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La Véritable histoire de la Crêpe dentelle AVEC 1886 NAQUIRENT LES CRÊPES-DENTELLES : Marie-Catherine Cornic Les faïences de Quimper et les crêpes-dentelles ont porté le renom du « Sourire de la Cornouaille ›› aux quatre coins du monde. Qui ne connaît aujourd’hui ces biscuits dorés et croustillants dont la fine dentelle semble inspirée des coiffes de chez nous ? Léon Tual leur a dédie quelques rimes : « Oui, je veux te chanter, blonde crêpe à dentelles... Née au bord de l'Odet, près des flèches jumelles. Tu possèdes partout un merveilleux renom Et pour ton goût exquis et pour ton joli nom. ›› Dans les réceptions officielles, partout où la Bretagne est à l’honneur, elles figurent sur les tables. Elles se servent à tous les moments de la journée, accompagnant les entremets glacés, le thé, les vins, le champagne. En Europe, en Afrique, en Amérique, en Extrême-Orient, aux Indes..., elles ont conquis leurs lettres de noblesse, apportant par ailleurs aux Bretons dispersés dans le monde le souvenir du pays d'Armor, aux heures de nostalgie. Cependant, l'origine des crêpes-dentelles est encore mal connue. C’est Marie-Catherine Cornic, notre aïeule, qui parvint la première à fabriquer le savoureux dessert, et Anne Tanguy en fit une industrie. La mystique bretonne a tôt fait de s`emparer de l`histoire qu’elle enveloppe de brume légendaire. Ainsi Pierre Allier note que, lors d’une visite qu’il fit jadis à Quimper, Curnonsky, prince des gastronomes, s'enquit au sujet du délicat biscuit qu’il jugea véritablement « céleste ››. Dans ces conditions, où chercher son origine ailleurs que dans la légende dorée des saints de Bretagne ? « Lors, le grand Saint Corentin, ayant reçu inopinément la visite du roi Gradlon, de Saint Malo et Saint Patern, et n’ayant pour les traiter qu'une petite poignée de farine qu’on lui avait donnée par aumône ès villages prochains, reçut fort humainement ces grands personnages et, pour les festoyer, leur dressa des crêpes à la mode du païs, c’est-à-dire plus découpées que de fines dentelles ››. La réalité, bien que différente, n’en est pas moins belle car, sous certains aspects archaïques, elle prend l’allure d'un conte. C’était en 1886... Mais n’est-il pas préférable de situer d'abord le personnage bien cornouaillais de Marie-Catherine Cornic ? Elle est née le 26 mai 1857, troisième d`une famille de treize enfants, à Kernazet en Kerfeunteun, ferme toute proche de la chapelle Ti-Mam-Doue. Un jour de 1880, les cloches de la paroisse sonnèrent à toute volée : Marie-Catherine épousait Yan

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La Véritable histoire de la Crêpe dentelle

AVEC 1886 NAQUIRENT LES CRÊPES-DENTELLES : Marie-Catherine Cornic

Les faïences de Quimper et les crêpes-dentelles ont porté le renom du « Sourire de la Cornouaille ›› aux quatre coins du monde.

Qui ne connaît aujourd’hui ces biscuits dorés et croustillants dont la fine dentelle semble inspirée des coiffes de chez nous ?

Léon Tual leur a dédie quelques rimes :

« Oui, je veux te chanter, blonde crêpe à dentelles...

Née au bord de l'Odet, près des flèches jumelles.

Tu possèdes partout un merveilleux renom

Et pour ton goût exquis et pour ton joli nom. ››

Dans les réceptions officielles, partout où la Bretagne est à l’honneur, elles figurent sur les tables. Elles se servent à tous les moments de la journée, accompagnant les entremets glacés, le thé, les vins, le champagne.

En Europe, en Afrique, en Amérique, en Extrême-Orient, aux Indes..., elles ont conquis leurs lettres de noblesse, apportant par ailleurs aux Bretons dispersés dans le monde le souvenir du pays d'Armor, aux heures de nostalgie.

Cependant, l'origine des crêpes-dentelles est encore mal connue.

C’est Marie-Catherine Cornic, notre aïeule, qui parvint la première à fabriquer le savoureux dessert,et Anne Tanguy en fit une industrie.

La mystique bretonne a tôt fait de s`emparer de l`histoire qu’elle enveloppe de brume légendaire.

Ainsi Pierre Allier note que, lors d’une visite qu’il fit jadis à Quimper, Curnonsky, prince des gastronomes, s'enquit au sujet du délicat biscuit qu’il jugea véritablement « céleste ››. Dans ces conditions, où chercher son origine ailleurs que dans la légende dorée des saints de Bretagne ?

« Lors, le grand Saint Corentin, ayant reçu inopinément la visite du roi Gradlon, de Saint Malo et Saint Patern, et n’ayant pour les traiter qu'une petite poignée de farine qu’on lui avait donnée par aumône ès villages prochains, reçut fort humainement ces grands personnages et, pour les festoyer, leur dressa des crêpes à la mode du païs, c’est-à-dire plus découpées que de fines dentelles ››.

La réalité, bien que différente, n’en est pas moins belle car, sous certains aspects archaïques, elle prend l’allure d'un conte.

C’était en 1886...

Mais n’est-il pas préférable de situer d'abord le personnage bien cornouaillais de Marie-Catherine Cornic ?

Elle est née le 26 mai 1857, troisième d`une famille de treize enfants, à Kernazet en Kerfeunteun, ferme toute proche de la chapelle Ti-Mam-Doue.

Un jour de 1880, les cloches de la paroisse sonnèrent à toute volée : Marie-Catherine épousait Yan

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Cornic, son homonyme, qui était ouvrier boulanger à Quimper.

Les nouveaux mariés partirent pour la ville où leur « ménage ›› les avait précédés : de bons meublesaux reflets blonds, taillés dans les vieux cerisiers de la ferme paternelle; on avait voulu en faire des citadins, mais leur robustesse portait sans conteste la marque des artisans ruraux.

Les années passent, six années s’écoulent. Marie-Catherine Cornic, plus connue sous le nom de Mme Katel, est établie dans l’immeuble aujourd’hui occupé par l’Imprimerie cornouaillaise. .

La rue des Gentilshommes, le passage était bien là, mais ceux qui lui avaient donné son nom, disparaissaient un à un. On en trouvait encore cependant qui poursuivaient le culte de la tradition, réservant leur « jour des aumônes ›› dans le calendrier hebdomadaire que les chercheurs de pain savaient sur le bout des doigts.

Par ailleurs, les familles, nombreuses pour la plupart, vivaient assez misérablement. Le beurre valaitde dix-huit à vingt sous la livre, les œufs dix à douze sous la douzaine.

Pour certains privilégiés, c`était peut-être « la Belle Epoque ››! Mais à côté de cela, il fallait très souvent, faute de ressources, acheter le pétrole nécessaire à l’éclairage par quart de litre et la chicorée, au détail, pour deux sous. La piquette à un sou le litre devait même remplacer sur les tables le litre de cidre, qui ne coûtait cependant, en moyenne, que vingt centimes.

Allons voir Marie-Catherine Cornic qui exploitait un commerce d’épicerie. Sa naturelle bonté l’incitait à pratiquer une politique plutôt basée sur les sentiments que sur le revenu; chez elle, l’estampe portant cette inscription sentencieuse « Crédit est mort ›› eût semblé du plus haut comique. C'est également par philanthropie qu'elle hébergeait les servantes sans emploi.

Lorsque celles-ci connaissaient des jours meilleurs, elles s’en souvenaient... parfois; mais bien souvent, reprises par les difficultés de l’existence, elles oubliaient le chemin de chez Mme Katel.

« J’ai dit que je savais faire la sauce piquante et la sauce douce ››, dit un jour l’une de ces pauvresfilles, au terme d'un long périple qui l’avait menée de maison en maison « bourgeoise ››, sans trouver de travail.

Les écoliers, qui l’observaient d’un œil narquois, lui donnèrent un surnom approprié, car il y avait également des écoliers au n° 7 de la rue des Gentilshommes. Plus exactement, afin de pouvoir décemment élever sa famille, Mme Cornic prit comme pensionnaires des élèves de l’école communale de la rue du Lycée, dirigée par Jean-Marie Salaün.

Les intéressés, une bonne dizaine en période normale, dont certains étaient originaires du Nord-Finistère, avaient le gîte et le couvert assurés, moyennant environ vingt francs par mois. Ils menaient, au deuxième étage de la maison Cornic, un véritable chahut que venaient tempérer les visites inopinées de leur directeur qui avait la façon de maintenir la discipline parmi cette jeunesse turbulente.

Cependant, dans la famille Cornic, l’aisance ne venait toujours pas.

Marie-Catherine ouvrit une crêperie. Il faut croire qu'elle fut, dès le début, appréciée dans sa spécialité, puisqu’elle obtint la clientèle de la « gentry ›› quimpéroise et celle des châtelains des environs.

Toutefois, Mme Katel devait sans cesse innover pour étendre sinon conserver la renommée de sa maison. Elle imagina d°abord les crêpes dites « en gants ››, ainsi appelées parce qu’un ingénieux système de pliage permettait d'y introduire de la crème.

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Mais on n'avait pas encore à ce point l’engouement des spécialités régionales pour que la crêpe bretonne fût toujours jugée digne, dans la bourgeoisie, de figurer sur la table d'hôte. Certes, la fabrication de Mme Cornic se singularisait déjà par sa présentation, mais il lui fallait trouver un produit qui offrit la légèreté d’un biscuit tout en s’inspirant de la gastronomie locale.

Nous pouvons dire que Marie-Catherine Cornic a parfaitement réussi.

Encouragée par Mme Debled, épouse d'un Président du Tribunal de Quimper, elle se mit au travail, dosant sa pâte de différentes manières.

On sait qu’il entre dans la fabrication des crêpes-dentelles, de la farine de pur froment, évidemment,du lait, des œufs, du sucre et du beurre, la matière grasse, employée dans une très forte proportion, conditionnant la réussite du délicat dessert. Mais nous n'en dirons pas plus à ce sujet.

Au temps jadis, les ouvriers de certaines industries étaient tenus au .secret des fabrications sous peine... de la réclusion perpétuelle.

Rassurez-vous. Pour les crêpes-dentelles, la règle n'a jamais été d’une rigueur extrême. Mais il y a également le secret de leur fabrication que l’on garde jalousement.

Revenons à Mme Katel que nous avons laissée à ses « expériences ››.

Les débuts s'avérèrent laborieux. Quel gâchis ! Il n'était pas perdu pour tout le monde car Mme Cornic recevait en effet la visite intéressée des amateurs de « boudinachous » (miettes).

Tard dans la soirée, un chandelier posé près d'elle, sous le manteau de la grande cheminée, on pouvait la voir faire ces gestes que tant d’autres crêpières répétèrent par la suite.

De minces rubans de pâte s’allongeaient sur la « bilic ›› (poêle), qu’à dessein elle avait inclinée sur deux grosses pierres. Lorsqu'elle les voyait dorés à point - le chauffage au bois était déjà tout un art - Marie-Catherine les retournait avant de les rouler habilement sur un couteau.

Nous avons sous les yeux le matériel primitif qui présida à la naissance des premières crêpes-dentelles (1); ce couteau en particulier, dont la lame, réduite à sa plus simple expression à force d’avoir servi, évoque le travail pénible des crêpières : toute une vie passée dans la chaleur qui monte de l’âtre, dont le brasier flambe le visage et cuit lentement le sang.

Enfin Mme Katel obtint cette crêpe dorée, croustillante à souhait, bref, la perfection que nous connaissons. Car si la production s'est industrialisée depuis lors, la recette employée de nos jours s'inspire de celle découverte par Mme Cornic, en 1886.

- Crêpe-dentelle, délicieuse mais fluette, tu t’es affinée dans la cité de Gradlon. Mais tes aïeules sontbien ces galettes et ces crêpes qu’en Cornouaille et dans toute la Bretagne on servait, et on sert encore, croustillantes et rendues plus appétissantes par le bon beurre de chez nous.

(Il y a une trentaine d’années, un industriel fit quelques essais en vue d’obtenir avec des ersatzs une crêpe à meilleur marché. Il capitula devant la médiocrité du résultat.)

Le succès des crêpes-dentelles ne se fit point attendre. Leur nom, comme l'a écrit M. Ogès, fut lui-même une trouvaille. A noter -- une carte publicitaire de la Maison Cornic en fait foi - que leur créatrice les appelait, au début, « crêpes à dentelles ››.

L'année 1892 marqua une importante étape dans leur essor. En période de pointe, à l'époque de la nouvelle année notamment, Mme Cornic n’arrivait plus à fournir sa clientèle. Le prolongement de la journée de travail, les longues heures debout l’amenèrent à améliorer quelque peu son

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installation.

Un artisan local entailla la pierre de l’âtre, lui ménageant un logement pour ses jambes. Elle put ainsi s’asseoir à distance suffisante de sa plane, qu’un foyer maçonné portait à sa hauteur.

Mme Cornic fabriquait de cette manière un maximum de soixante douzaines de crêpes par jour. Elles étaient immédiatement écoulées, au prix de trente centimes la douzaine. Mme Katel réalisait ainsi un bénéfice journalier de six à dix francs.

Au nombre de ceux qui contribuèrent à la renommée du délicat dessert, il convient de citer M. Fermon, propriétaire du « Grand Hôtel ›› à Beg-Meil.

Des plages de Dinard et Saint-Malo, rendues célèbres par des hommes de lettres, le tourisme naissait en fin de siècle dans notre région, réputée entre autres pour la modicité du prix des pensions.

M. Fermon se révéla véritablement, auprès de sa clientèle, l’ambassadeur de la crêpe-dentelle. Les commandes affluèrent et Mme Cornic dut bientôt procéder à des expéditions hors du département.

L°emballage du nouveau biscuit, tant en raison de son hygrométricité -à l'image de ces coiffes bigoudènes que nos élégantes doivent encapuchonner les jours de crachin - que de sa fragilité, posa d'abord pour Mme Katel un problème. Elle commença par utiliser les anciennes boîtes à biscuits, enprovenance de l’épicerie Ménez-Hémery, rue Kéréon; la Maison Gautier fournit un précieux appoint; enfin, une maison spécialisée de Nantes en livra à la demande.

Dès lors, les expéditions se firent en boîtes de dix, quinze et même trente douzaines, chaque rangée étant séparée par une épaisseur d’ouate.

Bien plus tard, on se servira de la boîte à double couvercle et de caisses rendues hermétiques par doublage en zinc.

Une famille noble établie dans le Midi de la France fit goûter les crêpes-dentelles au Prince et à la Princesse de Bourbon qui les apprécièrent fort:

« Le dessert quimpérois parvenait aux palais princiers ››.

L’Exposition de 1889 à Paris avait inauguré la vogue des « tea-rooms ››. Le thé, préparé à la manière anglaise, cessait du même coup d’être considéré surtout comme un médicament.

D'aucuns pensèrent, avec raison, que cette petite révolution ne pouvait que favoriser notre crêpe-dentelle. C’est ainsi que Mme Katel fut sollicitée aux environs de 1900 par un usinier de Douarnenez, appuyé par M. Séchez, négociant en vins à Quimper, pour exposer sa production à Paris. Elle refusa, arguant du désir de ne point quitter sa Bretagne natale.

Marie-Catherine Comic dut, pour raisons de santé, cesser toute activité en 1909. Elle s’éteignit en 1927, au n° 7 de la rue des Boucheries, en ce Quimper à la renommée duquel elle sut si bien travailler.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la composition de la pâte des crêpes-dentelles et les proportions sont demeurées dans la tradition.

C'est vers la productivité que tendront tous les efforts dès le début de ce siècle; mais le stade de la fabrication artisanale ne sera guère dépassé avant 1937.

Notons encore, dans le cadre de la petite entreprise, l’initiative de M. Le Besq, successeur des « Produits Lesquendieu ›› (épicerie fine), rue du Parc à Quimper. M. Le Besq ouvrit en 1912 un «

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Salon de dégustation ›› qui eut aussitôt la faveur des visiteurs étrangers.

Le déclin de l’anglophobie, séquelle de vieilles rivalités avec la Grande-Bretagne, avait favorisé un courant touristique en provenance d'Outre-Manche, qui se trouva encore renforcé par l'Entente Cordiale. Des plages de Normandie, où ils cherchaient un dérivatif à leur spleen traditionnel, nos nouveaux amis s’enhardirent jusqu’à découvrir la Bretagne dont le charme, un peu mélancolique, convenait à leur tempérament.

Chez M. Le Besq, un samovar, dont la vogue était née de l’alliance russe, fonctionnait en permanence à l’intention des voyageurs britanniques.

Commerçant avisé, M. Le Besq fit appel à l’une des filles de Mme Cornic pour fabriquer des crêpes-dentelles qu’on servait sur place, avec le thé. Ses hôtes raffolèrent bientôt de la spécialité quimpéroise et ne s'en privèrent point. Pensez donc, à six sous la douzaine !...

Vingt ans plus tard, l'entreprise artisanale vivait, croyait-on, ses derniers moments avec Mme Le Mat (amie de la famille Cornic), établie pendant quelques années, en chambre, rue Jules-Noël à Quimper.

Il fallait la ténacité des gens de la bigoudennie, comme M. Henri Kérouédan, commerçant établi de longue date à Quimper, pour reprendre, après la Libération, l’ancien mode de fabrication avec le réchaud « Bécuwe ›› et lancer sur le marché finistérien les crêpes-dentelles à la marque « Au Carillon de Saint-Corentin ››.

M. Kérouédan dut s’arrêter en 1950.

Deux noms s'inscrivent en relief dans l’évolution des crêpes-dentelles vers la production industrielle: ceux de Mme Anne Tanguy et de l’ingénieur Girodin.

En 1897, Mme Tanguy, née Anne Maguet, une authentique « borléden ›› puisqu’elle naquit un jour de 1875 à Ergué-Armel, obtint le secret de la fabrication des crêpes-dentelles. Elle s'installa d'abord Place Terre-au-Duc à Quimper, puis rue Saint-François, « Au Régal ››, la fabrique se trouvant à l’époque rue Sainte-Catherine.

C'est Mme Tanguy qui lança la marque « Les Délicieuses ››, connue dans le monde. Déjà en 1913, la clientèle de la Maison Tanguy s’était accrue dans des proportions considérables: Angleterre, Hollande, Cour de Russie, Etats-Unis, Madagascar, Iles de la Sonde. Elle portait le titre de « fournisseur de S.E. la Grande-Duchesse de Luxembourg ››.

Dès 1902, Mme Tanguy imagina un réchaud perfectionné, mais fonctionnant toujours au feu de bois. La longue pratique de sa spécialité lui suggéra de nouvelles améliorations : l’appareil fut munid'une rampe à gaz.

C'était celui que les crêpières connaissaient sous le nom de « Bécuwe ››, du nom de la maison parisienne qui fabriquait ce matériel. Il conservait le principe de la plaque chauffante inclinée.

Une bonne crêpière pouvait réussir cent vingt-cinq crêpes à l’heure.

Il y avait deux méthodes de travail. L’une dite « au fouloir ››, sorte de godet de tôle qui projetait unenappe de pâte sur la plaque chauffante. On la découpait ensuite en rubans, que l'on enroulait sur la lame d’un couteau.

L’autre méthode, dite « à la cuillère », indiquait la manière dont se répandait la pâte pour la cuisson.Chaque système était tout un art. Les initiés pouvaient reconnaître à la facture du biscuit le travail

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de telle ou telle opératrice.

Puis tout se mécanisa de plus en plus, sauf l’enroulement de la crêpe et l’emballage : ceci pour ménager la fragile dentelle. Un ingénieux système de refroidissement en permit la manipulation immédiate. De cinq cents à six cents crêpes à l'heure, les normes de mille deux cents et même mille huit cents furent atteintes. C'était la période de semi-industrialisation.

Mme Nicole, fille de Mme Tanguy (décédée en 1938), poursuivit la tradition de cette maison ancienne sise en bordure de l’Odet.

Vers 1912, une autre Quimpéroise, Mme Le Noach, née Nédélec Corentine, fut initiée au secret des crêpes-dentelles.

Tenant une crèmerie, rue du Stéir, elle exerça d'°abord à cette adresse, avant de s'établir à Locmaria,à l'ombre de l’ancien prieuré des Bénédictines de Notre-Dame et près de ces manufactures dont une dynastie de faïenciers a contribué, dans une large mesure, au renom de Quimper dans le monde.

Mme Le Noach fonda « Les Gavottes ››, du nom d'une danse bretonne particulièrement en faveur près de nos pères, ou du moins leurs contemporains, lorsque le biniou entraînait la jeunesse sur l’aire neuve.

La Société des Crêperies de Locmaria en poursuit aujourd’hui la fabrication, selon une technique très moderne puisqu'elle a atteint et dépassé le rendement de dix mille crêpes à l°heure.

Les « Gavottes ››, elles aussi, ont fait leur tour du monde, accompagnées de ce conseil : « Nous sommes très fragiles, ne nous brisez pas, croquez-nous ››.

Avec les « Mascottes ›› on sortait quelque peu du thème traditionnel.

Leur « père ››, M. Girodin, ingénieur, descendait d'une famille d’artisans dauphinois, des « serruriers à tout faire ››, comme on les appelait jadis dans le pays. Il était venu à la mécanique en quelque sorte par atavisme. Arrivé dans le Finistère à la veille de la première guerre mondiale, il fut remarqué, vers 1923, par M. Pierre Schang, de Pont-Croix, lequel lui demanda de perfectionner la fabrication de l'iode. Celle-ci procédait encore des marmites chauffant sur feu nu. On n’avait pas, à cette époque, à compter avec la concurrence chilienne et M. Girodin opéra une révolution dans l’industrie de l’iode pour le prix d'une année de bénéfices. N’était-ce pas là une garantie ?

Pour les marins, M. Girodin était « l’homme des bélugas ››, ceci parce qu’un jour il les débarrassa de ces destructeurs de filets, auxquels un navire de la Marine Nationale, basé à Douarnenez, donnaitauparavant la chasse.

Il avait observé que les cétacês étaient peureux; de simples pétards explosant sous l’eau les mettaient en fuite.

M. Girodin montait encore une usine de colle de poisson à Ergué-Armel, avant de s'intéresser, en 1936, aux crêpes-dentelles. Il mit au point une machine qui fut acquise par une biscuiterie belge : « Les Mascottes ››.

Celle-ci était en quelque sorte la marraine de l’établissement que M. Girodin fonda en 1937, rue de Brest à Quimper, en association avec M. Soudain, commerçant quimpérois. Les crêpes-dentelles sortirent donc un moment en Belgique, avant que l'usine ne fermât pour une cause sans rapport avecle délicieux biscuit.

Chaque machine imaginée par M. Girodin produisait une crêpe toutes les trois secondes, soit mille

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deux cents à l'heure. La main-d'œuvre se bornait à la confection de la pâte, l’enlèvement des plateaux où tombaient les crêpes-dentelles et l’emboîtage.

Les « Mascottes ›› continuent leur activité. Elles ont également leur clientèle.

1886-1967. Tradition et modernisme, l’industrie quimpéroise des crêpes-dentelles ne devrait-elle pas être, dans sa réussite, le symbole de la Bretagne d’aujourd’hui ?

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(l) Comme nous détenons la recette originaire imaginée par Mme Cornic.

Texte repris du livre d'Alain Le Grand (1918-1992) – Quimper Corentin en Cornouaille. Ed de la Cité – Brest, Quimper – 1968 pp. 75 à 82 (déjà publié dans Les Cahiers de l'Iroise -1958. pp.40-48