aubry cécile sébastien et l'aigle blanc 1973

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SÉBASTIEN ET

L’AIGLE BLANC

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CÉCILE AUBRY

SÉBASTIEN ET L’AIGLE BLANC

illustrations de Paul Durand

Page 8: Aubry Cécile Sébastien Et l'Aigle Blanc 1973

Du même auteur,dans la même collection :

SÉBASTIEN ET LE

CHEVAL SAUVAGE

© 1973 Editions G.P.-ParisPrinted in France

Page 9: Aubry Cécile Sébastien Et l'Aigle Blanc 1973

1928 - 2010

Cécile Aubry, née Anne-José Bénard le 3 août 1928 à Paris, et morte le 19 juillet 2010 à Dourdan, est une écrivaine, scénariste, réalisatrice et actrice française.

Son début de carrière internationale semble très prometteur (Cécile Aubry fait la couverture de l'édition du 26 juin 1950 du magazine Life) et elle obtient son premier grand succès dès ses débuts avec le film Manon, de Henri-Georges Clouzot tourné en 1949. Elle signe ensuite un contrat avec la 20th Century Fox, mais ne tourne que dans un petit nombre de films. Dans La Rose noire, on la voit aux côtés de Tyrone Power et d'Orson Welles . Cependant, après avoir épousé Si Brahim el Glaoui , fils du Pacha de Marrakech, elle abandonne son métier d'actrice. Après l'indépendance du Maroc, elle devient écrivain pour enfants et adapte elle-même ses romans pour la télévision.

Elle est la mère de l'acteur et réalisateur Mehdi El Glaoui.

Elle meurt au centre hospitalier de Dourdan des suites d'un cancer du poumon à l'âge de 81 ans1.

Après des obsèques à l'église de Dourdan, elle est inhumée au cimetière communal de Montrouge situé à Paris (14e), à côté de sa mère.

CI-JOINT LISTE DES OUVRAGES PAGES SUIVANTES

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Cécile Aubry (52)Série : POLY

1. Poly 19642. Poly 19643. Les vacances de Poly, 19644. Poly et le secret des sept étoiles, 19665. Poly et le diamant noir, 19686. Poly à Venise, 19707. Poly et son ami Pippo, 19718. Poly en Espagne, 19729. Poly en Tunisie, 197310. Poly et le mystère de l'oasis, 197411. Au secours Poly !197512. Au secours Poly !197513. Poly, la rose et le mendiant, 197614. Poly au Portugal, 197615. Poly au festival pop 1980-1981 ?16. Poly superstar, 198017. Poly s'amuse, 198118. Poly à Paris, 198119. Poly au Québec, 198220. Poly fait scandale, 198221. Poly et les motards22. Poly en Irlande 198223. Poly se fâche 199224. Poly amoureux 1992

Série : BELLE ET SEBASTIEN / SEBASTIEN 25. Belle et Sébastien : Le refuge du Grand-Baou, 1966, Galaxie SCAN AF26. Belle et Sébastien : Le document secret, 1966, Galaxie SCAN AF27. Séverine, Belle et Sébastien : La rencontre SCAN AF28. Séverine, Belle et Sébastien : Le collier bleu SCAN AF

29. Sébastien parmi les hommes, 1968, Julliard30. Sébastien et la Mary Morgane : le capitaine Louis Maréchal, 1969, Presses Pocket31. Sébastien et la Mary Morgane : le retour du Narval, 1969, Presses Pocket32. Un été pour Sébastien, 1972, Presses Pocket

33. Sébastien et le cheval sauvage, 1972, Editions GP34. L’aigle blanc ,1973 Editions GP 35.Sébastien et le chien perdu, 1974,  Editions GP 36. Le renard et Sébastien, 1977, Editions GP

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DIVERS37. Ourson et Pépito Emile –Paul Edition 195538. Les découvertes d’ourson Emile –Paul Edition 1957

39. Les Vacances de lumineux, 1955 Emile –Paul Edition

40. Pick et Nicolas , 1958, Hachette41. Le Trouble des Eaux, 1959, Oliven

42. Bouzou Colinet à Versailles Editions Mondiales Del Luca 196143. Bouzou Colinet sur les vaisseaux du roi Editions Mondiales Del Luca 196144. Bouzou Colinet tambours de la République Editions Mondiales Del Luca 1962

45. Dis, pourquoi ?, 1967, Hachette (Préface)46. Angélique et sylvain Editions Tallandier 197147. Le Jeune Fabre, 1973, Presses Pocket48. Mes sorciers, Juliard 1974

49. Hervé et l'anneau d'émeraude, 1975, Bibliothèque verte, Hachette50. Hervé au château, 1977, Bibliothèque verte, Hachette

51. David et Prisca, 1977, GRGR [Grands Romans - Grands Récits]52. Je n'avais pas pensé à toi, 1977, Julliard53. La Grande Bastide, 1979, Julliard54. Le bonheur volé, 1981, Julliard

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http://tout-cecile-aubry.centerblog.net/

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CE n'était pas encore le printemps, mais, peu à peu, les prairies gagnaient sur la neige. Chaque jour, le berger emmenait le troupeau plus haut vers les sommets. Sébastien le suivait. Il aimait se perdre parmi les moutons, dans cette mer de laine blanche qui s'ouvrait devant lui pour se refermer après son passage, douce, chaude, bruissante à cause de toutes ces lèvres qui arrachent l'herbe rêche dans le tintement des cloches que portent les mères brebis pour mener le troupeau.

Ils allaient ainsi, matin après matin, vers le haut de la montagne, là où d'un côté on voit la France et de l'autre l'Espagne. Cela, c'est la géographie qui le dit et on doit la croire puisqu'on l'apprend en classe, mais le berger et le troupeau s'en moquent bien, l'herbe d'Espagne est aussi verte, grasse, savoureuse, elle donne le même appétit que l'herbe de France. Quant aux hommes, quel que soit le versant, ils sont tous cousins. Ainsi Pablo qui est espagnol va épouser Janou qui est française, rien ne peut faire que leurs grand-mères ne soient parentes.

Tant pis pour la géographie.Le berger parlait peu mais regardait beaucoup, de sorte que les mots,

quand il les disait, étaient pleins d'échos graves. Sébastien, le soir, s'allongeait devant le feu près du berger qui jetait dans la flamme des brassées de genêts et il l'écoutait dire des noms de constellations qu'avec son doigt levé il redessinait sur le ciel immense. Des noms qui avaient un son que Sébastien aimait : la Chevelure de Bérénice..., le Chemin de Saint-Jacques..., le Bouclier d'Orion... Et, quand Sébastien s'endormait, la nuit les enveloppait de son grand manteau semé d'étoiles.

— La Chevelure..., le Chemin..., le Bouclier d'Orion..., disait le berger, et le sommeil devenait un voyage sur les routes du ciel.

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Quand la neige fondit presque entièrement, ne se réservant que des creux entre les rochers, les bois se remplirent de fraises et ce fut délicieux.

Puis la montagne sentit la framboise. Sébastien barbouilla son visage, mais aussi il fut grondé parce qu'il tacha ses vêtements. La bergère fit du sirop, le bon sirop qu'on boit mélangé de l'eau froide des sources.

Vint le temps où les buissons bas qui avaient pris leurs feuilles vertes et grises se couvrirent de myrtilles. Et on fit des confitures. Les taches sur les habits devinrent presque noires, ce qui était pire que le rouge des framboises, mais les joues de Sébastien étaient si rosés que personne n'eut le cœur de le gronder.

Et c'est alors qu'il rencontra les aigles.Le nez en l'air, Sébastien contemplait un isard, qui est en somme une sorte

de chèvre sauf qu'il se tient toujours sur les hauteurs où personne ne peut l'approcher. L'isard était justement en équilibre au sommet d'un rocher à pic. On avait le vertige rien qu'à le regarder. Tout à coup, le voilà qui saute, atteint l'éboulis de rocs et galope parmi les pierres.

A ce moment, quelque chose de maladroit, tout couvert de duvet gris, tombe aux pieds de Sébastien. Cela a des yeux d'or, un bec dur, ouvert, féroce, et deux ailes qui s'étendent, frappant misérablement la terre. Elles ne sont pas encore capables de planer dans le ciel.

D'un bond aussi rapide que celui de l'isard, mais moins gracieux, Sébastien recule d'au moins deux mètres. Puis il revient...

Ensuite, eh bien! ensuite, la main de Sébastien fut mordue, elle saigna, mais il réussit à saisir l'aiglon et le porta tout en haut d'un amas de rocs en espérant que de là il pourrait prendre son vol, se sauver des hommes et des bêtes.

Très loin au-dessus, un grand aigle blanc planait.Et tout à coup, ce fut brusque comme une folie de vent un jour de

tempête, un tourbillon mêlé d'air, de plumes, d'ailes frôla Sébastien éperdu qui tomba dans un trou de neige, et cela fut bon parce qu'il s'y cacha.

Quand il se risqua à ouvrir un œil, le vol du grand aigle remontait droit vers l'aiglon sur le rocher. Les ailes blanches, qui battaient très vite avec un bruit impressionnant, se fermèrent et l'oiseau posa sa majesté près de son fils.

Ses yeux faisaient penser à deux pierres de soleil; ils fixèrent Sébastien, qui eut encore plus peur et s'enfonça autant qu'il put dans la neige.

Le petit aigle criait, remuant stupidement ses ailes trop lourdes. La tête de l'aigle se tourna vers lui et, aussi brusquement qu'à son arrivée, les grandes ailes battirent l'air. Comme une flèche que tirerait un arc, l'oiseau s'envola et disparut. Sébastien le perdit de vue dans le soleil.

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Le pauvre aiglon appelait, perdait son équilibre, retombait, bref ! ne se comportait pas beaucoup mieux qu'un vulgaire moineau dégringolé du nid.

Ce qui décida Sébastien à s'approcher.De son mouchoir qu'il noua, il commença par encapuchonner la tête de

l'oisillon et ainsi put le prendre dans ses bras sans être trop mordu. Il s'aperçut alors qu'une des serres était blessée.

Que faire?... Seul le berger pourrait le dire, lui qui savait tout de la montagne et de ses bêtes. Alors, tenant le petit aigle serré contre sa poitrine, Sébastien rejoignit en courant le troupeau.

Le berger n'hésita pas :— De la vermine, dit-il.Quant à Janou, qui montait avec l'âne portant les provisions, sans oublier

le gâteau au sucre qui vous fond dans la bouche en vous rappelant toute la douceur d'en bas, Janou fut encore plus catégorique :

— Tu dois lui tordre le cou. Oui, au lieu de le soigner. Quand il sera grand, il enlèvera les agneaux.

— Mais, dit Sébastien, son père est un aigle blanc. Je l'ai vu.— Et alors? Blanc ou noir, un aigle vole les agneaux... et parfois les

enfants lorsqu'ils sont très jeunes, très têtus et très vagabonds. Comme toi.

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— Mais, Janou, le berger a dit un jour que l'aigle blanc est devenu très rare.

— Tu vois bien que non! Le tien a un père, une mère, peut-être des frères et, qui sait, des sœurs. Laisse le berger le tuer.

Et, ayant débarrassé l'âne de ses paniers, elle monta dessus :— Adieu, berger... Sébastien, tu redescends avec moi? Il serrait toujours

l'aiglon blessé sur son cœur.— Lâche cette bête, je n'en veux pas, dit Janou, si jolie avec le grand

chapeau qui ombrait ses yeux.Mais Sébastien se détourna d'elle comme si au lieu de sourire elle eût

voulu mordre.— Je vais le soigner, décida-t-il. Et, quand il sera grand, il ne volera plus

les agneaux, car il sera mon ami.— Ton ami!De sa baguette, Janou toucha l'épaule de l'âne et descendit vers la bergerie

dans un éclat de rire que l'écho reprit jusqu'à ce qu'il disparaisse, loin, dans le bruit de la cascade.

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— Comment faire pour le guérir? demanda Sébastien. Tu sais, berger, je suis obligé de le garder, je crois que chez lui on n'en veut plus.

En ce moment, le vieil homme coupait avec son couteau dans la miche, puis il prit un morceau de lard qu'il maintint avec son pouce sur le pain et il tailla bouchée après bouchée, lentement, le béret sur les yeux, sans même regarder Sébastien ou l'aiglon.

— Et comment faire pour le nourrir, berger?— Il est trop jeune. Puisque sa mère l'a abandonné, personne ne peut le

faire vivre.Alors le berger coupa une grande part de gâteau au sucre et la tendit à

Sébastien avec un sourire dans ses yeux devenus trop clairs à force de ne regarder que les sommets se détachant sur le ciel.

Sébastien avait très faim, mais il prit quand même le temps d'enlever le mouchoir pour dégager la tête de l'aiglon. Ensuite, il accepta le gâteau. Alors, le bec féroce se jeta dessus et il ne resta pas une miette du gâteau au sucre. Le berger rit beaucoup.

— C'est bon, dit-il, élève ton aigle blanc. Mais c'est de la vermine. Ayant dit cela, il but le vin à sa gourde puis termina le pain. Il jeta à l'aiglon le reste du lard. Qui fut englouti. Sébastien se sentit très heureux.

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Vint le temps des noisettes quand on rencontre l'écureuil qui se sert de sa queue pour garder l'équilibre en sautant de branche à branche. A cette époque, l'aiglon voletait. Ses ailes avaient allongé, elles devenaient fortes et il était blanc à part quelques touffes de duvet gris.

La première fois qu'il vola vraiment, il traça sur le ciel une large courbe et se posa sur une roche. Sébastien vit qu'il ressemblait à son père et il fut très fier. Il avait ses yeux de soleil et cette fierté de se placer de face comme si rien ne pouvait lui faire peur, mais en tournant la tête de profil, si petite à côté de la largeur de sa poitrine. Et il avait la même manière de rabattre ses grandes ailes.

— Aigle blanc, reviens..., ne pars pas!L'envergure des ailes se déploya avec tant de lenteur que cela faisait

penser à quelque chose de grave. L'aiglon s'élança, traçant dans l'air cette grande courbe majestueuse comme s'il était un bateau qui s'essaie à monter sa voilure pour quitter le port. Alors Sébastien tendit son poing fermé et l'aiglon s'y posa, les ailes battant un peu pour garder l'équilibre. Il était lourd déjà.

Parce que la main de Sébastien était toute griffée par les serres de l'aigle, le berger confectionna avec du cuir une sorte de gant pour recouvrir le poing.

Un jour, l'aiglon se posa sur l'épaule de son ami. Sébastien refusa d'admettre que sa chair avait senti les pattes puissantes traverser ses vêtements.

Janou était déjà montée plusieurs fois avec l'âne chargé des provisions. Mais Sébastien ne voulait pas redescendre. Il disait qu'il préférait rester avec le troupeau dans la montagne. C'était son droit, il ne risquait rien près du berger, il faisait doux et personne ne s'inquiétait.

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— Et l'école? demanda Janou. Il faudra que tu y entres à l'automne prochain.

— J'apprends à lire avec le berger et à compter. J'apprends beaucoup de choses.

J'apprends les étoiles. Je l'ai dit au docteur quand il est monté nous voir et il n'a pas parlé d'école.

— Je sais, dit Janou.— Ah! tu vois! Alors, je reste. Janou se contenta de rire.— Très bien. Tu redescendras quand même pour la Nuit où les bêtes

parlent?— Quelle nuit, Janou?— La nuit de Noël. Le berger ne t'a pas dit? Tu m'étonnes. Moi, quand

j'étais petite, je le croyais, mais maintenant...Et voilà que suivit le récit de cette nuit mémorable du dernier Noël. Elle

avait dansé jusqu'à l'aube avec Pablo qui travaillait depuis peu à la mine, elle l'épouserait un jour, mais ils devaient attendre parce qu'ils étaient trop jeunes...

— Mais cette nuit, Janou, la Nuit où les bêtes parlent?— Oh! ce sont des sottises. Demande au berger. Moi, elles ne m'ont

jamais parlé et il dit que je ne sais pas écouter.Une fois de plus elle était partie en riant. Avec Janou c'était ainsi : on ne

pouvait pas vraiment compter sur elle pour vous expliquer quelque chose.C'est vers ces jours-là que l'aigle blanc ne revint pas se poser à l'appel de

Sébastien sur la main tendue mais vola plus loin, traça des courbes et encore des courbes dans l'air et, finalement, disparut. Loin. Vers les sommets.

D'abord, il n'y eut pas sujet à s'inquiéter vraiment. Un aigle qui devient fort doit nécessairement essayer son vol. C'était l'avis du berger. Peut-être pour consoler Sébastien.

— Il reviendra.— Quand?... Demain?— Ou un autre jour. Mais il faudra bien qu'il te quitte quand le temps sera

venu pour lui de chercher un sommet, d'y établir son aire et d'y élever ses aiglons.

Sébastien avait les yeux rouges à force de chercher son ami parmi tous les nuages blancs qui voguent sur la mer infinie et courbe du ciel. Le berger sculptait un isard sur le pommeau de son bâton. Il ne disait pas un mot, mais il savait deviner la peine profonde qui tremblait dans la voix de Sébastien :

— Je lui parlais, berger. Et je pensais qu'il m'aimait puisqu'il n'avait plus peur de moi. Je suis sûr qu'il reviendra, mais si je m'inquiète de lui c'est surtout parce qu'il peut s'être blessé. Ou un autre aigle peut l'attaquer...

Il parla longtemps de l'aigle blanc. Au début, il avait aimé être seul avec lui et alors il se gardait de rien dire sauf quand c'était nécessaire pour la vie de son ami. Mais, maintenant que l'aigle n'était plus là, il semblait à Sébastien que de prononcer les mots le faisait exister. Il avait si peur de le perdre!

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Les jours passèrent. Le houx commença de teindre en rouge ses petites boules vertes. Le soir, le berger et Sébastien s'allongeaient enveloppés de leurs manteaux. Ils regardaient le ciel qui avait une pureté de glace. On entretenait le feu avec des brassées de genêts, la chienne et le chien venaient s'allonger près d'eux. Les moutons se tassaient flanc contre flanc.

La dernière fois qu'elle était montée, Janou avait demandé que Sébastien redescende. C'était de la part de la bergère. Il avait encore refusé, disant qu'il le ferait quand le berger ramènerait le troupeau. Janou s'était attardée. Finalement, elle avait décidé qu'elle passerait la nuit près d'eux.

Le berger avait montré les astres. Il les connaissait tous. Janou préférait Orion avec les trois étoiles qui barrent le Bouclier, si lumineuses qu'elles sont comme un signe qui serait écrit sur le grand livre de la nuit. Janou aimait tout ce qui brille.

— Dis, berger, fit la voix un peu endormie de Janou, montre-moi les Chariots, le grand et le petit. Et le Chemin.

— Il est là. Regarde-le, clair comme une route au milieu des cultures. Maintenant, compte ces trois étoiles : ce sont les chevaux, ils traînent ces quatre-là qui sont la caisse du Chariot. Ensuite...

Il continuait à les montrer de la main, mais Janou dormait. Sébastien regardait avec ferveur. Ce qu'il rêvait d'apercevoir, c'était une grande courbe tracée par des ailes blanches qui seraient parties des sommets. C'était cette courbe-là qu'il espérait, mais elle ne venait pas.

Alors, au matin, quand Janou était déjà descendue, promettant de dire que Sébastien reviendrait bientôt parce que la neige les chasserait tous de la montagne, le berger, les chiens, lui et le troupeau, il était parti à la recherche de l'aigle blanc.

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Il marcha longtemps de ce pas lent que le berger lui avait appris. Il atteignit le col, qui est une combe douce entre deux falaises rocheuses, ce qui le fait ressembler à un croissant de la jeune lune. Il faisait chaud. Le soleil était au milieu du ciel et Sébastien s'arrêta pour se reposer.

Il était si fatigué qu'il s'endormit. Et il rêva de deux grandes ailes blanches qui faisaient un battement doux, très doux, comme le plus léger des vents. Sébastien ne voulait pas se réveiller, en tout cas pas ouvrir les yeux, parce que les rêves sont comme les oiseaux : un rien les effraie. Mais, lorsqu'il sentit que le soleil ne le chauffait plus, il lui fallut bien regarder pour essayer de comprendre... Une grande ombre tombait du ciel. L'ombre que faisaient deux ailes planant entre le soleil et lui. Une ombre qui allait et venait, montant et descendant, pour se poser enfin, ailes à demi rabattues, tout près de son visage. Il ouvrit grands les yeux! Ce ne pouvait être un rêve, les rêves n'ont pas ces serres qui vous entrent dans la poitrine malgré le battement des ailes qui soutiennent le grand oiseau; et la chemise de Sébastien se tacha

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de rouge. Pourtant, les larmes qui coulaient sur ses joues n'étaient pas de souffrance mais de joie :

— Aigle blanc..., tu es venu. Aigle blanc, te voilà enfin...Sa main caressa le ventre immaculé dont les plumes sont douces. La petite

tête fière, busquée à cause du terrible bec, se pencha et Sébastien plongea son regard dans les yeux de soleil. Tout ce qu'il pouvait dire, les seuls mots qui lui venaient aux lèvres étaient toujours les mêmes :

— Aigle blanc, tu es venu...Cela dura longtemps. L'aigle s'envolait, planant dans le bleu, mais sans

s'éloigner. Il revenait vers son ami pour remonter encore. Oui, des heures. Et vint le moment où les ombres des sommets apportèrent le soir.

Quand le soleil se teinta d'écarlate avant de devenir violet, les grandes ailes emportèrent l'aigle dans ce qui restait de lumière et Sébastien comprit qu'il n'avait plus qu'à redescendre vers le troupeau. Très vite.

Il marcha, courut, tomba, se perdit et ce fut la nuit. Mais il fallait marcher encore, même dans le noir, retrouver le berger avant que, dans son inquiétude, il laisse là le troupeau pour prévenir les hommes d'en bas. Ils monteraient chercher Sébastien dans la montagne. Alors, nécessairement, Sébastien serait puni et forcé de vivre avec la bergère et Janou... En bas.

Et voilà que ce fut le tour de la lune de se mettre contre lui. Elle monta comme une énorme pièce de cuivre puis pâlit quand elle fut juste au-dessus de Sébastien.

Elle éclaira la montagne. Et ce fut pire que la nuit... Plus rien n'a l'apparence des choses bien dessinées par la lumière du jour. On ne reconnaît rien. Les ombres sont trop noires, les parties éclairées trop blanches. On se croit à un endroit, on court vite, heureux d'avoir retrouvé le sentier, et c'est tout à coup un rocher qui n'est pas celui qui devrait être là.

Mais se répéter qu'on a perdu sa route ne sert à rien, pas plus que de se lamenter. Sébastien allait, revenait sur ses pas. Un peu comme le papillon de nuit qui vole à la flamme qui le trompe parce qu'elle l'éblouit et ses ailes sont brûlées.

« Le Chemin de Saint-Jacques ! » se dit Sébastien en pensant au berger.Il eut beau lever la tête, chercher au ciel les constellations, la lumière de la

lune les avait éteintes. Il était désespérément seul, perdu dans un monde étranger et un peu inquiétant.

Un peu seulement, car son principal souci c'était bien les hommes qui sans doute le cherchaient et qui décideraient son retour immédiat à la bergerie, loin du col, loin de la haute falaise où son ami l'attendrait. La lune pouvait bien prendre ses airs de sorcière, ce n'était pas elle qui pouvait le faire trembler en ce moment...

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Il y eut tout à coup dans le silence un aboiement. Alors Sébastien essaya le cri long et modulé que lui avait appris le berger. Il le hurla de toute la force de ses poumons. De tout son espoir de rester dans la montagne.

— Ah! te voilà enfin, dit une voix toute proche.Si proche qu'en étendant la main Sébastien pensa qu'il pourrait toucher le

berger. Et il sentit une grosse tête et une truffe humide qui se frottait contre sa joue. C'était la chienne du troupeau.

Dire que le berger gronda Sébastien, c'est peu. Il dit qu'il avait dû laisser le troupeau à la garde du chien qui est moins habile que la chienne... Il dit... Mais enfin, à travers tant de mots qui semblaient sortir du berger pour la première fois de sa vie, Sébastien apprit qu'il l'avait cherché vers le haut. Donc, il n'avait pas prévenu en bas, le pire était évité.

— Voilà, dit bravement Sébastien, j'ai cherché l'aigle blanc et je l'ai trouvé. Il baissa la voix pour que l'étrangeté de cette nuit pleine de lune ne puisse connaître le secret :

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— Je te le dis à toi, berger. A toi seulement : l'aigle blanc a fait son aire sur le sommet à gauche, le plus haut au-dessus du col.

Et il attendit.— Cette vermine! dit le berger... Je pensais bien qu'elle n'amènerait que

le mal. Enfin te voilà.Il y eut un silence et on n'entendit plus que les pierres roulant dans la

descente.— Te voilà avec ta faim, dit encore le berger. C'était tout à fait vrai.— La soupe attend.A partir de là, le berger n'ouvrit plus la bouche, même quand Sébastien,

assis devant le feu et l'estomac rempli, eut raconté comment l'aigle blanc l'avait reconnu.

Et puis, quand il fut allongé, enveloppé du manteau, avec tout autour de lui la nuit veloutée de blanc et de noir, il entendit de nouveau le berger :

— Te voilà de la montagne, à présent.C'était un grand compliment. Et Sébastien s'endormit.

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Un matin, les sommets furent blancs. Alors, jour après jour, le troupeau recula devant la neige en même temps que les prairies. Les bois avaient pris les couleurs rousses des bêtes qu'ils abritent. Les nuits devinrent très froides et les étoiles qui scintillaient n'évoquaient plus le feu mais la glace.

Et l'aigle blanc plana au-dessus du troupeau. Mais pas un agneau ne fut pris dans les serres capables maintenant de l'emporter vers le repaire secret au creux du sommet.

Il arrivait que Sébastien, alerté par un bruit comme celui du vent lorsqu'il souffle en tempête sur la montagne, se retourne. Alors, de grandes ailes blanches le frôlaient. Pour remonter droit. D'un vol aussi rapide et précis qu'une flèche lancée vers le soleil. Et Sébastien savait ainsi que son ami n'oubliait pas.

Le jour de la grande tombée de neige, quand elle eut recouvert d'une nappe épaisse et parfaitement blanche jusqu'au moindre brin d'herbe, le berger rentra le troupeau.

Or, ce jour-là, une voiture était arrêtée devant la bergerie. L'homme qui en descendit s'appelait « Saint-Hubert ». On le surnommait ainsi parce qu'il était le garde-chasse de toute la montagne. Il venait annoncer la battue, la grande chasse.

La bergère était satisfaite parce qu'on lui demandait de préparer le déjeuner des chasseurs et Janou était également satisfaite parce que « Saint-Hubert » ne manquait jamais de l'admirer. Et Pablo n'était pas satisfait du tout, parce qu'il voulait être seul à admirer Janou.

— Comme c'est bête! dit Pablo quand Saint-Hubert fut parti. Il reste peut-être cinq ou six couples d'ours dans toutes les Pyrénées et voilà qu'ils veulent en tuer un.

— Ils ne savent pas comment se distraire, dit la bergère, ce sont des gens de la ville.

Elle préparait avec Janou un plein chaudron de noix qui doivent macérer dans l'eau-de-vie avant de servir pour faire le vin qu'on offre dans de petits verres aux visiteurs et elle était bien trop occupée pour s'intéresser longtemps à cette idée qu'ont les hommes de chasser l'ours.

Janou se tourna vers Sébastien :— Et s'ils allaient tirer avec leurs fusils sur ton aigle?Elle avait le front d'en rire! C'était grave, il fallait prendre l'affaire en

main. Sébastien alla trouver le berger, qui installait les moutons dans leur bergerie...

— Qu'est-ce qu'un aigle peut faire contre un fusil?Les moutons étaient parqués et le foin emplissait les râteliers. Le berger

roula une cigarette... Il finit par répondre :

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A partir de ce soir-là, on ne servit plus un morceau de lard, de viande salée ou de confit d'oie sans qu'il en manquât un coin. Une fois, ce fut un poulet qui n'avait plus qu'une cuisse. Il fallut bien le remarquer.

— Ne pas se montrer.Et, peut-être parce qu'il sentait l'inquiétude de Sébastien, il voulut bien

ajouter :— L'aigle voit de très loin. C'est sa vue qui lui donne sa chance.Dans la salle, quand ils entrèrent, il faisait bon. Sébastien demanda

encore:— Mais s'il a faim, là-haut, il faudra bien qu'il parte en chasse, lui aussi;

il descendra... et alors?— Tu sais à qui tu me fais penser? dit Janou qui entendait tout même

quand elle aurait mieux fait de ne pas écouter. Tu me fais penser à ce pauvre fou de Soubeyrou qui cherchait toujours à pêcher le reflet de la lune dans les bassins.

Sébastien n'avait plus faim. Il dit bonsoir et alla se coucher.— Ça lui donnera le tournis, cette histoire d'aigle blanc, dit la

bergère. Tu n'aurais pas dû...Mais le berger sculptait toujours l'isard sur la poignée de son bâton. Il ne

dit rien.

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Sébastien, horriblement rouge, avoua que c'était lui. Le berger, qui recousait les colliers à sonnailles des mères brebis, toussa un peu puis affirma qu'à bientôt huit ans il est normal qu'on ait toujours faim... Janou rit sous cape. Elle n'était pas méchante, pourtant elle chantonna :

Il paraît que l'aigle blanc, Quelque part sur les sommets, Ne se nourrit que de vent...

— Janou, appela le berger, allume ma lanterne. Il faut que j'aille fermer les brebis.

On le regarda parce que, d'habitude, il prenait la lanterne accrochée derrière la porte et l'allumait lui-même. Mais on n'osa rien dire et Sébastien s'inquiéta moins parce qu'il était sûr, maintenant, que l'aigle blanc avait un autre ami. Il se leva et sortit avec le berger.

— Va où tu veux et porte-lui ce que tu voudras, dit le berger quand ils furent seuls dans la bergerie, mais couvre-toi bien et emmène la chienne.

Il dit encore, quand il éteignit la lanterne au moment de rentrer dans la salle :

— Et ne monte jamais jusqu'au col. L'aigle blanc te verra de loin. Alors, confidence pour confidence, Sébastien avoua :

— Je dépose les provisions dans le creux du rocher au-dessus de la table de pierre en haut de l'ancienne carrière. Ce n'est pas loin... Il est déjà venu deux fois.

Il y avait quelque chose de bleu qui riait dans les yeux du berger.

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Et vint le premier jour de chasse.Les chasseurs arrivèrent en voiture. Il y en eut plein la route, devant la

maison du berger et autour de la bergerie. Au-delà, ils ne pouvaient pas aller autrement qu'à pied : c'était la montagne.

Ils avaient tous des fusils, même les femmes. Elles voulurent embrasser Sébastien, qui se détourna. Celle qui avait une plume de faisan à son chapeau se mit à rire :

— Quel amour de petit sauvage!Le prenant par les épaules, elle le fit pivoter et lui plaqua deux baisers,

un sur chaque joue. Sébastien devint aussi rouge qu'une pivoine de l'été et il détesta cette femme, ses cheveux blonds, ses beaux yeux bleus dans lesquels flottaient des taches d'or, des yeux qu'on aurait voulu regarder longtemps si seulement... Sébastien ne voyait que le fusil.

Janou admirait et se laissait admirer. Heureusement, Pablo n'était pas là. Les femmes furent assez folles pour vouloir caresser la chienne, qui, de l'épaule, les repoussa. Elle n'eut même pas à grogner. Leurs fusils qui les rendaient terribles en face des autres bêtes ne pouvaient rien contre la chienne : elle n'était plus une bête sauvage, elle!

Mais pour Sébastien ce fut vraiment très grave, parce que le rendez-vous était juste au-dessous de la carrière abandonnée. Deux grandes ailes blanches planaient très haut dans le ciel. Il n'en fallut pas plus pour déchaîner chez les hommes l'envie de faire le mal :

— Diable! dit l'un. Un aigle! Un aigle blanc...Peut-être le voyait-il déjà empaillé, trônant dans son hall d'entrée : il

caressait la détente de son fusil.— Il est trop haut, dit un autre.— Ils sont très rares, dit Sébastien. On n'a pas le droit de les tirer.La femme à la plume de faisan ne parla pas, mais Sébastien crut voir un

bout de langue rosé qui passait sur ses lèvres et il pensa au renard, à sa robe rousse, à la merveilleuse beauté de son regard et... à sa cruauté.

C'est pour cela qu'il grimpa derrière les chasseurs. Puis, par le raccourci, il fut au-dessus de la carrière. La chienne qu'il n'avait pourtant pas appelée le suivait, comme son ombre, sur les talons. Fidèle, sûre, connaissant toutes les ruses.

Des voix venaient de plus bas, portées par l'air léger dans le grand silence de la montagne... Ils riaient. Sébastien les vit au détour, tous en file derrière « Saint-Hubert ». La femme qui portait la plume de faisan à son chapeau s'engagea dans la carrière abandonnée puis grimpa par le sentier de chèvre la paroi éboulée. Il faisait très froid. Un homme lui cria :

— Pourquoi vous éloignez-vous ?

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— Le soleil est chaud, je cherche un coin agréable pour me reposer. Je suis fatiguée, je crois que je ne monterai pas plus haut avec vous, aujourd'hui. Bonne chasse!

On ne s'occupa plus d'elle. De son perchoir, au sommet du rocher où l'aigle blanc avait maintenant l'habitude de trouver le lard, le morceau de viande salée, l'aile d'oie grasse et même la cuisse de poulet, Sébastien la vit bien s'asseoir, mais la gueule de son fusil était là, à peine visible entre deux pierres. Et elle, l'œil à l'affût, elle suivait les grandes ailes blanches qu'on eût pu croire insouciantes, mais qui traçaient dans le ciel transparent de l'hiver le message d'amitié que Sébastien savait lire.

<( Aigle blanc, priait en lui-même Sébastien, toi qui as la vue perçante, regarde le fusil... Regarde-le, je t'en prie, et ne descends pas. »

II observait chaque geste de la femme belle comme un renard, il vit son mouvement d'humeur lorsqu'elle l'aperçut au sommet de son rocher.

La chienne s'assit, l'œil fixe, comme lorsqu'elle surveillait une brebis indocile qu'il fallait rendre à la raison.

Les ailes dessinaient des courbes, des spirales de courbes de moins en moins larges comme un skieur qui descend une piste en lacet. Mais c'était sur l'air impalpable que les ailes glissaient.

La chienne se leva, choisit la pierre plate bien lisse, en plein soleil. Elle bâilla. Elle était juste entre la gueule du fusil et Sébastien. La femme n'osa crier pour les déloger. Elle jeta un caillou d'une petite main furieuse. La chienne eut son regard fixe et ne bougea pas : la place était bonne. Soudain, l'aigle blanc se laissa tomber

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du haut du ciel à une telle vitesse qu'il était impossible de le viser et quand il toucha le roc de ses serres tendues, avec ses ailes toutes droites au-dessus de lui qui battaient à petits coups rapides, il était dans la ligne de tir comme s'il le faisait exprès. Mais la chienne était entre le fusil et sa poitrine, qu'il plaçait comme toujours de face tout en tournant la tête pour regarder son ami.

Dans un mouvement rapide, la femme changea de place, épaula..., mais elle ne tira pas, puisque Sébastien était maintenant contre le ventre doux de l'aigle blanc et les ailes à demi repliées encadraient sa tête brune.

La chienne était aussi immobile que le rocher.Et aucun d'eux ne remarqua l'étonnement qui passait dans le regard bleu et

doré :— Il... Il est à toi, cet aigle blanc?— Il n'est à personne. Il est libre. Il fait ce qu'il veut.— Je veux dire..., tu as pu le dresser?

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Sébastien fut mal élevé puisqu'il ne se retourna même pas. D'ailleurs, il était trop occupé : il parlait à son ami et même la chienne redescendit à la bergerie pour les laisser seuls.

Et puis!... Allez faire comprendre l'amitié à ces gens qui en connaissent si peu sur la montagne qu'ils supposent que vous avez pu dresser l'aigle des sommets!

Cette année-là, un froid mortel s'abattit sur le pays dans la nuit du 23 décembre. Et au matin, quand le jour se leva, il fit briller les arbres, les buissons, le toit de la bergerie et jusqu'au moindre brin d'herbe folle oublié par l'été. Tout était pris dans une carapace de glace transparente et vous marchiez au milieu d'étincelles.

C'était joli, mais Sébastien ne se préoccupait pas de cette beauté de la terre. Le jeune poirier planté de l'automne pouvait bien s'être couvert de diamants, Sébastien ne regardait que les irisations du ciel. Et pas du tout pour les admirer. Mais pour tâcher d'apercevoir deux ailes blanches se détachant sur ce gris si pâle qu'on ne savait plus s'il n'était pas fait de lueurs peut-être bleues, peut-être mauves, peut-être dorées. La seule chose dont on pouvait être certain, c'est qu'il n'y avait pas d'ailes blanches planant sur cet intérieur de coquille. Alors que faire? Et si l'aigle blanc s'était enrobé lui aussi de cette mince couche translucide de glace, là-haut, dans son aire de rochers ?

Heureusement, Sébastien rencontra l'hermine. Elle passa comme une trace, à peine moins blanche que la neige dans sa fourrure brillante, bien épaisse, qui évoquait une idée de chaleur confortable. Sébastien pensa aussitôt à la dureté lisse des ailes sur lesquelles tout glissait, à l'épaisseur du duvet qui protège le ventre de l'aigle blanc, et il se sentit heureux.

Ce n'était pas une raison pour ne pas déposer tout en haut de la carrière dans le trou du rocher les provisions que Janou lui avait généreusement données. Cette jolie folle de Janou, joyeuse dès le matin à l'idée que cette journée se terminerait en fête et dans la compagnie de Pablo.

La neige crissait sous les bottes fourrées. Les joues commençaient à brûler. On était bien sous les lainages accumulés et la peau de mouton.

Sébastien disposa sur la table de pierre le festin de Noël de l'aigle blanc.Il fallait redescendre très vite, c'était une promesse faite au berger. Il

chaussa sagement ses raquettes attachées sur son dos pendant la montée avec le sac aux provisions. Un brusque coup de vent dans le silence du monde l'immobilisa... Très haut sur le ciel clair, il y avait un point sombre comme le négatif d'une étoile sur fond de nuit. Cela tomba plus vite qu'une pierre, devint immense, et ce fut l'aigle, irréellement blanc, chaud de vie dans cette froidure de la glace, tout près de Sébastien, plus grand que lui.

Il se posa.

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— Tu as rencontré la lune en plein midi ? dit Janou quand Sébastien rentra. Elle riait, disposant sur la table les couverts d'argent et les assiettes à fleurs. Avec la bergère, elle venait de finir les pâtés à la viande, ils cuisaient et la salle sentait bon. Sébastien alla près du four où la bergère, avec une grande pelle en bois, enfournait ses petits pains saupoudrés de farine.

— Il sera bientôt temps de te laver et de t'habiller, Sébastien.Il obéit. Aujourd'hui, il est étonnant d'obéissance, Sébastien! Et quand la porte

se referme quelque part au haut de l'escalier, le rire de Janou éclate dans la grande salle où dorment les chiens et ronfle le feu :

— Ils ont des secrets ! Ils se sont parlé, on le jurerait.— Qui donc? demande la bergère, poussant ses petits pains.— Sébastien, bien sûr, et son aigle blanc! Je les ai vus au haut du rocher de

l'ancienne carrière, ils étaient l'un près de l'autre, nez contre bec, et c'était bien étonnant.

— Oh! dit la bergère. Tu les as vus!...Quand Sébastien revient, il est si bien astiqué qu'on croit le voir reluire. Il

pousse un cri d'admiration flatteur pour Janou : la table est superbe et elle a allumé toutes les lampes et, de plus, des bougies. Il y en a partout.

Elle est en train de fixer une grosse touffe de gui sous la poutre bien placée pour que Pablo soit obligé de l'embrasser quand ils passeront dessous, comme le veut la coutume. Elle a la tête pleine d'idées, Janou!... Les hommes ont cueilli du houx que Janou a disposé dans un seau de cuivre. Un véritable buisson. Voilà! Tout est prêt. On va éteindre les bougies et les lampes. On met encore de grosses bûches sur le feu. La cheminée en est pleine.

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— Sébastien! Mets ton bonnet et ta veste.C'est le moment. Le moment de dire qu'on préférerait ne pas quitter la

maison.— Tu ne descendras pas avec nous à la messe de minuit? s'exclame la

bergère. __ C'est joli, tu sais, dit Janou, toutes nos petites lumières qui vont par les sentiers

de la montagne.— Justement, répond Sébastien, je les verrai mieux d'ici.Le berger, qui a mis son caban neuf et qui distribue les lanternes allumées,

ne dit rien. Mais il regarde Sébastien... fermement. Et Sébastien a sa façon à lui de répondre à ce regard :

« Je n'irai pas vers les hauts. J'attendrai, berger. »Janou a mis sa main dans celle de Pablo et les voilà partis en tête. La

bergère s'attarde, recommande :— Ne touche pas au feu... Ne prends pas froid... Va vite dormir.— J'irai dans la bergerie.— Dans la bergerie? Et pourquoi donc? Pourquoi pas dans ton lit?Mais le berger a compris, il est rassuré, et il entraîne la bergère pour

qu'elle^ ne pose plus de questions. Ils laissent la clé sur la porte parce que cette nuit, si quelqu'un d'étranger passe par la montagne, il faut qu'il puisse s'abriter. Sébastien les regarde descendre et, longtemps, il écoute leurs voix. Surtout le rire heureux de Janou. Les petites lumières se balancent en file comme, l'été, une traînée de vers luisants. Mais on n'est plus à l'été et il fait de plus en plus froid.

Quand Sébastien entra dans la bergerie, ce fut la chienne qui l'accueillit et, à son attitude, on voyait bien que ce n'était pas une nuit comme les autres et qu'elle le savait. Elle s'allongea sur la paille fraîche de façon à donner une place contre elle. Là, il faisait chaud, les longs poils vous enveloppaient dans leur soie. La nuit claire s'encadrait dans les petites fenêtres sans vitres.

Il sembla à Sébastien que rien ne pouvait valoir cette nuit et il s'endormit...

Il entend d'abord ce grand bruit. Si violent qu'il se demande si ce n'est pas la montagne elle-même qui gronde et ouvre la porte. Et la nuit entre.

Après, vient un souffle léger. Alors les grandes ailes traversent la nuit.Miraculeusement blanches, elles volent jusqu'au râtelier où l'aigle se pose,

les dominant tous. Et les moutons s'arrêtent de manger. Dans l'étable où les trois vaches sont attachées près de l'âne, il y a le même silence.

Il est presque minuit. L'heure, a dit le berger, où les bêtes parlent si personne ne les dérange.

— Aigle blanc..., murmure Sébastien comme il l'a toujours fait.

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Mais sa voix n'est pas tout à fait la même que d'habitude, on dirait qu'il ose à peine parler au grand aigle et à ceux qui l'entourent.

— Aigle blanc, dit-il encore, et vous tous... Je sais que je ne devrais pas être ici. Je sais que vous ne parlerez pas si je vous écoute, mais...

Il s'arrête parce que là-bas, très loin, les douze coups de minuit sonnent au clocher de l'église. Et voilà un brouhaha dans la bergerie. C'est tout à fait comme lorsque beaucoup de gens discutent entre eux. Les moutons secouent leurs cloches, les vaches s'agitent :

— Sébastien... Sébastien... Sébast...Son nom. Voilà tout ce qu'il peut reconnaître, d'abord, dans ce drôle de

langage des bêtes. Puis l'aigle blanc, à son tour, dit quelque chose. Qu'est-ce donc? Qu'a-t-il dit? Tous les autres se taisent.

— Sébastien...Il parle! C'est vraiment l'aigle qui parle, tous les autres l'écoutent et

Sébastien sait, maintenant, qu'il les comprend parce qu'ils le veulent bien. Et le grand aigle blanc lui apprend que leurs peines, que leurs joies sont les mêmes..., presque les mêmes que celles des hommes.

— Sébastien, réveille-toi! Sébastien, nous sommes de retour... A qui souris-tu? Tu as fait un si beau rêve que tu ne veux pas le quitter ?

C'est le rire de Janou! Janou tout emmitouflée et qui tient la lanterne. Le berger se penche, prend dans ses bras Sébastien encore lové dans la fourrure de la chienne. La porte est ouverte, elle laisse entrer la grande nuit scintillante. On entend manger les bêtes. Les sabots de l'âne grattent le sol de terre battue de l'étable. Est-ce que c'est vraiment une nuit comme toutes les autres? Est-ce que...

Sébastien enfouit son visage près de l'oreille du berger et, tout bas, pour que Janou n'entende pas parce qu'il a peur de son rire :

— Si tu savais, berger... Si tu savais!Il paraît qu'à partir de cette nuit-là Sébastien parla moins et écouta

davantage.Il n'est pas si difficile, voyez-vous, de comprendre le langage des bêtes...

ou même celui des hommes lorsqu'ils se taisent. Il suffit d'écouter ce qui se devine et ne s'entend pas.

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CET ALBUMDONT LA SÉLECTION ET LES FILMS

ONT ÉTÉ EXÉCUTÉS PAR LA PHOTOGRAVURE S.T.O. A PARIS

A ÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DE

BERNARD NEYROLLES - IMPRIMERIE LESCARET

A PARIS

Dépôt légal n° 2557 3° trimestre 1973 Novembre 1973

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