au delà de la mimesis

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1 Qu’est-ce que ça représente ? Quel est le message de l’artiste ? publier publier imiter imiter signifier signifier représenter représenter présenter présenter Giuseppe Arcimboldo Milan, 1527 - Prague, 1593

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Une réflexion sur l'art à destination des Terminales et classes préparatoires

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Page 1: Au Delà De La Mimesis

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Qu’est-ce que ça représente ? Quel est le message de l’artiste ?

publierpublier imiterimiter signifiersignifier représenterreprésenter présenterprésenter

Giuseppe Arcimboldo Milan, 1527 - Prague, 1593

Page 2: Au Delà De La Mimesis

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De Charybde en ScyllaDe Charybde en ScyllaQu’est-ce que ça représente ? Qu’est-ce que ça signifie ?Qu’est-ce que ça représente ? Qu’est-ce que ça signifie ?

les deux monstres platoniciensles deux monstres platoniciens

Ces deux monstres personnifient l’un un tourbillon, l’autre un récif, dangers

redoutés par les marins qui s’aventuraient dans le détroit de Messine (Bosphore ?) . Gouffre profond, Charybde engloutit et

rejette trois fois par jour les eaux du détroit. Scylla est une horrible créature à six têtes de chiens, chacune montée sur un

long cou et armée de trois rangées de dents. De la caverne où elle s'est réfugiée,

surgissent ses gueules furieuses qui saisissent au passage leurs victimes. Alerté

par Circé, Ulysse réchappe de l'écueil Charybde, mais non de Scylla qui dévore

six de ses compagnons.

Alessandro Allori (1535-1607) Charybde et Scylla Fresque du cycle

d'Ulysse, vers 1575. Florence,

Page 3: Au Delà De La Mimesis

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Le règne de la MimesisLe règne de la Mimesis■ La peinture dans l’Antiquité est uniformément définie comme La peinture dans l’Antiquité est uniformément définie comme mimesis.mimesis.

■ Pouvoir de représenter le réel, de donner à voir les objets ou les êtres absents, la mimesis est surtout Pouvoir de représenter le réel, de donner à voir les objets ou les êtres absents, la mimesis est surtout interprétée comme étant interprétée comme étant le pouvoir de rendre la viele pouvoir de rendre la vie, le mouvement, d’imiter la nature elle-même., le mouvement, d’imiter la nature elle-même.

■ C’est à ce titre que C’est à ce titre que la nature peut devenir critique d’artla nature peut devenir critique d’art : les animaux s’avèrent parfois les meilleurs juges : les animaux s’avèrent parfois les meilleurs juges de son pouvoir… de son pouvoir…

On raconte que Parrhasius entra en compétition avec Zeuxis : celui-ci avait présenté des raisins si aisément

reproduits que les oiseaux vinrent voleter auprès d’eux sur la scène ; mais l’autre présenta un rideau peint avec une telle perfection que Zeuxis, tout gonflé d’orgueil à cause

du jugement des oiseaux, demanda qu’on se décidât à enlever le rideau pour montrer la peinture, puis, ayant

compris son erreur, il céda la palme à son rival avec une modestie pleine de franchise, car, s’il avait

personnellement, disait-il, trompé les oiseaux, Parrhasius l’avait trompé lui, un artiste. On rapporte que Zeuxis

peignit également, plus tard, un enfant portant des raisins ; des oiseaux étant venus voleter auprès de ces derniers, en colère contre son œuvre, il s’avança et dit, avec la même

franchise : « J’ai mieux peint les raisins que l’enfant, car, si je l’avais aussi parfaitement réussi, les oiseaux auraient dû

avoir peur. »     

Pline l’Ancien (23-79)Histoire naturelle, Livre XXXV, §65, 66

Claudio Vasari 1511-1574 Autoportrait en Zeuxis

Page 4: Au Delà De La Mimesis

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Critique platonicienne de la mimesis : la skiagraphiaCritique platonicienne de la mimesis : la skiagraphia ■ Le concept de mimesis est au cœur de la philosophie Le concept de mimesis est au cœur de la philosophie

platonicienne puisque celle-ci s’articule sur platonicienne puisque celle-ci s’articule sur l’opposition entre l’opposition entre monde intelligible et monde sensiblemonde intelligible et monde sensible, le second étant , le second étant seulement la seulement la copiecopie du premier et ayant par conséquent un du premier et ayant par conséquent un degré moindre de réalité. La mimesis, degré moindre de réalité. La mimesis, parce qu’elle éloigne de parce qu’elle éloigne de la réalité intelligiblela réalité intelligible, ne peut donc être envisagée par Platon , ne peut donc être envisagée par Platon comme un phénomène positif. Puisque l’art pictural grec comme un phénomène positif. Puisque l’art pictural grec prétend imiter la nature sensible, et s’adresse à la perception, prétend imiter la nature sensible, et s’adresse à la perception, il est considéré par Platon comme un il est considéré par Platon comme un artifice trompeurartifice trompeur. Platon . Platon critique donc l’art pictural en ce qu’il n’est qu’un art de critique donc l’art pictural en ce qu’il n’est qu’un art de l’illusion, qui charme et séduit la sensibilité au lieu de l’illusion, qui charme et séduit la sensibilité au lieu de ménager un accès au vrai.ménager un accès au vrai.

Dans La Dans La République, République, Platon expose sa défiance vis-à-vis de Platon expose sa défiance vis-à-vis de l’art en prenant l’exemple du lit en explicitant les relations l’art en prenant l’exemple du lit en explicitant les relations entretenues entre le lit en soi ou l’idée du lit, les différents entretenues entre le lit en soi ou l’idée du lit, les différents échantillons de lits sensibles qui participent tous de l’idée du échantillons de lits sensibles qui participent tous de l’idée du lit, et la représentation picturale d’un lit sensible. lit, et la représentation picturale d’un lit sensible. Pour Platon, Pour Platon, le lit sensible est déjà mimesis du lit intelligiblele lit sensible est déjà mimesis du lit intelligible. Produire une . Produire une peinture, une imitation du lit sensible, c’est donc s’éloigner peinture, une imitation du lit sensible, c’est donc s’éloigner encore d’un degré de l’idée de lit, dont le lit sensible n’est que encore d’un degré de l’idée de lit, dont le lit sensible n’est que l’imitation. La critique platonicienne de l’art mimétique est l’imitation. La critique platonicienne de l’art mimétique est donc entièrement liée à sa conception du rapport entre donc entièrement liée à sa conception du rapport entre intelligible et sensible, où les apparences sensibles sont les intelligible et sensible, où les apparences sensibles sont les copies des idées intelligibles, qui seules possèdent la véritable copies des idées intelligibles, qui seules possèdent la véritable réalité. réalité.

Lyon Fresque du mur des Canuts

Page 5: Au Delà De La Mimesis

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L’idéal d’un art sous surveillanceL’idéal d’un art sous surveillance

[…] il y a longtemps, à ce qu’il paraît, que l’on a […] il y a longtemps, à ce qu’il paraît, que l’on a reconnu chez les Egyptiens la vérité de ce que reconnu chez les Egyptiens la vérité de ce que nous disons ici, que dans chaque Etat la nous disons ici, que dans chaque Etat la jeunesse ne doit employer habituellement que jeunesse ne doit employer habituellement que ce qu’il y a de plus parfait en fait de figure et de ce qu’il y a de plus parfait en fait de figure et de mélodie. C’est pourquoi après en avoir choisi et mélodie. C’est pourquoi après en avoir choisi et déterminé les modèles, on les expose dans les déterminé les modèles, on les expose dans les temples, et il est défendu aux peintres et aux temples, et il est défendu aux peintres et aux autres artistes qui font des figures ou d’autres autres artistes qui font des figures ou d’autres ouvrages semblables, de rien innover, ni de ouvrages semblables, de rien innover, ni de s’écarter en rien de ce qui a été réglé par les s’écarter en rien de ce qui a été réglé par les lois du pays : et cette défense subsiste encore lois du pays : et cette défense subsiste encore aujourd’hui, et pour les figures, et pour toute aujourd’hui, et pour les figures, et pour toute espèce de musique. Et si on veut y prendre espèce de musique. Et si on veut y prendre garde, on trouvera chez eux des ouvrages de garde, on trouvera chez eux des ouvrages de peinture ou de sculpture faits depuis dix mille peinture ou de sculpture faits depuis dix mille ans (quand je dis mille ans, ce n’est pas pour ans (quand je dis mille ans, ce n’est pas pour ainsi dire, mais à la lettre), qui ne sont ni plus ni ainsi dire, mais à la lettre), qui ne sont ni plus ni moins beaux que ceux d’aujourd’hui, et qui ont moins beaux que ceux d’aujourd’hui, et qui ont été travaillés sur les mêmes règles. été travaillés sur les mêmes règles.

Platon Lois II, 656d 657a Platon Lois II, 656d 657a

Scène du mystère de la mort-résurrection d'Osiris.

Fresque, Thèbes, 3200 A.C.

Page 6: Au Delà De La Mimesis

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Échapper à Charybde et à Scylla, Échapper à Charybde et à Scylla, c’est explorer d’autres fonctions possibles de c’est explorer d’autres fonctions possibles de

l’image peinte ou sculptéel’image peinte ou sculptée

Page 7: Au Delà De La Mimesis

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Au début était le… Xoanon (« xuo » : racler, gratter, polir

 rendre présent le divin

 le centre d ’un rituel

 la matière plus que la forme

 une idole cachée

 un privilège et un pouvoir

Le passage à la Mimésis supposera

une mutation tout à la fois :

•religieuse

•politique

•artistique

Page 8: Au Delà De La Mimesis

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Le statut de… la statue

�  du culte privé privé au culte  publicpublic

p du pouvoirpouvoir du chef à la loiloi pour tous

   de la symbolisation symbolisation à la figurationfiguration

f  du secretsecret de l ’initiation à la visibilitévisibilité du temple

Page 9: Au Delà De La Mimesis

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Plus qu’un lieu de culte où les fidèles se réunissent, le temple grec est une demeure : le dieu y habite mais c’est une demeure qui n’a précisément plus rien de privé. Au lieu de se refermer, comme l’oikos humain, sur un intérieur familial, la maison divine est orientée vers l’extérieur, tournée vers le public. Dans le palais humain, la fresque décorait le dedans de la salle ; dans le temple, la frise sculptée, projetée sur la façade, s’offre au spectateur qui la regarde du dehors. Dans l’intimité de l’édifice, le dieu réside. Mais c’est un dieu qui appartient désormais à la cité entière : elle lui a bâti sa maison, séparée de la demeure humaine, en même temps qu’elle lui abandonnait l’Acropole pour s’établir en basse ville. Parce que le Dieu lui-même est public, le dedans du temple n’est pas moins impersonnel que le dehors. En cessant d’être le signe d’un privilège pour celui dont il vient habiter la maison, le dieu révèle sa présence de façon directement visible aux yeux de tous : sous le regard de la cité, il devient forme et spectacle.

L’avènement de la grande statue cultuelle ne se comprend que dans le cadre du temple, avec son double caractère de maison réservée au dieu et d’espace pleinement socialisé. Construit par la cité, le temple est consacré au dieu comme sa résidence. On l’appelle naos, demeure, hedos, siège de la divinité. Et le même mot hedos désigne aussi bien la grande statue divine : c’est par son image que la divinité vient habiter dans sa maison. Entre le temple et la statue, il y a réciprocité complète. Le temple est fait pour loger la statue du dieu dans l’intimité de sa demeure.

Comme le temple, l’image revêt un caractère de pleine publicité. On pourrait dire de la statue que, désormais, tout son esse consiste dans un percipi, tout son “ être ” dans un “ être perçu ”. Elle n’a plus d’autre réalité que son apparence, plus d’autre fonction rituelle que d’être vue. Logée dans le temple, où elle fait résider le dieu, on ne la promène plus. Expressive par sa forme, elle n’a plus besoin d’être habillée, processionnée, baignée... On ne lui demande plus d’opérer dans le monde comme une force efficace, mais d’agir sur le yeux du spectateur, de traduire pour lui de façon visible la présence invisible du dieu et de lui communiquer un enseignement sur la divinité. La statue est “ représentation ” en un sens vraiment nouveau. Libéré du rituel et placé sous le regard impersonnel de la cité, le symbole divin s’est transformé en une “ image ” du dieu.

Page 10: Au Delà De La Mimesis

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L ’Age de la Cité et de la religion civiqueL ’Age de la Cité et de la religion civique

Page 11: Au Delà De La Mimesis

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Le temple est une demeure (celle du dieu) mais ouverte, publique, tournée vers l ’extérieur.

De même que le loi (celle de la Cité) ne réside pas dans le secret d ’un pouvoir mais dans la publicité des textes

Page 12: Au Delà De La Mimesis

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Faut-il faire de la mimesis l ’horizon indépassable de l ’art ?Ne s ’interroger que sur la belle imitation de l ’objet ou l ’imitation du bel objet ?

L ’Imitation

naissante et

renaissante

Le moyen âge

et ses

disproportions

Une parenthèse

malheureuse

de mille ans ?

BotticelliBotticelli

Page 13: Au Delà De La Mimesis

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2) - : Le moyen âge un monde à déchiffrer2) - : Le moyen âge un monde à déchiffrer

Page 14: Au Delà De La Mimesis

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La haine de la MimésisIl y a un paradoxe de l ’art chrétien : le christianisme est une des religions les plus productrices d ’images et pourtant il prend sa source dans la haine du charnel, de son imitation ; dans la haine du visible .

Clément d ’Alexandrie

La beauté artistique

rend les hommes

« erotikoï »happés par le désir du corps

Tertullien

Est idolâtre« tout plaisir de voir

ou d ’être vu »

Page 15: Au Delà De La Mimesis

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UN PASSAGE

du Visible au Visuel

de Voir à Voir au-delà

de l ’Imitation à l ’Incarnation

Idole paîenne Icône chrétienne

Figuration Transfirguration

Qu ’est-ce qu ’une iconographie qui prend sa source dans la haine du visible ?

L ’imitation

ressemble

et détourne

l ’homme

du Créateur

vers la création

L ’incarnation signifie

et ramène l ’homme

de la création vers

le Créateur

Page 16: Au Delà De La Mimesis

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Le monde est un Livre

Au 4 éme siècle après J-C : passage

du « volumen » au « codex »

  Il peut être feuilleté, compulsé

I Il devient le support essentiel de la pensée, c ’est-à-dire de la lecture

d connaître le monde, c ’est connaître la parole divinesous sa double forme :

* le livre de la Révélation (la Bible)

* le livre de la Création (la Nature)

« Alors que dans toutes les sciences, les mots ont valeur significative, la théologie a en propre que les choses même signifiées par les mots employés signifient à leur tour

quelque chose « 

Saint Thomas d ’Aquin

>>>toute chose devient mot, y compris les images

> le pseudo-Denys (l ’Aréopagyte)

Distinguer les images semblables qui représentent

des images dissemblables qui évoquent

Page 17: Au Delà De La Mimesis

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Les images sont des mots ; elles ne représentent pas, elles signifient

L ’espace n ’est pas

celui de la représentation,

mais celui du discours

La perspective peut être utilisée « localement »

mais le tableau est à lire

> l ’arrière plan n ’est pas un espace mais un décor

Page 18: Au Delà De La Mimesis

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Seule compte

l ’efficacité

du propos

Ce qui peut sembler représentationmaladroite n ’est que discours clair

Page 19: Au Delà De La Mimesis

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L ’homme, fautif, est absent du discours picturaldans un monde où seul Dieu parle

Peu importe

le visage de Saint Georges

Ou celui

d ’Abélard

Sous les Mérovingiens la représentation humaine disparaît quasi totalement au profit de l ’ornement ; avec les Carolingiens l ’homme réapparaît mais anonyme, sous forme d ’archétypes

> Au seuil du 2éme millénaire de notre ère, un miniaturiste de Reichenau consacrera un folio à la figure d ’Otton III qu ’il n ’aura jamais vu, puis, cet empereur disparu inopinément, il grattera le nom et inscrira celui du successeur : Henri II, pour lui encore, l ’individuel n ’offrira donc pas d ’intérêt

Page 20: Au Delà De La Mimesis

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Le rigorisme cistercien ou le renouveau néoplatonicienBernard de Clairvaux ou Suger

Saint Augustin ou Denys le Pseudo-AréopagiteLe discours ou la lumière

Petite Chronique du XII éme siècle

Bernard de Clairvaux

(1090-1153)

Suger

(1081-1151)

un auteur anonyme de langue grecque, ayant vécu au Ve siècle ou VIe siècle, et

longtemps confondu avec saint Denys l'Aréopagite, premier évêque

mythique d’Athènes (Ier siècle).

Augustin d'Hippone (Aurelius Augustinus), ou saint Augustin, né à Thagaste (actuelle Souk-Ahras,

Algérie) le 13 novembre 354, mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba), était un philosophe et

théologien chrétien, évêque catholique d'Hippone, et un écrivain romain de l'Antiquité tardive.

Page 21: Au Delà De La Mimesis

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Le rigorisme cistercien

Abbaye de Clairvaux Réfectoire

Nulle figure peinte ou sculptée n’est tolérée à l’exception des crucifix de bois, pierres précieuses, or et soir sont

interdits .

« Et en outre, qu’a à faire dans les cloîtres, sous les yeux des frères occupés à prier, cette galerie de monstres ridicules, cette confondante beauté difforme et cette belle difformité ?[….] c’est de tous côtés une diversité de formes si riche e si étonnante que l’on a plus de plaisir à lire les marbres que les manuscrits et à passer tout le

jour à admirer toutes ces choses, une à une, plutôt qu’à méditer sur le Loi Divine. »Bernard de Clairvaux Apologia ad Willelmum

« De la plante des pieds jusqu'au sommet de notre tête, rien n'est sain en nous. »

Abbaye cistercienne de Romont

Les panégyristes contemporains de Saint Bernard nous assurent qu’il était tout simplement aveugle au monde visible et à sa beauté. On dit qu’il passa une année entière au noviciat de Citeaux sans remarquer si le plafond du dortoir était plat ou voûté et si la chapelle recevait la lumière par une fenêtre ou par

trois ; et on nous rapporte qu’il chevaucha un jour entier sur les rives du lac de Genève sans jeter un seul regard sur le paysage.

Erwin Panofsky Architecture gothique et pensée scolastique

Page 22: Au Delà De La Mimesis

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Plotin, Denys le Pseudo-Aréopagite, Jean Scot Erigène, SugerLa voie « anagogique »

(« anagogicus mos » : méthode conduisant vers le haut)

« Mais nous qui, au nom du Christ, avons traité comme fumier tout ce qui rayonne de beauté, enchante l’oreille, charme de son parfum,

flatte le goût, plaît au toucher ; de qui, je le demande, pourrions-nous

vouloir stimuler la dévotion au moyen de ces mêmes choses »

Bernard de Clairvaux

« Si des vases à libations en or, des fioles d’or et des petits mortiers d’or

étaient utilisés, selon la parole de Dieu et le commandement du

prophète, pour recueillir le sang des chèvres, des veaux ou de la génisse rousse, à plus forte raison, les vases d’or, les pierres précieuses et tout ce qu’il y a de plus rare parmi toutes les choses créées doivent être disposés, avec une révérence constante et une

pleine dévotion, pour recevoir le sang du Christ »

Suger

« Les arts sont les liens de l'homme avec le divin, et leur pratique un moyen de salut pour lui. » Jean Scot Erigène (800?-876)

Calice de Suger à Saint Denis

Page 23: Au Delà De La Mimesis

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L’Unité de la Lumière : l’apport néo-platonicien

Plotin

né en 205 après J.-C. à Lycopolis, en …gypte, et

mort en 270 à Rome

Plotin enseigne qu'il existe un "Un", suprême duquel a émané le reste de l'univers en tant que séquence d'êtres inférieurs. L'Un ne contient ni division, ni multiplicité, ni distinction, ni changement.

Dès lors, aucun attribut ne peut lui être assigné, pas plus que la pensée, car elle implique une distinction entre le penseur et l'objet de sa pensée. De même, ni la volonté, ni l'activité ne peuvent lui être imputées, car cela impliquerait également une distinction entre un "agent" de volonté ou d'agissement et son objet.

C'est cet "Un" qui est la source du monde, non par un acte de création, volontaire ou non, car l'activité ne peut être appliquée à ce "Un" immuable, donc immobile.

Plotin offrait donc une alternative à la notion de création ex nihilo, soutenue par les Juifs et les premiers Chrétiens, qui selon lui "affligeraient" Dieu des délibérations d'un esprit et des actions de la volonté. Au contraire, l'Emanatio ex Deo, confirme Son absolue transcendance, faisant du déploiement cosmique une coïncidence de Son existence. Ces émanations ne L'affectent en aucune manière, pas plus qu'elles ne Le diminuent. Il ne Se divise pas en une multitude d'êtres inférieurs, ni ne Se morcelle. Plotin établit l'analogie avec le soleil dont émane la lumière sans qu'il n'en soit diminué.

Rosace de l’Abbaye de Saint Denis

Page 24: Au Delà De La Mimesis

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De la lumière intelligible à la lumière visible

(De Caelesti Hierarchia)

Selon le Pseudo-Aréopagite, l’univers est créé, animé et unifié par l’auto-effectuation de ce que Plotin appelle le « Un », de ce que la Bible appelle « le Seigneur » et ce ce que lui-même appelle « la lumière superessentielle » ou même « le soleil invisible », Dieu le Père étant nommé « le Père des Lumières » et le Christ « le premier rayonnement.

Il y a une distance formidable entre la sphère d’existence la plus haute, purement intelligible et la plus basse, mais cette hiérarchie n’est pas une dichotomie.

Le processus par lequel les émanations de la Lumière Divine se diffuse jusqu’à s’immerger presque complètement dans la matière peut se renverser en une ascension de la pollution et de la multiplicité à la pureté et à l’unicité.

Notre esprit peut s’élever à ce qui n’est pas matériel sous la conduite de ce qui l’est.

Abbaye de St Denis : Annonciation avec Suger

« Quand la beauté des pierre aux multiples couleurs m’arrache aux soucis extérieurs et qu’une honorable méditation me conduit à réfléchir, en transposant ce qui est matériel à ce qui est immatériel […] je crois pouvoir, par la Grâce de Dieu, être transporté de ce monde inférieur à ce monde supérieur d’une manière anagogique »

Suger parlant de la contemplation d’une croix précieuse

Page 25: Au Delà De La Mimesis

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la perspective et le primat de la figuration la perspective et le primat de la figuration

Un système de représentation cohérent

> toutes les lignes de fuite se rejoignent en un point situé sur l ’horizon

> les volumes décroissent en fonction de la distance

> le tableau est construit par rapport à un point idéal de vision

UccelloUccello

Page 26: Au Delà De La Mimesis

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> > toutes les lignes de fuite se rejoignent en un point situé sur l ’horizon

LéonardLéonard

Page 27: Au Delà De La Mimesis

27

> les volumes décroissent en fonction de la distance

RaphaëlRaphaël

Page 28: Au Delà De La Mimesis

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> le tableau est construit par rapport à un point idéal de vision

Le même procédé est utilisé en architecture

pour penser les bâtiments et tout particulièrement les colonnes

Mais il y a de raresMais il y a de rares

exceptions :les anamorphoses exceptions :les anamorphoses ( Ici 30° à droite pour l’axe de perspective)

HolbeinHolbein

Page 29: Au Delà De La Mimesis

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La perspective est-elle un code parmi d ’autres ?La perspective est-elle un code parmi d ’autres ?

> problème de Molyneux (William Molyneux 1656-1698) : Un aveugle de naissance, opéré, pourrait-il sans l ’aide du toucher reconnaître une sphère d ’ un cube, par la seule vision nouvellement recouvrée

si oui la vision se suffit à elle-même et il existe une représentation objective, innée, de l ’espace en 3 dimensions … la perspective serait alors le système naturel de projection puisque correspondant au processus de la vision (supériorité historique et esthétique du classicisme)

si non il n ’y a pas de vision naturelle (la vue est l ’effet d ’une éducation à la fois sensorielle et culturelle)

… la perspective classique est un code parmi d ’autres possibles et sa prétendue naturalité n ’est que l ’effet de nos préjugés esthétiques.

“Supposez un aveugle de naissance, qui soit présentement homme fait, auquel on ait appris à distinguer par le seul

attouchement un cube d’un globe, du même métal et à peu près de la même grosseur, en sorte que lorsqu’il touche l’un et l’autre il puisse dire quel est le

cube et quel est le globe ; supposez que le cube et le globe étant posés sur une table, cet aveugle vienne à jouir de la

vue. On demande si en les voyant sans les toucher, il pourra les discerner, et

dire quel est le globe et quel est le cube. (Locke, Essai sur

l'entendement humain, II, ix, 8).

Masaccio 1428

Page 30: Au Delà De La Mimesis

30

La vision est-elle d’emblée spatiale ? Et si oui la perspective en est-La vision est-elle d’emblée spatiale ? Et si oui la perspective en est-elle l’expression naturelle ? elle l’expression naturelle ?

L’enjeu (lointain ?) : la supériorité

historiqueet culturelle d’une

certaine représentation du monde

Boticelli

Page 31: Au Delà De La Mimesis

31

■ Selon Berkeley, les idées Selon Berkeley, les idées im m é d ia t e s im m é d ia t e s de la vue et du toucher sont de la vue et du toucher sont totalement totalement hétérogèneshétérogènes. .

■ Les idées de la vue ne possèdent aucune spatialité intrinsèque. Les idées de la vue ne possèdent aucune spatialité intrinsèque. ■ Les idées spatiales ont leur source uniquement dans le toucher et le mouvement Les idées Les idées spatiales ont leur source uniquement dans le toucher et le mouvement Les idées

visuelles ne renvoient que dérivativement à des idées spatiales. visuelles ne renvoient que dérivativement à des idées spatiales. ■ Ce renvoi à des idées spatiales n’est possible qu’au terme d’un Ce renvoi à des idées spatiales n’est possible qu’au terme d’un apprentissageapprentissage au cours au cours

duquel nous avons appris à duquel nous avons appris à associerassocier à certaines qualités de l’expérience visuelle des idées à certaines qualités de l’expérience visuelle des idées spatiales.spatiales.

■ De même que les “sons d’une langue” n’ont en eux-mêmes De même que les “sons d’une langue” n’ont en eux-mêmes aucune connexion nécessaireaucune connexion nécessaire avec les significations qui leurs sont attachées, de mêmes les idées purement visuelles n’ont avec les significations qui leurs sont attachées, de mêmes les idées purement visuelles n’ont en elles-mêmes aucune connexion nécessaire avec les idées spatiales ; en elles-mêmes aucune connexion nécessaire avec les idées spatiales ;

• De même, par conséquent, que c’est seulement au terme d’un apprentissage que nous De même, par conséquent, que c’est seulement au terme d’un apprentissage que nous associons à des sons donnés des significations déterminées, de même c’est seulement au associons à des sons donnés des significations déterminées, de même c’est seulement au terme d’un apprentissage que nous associons aux perceptions visuelles des idées spatiales .terme d’un apprentissage que nous associons aux perceptions visuelles des idées spatiales .

La Réponse de Berkeley (12 mars 1685 - 14 janvier 1753)

Rodin

Page 32: Au Delà De La Mimesis

32

■ L’aveugle nouvellement opéré soumis au test L’aveugle nouvellement opéré soumis au test devrait pouvoir aboutir à la bonne réponse par devrait pouvoir aboutir à la bonne réponse par le raisonnement, en exploitant le fait que “dans le raisonnement, en exploitant le fait que “dans le globe il n’y a pas de points distingués du côté le globe il n’y a pas de points distingués du côté du globe même, tout y étant uni et sans angles, du globe même, tout y étant uni et sans angles, au lieu que dans le cube, il y a huit points au lieu que dans le cube, il y a huit points distingués de tous les autres” (Leibniz, distingués de tous les autres” (Leibniz, Nouveaux Essais sur l'Entendement HumainNouveaux Essais sur l'Entendement Humain, , II, ix, p. 114). II, ix, p. 114).

■ Leibniz précise toutefois que pour que Leibniz précise toutefois que pour que l’aveugle-né use de cet expédient, il faut qu’il l’aveugle-né use de cet expédient, il faut qu’il ait été instruit préalablement de ce qu’il a ait été instruit préalablement de ce qu’il a devant lui un cube et une sphère, sans quoi il devant lui un cube et une sphère, sans quoi il ne s’aviserait pas spontanément de faire le lien ne s’aviserait pas spontanément de faire le lien entre les impressions visuelles qu’il reçoit et entre les impressions visuelles qu’il reçoit et ces idées. ces idées.

Leibniz : le raisonnement du géomètreLeibniz : le raisonnement du géomètre

Page 33: Au Delà De La Mimesis

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En fait Images rétiniennes et images perspectives ne correspondent pas

•Il est impossible, du strict point de vue de la vision monoculaire de discerner l ’inclinaison en profondeur de ces différentes figures

•Il n ’y a pas d ’appréhension naturelle de la profondeur par la vision mais l ’utilisation d ’indices liés à l ’expérience du sujet

•La rétine est concave et le tableau plan

•l ’image rétiniennes est obtenue par rotation et oscillation du globe oculaire

•Les représentations latérales telles qu ’elles sont construites par la perspective (à moins qu ’elle use d ’autres artifices de déformation) doivent être interprétées par le cerveau

Entre l ’espace du tableau et l ’espace rétinien, il y a l ’écart d ’un artifice,

la nécessité d ’un décodageet donc l ’acquisition culturelle

de ce code

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D’autres appropriations de l’espace sont D’autres appropriations de l’espace sont possibles, plus respectueuses de l’objetpossibles, plus respectueuses de l’objet

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La cité idéale (1475), Piero della Francesca. À cette phase de la découverte de la perspective, le peintre a traité beaucoup de choses : les cercles horizontaux sont représentés par des ellipses, les plans traités en perspective sont les verticaux de gauche et de droite ainsi que le sol carrelé.

Le ciel lui-même ressemble à un plafond horizontal dont la perspective est évoquée par des rangs de nuages parallèles dont l'intervalle respecte plus ou moins la règle de décroissance. L'œil du peintre est à une hauteur compatible avec son passage par la porte du baptistère. À

cette époque, on peut encore remarquer que le bâtiment central, indépendamment des besoins scénographiques, était bien utile pour éviter de se poser la question de l'infini, bien que la porte

entrouverte nous laisse espérer un début de méditation sur ce point.

La mise en perspective du tableau est d’abord une prise de possession du monde

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Le Le Quattrocento : la redécouverte de la dignité humaine

Saint Augustin : Cre atura non pote s tcre are Masaccio

Pic de la Mirandole : , - « O hom m e de toi m ê m e à tong ré

, m ode le ur e t sculpte ur- puisse s tu te donne r

la form e qui te plaît »

Michel-Ange

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La dis tance de la Cré ature à son Cré ate ur se ré duit

, , La nature de Livre s ignifiant un Die u lointain de vie nt le lie u du dialogue e ntre’l  hom m e : , e t son Die u la pe inture ne se donne plus pour tâche de s ignifie r m ais de

’ ré ins talle r l  hom m e dans le m onde

Miche l Ange

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Progressivement, l ’homme s ’installe dans le monde

Fra Ange lico

L ’ utilisation systématique de la perspective doit ę tre comprise avant tout comme une géométrisation,

’une pris e de posse s s ion de l  e spac e

Le chris t e s t avant tout hom m e

Miche lAnge

Hum anisation Gé om é trisation

Rationalisation

Lé onard

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Même l ’église s ’ouvre à la lumière

La coupole conçue par Brunellesci est ouverte à la lumière céleste

Il ne s ’agit plus d ’enfermer le croyant dans un tête à têteoppressant avec son Dieu, à l ’abri des tentations d ’un monde fondamentalementperverti par le péché originel

Même l ’église s ’ouvre à la lumière

…mais de rendre manifeste l ’harmonie d ’ensemble de la création

> le retour de la preuve cosmologique

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Même l ’église s ’ouvre à la lumière L’Homme au centre des mondes : Marsile Ficin, Pic de la Mirandole

2 penseurs néo-platoniciens

et leurs protecteurs

Marsile Ficin1433-1499

Laurent de Medicis 1449-1492

Jean Pic de la Mirandole1463-1494

Cosme de Medicis1389-1464

Le néo-platonisme fait de l’homme le lieu et l’enjeu d’une tensionentre le Divin et la Matière, l’Amour Céleste et l’Amour Profane

Titien 1490-1576

« L’Homme s’élève aux domaines d’en haut sans délaisser le monde d’en bas ; et il peut descendre

jusqu’au monde d’en bas sans quitter le monde d’en haut »

Marsile Ficin

L’homme n’est plus exilé dans le monde, tel qu’il l’était chezAugustin ou le sera encore chez Pascal ; il n’en est pas encore « comme maître et possesseur », au sens cartésien . Son monde se construit dans la tension érotique d’un monde à l’autre .

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Le retour de l’Eros platonicien

« … afin de vous faire voir que mon amour est religieux, et ma religion amoureuse. »

Marsile Ficin

L’amour est le moteur qui incite Dieu (ou plutôt par lequel Dieu s’incite) à dispenser Son essence dans l’univers; et qui en retour incite Ses créatures à s’unir à Lui.

Amour n’est qu’un autre nom pour ce courant qui revient sur soi (circuitus spiritualis), qui va de Dieu à l’univers et de l’univers à Dieu). Aimer c’est prendre place au sein de ce circuit mystique.

Michel-Ange (1475-1664) Psyché réveillée par le baiser de Cupidon

foliefolieAmour bestial

Vénus Vulgaire

(Zeus-Dioné)

Facultés de l’âme (agissante)

Amour humain

Venus céleste

(uranienne)

Intellect

(contemplatif)

Amour divin

« …une âme douée de raison, qui participe de l’intellect divin, et emploie un corps »

Marsile Ficin

Lucas Cranach l’Ancien(1472-1553)

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Michel Ange : le tombeau de Jules II

« Moïse et Saint Paul étaient constamment associés par les néo-platoniciens de Florence, comme les plus hauts exemplesd’hommes qui dès leur vie terrestre ont atteint l’immortalité spirituelle, grâce à une parfaite synthèse d’action et de contemplation »

Panofski.

Vie contemplative

Rachel

Vie active

Léa

Selon l'Ancien Testament, Léa est la cousine et la première femme de Jacob. Léa est la sœur de Rachel qui reste la préférée de Jacob. Léa « avait le regard terne ». Le récit biblique raconte que Dieu lui a accordé la fécondité alors que Rachel était plus aimée mais stérile.

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Michel Ange : l’esclave et le singe

Esclave rebelle

Esclave mourant

Réveil de l’esclave

Les esclaves étaient habituels à la Renaissance comme symboles de l’âme humaine non régénérée, asservie à ses désirs physiques. Le singe lui symbolise la part infra-humaine de l’homme, tout particulièrement la lascivité.

« Les pythagoriciens et les platoniciens disent que notre esprit, aussi longtemps que notre âme sublime est condamnée à prendre pour organe un corps vil, est ballottée de haut en bas dans une anxiété permanente; qu’il est souvent assoupi et toujours aliéné; de sorte que nos mouvements, nos actions et nos passions ne sont que vertiges de malades, songes de rêveurs et délire de fous »

Marsile Ficin

A contrario une « Victoire » a toujoursun sens spirituel, élévation de l’homme vers le divin,

vainqueur de sa propre animalité

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Par delà les styles particuliers, bien peu de choses changèrent

…jusqu ’à la fin du XIX éme siècle

Botic e lli

Ingre s

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Le Vi ngtième siècle : la coul eu r et la pr ésen ce

Lé ge r

Mondrian

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La Revanche de la couleur

’ , L  e s thé tique is sue de la Re nais sance e n privilé g iant

( , ), la gé om é trie proportion pe rspe c tive faisait du de ss in

’ l  e s s e ntie l de la pe inture« L ’intérêt et le sentiment ne tiennent point aux couleurs ; les traits d ’un tableau touchant noustouchent encore dans une estampe : ôtez ces traits dans le tableau, les couleurs n ’y feront plus rien ».

JJ Rousseau

« L ’essentiel c ’est le dessin […] les couleurs qui enluminent le dessin sont de l ’attrait ; elles

peuvent bien animer l ’objet en soi pur la sensation mais non le rendre digne d ’être regardé et beau »

Kant

Rubens

Giorgione

Véronèse

« Vénitien,tout ton coloris n ’estrien d ’autre qu ’un emplâtre

à colmater une infâme putain »William Blake

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On sait désormais qu ’une couleur doit être maniée non seulement en fonction

de la loi des complémentaires, séculairement respectée, mais en considération

du fait qu ’elle possède en soi une

valeur de signification spatiale absolueLe bleu éloigne et le jaune rapproche

Une telle découverte a bouleversé toute la technique. Elle a achevé de rompre les relations traditionnelles

entre le dessin et la couleur. Celle-ci n ’a plus besoin d ’être définie ou complétée par un trait, elle possède,

en elle-même, toute sa signification spatiale. On peut construire un espace complexe rien que par la juxtapo-

sition de tâches colorées. Il n ’est plus nécessaire de recouvrir de petites touches un canevas linéaire, fut-il

à peine ébauché. L ’impressionnisme est dépassé.

Pierre Francastel

Degas

Van Gogh

La découverte de Van Gogh

Page 48: Au Delà De La Mimesis

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La leçon de Van Gogh

« Pouvez-vous réellement me faire croire, que le dessin ne relève pas de la couleur et vice-versa ?

Et pour preuve, je me charge de vous rapetisser ou agrandir le même dessin selon la couleur

avec laquelle je le remplirai .»

Paul Gauguin

« Un kilo de vert est plus vert qu ’ un demi kilo »

Paul Cézanne

« Un centimètre carré de bleu n ’est pas aussi bleu qu ’un mètre carré de bleu »

Henri Matisse

Gauguin

Matisse

Page 49: Au Delà De La Mimesis

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Les aventures de la couleur

On pourrait lire une grande partie des recherches picturales du début du siècle comme une exploration des

potentialités de la couleur

L ’utilisation signifiante etnon réaliste de la couleur

Picasso

La valeur expressivedu monochrome Le rayonnement propre de la

couleur

Gauguin

Mondrian

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Vers l ’objet pictural

Progressivement, l ’attention accordée aux pouvoirs de la couleur va engendrer un processus de matérialisation> le tableau n ’est plus un signe renvoyant à une transcendance

> ni la représentation d ’une réalité extérieure

Il tend à valoir par lui-même en tant qu ’objet relevant de sa propre logiqueLogique interne et externe

se font d ’abord concurrence

Kandinsky

Puis le « tableau », objet picturalà part entière, ne renvoie qu ’à lui-même

Mondrian

Je veux peindre un verre ; j ’inscrirai un cercle sur ma toile pour en montrer le volume, mais il se pourra que, de ce cercle je doive faire un carré, puisque cette forme n ’est pas seule sur la toile.

Picasso

Marc

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La mise en cause de l ’illusion

L ’ennemi au tournant du siècle : l ’illusion, c ’est à dire la représentation « fidèle » de la réalité

•le tableau n ’est pas un analogon de la réalité perçue

•toute projection d ’une figure en 3 dimensions sur un panneau qui n ’en a que 2 nécessite l ’utilisation d ’un code

•mise en évidence du caractère culturel de la perception

•On passe d ’un code occulté à un code exhibé comme tel

Une pomme de Chardin

N ’est pas plus« réaliste »

qu ’une pomme de Cézanne

Qu ’unepomme

de Braque

« le but n ’est pas le souci de reconstituer un fait anecdotique mais de constituer un fait picturalBraque

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Libérer l ’objet de la tyrannie du regard : le cubisme

Abandonner le point de vue unique de la perspective, c ’est abandonner le regard qui embrasse

possède

soumetLe regard de la Renaissance plie le monde

à l ’appréhension de l ’homme.L ’objet n ’importe qu ’en

tant qu ’il est vu

Le cubisme est libérateur de l ’objet

Il ne s ’inscrit plus dans le regard mais oblige les regards à

s ’additionner sur luiJuan Gris

Le cubisme c ’est « l ’art de peindre des ensembles nouveaux avec des élémentsempruntés non à la réalité de la vision, mais à la réalité de conception .

Apollinaire

Picasso

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L ’importance des arts « exotiques »

Alors que la photographie rend absurde les prétentions de l ’artiste à la « fidélité » littérale, l ’art africain (l ’art « nègre »)

vient donner une leçon d ’expressivité « en n ’utilisant aucun élément emprunté à la vision directe »

Apollinaire

Il est inutile de peindre

là où il est possible de décrire

Picasso

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Ukiyo-e, le « monde flottant » génère son propre espace

La juxtaposition des plans bien plus que la ligne de fuite

Mais ce qui était

profondeur(référence à

l ’espace physique)

chez Hiroshige

devient

frontalité(autonomie de

l ’espace pictural)

chez Gauguin

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Présenter… simplement

Léger

Cézanne

« Une œuvre d ’art ne peut se contenter d ’être une représentation ; elle doit être une présentation

On présente un enfant qui naît, il ne représente rien »Reverdy