la société française est marquée par une certaine mobilité sociale, même si le constat sur les années récentes est plus pessimiste. Une forte part de la mobilité brute est liée aux transformations des structures de l’emploi ; elle est donc de nature structurelle. La part de la mobilité nette a, quant à elle, tendance à régresser.

Catégorie socioprofessionnelle du fils selon celle du père, année 2000, en %.

Le plus souvent, les parcours des mobilités sont des « trajets courts » (mobilité de proximité) entre des groupes assez proches (fils d’employés devenus pro-fessions intermédiaires par exemple), et concernent surtout les groupes situés au milieu de l’échelle sociale. Aux extrêmes de la hiérarchie, on constate encore une forte reproduction sociale avec, par exemple, une sur-représentation importante des fils

FilsPère Agriculteurs

Artisans,commerçants,

chefsd’entreprise

Cadres et professions

intellectuelles supérieures

Professions intermédiaires Employés Ouvriers Total Ensemble

Agriculteurs 21,8 4,9 10,0 15,9 14,6 32,5 100 10,5

Artisans, commerçants,chefs d’entreprise 0,4 11,8 20,5 25,1 19,1 22,9 100 12,2

Cadres et professionsintellectuellessupérieures

0,5 4,4 41,5 31,8 11,9 9,7 100 15

Professionsintermédiaires 1,0 5,5 22,2 34,9 17,5 18,6 100 8,5

Employés 0,7 5,6 13,7 27,5 23,2 29,0 100 18,4

Ouvriers 0,5 4,7 5,6 19,2 19,8 49,0 100 35,1

Ensemble 2,8 5,8 16,6 24,3 18,4 31,8 100 100

Champ : personnes de référence du ménage de 30 à 50 ans.Source : Enquête Budget de Famille, Insee repris dans Économie et statistiques n°371, 2004.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Classes, stratification et mobilité sociales

ZOOM SUR…La table de mobilité, un outil imparfait

DESTINÉE OU RECRUTEMENT

Les tables de mobilité peuvent se présenter sous la forme d’une table de destinée, partant du statut du père et déclinant les destinées des fils (sur 100 fils dont le père était ouvrier, x % sont devenus…), ou sous la forme d’une table de recrutement, partant de la position des fils et remontant vers leurs origines (sur 100 fils ouvriers, x % avaient un père…).

LES CRITIQUESCet outil n’est pas exempt de défauts : d’une part, les tables les plus fréquentes négligent les parcours des femmes, d’autre part, elles peuvent conduire à des conclusions faussées, en raison du découpage sur lequel elles s’appuient : un fils d’instituteur devenu instituteur apparaît comme un immobile, alors que l’évolution du statut de ce métier devrait plutôt conduire à un dia-gnostic de déclassement social. L’intensité de la mobilité observée dépend, par ailleurs, du nombre de groupes retenus : plus on décom-pose la grille des statuts, plus on fait apparaître une forte mobilité. Enfin, les tables ne tiennent pas compte du statut de l’éventuel conjoint de la personne observée : un couple formé, par exemple, d’un ouvrier marié à une profes-seure des écoles connaît une forme d’ascension sociale par rapport à un couple ouvrier homogène.

UN NOUVEAU REGARDLa méthodologique de la « flui-dité sociale » tente d’affiner ces analyses en comparant l’évo-lution, au cours du temps, des écarts de probabilité d’accès à un statut (par exemple cadre supérieur) pour les enfants issus de diverses catégories sociales (par exemple fils de cadre et fils d’ouvrier). La diminution ou l’augmentation de cet écart des probabilités permettent de conclure à un progrès ou à un recul de la fluidité sociale.

de cadres devenus eux-mêmes cadres et, à l’inverse, une sous-représentation des fils d’ouvriers devenus cadres ou des fils de cadres devenus ouvriers. Certains sociologues ont parlé d’une « panne de l’ascenseur social », voire d’un phénomène de déclas-sement pour une partie du corps social. Le paradoxe d’Anderson traduit cette réalité en montrant qu’un niveau de diplôme des fils identique à celui des pères ne garantit pas le maintien dans la même position sociale d’une génération à la suivante et peut conduire à un sentiment de décrochage social.

Les déterminants de la mobilité socialeL’un des déterminants de la mobilité sociale est l’évolution des structures économiques : le recul des emplois agricoles, la chute de l’emploi indus-triel ouvrier et la croissance des emplois tertiaires, souvent plus qualifiés, ont bouleversé les struc-tures sociales en entraînant, d’une génération à l’autre, une circulation accrue dans l’espace social. L’accroissement des emplois de cadres et de pro-fessions intermédiaires a contribué, notamment pendant les Trente Glorieuses, à un mouvement général d’ascension sociale. Cette évolution a ensuite été fortement freinée par la montée du chômage de masse.D’autres facteurs doivent être pris en compte : la fécondité différentielle selon les groupes sociaux est, structurellement, un facteur de mobilité. Les ouvriers et les agriculteurs ont, en moyenne, plus d’enfants que les autres catégories sociales : cela conduit une partie de leurs enfants vers d’autres statuts que leur statut d’origine.L’essor de l’emploi féminin, ces cinquante dernières années, a conduit, par effet de substitution, à accé-lérer la mobilité sociale ascendante des hommes vers des postes à qualification plus élevée.Enfin, la démocratisation de l’école et l’augmenta-tion du niveau général d’instruction, attestées par l’explosion du nombre des diplômes, ont favorisé la mobilité. Ce point appelle cependant des nuances : cette « inflation » des diplômes étant plus forte que l’accroissement du nombre de postes qualifiés à pourvoir, on a assisté à une baisse relative du rendement des diplômes dans l’accès aux emplois les plus qualifiés.

Deux analyses divergentes de la reproduction socialeLa reproduction sociale est contradictoire avec l’essence même des valeurs démocratiques. Deux grands courants d’analyse ont tenté d’expliquer cette contradiction : l’analyse inspirée par Pierre Bourdieu et celle proposée par Raymond Boudon.Selon P. Bourdieu, l’hérédité et la reproduction sociales passent par la transmission, au sein de la famille, du capital sous diverses formes. Le capital économique favorise l’hérédité sociale chez les chefs d’entreprise, les enfants héritant souvent de l’outil de travail et du statut socio-économique des parents. Le capital culturel favorise la reproduction sociale dans les métiers à forte composante intellectuelle, dans lesquels l’accès se fait sur titres scolaires (familles d’enseignants, de médecins ou d’avocats, dont les enfants bénéficient d’une immersion culturelle pro-pice à un futur parcours au sein des mêmes milieux). Le capital social composé d’autres ressources, comme le réseau relationnel ou encore les savoirs sociaux (aisance sociale, savoir-être) permet de valoriser le capital économique et le capital culturel. Pour Bourdieu, le cumul de ces formes de capital (ou leur absence conjuguée) serait à l’origine de la reproduc-tion sociale.

Quelles sont les mécanismes de la reproduction sociale, qui perdure dans notre société ?

R. Boudon, dans une démarche opposée, applique la logique du calcul rationnel à l’analyse de la mobilité sociale : chaque individu souhaite optimiser sa position sociale et en retirer le plus grand bénéfice. Il fait des choix rationnels et compare les coûts d’une stratégie (coûts des études, temps à leur consacrer…) aux gains qu’il peut en espérer (revenus, prestige, etc.). L’origine sociale influence les comportements et les décisions : un fils d’ouvrier aura tendance à privilégier les études courtes lui apportant rapide-ment une promotion dans l’échelle sociale et un gain monétaire par rapport à la situation de son père. À l’inverse, pour égaler le statut de son père, un enfant de cadre doit s’engager dans un parcours scolaire plus long.

DEUX ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Il faut achever la réforme du collège unique pour défaire les inégalités scolaires p. 58-59

(Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Delahaye, Le Monde daté du 03.06.2015)

• Une nouvelle égalité pour l’accès à l’enseignement supérieur p. 59-60

(Sophie Béjean, Yves Guillotin, Maxime Legrand, Sébastien Chevalier, Patrice Brun, pour le collectif Révolution éducative, Le Monde daté du 06.06.2012)

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56 Classes, stratification et mobilité sociales

UN SUJET PAS À PAS

Document 1

Table de mobilité en France en 2003En % sauf ligne et colonne effectifs en milliers

Catégoriesocioprofessionnelle

Catégorie socioprofessionnelle du père

Agriculteur

Artisan,commerçant,

chefd’entreprise

Cadre et profession

intellectuelle supérieure

Professionintermédiaire Employé Ouvrier Ensemble Effectif

Agriculteur 8822

21

10

10

10

71

1004 285

Artisan, commerçant,chef d’entreprise

126

2921

66

108

77

368

1009 619

Cadre et professionintellectuelle supérieure

89

1422

2452

2033

1122

2310

10019 1317

Profession intermédiaire 1117

1224

926

1633

1128

4123

10024 1890

Employé 139

109

56

99

1417

4912

10011 770

Ouvriers 1837

924

29

617

726

5846

10034 2364

Ensemble 16100

12100

8100

11100

9100

43100 100

Effectif pères 1143 870 591 300 644 2998 7045

Champ : hommes actifs ayant un emploi ou anciens actifs ayant un emploi, âgés de 40 à 59 ans en 2003Lecture : en 2003, 7 045 000 hommes âgés de 40 à 59 ans ont un emploi ou sont d’anciens actifs occupés. Parmi eux, 2 364 000 sont ouvriers, soit 34 % des hommes de cette classe d’âge. Plus généralement, dans chaque case, le premier chiffre indique l’origine et le second chiffre indique la destinée : 2 %

Source : Insee, enquête FQP, 2003.

Document 2« La stabilité sociale (immobilité ou hérédité sociale : même catégorie d’origine et de destinée, position sur la diagonale du tableau) est généralement importante, bien que variable selon les catégories et les époques. Des flux de mobilité non négligeables apparaissent cependant, qui ne se distribuent pas n’importe où dans les cases du tableau [Table de mobilité]. Les cas de mobilité ascendante sont plus nombreux que ceux de mobilité descendante. Les cas de mobilité modérée, entre des catégories relativement proches par leur niveau social, sont plus importants que ceux qui associent des catégories socialement très différentes : les trajets de mobilité sont plutôt courts que longs. Enfin, les situations de mobilité peuvent s›expliquer

largement par les changements de la structure sociale (part des dif-férentes catégories dans la popu-lation) entre les générations, qui se traduisent par les différences entre les deux marges (structures des origines et des destinées) du tableau. » (Dominique Merllié, « Les mutations de la société française », Les Grandes Questions économiques et sociales, Repère, La Découverte, 2007.)

Document 3« Si la dégradation des perspec-tives de mobilité intergénéra-tionnelle pour les cohortes nées au tournant des années 1960 est ainsi généralisée aux enfants de toutes les origines sociales,

c’est en grande partie parce que ces générations font face à une évolution moins favorable de la structure sociale. En effet, si la part des cadres et professions intermédiaires avait augmenté de 6,1 points entre 1964 et 1977, la hausse n’est plus que de 3,7 points entre 1983 et 1997, période à laquelle les générations nées au tournant des années 1960 font leur entrée sur le marché du travail. […] En réalité, ce sont les effets de la crise économique qui s’installe dans les années 1970 qui expliquent la dynamique moins favorable de la structure sociale. Le calcul de l’évolution moyenne du PIB et du taux de chômage lors des cinq années qui suivent la fin des études des générations successives permet d’établir de manière plus précise le lien entre

HABITUSEnsemble de dispositions acquises par l’individu au cours de sa socialisation. Selon le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002), ces manières de penser, de percevoir, de se comporter que l’individu accumule au cours de sa vie sociale créent un cadre qui modèle ses pratiques sociales. Ce cadre est influencé par le milieu social et culturel dans lequel l’individu a évolué : la manière de parler, les goûts, les postures physiques, les modes de pensée sont ainsi en partie le résultat des influences qui se sont exercées sur chacun et dont l’individu peut ne pas avoir conscience.

HOMOGAMIEFait de choisir son conjoint dans le groupe (ethnique, social, culturel, religieux…) auquel on appartient. On parle donc, selon les cas, d’homogamie sociale, religieuse, ethnique, etc. Le terme contraire est : hétérogamie.

PARADOXE D’ANDERSONCe paradoxe, énoncé dans les années 1960 par le sociologue américain Charles Anderson, conclut que, pour les enfants d’une génération, l’obtention de diplômes supérieurs à ceux de leurs parents n’est pas une garantie d’accès à un statut social supérieur.

REPRODUCTION SOCIALEPhénomène par lequel les posi-tions sociales se transmettent, dans une certaine proportion, de la génération des parents à celle de leurs enfants, en raison d’une faible mobilité sociale.

STATUT SOCIALLe statut social est la position qu’un individu occupe dans l’es-pace social, et notamment dans la hiérarchie sociale. Cette position est déterminée par de multiples critères (l’âge, le sexe, la profession, etc.) et elle prescrit à chacun des devoirs et des droits spécifiques. Un statut social s’associe à des rôles, c’est-à-dire à des compor-tements sociaux attendus par les autres.

Épreuve composée, 3e partie : Quels sont les effets des évolutions de la structure des professions sur la mobilité sociale ? Vous répondrez à cette question à l’aide du dossier documentaire et de vos connaissances

MOTS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertations– Vous vous interrogerez sur le rôle joué par l’école dans la mobilité sociale.– Peut-on affirmer que l’origine sociale d’un individu pèse sur sa destinée ?– Comment peut-on expliquer le sentiment de déclassement social ?

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57Classes, stratification et mobilité sociales

UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…Une critique sévère de l’institution scolaireOr, si l’on prend vraiment au sérieux les inégalités socialement conditionnées devant l’école et devant la culture, on est obligé de conclure que l’équité formelle à laquelle obéit tout le système d’enseignement est injuste réel-lement et que, dans toute société qui se réclame d’idéaux démo-cratiques, elle protège mieux les privilèges que la transmission ouverte des privilèges. En effet, pour que soient favorisés les plus favorisés et défavorisés les plus défavorisés, il faut et il suffit que l’école ignore dans le contenu de l’enseignement transmis, dans les méthodes et techniques de transmission et dans les critères de jugement, les inégalités culturelles entre les enfants des différentes classes sociales : autrement dit, en trai-tant tous les enseignés, si inégaux soient-ils en fait, comme égaux en droits et en devoirs, le système scolaire est conduit à donner en fait sa sanction aux inégalités initiales devant la culture. (Pierre Bourdieu, L’École conservatrice, 1966)

Les écarts de mobilité dans les pays développésLes pays scandinaves, l’Alle-magne, l’Australie ou le Canada se caractérisent par des niveaux de fluidité sociale élevés qui contrastent avec ceux de la France, des États-Unis, du Royaume Uni et plus encore du Brésil, pays où la reproduction sociale entre générations est forte, surtout au bas de la pyra-mide sociale. La fluidité sociale est beaucoup plus forte dans les pays où les inégalités de revenus sont faibles et où les mécanismes de redistribution des revenus, notamment par la fiscalité, sont puissants. Il faut cepen-dant souligner la difficulté des comparaisons internationales, en raison de l’hétérogénéité des structures sociales et des percep-tions qu’en ont les populations concernées.

leurs perspectives et l’évolution des indicateurs macroéconomiques. Les individus nés dans les années 1940 qui entrent sur le marché du travail alors que les Trente Glorieuses battent leur plein bénéficient d’une situation privilégiée. La situa-tion se dégrade pour les individus qui naissent au milieu des années 1950, mais ce sont ceux qui naissent au début des années 1960 qui font face à la situation la plus dégradée : lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, la croissance n’est que de 1,4 % par an. Quant à la génération suivante, elle retrouve, avec une croissance de l’ordre de 3 %, une situation comparable à celle du milieu des années 1950. Le constat est encore plus simple pour le taux de chômage : plus on avance dans le temps, plus les générations sont confrontées à un taux de chômage élevé. Lorsque la génération 1944-1948 arrive sur le marché du travail, le taux de chômage est inférieur à 2 %. Il est de 8 % pour la génération 1959-1963 et de 10 % pour celle née entre 1964 et 1968. La dégradation généralisée des perspectives de mobilité sociale à laquelle sont confrontées les générations nées après les années 1940 s’explique en partie par la dynamique moins favorable de la structure sociale. Il est cependant paradoxal qu’elle se produise en dépit de l’élévation sensible du niveau d’éducation. » (Camille Peugny, « Éducation et mobilité sociale : la situation paradoxale des générations nées dans les années 1960 », Économie et statistique, n° 410, 2007.)

Ce qu’il ne faut pas faire• Inverser la logique de lecture de la table

de mobilité en confondant origine et destinée.• Ne pas définir clairement les concepts clés de mobilité observés, structurelle et nette.• Oublier d’appuyer l’analyse de la mobilité

structurelle sur des exemples précis tirés des documents.

Exemple de corrigé rédigéLa mobilité sociale désigne les changements de statut social qui peuvent se réaliser soit au cours de la vie d’une personne (mobilité intragénérationnelle), soit de la génération des parents à celle des enfants (mobilité intergénérationnelle). Cette dernière peut être le résultat de deux grandes catégories de facteurs, d’une part l’accroissement de la fluidité de circulation sociale et de l’égalité des chances (mobilité nette), d’autre part les effets engendrés par l’évolution de la structure des professions entre les deux générations (mobilité structurelle).Pour repérer cette part de la mobilité liée à l’évolu-tion des structures économiques, il est nécessaire d’examiner les « marges » de la table de mobilité. Ces marges permettent de comparer la structure des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de la génération des pères et celle de la génération des fils.

Ainsi, dans la table de mobilité de 2003, on constate que 16 % des pères étaient agriculteurs, alors que 4 % seulement des fils le sont. À l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures ne repré-sentaient que 8 % de la génération des pères mais 19 % de la génération des fils. Autre changement remarquable, le groupe ouvrier a vu son importance relative diminuer nettement (43 % des pères contre 34 % des fils). Enfin, les professions intermédiaires ne concernaient que 11 % des pères alors qu’elles représentent 24 % des fils.Les transformations de la structure des professions au cours du temps amènent à poser le problème de la mobilité dans des termes spécifiques : tous les fils d’agriculteurs ne pouvaient pas occuper le même statut que leurs pères, en raison de la baisse des besoins en main-d’œuvre agricole au cours de la période. Certains ont donc connu une mobilité sociale « contrainte » par l’évolution des structures économiques. On peut faire le même raisonnement pour les fils d’ouvriers, à la suite de la diminution de l’importance relative de cette PCS, liée à la réduction du poids de l’industrie dans l’activité économique et dans l’emploi.Le mouvement général de tertiarisation a, à l’inverse, conduit à l’apparition de nouvelles pro-fessions ou développé les effectifs de certaines professions existantes occupant, dans la hiérarchie des statuts, une position plus valorisée. C’est le cas, notamment, des professions intermédiaires et des cadres. L’expansion de ces deux PCS n’a pu se faire par simple recrutement parmi les enfants de ces deux groupes, et ceci a favorisé la mobilité des enfants d’autres PCS (agriculteurs, artisans, commerçants, chefs d’entreprise et ouvriers). Dans de nombreux cas, en raison de l’accroissement du niveau de qualification des emplois, cette mobilité liée aux structures s’est traduite par une mobilité verticale ascendante. De la même manière, la dimi-nution des emplois d’artisans et de commerçants (liée à la concentration des entreprises et à la salari-sation de l’emploi) a conduit une partie des enfants de ces deux PCS à une mobilité « contrainte ».Au final, on constate donc un mouvement non négli-geable de mobilité sociale plutôt ascendante, qui n’est pas vraiment le signe d’un accroissement de la fluidité sociale, puisqu’elle découle, pour l’essentiel, de la contrainte de mobilité que l’évolution économique impose au corps social. Le bilan que les études de mobilité sociale permettent de faire font apparaître que, globalement, la mobilité observée (brute) a touché environ 65 % de la génération des fils, dont 25 points relèveraient de la mobilité structurelle et 40 points de la mobilité nette.Il reste cependant à s’interroger sur la manière dont ce mouvement général de mobilité plutôt ascendante est ressenti par ceux qu’il concerne car, paradoxale-ment, dans une période de croissance désormais ralentie, le sentiment de déclassement social a ten-dance à progresser et la dynamique de la mobilité semble aujourd’hui moins présente.

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LES ARTICLES DU

Classes, stratification et mobilité sociales

Une école de la réussite de tous est possible en France, nous l’avons

constaté dans nombre d’établis-sements que nous avons visités. Or, actuellement, notre système scolaire est terriblement iné-galitaire. La moitié des décro-cheurs ont un père ouvrier, 5 % un père cadre. 54 % des enfants en retard en troisième ont des parents non diplômés, 14  % ont des parents diplômés du supérieur. La France de l’échec scolaire est dans son immense majorité issue des catégories défavorisées. Cela résulte pour partie de l’organisation de notre système scolaire.L’intérêt porté aux filières « prestigieuses » et à certaines options (intérêt supérieur, on l’aura remarqué, à celui suscité par la scandaleuse diminution des fonds sociaux destinés aux élèves pauvres de 2002 à 2012 qui n’a pas suscité la moindre pétition) fait oublier son image inverse : les formations moins « renommées », qui rassemblent les enfants issus pour l’essentiel des catégories populaires.Près de 90 % des enfants d’en-seignants entrés en sixième en 1995 ont obtenu le bac environ sept ans plus tard, contre 40,7 % des enfants d’ouvriers non

qualifiés. Si l’on observe uni-quement le type de bac obtenu par catégorie sociale, les écarts sont tout aussi grands. Parmi les enfants d’ouvriers qui ont eu leur bac en 2012, 31 % l’ont eu dans une filière générale, 23 % dans une filière technolo-gique et 46 % dans une filière professionnelle.

La face sombre de la méritocratieChez les enfants de cadres supé-rieurs, les trois quarts ont eu un bac général, 14 % technolo-gique et 10 % professionnel. On compte 17 % d’enfants dont le père est ouvrier dans la filière scientifique, contre 40 % en filière tertiaire et 51 % en bac professionnel. Dans les filières pour les élèves le plus en dif-ficulté au collège, les sections d’enseignement général et pro-fessionnel adapté (Segpa), on trouve 84 % d’enfants issus des milieux populaires (ouvriers, employés, sans profession) et moins de 2 % d’enfants de cadres et d’enseignants. Cette situation est insupportable.Si, en dépit des réformes conduites, les inégalités sociales pèsent encore autant sur le destin scolaire de la jeunesse de notre pays, c’est que l’échec

scolaire des plus pauvres n’est pas un accident. Il est inhérent à un système qui a globalement conservé la structure et l’orga-nisation adaptées à sa mission d’origine : trier et sélectionner. La méritocratie a une face claire pour ceux qui réussissent et une face sombre pour tous les autres.On ne démocratisera pas la réussite scolaire en considé-rant que les enfants de milieu populaire sont victimes d’un « handicap social » et devraient par conséquent être traités à part. Cette séparation existe d’ores et déjà, les chiffres que nous avons cités le montrent. Répartir de façon inégale au collège, c’est-à-dire pendant la scolarité commune, les options ou les parcours particuliers qui n’ont pas pour objectif premier de préparer à des études ulté-rieures mais plutôt de séparer les élèves ne permet pas de faire du « commun ». Dans le cadre de la scolarité obligatoire, il faut renoncer à la concurrence sans fin des options ou des forma-tions qui conduit à l’impasse pour les enfants des pauvres.Remarquons d’ailleurs qu’on ne songe à implanter des for-mations « nobles » comme les sections européennes ou les

classes bilangues que pour faire venir ou retenir dans un établis-sement des élèves de milieux plus favorisés. Comme si les pauvres n’étaient pas dignes de se voir proposer sponta-nément et naturellement ces enseignements.La réforme en cours, qui vise à offrir ces enseignements à tous les élèves, va donc dans la bonne direction. Tous les élèves pourront faire du latin et commencer une deuxième langue vivante dès la 5e. Où est la régression ? Qui peut penser qu’élever le niveau d’ensemble de toute la population scolaire conduit à la « médiocrité » et au « nivellement par le bas » ? Ou alors – mais on ne veut pas y croire –, cela voudrait dire qu’une partie de la population considère que donner le meil-leur à tous et scolariser tous les enfants ensemble pendant le temps de la scolarité obli-gatoire serait tomber dans la « médiocrité » ou provoquer le « nivellement par le bas » ? Les pauvres seraient-ils à ce point infréquentables ?Le collège actuel porte encore les traces du passé d’un second degré général malthusien qui a eu beaucoup de difficulté à accepter d’accueillir les enfants

Il faut achever la réforme du collège unique pour défaire les inégalités scolairesL’échec scolaire des plus pauvres est préparé par les options ou les parcours parti-culiers, qui ne servent qu’à séparer les élèves les uns des autres. Allons au bout de la réforme de 1975 en renforçant la scolarité commune.

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LES ARTICLES DU

59Classes, stratification et mobilité sociales

du peuple et qui est loin d’avoir achevé sa démocratisation. Le collège unique est bien au cœur de la problématique de la démo-cratisation de la réussite sco-laire. Comme aux débuts de la IIIe République, il existe encore aujourd’hui des partisans du collège comme « digue » (il ne faut pas tout niveler sous pré-texte de démocratiser) et des défenseurs du collège comme « vague » (pour répandre l’ins-truction et la culture). D’une certaine façon, les débats d’au-jourd’hui sur le collège unique sont en partie ceux ressassés depuis les tout débuts de la démocratisation scolaire.Certains considèrent que l’ob-jectif du collège unique était mauvais en lui-même, voire démagogique, et donc inappli-cable. Il faudrait revenir à la séparation des élèves, réinstaller un concours d’entrée en sixième et organiser des « filières courtes » (évidemment pas pour

les enfants des concepteurs de ces « programmes », mais pour ceux des autres).Un programme de restau-ration d’un ordre ancien en quelque sorte, qui fermerait une parenthèse de tentative de démocratisation. Mais quelle société préparons-nous si nous ne parvenons pas à faire vivre et apprendre ensemble, au moins le temps de la scolarité obliga-toire, dans des établissements hétérogènes, toute la jeunesse d’un pays dans sa diversité ? On se paye de mots avec le « vivre-ensemble » si on ne travaille pas au « scolariser-ensemble ».Nous pensons au contraire que les difficultés du collège unique proviennent de ce qu’on n’a pas assumé la logique de la réforme de 1975 jusqu’au bout en ne don-nant pas au collège un conte-nant et un contenu spécifiques au rôle qui est le sien : achever la scolarité obligatoire dans de bonnes conditions pour tous les

élèves et préparer, de façon dif-férenciée, les élèves à toutes les formations ultérieures d’égale dignité.Si l’on veut mettre en applica-tion le principe affirmé dans la loi de 2013 d’une école inclusive, car tous les élèves sont capables d’apprendre, alors toute la sco-larité obligatoire doit être à la fois exigeante et bienveillante pour tous les élèves, gratuite dans son offre, avec une part significative d’enseignement collectif en classes hétérogènes. L’école qui s’adresse aux enfants des pauvres ne peut être une pauvre école, organisée à part et avec peu d’ambition. Ce qui est bon pour tous les élèves le

sera aussi pour les enfants des milieux populaires et ne nuira pas aux autres.Quand on sait en outre que les inégalités actuelles freinent la croissance, on voit que l’intérêt bien compris de notre pays rejoint l’idéal d’une école plus juste. Le refus du scénario de séparation impose à l’école de travailler à l’amélioration de son fonctionnement et à la col-lectivité nationale de soutenir son école dans cette évolution. C’est le choix de la solidarité pour la réussite de tous.

Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Delahaye

Le Monde daté du 03.06.2015

POURQUOI CET ARTICLE ?

La fracture sociale se manifeste de manière particulièrement criante pour les jeunes générations. Une partie de la jeunesse, marginalisée par l’école, n’accède pas à l’emploi qualifié et stable et risque de glisser vers l’exclusion sociale et la radicalisation.

Une nouvelle égalité pour l’accès à l’enseignement supérieur

La tendance est lourde et connue de longue date : les moyens publics

consacrés à l’enseignement supérieur ont un effet pro-fondément anti-redistributif et profitent en priorité aux étudiants les plus favorisés. Un état de fait que les dernières initiatives gouvernementales n’ont en rien contribué à réé-quilibrer. Le nouveau président de la République s’est quant à lui fermement engagé à investir

davantage dans le système édu-catif pour en améliorer tant l’ef-ficacité que l’équité. Pour l’en-seignement supérieur, l’objectif annoncé est d’en élargir l’accès, d’améliorer la réussite de tous les étudiants et d’assurer leur insertion professionnelle. Ces cinq dernières années n’ont pas vu naître de réel progrès en matière de démocratisation de l’accès à l’enseignement supé-rieur. Et pour cause : les moyens investis se sont concentrés sur

un petit nombre de centres universitaires. S’agissant des aides aux étudiants, elles ont été l’occasion d’effets d’annonce (le 10e mois de bourses) et de mesures médiatiques (aug-mentation du taux de boursiers dans certaines grandes écoles), mais sont restées dérisoires en termes de corrections des iné-galités liées à l’origine sociale ou géographique.Une récente étude menée par la Conférence des présidents

d’université (CPU) montre à quel point le bilan est alarmant du point de vue de l’équité : non seulement le financement public de l’enseignement supé-rieur reproduit les inégalités sociales, mais encore, il aggrave l’injustice constatée à la sortie du primaire et du secondaire.Au niveau très général de l’accès à l’enseignement supé-rieur, les étudiants issus des classes modestes y restent très largement sous-représentés.

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LES ARTICLES DU

Classes, stratification et mobilité sociales

Concernant les filières garan-tissant les plus hautes rému-nérations (formations longues et sélectives), ce sont encore les plus aisés qui y accèdent. Enfin, les moyens publics investis dans les formations sont aussi concen-trés sur les filières bénéficiant le plus aux étudiants les plus favo-risés, qui sont aussi ceux qui per-cevront dans le futur les revenus les plus élevés… L’actuel système de financement de l’enseigne-ment supérieur fonctionne selon un véritable cercle vicieux pour les uns, vertueux pour les autres. Il est indispensable que les débats sur la fiscalité soient aujourd’hui connectés à la poli-tique familiale et éducative. Une question se pose en particulier : arbitrer entre un mois de bourse supplémentaire et la demi-part fiscale accordée aux familles dont les enfants font des études supérieures est-il de nature à modifier la situation ?Le choix du gouvernement il y a dix-huit mois a été de conserver la demi-part fiscale et de financer un mois de bourse supplémen-taire. En termes de communi-cation, le succès est indéniable. Mais qu’en est-il de l’équité ? Cette augmentation des aides ne corrige en rien les inégalités sociales, et ce pour deux raisons.

D’abord parce que l’augmenta-tion de la bourse est modeste, n’accroît pas le nombre des bénéficiaires et ne permet pas de rattraper notre retard en termes d’aides aux étudiants par rap-port aux autres pays de l’OCDE. Ensuite parce que la demi-part fiscale bénéficie seulement à ceux dont les parents paient des impôts, et à proportion de leurs revenus imposables.L’augmentation des moyens pour l’enseignement supérieur impose aujourd’hui de concevoir des règles de financement justes et efficaces.Un autre fonctionnement est non seulement souhaitable, mais aussi possible du point de vue financier. Du travail d’ana-lyse mené par la CPU et de ses conclusions présentées lors du colloque de 2012 se dégagent en effet des pistes innovantes

pour à la fois renforcer l’équité sociale, favoriser l’accès à l’ensei-gnement supérieur à un plus grand nombre et prendre en compte tant le bénéfice social qu’individuel de la formation dans les modes de financement.Quatre mesures simples et efficaces pourraient guider une action gouvernementale sou-cieuse de la justice sociale :– Investir massivement dans l’orientation en amont, pour rééquilibrer les chances d’accès de tous aux études longues.– Augmenter substantiellement les aides aux étudiants pour inciter davantage les jeunes des classes modestes à s’engager dans des études supérieures, en particulier dans des études longues.– Garantir l’employabilité à long terme et, pour les filières longues (Masters, écoles, for-mations d’ingénieurs), prendre en compte le bénéfice indivi-duel ultérieur des études. Cela passe notamment par la mise en place d’un système de droits (bourses, aides sociales, prêts) et de devoirs (par exemple via un financement ultérieur par les diplômés en fonction de leurs revenus futurs).– Transformer l’actuelle demi-part fiscale en « crédit d’impôt

formation supérieure », en tant que modalité de l’aide fiscale adressée aux familles, mais aussi aux étudiants diplômés. Pour les familles les moins favorisées, il encouragerait la poursuite d’études supérieures, sans remettre en cause la politique familiale. Pour les étudiants diplômés, il pourrait être associé au remboursement des prêts, notamment dans le cas de prêts à remboursement contingent, dès lors qu’il serait indexé sur les revenus impo-sables ultérieurs. La mesure a en outre le mérite d’être à coût constant pour les finances publiques.Le nouveau gouvernement de notre pays a affiché des prio-rités : la jeunesse, l’égalité des chances, la justice fiscale, la relance de l’activité économique. L’objectif de ces propositions est de favoriser leur mise en œuvre. La grandeur d’une démocratie se mesure aux moyens déployés pour qu’en son sein règne l’équité.

Sophie Béjean, Yves Guillotin, Maxime Legrand,

Sébastien Chevalier, Patrice Brun (pour le collectif

Révolution éducative)Le Monde daté du 06.06.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

L’enseignement supérieur n’échappe pas aux processus discrimina-toires : son financement par l’État profite en priorité aux classes aisées. Une véritable démocrati-sation passe par la réorientation des moyens attribués par la puis-sance publique à la formation de la jeunesse.

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L’ESSENTIEL DU COURS

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NOTIONS CLÉSCOHÉSION SOCIALE

« Ciment » qui assure l’unité d’un groupe social. Elle n’est pas pour autant synonyme d’absence de conflit. On peut parler de cohésion sociale dès lors que le groupe coopère et que ce qui rassemble l’emporte sur ce qui divise. Elle se construit à travers les différentes formes de lien social : marchand, politique, symbolique.

DÉSINSTITUTIONNALISA-TION DE LA FAMILLE

Transformation de la famille qui, en se diversifiant par rapport à ses formes traditionnelles, connaît une diminution de l’influence qu’elle avait auparavant dans le processus d’intégration sociale des individus.

INDIVIDUALISMESystème de pensée dans lequel l’individu est érigé comme la valeur suprême. La connotation du terme est ambivalente car il peut servir à louer la responsa-bilité individuelle et le respect dû à la personne et à ses droits (autonomie et égalité). Mais il peut aussi renvoyer à la tendance au renfermement égoïste (le chacun pour soi) et à l’affaiblissement des solidarités collectives.

INSÉCURITÉ SOCIALEConcept développé par R. Castel qui désigne la situation de forte vulnérabilité d’une partie de la population face aux aléas de l’existence, notamment en raison du chômage, de la précarité et de l’effritement de la protection sociale.

LIEN SOCIALEnsemble des relations qui conduisent les individus à se considérer comme membres d’une société. Il inclut le partage des mêmes valeurs, notam-ment morales et politiques, des mécanismes de relations écono-miques favorisant l’échange et la solidarité. L’appartenance à des « collectifs » (famille, entre-prise, syndicat, etc.) est un des éléments qui renforce le lien social.

Quels liens sociaux dans des sociétés où s’affirme le primat de l’individu ?

Les instances traditionnelles d’intégration sociale comme la famille, l’école ou le travail ont vu leur rôle dans la construc-tion du lien social se fragiliser. La cohésion sociale semble

menacée par la montée de l’individualisme et par la persistance de difficultés économiques pour une partie de la population vivant dans la précarité et la pauvreté. Face à cette fragilité, le rempart de la protection sociale s’est, lui aussi, effrité.

Les formes de la cohésion sociale : une thèse fondatriceToute société doit entretenir chez ses membres un sentiment d’appartenance assurant la solidité de la cohésion sociale. Le sociologue E. Durkheim (1858-1917) a distingué deux formes de solidarité qui, historiquement, ont construit ce sentiment. Dans les sociétés traditionnelles règne une solidarité mécanique et l’intégration des individus repose sur la similitude des membres du corps social. Les fonctions sociales et économiques sont peu différenciées et la « division du travail social » est faible. L’uniformité des statuts, des valeurs et des croyances fait que l’individu n’existe qu’à travers l’être collectif que forme le groupe. La conscience individuelle est recouverte par la conscience col-lective, et la cohésion naît de la soumission des comportements individuels aux normes sociales dominantes.À l’inverse, les sociétés modernes reposent, selon Durkheim, sur une solidarité organique, née de la division de plus en plus poussée du travail. Cette

différenciation des fonctions rend les individus dif-férents mais complémentaires et, donc, dépendants les uns des autres, à la manière dont les organes phy-siques concourent au fonctionnement harmonieux du corps. Alors que les individus deviennent de plus en plus autonomes et que la conscience individuelle grandit, cette complémentarité consolide la cohésion sociale.

La fragilisation du lien socialLe rapport que l’individu entretient à la société s’est, dans les sociétés modernes, profondément transformé. Le primat de l’individu s’affirme désor-mais comme une valeur prioritaire, et les instances d’intégration qui le prenaient autrefois en charge ont vu leur rôle évoluer.Le rapport à la famille s’est transformé : le recul du mariage, la montée des divorces et les nouvelles formes d’union témoignent d’une désinstitution-nalisation de la famille. Bien qu’elle reste le lieu privilégié de la socialisation et de l’intégration sociale, elle n’est plus le rempart contre l’isolement

qu’elle constituait autrefois. Elle a largement perdu sa fonction de prescription des normes de comportement. Cependant, son rôle intégrateur continue à se manifester à travers les solida-rités qu’elle développe : aides financières entre générations, échanges de services, soutien psychologique et moral…L’école, autre instance de sociali-sation, a vu son rôle et ses modes de fonctionnement évoluer pro-fondément : elle reste un lieu de transmission des normes et des valeurs du pacte social et ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

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ZOOM SUR…Deux regards sociologiques sur l’exclusion

LA DÉSAFFILIATIONPour Robert Castel (1933-), le concept de désaffiliation désigne le parcours d’un individu depuis une situation d’intégration jusqu’à des formes d’exclusion sociale.« Je ne nie pas que certaines populations sont aujourd’hui menacées d’exclusion en ce sens si la situation continue de se dégrader. Mais dans la plupart des cas, les gens ne sont pas à proprement parler exclus mais fragilisés, déstabilisés, en voie de désaffiliation. Parler de désaffiliation présente l’avan-tage d’inviter à retracer les trajectoires – on est désaffilié de – c’est-à-dire à voir ce qu’il y a en amont, par rapport à quoi les gens décrochent, et éventuel-lement pourquoi ils décrochent. L’exclusion a quelque chose de statique, de définitif ; la désaffi-liation remonte et essaye d’ana-lyser les situations de vulnérabi-lité, avant le décrochage. »

LA DISQUALIFICATIONSelon Serge Paugam, le concept de disqualification désigne la rupture des liens entre une personne et le corps social qui, de manière cumulative, l’amène à intérioriser la vision négative de lui-même qu’il provoque chez les autres.« Le chômage correspond à la rupture au moins partielle du lien de participation organique. Ce type de rupture en entraîne-t-il d’autres ? Prenons tout d’abord la probabilité de vivre seul. Il ne s’agit pas en soi d’indicateur de fragilité des réseaux sociaux. On peut y voir, en effet, un indice d’autonomie choisie des individus vis-à-vis de la famille et de leur entourage. [...] En revanche, si les personnes qui vivent seules ont également une très faible parti-cipation à la vie sociale, le risque d’isolement voire de repli sur soi est plus grand, et on peut craindre alors un processus de disqualifica-tion sociale. »

politique républicain (laïcité, égalité des chances, compétition méritocratique), mais elle s’est massifiée en accueillant des publics plus larges et plus hétéro-gènes par rapport à l’école élitiste d’autrefois. Sa capa-cité à unifier et homogénéiser les comportements et les systèmes de valeurs est mise à rude épreuve, d’autant que les attentes du corps social à l’égard du système scolaire sont considérables, notamment en matière d’adaptation à l’emploi et de promotion sociale. La résurgence des revendications communautaristes, par exemple, n’a pas épargné cette institution et fragilise un peu plus la fonction d’intégration républicaine qui lui est traditionnellement dévolue.Dans la sphère du travail enfin, les tendances cen-trifuges se manifestent également depuis quelques décennies. Le travail a longtemps été considéré comme un vecteur privilégié de l’intégration et du sentiment d’appartenance collective. La solidarité mécanique qui soudait, au sein du salariat, les identités profession-nelles a, au long du XXe siècle, conduit les travailleurs à des combats communs et à l’affirmation d’une conscience collective créatrice de solidarité. Mais l’éclatement des statuts professionnels et la montée du chômage et de la précarité ont sapé en partie cette cohésion. La perte d’emploi ou l’insécurité profession-nelle affaiblissent les solidarités professionnelles, mais aussi la sociabilité privée (au sein du groupe familial ou du cercle d’amis) et l’engagement collectif (mouvement associatif ou militantisme politique). Une partie du corps social voit son rapport aux enjeux collectifs se distendre, tandis que s’affaiblit le sentiment d’apparte-nance, dans une spirale qui peut conduire à l’exclusion sociale ou à la « désaffiliation » (Robert Castel). Ce processus touche les segments les plus vulnérables de la société (travailleurs non qualifiés, femmes isolées, minorités ethniques marginalisées…).

Le lien politique fragilisé ?Ce recul des instances de la cohésion sociale amène à poser la question, fondamentale dans une société démocratique, de la solidité du lien politique. Le lieu historique qui soude la collectivité des citoyens est la nation. Mais le lien politique est un lien abstrait, un lien pensé plus qu’un lien vécu au quotidien comme le lien familial ou communautaire. Il est fondé sur la conquête des droits politiques : liberté d’expression, liberté de conscience, égalité citoyenne, droit de vote, etc. Ce lien politique est, lui aussi, aujourd’hui fragi-lisé : le rapport à la chose publique d’une partie des

citoyens se distend, comme en témoignent la montée de l’abstention électorale et la perte d’intérêt pour le débat politique. La résurgence de formes de replis identitaires ou communautaristes peut, par ailleurs, faire renaître des solidarités mécaniques tribales apparaissant comme une remise en cause du pacte citoyen. Le bilan sur cette question doit cependant être nuancé, car la période récente a vu une renaissance de mobilisations citoyennes spontanées, souvent organi-sées hors des cadres traditionnels de la protestation, qui atteste que la conscience citoyenne peut se réveiller sur certains enjeux majeurs.

Le rempart de la protection socialeLa construction du lien politique s’est accompagnée, durant le XXe siècle, de la mise en œuvre d’un système de protection sociale dont la fonction est de consolider la citoyenneté politique par une « citoyenneté sociale » (R. Castel) qui est l’instru-ment d’une « sécurité sociale » face aux risques de la maladie, de la vieillesse ou du chômage. Cette fonction protectrice de l’État-providence a, elle aussi,

subi les assauts des crises économiques et d’une remise en cause idéologique.La fragilisation financière de la protection sociale est née de l’accroissement des charges (montée du chômage, vieillissement de la population) et des réticences du corps social à accepter plus de prélèvements sociaux pour le financer.La mise en cause idéologique correspond à la montée du courant de pensée ultralibéral, à la fin des années 1970, pourfendant la protection sociale au nom du rejet de l’assistanat et militant pour une protection privée qui serait le signe d’une responsabilisation individuelle.

TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Le Potager de Marianne cultive le lien social p. 66

(Anne Rodier, Le Monde daté du 03.07.2012)

• « Les jeunes sont les premiers touchés par les CDD non choisis » p. 66-67 (Anne Rodier, Le Monde daté du 09.07.2012)

• La famille, ultime amortisseur social p. 67

(Frédéric Cazenave, Le Monde daté du 11.06.2013)

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UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe sujet porte sur la fonction socialisatrice et intégra-trice de l’école, donc sur la transmission de valeurs communes et sur l’acquisition par chacun des moyens de son intégration sociale. Le constat doit montrer la difficulté pour l’école d’assumer cette mission de cohésion sociale qu’elle ne peut remplir seule.

La problématiqueL’école se voit chargée d’une mission socialisatrice et intégratrice qu’elle parvient globalement à assumer. Face à un public hétérogène, cette mission comporte des échecs.

Jules Ferry (1832-1893).

IntroductionDepuis plus d’un siècle, en France, la figure de J. Ferry est convoquée pour célébrer l’école républicaine. Le rôle qui lui est assigné est, en effet, au cœur du processus d’intégration qui fonde le contrat social. S’appuyant sur les principes de l’égalité et du mérite,

elle se voit confier un rôle majeur dans l’intégration citoyenne. Cette fonction ne se réalise qu’imparfaite-ment car la culture scolaire est inégalement partagée.

Ce qu’il ne faut pas faire• Dresser un réquisitoire asymétrique et sans

nuances des carences du système scolaire.• Oublier de mobiliser les outils conceptuels de l’analyse sociologique de la socialisation et de

l’intégration sociale (valeurs, norme…).

Le plan détaillé du développementI. L’école républicaine, une fonction d’intégration affichéea) L’intégration citoyenneÉgalité, citoyenneté et méritocratie : les missions de l’école obligatoire, gratuite et laïque.b) Un facteur de la cohésion socialeAu fondement du discours politique sur l’école : intégration et cohésion sociale.c) Le diplôme comme reconnaissance de la compé-tence du mériteLa reconnaissance du mérite : le diplôme comme instrument supposé de l’intégration et de l’égalité des chances.

II. La culture scolaire, un patrimoine toujours discriminanta) Réussite scolaire et origine socialeCarrières scolaires et environnement social : une démocratisation encore partielle et sélective.b) Un destin professionnel de plus en plus marqué par le parcours scolaireUne inégalité des chances et des destins sociaux que l’école peine à combattre.c) Une culture scolaire universelle ?Ségrégation scolaire et sociale : l’illusion d’une culture homogène.

ConclusionLe rôle de l’école comme source de cohésion sociale fait donc débat en raison des défaillances dans la réalisation de cet objectif. Ce relatif échec tient à la fois à l’ambiguïté des missions confiées à l’école, à l’insuf-fisante sélectivité des moyens qui lui sont alloués et à l’absence de continuité de la lutte contre la ségrégation scolaire. Ne peut-on pas aussi en chercher les racines dans les enjeux excessifs que la société confie à l’école ? La cohésion d’une société repose sur d’autres piliers que son système scolaire.

CONTRAT SOCIALIl s’agit du lien bilatéral qui unit le citoyen à la communauté poli-tique et qui l’amène à reconnaître le devoir d’obéissance au pouvoir comme légitime, en échange de la protection de certains droits juridiques et sociaux.

DÉCLASSEMENTDécrochage social qui conduit certaines personnes à occuper, dans l’échelle sociale, des posi-tions inférieures à celles de leurs parents, à diplôme identique voire supérieur. Ce phénomène est en partie lié à la dévalorisation rela-tive de certains diplômes. Cette situation est notamment percep-tible au moment de la première embauche.

INTÉGRATION SOCIALEProcessus qui amène une personne à se reconnaître et à être reconnue comme membre d’une société. L’intégration sociale repose à la fois sur l’appartenance politique, professionnelle, culturelle, linguis-tique, etc.

INSTANCES D’INTÉGRATION

Lieux ou acteurs ayant pour fonc-tion d’assurer la socialisation des individus et leur intégration dans la société (famille, école, entreprise, associations, médias, etc.)

MASSIFICATION SCOLAIREAugmentation des effectifs scola-risés liée à l’allongement de la durée des études au-delà de l’âge de la scolarité obligatoire.

SOCIABILITÉEnsemble des possibilités qu’a un individu de nouer et d’entretenir des relations sociales individuelles ou collectives au sein d’un groupe (école, travail, amis…).

SOCIALISATIONLa socialisation est l’ensemble des processus par lesquels un individu apprend, en les intériorisant, les règles de vie, les comportements attendus, les modes de perception et de pensée propres à la société dans laquelle il vit.

Dissertation : Quelle est la contribution de l’école à la cohésion sociale en France aujourd’hui ?

MOTS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– La montée de l’individualisme remet-elle en cause la cohésion sociale ?– En quoi la place de la famille dans la construction du lien social a-t-elle changé ?– La perte d’emploi est-elle une menace pour l’inté-gration et la cohésion sociale ?

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UN SUJET PAS À PAS

Présentation du documentCe diagramme en bâtons, extrait de l’article de 2007 « Une famille solidaire » dans la revue Consommation et modes de vie, recense les différentes formes que peut prendre l’entraide familiale et la fréquence de chacune de ces formes, du double point de vue de ceux qui la fournissent et de ceux qui la reçoivent. Ces formes sont extrêmement diversifiées mais un rapide classement permet de les regrouper en trois grandes catégories :– les aides matérielles (bricolage, garde des enfants, achats, ménage, démarches administratives, soins) qui revêtent les caractéristiques d’une prestation de service ;– les aides financières ou patrimoniales (dons ou prêts d’argent, prêt d’un logement, donations anticipant un héritage) ;– les aides qu’on peut regrouper sous l’appellation « soutien moral et psychologique » (par téléphone, par messagerie Internet, par la présence).

Analyse du documentLe document ne permet pas de repérer préci-sément les directions de ces aides au sein du groupe familial. On peut supposer que certaines aides vont probablement des ascendants vers les descendants (parmi lesquelles le prêt d’argent ou d’un logement, et la garde d’enfants).D’autres, à l’inverse, vont des enfants aux parents ou grands-parents (soutien, achats, soins).

D’autres enfin sont en partie symétriques entre les différentes générations (bricolage, démarches, ménage).Les formes les plus fréquentes sont de l’ordre du soutien moral (avec plus de 60 % des personnes concernées soit par l’apport, soit par la réception d’une telle aide). On remarque aussi l’importance du bricolage (pour 37 % dans les deux « sens »), qui, au-delà de son intérêt pratique, a souvent une forte dimension de convivialité. Les aides financières ne sont pas très fréquentes (entre 3 % et 13 % des personnes selon les formes).Enfin, on peut faire une mention particulière de la garde d’enfants, qui se substitue parfois à une prestation externe payante et qui a une dimension affective et éducative particulière.En dernière analyse, cette grande variété des formes de l’entraide familiale témoigne de la permanence des liens familiaux de solidarité.

Épreuve composée, 2e partie : Vous présenterez le document, puis vous analyserez la diversité des formes de l’entraide familiale.

(Source : « Une famille solidaire », Consommation et modes de vie, Régis Bigot, février 2007.Proportion d’individus ayant reçu de l’aide ou apporté cette aide à l’un des membres de leur famille

[membre de la famille extérieur au ménage.] [au cours des 12 derniers mois (%).]

Les aides données et les aides reçues au sein de la famille

Ce qu’il ne faut pas faire• Se lancer dans une énumération passive qui se contente d’un catalogue des différentes aides au sein des familles sans les regrouper par grandes

catégories.• Oublier d’évoquer la question, non signalée dans le document, de la direction des différentes aides

entre les générations.

REPÈRESLes chiffres noirs de l’exclusion socialeEn France, en 2013, le seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian) s’établit à 1000 euros mensuels pour une personne seule. 13,7 % de la population vivent en dessous de ce seuil (contre 14,1 % en 2010), soit 8,6 millions de personnes.10,1 % des actifs de plus de 18 ans sont pauvres. La pauvreté touche plus les non-salariés que les salariés (16,9 % des non-salariés sont pauvres).La moitié des personnes pauvres vivent avec moins de 773 euros par mois.La mesure de la pauvreté dépend du critère retenu : le critère de 50 % du revenu médian, long-temps utilisé par la France, abaisse le nombre de pauvres : en 2013, il tomberait à 4,9 millions et le taux de pauvreté à 7,7 %.17,7 % des enfants de moins de 18 ans vivent au sein d’un ménage pauvre (soit 2,4 millions).20,3 % des étudiants sont pauvres (351 000 personnes).En 2013, le revenu de solidarité active (RSA) compte 2,3 million de bénéficiaires. Son montant maximal (sans autre revenu) est, en septembre 2014, de 509 euros pour une personne seule, de 763 euros pour un couple, de 916 euros pour un couple avec un enfant.L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) a un montant maximal (sans autre revenu) de 800 euros par mois. L’ASPA touche environ 580 000 personnes âgées de plus de 65 ans.16 % des Français disent avoir renoncé à des soins de santé pour des raisons financières, la proportion dépassant 25 % chez les chômeurs.Plus de 2 millions de personnes bénéficient, en France, de la CMU de base (couverture maladie universelle).L’ I n s e e éva lu e le n o m b r e de sans domicile fixe (SDF) à 133 000 personnes, et à 2,9 millions le nombre de Français vivant dans des loge-ments insalubres. ©

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LES ARTICLES DU

Intégration, conflit, changement social

Quelque 741 tonnes de fruits et légumes frais récupérés en 2011, c’est un des résul-

tats des partenariats astucieux noués par le réseau national des épiceries solidaires Andes (Association natio-nale de développement des épiceries solidaires). Cette structure a installé en plein cœur de Rungis une plate-forme de recyclage de produits frais à destination des structures d’aide alimentaire d’Île-de-France (épiceries solidaires du réseau, Restos du cœur, Banque alimentaire…). Le chantier d’insertion Le Potager de Marianne, qui accompagne aujourd’hui une vingtaine de salariés, est le moteur efficace d’une trilogie durable : récu-pération, aide alimentaire, insertion.« Le projet est né du constat que les produits frais étaient le parent pauvre des épiceries solidaires, 1 % seulement des usagers de l’aide ali-mentaire consommaient alors 5 fruits et légumes par jour, tandis que les grossistes de Rungis jetaient quoti-diennement des tonnes de produits, explique Anne Giraud, responsable adjointe du pôle chantiers d’insertion de l’Andes. Et plus des deux tiers de ce qui était jeté à Rungis, parce que

jugé hors norme, taché ou trop mûr, étaient consommables. »Le Potager de Marianne a mis un coup de frein à ce gâchis. Dans l’atelier de tri, ce matin, Ahmed et quelques autres ouvriers arrangent poireaux et abricots qu’Idris vient de rapporter. Ces fruits et légumes frais ont été donnés par les grossistes. « S’ils les avaient jetés, ils auraient dû payer une taxe ! précise Arnaud Langlais, responsable du Potager. En nous les donnant, chacun s’y retrouve. On les vend entre 30 et 70 centimes le kilo aux structures d’aide alimentaire qui les donnent ou les vendent au maximum à 20 % des prix du marché. Les épiceries nous passent commande et on leur impose un surplus de com-mande de 30 % pour garantir une diversité et distribuer les produits peu demandés, comme ces asperges. » Dans les cagettes, certains produits sont à peine tachés. « Dans un circuit de distribution classique, ils seraient pourris avant d’être en magasin. Ici, ils vont prendre le circuit court. Les abri-cots que Samba est en train de trier seront livrés aujourd’hui », indique M. Langlais.

Juniors et seniorsSamba, un jeune de 19 ans en par-cours d’insertion depuis près de six mois, finit sa tâche, imperturbable, avant de rejoindre la zone de prépa-ration de commandes. Les salariés en parcours d’insertion sont encadrés par cinq permanents de l’Andes, employés à temps plein. « Avant d’être là, j’étais en intérim, témoigne Samba. Ici, j’ai passé mon permis de cariste, fait une formation des pre-miers secours et une autre de gestion de stock. » Pour Ahmed, 25 ans, c’est un premier emploi. À l’image de la typologie du chômage, ils sont soit juniors, soit seniors. Pierre, 54 ans, est, lui, en fin de parcours d’inser-tion. « Je suis magasinier depuis l’âge de 17 ans. C’est ce que je veux continuer à faire, mais mon dernier entretien d’embauche n’a duré que quelques minutes. J’entre dans la

catégorie des seniors », justifie-t-il. « Pour 67 % d’entre eux, ils sortent toutefois en emploi de six mois au moins ou en formation », indique Emilie Croguennec, l’accompagna-trice socioprofessionnelle.Né en 2008, Le Potager de Marianne augmente ses effectifs de plus de 20 % par an. Le concept a été dupliqué à Perpignan en 2009, Marseille (2010) et Lille (2011). Fort de ce succès, le Potager prévoit d’ouvrir en 2012 un atelier de transformation pour compléter ses paniers de pro-duits avec des jus de pomme, du gaspacho et autres confitures, des-tinés à l’aide alimentaire.

Anne RodierLe Monde daté du 02.07.2012

Le Potager de Marianne cultive le lien socialLe chantier d’insertion fournit aux réseaux d’aide alimentaire d’Île-de-France des fruits et légumes provenant de la valorisation des invendus.

Une étude que vous venez de publier, «The Challenge of Promoting Youth Employment in the G20 Countries», montre que 10 % des 15-24 ans ne seraient ni en emploi, ni en formation, ni scolarisés en Allemagne. Un taux qui grimperait à 12 % en France, 15 % aux États-Unis, 18 % en Espagne et 20 % en Italie. La dégradation de la situation

de l’emploi est-elle la seule explication ?Les pertes d’emploi pendant la crise se sont concentrées sur les contrats à durée déterminée [CDD] et autres contrats atypiques et, dans plusieurs pays de l’Or-ganisation de coopération et de dévelop-pement économiques [OCDE], les jeunes ont été les premiers touchés par ces fins de contrat. Beaucoup d’entre eux ont été indemnisés au titre du chômage pour

une période courte mais pas tous, et certains sont sortis du marché du travail. Le nombre de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni scolarisés est en hausse dans la plupart des pays de l’OCDE. Ces « NEET », selon l’acronyme anglais (Not in Education, Employment or Training), connaissent un risque élevé d’exclusion économique et sociale. Dans un premier temps, le nombre de NEET a augmenté à cause de la hausse du

chômage des jeunes qui a suivi l’envolée du chômage global en Espagne, en Italie, en Irlande. Puis, dans un second temps, les ont rejoints les jeunes découragés qui, en fin de droits au chômage et sans perspectives d’emploi, ont perdu tout espoir et ne cherchent plus activement un emploi, surtout les moins qualifiés ou ceux qui cumulent les difficultés (santé, pauvreté, etc.). C’est pourquoi les NEET sont paradoxalement plus

« Les jeunes sont les premiers touchés par les CDD non choisis »Stefano Scarpetta, directeur adjoint de la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE.

POURQUOI CET ARTICLE ?Une initiative originale et citoyenne, qui conjugue lutte contre le gâchis et aide alimentaire aux plus démunis, en permettant une démarche d’insertion à des jeunes et des seniors en recherche d’emploi.

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nombreux en Italie qu’en Espagne, alors que le taux de chômage des jeunes est plus élevé dans le second (51,5 % en avril) que dans le premier pays (35,2 %). Entre autres, parce que l’accès aux indemnités de chômage est plus difficile en Italie qu’en Espagne.

La réforme du marché du travail en Italie va réduire le nombre de types de contrats. Est-ce une bonne mesure pour améliorer la situation des jeunes et réduire le nombre de NEET ?Oui, car un élément de cette réforme est d’étendre le nombre de bénéficiaires des allocations de chômage ; cela pour-rait aider les jeunes dans leur recherche d’emploi si l’allocation est accompagnée par des mesures d’accompagnement actif. En Italie, les premières victimes de la perte d’emploi sont les titulaires de contrats atypiques et précaires, en particulier les « faux » indépendants, qui ne leur donnaient pas accès aux

allocations de chômage. La réforme a aussi instauré des incitations fis-cales pour décider les employeurs à convertir des contrats temporaires en contrats permanents, ce qui va dans le bon sens pour sortir du dualisme du marché du travail. Les jeunes sont très touchés par les CDD subis et non choisis, particulièrement dans les pays où le CDD était quasiment devenu la norme avant la crise, comme en Espagne où, en 2007, 60 % des jeunes salariés étaient en CDD. Ils sont, cette année, 70 % à être en CDD non choisi en Espagne, contre 40 % en France ou en Italie. À cela s’ajoute l’impact de la crise. Ainsi, en France, aux premiers signes de reprise, les entreprises ont embauché en CDD, puisqu’elles se sentaient toujours dans une période d’incertitude économique. C’est toujours le cas aujourd’hui. Ce qui pose la question de la qualité de l’emploi. Avant de se retirer volontairement du marché du travail, beaucoup de jeunes Espagnols peu qualifiés sont passés d’un

CDD au chômage, puis à nouveau à un CDD, etc. Cette précarité persistante ne leur a pas permis de développer une carrière et, dans certains cas, les a pro-gressivement menés à sortir du marché du travail. Dans d’autres pays de l’OCDE, comme en Turquie par exemple, le taux élevé de NEET (près de 30 % des 15-24 ans) s’explique par la faible participation des jeunes mères au marché du travail.

Encore une fois, le contre-exemple viendrait d’Allemagne ?En Allemagne, le taux de chômage des jeunes est très faible, 7,9 % en avril. Le nombre de jeunes NEET y est donc rela-tivement bas. Mais, surtout, la part des CDD non choisis y a diminué entre 2007 et 2010 ! La raison principale de cette performance est le système d’apprentis-sage, qui est très efficace, tout comme en Autriche et en Suisse. En combinant pendant au moins deux ans formation et expérience du marché du travail, ce système a maintenu quasi

mécaniquement un faible taux de chô-mage des jeunes, contrairement à la situation en Italie, où l’entrée sur le marché du travail se fait pour la plupart des jeunes directement à la sortie de l’école ou de l’université. Le manque d’expérience fragilise alors les jeunes Italiens dans un contexte économique où les employeurs recherchent des profils immédiatement productifs.

Anne RodierLe Monde daté du 09.07.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

Le risque d’exclusion sociale est au-jourd’hui particulièrement élevé pour les jeunes non qualifiés sortis du système de formation. Des dis-positifs ciblés sont indispensables pour insérer sur le marché du tra-vail cette population fragile.

La famille, ultime amortisseur social

Aider son enfant à quitter le nid, dépanner un frère ou une nièce, soutenir un aîné :

la famille s’érige comme le dernier rempart pour atténuer le choc d’une crise qui n’en finit plus. « Comme un pied de nez à l’individualisation croissante de la société et malgré la forte hausse du nombre de familles monoparentales, le lien familial, déjà très fort, se renforce en ces périodes économiques difficiles », explique Régis Bigot, du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc). 78 % des personnes interrogées dans l’édition 2013 de l’enquête « Condition de vie et aspiration des Français » réalisée par le centre de recherche disent pouvoir compter sur l’aide de leurs proches. Et la moitié n’hésitera pas à faire appel à eux en cas de besoin, contre 42 % en 2007, avant l’éclate-ment de la crise financière, souligne M. Bigot. Davantage sollicitées, les familles répondent présent. « Pour pallier une économie en berne et une baisse globale des prestations sociales, la solidarité intergénérationelle joue pleinement », confirme la sociologue Claudine Attias-Donfut, spécialiste des pratiques d’entraide familiale.

En témoigne l’ampleur des trans-ferts financiers – simples coups de pouce ou donations en bonne et due forme – au sein des familles. « Leur montant a quasiment doublé au cours des dernières années, pour repré-senter aujourd’hui 4 % du PIB. À cela s’ajoutent les aides en nature, comme le temps consacré par les grands-parents à garder leurs petits-enfants », souligne Hélène Xuan, directrice scientifique de la chaire Transitions démogra-phiques, transitions économiques de la Fondation du risque.

« Inégalités sociales » L’essentiel de cette générosité est évi-demment descendante. Avec un taux de chômage de 26,5 % chez les moins de 25 ans, les prix stratosphériques des logements et l’allongement de la durée des études, l’aide des parents et grands-parents est devenue indispen-sable. « En moyenne, les jeunes quittent le domicile familial à 23 ans, mais ils restent sous perfusion des aides de leur famille et de l’Etat jusqu’à près de 27 ans, âge du premier CDI, explique Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Non seulement cette situation est mal

vécue par les jeunes car ils ne sont pas autonomes, mais elle renforce les iné-galités sociales. » Même son de cloche à l’Union nationale des associations familiales (UNAF), dont le président, François Fondard, note que près des trois quarts des familles participent au financement de la vie quotidienne de leurs enfants lorsque ces derniers font des études supérieures. Avec la crise, ces échanges ont désormais tendance à se faire aussi au sein de la fratrie, pour épauler un frère touché par le chômage ou une sœur qui doit changer de voiture.

Les besoins des seniors vont aussi aller croissant. Et pas seulement en raison du coût lié à la dépendance, alors que déjà plus de 4 millions de Français soutiennent un proche en situation de perte d’autonomie. « Le niveau de vie des retraités va baisser à l’avenir. Si, en plus, de nouvelles taxes leurs sont appli-quées, non seulement ils donneront moins à leurs descendants, mais ils les solliciteront davantage, ce qui in fine pénalisera les jeunes », prévient Mme Attias-Dufont. Du simple don d’usage à la donation d’une somme importante, d’un prêt notarié aux versements réguliers de pensions, de

l’achat d’un logement en commun à la renonciation d’un héritage, les solu-tions pour assister un membre de sa famille sont légion. Mais cela ne doit pas être fait à la légère. « Les parents n’ont pas toujours conscience des conséquences que peut avoir leur geste, aussi noble soit-il. Ils risquent de faire des erreurs qui éclateront lors de la succession. C’est à ce moment que la jalousie dans une fratrie se réveille. Les ressentis peuvent être violents », met en garde Murielle Gamet, notaire chez Cheuvreux Notaires. Et lorsque tout n’est pas réalisé dans les règles de l’art, l’aide apportée à un proche peut, un jour, se retourner contre lui.

Frédéric CazenaveLe Monde daté du 11.06.2013

POURQUOI CET ARTICLE ?

Face à la montée de la précarité et de la pauvreté, la solidarité intra-familiale vient servir de filet de sé-curité. Les aides financières entre générations se développent pour amortir les effets de la crise.

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DATES CLÉS• 1791 : Loi Le Chapelier interdisant les coalitions et la grève.• 1841 : Limitation du travail des enfants.• 1864 : Autorisation du droit de grève, abolition du délit de coalition.• 1884 : Reconnaissance légale des syndicats.• 1892 : Création de l’inspection du travail.• 1895 : Naissance de la CGT.• 1898 : Législation sur les accidents du travail.• 1900 : Limitation de la durée de la journée de travail (11 h).• 1906 : Repos hebdomadaire obligatoire.• 1907 : Parité employeurs/salariés aux prud’hommes.• 1919 : Naissance de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens).• 1928 : Création des premières assurances sociales.• 1936 : accords Matignon (Front popu-laire) : congés payés et semaine de 40 h.• 1945 : Ordonnances créant la Sécurité sociale.• 1946 : Création des comités d’entreprises (plus de 50 salariés).• 1950 : Reconnaissance du droit de grève aux fonctionnaires.• 1950 : Création du salaire mini-mum (SMIG).• 1956 : 3e semaine de congés payés.• 1958 : création de l’Unedic (indem-nisation du chômage).• 1966 : Reconnaissance de la repré-sentativité de cinq syndicats.• 1968 : Accords de Grenelle : reconnaissance de la section syndicale d’entreprise.• 1969 : 4e semaine de congés payés.• 1970 : Transformation du SMIG en SMIC (salaire minimum inter-professionnel de croissance).• 1971 : Loi sur la formation profes-sionnelle des salariés.• 1975 : Création de l’autorisation administrative de licenciement.• 1982 : Lois Auroux (reconnaissance du droit d’expression des salariés).• 1982 : 5e semaine de congés payés.• 1988 : Création du Revenu mini-mum d’insertion (RMI).• 1999 : Création de la Couverture maladie universelle (CMU).• 2000 : Lois sur la réduction du temps de travail (35 h).• 2009 : Création du Revenu de solidarité active (RSA).

La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social ?

Le conflit social est inséparable de la société démocratique. Est-il le signe d’un dysfonctionnement social ou une procé-dure normale d’ajustement des intérêts opposés des groupes

sociaux ? L’histoire des démocraties a été rythmée par le face-à-face entre travailleurs et patrons, sur les revendications de salaires ou les conditions de travail. D’autres formes de conflits, plus socié-taux, occupent cependant aujourd’hui l’espace public.

Le conflit, un signe de dysfonctionnement social ?Une action collective rassemble des acteurs sociaux qui se mobilisent sur un objectif commun. Le conflit social naît de l’opposition de cet objectif aux intérêts d’un autre groupe. Cette situation traduit-elle une rupture pathologique de la cohésion sociale ? Est-elle le signe d’une défaillance d’intégration du groupe protestataire ? E. Durkheim analysait certaines formes de conflit social comme anomiques, non régulées par des normes acceptées de tous. Dans cette situation, les individus ne se perçoivent plus comme unis par des liens de solidarité.Max Weber, à l’inverse, voit dans le conflit un révé-lateur des dérèglements économiques et sociaux. Le conflit n’est pas un dysfonctionnement, mais permet d’identifier le dysfonctionnement et d’y remédier.Pour celui qui y participe, le conflit social peut être analysé comme ayant une fonction socialisatrice : il permet la reconnaissance de l’adversaire et la recherche d’un compromis. Par l’engagement auprès du groupe de pairs, il est intégrateur, car il est souvent l’occasion d’une sociabilité renouvelée au sein du groupe en lutte.

Le conflit, moteur du changement socialL’Histoire montre que le conflit social est un instru-ment de transformation sociale et parfois politique. Cette fonction « révolutionnaire » est au cœur de l’analyse marxiste. Pour Marx, le moteur de l’Histoire est la lutte permanente qui oppose les deux grandes classes sociales prédominantes dans toute société. Dans la société capitaliste, la bourgeoisie détenant les

moyens de production s’oppose au prolétariat qui ne possède que sa force de travail. Ces conflits de classes doivent produire à terme la transformation sociale vers une société communiste.

Cette vision du destin de la classe ouvrière a, depuis le XIXe siècle, été démentie par les faits. Cependant, d’autres penseurs comme R. Dahrendorf ou P. Bourdieu reprennent l’analyse en termes de classes pour décrire les mécanismes de domination et de reproduction sociale qui caractérisent nos sociétés. Peut-on parler, comme H. Mendras, de disparition des classes au profit d’une constellation centrale indifférenciée réunissant la majorité du corps social ? ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

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NOTIONS CLÉSCOLLECTIF DE TRAVAIL

Ensemble de proximité des personnes avec lesquelles un individu exerce son activité profes-sionnelle et qui sert de creuset à la prise de conscience des solidarités.

CONFLITS DU TRAVAILPrincipales formes de conflits de travail : le refus des heures supplé-mentaires, l’absentéisme, la grève du zèle, les manifestations, le débrayage (cessation du travail de quelques heures), la grève, la grève illimitée, l’occupation du lieu de travail, le sabotage, la séquestration de diri-geants, les menaces de destructions…

GROUPE DE PRESSIONOu lobby en anglais. Regroupe des personnes ou des entreprises qui ont un intérêt spécifique commun et s’organisent pour orienter les décisions des pouvoirs publics dans un sens favorable à cet intérêt.

IDENTITÉ OUVRIÈREÉléments communs au groupe ouvrier qui lui donnent à la fois le sentiment de similarité et de communauté de destin et le senti-ment de ses particularités dans l’espace social (situation maté-rielle, valeurs, langage, croyances et opinions, etc.).

INSTITUTIONNALISATION DES CONFLITS

Évolution historique qui a conduit peu à peu à encadrer les conflits sociaux dans des procédures de négociation.

JOURNÉES INDIVIDUELLES NON TRAVAILLÉES

Les JINT pour fait de grève : un des indicateurs de mesure des conflits sociaux. Pour les comparaisons internationales, on les calcule pour 1 000 salariés. Contrairement à une opinion répandue, la France se situe plutôt dans le bas du classement.

SYNDICATAssociation chargée de défendre les intérêts professionnels de ses membres. Le syndicat peut négo-cier au nom de ses membres et signer des contrats collectifs.

Y a-t-il, au contraire, permanence des antagonismes fondamentaux produits par les inégalités de richesse et de pouvoir ? Certains indicateurs de l’actualité sociale montrent que le concept de classe garde encore une certaine pertinence.

Les nouveaux mouvements sociauxDes formes d’action sociale portant sur de nouveaux enjeux et qualifiées par A. Touraine de « nouveaux mouvements sociaux » (NMS) sont apparues ces dernières décennies. Selon Touraine, tout mouvement social se caractérise par trois principes : la recherche d’une identité de groupe, la nécessaire opposition à un adversaire et enfin l’exigence de totalité, c’est-à-dire l’aspiration à une transformation sociétale globale. Face au déclin du mouvement ouvrier, il considère que les NMS sont caractéristiques de la société postindustrielle et présentent des caractères novateurs : moins tournés vers les enjeux de partage des richesses et centrés sur des revendi-cations culturelles et/ou identitaires, ils sont portés par des organisations spontanées, plus mouvantes voire éphémères (collectifs, coordinations…) et utilisent des formes d’action sociale novatrices, notamment en mobili-sant l’opinion publique (mouvements régionalistes, féministes, écologistes, ou de minorités ethniques, Gay Pride ou plus récemment le mouvement des « Indignés »).

Vers une disparition des conflits du travail et du syndicalisme ?Le mouvement syndical a eu, depuis la fin du XIXe siècle, un rôle considérable dans les luttes sociales : il a structuré la classe ouvrière, défendu les revendications populaires par le droit de grève et, peu à peu, a évolué vers la régulation institutionnalisée des conflits du travail à travers les procédures de négociation et de conciliation sociale. Il a permis la création d’institutions paritaires d’arbitrage des conflits (conseils de prud’homme) ou de gestion d’organismes sociaux comme les caisses de retraite.Pourtant, en ce début de XXIe siècle, l’influence des syndicats, semble avoir régressé : le taux de syndicali-sation des salariés français, de l’ordre de 40 % en 1950, n’est plus aujourd’hui que de 8 % à 9 %, au point qu’on peut parler d’une crise du syndicalisme.

Les causes de cette crise sont à la fois économiques (montée du chômage, déclin des industries tradition-nelles, tertiarisation de l’économie), politiques (recul du Parti communiste, montée de l’individualisme) et sociales (éclatement du monde ouvrier), montée de nou-velles couches salariées sans tradition syndicale. Depuis les années 1970, le nombre de conflits du travail connaît, en France, un recul massif. Entre 1986 et 1999, le nombre de journées individuelles non travaillées a été divisé par deux (malgré le pic de 1995). Cette évolution a plusieurs explications : le nombre d’accords d’entreprises a été multiplié par sept entre 1986 et 1999. Sur le long terme, les mouvements sociaux ont induit une évolution du droit du travail et permis la mise en place des instances de prévention des conflits. Enfin, on constate un recul du sentiment d’appartenance de classe.

Ces évolutions n’ont pas fait disparaître les conflits du travail. Moins fréquents, ils sont souvent plus durs (grèves plus longues, débrayages plus systématiques). Les formes et les buts de l’action se renouvellent : les appels médiatisés au boycott des produits par les « consommateurs-citoyens », la mobilisation de l’opi-nion publique par des opérations à forte exposition médiatique (chantage et menaces de sabotages, occu-pations de sites, séquestrations de membres des direc-tions d’entreprise…). Désormais, les conflits engagent donc non seulement les armes traditionnelles des mobilisations (grèves, manifestations), mais aussi les armes juridiques, symboliques et médiatiques. Mais, sur ce terrain, d’autres formes de mobilisation sociale viennent concurrencer les conflits du travail sur des thèmes sociétaux, démontrant que la pacification du dialogue social est une donnée qui reste fragile.

DEUX ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Deux tiers des Américains estiment que la lutte des classes est de retour p. 71

(Martine Jacot, Le Monde daté du 29.01.2012.)

• Un groupe de médecins tente d’imiter les entrepreneurs « pigeons » p. 71-72

(Samuel Laurent, Le Monde daté du 11.10.2012.)

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UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetIl est nécessaire de décrire les transformations qu’a connues le groupe ouvrier, fer de lance des luttes sociales, et d’analyser en quoi cela a fait évoluer la forme et la nature des conflits sociaux.

La problématiqueLa classe ouvrière, pilier de notre histoire sociale, est en voie de dilution. Cette évolution modifie en pro-fondeur la nature et les modalités de la mobilisation sociale, qui voit émerger de nouveaux enjeux.

IntroductionLes poussées de conflits sociaux auxquelles la France est régulièrement confrontée ne doivent pas mas-quer une tendance à la baisse de la conflictualité sociale traditionnelle. Les grandes mobilisations des années 60-70, impliquant notamment les ouvriers, ont fait place à des conflits plus localisés concer-nant souvent de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs sociaux. Le statut de la classe ouvrière s’est transformé et ces mutations influent sur la nature des mouvements revendicatifs.

Le plan détaillé du développementI. La place du groupe ouvrier s’est transforméea) La classe ouvrière, un groupe en voie de disparition ?Un groupe porteur d’une symbolique sociale et politique.Un déclin qui s’amorce dans les années 1970.

b) Les facteurs de cet effacementDes causes économiques (désindustrialisation, muta-tions technologiques).Des causes sociales et culturelles (moyennisation, démocratisation de l’école).

II. Ce qui a entraîné une évolution sensible des conflits sociauxa) Un recul de la conflictualité traditionnelleLe déclin des syndicats.Des signes évidents d’institutionnalisation des rela-tions de travail.b) Une montée des nouveaux mouvements sociauxDes enjeux plus sociétaux.Des formes d’action renouvelées.

Ce qu’il ne faut pas faire• Caricaturer l’évolution sociale en parlant

de « disparition des ouvriers ».• Affirmer qu’il n’y aurait plus, en France,

de conflits du travail.• Décentrer le sujet en ne parlant que des nouveaux

mouvements sociaux.

ConclusionLa place du groupe ouvrier s’est fortement transformée, en France, en l’espace de quarante ans. Certains y voient la marque d’une disparition de la « classe ouvrière » désormais en voie d’assimilation aux classes moyennes. Cette analyse fait l’impasse sur la place toujours spéci-fique de ce groupe social, tant dans la dimension éco-nomique que culturelle ou politique. Mais ces évolu-tions ont remodelé les modalités de la conflictualité sociale en faisant émerger des revendications plus particularistes s’appuyant sur de nouveaux moyens d’action mobilisant l’opinion publique.

Grandes organisations syndicales françaises des salariésCFE-CGC : Confédération française de l’encadrementCFDT : Confédération française démocratique du travailCFTC : Confédération française des travailleurs chrétiensCGT : Confédération générale du travailCGT-FO : Force ouvrièreSUD : Solidaires, Unitaires, DémocratiquesUNSA : Union des syndicats autonomes

Grandes organisations syndicales françaises des chefs d’entreprisesMEDEF : Mouvement des entre-prises de FranceCGPME : Confédération géné-rale des petites et moyennes entreprisesFNSEA : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles

NOTIONS CLÉSACCORDS D’ENTREPRISE

Accords portant sur les relations du travail négociés au niveau de l’entre-prise. Leur objectif est d’adapter la législation du travail aux conditions propres à une entreprise donnée.

CHANGEMENT SOCIALEnsemble des transformations qui affectent, en longue période, une société, comme son mode de stratification, les rapports entre les groupes sociaux, son système de valeurs et de normes.

MOUVEMENT SOCIALComportement collectif visant à transformer l’ordre social. Depuis une trentaine d’années, on voit apparaître, à côté des conflits sociaux traditionnels, ce que le sociologue Alain Touraine a appelé les nouveaux mouvements sociaux.

RÉGULATION DES CONFLITS

Ensemble de procédures et d’ins-titutions tendant à organiser les revendications sociales, en per-mettant leur expression et en encadrant leurs formes.

Dissertation : Vous montrerez que l’évolution de la condition ouvrière en France a transformé la conflictualité sociale

ZOOM SUR…

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– Peut-on parler, en France, d’une crise du syndica-lisme ?– En quoi la régulation des conflits sociaux a-t-elle évolué depuis la fin des Trente Glorieuses ?– Faut-il considérer les conflits sociaux comme une pathologie de la cohésion sociale ?

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Deux tiers des Américains estiment que la lutte des classes est de retour

Le concept de lutte des classes, né au XIXe siècle sous la plume de l’his-

torien français François Guizot puis repris par Karl Marx, s’immisce dans la campagne électorale améri-caine. Une enquête réalisée par le Pew Research Center de Washington entre le 6 et le 19 décembre 2011 auprès de plus de 2 000 adultes fait état d’un curieux retournement, actualisant une notion qui n’avait plus vraiment cours aux États-Unis depuis les années 1920-1930. Interrogés sur les sources de tensions au sein de la société américaine, 66 % des répondants mettent en avant les conflits « forts ou très forts » entre riches et pauvres. Ils n’étaient que 47 % à les pointer dans la précédente enquête, menée en 2009. Cette année-là, les tensions dues à l’immigration arrivaient en tête des préoccupations, alors qu’elles sont maintenant relé-guées en deuxième position. Dans les deux cas, les tensions

raciales arrivent au troisième rang.Les analystes établissent un lien entre les résultats de cette enquête et le mouvement de contestation Occupy Wall Street, qui, de mi-septembre à mi-novembre 2011, a dénoncé les abus du capitalisme financier, l’accumulation des richesses imméritées et le fossé grandis-sant entre très riches et pauvres. Ces « indignés » auraient sus-cité une prise de conscience nationale. D’après le sondage, le sentiment qu’un conflit entre classes sociales s’intensifie est vif auprès des démocrates et de ceux qui ne sont affiliés à aucun parti. Mais 55 % des républicains sont aussi de cet avis, alors qu’ils n’étaient que 38 % à évoquer la lutte des classes en 2009. Les deux principaux candidats républicains sont-ils en phase avec ces sondés ? Newt Gingrich, qui qualifie Barack Obama de « président des bons alimen-taires », dépeint son concurrent Mitt Romney, dans ses spots de campagne, en impitoyable

« carnassier », prompt à vider les caisses des entreprises rache-tées et à licencier leur personnel lorsqu’il dirigeait le fonds d’in-vestissement Bain Capital. Mitt Romney, de son côté, reproche à Newt Gingrich d’avoir touché 1,6 million de dollars d’hono-raires du géant du prêt immobi-lier Freddie Mac, au cœur de la crise financière de 2008.Dans l’hebdomadaire Newsweek, l’historien Niall Ferguson, proche des ultralibéraux, estime que les candidats républicains ont tort de ne pas aborder la question des inégalités – Barack Obama les exhorte à le faire. Le revenu de l’Américain moyen, souligne l’historien, n’a pas aug-menté depuis les années 1970 en tenant compte de l’inflation, celui des pauvres a reculé, tandis

que celui du 1 % d’Américains les plus riches a plus que doublé depuis 1979 – et celui des super-riches (0,01 % de la population) a été multiplié par sept. Les Américains étaient fiers de leur méritocratie : quiconque un tant soit peu malin pouvait aspirer à devenir riche à la sueur de son front. Ce n’est plus vrai, observe Ferguson. L’ascenseur social est bloqué pour la classe moyenne et les pauvres, chez lesquels les valeurs refuges qu’étaient la famille, le travail, la commu-nauté et la foi se sont effondrées. Au final, les thématiques des campagnes présidentielles amé-ricaine et française converge-ront-elles ?

Martine JacotLe Monde daté du 29.01.2012

Un groupe de médecins tente d’imiter les entrepreneurs « pigeons »

Pourquoi changer une méthode qui a fait ses preuves ? Quelques

chirurgiens tentent d’initier, sur Facebook, un mouvement de fronde similaire à celui des entrepreneurs « pigeons », qui a permis aux start-up d’être entendues du gouvernement.

Les #geonpi, comme ils se sont baptisés sur Twitter, ont su, en quelques jours grâce à la Toile – et d’excellents relais dans la presse économique –, obtenir des aménagements aux projets de Bercy. Une méthode de lobbying nouvelle, dont tentent de s’ins-pirer des chirurgiens esthétiques.

Opposition à la TVAC’est le docteur Philippe Letertre, chirurgien plasticien niçois officiant à la clinique Mozart, qui est à l’origine de ce mouvement. Jusqu’à main-tenant, les actes de médecine et de chirurgie esthétique bénéficiaient, comme les

autres actes médicaux, d’une exonération de TVA. Depuis le 30 septembre, dans le cadre du plan de rigueur adopté cet été, ils sont taxés au taux de TVA normal, à 19,6 %, sauf lorsqu’ils sont pris en charge au moins en partie par l’assurance-maladie. Dimanche 7 octobre,

POURQUOI CET ARTICLE ?La dureté de la crise économique réactive un concept hérité du XIXe siècle qu’on croyait dépassé. Aux États-Unis aussi, l’accroissement des inéga-lités intensifie les clivages sociaux et culturels.

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LES ARTICLES DU

Intégration, conflit, changement social

le Dr Letertre, familier des réseaux sociaux (il est pré-sent sur Twitter et propose des vidéos sur YouTube pour expliquer ses opérations), crée une page sur Facebook, « Les médecins ne sont pas des pigeons », qui reprend les codes des #geonpi, avec un pigeon stylisé levant les bras en signe de protestation, des images ou des textes qui se veulent humoristiques, paro-diant par exemple la série Bref. À la question de la TVA sur la chirurgie esthétique, le Dr Letertre et ses premiers soutiens ajoutent une reven-dication de revalorisation des secteurs 1 (conventionné) et 2 (non conventionné avec dépassements d’honoraires), ou sur la défense de la liberté d’installation des jeunes médecins. Mais rapidement, le débat porte aussi sur les dépassements d’honoraires, question centrale, puisque le gouvernement cherche à les limiter pour combler le déficit de la sécurité sociale, mais aussi la précarité des internes en médecine.À l’instar des #geonpi, qui avaient commencé en évo-quant, aux côtés des start-up, le cas des auto-entrepreneurs, les médecins agrègent donc des revendications très dif-férentes, la précarité des étu-diants en médecine côtoyant les craintes sur les revenus de chirurgiens ou de spécialistes en général très nettement plus aisés.

Le nombre de « fans » artificiellement gonfléDans la nuit, le chirurgien assure avoir reçu près de 3 500 inscrip-tions à sa page, venues notam-ment du forum de l’Union des chirurgiens de France (UCDF). « J’ai passé une nuit blanche à

accepter tout le monde », raconte-t-il au Quotidien du médecin. Jeudi 11 octobre en fin de matinée, celle-ci compte 26 691 membres, dont l’épouse du maire de Nice, Christian Estrosi. Pourtant, comme l’a noté le Huffington Post, la hausse des inscriptions est en partie explicable par des raisons techniques : le groupe des médecins « pigeons » est en effet « ouvert ». Ce qui signifie qu’un membre du groupe peut faire adhérer, sans leur consente-ment, tous ses amis à ce groupe. Il suffit d’ailleurs de se rendre sur la page qui recense les membres du groupe pour observer le phé-nomène : la plupart des membres sont « ajoutés par » un autre ou répondent à une invitation. Un « détail » qu’ont ignoré la plupart des médias qui ont relayé l’infor-mation, et évoqué une croissance exponentielle du nombre de par-ticipants. Depuis, le groupe a créé une page « fan », qui fonctionne selon un principe différent (on ne peut pas faire adhérer ses amis). Et le nombre de mentions « J’aime » est de 4 509 jeudi. Une tout autre échelle.

Le gouvernement joue la fermetéSi le gouvernement a été surpris par le mouvement #geonpi et les échos favorables qu’il a ren-contrés à l’international et dans une partie des médias, la grogne des médecins était attendue.« Je ne suis pas certaine que ce mouvement, qui est parti d’une volonté de défense de certains chirurgiens esthétiques soit très représentatif de la majorité du milieu médical », jugeait mercredi la ministre de la santé, Marisol Touraine, rail-lant ce « concours de plumage et de ramage » qui, selon elle, « ne risque pas de séduire les Français ».

La négociation sur les dépassements d’honoraires en toile de fondLe mouvement a le soutien de deux organisations représen-tatives des médecins : l’Union des chirurgiens de France et le syndicat des médecins libéraux. Mais il intervient à un moment que d’autres acteurs jugent critique : la négociation entre syndicats, complémentaires santé et assurance-maladie autour de la question des dépas-sements d’honoraires et de leur limitation. Le gouvernement a fait savoir qu’en cas d’échec des négociations, il aurait recours à la loi pour limiter ces dépasse-ments d’honoraires. Selon les chiffres de l’assurance-maladie, ils ont atteint, en 2011, 2,4 mil-liards d’euros, un niveau sans précédent. Parmi les professions les plus coutumières de cette pratique, les chirurgiens. En 2011, selon l’inspection générale des affaires sociales, ils étaient 86 % à exiger de leurs patients plus que les tarifs conventionnés. Le niveau moyen du dépassement était de 56 % par rapport aux barèmes de la Sécurité sociale.

L’unanimité n’est pas de miseFace à ces chiffres et alors que le déficit de la sécurité sociale atteint 11,4 milliards d’euros, le mouvement a du mal à séduire au-delà des milieux médicaux. Dans les commentaires de la page Facebook, médecins,

internes, chirurgiens, dénoncent et s’agacent : « la médecine low cost, c’est maintenant », estime l’un. « Il n’y aura pas de méde-cine plus low cost que mainte-nant ! Il n’y aura plus de méde-cine privée du tout dans 5 ans si cela continue », répond un autre. « Que les internes fassent grève », demande un troisième. Pourtant, l’unanimité n’est pas de mise dans les commentaires, et plusieurs internautes, méde-cins ou non, critiquent le mou-vement : « Vous ne défendez que votre business, moi j’appelle pas ça de la médecine » ; « Personne ne vous a forcé à devenir médecin ! » ; « Si les rémunéra-tions importantes des médecins sont méritées, s’en plaindre est indécent ! Cette victimisation me dégoûte » ; « Quand on gagne dix fois le smic il vaut mieux faire profil bas ». Inévitablement, on glisse dans le politique, avec par-fois des dérapages. Un militant UMP s’en mêle, et explique à un internaute critique : « les impôts payés sur les 12 000 [euros men-suel d’un médecin que ce dernier citait] paient ton RSA, donc un peu de respect… certains KSOS [cas sociaux] ne devraient pas avoir droit de s’exprimer… Je te souhaite une bonne grippe cet hiver ! »Certains tentent de ménager les susceptibilités. « Personne n’a dit que les médecins étaient fauchés. De manière absolue oui ils gagnent raisonnable-ment leur vie, mais tu vois le volume horaire que ça repré-sente pour gagner ça ? Aux 35 heures, un médecin gagne-rait 2 200 euros par mois », tente de convaincre un médecin. En 2012, le salaire médian des Français était, selon l’Insee, de 1 653 euros net.

Samuel LaurentLe Monde daté du 11.10.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

Une nouvelle forme d’action col-lective et de revendications uti-lisent les réseaux sociaux pour des actions de lobbying en direc-tion des médias et de l’opinion publique. Une stratégie qui ne fait pas l’unanimité.

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L’ESSENTIEL DU COURS

Justice sociale et inégalités

NOTIONS CLÉSCSG

La contribution sociale générali-sée est un impôt, créé en 1990, qui touche la presque totalité des revenus (salaires, revenus des indépendants, retraites, reve-nus du patrimoine, etc.) et sert à financer une grande partie de la protection sociale. Son taux est variable selon les catégories de revenus.

DISCRIMINATION POSITIVE

Il s’agit d’une politique qui cherche à lutter contre les inégalités sociales en aidant, de manière sélective, les personnes les plus défavorisées. Tel est le but poursuivi, par exemple, par la loi contraignant les partis poli-tiques à intégrer des femmes sur les listes de candidatures (loi sur la parité politique).

ÉGALITARISMECe terme à connotation souvent négative désigne la recherche absolue de l’égalité éventuelle-ment au détriment de la liberté individuelle. Pour Tocqueville, l’égalitarisme est un danger pour la démocratie.

FISCALITÉ PROGRESSIVE/DÉGRESSIVE

La fiscalité est l’ensemble des régle-mentations relatives aux impôts et taxes et à leur mode de perception. Elle est progressive quand son taux s’élève lorsqu’on monte dans la hiérarchie des revenus ou des patrimoines (impôt sur le revenu). À l’inverse, elle est dégressive si, en termes relatifs, elle pèse plus sur les plus bas revenus que sur les revenus élevés (cas de la redevance audiovisuelle ou de la TVA).

MINIMA SOCIAUXCe sont les prestations sociales versées, au titre de la solidarité collective, aux personnes ne dispo-sant pas de revenus propres ou disposant de revenus trop faibles (RMI devenu RSA, allocation de solidarité aux personnes âgées (ancien « minimum vieillesse »), allocation de parent isolé, alloca-tions aux adultes handicapés…).

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?

La question de la contribution de l’État à la justice sociale exige de définir les critères du juste et de l’injuste. Ces cri-tères varient selon les écoles de pensée et selon la position de

chacun dans l’espace social. La justice sociale est liée au principe d’égalité : l’État dispose, pour réduire les inégalités, d’outils répon-dant à des logiques diverses. Une politique de redistribution n’a-t-elle pas cependant des limites ?

Des divergences théoriques sur la justice socialeLes positions idéologiques sur le thème de la justice sociale sont diverses. A. de Tocqueville, au XIXe siècle met l’accent sur « l’égalité des condi-tions », qui assure à chaque citoyen, dans une démocratie, une égale chance d’accès aux positions sociales. L’idéologie républicaine a repris cette vision à travers le principe méritocratique : le destin social de chacun est déterminé par les efforts qu’il accomplit, par son mérite. Il existe donc des « inégalités justes ».Le philosophe J. Rawls développe le concept « d’équité ». Face aux obstacles à l’égalité des chances (discriminations sexistes, ethniques, sociales…), il préconise des mesures de « discrimination positive », des avantages sélectifs aux défavorisés pour corriger les handicaps de départ.À l’opposé de ces courants, l’ultralibéral F. von Hayek réfute l’idée même d’une justice sociale volontariste, découlant de l’action de l’État, qui irait à l’encontre de l’ordre naturel des choses, à savoir les inégalités inévitables. Pour Hayek, remettre en cause cet ordre spontané serait liberticide et illégitime. La recherche de la justice sociale est pour lui un « mirage ».

Réduire les inégalités : quels outils ?L’État dispose de trois grands outils pour réduire les inégalités économiques, sociales et culturelles : les prélèvements obligatoires, les prestations sociales et les services publics.Impôts et cotisations sociales constituent les prélè-vements obligatoires : pour réduire les inégalités

monétaires, ces prélèvements doivent être progressifs, c’est-à-dire que le taux de prélèvement augmente quand on monte dans l’échelle des revenus (cas de l’impôt sur le revenu en France). Un prélèvement proportionnel, en revanche, ne modifie pas les écarts de revenus (TVA identique pour tous les consommateurs, ou CSG, contribution sociale généralisée, à taux non progressif). Il est difficile de dresser un bilan global du caractère redistributif du système fiscal : la plupart des études concluent à une progressivité modérée qui devient quasi nulle tout en haut de l’échelle des revenus.

Liberté, Égalité, Fraternité : dans la devise même de la France, on retrouve la vocation de l’État à réduire les inégalités.

Les prestations sociales sont un autre outil de redis-tribution. Elles couvrent les grands « risques sociaux » (maladie, vieillesse, chômage, handicap, charges fami-liales). Elles ont un effet redistributif plus fort quand elles sont versées « sous condition de ressources » : aide ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

Justice sociale et inégalités

REPÈRESTrois hommes, trois visions de la justice sociale et de l’égalité

ALEXIS DE TOCQUEVILLEDans De la démocratie en Amérique (1835 et 1840), cet aris-tocrate français (1805-1859) définit l’égalité des conditions comme le véritable critère de la démocratie. Cette égalité de droits politiques et sociaux n’est pas contradictoire avec les inégalités de richesse. Celles-ci ne doivent pas empêcher l’égalité des chances et la mobilité sociale. Il considère cependant que la passion égalitaire peut conduire à la tyrannie de la majorité (mépris des opinions minoritaires) et au despotisme démocratique (citoyens passifs se désintéressant des affaires publiques).

FRIEDRICH VON HAYEKCet économiste autrichien ultra-libéral (1899-1992), Prix Nobel d‘économie 1974, refuse, dans La Route de la servitude (1944), le concept même de justice sociale en considérant que les inégalités entre les hommes sont le résultat normal des différences naturelles de talents, de compétences et d’efforts. Il lui semble illégitime de modifier l’ordre naturel des choses par une action volonta-riste de l’État. La distribution des richesses doit donc être laissée aux mécanismes du marché, permettant d’atteindre un ordre spontané.

JOHN RAWLSCe philosophe américain (1921-2002), auteur de Théorie de la justice (1971), cherche à réconci-lier les notions de liberté indivi-duelle et de solidarité collective à travers le concept d’équité. Il développe l’idée que les inéga-lités économiques et sociales sont justifiables sous deux condi-tions : elles apparaissent dans un contexte de stricte égalité des chances pour tous et doivent se traduire par des effets favo-rables pour les citoyens les plus défavorisés, c’est-à-dire avoir des effets dynamiques sur le bien-être collectif.

au logement, RSA (revenu de solidarité active) ou allo-cation de rentrée scolaire. D’autres sont versées quel que soit le revenu du ménage (allocations familiales) et leur effet redistributif est moindre. Cependant, on peut considérer que l’effet redistributif global des prestations sociales est important : combinées aux effets de la fiscalité, elles réduiraient de 7 à 4 environ l’écart de niveau de vie entre les 20 % de Français les plus pauvres et les 20 % les plus riches.L’impact des services publics gratuits (ou à un prix inférieur à leur coût de production) sur la justice sociale est indéniable. Certaines administrations publiques (notamment l’Éducation nationale) per-mettent l’accès des classes populaires à des services qui leur seraient inaccessibles s’il s’agissait de services marchands. Il y a donc bien redistribution « en nature », puisque ces services sont financés par les impôts. La même analyse vaut, avec des nuances, pour l’accès à la santé ou à la justice. Mais un bilan totalement objectif devrait prendre en compte la durée et l’efficacité de l’usage de ces services publics : la durée de scolarisation et le profit tiré du service public d’éducation sous forme de diplômes sont variables selon les milieux sociaux. De même, les consommations culturelles subventionnées sur fonds publics (théâtres, bibliothèques…) ne profitent pas également à tous.

La logique de la protection sociale : assurance ou assistance ?Les systèmes de protection sociale des grands pays développés sont loin d’être homogènes et d’assurer le même degré de « sécurité sociale ». On distingue trois grands systèmes :– le système « résiduel » ou libéral (États-Unis, Canada) fondé sur le libre choix (non obligatoire) d’une couverture des risques par des contrats privés, l’État n’assurant une protection minimale que pour les risques les plus graves ;– le système « corporatiste » fondé sur des coti-sations sociales liées à l’emploi. Le travail sert de porte d’entrée dans la protection, dans une logique « assurancielle » (système apparu en Allemagne à la fin du XIXe siècle, parfois qualifié de « bismarckien »)– le système « universaliste » (ou « beveridgien », du nom du britannique Lord Beveridge), couvrant toute la population contre les risques sociaux, sans obliga-tion de cotisation préalable. Financé par l’impôt, il attribue des prestations identiques à tous.Après 1945, la protection sociale française s’est bâtie sur la logique assurancielle. Cette logique, adaptée

aux périodes de croissance et de plein-emploi, a été confrontée, à partir des années 1970, à la montée du chômage privant de protection ceux qui n’accèdent plus à l’emploi. La logique « universaliste » est venue compléter le dispositif, avec le RMI (devenu depuis le RSA), la couverture maladie universelle (CMU), la refonte du minimum vieillesse et l’allocation de parent isolé.

Medicare, système d’assurance-santé géré par le gouvernement des États-Unis, au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.

La question des discriminationsLa discrimination qui frappe certaines catégories de citoyens peut concerner les caractéristiques du genre, de l’origine ethnique, du handicap, de l’origine sociale, de l’orientation sexuelle… Malgré la loi, les pratiques discriminatoires concernent encore de nombreux domaines : accès à l’emploi, accès au logement, accès à certains lieux, etc.L’État a renforcé la législation contre ces pratiques mais a aussi favorisé la « discrimination positive » : filières réservées d’accès aux études supérieures pour les élèves des « banlieues », supplément de moyens en zone d’éducation prioritaire ou loi sur la parité hommes/femmes aux élections.Le consensus sur la redistribution des richesses s’est effrité sous l’effet de trois facteurs : la mise en cause de son efficacité, les limites de son financement et la contestation de sa légitimité. La protection sociale met en jeu des sommes considérables mais se révèle impuissante à faire reculer la pauvreté. Le déficit du système a conduit à des réformes insuffisantes face au vieillissement de la population et à la stagnation éco-nomique. Enfin, la légitimité même de la protection collective est confrontée à la montée de l’individua-lisme.

UN ARTICLE DU MONDE À CONSULTER

• Thomas Piketty – « La démocratie jusqu’au bout » p. 77-78

(Propos recueillis par Jean Birnbaum, Le Monde daté du 12.07.2014)

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UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe sujet demande des connaissances précises sur les mécanismes de la redistribution (fiscalité, pres-tations sociales…). Au-delà de cet aspect technique, il exige également une réflexion sur les évolutions idéologiques qui expliquent en partie les résultats incertains de l’action publique contre les inégalités.

La problématiqueL’État dispose d’une large panoplie d’instruments lui permettant d’agir pour réduire les inégalités de natures diverses. Mais son action dans ce domaine se heurte à des obstacles économiques, culturels et poli-tiques, ce qui explique que les résultats apparaissent souvent décevants.

IntroductionDans la plupart des pays démocratiques, les États interviennent, avec des intensités diverses, pour tenter de réduire les inégalités, qu’elles soient de nature économique, sociale ou culturelle, qui se créent spon-tanément entre les composantes du corps social. Cette action de réduction des inégalités mobilise des moyens divers, qui vont de la fiscalité et à la discrimination

positive, en passant par les mécanismes de la redis-tribution. Mais ces actions rencontrent des limites qui sont à la fois financières, mais aussi culturelles et politiques, ce qui pèse fortement sur leur efficacité.

Le plan détaillé du développementI. Les instruments de l’action publique contre les inégalitésa) L’arme fiscaleb) La redistribution par la protection socialec) La fourniture de services collectifs gratuitsd) Les politiques de discrimination positive

II. Les limites des politiques de réduction des inégalitésa) Des inégalités toujours fortesb) Une redistribution en partie neutraliséec) Des inégalités culturelles déterminantesd) L’obstacle du verrou idéologique

Ce qu’il ne faut pas faire• Être imprécis dans la description de la panoplie

des instruments permettant à l’État d’agir sur les inégalités.

• Minimiser le rôle des inégalités culturelles et la difficulté qu’il y a à les réduire.

ConclusionLa question de l’efficacité de l’action publique contre les inégalités, après avoir été au cœur des débats politiques dans les périodes de croissance dynamique, semble aujourd’hui un peu en sommeil. Cette relative indifférence à l’égard des conditions économiques et sociales de la vie collective est une des conséquences du repli individualiste que les difficultés économiques ont engendré dans le corps social. Elle est aussi la conséquence d’une transformation de l’éthique collec-tive de nos sociétés à l’égard de l’argent, désormais érigé en étalon suprême de la valeur de chacun, au détriment des enjeux du « vivre ensemble », remisés aujourd’hui à l’arrière-plan de l’action politique.

CMU (COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE)

La couverture maladie universelle est un dispositif d’accès aux soins de santé pour les personnes rési-dant de manière stable en France, lorsqu’elles n’ont pas droit à l’assu-rance-maladie à un autre titre. La CMU a été créée en 2000.

ÉTAT-PROVIDENCESelon la conception de l’État-providence (en anglais Welfare State) − conception qui s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale −, l’État doit jouer un rôle actif dans le domaine écono-mique et en particulier dans le domaine social (l’État-providence est souvent assimilé au système de protection sociale). L’État-providence trouve sa justification notamment dans la théorie keyné-sienne. Un État qui mène une poli-tique sociale active (recherche du plein-emploi, renforcement des systèmes de protection sociale et d’éducation) participe au soutien de la demande et à l’entretien de la force de travail, tout en répondant aux besoins sociaux.

ÉTAT-GENDARMEConception minimaliste du rôle de l’État, opposée à la concep-tion de l’État-providence. Pour les partisans de l’État-gendarme, celui-ci doit se borner à exercer ses fonctions « régaliennes », c’est-à-dire la protection de la nation contre les agressions extérieures (défense nationale), la garantie de l’ordre intérieur (police, justice) et la prise en charge des infrastructures collec-tives (routes, voies navigables, bâtiments administratifs…).

MODÈLE BEVERIDGIEN/BISMARCKIEN

Le modèle bismarckien (ou corpo-ratiste) repose sur l’assurance obligatoire (par une cotisation) des salariés contre les risques sociaux. Il lie donc les droits à prestations au statut professionnel. Le modèle beveridgien se veut universel et lie donc les droits à la condition de citoyen, en finançant les presta-tions par l’impôt.

Dissertation : Quelles sont les limites de l’action publique en France dans la lutte contre les inégalités ?

MOTS CLÉS

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– Comment peut-on réduire les inégalités face à l’école ?– L’égalité entre les hommes et les femmes ne peut-elle progresser que par l’action de l’État ?– Les pouvoirs publics doivent-ils chercher à réduire toutes les inégalités ?

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L’ARTICLE DU

Dans votre livre, vous citez Condorcet et son «  Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain  » (1794), emblématique d’un cer-tain optimisme des Lumières, qui structure encore largement notre imaginaire politique. Or la discordance que vous constatez au XXe  siècle entre, d’un côté, les progrès réalisés sur le plan démocratique et, de l’autre, l’accroissement des iné-galités sociales, dynamite cette vieille conception du progrès…Je suis très marqué par le débat français sur l’égalité. Une partie des élites de la IIIe  République, vers 1900-1910, affirme que, la Révolution étant accomplie, la France n’a pas besoin de l’impôt progressif sur les revenus et les successions  ; les sociétés aristocratiques, britannique notamment, en auraient bien besoin, mais pas la France, qui a réalisé, elle, l’égalité juridique… Or cet espoir dans le fait qu’une égalité des droits formels allait suffire à produire une société plus juste a été en partie une supercherie. Et c’est uniquement pour financer la guerre, avec la loi du 15 juillet 1914, qu’on a créé l’impôt progressif.On dit que la France est pion-nière pour l’égalité, mais en réalité, elle est l’un des derniers pays à avoir créé cet impôt. Et ce, justement, à cause d’une certaine foi dans le progrès

spontané, naturel… Dans ces conditions, le mot républicain lui-même légitime les inégalités les plus extrêmes, et d’investir par exemple trois fois plus de ressources publiques dans les filières élitistes qu’à l’université.La conclusion que j’en tire, ce n’est pas que le progrès est impossible, mais qu’il faut repenser les institutions de politique publique dans toute une série de domaines (fiscalité, transparence, éducation…). Pour que la République soit sociale, une vraie démocratisation de l’économie et l’accès au savoir s’impose. Il faut plus que la Révolution française et l’égalité formelle pour que le progrès se réalise.

Longtemps, la gauche a nourri l’espoir d’un progrès en ligne droite, qui prendrait la forme d’une «  marche  » triomphale vers la justice. Les désastres du XXe  siècle l’ont obligée à envisager le progrès comme quelque chose de moins linéaire, et ceux qui se battent pour l’émancipation sociale se

sont mis à « brosser l’histoire à rebrousse-poil », comme disait le philosophe Walter Benjamin. Votre essai ne s’inscrit-il pas dans cette même remise en question ?Je me considère plus comme un chercheur en sciences sociales que comme un économiste. En tant que tel, je suis porteur d’un certain optimisme, je crois à une délibération démocratique qui permet de compléter, assez radicalement parfois, l’Etat de droit. J’ai cet élément d’espoir dans mon activité, mais en même temps j’ai eu l’occasion d’observer qu’au XXe  siècle, les institutions progressistes n’ont pas été le produit d’un long fleuve tranquille.Ainsi, ce sont les guerres mondiales et la menace de la révolution bolchevique qui ont poussé les élites, notam-ment en France, à changer leur vue. Le Bloc national, une des chambres les plus à droite qui aient existé, vote en 1920 l’impôt sur le revenu à 60  % alors qu’il le refusait quelques années plus tôt à 2  %  : il était

alors considéré comme spolia-teur  ! Donc, effectivement, la réalité des rapports de force fait que l’histoire est faite de ruses. Mais remettre en perspective ces retournements passés permet d’appréhender la suite d’une manière plus informée. En par-ticulier, je tente de lutter contre une nationalisation excessive du débat : beaucoup d’identités nationales se jouent autour d’histoires concernant l’argent, le revenu, le patrimoine… Et beaucoup des chocs historiques que l’on observe sont aussi des réponses à la manière dont les pays se perçoivent eux-mêmes, racontent leur propre histoire par rapport aux autres.Je pense qu’il est possible de dépasser ces mécanismes natio-naux, pour apprendre davantage des autres.

Précisément, vous évoquez sou-vent votre expérience et vos recherches aux Etats-Unis. La lutte contre les inégalités et, plus largement, l’espérance de progrès ne sont pas toujours envisagées de la même manière de part et d’autre de l’Atlan-tique. Comment décririez-vous cette différence de vue ?On l’a oublié depuis les années Reagan, mais pendant long-temps les Etats-Unis étaient plus égalitaires que la vieille Europe. Jusqu’à l’entre-deux-guerres, la concentration du capital y

POURQUOI CET ARTICLE ?

Le livre de Thomas Piketty a eu un retentissement international étonnant. Son analyse de l’évo-lution des inégalités sociales débouche sur une conclusion un

peu amère  : ces inégalités n’ont pas une tendance «  naturelle  » à diminuer. Pour les réduire, il faut aller vers une véritable «  démo-cratisation de l’économie ».

Thomas Piketty « La démocratie jusqu’au bout »Economiste et chercheur en sciences sociales, Thomas Piketty est le lauréat du prix Pétrarque de l’essai France Culture-Le Monde 2014 pour son livre « Le Capital au XXIe siècle » (Seuil). Ce prix récompense un essai qui éclaire les enjeux démocratiques contemporains. Entretien.

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L’ARTICLE DU

est plus faible. Et c’est parce que les Américains ont peur de se rapprocher des niveaux d’inégalités européens qu’ils inventent l’impôt progressif sur le revenu et les successions. De 1930 à 1980, le taux supérieur de l’impôt fédéral sur le revenu est de 80 %, ce à quoi il faut ajouter les impôts des Etats. Ces niveaux d’imposition s’appliquent pen-dant un demi-siècle, visiblement sans tuer le capitalisme améri-cain… Et s’il y a un basculement sous les années Reagan, c’est à cause de la peur d’un rattrapage des pays ruinés par la seconde guerre mondiale, l’Allemagne et le Japon. Reagan utilise cette peur pour prôner un retour à un capitalisme débridé. Quant à l’idée américaine du progrès, elle est le fruit d’une histoire propre, avec cette particularité d’un pays en croissance perpé-tuelle, et dont la population ne cesse d’augmenter.Ils étaient 3  millions lors de la déclaration d’indépendance, ils sont plus de 300  millions aujourd’hui  ; par comparaison, les Français étaient presque 30 millions lors de la Révolution française, ils sont maintenant 66 millions. En France, donc, les patrimoines hérités sont forcé-ment plus importants que dans un pays qui n’a pas d’histoire et où la population a été multipliée non par deux mais par cent durant la même période. Aux Etats-Unis, le sentiment de progrès se nourrit donc d’abord de cette réalité : l’extension indéfinie, qui conduit à une certaine tolérance aux inégalités, parfois difficile à comprendre pour nous, mais qui s’explique par le fait qu’une partie importante des 50  % qui sont placés le plus bas sur l’échelle de répartition des revenus ne sont

pas nés aux Etats-Unis. Mais ce mécanisme a ses limites et suscite ses tensions propres.Vous affirmez qu’il n’y a pas de fatalité, que la démocratie sociale peut se bâtir en créant un rapport de force politique. Pourtant, certains chercheurs ou militants vous font reproche de ne pas proposer une arti-culation entre vos idées et les mobilisations sociales qui pourraient les porter.J’essaye de mettre en cohérence une recherche savante avec un engagement public. Pour cela, il faut prendre des risques, s’engager sur des conclusions possibles. De ce point de vue, je crois dans le pouvoir des idées, je crois dans le pouvoir des livres. Toutes les manifestations d’opi-nion et de savoir sont des élé-ments de mobilisation sociale, économique et politique. Pour moi, le rapport de force est aussi politique et intellectuel.Les représentations qu’on se fait ont une influence sur les choses. Je tente d’écrire cette histoire politique de l’inégalité au XXe siècle. Mon travail est de mettre un livre à la disposition de chacun. Je ne dis peut-être pas assez comment des nou-velles formes de mobilisation peuvent s’en saisir, mais je souhaite que chacun s’en sai-sisse. Je suis convaincu que des outils analytiques et concep-tuels élaborés pour analyser les inégalités peuvent avoir une répercussion politique. On n’écrit pas un livre pour les gens qui nous gouvernent : de toutes les manières, ils ne lisent pas de livres. On écrit des livres pour tous les gens qui en lisent, à commencer par les citoyens, les acteurs syndicaux, les militants politiques de toutes tendances.

Votre livre se joue des fron-tières. Entre économie et sciences sociales, mais aussi entre sciences sociales et lit-térature. Selon vous, qui veut éclairer le destin des inégalités doit faire appel aux écrivains. Pourquoi ?Je fais jouer à la littérature le rôle qu’elle a joué dans mon propre questionnement sur les inégalités. Et c’est un rôle essentiel. Poser la question des inégalités, c’est poser celle des relations de pouvoir entre les groupes sociaux, et donc celle de nos représentations collec-tives. Notamment aux XVIIIe et XIXe  siècles, car c’est une période où l’absence d’inflation fait que les montants moné-taires ont un sens : à l’époque, on peut évoquer l’argent sans ennuyer le lecteur parce qu’il renvoie à des styles de vie et des rapports de domination très déterminés. Si Balzac dit 1  000  livres de rente, et pas 10  000  livres, on comprend d’emblée le type de vie que cela implique, avec qui il est possible de parler, de se marier, c’est toute la vie qui défile…Je n’aurais jamais représenté l’inégalité comme je le fais sans la lecture de Balzac. Il y a là, dans la littérature, une puissance évocatrice qu’aucun chercheur en sciences sociales ne peut approcher. Les cher-cheurs font autre chose, qui peut aussi être utile, mais sans atteindre cette vérité, cette puissance. Mettre des concepts théoriques et des construc-tions statistiques là-dessus, ce n’est jamais qu’un pauvre résumé, et en même temps, cette médiocre production sta-tistique est importante pour la régulation démocratique de

nos sociétés, pour lutter contre les inégalités.Mon travail de chercheur est un travail de tâcheron  : je collecte des données, des sources, des archives. Il n’y a pas besoin de talent littéraire pour ça  ; la seule chose qu’il faut, c’est du temps et un peu de détermination.A des jeunes qui s’adresse-raient à vous en reprenant, à propos du progrès, la vieille question kantienne  : «  Que nous est-il permis d’es-pérer  ?  », quelle serait votre réponse ?Je répondrais qu’il est possible de développer une vision opti-miste et raisonnée du progrès. Pour cela, il faut miser sur la démocratie jusqu’au bout. Il faut s’habituer à vivre avec une croissance faible, et sortir des illusions héritées des «  trente glorieuses  », où la croissance allait tout régler. La réflexion sur les formes concrètes de la démocratisation de l’éco-nomie et de la politique, sur la façon dont la démocratie peut reprendre le contrôle du capi-talisme, cette réflexion ne fait que commencer. Il est urgent de développer des institutions réellement démocratiques, au niveau européen comme local, avec de nouveaux modes de participation collective aux décisions et de réappropriation de l’économie.Ce n’est pas parce que le XXe siècle a été marqué par des chocs violents et des échecs terribles qu’il ne faut pas reprendre cette page, presque blanche, du progrès.

Propos recueillis par Jean Birnbaum

Le Monde daté du 12.07.2014

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L’ESSENTIEL DU COURS

Travail, emploi, chômage

NOTIONS CLÉSCONTRAT DE TRAVAIL

Accord par lequel un salarié offre ses services à un employeur en contrepartie d’un salaire. La convention peut prévoir le détail des conditions de travail ou se réfé-rer aux conventions collectives en vigueur.

CONVENTION COLLECTIVE

Ensemble de règles contractuelles négociées par les organisations patronales et syndicales prévoyant des conditions spécifiques d’emploi dans une branche ou une entre-prise (embauche, grille de salaires, congés, etc.).Le texte doit respecter les minima prévus par la loi.

COÛT SALARIALIl s’agit du total des dépenses payées par l’employeur en contre-partie de l’emploi d’un salarié. Il inclut la rémunération directe (salaire brut + congés payés + primes éventuelles) et les coti-sations sociales patronales. Ce qui compte, sur le plan économique, c’est le coût salarial unitaire (par unité de produit). Un salarié mieux payé mais plus productif peut, en réalité, coûter moins cher.

EMPLOIS PRÉCAIRESCe sont les emplois qui comportent un élément d’instabilité du contrat de travail : ils correspondent aux contrats à durée déterminée (CDD), à l’apprentissage, aux stages, aux missions d’intérim et au temps partiel imposé.

MARCHÉ INTERNE/ MARCHÉ EXTERNE

Segmentation opérée par les entre-prises entre leurs embauches « en interne » par promotion et le recours à des embauches extérieures.

MISSION D’INTÉRIMContrat triangulaire entre un salarié, une entreprise de recrute-ment et l’entreprise dans laquelle le salarié effectue des missions de durée variable (entre 1 jour au minimum et 18 mois au maxi-mum). Le contrat juridique de travail lie le salarié et l’entreprise de recrutement.

Comment s’articulent marché du travail et gestion de l’emploi ?

Le travail est un facteur de production spécifique, qu’on ne peut donc analyser de manière mécanique, comme une marchandise ordinaire. La réalité des systèmes d’em-

plois infirme l’idée, défendue par l’analyse néo-classique, d’un marché du travail homogène et déconnecté du contexte social et politique.

L’analyse néoclassique du marché du travailCette analyse postule que le travail obéit aux mêmes règles d’échange que les autres biens : il fait l’objet d’une offre et d’une demande, et c’est la rencontre de ces deux entités qui en fixe le prix. L’offre de travail émane de la population active, et elle fait l’objet, de la part de l’offreur (le travailleur), d’un arbitrage entre la désutilité du travail (privation de loisir) et son utilité (le gain monétaire salarial). La courbe d’offre du travail est donc une fonction croissante du taux de salaire.La demande de travail émane des entreprises et fait également l’objet d’un arbitrage : pour que le chef d’entreprise embauche un salarié supplé-mentaire, il faut que la productivité marginale de ce salarié (ce qu’il apporte de production supplémentaire) ait une valeur au moins égale au salaire qu’on lui verse. En deçà de cette limite, il ne sera pas embauché puisqu’il coûtera plus cher qu’il ne rapporte : la courbe de demande de travail est une fonction inverse du taux de salaire.

Taux de salaire réel

Quantité de travail

Offre de travail

Demande de travail

Quantité d’équilibre

Salaired’équilibre

L’analyse néoclassique raisonne sur le « taux de salaire réel », c’est-à-dire le salaire à prix constants qui s’obtient en corrigeant le salaire nominal de la hausse des prix et qui est donc un indicateur du pouvoir d’achat. Le coût du travail

que le chef d’entreprise prend en compte est le coût salarial unitaire, c’est-à-dire l’ensemble du coût du travail (salaire direct + charges sociales) par unité produite. Cela suppose donc que soit pris en compte le niveau de la productivité du travail.Enfin, cette théorie suppose que le marché du travail fonctionne en situation de « concurrence pure et parfaite » et qu’il s’auto-équilibre. Si un déséquilibre se manifeste durablement sur le marché du travail, par exemple un chômage persistant, cela ne peut s’expliquer que par l’exis-tence de « rigidités » (par exemple l’existence d’un salaire minimum ou d’une indemnisation du chômage, ou encore des freins au licencie-ment) qui empêchent la baisse des salaires et le retour à l’équilibre de l’offre et de la demande.

La critique du modèle néoclassiqueL’observation du fonctionnement réel du marché du travail dans les sociétés contemporaines remet en cause la théorie néoclassique. L’hypothèse la plus irréaliste est celle de l’unicité et de l’homogénéité du marché du travail. Celui-ci est segmenté et marqué par une forte hétérogénéité. La gestion des emplois dans une entreprise se réalise, par exemple, à travers des grilles de qualifications multiples, en puisant à la fois dans les salariés déjà embauchés (marché interne) et dans le marché externe. Le marché du travail est d’autre part segmenté par la nature des contrats de travail (marché primaire de l’emploi stable en CDI, marché secondaire de l’emploi atypique en CDD, intérim, stages, etc.).L’hypothèse d’atomicité est, elle aussi, invalidée du fait de l’existence des syndicats fédérant les revendications, mais aussi en raison de la présence fréquente d’un employeur principal assurant l’essentiel des embauches. ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

Travail, emploi, chômage

ZOOM SUR…Une politique novatrice : la « flexicurité » danoiseDepuis le milieu des années 1990, le Danemark a réformé en profondeur le mode de fonction-nement de son marché du travail en tentant de rendre compa-tibles l’exigence économique de flexibilité des procédures d’embauche, de licenciement et de mobilité des salariés et la nécessité sociale de garan-tir la stabilité des revenus des ménages et la sécurisation des carrières professionnelles, en évitant les dégâts sociaux engen-drés par le développement du chômage et de la précarité. Le premier élément de cette poli-tique concerne la souplesse du contrat de travail auquel l’entre-prise peut mettre un terme, si la conjoncture économique le rend nécessaire, sans subir de pénalisation et sans procédure administrative lourde (pas de justification à fournir, pas d’indemnités de licenciement à verser, pas de préavis, etc.). Mais cette souplesse est compensée, du point de vue du salarié, par une garantie de stabilité de son revenu, à la fois du point de vue du taux de remplacement du dernier salaire par les pres-tations chômage et par la dura-bilité du dispositif d’indemni-sation. Enfin, le système met en place un accompagnement des chômeurs, par une aide person-nalisée favorisant les parcours de réintégration dans l’emploi, et par des stages de formation professionnelle visant à préser-ver l’employabilité des salariés et à faciliter leur mobilité professionnelle et leur recon-version vers les secteurs ayant des besoins de main d’œuvre. Cependant, ces dernières années, les difficultés de financement de la protection sociale engen-drées par la persistance d’une croissance faible ont amené les pouvoirs publics à renforcer ce dernier volet de manière un peu plus contraignante (stages obligatoires), et à rendre moins généreux les régimes d’indem-nisation du chômage.

La mobilité du facteur travail est assez faible car les exigences de qualifications spécifiques limitent la capacité de reconversion professionnelle, mais aussi parce que des contraintes sociales et fami-liales freinent la mobilité géographique.Enfin, la fixation des salaires n’est pas le résultat d’une confrontation mécanique entre les quantités de travail offertes et demandées : les mécanismes complexes de la relation salariale tiennent compte de facteurs aussi divers que l’ancienneté du salarié, la pénibilité du poste, la place dans la hiérarchie de l’entreprise ou la volonté du chef d’entreprise de fidéliser ses salariés à travers la fixation d’un salaire d’efficience supérieur au salaire moyen du marché mais garantissant à l’entreprise la stabilité de sa main-d’œuvre et son engagement.

La relation salariale, une relation institutionnaliséeLa relation salariale n’est pas une simple relation d’échange d’une marchandise. Elle s’est construite historiquement à travers les conquêtes sociales et la négociation collective, en s’appuyant sur le rôle d’arbitre de l’État et en débouchant sur la notion essentielle du « contrat de travail ».La fixation du niveau des salaires n’est pas le résultat d’un processus individuel mais se déroule le plus souvent dans le cadre des conventions collectives de branches signées entre les repré-sentants des salariés et des employeurs. Ces conventions, fruits de rapports de force dans la négociation, prévoient le plus souvent des condi-tions minimales de rémunération, des grilles de qualification et de salaires et des normes d’emploi (durée du travail, congés, droit à la formation, conditions de travail, etc.). Ces textes doivent res-pecter les dispositions prévues par la loi et fixées par le pouvoir politique. Le rôle croissant joué par l’État dans l’organisation des relations sociales a conduit ce dernier, dans la plupart des pays développés, à fixer un seuil de salaire minimum (SMIC en France), et à déterminer ses modes de revalorisation. À l’évidence, ce salaire n’est pas le produit d’un arbitrage économique réalisé par le marché : c’est un arbitrage politique et social

assumé. Les auteurs néoclassiques rendent d’ail-leurs le salaire minimum responsable de la per-sistance du chômage puisqu’il se situe au-dessus du salaire équilibre et ne permet donc pas, selon eux, l’emploi de toute la main-d’œuvre disponible.

L’encadrement de la relation salariale par le pouvoir politique diffère selon les pays. Certains n’ont pas de salaire minimum, et leur marché du travail est caractérisé par une grande flexibilité. D’autres ont mis en place, face au chômage et à la précarité, des mécanismes qui combinent la souplesse dans l’embauche et les licenciements, une flexibilité du marché du travail, avec la garantie, pour les salariés, d’une sécurité des revenus et une réinsertion professionnelle faci-litée (exemple de la flexicurité au Danemark). Dans d’autres pays, les pouvoirs publics ont agi sur la durée du travail (la France avec les 35 heures, les Pays-Bas avec l’encouragement au temps partiel), le temps de travail étant évidem-ment une des dimensions de la relation salariale.La question de la relation salariale, point de focalisation majeure des conflits sociaux, est entrée peu à peu dans le champ de la négociation et de la coopération entre les partenaires sociaux. Certes, le conflit sur les salaires n’a pas disparu et l’intervention de l’État dans les pro-cédures de négociation n’efface pas les enjeux de rapport de forces qui sous-tendent la ques-tion salariale. Mais la présence d’un cadre insti-tutionnel modifie les stratégies des acteurs sociaux dans un sens qui, globalement, facilite le dialogue social.

TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Formation, flexisécurité et baisse du coût de la production p. 83

(Angèle Malâtre, directrice des études de l’Institut Montaigne, 17.01.2012)

• Les salariés précaires ont de plus en plus tendance à le rester p. 84

(Bertrand Bissuel, Le Monde daté du 17.09.2014)

• Les intermittents, ces êtres hyperflexibles p. 85

(Thomas Sotinel, Le Monde daté du 12.06.2014)

Taux de salaire réel

Quantité de travail

Offre de travail

Demande de travail

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Chômage

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UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe sujet relie les problèmes d’emploi des deux caté-gories extrêmes d’âge et semble les opposer. Une analyse fine montre que ce sont deux facettes d’un même état défaillant du marché du travail. L’analyse des conséquences de cette situation permet d’élargir le débat.

La problématiqueLes difficultés d’insertion des jeunes et de maintien des seniors dans l’emploi ne sont pas uniquement liées à la faiblesse de la croissance et des créations d’emplois. Ces deux groupes d’âge font l’objet de formes de discrimination qui fragilisent à la fois les systèmes des retraites et l’intégration sociale d’une part croissante des jeunes.

IntroductionDe nombreux pays sont confrontés au double défi de l’emploi des jeunes et de celui des seniors. La situation sur le marché du travail de ces deux groupes d’âge présente des spécificités, notamment de faibles taux d’emploi et un chômage élevé. Il importe donc de dresser le constat de cette situation pour en analyser les conséquences inquiétantes sur le plan économique et social.

Le plan détaillé du développementI. Le constat de la situation de l’emploi des jeunes et des seniorsa) Pour les jeunes, des conditions d’entrée sur le marché du travail souvent difficilesChômage et précarité liée aux défaillances de qualification.b) L’instabilité des fins de carrière, une situation fréquente pour de nombreux seniorsLes + de 55 ans, variable d’ajustement des effectifs.c) Deux situations pas nécessairement corréléesDes critères d’embauche différents.

II. Des conséquences économiques et sociales qui hypothèquent l’avenira) La question des systèmes de retraite et de la pro-longation de l’activité des seniorsL’enjeu de l’augmentation du taux d’emploi.b) Un affaiblissement du rôle intégrateur du travail pour les jeunes générationsDyssocialisation et anomie.

Ce qu’il ne faut pas faire• Opposer de manière simpliste les intérêts

des deux groupes d’âge.• Inversement, ne pas distinguer les problèmes

spécifiques de chaque groupe.

ConclusionLes problèmes d’emploi des seniors et des jeunes ne sont donc pas symétriques et ils engendrent des conséquences économiques et sociales différentes. Dans un contexte économique fragile, il est difficile d’instituer entre ces deux pôles un ordre de priorité. À long terme, il faut réinventer pour les seniors de nouvelles modalités de cessation de l’activité profes-sionnelle. Il semble cependant encore plus urgent de se donner les moyens d’améliorer l’accueil des jeunes dans la société du travail, faute de quoi celui-ci verrait son rôle intégrateur durablement remis en cause.

Les cinq formes de la flexibilité du travail

FLEXIBILITÉ QUANTITATIVE EXTERNE

Variation des effectifs en fonc-tion des commandes (recours à l’intérim ou aux CDD).

FLEXIBILITÉ QUANTITATIVE INTERNE

Modulation de la durée du tra-vail du personnel en fonction du niveau d’activité.

FLEXIBILITÉ FONCTIONNELLE

Utilisation de la polyvalence des salariés et de la souplesse de l’orga-nisation du travail.

FLEXIBILITÉ DES RÉMUNÉRATIONS

Fixations des salaires en fonction des performances individuelles et variation des rémunérations en fonction des résultats de l’entreprise.

FLEXIBILITÉ PAR EXTERNALISATION

Recours aux sous-traitants pour les tâches annexes, extérieures au « cœur de métier ».

NOTIONS CLÉSANNUALISATION DU TEMPS DE TRAVAIL

Mode de calcul de la durée du travail qui ne se réfère plus à la durée hebdomadaire mais à la durée annuelle. Elle permet d’adapter la durée du travail aux variations d’activité de l’entreprise.

NORMES D’EMPLOIRègles socialement admises concernant les modalités d’emploi des salariés (contrat de travail, durée du travail, niveau de salaire, protection sociale, etc.).

POLYVALENCECapacité d’un salarié à occuper plusieurs postes de travail, en adap-tant ses compétences à des tâches différentes en fonction des besoins de l’entreprise.

Dissertation : Quels sont les problèmes engendrés par la situation des jeunes et des seniors face à l’emploi ?

ZOOM SUR…

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– La flexibilité est-elle une solution face à la persistance du chômage ?– La relation salariale n’est-elle qu’une relation économique ?– Quel est le rôle du travail dans l’intégration sociale ?

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LES ARTICLES DU

83Travail, emploi, chômage

Formation, flexisécurité et baisse du coût de la production

Les exemples étrangers montrent que le chô-mage de masse n’est

pas une fatalité et qu’il est possible de concilier taux d’emploi élevé et cohésion sociale. Le marché de l’emploi français est confronté à un triple défi : la faible qualifica-tion d’une partie importante des actifs, une dualité qui oppose fortement insiders et outsiders, ainsi qu’un coût de la production trop élevé. Agir sur ces trois leviers ensemble permettrait d’inverser la ten-dance. La France affiche un taux de chômage structurel plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE. Près de 10 % de la population active est au chômage dans notre pays, soit plus de 4 millions de demandeurs d’emploi. Ce sont les moins de 25 ans et les seniors qui sont le plus touchés, la tranche des 25-55 ans concentrant 80 % des emplois. Cette situation pèse sur la croissance de notre pays comme sur sa cohésion sociale. La situation de l’em-ploi est avant tout corrélée à la santé économique de nos entreprises, particulièrement des TPE, PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). En effet, ni le secteur public dont les effectifs diminuent, ni les grandes entreprises dont la croissance s’effectue aujourd’hui largement à l’étranger, ne pourront créer massivement des emplois dans les années à venir.

La politique de l’emploi doit s’appuyer sur trois piliers pour inverser la courbe du chômage :– Assurer une formation de qualité tout au long de la vie. En effet, il paraît impos-sible de viser le plein-emploi si notre pays continue de cumuler le double handicap d’une formation initiale qui produit 20 % d’élèves sans qualification ni diplôme d’une part, et d’une formation professionnelle qui ne remplit pas ses objectifs d’autre part. La formation initiale doit être une priorité absolue et laisser une large place à l’alternance, premier pas vers l’insertion professionnelle. Malgré les 27 milliards d’euros qui y sont consacrés chaque année, la formation professionnelle bénéficie avant tout aux plus qualifiés, c’est-à-dire à ceux qui en ont le moins besoin. Elle doit être largement repensée pour cibler priori-tairement les demandeurs d’emplois et les salariés les plus précaires.– Assouplir le marché du travail pour garantir plus de mobi-lité. La France s’illustre par un marché du travail particu-lièrement rigide qui créé des effets de seuil sécurisant pour ceux qui sont du bon côté de la barrière (les salariés en CDI et les personnels statutaires de la fonction publique) et exclut ceux qui multiplient contrats courts et périodes d’inactivité. Le Danemark et le Canada, qui

affichent de meilleures perfor-mances en termes de chômage et de cohésion sociale ont des marchés de l’emploi beaucoup plus flexibles et compétitifs que le nôtre. Pour réduire la dualité du marché du travail, les contrats courts devraient être supprimés au profit d’un contrat à durée indéterminée pour tous favori-sant la mobilité et sécurisant les parcours individuels.– Diminuer le coût de la pro-duction. À rebours du mou-vement observé au sein de l’OCDE, la France a multiplié les prélèvements sur la masse salariale qui ont augmenté de 50 % entre 1980 et 2010. Elle fait également peser de nombreuses taxes et impôts sur l’activité des entreprises, représentant un coût important et un facteur de complexité parfois découra-geant. Les pays les plus redistri-butifs que sont les pays scandi-naves imposent beaucoup plus lourdement la consommation que ne le fait la France. Un trans-fert vers la consommation des charges pesant sur le travail, notamment des cotisations maladie et famille qui ont un caractère universel et ont peu de lien avec l’emploi, permettrait

de restaurer la compétitivité de nos entreprises et dès lors de favoriser l’emploi.

Pas de réforme du marché du travail sans un dialogue social de qualité :La situation que connaît notre pays mérite une réforme audacieuse et de long terme en faveur du marché du travail. Cette réforme ne pourra être menée sans un dialogue social de qualité et une implication forte des partenaires sociaux. La France est le pays de l’OCDE où le taux de syndicalisation est le plus bas. Sans reconquête des salariés, le syndicalisme poursuivra son déclin et perdra davantage encore sa légitimité de corps intermédiaire. Le partenariat social allemand, qui s’appuie sur une forte autonomie contractuelle des partenaires sociaux et sur un système de cogestion, demeure un exemple dont la France serait bien avisée de s’inspirer.La réforme du marché du travail requiert l’appropriation la plus large possible par les partenaires sociaux et par nos concitoyens des défis qui sont les nôtres comme des réponses qui peuvent leur être apportées. Souhaitons que la campagne qui s’ouvre per-mette cette pédagogie.

Angèle Malâtre (directrice des études

de l’Institut Montaigne)Le Monde daté du 17.01.2012

POURQUOI CET ARTICLE ?

Un plaidoyer pour une réforme du marché du travail, qui condui-rait à plus de flexibilité pour l’en-treprise, et à plus de sécurité pour le salarié, à l’image des exemples danois et canadien. Une dé-marche ambitieuse, qui nécessi-terait un dialogue social ouvert.

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LES ARTICLES DU

Travail, emploi, chômage

Les salariés qui sont intéri-maires ou en CDD ont de plus en plus tendance à rester

dans ces formes précaires d’em-ploi. C’est l’un des enseignements d’une étude de l’Institut national de la statistique et des études éco-nomiques (Insee) rendue publique mercredi 17 septembre [2014], qui remet ainsi en question l’idée selon laquelle les contrats courts constitueraient un sas vers des activités durables.Pour parvenir à cette conclusion, l’Insee s’est intéressé à la « rota-tion » des travailleurs en mesu-rant les entrées et les sorties sur le marché de l’emploi. Cet indicateur permet d’obtenir une image plus fine de l’instabilité qui prévaut dans le secteur privé. En trente ans, le « taux de rotation de la main-d’œuvre » a quasiment été multiplié par cinq : en 1982, on dénombrait 38 actes « d’embauche et de débauche » pour 100 sala-riés présents dans une entre-prise ; en 2011, ce chiffre a bondi à 177 pour 100.

Multiplication des contrats précairesLe phénomène a d’abord été entretenu par le développement des CDD. Ensuite, au cours des années 2000, deux autres facteurs ont joué un rôle déterminant dans cette explosion de la rotation : la

multiplication des contrats pré-caires et le raccourcissement de leur durée. Une mission d’intérim court désormais sur un peu moins de deux semaines, en moyenne, contre un peu plus d’un mois en 1982. Une tendance similaire est observée pour les CDD.Les contrats de moins de trois mois occupent une part de plus en plus grande dans les embauches effec-tuées au cours d’une année : un peu plus de 80 % en 2011, contre un peu moins de 40 % en 1982. Pour autant, la part des salariés en CDI, après avoir baissé de 1982 jusqu’à la fin des années 1990, reste sensiblement la même depuis une décennie : elle s’élève aujourd’hui à 87 % des effectifs du privé. Ceux qui sont employés pour une durée indéterminée ont tendance à rester en poste dans la même entreprise de plus en plus longtemps : dix ans en moyenne en 2011 contre six en 1982.

« Rigidification du marché du travail »Ces évolutions mettent en exergue « une forme de rigidification du marché du travail », estime l’Insee. D’un côté, il y a « un stock d’emplois instables », dont la proportion n’a pas bougé depuis 2000, « mais qui sont occupés sur la base de contrats de travail de durée de plus en plus courte ». De l’autre, des travailleurs

en situation stable, qui « seraient de moins en moins enclins à quitter leur entreprise, compte tenu de l’évolution observée sur le marché du travail ».Selon l’Insee, la probabilité qu’un salarié en CDD ou en intérim « occupe un emploi en CDI un an plus tard ne cesse de diminuer sur longue période ». Dès lors, les auteurs de l’étude en concluent que « les emplois stables et les emplois instables forment deux mondes séparés, les emplois ins-tables constituant une “trappe” pour ceux qui les occupent ».Sans surprise, ce sont les jeunes qui sont les plus touchés par l’instabilité professionnelle : les 15-24 ans, qui ont un « emploi à fort taux de rotation », sont « surreprésentés ». Mais la situa-tion des seniors s’est dégradée, même si elle reste meilleure que celle des jeunes : la part des CDD chez les salariés de 60 ans et plus est passée de 2 % pour la période

1990-1994 à 8 % en 2007-2011. « Tout se passe […] comme si, lorsque les seniors quittent leur emploi, c’est soit pour s’arrêter définitivement de travailler, soit pour enchaîner des contrats courts jusqu’à la retraite », relève l’Insee.Les métiers où la « rotation » est forte sont grosso modo les mêmes qu’au début des années 1990 : pro-fessionnels des arts et spectacles, manutentionnaires, employés de l’hôtellerie-restauration… À l’in-verse, les cadres de la banque et de l’assurance demeurent les fonc-tions les plus stables. Dans cer-tains secteurs, où la rotation était déjà peu élevée, celle-ci diminue encore – par exemple chez les ingénieurs en informatique et en télécommunications.

Bertrand Bissuel Le Monde daté du 17.09.2014

POURQUOI CET ARTICLE ?

La spirale de la précarité est de plus en plus un piège dont il est difficile de sortir. À l’inverse, la mobilité des salariés en CDI a tendance à diminuer. Deux évolutions qui renforcent encore le dualisme d’un marché du tra-vail ravagé par l’absence de croissance.

Les salariés précaires ont de plus en plus tendance à le rester

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LES ARTICLES DU

85Travail, emploi, chômage

La solidarité se mesure chiche-ment, et les intermittents du spectacle en font la dure

expérience. Le mouvement qu’ils ont déclenché pour empêcher l’agrément de la nouvelle conven-tion de l’assurance-chômage n’a pas rallié d’autres partisans que les gens du spectacle, directeurs de festivals, réalisateurs. Deux centrales syndicales, la CFDT et FO, s’opposent à leurs revendica-tions et chaque article qui leur est consacré sur Internet déclenche un flot de commentaires défavorables à leur mouvement. Le Medef reste silencieux, qui, pendant la négo-ciation de la nouvelle convention, avait formulé le souhait de voir disparaître le statut spécifique des gens du spectacle, codifié par les annexes VIII et X de cette convention.Ces trublions, dont la grève a pour l’instant provoqué l’annulation d’une manifestation financée par les deniers publics (Le Printemps des comédiens de Montpellier, subventionné surtout par le département de l’Hérault), sont dépeints par leurs contempteurs comme des privilégiés (pour un moindre travail, ils ont le droit d’être indemnisés plus longtemps) qui vivent au crochet d’une col-lectivité (les cotisants au régime général) qui de toute façon ne va pas voir leurs productions. Comme ils s’élèvent contre des

modifications de leur statut qui rognent sur leurs revenus et leurs conditions d’indemnisation sans les remettre radicalement en ques-tion, et que ce genre d’avanies est aujourd’hui largement répandu en dehors des professions du spec-tacle, le reste du monde salarié a du mal à comprendre la force de leur indignation.Comble d’indignité, l’un des pre-miers faits d’armes de cette cam-pagne, l’occupation du Carreau du Temple par des intermittents du spectacle, alors qu’une exposition allait y ouvrir, a mis en lumière la misère d’autres artistes – ceux des arts visuels – qui bénéficient de garanties bien moindres que celles dont jouissent les gens du spec-tacle en matière d’indemnisation du chômage, de couverture sociale ou de droits à la retraite.Ces tombereaux d’invectives ont fini par masquer la réalité de l’économie de l’intermittence, d’une grande modernité. Ce n’est peut-être pas par pur sentimenta-lisme que l’ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, a été l’une des rares personnalités exté-rieures au monde du spectacle à voler au secours des opposants à la nouvelle convention. Comment ne pas rêver, quand on est entre-preneur, à un marché du travail où la main-d’œuvre qualifiée est abondante, prête à travailler à tout moment, dans tous les endroits ?

Comme le rappelait un article du Nouvel Observateur du 22 mai, les intermittents du cinéma (qui gagnent généralement mieux leur vie que leurs homologues du spectacle vivant) ne savent pas au début de l’été s’ils le passeront avec leur famille ou sur un plateau loin de chez eux. Ils sont par ailleurs à la merci de la conjoncture, et nombre d’entre eux ont vu leur activité baisser en même temps que le nombre des tournages de longs-métrages.

Précarité de l’emploiDans un rapport remis en 2013, le député socialiste Jean-Patrick Gille, qui vient d’être nommé médiateur dans ce conflit, faisait remarquer que cette souplesse du secteur résulte d’un choix maintenant ancien. Alors que dans les années qui ont suivi la Libération, la ten-dance était à la réglementation des professions, avec attribution de cartes professionnelles, mono-poles syndicaux, les professions artistiques se sont ouvertes sans condition de diplômes ou d’appar-tenance à telle ou telle organisa-tion – syndicale ou corporative.Combinée à une demande crois-sante qui résulte aussi bien de l’extension des temps de loisir que des politiques culturelles (décen-tralisation, éducation artistique...), cette ouverture et cette flexibilité ont entraîné une croissance très rapide du nombre de profession-nels des arts – du spectacle comme des autres. Ils étaient 316 432 en 2010, un peu plus de 1 % du nombre total des actifs.On a maintes fois rappelé que, dans cette masse, on dénombre un certain nombre de fraudeurs d’une part et, d’autre part, une masse de

salariés permanents de grosses structures, privées ou publiques, que leurs employeurs soucieux d’économies préfèrent considérer comme des intermittents, alors qu’ils occupent des emplois à temps complet. Également sou-vent citée, la petite minorité de privilégiés qui vit plus que confor-tablement tout en bénéficiant des avantages du système.L’existence de ces catégories ne peut masquer la réalité principale du système : son hyperflexibi-lité. Il a longtemps été tenu pour acquis que celle-ci avait pour contrepartie des conditions d’indemnisation particulières. Les intermittents en lutte estiment que celles-ci sont le corollaire de la précarité de l’emploi, et qu’elles devraient être étendues à tous les travailleurs qui ne bénéficient pas d’un emploi stable. Dans le reste du monde de la culture, on estime que ces singularités sont une reconnaissance du statut par-ticulier des artistes.Reste que la disparition du régime aurait au moins une de ces deux conséquences : une baisse bru-tale du nombre des intermittents et donc de l’offre culturelle en France (et l’on se souviendra à cette occasion qu’un récent rap-port a démontré que l’investis-sement public en la matière était particulièrement rentable), ou la relégation des professionnels du spectacle à la vie de bohème, vivant dans un galetas, sujets aux équivalents contemporains de la consomption. Ce serait recon-naître aux intermittents un statut particulier, celui d’artiste maudit.

Thomas Sotinel Le Monde daté du 12.06.2014

POURQUOI CET ARTICLE ?

Les intermittents du spectacle font souvent, à leurs dépens, la une des médias. Ils sont pourtant parmi les salariés les plus touchés par l’emploi flexible et précaire. Dans un pays où la culture est un support économique irremplaçable, serait-il raisonnable de faire disparaître leur régime de pro-tection sociale ?

Les intermittents, ces êtres hyperflexibles

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L’ESSENTIEL DU COURS

Travail, emploi, chômage

NOTIONS CLÉSDÉRÉGLEMENTATION

C’est la suppression ou l’assou-plissement des règles encadrant l’emploi d’un salarié (durée du contrat, licenciement, protection sociale, rémunération, etc.). La dérèglementation débouche sur la flexibilité du contrat de travail.

QUALIFICATIONAptitudes professionnelles acquises par un travailleur par la formation initiale, la formation continue et l’expérience.

RELANCECette politique économique vise à redynamiser le rythme de l’activité économique. Elle peut se faire en cherchant à augmenter les reve-nus des ménages pour que ceux-ci accroissent leur consommation (relance par la consommation). Elle peut aussi privilégier les mesures en direction des entreprises pour que celles-ci augmentent leurs achats d’équipements (relance par l’investissement).

SEGMENTATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL

Fracture du marché du travail en segments où les conditions du contrat de travail ne sont pas homogènes (contrats à durée indéterminée/contrats précaires, emplois qualifiés/emplois non qualifiés, etc.).

TAUX DE CHÔMAGEIl s’agit du rapport, exprimé en %, du nombre de chômeurs à la population active. La formule de calcul est : nombre de chômeurs/population active totale × 100. Attention : les chômeurs font partie de la population active, ils sont donc à la fois au numérateur et au dénominateur du rapport.

TRAPPES À INACTIVITÉSelon les économistes d’inspiration néoclassique, ce concept désigne les incitations à rester au chômage que développeraient l’aide sociale et les allocations chômage en procurant aux chômeurs des ressources trop peu inférieures à ce que leur apporterait un retour à l’emploi.

Quelles politiques pour l’emploi ?

Dans les pays développés, le chômage de masse perdure et les mesures prises par le pouvoir politique se révèlent impuissantes à le faire reculer. Les causes du chômage

et les solutions pour le combattre donnent lieu à des analyses idéo-logiques divergentes sur la question.

Les évolutions de l’emploiDepuis un demi-siècle, l’emploi dans les pays développés a connu des évolutions significatives : salarisation, tertiarisation, féminisation, pré-carisation, accroissement du niveau moyen des qualifications.Ces évolutions se retrouvent, avec des nuances, dans la plupart des grands pays développés. Certains témoignent cependant de spécificités liées à des conditions historiques, géographiques, sociales ou culturelles particulières : l’Allemagne conserve, par exemple, une proportion plus importante d’emplois industriels. Autres exemples : le travail à temps partiel est beaucoup plus répandu aux Pays-Bas qu’en France et le taux d’activité des femmes en Italie est à peine supérieur à 50 %.

La robotisation du travail : une des causes du chômage ?

Les analyses du chômageLes quatre dernières décennies ont été marquées par la montée du chômage de masse qui, dans la plupart des pays, approche voire dépasse la barre des 10 % de la population active. Cette situation donne lieu

à des interprétations causales divergentes et à des propositions contrastées de politiques d’emploi.L’analyse d’inspiration keynésienne considère que le sous-emploi est lié à l’insuffisance de la demande globale, les entreprises alignant leur demande de main-d’œuvre sur les anticipations des carnets de commandes. Les keynésiens pré-conisent donc des politiques de relance par la demande, en agissant sur les deux leviers de la consommation des ménages et de l’inves-tissement des entreprises, le cercle vertueux de la consommation et de l’investissement ne pou-vant être réactivé que par une action volontariste de l’État. Celui-ci accroît ses propres dépenses (inves-tissements publics, dépenses sociales) et enclenche le mécanisme du « multiplicateur d’investisse-ment », qui doit engendrer des vagues succes-

sives de distribution de revenus (salaires et profits) en redynami-sant l’activité économique.Les limites de ces mesures de relance sont l’endettement public antérieur (qui limite les possibi-lités de dépenses nouvelles), le risque d’apparition de tensions inflationnistes, et enfin l’évolu-tion de la productivité. En effet, le lien entre croissance et création d’emplois n’est pas mécanique. Si les gains de productivité sont forts, la croissance de la produc-tion peut se faire sans créations nettes d’emplois.L’analyse d’inspiration néoclas-sique considère que le chômage s’explique par un coût trop élevé du travail, dissuadant les entre-prises d’avoir recours à ce facteur de production, en lui préférant les modes de production utilisant

plus de capital technique, ou les incitant à se délocaliser vers les pays à bas salaires. Les solutions proposées par les politiques néoclassiques sont donc d’abaisser le coût du travail en s’attaquant à l’idée même de salaire minimum et en diminuant ©

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L’ESSENTIEL DU COURS

Travail, emploi, chômage

ZOOM SUR…La machine et le chômage : au cours de l’histoire, un changement de pers-pective à travers quatre citations

« Les machines nous promettaient un surcroît de richesse ; elles ont tenu parole, mais en nous dotant du même coup d’un surcroît de misère. Elles nous promet-taient la liberté ; je vais prouver qu’elles nous ont apporté l’escla-vage. » (Pierre-Joseph Proudhon, Philosophie de la misère, 1846.)

« Le progrès technique ne chasse pas les hommes de la production ; il permet seulement de travailler moins dur et moins longtemps. Mais il les oblige à changer sans cesse de métier pour maintenir l’indispensable concordance entre les choses produites et les choses consommées. » (Jean Fourastié, Pourquoi nous travaillons, 1959.)

« La machine a jusqu’ici créé directement ou indirectement beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en a supprimés » (Alfred Sauvy, Mythologie de notre temps, 1971.)

« La vieille logique qui consiste à dire que les avancées technolo-giques et les gains de productivité détruisent d’anciens emplois mais en créent autant de nouveaux n’est plus vraie aujourd’hui. »(Jérémy Rifkin, La Fin du travail, 2006.)

REPÈRELe débat sur les effets du progrès technique sur l’emploi peut se condenser autour de la formule qui résume les relations entre croissance, productivité et emploi : variation de l’emploi = variation du PIB − variation de la productivité par tête.Autrement dit, l’augmentation de la productivité a des effets néfastes sur l’emploi si elle est supérieure à la croissance de la production. Ou encore, l’emploi ne peut progresser que si la croissance de la production est supérieure à l’accroissement de la productivité

les charges sociales pesant sur les salaires. Ce cou-rant d’analyse préconise l’abaissement voire la suppression de l’aide financière aux chômeurs qui dissuaderait ceux-ci de rechercher activement un emploi, le gain marginal de la reprise d’emploi étant supposé peu incitatif par rapport au montant de l’aide. Ces dispositifs d’aide sont qualifiés de « trappes à inactivité ».Enfin, certaines analyses considèrent que le chô-mage est de nature structurelle, engendré par le fonctionnement rigide du marché du travail et par l’inadaptation qualitative de l’offre de travail à la demande de travail émanant de l’appareil productif. La solution serait de flexibiliser le marché du travail en réduisant les rigidités empêchant les ajustements. Ces politiques s’inscrivent, elles aussi, dans une perspective néoclassique, et elles prônent la flexi-bilisation des contrats de travail, la libéralisation du licenciement, la déréglementation de la durée de travail et l’introduction de la souplesse dans la négociation des salaires. Le bilan de ces politiques mises en œuvre depuis trente ans n’est pas très convaincant.Il reste à envisager les politiques visant à réduire l’inadaptation qualitative de l’offre et la demande de travail. Ces politiques passent par une requalification de la main-d’œuvre, le développement de filières de formation adaptées aux technologies nouvelles, mais aussi l’aide à la mobilité professionnelle ou à la mobilité géographique. Ces mesures supposent une individualisation du traitement du chômage pour favoriser l’intégration ou le retour à l’emploi.

Chômage et précarité, des facteurs de fragilisation du lien socialLes recettes traditionnellement prônées par les éco-nomistes, qu’ils soient néoclassiques ou keynésiens, ont montré les limites de leur efficacité face au triple défi que constituent la mondialisation, une révolu-tion technologique accélérée et le ralentissement désormais chronique de la croissance économique. Mais l’expérience accumulée au cours de cette période nous apprend que les politiques d’emploi ne peuvent se résumer à des recettes mécaniques.La précarité et plus encore le chômage ont, en effet, des conséquences sociales et politiques détestables, dont la puissance publique ne peut se désintéresser. La perte durable d’emploi fragilise

l’intégration sociale du chômeur par la pauvreté qu’elle engendre et par la perte de l’identité sociale. Elle peut conduire à l’affaiblissement de la socia-bilité en entraîner certains vers des processus de « disqualification » (Serge Paugam) ou de « désaf-filiation » (Robert Castel). Ces situations portent les germes d’une remise en cause du lien social et des fondements mêmes du vivre-ensemble. De même, la précarité est destructrice de certaines composantes du contrat social, notamment la légitimité du travail comme source normale de subsistance et de bien-être.

Le chômage a contribué, depuis des années, à déstabiliser les relations sociales. Une « culture » du chômage permanent s’est installée, et ce qui était inacceptable politiquement et socialement au milieu des années 1960 est devenu banalement quotidien. Nos sociétés se résignent au chômage sans véritablement mesurer à quel point, insidieu-sement, ce dernier mine, par exemple, l’accès d’une partie des jeunes générations à la citoyen-neté en portant notamment atteinte au statut du travail et aux valeurs qui, traditionnellement, lui sont associées.

DEUX ARTICLES DU MONDE À CONSULTER

• Précarité : la voie du plein-emploi ? p. 90-91

(Valérie Segond, Le Monde daté du 30.06.2015)

• Chômage : la croissance n’est pas la solution p. 92

(Alain Euzéby, Le Monde daté du 30.06.2013)

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88 Travail, emploi, chômage

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetCe sujet fait référence au thème du marché du travail. Mais il exige aussi des emprunts à d’autres parties du cours de terminale, notamment au thème de la mobilité sociale et de l’influence du capital social sur les parcours individuels. Le plan est assez classique-ment du type « oui… mais ».

La problématiqueLe diplôme supérieur est un outil globalement efficace d’insertion sur le marché du travail et un instrument de progression professionnelle, mais, pour certaines catégories, ce levier ne fonctionne que de manière imparfaite.

IntroductionEn 2007, le taux de chômage des jeunes hommes sortis du système éducatif en 2004 s’élevait à 29 % pour les non diplômés, contre 2 % pour les titu-laires d’un diplôme d’ingénieur ou d’une école de commerce. Cette fracture face à l’emploi montre que la détention d’un diplôme post-bac représente aujourd’hui un atout majeur face au chômage et à la précarité. Pourtant, le diplôme n’est plus un passeport absolu, car une insertion réussie dépend de multiples facteurs, économiques mais aussi sociaux et culturels,

devant lesquels tous les postulants ne sont pas égaux. Nous nous attacherons donc à montrer comment le diplôme facilite les conditions de l’insertion dans la vie active, mais aussi quelles sont les limites de son efficacité dans le processus d’une intégration réussie dans le monde du travail.

Le plan détaillé du développementI. Le diplôme supérieur, un indéniable avantage pour l’insertion sur le marché du travaila) Une prime à l’évitement du chômageb) Une protection relative contre la précaritéc) Des avantages de carrière évidents

II. Une condition parfois insuffisante pour une insertion réussiea) Des exceptions liées à la structure des qualifications demandéesb) La situation spécifique des femmes diplôméesc) Le poids du capital social et culturel relativise l’impact du diplôme

Ce qu’il ne faut pas faire• Ne raisonner que de manière globale

en omettant d’aborder les défaillances qualitatives dans l’adéquation des diplômes aux besoins

du marché du travail.• Ne pas dégager les autres facteurs d’insertion

que constitue la détention de capital économique ou social.

ConclusionLe diplôme d’enseignement supérieur est aujourd’hui au cœur de la plupart des stratégies d’insertion sur le marché du travail. Il est, de ce fait, l’objet d’une demande sociale très forte et investi d’espérances individuelles. Face à ces attentes, la réalité des faits montre que cette fascination collective peut être porteuse d’une part d’illusion. Le sésame n’ouvre pas toutes les portes et son efficacité dépend largement de ses conditions d’accompagnement.

Une opposition théorique majeure : le rôle de l’État face au chômageLes mesures de politique publique préconisées pour combattre le chômage dépendent évidemment des analyses que les théories économiques font de la situation dégradée du marché du travail.

ANALYSE D’INSPIRATION NÉOCLASSIQUE

L’analyse d’inspiration néoclas-sique considère que le chômage, notamment lorsqu’il est durable, est la conséquence d’un coût du travail trop élevé par rapport à son prix d’équilibre, celui qui résulte-rait d’un libre ajustement de la demande et de l’offre de travail. Les économistes néoclassiques préconisent donc d’alléger ce coût soit par la baisse ou la stagnation des salaires soit en diminuant les charges sociales qui servent à financer la protection sociale. Ces auteurs mettent également en cause ce qu’ils considèrent comme des rigidités du marché du travail et réclament qu’on y réintroduise de la flexibilité (sur les contrats, la durée du travail, les rémunérations, les procédures de licenciement, etc.)

ANALYSE D’INSPIRATION KEYNÉSIENNE

L’analyse d’inspiration keyné-sienne prend l’exact contre-pied de ces conclusions et considère que le chômage de masse est essentiellement la conséquence d’une insuffisance de la demande engendrant un niveau d’activité économique insuffisant pour utiliser toute la main-d’oeuvre disponible. Elle préconise des politiques de relance de la demande par l’accroissement de la consom-mation des ménages (hausse des revenus salariaux et des revenus de transfert), par des mesures fiscales et financières en faveur de l’investissement productif des entreprises, enfin par l’accroissement des dépenses publiques d’investissement (grands travaux éventuelle-ment financés par un déficit budgétaire).

Dissertation : La détention d’un diplôme d’enseignement supérieur favorise-t-elle l’insertion sur le marché du travail ?

ZOOM SUR…

AUTRES SUJETS POSSIBLES SUR CE THÈME

Dissertation– L’intervention de l’État peut-elle permettre d’améliorer la situation de l’emploi ?– En quoi l’action des pouvoirs publics contre le chômage fait-elle l’objet d’oppositions théoriques ?

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89Travail, emploi, chômage

UN SUJET PAS À PAS

L’analyse du sujetLe sujet croise un regard économique et un regard sociologique. Il faut rendre compte de cette double dimension en envisageant les conséquences finan-cières et matérielles du chômage mais aussi les dégâts qu’il peut provoquer sur la sociabilité et l’intégration de l’individu qui y est soumis de manière prolongée.

La problématiqueLes dispositifs de prise en charge permettent à une large partie des chômeurs d’échapper au risque de l’isolement social. Cependant, le chômage de longue durée peut conduire à mettre en danger l’intégration sociale des personnes concernées.

IntroductionLa persistance d’un chômage de masse élevé, depuis quatre décennies dans les grands pays déve-loppés, engendre des conséquences dramatiques pour une partie de ceux qui en sont victimes. Ces conséquences sont d’abord matérielles, mais

elles concernent aussi l’intégration des chômeurs à la vie sociale. Il faut cependant reconnaître que la perte d’emploi n’est pas nécessairement synonyme de marginalisation car des dispositifs permettent d’amortir les conséquences matérielles du chômage et de réintégrer professionnellement les demandeurs d’emploi. Le chômage de longue durée, en revanche, a des effets destructeurs sur le lien social et politique.

Le plan détailléI. Le chômage ne conduit pas inéluctablement à une altération de l’intégration socialea) Un soutien financier indispensable mais soumis à des conditions restrictivesUne indemnisation sous conditions (niveau et durée). Absence d’indemnisation pour les primo-arrivants sur le marché du travail. Accès au revenu de solidarité active (RSA) à partir de 25 ans.b) Formation et réinsertion sur le marché du travailDispositifs de réinsertion. Aide à la recherche d’emploi. Emplois aidés ciblés sur les catégories les plus vulnérables. Reconversion professionnelle financée surtout par les Régions. Maintien de l’employabilité.

II. Les ravages du chômage de longue durée sur l’intégration socialea) La spirale de la pauvretéHausse de la durée moyenne du chômage. Perte des droits à l’indemnisation. Descente vers la pauvreté. Revenu de solidarité active. Pauvreté en conditions de vie.b) Isolement social et marginalisationChômage et « accidents de la vie ». Processus de « désaffiliation » (R. Castel). Perte de l’iden-tité sociale. Disqualification sociale (S. Paugam). Désocialisation.

ConclusionNos sociétés développées se sont accoutumées à la présence permanente d’un volant de chômage de masse, sans que cette situation provoque les explosions sociales que certains prédisaient. Les ravages du chômage sont sournois et souterrains. Ils fragilisent les relations sociales de manière insidieuse en installant une société « à deux vitesses ». Le rapport au travail construit encore de manière prioritaire le socle du lien social, mais une partie du corps social est privée de ce support d’intégration. Le fait que ce fléau touche plus particulièrement les jeunes générations est, de ce point de vue, une source d’inquiétude pour le futur.

Dissertation : Le chômage remet-il nécessairement en cause l’intégration sociale ?

Ce qu’il ne faut pas faire• Analyser le sujet en omettant de tenir compte de l’adverbe « nécessairement » et tomber dans

la caricature sur le risque de désocialisation de tous les chômeurs.

• Ne pas mettre en relation les risques spécifiques engendrés par le chômage lorsqu’il se conjugue

avec d’autres « accidents » de la vie.

ZOOM SUR…L’évolution du chômageLe chômage a commencé à croître en France à partir du milieu des années 1970 : en 1975, le taux de chômage était de 3,5 % de la population active, en 1981 de 6 %, en 1990 de 8 %. Il atteint 10 % en 1994. Depuis, il oscille entre 7,5 et 10,7 % en métropole. Fin août 2015, il touche 3 571 600 personnes (chômeurs de caté-gorie A n’ayant pas travaillé pendant la période concernée), soit un taux de chômage de 10 %.

L’indemnisation du chômageElle est prise en charge par le régime de l’assurance chômage, géré par l’Unedic, et versée par Pôle emploi. Son financement est assuré par les cotisations des salariés et des employeurs. Son versement est conditionné par une activité antérieure d’au moins quatre mois et sa durée est égale à la durée d’activité antérieure, avec un maximum de vingt-quatre mois pour les moins de 50 ans, de trente-six mois pour les plus de 50 ans. Le montant de l’indemni- sation dépend du montant du salaire antérieur : elle atteint 75 % pour les salaires inférieurs à 1 128 euros (au 1er juillet 2012) et son pourcentage est ensuite dégressif quand on monte dans l’échelle des salaires.Lorsque le chômeur a épuisé ses droits à indemnisation par l’assu-rance chômage, ce sont les dispo-sitifs de solidarité qui prennent le relais.

Le revenu de solidarité active (RSA)Le RSA a pour objectif de garan-tir un revenu minimum aux personnes sans ressources ou à ressources faibles. Son montant forfaitaire (« RSA socle »), en cas d’absence totale de ressources, est de 524,16 euros pour une personne seule (au 1er septembre 2015). En cas de revenus d’activité, il consiste en un complément de revenu permettant d’atteindre un niveau de revenu garanti (« RSA chapeau »), calculé en fonction de la composition du ménage et des charges de famille. ©

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LES ARTICLES DU

Travail, emploi, chômage

Précarité : la voie du plein-emploi ?Sécurité de l’emploi ou précarité croissante du travail ? Avec la crise, les pays sont confrontés à un vrai débat de fond sur les réformes à mener pour résorber le chômage, entre une protection accrue des travailleurs et un assouplissement des contrats pour favoriser les embauches.

«Et si le travail était la solution  ?  », inter-rogent cette année

les Rencontres économiques d’Aix, qui se dérouleront du 3 au 5 juillet. Le travail à tout prix ? Dit autrement, vaut-il mieux être un travailleur pauvre ou un chômeur pauvre ? Un travail-leur précaire, incertain sur son lendemain, ou un chômeur cer-tain de ne jamais revenir dans l’emploi protégé ?Des questions qui ont inspiré toutes les réformes du marché du travail depuis quinze ans en Europe : en Allemagne dès le début des années 2000, en Irlande et au Royaume-Uni, où l’on a laissé les «  contrats zéro heure  » se développer. Mais aussi dans des pays où les règles ont toujours été très pro-tectrices des salariés, comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie. La France, elle, n’a « pas choisi de développer les recrutements précaires et les très bas salaires », dit Véronique Deprez Boudier, chef du département travail et emploi chez France Stratégie. «  On a cherché à privilégier la qualité et la quantité de tra-vail pour qu’un maximum de personnes occupe des emplois de qualité. L’objectif était d’as-surer un niveau de revenus plus homogène. Est-ce que le prix à payer est d’avoir plus de 10 % de chômage ? »Devant l’échec de la stra-tégie française, tandis que l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Autriche sont revenus au plein-emploi, la question ne peut plus être éludée : la précarité au travail est-elle la nouvelle voie du plein-emploi ? Outre-Rhin,

l’assouplissement du recours aux CDD, intérim et autres contrats courts de toute nature a été au coeur des réformes Hartz de 2002 à 2005, qui ont créé les « mini-jobs » à 450 euros sans cotisations et sans cou-verture sociale, les « midijobs » à 800 euros, avec cotisations allégées et couverture sociale, et même les « ein euro jobs », réservés aux chômeurs tou-chant une indemnité pour les travaux d’intérêt public.

Une nouvelle dynamiqueComme le résume la note « Trésor éco » consacrée aux réformes Hartz : avec 2,5 mil-lions d’emplois créés entre 2004 et 2012, l’Allemagne a vu son chômage divisé par deux et son taux d’emploi atteindre 73,3 % en 2013 quand la France est à 64 %. « A court terme, ces réformes ont un impact positif sur l’emploi parce qu’elles font revenir sur le marché du travail des personnes qui s’en étaient retirées  », explique Andrea Bassanini, économiste à l’OCDE.Augmenter le taux d’emploi fut aussi l’objectif de la poli-tique de l’emploi menée au Royaume-Uni depuis les années 1990, et plus encore depuis la crise, comme l’explique Stephen Wyber, conseiller social à l’ambassade du Royaume-Uni à Paris : « L’objectif a été d’enri-chir la croissance en emplois en augmentant le taux d’emploi et ce, quelles que soient la qualité et la qualification de ces emplois. » Cette hausse a, en effet, surtout profité à des personnes peu ou moyennement qualifiées, qui

se sont retrouvées dans des emplois à temps partiel ou en indépendant. En Allemagne, c’est près de 8 millions de per-sonnes qui occupent un mini-job à 450 euros par mois, parfois en second emploi ou en com-plément d’autres revenus. Le pari de ces politiques est que le retour à l’emploi permet à celui qui est sorti du marché du tra-vail d’entrer dans une nouvelle dynamique, comme le résume Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes : « Il faut accepter d’entrer dans un emploi à des conditions moindres, car cela permet de se former. Et au bout de quelque temps, la rémunération tend à rejoindre la productivité réelle de l’employé. »Mais au bout de combien de temps ? Dit autrement, ces emplois précaires et peu payés sont-ils des tremplins vers des emplois stables et de qualité ? Ce serait le cas si les employeurs étaient prêts à abandonner les avantages de ces statuts. En Allemagne, relève le récent rapport Pisani-Enderlein, les faibles cotisations salariales sur les mini-jobs ont surtout incité les employeurs à y maintenir leurs employés, car à partir de 800 euros, le taux des cotisa-tions sociales double. «  Selon les conclusions de la Fondation allemande pour la recherche sociale, relève Marc Ferracci, économiste au Crest et membre du Cercle des économistes, les mini-jobs ne sont une passerelle vers des CDI à temps plein que pour moins de 10  % de leurs titulaires. »

En fait, note Hélène Garner chez France Stratégie, en Allemagne, «  on ne sort pas des mini-jobs. En France aussi, on voit bien que la transition entre un emploi précaire et un emploi stable est à la fois rare et de plus en plus longue  ». Selon les enquêtes Emploi de l’Insee, pas plus de 18,4 % des titulaires d’un contrat temporaire en 2011 occupaient un CDI en 2012. En 2007, ce chiffre atteignait 24 %. Le fameux tremplin serait-il devenu une trappe à précarité ? Or l’installation dans ces statuts pose plusieurs problèmes. Marc Ferracci : « La précarité est mul-tidimensionnelle, et porte à la fois sur la situation présente et à venir. » C’est, entre autres, être condamné à toucher un salaire très bas, en raison des exonéra-tions de charges qui leur sont attachées. C’est avoir moins de droits à l’indemnisation contre le chômage, moins d’accès à la formation professionnelle. La précarité, ce n’est donc pas seulement un contrat court : c’est un phénomène cumulatif, un engrenage.

POURQUOI CET ARTICLE ?

Les « rigidités » du marché du travail sont souvent accusées d’engendrer du chômage. Faut-il, par la flexibilisation du contrat de travail, accepter le développe-ment de la précarité ? Les expé-riences allemande, britannique ou néerlandaise montrent que cette voie comporte des risques à long terme et qu’elle exige une politique de sécurisation des par-cours professionnels ainsi qu’une aide active de retour à l’emploi.

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C’est également un problème pour les systèmes d’assurance-chômage ensuite. « La surutili-sation des CDD, qui représentent 84 % des embauches, génère des périodes de chômage automa-tiques entre deux contrats, dit Stéphane Carcillo, économiste à l’OCDE. Pour les employeurs, c’est un moyen de transférer sur l’assurance-chômage, donc sur les autres, le coût de leur flexibilité. »Emplois courts et peu qualifiésEnfin, à long terme, les effets sur l’économie de l’explosion de ces emplois courts et peu qualifiés sont ambivalents : ils rendent certes l’économie ultra-flexible et permettent de mieux traverser les périodes de crise. Mais dans le même temps, ils orientent durable-ment l’économie vers cette sous-qualification de l’emploi. A l’échelle de l’entreprise, une société qui n’emploie que des CDD n’investit pas dans la for-mation et ne construit pas de vraie spécialisation.A l’échelle d’un pays, cela peut commencer à poser pro-blème, comme aujourd’hui au Royaume-Uni, où la hausse du travail précaire et peu qua-lifié pèse déjà sur les gains de productivité du pays. «  La productivité a tellement ralenti que les salaires réels n’ont pas augmenté comme ils auraient dû le faire dans une situation de plein-emploi », note l’Insee dans sa dernière Note de conjoncture.Et ce d’autant que le sous-emploi a lui aussi augmenté. Depuis la crise, selon Inflation Report de mai 2015 de la Bank of England, le nombre d’heures travaillées par salarié est net-tement inférieur au nombre d’heures désirées par ces

derniers. «  Aujourd’hui, recon-naît Stephen Wyber à l’ambas-sade du Royaume-Uni, le défi pour les cinq prochaines années est d’élever la qualification de la population pour accélérer les gains de productivité et la qualité des emplois. »Les Allemands ont bien compris le risque et n’ont pas précarisé tout l’emploi : «  Seuls les CDD et l’intérim ont été flexibilisés à l’extrême, note Eric Heyer, économiste à l’OFCE. On a précarisé les précaires, mais les CDI allemands restent plus protecteurs que les CDI français. L’Allemagne a voulu préserver ses emplois qualifiés dans l’in-dustrie, où le CDI est la forme dominante du contrat de travail, et lui permettre d’abaisser ses autres coûts, en particulier dans les services, en concentrant la flexibilité sur les emplois tempo-raires et peu qualifiés. »C’est pourquoi les politiques de précarisation du travail à outrance, qui limitent la casse en période de crise, ne peuvent être que transitoires. Ces der-niers mois, on a vu réapparaître des verrous dans les pays qui avaient ouvert en grand les vannes du travail atypique. Depuis le début de l’année, l’Allemagne a un smic universel à 8,50 euros. Et les Pays-Bas, qui ont durci la possibilité de recourir aux contrats courts, ont limité à six mois le « travail sur appel », autre nom du « contrat zéro heure ».

« Réforme du CDI »L’époque du tout-précaire est déjà passée. En revanche, l’assouplissement des CDI a un effet de long terme plus bénéfique sur la croissance. Même si, dans un tout premier temps, il contribue à détruire

plus d’emplois, le rebond des embauches ne venant qu’après coup. Un mécanisme particu-lièrement net dans les périodes de reprise économique, comme aujourd’hui. «  Dans l’accélé-ration du cycle économique, explique Andréa Bassanini de l’OCDE, la réforme du CDI et l’assouplissement du droit du licenciement accroissent la richesse en emplois de la reprise, en particulier en emplois de qualité, car ils poussent les entreprises à prendre des risques. » Et d’ajouter : « Cette réforme a pour effet d’accroître la productivité et, partant, la croissance. »L’effet de la réforme du CDI, que le gouvernement français n’a pas voulu envisager, est d’autant plus bénéfique qu’en favorisant le passage du CDD au CDI elle contribue à casser le dualisme du marché du travail entre ultra-protégés et ultra-précaires. C’est ce qu’a voulu faire l’Italie, avec son « Jobs Act » de 2014, qui a abaissé le coût du licenciement des CDI, tout en assouplissant le recours au CDD. « L’idée est de recréer de la conti-nuité entre les deux en répar-tissant le risque économique de la fin d’un contrat entre les CDI et les CDD », explique Marc Ferracci.C’était précisément l’inspira-tion du contrat unique proposé, dès 2003, par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole. Sécuriser le coût des licenciements en créant un barème d’indemnisation aux prud’hommes est une manière d’y aller, mais à petits pas. Ainsi, précariser le travail n’apparaît plus comme une voie durable vers le plein-emploi.Car même en Allemagne ou au Royaume-Uni, les clés du

plein-emploi étaient ailleurs : les Allemands ont bénéficié de la croissance soutenue en Europe au début des années 2000 et le Royaume- Uni a pu dévaluer sa monnaie pour sou-tenir la sienne.Le réseau allemand des éco-nomistes du travail, IZA, a démontré que c’était surtout l’amélioration du service de l’emploi, en particulier le fait d’avoir doublé le temps d’encadrement des chômeurs, qui avait accru fortement les chances d’un chômeur de retrouver un emploi. Au Royaume-Uni, ce sont les « job centers », où ont été regroupées la formation, l’orientation et les prestations aux chômeurs, qui ont été déterminants.En fait, à long terme, c’est la sécurisation qui marche : celle du chômeur qui se voit pris en main jusqu’au bout. Celle de l’employeur qui sait où il va quand il prend un risque sur quelqu’un. Mais il y a des manières très différentes d’y arriver, comme l’explique Eric Heyer : « Soit à la scandinave, en accordant une indemnisation du chômage généreuse et un encadrement efficace de retour à l’emploi. Soit à l’américaine, où le gouvernement assure une croissance économique de 3  % l’an qui garantit au chômeur de trouver rapidement un emploi. Cette priorité absolue à la crois-sance est au cœur du contrat social américain  : l’environne-ment du travail est précaire, mais chacun sait que l’Etat fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter les périodes de réces-sion longues. »

Valérie SegondLe Monde daté du 30.06.2015

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LES ARTICLES DU

Travail, emploi, chômage

Et pourtant, en France, de nom-breuses mesures ont déjà été prises par les gouvernements de droite comme de gauche. La fameuse phrase prononcée par le président François Mitterrand le 14 juillet 1993 – « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé » – en portait déjà témoi-gnage il y a près de vingt ans.Hélas, non seulement le chômage n’a pas reculé dans des propor-tions satisfaisantes (son taux n’est presque jamais descendu en dessous des 9 % de la population active depuis 1990), mais encore il atteint aujourd’hui des records particulièrement alarmants. Il n’est sans doute donc pas excessif d’utiliser les termes d’impuis-sance et de désarroi pour carac-tériser la politique actuelle de lutte contre le chômage en France. Car on sait bien que, même s’ils ne sont pas inutiles, les emplois d’avenir, les contrats de généra-tion et le pacte de compétitivité déployés par l’actuel exécutif seront loin d’être suffisants pour permettre un succès décisif en la matière.

Croissance, espoiret désillusionsPour le reste, le président de la République, François Hollande, et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault se sont ralliés au prin-cipe, répété de toutes parts tel un refrain, selon lequel il faut tabler sur le retour de la croissance éco-nomique pour triompher du mal. Mais, à moins d’être accompagné d’options vigoureuses en faveur, par exemple, d’une reconversion écologique ou d’une agriculture moins productiviste, cet espoir a tout lieu d’être cruellement déçu, et cela pour au moins deux raisons.

La première tient au fait que si la France et ses voisins européens ont pu enregistrer des taux de croissance de l’ordre de 5 % à 6 % par an au cours des fameuses « Trente Glorieuses », c’est parce qu’à la suite des destructions de la Seconde Guerre mondiale et sous la pression du baby-boom, l’ampleur des besoins à satisfaire par les populations européennes était considérable et les marges de progression, par conséquent, très larges.Mais aujourd’hui, est-il vraiment possible, et même souhaitable du point de vue de la qualité de l’environnement, de maintenir durablement des taux de crois-sance supérieurs à 2 % ou 3 % par an, alors que la natalité est beaucoup plus faible et que la production atteint des niveaux très élevés ?Dans les pays riches, la pauvreté est en fait aujourd’hui due essen-tiellement au chômage, et pas à une insuffisance de production de richesses. N’est-il pas alors plus que temps de réaliser que plus le niveau du produit intérieur brut (PIB) est élevé, plus faible est le taux de croissance nécessaire pour obtenir une augmentation du volume de celui-ci ?Un point de PIB représente en effet aujourd’hui un montant de richesses bien supérieur à ce qu’il était dans les années 1960. Par ailleurs, se rend-on bien compte qu’avec un taux de croissance de 2 % par an, le niveau de la production double en trente-cinq ans, soit une durée nettement inférieure à la moitié de la durée moyenne de la vie humaine en Europe de l’Ouest !Deuxième raison : les liens entre l’accélération de la croissance écono-mique et la baisse du chômage sont

de plus en plus faibles. Il est certes tentant de considérer que l’accrois-sement de la production nécessite davantage de travail, donc de tra-vailleurs et que l’augmentation de l’emploi fait baisser le chômage.

Emploi et baby-boomMais, en réalité, les gains de pro-ductivité liés à l’investissement et à la modernisation des entre-prises rendent la production de biens et de services de plus en plus économe en main-d’œuvre.De plus, les mesures d’allonge-ment de la vie active, destinées à faire face au problème du finan-cement des retraites, font que les générations qui atteignent l’âge de travailler vont continuer à être plus nombreuses que celles qui partent à la retraite.Selon les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques, la popula-tion active hexagonale devrait encore progresser d’au moins 130 000 personnes par an d’ici 2020 et d’au moins 80 000 entre 2020 et 2040. Le papy-boom, contrairement à ce qui est réguliè-rement affirmé, ne nous sauvera donc pas du chômage.Bref, les créations d’emplois seront loin de se traduire par des diminutions équivalentes du nombre de demandeurs d’emploi. Et, par conséquent, il ne faut pas raisonner d’une manière symé-trique : même s’il est vrai qu’une croissance économique faible provoque du chômage, il est peu probable qu’une croissance de

l’ordre de 2 % à 3 % par an suffise à le faire reculer dans des propor-tions satisfaisantes.En France, le droit au travail figure en toutes lettres dans l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le seul objectif vraiment souhaitable en matière de lutte contre le chômage ne devrait-il pas être le plein-emploi ? Or, il est sympto-matique d’observer que ce terme a aujourd’hui disparu du vocabu-laire économique !Même en continuant à ignorer cette référence devenue utopique, une politique de l’emploi efficace implique des réflexions et des décisions d’une autre ampleur que celles qui se succèdent dans les sphères gouvernementales depuis des décennies.Car il n’est pas vrai que l’on a tout essayé. Il reste encore à envisager des transformations axées, notamment, sur le respect de l’environnement, sur le fait que la croissance de la production exige de moins en moins de travail, sur la prise en considération des liens entre le libre-échange et la désin-dustrialisation, ou sur le manque de protection des pays les plus avancés sur le plan social face à une concurrence internationale de plus en plus féroce et déloyale.

Alain Euzéby (Économiste, professeur

émérite à l’Institut d’études politiques de Grenoble)

Le Monde daté du 30.06.2013

Chômage : la croissance n’est pas la solutionTout le monde est d’accord pour considérer le chômage comme une calamité. Et les quadragénaires, par exemple, en entendent parler depuis leur plus tendre enfance !

POURQUOI CET ARTICLE ?

Il est illusoire de penser que le retour à une croissance économique forte solutionnera le chômage endémique que nos pays connaissent.C’est l’ensemble de notre modèle économique qu’il faut transformer.

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94 Le guide pratique

LE GUIDE PRATIQUE

CONSEILS DE RÉVISION

Ces conseils ont une valeur indi-cative et vous proposent une démarche pour préparer l’épreuve de SES : cette démarche, vous devez l’adapter à vos propres caractéris-tiques et vos méthodes de travail. Les révisions pour l’épreuve finale ont été, le plus souvent, précédées de révisions partielles en fonction des devoirs sur table et des bacs blancs que vous avez préparés. Dans tous les cas, ne vous lancez pas trop tard dans ce programme de travail : deux mois semblent un délai opti-mal pour entamer sereinement ce parcours.

J – 60 : réactiver les savoirs• Il est temps de commencer à relire l’ensemble de votre cours de SES, même si celui-ci n’est pas terminé. Il est probablement volumineux, aussi est-il préférable de ne travail-ler qu’un grand thème à la fois.• Commencez par les thèmes étudiés en début d’année : la trace que vous en avez gardée s’est probablement affaiblie ; d’autre part, le programme de Terminale, même s’il s’organise autour d’axes indépendants, est construit sur une progression qui nécessite de bien maîtriser les outils des premiers chapitres, sur la croissance économique et sur le développement.• Pensez à lister systématiquement les notions clés de chaque chapitre. Vérifiez que vous êtes capable d’en donner une définition concise et claire (compétence importante pour les questions de la première partie d’une épreuve composée). Si vous avez des doutes ou si vous avez oublié le sens d’une notion, recher-chez-la et mémorisez le contenu de la définition.• Quand vous rencontrez des outils « mathématiques », pensez à vérifier que vous en connaissez la méthode de calcul : on ne vous demandera pas, à l’écrit, de procéder à des calculs mais il est indispensable de comprendre la logique de calcul de ces instruments pour pouvoir les interpréter correc-tement dans un tableau statistique ou dans un graphique, notamment pour la deuxième partie d’une épreuve composée.

I. La dissertationL’analyse du sujetLe sujet pose une question et votre objectif doit être d’y répondre avec le maximum de précision. Vous devez, dans un premier temps, élaborer une problématique : celle-ci ne vous est pas donnée par le sujet. Il s’agit de construire le cheminement que va emprunter votre réponse.L’analyse du sujet est donc une étape capitale. Il s’agit de cerner le sujet, tout le sujet, rien que le sujet, c’est-à-dire de comprendre quelles sont ses attentes et ses limites.Pour analyser le sujet, procédez en trois temps :– lisez attentivement le libellé ;– faites l’analyse des mots clés ;– reformulez le sujet de façon à mettre en évidence les enjeux sous-jacents à la question poséePour commencer, n’hésitez pas à recopier le sujet au centre d’une feuille de brouillon et à écrire tout autour les idées que vous pouvez y associer.Parmi les mots clés du sujet, vous pouvez distinguer :– les termes économiques et sociologiques qui déli-mitent le champ thématique ;– les mots frontières qui précisent le cadre spatio-temporel ;– les verbes consignes qui précisent la nature du travail demandé (exposer, démontrer, analyser, expliquer…).

Une fois que vous avez analysé complètement votre sujet, vous devez être en mesure de résumer votre parcours, votre problématique, en une phrase com-posée de plusieurs segments.

Élaborer le planLe plan de votre devoir est évidemment largement lié à la problématique que vous avez choisi d’adopter. Il peut s’agir d’un plan analytique, qui distingue les faits, les causes et les conséquences du phénomène que vous étudiez. Il peut s’agir également d’un plan dialectique qui opposera des points de vue portant sur la question proposée.Pour nourrir votre plan, vous rechercherez des élé-ments d’argumentation, d’une part, dans vos connais-sances, d’autre part, dans les documents proposés. En ce qui concerne l’utilisation du dossier documentaire, il importe d’éviter deux écueils :– les documents ne doivent pas borner votre réflexion : vous pouvez faire appel à des connais-sances auxquelles ils ne font pas allusion. Il faut cependant vérifier que ces apports sont cohé-rents avec le cadre du sujet. Il paraît cependant imprudent d’ignorer complètement la totalité des documents.– il faut, à tout prix, éviter la solution de facilité qui consisterait à ne faire qu’un commentaire détaillé des documents, sans que ce commentaire s’inscrive dans une démarche de réflexion analytique globale.

Méthodologie

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95Le guide pratique

LE GUIDE PRATIQUE

J – 30 : remobiliser les savoir-faire• Attention ! Les cours continuent, parfois à un rythme un peu plus dense ! Il vous faut donc veiller à en assimiler les contenus de manière régulière, tout en continuant votre programme de révisions.• Il est maintenant nécessaire de vous entraîner sur des sujets types, en bâtissant des plans de réponses non développés avec un canevas détaillé d’arguments. • Essayez de traiter un sujet par grand thème du programme et ne faites pas d’impasse sur l’un des deux types d’épreuves, dissertation ou épreuve composée.• N’oubliez pas que, sur la 1re partie d’une épreuve composée, il y a des points à récupérer, en faisant preuve de rigueur dans les réponses. Pour la 2e partie, entraînez-vous régulièrement sur des documents en rédigeant des « phrases de lecture » ou en en explicitant une phrase particulière.• Lorsque vous vous entraînez sur un sujet de dissertation, rédigez l’intro-duction et la conclusion, et éventuel-lement les « chapeaux introductifs » de chaque partie. Ce sont eux qui assurent la cohérence du propos. Le principe en étant toujours à peu près identique, s’entraîner crée des habitudes d’efficacité.

J – 8 : l’heure du bilan• Il faut maintenant identifier les « trous » dans votre maîtrise du programme et vous attacher à les combler : il ne faut pas faire d’im-passes car le hasard fait parfois très mal les choses et vous ne pouvez pas parier sur la chance. Rappelez-vous qu’il n’y a pas nécessairement un sujet de sociologie et un sujet d’économie.• Identifiez ce qui « ne rentre pas » et faites-vous aider sur ces points d’assimilation difficile pour les consolider.

J – 4• Si vous avez mené avec régularité vos révisions, il n’est plus nécessaire d’empiler et d’entasser : prenez votre Réviser son Bac et passez en revue les mots clés dont les défi-nitions vous sont rappelées. Cela doit vous permettre de rafraîchir l’ensemble de vos connaissances.

Les documents, le plus souvent, comportent de nombreuses données chiffrées : un élève de Terminale ES doit savoir les utiliser, même si l’interdiction de la calculatrice vous contraint à un traitement mathéma-tique relativement sommaire de ces données.

RédigerRédigez l’introduction et la conclusion au brouillon, mais seulement après avoir construit votre plan détaillé, quand vous aurez une vision claire de la problématique que vous voulez développer.Soignez particulièrement votre introduction car elle correspond au premier contact du correcteur avec votre copie. Pensez qu’elle doit éveiller sa curiosité et préparer le développement. Vous pouvez com-mencer votre introduction par une accroche tirée de l’actualité ou d’exemples en liaison avec le sujet. Vous pouvez aussi utiliser une brève citation ou encore, quand le sujet s’y prête, mettre en évidence une contradiction entre les faits et la théorie.Le développement doit être rédigé directement sur la copie, sans utiliser de brouillon. Vous devez être particulièrement attentif à la rédaction des « cha-peaux introductifs » au début de chaque partie et aux transitions entre ces parties.Dans votre conclusion, vous devez exposer le résultat de la démonstration que vous avez menée et vous pouvez ouvrir le débat en situant le sujet dans une perspective plus large.

II. L’épreuve composéeCette épreuve comporte trois parties pour lesquelles les exigences sont, à chaque fois, spécifiques. La nota-tion est décomposée, ce qui peut paraître plus rassu-rant qu’une note attribuée globalement. Cependant, il est important de « traquer » les points, en soignant particulièrement la qualité et la précision de la for-mulation, surtout dans la 1re et la 2e parties.

1re partie : Mobilisation des connaissancesCette partie demande au candidat de répondre à deux questions renvoyant explicitement au programme d’enseignement obligatoire. Il s’agit donc de questions de cours qui exigent de bien maîtriser les contenus.

La forme des réponses (clarté, définition des concepts, style...) doit faire l’objet d’un soin particulier et le volume de réponse est restreint. Même s’il n’y a pas de consigne officielle de volume, on peut considérer que chaque réponse doit, sauf exception, tenir en une page d’écriture manuscrite.Cette première partie est notée sur 6 points (2 x 3), soit un petit tiers de la note globale.

2e partie : Étude d’un documentCette partie de l’épreuve a pour but de vérifier la maîtrise méthodologique du candidat face à un document factuel (qui ne comporte donc pas de jugement), sous la forme d’un tableau statistique, d’un graphique et, semble-t-il plus rarement (d’après les instructions officielles), d’un texte.Vous devez présenter le document, c’est-à-dire définir les instruments qu’il utilise (notamment les instruments statistiques), en préciser la source et le champ et en extraire quelques informations pertinentes permettant de répondre à la question posée.Le fait de ne pas pouvoir disposer d’une calculatrice n’interdit pas cependant de calculer des ordres de grandeurs permettant de préciser l’analyse.Cette 2e partie est notée sur 4 points.

3e partie : Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaireLa 3e partie, notée sur 10 points, est évidemment stratégique. Le libellé du sujet ne suggère pas de problématique ni de plan type. C’est donc à vous de construire le parcours d’argumentation et de l’organiser de manière ordonnée.La réponse doit comporter une introduction, un développement et une conclusion, donc présenter globalement les arguments, ensuite les exposer de manière explicite et enfin, en synthétiser les apports.Vous devez vous appuyer sur vos connaissances personnelles mais aussi sur une exploitation sélective des documents. Ici aussi, le piège serait de se borner à un commentaire des documents en « oubliant » la question posée.

DISSERTATION OU ÉPREUVE COMPOSÉE ? QUELS CRITÈRES DE CHOIX ?Le temps de l’épreuve est de 4 heures, quel que soit le type d’épreuve que vous choisissez. Ne décidez pas au cours de l’année d’abandonner la préparation d’une des deux formes. Vous risqueriez de vous retrouver, le jour J, devant un thème principal que vous maîtrisez moins bien.L’épreuve composée donne le sentiment de « jouer la sécurité » car les points sont partagés entre 3 parties explorant différentes zones du programme. Mais réussir l’étude d’un document ou un raisonnement argumenté n’est pas plus facile que de construire une dissertation. Ce qui doit guider votre choix, c’est la qualité du bagage de connaissances que vous pensez pouvoir mobiliser sur chacune des deux épreuves.

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CROISSANCE, FLUCTUATIONS ET CRISESQuelles sont les sources de la croissance économique ?

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Comment expliquer l’instabilité de la croissance ?p. 14 : DR ; p. 15 : © iStockphoto/Thinkstock ; p. 16 : réalisation Lézarts Création ;

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CLASSES, STRATIFICATION ET MOBILITÉ SOCIALESComment analyser la structure sociale ?

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Comment rendre compte de la mobilité sociale ?p. 54 et p. 56 : réalisation Lézarts Création ; p. 55 : © iStockphoto/Thinkstock

INTÉGRATION, CONFLIT, CHANGEMENT SOCIALQuels liens sociaux dans des sociétés où s’affirme le primat de l’individu ?

p. 62 et p. 64 : DR ; p. 63 : © Fotolia ; p. 65 : réalisation Lézarts Création

La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social ?p. 68 : © Imagine/Fotolia ; p. 69 : © Elenarts/Fotolia ; p. 70 : © pf30/Fotolia

JUSTICE SOCIALE ET INÉGALITÉSComment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?

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TRAVAIL, EMPLOI, CHÔMAGEComment s’articulent marché du travail et organisation dans la gestion de l’emploi ?

p. 80-81 : réalisation Lézarts Création ; p. 82 : © Auremar/Fotolia

Quelles politiques pour l’emploi ?p. 86 : © iStockphoto/Thinkstock ; p. 87 : © Viktor Pravdica/Fotolia ; p. 88 : © Digital Vision/Thinkstock ;

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LE GUIDE PRATIQUEp. 93 : © iStockphoto/Thinkstock ; p. 94 : © Driveprix/Fotolia

Edité par la Société Editrice du Monde – 80, boulevard Auguste Blanqui – 75013 ParisTél : +(33)01 57 28 20 00 – Fax : +(33) 01 57 28 21 21

Internet : www.lemonde.frPrésident du Directoire, Directeur de la Publication : Louis Dreyfus

Directeur de la rédaction : Jérôme Fenoglio Dépôt légal : février 2016 - Imprimé par Aubin - Achevé d’imprimer : mars 2016

Numéro hors-série réalisé par Le Monde - © Le Monde – rue des écoles 2016 © ru

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