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AUX ORCHIDÉES SAUVAGES

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DU MÊME AUTEUR

Fictions

Le Réservoir des sens, nouvelles , La Jeune Parque , 1966 ; rééd. J.-J. Pauvert, 1988 ; rééd. augmentée Le Castor astral, 1995.

Le Collier de Ptyx, ciné-roman, J.-J. Pauvert, 1971. Mémoires d'une liseuse de draps, roman, J.-J. Pauvert, 1974.

Essais sur le cinéma

Manifeste d'un a r t nouveau : la Polyvision, Caractères, 1955. Le Sunlight d'Austerlitz, Plon, 1960. Napoléon, British Films Institute Classics, 1994.

Films

Gustave Moreau, 1961.

Rodolphe Bresdin, 1962. Abel Gance, hier et demain, 1963. Les Années 25, 1965.

La Nouvelle Orangerie, 1965. Dessins et merveilles, 1965.

À la source, la femme aimée..., 1966.

Le Regard Picasso, 1966. La Fiancée du pirate, 1969. Papa, les petits bateaux... , 1971. Néa, 1975. Charles et Lucie, 1979.

Abel Gance et son Napoléon, 1984. Pattes de velours, 1986. Plaisir d'amour, 1991.

© Nelly Kaplan et ELA La Différence, 47, rue de la Villette, 75019 Paris, 1998.

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NELLY KAPLAN

AUX ORCHIDÉES SAUVAGES

r o m a n

LITTÉRATURE

ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE

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Horresco referens

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Les roses d'Eros sont pleines d'épines. BELEN

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À travers la vitre, on peut apercevoir une chambre de jeune fille, gaie, en très grand désordre, fatras que trois femmes essayent d'apprivoiser avec plus de bonne volonté que de véritable vocation. Observez-les bien : leur rôle dans cette histoire est

capital. Ce qui frappe le plus, en les regardant, est un indiscutable air de famille : même vivacité dans

l'expression et dans la démarche, même bouche iro- nique et sensuelle, mêmes mains fines... Trois géné- rations avec, en commun dénominateur, un charme fou. C'est à parier qu'elles en sont parfaitement conscientes. Elles portent un modèle identique de longue robe en coton qui fait ressortir la sveltesse de leur taille et dont seule la couleur diffère. Celle de la plus âgée, noire à force d'être bleue, habille Dorothée, Do pour ses intimes. Elle a cinquante- sept ans, a été très belle, l'est encore. Elle arbore, comme sa fille et sa petite-fille, une orchidée sau- vage sur le corsage, parure somptueuse qui accen- tue la splendeur de leur peau.

- C'est une honte ! s'exclame-t-elle. Regardez ce capharnaüm ! Tu l'as vraiment mal élevée, ta fille.

Elle s'adresse à Noémi, No pour les amis, une femme resplendissante à la lisière de la quarantaine dont le rouge de la robe souligne l'insolence qu'ex- hale toute sa personne.

- Pas plus mal que tu n'as élevé la tienne, riposte-t-elle en riant.

Elle sort un cahier d'un tiroir et le pose sur l 'écritoire. La plus jeune des trois femmes, Joséphine, tout en blanc, essaye de s'en emparer. Sa mère lui tape sur les doigts.

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- Arrête, Jo ! Tu sais bien que Florence n'aime pas qu'on lise son Journal.

Vexée, Jo abandonne toute velléité de range- ment et part s'admirer dans un grand miroir en pied.

- De toute façon, ce Journal ne contient que des niaiseries. Et puis Flo me l'a toujours laissé lire. Elle adore même me le montrer, ajoute-t-elle reven- dicative.

- Viens plutôt nous aider. Jo s'exécute de mauvaise grâce. Elles recom-

mencent à se battre contre le désordre de la chambre. Perplexe, Do contemple le petit lit de la jeune fille.

- À votre avis, on change les draps ? - Non, Flo est si propre, décide No après les

avoir humés. Un cri rageur les fait se retourner. Jo, qui a

ouvert l'armoire, en sort un ravissant slip en soie naturelle où quelques taches cramoisies dessinent une bizarre broderie.

- Propre ! Propre ! Regardez-moi ça ! - Tu sais bien que c'est le souvenir de sa pre-

mière lunaison, intervient Do avec indulgence. - Tu as fait la même chose à son âge, ajoute

No en repliant avec soin la culotte minuscule. - Oui, mais mon slip, je l'ai fait encadrer par

Raphaël. Je ne laisse pas traîner mes affaires, moi, tranche Jo, ravie.

Elle adore avoir le dernier mot, et cette victoire lui rend sa bonne humeur.

- Les coussins ! Là, par terre, passe-les-moi, demande Do.

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Jo expulse Tanit, petite chatte tigrée qui som- nole dans une litière improvisée, faite de superbes coussins en satin. Elle feule sa désapprobation, car Tanit hait le mouvement qui déplace les lignes, et elle le fait sentir sévèrement en boudant toute caresse.

- Maintenant, ça y est ! On n'a rien oublié ? questionne No en jetant un regard circulaire. Si ! Son cadeau ! Où est-il ?

- Là, sous l'armoire, je l'ai vu tout à l'heure. Jo place une boîte sur la table et l'ouvre. C'est

une magnifique panoplie de coiffure, avec sèche- cheveux électrique, peignes et brosses de toutes sortes, et une vingtaine de bigoudis multicolores de tailles diverses, disposés verticalement sur leur socle.

- Quand j'avais son âge, on ne me faisait pas de si beaux cadeaux, revendique Jo, à nouveau bou- deuse.

- Tu oublies qu'à treize ans tu n'aimais que le meccano, lui répond No.

Jo ne désarme pas et montre d'un doigt accu- sateur une très belle robe placée sur un mannequin.

- Encore une dépense inutile ! - Ce n'est pas ça qui va nous ruiner, la calme

Do. Allons nous coucher. Demain, il faudra se lever tôt avec l'arrivée de Flo et du nouveau précepteur.

- Comment s'appelle-t-il déjà ? s'inquiète Jo. - Finger. John Harold Finger. Elles quittent la chambre, satisfaites du beau

travail accompli, laissant comme unique lumière une veilleuse.

Restée seule, Tanit bâille avec volupté et se dis- pose à sauter sur le lit aux doux coussins parfumés

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pour renouer avec le sommeil si injustement inter- rompu, quand elle aperçoit sur le rebord de la fenêtre la silhouette d'Ishtar, toujours aux aguets. Alors, pendant une longue minute, la chatte-miau- lante et la chatte-huante se dévisagent avec curio- sité, poliment, de leurs yeux poudrés d'or, puis la chouette regagne son poste de vigile, la chatte ses coussins. La lune est occultée par un nuage et la nuit bleu noir enveloppe dans une chaude étreinte les rêves des Orchidées sauvages.

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L'aérodrome d'Anatha Island n'est en fait qu'une bande de terre déboisée en bordure de l'océan. Cela suffit amplement aux besoins du ter- ritoire car rares sont les avions qui assurent un ser- vice irrégulier avec les autres îles, et plus excep- tionnels encore ceux qui desservent le continent.

Il est tôt le matin, mais déjà l'intensité de la chaleur fait trembler la lumière. Au bout de la piste, un soldat en uniforme de parachutiste s'approche d'une vieille Rolls Royce admirablement briquée qui vient d'arriver et d'où descend Tobias, un très beau Noir d'une trentaine d'années, le chauffeur attitré des Orchidées sauvages. Superbe, haut d'un mètre quatre-vingt-quinze, il passe d'autant moins inaperçu qu'il porte un uniforme des plus fantai- sistes : vieux complet bleu lustré, casquette rouge, nœud papillon lavande à pois verts, espadrilles effi- lochées qui furent blanches dans quelque ancien avatar. Ainsi habillé, n'importe qui semblerait ridi- cule. Pas Tobias. Quand il s'avance à la rencontre de la sentinelle, sa démarche frappe par une élasti- cité qui inquiète et subjugue à la fois. Les deux

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hommes ont l'air de bien se connaître et bavardent en attendant l'avion, un petit monomoteur qui amorce sa descente.

L'appareil atterrit à côté du cabanon déglingué qui fait office de bureau administratif. Les portes de la carlingue s'ouvrent, un jeune homme tout de blanc vêtu - foulard et pochette en soie bleu ciel apportant une discrète touche colorée à l'ensemble - apparaît. Il porte une grosse valise de toile et semble ébloui par la violence de la lumière. Il est grand, mince, musclé : un très beau spécimen de bipède mâle. On le sent sûr de lui ; il plaît et il aime plaire.

Déjà le chauffeur s'avance, découvrant ses dents parfaites dans un chaleureux sourire de bienvenue. D'office il prend la valise des mains du jeune homme.

- Monsieur Finger, je présume ? Je suis Tobias. Monsieur est seul ? dit-il en regardant d'un air sur- pris autour de lui.

— Bien sûr. Avec qui pourrais-je être ? s'étonne Finger.

— Mademoiselle Florence, la future élève de Monsieur, devait rentrer de voyage par le même avion. Enfin, ce n'est pas la première fois que Mademoiselle Flo rate sa correspondance, ajoute-t- il avec un léger soupir. Si Monsieur veut bien me suivre...

Il ouvre la portière de la Rolls, fait monter Finger à l'arrière, pose la valise à côté de lui, s'ins- talle au volant et fait démarrer la voiture. Un long voyage commence.

On ne pourrait jamais accuser le gouvernement de l'île de dilapider les deniers publics dans

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Il sent monter de nouveau le besoin irrépres- sible de se venger. De quoi ? Il serait incapable de le dire. De n'avoir aucune prise sur ces chiennes, dont la seule évocation provoque en lui des bouf- fées meurtrières ?

Les heures s'écoulent ainsi dans cette lutte corps à corps avec une rage rentrée qui le corrode. Et puis, aussi, une petite faim s'insinue en lui, affaibli par un jeûne de plus de vingt-quatre heures. Décidément, il est temps d'aller croquer une de ces victuailles que Tobias sait si bien laisser en réserve.

Pour se donner une contenance, Finger prend son livre de poèmes et quitte précautionneusement sa chambre.

Il descend les escaliers sans croiser personne, entre dans la cuisine déserte et ouvre le réfrigéra- teur : il est vide.

Déçu, il sort dans le parc mais, pris de faiblesse, est obligé de se coucher sur son hamac favori, où il finit par s'endormir.

Son sommeil est pénible, habité de rêves angoissants où il se sent étouffé par des corps de femmes aux visages tantôt changeants, tantôt iden- tiques. Il essaye de se dégager, car il entend la voix de Flo qui l'appelle au secours. Il n'y parvient pas : le poids des femmes se fait de plus en plus lourd. « Laissez-moi ! » hurle-t-il dans son rêve. Les femmes, différentes et pourtant identiques, rient aux éclats sans desserrer leur étreinte. « Malheureux, lui crie l'une d'elles, ce que tu voulais, tu l'as eu ! » Il reconnaît la voix de Do, mais c'est la bouche de Jo qui lui parle dans le corps de No. Puis, sans tran- sition, il voit s'avancer vers lui, flottant dans l'air

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avec un bruit de clochettes, la tête sans corps d'Amalthée. Et il sait que cette bouche ouverte, aux dents monstrueuses, est là pour l'émasculer, et il hurle, hurle à perdre haleine, et se réveille en hur- lant.

La cloche du déjeuner qui sonne avec insis- tance lui rend tous ses esprits. Il est en sueur, affolé encore par son cauchemar, mais ravi de retrouver cette réalité où les succubes n'ont pas de prise sur lui. Il réprime son désir d'aller déjeuner. Il atten- dra qu'on vienne le chercher, comme il se doit. Il est certain que cela ne saurait tarder. Pour patien- ter, il se saisit de Too Deep for Tears et se plonge dans cette lecture qui n'a jamais cessé de le char- mer.

S'amplifiant progressivement, parvient jusqu'à lui le brouhaha d'un joyeux repas : cliquetis des couverts, verres entrechoqués, rires. Et personne ne vient s'inquiéter de son absence, ni le supplier de rejoindre le groupe qui se languit de lui...

Peu à peu les rumeurs s'estompent, les rires se taisent, le parc redevient silencieux. C'est l'heure de la sieste. Finger a de plus en plus faim. Stoïque, il se replonge dans ses lectures poétiques, quand un bruit lui fait lever la tête.

À quelques mètres devant lui il voit passer Raphaël, un sac de ciment sur l'épaule, tenant de sa main libre un énorme morceau de tortilla dégou- linante d'huile, qu'il mange avec délectation.

- Eh, Raphaël ! Le jardinier laisse tomber le sac de ciment, s'ap-

proche de Finger et se penche sur lui, l'air interro- gatif, tout en portant à sa bouche la tortilla dont