autisme, perception et communication : le monde est-il ... · psychologie, 29 av. r. schuman, ......

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22 le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 13 - 2004-1 Soubassements théoriques et objectifs de l’étude C omment aider une personne autiste à interagir avec autrui, alors que l’autisme perturbe es- sentiellement la communication verbale et non verbale ? De nombreux chercheurs ont tenté d’éclairer la nature de ces troubles de la communication en s’intéressant plus particulièrement aux causes de ces difficultés de compré- hension et d’expression, et ont proposé différentes hypo- thèses. Ainsi, Hobson (1991) avance l’hypothèse selon laquelle ce déficit socio-communicatif dans l’autisme serait dû à une difficulté de reconnaissance des émo- tions impliquées dans les interactions sociales, et plus particulièrement des signaux véhiculés par le visage. Les personnes autistes seraient alors dans l’incapacité de traiter et comprendre les expressions faciales émotion- nelles tandis que la reconnaissance de l’identité faciale serait préservée. Il existerait donc dans les expressions faciales émotionnelles une dimension supplémentaire à traiter par rapport à l’identité faciale. En effet, on sait que pour reconnaître l’état émotionnel d’autrui, le bébé se base sur l’expression du visage de la personne, en observant notamment les mouvements de sa bouche et de ses yeux (Sorce, Emde, Campos, & Klinnert, 1985). La production d’une expression faciale émotionnelle implique donc un mouvement de l’ensemble du visage. Ainsi, on peut se demander si la difficulté des personnes autistes à traiter les expressions faciales émotionnelles viendrait d’une difficulté spécifique du traitement des émotions faciales ou bien d’une difficulté dans le traitement de la mobilité faciale. A ce propos, certaines études ont montré que la détection de la direction du regard d’autrui, la reconnais- sance des émotions et l’utilisation de la lecture labiale, impliquant systématiquement un traitement de la dyna- mique faciale, sont déficitaires chez les personnes autis- tes (Leekam, Baron-Cohen, Perrett, Milders & Brown, 1993 ; Baron-Cohen, Campbell, Karmiloff-Smith, Grant & Walker, 1995 ; Bormann-Kischkel, Vilsmeier & Baude, 1995 ; Gepner, de Gelder & de Schonen, 1996). De même, l’existence d’un trouble perceptif de la vision des mouvements dans cette population est retrouvée dans plusieurs études (Gepner, Mestre, Masson, de Schonen, 1995 ; Spencer, O’Brien, Riggs, Braddick, Atkinson & Wattam-Bell, 2000 ; Milne, Swettenham, Hanse, Campbell, Jeffries & Plaisted, 2002 ; Blake, Turner, Smoski, Pozdol & Stone, 2003). Dans cette perspective, Gepner et Mestre (2002b) mettent en avant l’hypothèse selon laquelle les personnes autistes auraient du mal à percevoir correctement les mouvements physiques et biologiques, notamment les mouvements faciaux. De surcroît, certains travaux ont montré que, plus les mou- vements sont rapides, plus les personnes autistes ont du mal à les percevoir (Mestre, Rondan, Masson, Castet, Deruelle & Gepner, 2002 ; Gepner et Mestre, 2002a). Sur la base de ces différentes données, Gepner (2001) a émis l’hypothèse selon laquelle un ralentissement des mouve- ments, notamment des mouvements faciaux, permettrait aux personnes autistes de mieux percevoir et reconnaître les expressions faciales, ce qui semble confirmé par une étude pilote de Gepner, Deruelle et Grynfeltt (2001). Par ailleurs, après ce rappel concernant les difficultés des personnes autistes à traiter les indices de la commu- nication non verbale lors d’interactions sociales, notons également que le canal verbal dans la communication est aussi source de difficultés pour les personnes autistes, Autisme, perception et communication : le monde est-il trop rapide pour les enfants autistes ? France Lainé 1 , Mélissa Rodriguez 1 , Carole Tardif 1 et Bruno Gepner 2 1 PsyCLE, Centre de Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Emotion, EA 3273, Université de Provence, UFR de Psychologie, 29 av. R. Schuman, 13621 Aix en Provence cedex 1. 2 Laboratoire Parole et Langage, CNRS UMR 6057 et Centre Hospitalier Montperrin, Aix-en-Provence. Mots-clés Autisme ; communication ; percep- tion des mouvements; perception des sons ; expressions faciales émotion- nelles ; expressions faciales non émo- tionnelles. travaux en cours Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0)

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22 le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 13 - 2004-1

Soubassements théoriques et objectifs de l’étude

Comment aider une personne autiste à interagir avec autrui, alors que l’autisme perturbe es-sentiellement la communication verbale et non

verbale ?

De nombreux chercheurs ont tenté d’éclairer la nature de ces troubles de la communication en s’intéressant plus particulièrement aux causes de ces difficultés de compré-hension et d’expression, et ont proposé différentes hypo-thèses. Ainsi, Hobson (1991) avance l’hypothèse selon laquelle ce déficit socio-communicatif dans l’autisme serait dû à une difficulté de reconnaissance des émo-tions impliquées dans les interactions sociales, et plus particulièrement des signaux véhiculés par le visage. Les personnes autistes seraient alors dans l’incapacité de traiter et comprendre les expressions faciales émotion-nelles tandis que la reconnaissance de l’identité faciale serait préservée. Il existerait donc dans les expressions faciales émotionnelles une dimension supplémentaire à traiter par rapport à l’identité faciale. En effet, on sait que pour reconnaître l’état émotionnel d’autrui, le bébé se base sur l’expression du visage de la personne, en

observant notamment les mouvements de sa bouche et de ses yeux (Sorce, Emde, Campos, & Klinnert, 1985). La production d’une expression faciale émotionnelle implique donc un

mouvement de l’ensemble du visage. Ainsi, on peut se demander si la difficulté des personnes autistes à traiter les expressions faciales émotionnelles viendrait d’une

difficulté spécifique du traitement des émotions faciales ou bien d’une difficulté dans le traitement de la mobilité faciale. A ce propos, certaines études ont montré que la détection de la direction du regard d’autrui, la reconnais-sance des émotions et l’utilisation de la lecture labiale, impliquant systématiquement un traitement de la dyna-mique faciale, sont déficitaires chez les personnes autis-tes (Leekam, Baron-Cohen, Perrett, Milders & Brown, 1993 ; Baron-Cohen, Campbell, Karmiloff-Smith, Grant & Walker, 1995 ; Bormann-Kischkel, Vilsmeier & Baude, 1995 ; Gepner, de Gelder & de Schonen, 1996). De même, l’existence d’un trouble perceptif de la vision des mouvements dans cette population est retrouvée dans plusieurs études (Gepner, Mestre, Masson, de Schonen, 1995 ; Spencer, O’Brien, Riggs, Braddick, Atkinson & Wattam-Bell, 2000 ; Milne, Swettenham, Hanse, Campbell, Jeffries & Plaisted, 2002 ; Blake, Turner, Smoski, Pozdol & Stone, 2003). Dans cette perspective, Gepner et Mestre (2002b) mettent en avant l’hypothèse selon laquelle les personnes autistes auraient du mal à percevoir correctement les mouvements physiques et biologiques, notamment les mouvements faciaux. De surcroît, certains travaux ont montré que, plus les mou-vements sont rapides, plus les personnes autistes ont du mal à les percevoir (Mestre, Rondan, Masson, Castet, Deruelle & Gepner, 2002 ; Gepner et Mestre, 2002a). Sur la base de ces différentes données, Gepner (2001) a émis l’hypothèse selon laquelle un ralentissement des mouve-ments, notamment des mouvements faciaux, permettrait aux personnes autistes de mieux percevoir et reconnaître les expressions faciales, ce qui semble confirmé par une étude pilote de Gepner, Deruelle et Grynfeltt (2001).

Par ailleurs, après ce rappel concernant les difficultés des personnes autistes à traiter les indices de la commu-nication non verbale lors d’interactions sociales, notons également que le canal verbal dans la communication est aussi source de difficultés pour les personnes autistes,

Autisme, perception et communication : le monde est-il trop rapide pour les enfants autistes ?

France Lainé 1, Mélissa Rodriguez 1, Carole Tardif 1 et Bruno Gepner 2

1PsyCLE, Centre de Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Emotion, EA 3273, Université de Provence, UFR de Psychologie, 29 av. R. Schuman, 13621 Aix en Provence cedex 1.

2Laboratoire Parole et Langage, CNRS UMR 6057 et Centre Hospitalier Montperrin, Aix-en-Provence.

Mots-clésAutisme ; communication ; percep-tion des mouvements; perception des sons ; expressions faciales émotion-nelles ; expressions faciales non émo-tionnelles.

travaux en cours

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notamment les sons de la parole qui accompagnent les expressions faciales. En effet, plusieurs études ont mon-tré que les personnes autistes présentaient un déficit d’in-tégration et de modulation des stimuli auditifs (Adrien, 1996 ; Mottron, Peretz & Ménard, 2000 ; Mottron, Morasse & Belleville, 2001). D’autre part, une récente étude en IRM fonctionnelle a montré que les personnes autistes n’activent pas le sillon temporal supérieur lors-qu’ils entendent des sons de la parole (Gervais et al., 2004). De plus, Tardif, Thomas, Gepner et Rey (2002) ont exploré chez des enfants autistes leurs capacités à re-connaître des sons de la parole, et notamment des phonè-mes ambigus, produits en parole normale et ralentie. Les résultats indiquent que le ralentissement de la parole per-met aux enfants autistes de mieux percevoir et de mieux catégoriser ces phonèmes ambigus. Ainsi, il est probable que lors des échanges inter-individuels, la parole et les mouvements faciaux vont trop vite et ne seraient pas trai-tés correctement par les personnes autistes.

Ces deux dimensions semblant être mieux traitées lors-qu’elles sont ralenties, nous avons cherché à savoir, dans la présente étude, si le ralentissement synchro-nisé de la mimique faciale et du son, lors de la produc-tion d’une expression faciale, pouvait en améliorer la reconnaissance chez un groupe d’enfants autistes. Tel est l’objectif de notre étude.

Hypothèse et population Notre hypothèse est que, pour les enfants autistes, le ralentissement synchronisé de la mimique faciale et du son correspondant, lors de la production des expressions faciales, en facilite la reconnaissance.

Pour tester notre hypothèse, nous avons proposé une tâche de reconnaissance d’expressions faciales dyna-miques à 12 enfants autistes, diagnostiqués selon les critères du DSM IV (APA, 1994) et spécifiés à l’aide de la CARS (échelle d’évaluation de l’autisme infantile, Schopler, Reichler, de Vellis, & Daly, 1980). En fonction de leur score à la CARS, nous avons constitué deux sous-groupes d’enfants, l’un avec un autisme léger à modéré et l’autre avec un autisme modéré à sévère. Chaque enfant autiste a été apparié individuellement d’une part à un

enfant tout-venant sur la base de l’âge mental verbal (à partir du niveau de compréhension verbale évalué avec le TVAP : Test Verbal Actif/Passif de Deltour & Hupkens, 1980), et d’autre part à un second enfant tout-venant sur la base de l’âge mental visuo-spatial (à partir des Matrices de Raven, 1980).

Nous avons ainsi une population expérimentale com-posée de 12 enfants autistes d’âge réel compris entre 7 ans 4 mois et 14 ans 4 mois (moyenne = 10 ans 8 mois, E.T. = 2.6), d’âge mental verbal compris entre 3 ans et 7 ans 9 mois (moyenne = 5 ans 2 mois, E.T. = 1.41) et d’âge mental visuo-spatial compris entre 3 ans et 11 ans (moyenne = 6 ans 11 mois, E.T. = 2.6). Ces enfants ont été recrutés dans des établissements médico-sociaux et scolaires de la région PACA. La population témoin est composée quant à elle de 12 enfants ordinaires appariés aux enfants autistes sur l’âge mental verbal, et de 12 enfants ordinaires appariés aux enfants autistes sur l’âge mental visuo-spatial, ces 24 enfants témoins ayant été re-crutés dans des écoles maternelles et primaires ordinaires de la région PACA.

Matériel et consignePrésentée sur ordinateur, la tâche consiste à reconnaître différentes expressions émotionnelles : la joie, la tristes-se, le dégoût ou la surprise, et différentes expressions non émotionnelles : voyelle A, O ou I, ou protusion de la lan-gue, produites par une actrice sur des séquences de deux secondes chacune. Chaque expression est accompagnée d’un son correspondant (par exemple « Ouais ! » pour la joie) ou présentée de façon muette (non sonorisée). Par ailleurs, chaque expression faciale est présentée selon 4 conditions de vitesse :● V1, la vitesse lente de référence selon le protocole de

Gepner, Deruelle & Grynfelt (2001) ; ● V2, vitesse très lente obtenue à partir du ralentisse-

ment, par deux, de la vitesse V1 ; ● V3, vitesse normale de la vie quotidienne, obtenue à

partir d’une accélération par deux de la vitesse V1 ;● V0, ou vitesse nulle, c’est-à-dire une présentation con-

trôle statique de la mimique faciale.

travaux en cours

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24 le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 13 - 2004-1

Expressionsémotionnelles

Expressionsnon-émotionnelles

Nous obtenons ainsi 64 séquences de deux secondes, correspondant aux 8 expressions faciales, présentées de manière sonorisées ou non, et selon 4 vitesses différen-tes (4 Emotion + 4 Non-émotion) x 2 Son/Non-son x 4 Vitesse. Le plan expérimental de l’étude peut être pré-senté comme suit :

Ces 64 séquences sont présentées dans un ordre aléa-toire. Après chaque séquence, 4 photos apparaissent à l’écran et l’enfant doit retrouver parmi ces 4 photos l’expression qu’il vient de voir et la montrer en la pointant.

RésultatsDe manière générale, à âge mental verbal et à âge mental visuo-spatial équivalents, les enfants témoins recon-naissent mieux les expressions faciales que les enfants autistes [F(2,33)=10.58 ; p<.0002] puisque ces derniers reconnaissent en moyenne 46 items sur 64, tandis que les enfants témoins appariés sur l’âge mental verbal en reconnaissent 58/64 et les enfants témoins appariés sur l’âge mental visuo-spatial, 62/64. Les enfants autistes sont moins performants que les enfants témoins, quelle que soit l’expression faciale et quelle que soit la condi-tion de présentation.

En ce qui concerne le type d’expression faciale présen-tée, les résultats montrent de manière très significative [F(1.11)=16.09 ; p<.0003] que les enfants autistes ont un moins bon score de reconnaissance pour les expressions

Sonorisée

Non-sonorisée

Sonorisée

Non-sonorisée

V0V1V2V3

V0V1V2V3

V0V1V2V3

V0V1V2V3

faciales émotionnelles que pour les expressions faciales non émotionnelles.

En ce qui concerne la condition sonorisée ou non, les enfants autistes reconnaissent significativement mieux les expressions faciales lorsqu’elles sont sonorisées que lorsqu’elles sont muettes [F (1.11) = 10.43 et p <.008].

Enfin, même si le facteur Vitesse n’est globalement pas significatif, lorsque nous comparons les vitesses de présentation 2 à 2, nous constatons que la vitesse lente V1 permet aux enfants autistes d’obtenir de façon si-gnificative (p<.02) un meilleur score de reconnaissance des expressions par rapport aux autres vitesses. Nous avons ainsi une vitesse de présentation (V1) qui semble être plus favorable à la reconnaissance des expressions. De plus, les enfants autistes appartenant au groupe avec autisme modéré à sévère sont de manière significative (p<.05) les plus aidés par les vitesses lente (V1) et très lente (V2) dans leur reconnaissance des expressions faciales.

DiscussionDe manière générale, les enfants autistes reconnaissent moins bien les expressions faciales que les enfants témoins appariés sur l’âge mental verbal et sur l’âge mental visuo-spatial. Leur difficulté de reconnaissance des expressions faciales ne peut donc être expliquée seulement par un retard de développement. D’après l’analyse des performances dans les différentes vitesses de présentation, il semblerait que les enfants autistes, en particulier ceux atteints d’autisme plus sévère, bénéfi-cient du ralentissement des expressions.

L’existence d’un trouble perceptif de la vision des mou-vements, notamment des mouvements rapides, pourrait donc expliquer les difficultés des enfants atteints d’autis-me à reconnaître des expressions faciales. Ces difficultés sont atténuées lorsque les mouvements sont ralentis. De plus, il pourrait y avoir un lien entre le degré de sévérité d’autisme et l’importance de ce trouble perceptif.

D’après nos résultats, les enfants autistes reconnaissent moins bien les expressions émotionnelles que les ex-pressions non émotionnelles. Or, des études ont mis en évidence que les enfants autistes privilégiaient l’analyse locale (portant par exemple sur le mouvement des lèvres, et permettant de reconnaître des expressions non émo-tionnelles), à l’analyse configurale (portant sur les mou-vements de tout le visage, et nécessaire pour reconnaître les mimiques faciales émotionnelles) (Weeks, & Hobson, 1987 ; Tantam, Monaghan, Nicholson, & Stirling, 1989 ; Frith, 1996…). Une expression émotionnelle requiert en effet davantage de mouvements faciaux qu’une expres-sion non émotionnelle. Ainsi, la meilleure performance des enfants autistes pour reconnaître les expressions non émotionnelles par rapport aux expressions émotionnel-les pourrait être expliquée par leur trouble de la vision des mouvements. Cette hypothèse explicative peut être renforcée par les observations concernant le regard des

travaux en cours

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enfants autistes qui évite très souvent le mouvement des yeux (Kanner, 1943 ; Grandin, 1997), se dirigeant préférentiellement sur les lèvres, et surtout lorsqu’elles sont statiques. A la lumière de ces résultats qui tendent à confirmer l’hypothèse selon laquelle le ralentissement des mouvements impliqués dans les interactions socia-les (notamment les mouvements faciaux) permettrait une meilleure reconnaissance des expressions faciales (Gepner, 2001), une des perspectives de poursuite de notre travail est de créer un logiciel informatique per-mettant de ralentir les mouvements faciaux de manière automatique. Le but serait d’apprendre aux personnes autistes à considérer les différentes parties du visage à leur juste mesure et de façon appropriée. Le mouvement étant ralenti, l’enfant aurait plus de temps pour consi-dérer tout le visage, et, à terme, pourrait percevoir la différence entre les mouvements propres aux expressions émotionnelles de ceux caractérisant les expressions non émotionnelles. Cette réalisation pourrait être la première phase d’une rééducation visant à améliorer la compré-hension des interactions sociales et communicatives par les enfants autistes. A terme, il s’agirait de travailler sur les différents aspects de la communication avec les personnes autistes, pour progressivement leur permettre de comprendre le monde social qui peut leur sembler si insensé. Actuellement, des ingénieurs, cliniciens et cher-cheurs travaillent en collaboration pour mettre au point ce logiciel qui permettrait aux personnes autistes à la fois de mieux percevoir le monde environnemental, mais aussi d’avoir des outils à leur disposition pour y répon-dre au sein d’une plate-forme logicielle qui comporterait également un panel d’outils de communication adaptés aux personnes autistes. Plus précisément, ce logiciel ralentira de manière synchronisée l’image et le son du monde environnant de la personne autiste, qui, lors de ses échanges avec autrui, pourra ralentir le message visuel et auditif de celui-ci afin de mieux comprendre la situation de communication. En retour, elle pourra lui répondre de manière adaptée en sélectionnant par exemple des picto-grammes que le logiciel traduira en langage oral à l’aide d’une voix de synthèse. Ce travail est en cours d’élabora-tion au sein des laboratoires PsyCLE et LPL de l’Univer-sité de Provence, dans le but d’aider la personne autiste à comprendre autrui mais également à se faire comprendre par autrui.

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travaux en coursL’existence d’un trouble

perceptif de la vision des mouvements, notamment

des mouvements rapides, pourrait donc expliquer les

difficultés des enfants atteints d’autisme à reconnaître des

expressions faciales. Ces difficultés sont atténuées

lorsque les mouvements sont ralentis.

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travaux en cours

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