articles a.keit

8

Upload: alain-keit

Post on 23-Mar-2016

213 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Sélection articles

TRANSCRIPT

Chron(iron)iques cannoises 2010

1/Finalement ce qui attire l’œil à Cannes - à part les films, certes – ce sont les badges. Ces petits morceaux de plastiques portés autour des cous. Chaque couleur donne des droits. le Lunpen festivalier à la mauvaise couleur. Il attend. Compare. Jalouse. Mon badge me donne le droit de passer sans regarder personne et surtout devant tout le monde. Il est blanc et jaune, ce qui m’oblige d’ailleurs à choisir chaque jour mes tenues en fonction de l’accord parfait et complémentaire. Les badgés sont amusants. Il y ceux qui vivent, mangent, dorment, se lavent avec. Ceux qui le cachent, mais laissent quand même un peu dépasser la corde de leur poche. Et ceux qui le rangent pour le sortir telle une plaque de police. Le port du badge c’est l’assurance, non pas de se montrer, mais d’être montré. A la question « Comment allez-vous ? » ils répondent : « Très bien, je me porte comme un badge ». Donc Cannes reste certes un lieu ou on parle un peu cinéma et beaucoup plastique. Cette ville est bien un agglomérat avant d’être une agglomération.

2/Finalement Wall Street d’Oliver Stone n’est pas si mal que ça. Le capitalisme étant la seul doctrine humaine capable de vous vendre le poison et l’antidote à la fois, le film qui a coûté beaucoup d’argent dénonce... la gabegie spéculative. Mais ici le système est peut-être aussi hollywoodien. Car pourquoi donc avoir engagé Eli Wallach, 95 ans, figure tutélaire de l’Usine historique aux côtés de Michael Douglas et d’un jeune premier au nom assez improbable de Shia LaBeouf ? Ce système qui perd son corps et sa verdeur, qui a du mal à renouveler son sang, rappelle bien l’échec d’une transmission ou plus justement d’une filiation difficile. Deux acteurs emblématiques, un troisième encourageant. Trois générations, périodes inscrites. Une énigme proche de celle d’un Sphinx sur une colline : Qui donc a commencé avec quatre jambes, puis deux et maintenant boîte un peu ?... L’acteur hollywoodien ?

3/Finalement il ne sera pas possible de parler de tous les films vus. Copie conforme d’Abbas Kiarostami tourné en Italie concerne une question vieille comme l’œuvre d’art : « Une copie peut-elle avoir davantage de valeur et d’importance qu’un original ? » Interrogation valable également pour le cinéma. Donc la copie d’une histoire d’amour est-elle plus touchante que l’origine de cette passion ? Pour les amoureux du cinéma, le film s’inscrit dans une autre copie. L’hommage à Voyage en Italie. A travers le temps, Rossellini donne, à côté du souffle des statues et des paysages, une clé finale à Kiarostami : le miracle.

4/Finalement Film Socialisme de Jean-Luc Godard ressemble au cinéaste. Des instants de déjà vu et de beauté saturée dans les mélanges de verbes et d’images. Que donnent deux images placées côte à côte ? Et bien obligatoirement, cinématographiquement et mathématiquement une troisième, peut-être pas la plus importante, mais la plus vivante, parlante et révélatrice. Encore une histoire de clé : les mots pensent trop à notre place et à travers nous ; il nous revient donc d’en retrouver la force et de penser avec eux. D’où une abondante résistance au mélange des auxiliaires être et avoir. Toute ressemblance avec le titre est à bien considérer.

5/Finalement le festival est aussi en dehors des salles. Il suffit de se déplacer d’un lieu vers un autre, d’une terrasse à une esplanade, d’un couloir à une salle pour attraper des morceaux de conversations, des mots lancés attrapés au vol. Le tout formant un amusant cadavre exquis qui parle de tout. Mais aussi de rien. Avis abrupts sur les films, conseils, défiances ; rendez-vous insistant pris au portable. Un folklore parfois amusant, souvent inutile mais toujours lassant. Toujours avoir à l’esprit que Cannes est un marché. Brecht avait raison : « Chaque matin, pour gagner mon pain, je vais à la foire aux mensonges, plein d’espérance… » Il ajoutait : « Je me range aux côtés des vendeurs. »

6/Finalement les stars les plus énervantes et insupportables ne se croisent plus sur la Croisette mais sur les tables de réception. Je veux parler des verrines. Ces petits vases remplis de mousses de couleurs verdâtres, grasses et improbables. La verrine et tout ce qu’elle implique est haïssable. Un rendez-vous de bilan ? Un pot de distributeur ? Un buffet entre programmateurs ?... Tiens on dirait une verrine. Ce règne n’est pas si anecdotique. Tout d’abord, c’est bien à l’image de nombreux films cannois : on en consomme beaucoup et on reste sur sa faim. Vous n’êtes pas en pensée quand le corps s’exerce à épuiser cette minuscule et ridicule chose, Vous videz. Alors les petits pots résonnent des absences de conversations et paralysent les gestes les plus indispensables. Les deux mains occupées, il est impossible de parler, défendre, soutenir, ou maudire ce qui a été vu. Je maintiens donc ici solennellement que la verrine est l’ennemie absolue du cinéma.

AK