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Michel Janon Recherches à Lambèse III : Essais sur le temple d'Esculape In: Antiquités africaines, 21,1985. pp. 35-102. Citer ce document / Cite this document : Janon Michel. Recherches à Lambèse III : Essais sur le temple d'Esculape. In: Antiquités africaines, 21,1985. pp. 35-102. doi : 10.3406/antaf.1985.1109 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antaf_0066-4871_1985_num_21_1_1109

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Recherches à Lambèse III : Essais sur le temple d'Esculape

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Michel Janon

Recherches à Lambèse III : Essais sur le temple d'EsculapeIn: Antiquités africaines, 21,1985. pp. 35-102.

Citer ce document / Cite this document :

Janon Michel. Recherches à Lambèse III : Essais sur le temple d'Esculape. In: Antiquités africaines, 21,1985. pp. 35-102.

doi : 10.3406/antaf.1985.1109

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antaf_0066-4871_1985_num_21_1_1109

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RésuméTraditionnellement, on désigne par le nom de « Ville haute » de Lámbese un ensemble de temples etd'édifices de prestige groupés autour du camp de Titus, premier établissement militaire de la ville.L' Asclepieium, installé à proximité immédiate du camp, a été jadis largement dégagé. C'est un vastesanctuaire où se juxtaposent lieux de culte et constructions thermales. Il s'organise de part et d'autred'une longue esplanade bornée à l'ouest par le temple édifié en 161-162 par la Legio III Augusta, à l'estpar des « Propylées » construits probablement entre 202 et 211. Le temple, dédié à Jupiter Valens,Esculape, Salus et Silvain Pegasianus, s'articule autour d'un corps central tétrastyle, d'ordonnancedorique. Deux ailes incurvées concaves le flanquent et conduisent à deux chapelles latérales avec desfaçades en contre-courbe. Cette forme architecturale exceptionnelle peut s'expliquer comme uneréponse à un besoin de la liturgie, pour une incubation « ad deos ». Il semble surtout qu'elle pétrifiel'idéologie médico-religieuse contemporaine, dont témoignent en particulier les textes d'Aelius Aristide.De ce point de vue, l'utilisation de l'ordre dorique pour le bâtiment central affirme une tradition grecque,plus précisément épidaurienne de la médecine. Le plan général concave s'inspire de l'architecture desnymphées et souligne le caractère sacré de l'eau comme le rôle joué par l'hydrothérapie dans lessanctuaires d'Esculape. Adouci par les contre-courbes des chapelles, il révèle le caractère accueillantdu « plus bienveillant de tous les dieux ».La part d'une tradition africaine, ou punico-africaine, fondée sur l'identité Esculape-Eschmun, semblebien mince, voire négligeable, dans la conception d'un temple qui reflète plutôt la religiosité erudite de laclasse dirigeante au IIe et IIIe siècles de notre ère.

AbstractAt Lambese, the term "Upper Town" is traditionally used to designate a group of temples and publicbuildings clustered around Titus's camp, the first military establishment in the city. The Asclepieium, setup very close to the camp, has been widely cleared in the past. It is a vast sanctuary where worshipplaces and thermal constructions are found side by side around a long esplanade. This latter isbounded on the west by a temple consecrated in A.D. 162 by the Legio III Augusta to Jupiter Valens,Esculapius, Salus and Sylvanus Pegasianus, and delimited to the east by the"Propylea", probablyerected between 202 and 211. The temple is articulated around a central tetrastyle element of doricorder. Two concave incurved wings surround it and lead to two side-"chapels" with counter-curvedfrontages. This exceptional architectural form may be partly explained as a response to liturgical needs,for an "ad deos" incubation. Above all, it seems that this shape "petrifies" the contemporary medico-religious ideology, of which texts of Aelius Aristide give evidence. From this point of view, the use ofdoric order for the central building confirms a Greek, or more precisely Epidaurian, tradition of medicine.The general concave plan was inspired by Nymphean architecture and emphasizes the sacredcharacter of the water and the part played by hydro-therapy in Esculapean sanctuaries. Softened by thecounter-curves of the side-chapels, it shows the welcoming nature of that "most benevolent of all thegods".The part of an African, or Punic- Afri can, tradition based upon the identity of Esculapius-Eschümtherefore seems little or nil in the conception of this temple. Rather, it reflects the erudite religiosity ofthe leading class during the 2nd and 3rd Centuries of our era.

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Antiquités africaines t. 21, 1985, p. 35-102

RECHERCHES À LÁMBESE III :

ESSAIS SUR LE TEMPLE D'ESCULAPE

par

Michel JANON·

SURVOL DE LA « VILLE HAUTE »

A proximité du camp de Titus, premier établissement légionnaire à Lámbese, les dégagements entrepris depuis un siècle et demi ont mis au jour un vaste ensemble de ruines qu'il est d'usage d'appeler « ville haute » (PI. 1) '. On notera cependant qu'aucun bâtiment d'habitation n'y a été découvert. On n'y a trouvé que des rues, des temples et des édifices de prestige ou d'utilité publique. La via septimiana 2 relie

* C.N.R.S. - Centre Camille Jullian, Université de Provence, 29, avenue Robert Schuman, 13621 Aix-en-provence. Ph. Amy et A. Daunic ont contribué aux relevés de YAsclepieium, mais leurs séjours à Lámbese furent brefs et j'endosse la responsabilité des relevés de détails et de la mise au net des plans et des dessins. Mieux que quiconque, j'en connais les imperfections. Il serait téméraire de leur accorder une précision qu'ils n'ont pas. Tels qu'ils sont, ils suffisent, me semble-t-il, à illustrer une étude qui restera moins technique que ce que j'aurais souhaité. A. Carrier-Guillomet a fait une restitution photogrammétrique de la « ville haute ». Sur le canevas qu'il m'a fourni, j'ai reporté les détails des monuments en utilisant les plans partiels à ma disposition et des croquis personnels (Planche I). Les croquis de la restitution du temple d'Esculape (fig. 42 à 44) sont dûs au talent de J.-M. Gassend. Qu'ils en soient tous remerciés, ainsi qu'E. Lamouroux, qui mit la dernière main à l'illustration.

1 J'ai réuni dans Recherches à Lámbese, I, La ville et les camps, II, Aquae Lambesitanae. Ant. Afr., t. 7, 1973, p. 193-254, (cité infra : Recherches) la bibliographie concernant l'archéologie urbaine de Lámbese. Les conclusions de la première partie ont été présentées au Xe Congrès International d'Étude du Limes, sous le titre : Lámbese et l'occupation militaire de la Numidie méridionale. Studien zu den Militärgrenzen Roms, t. Il, Cologne, 1977, p. 71-85. Sur les questions posées par le « camp des auxiliaires » voir Le Bohec (Y.), Le pseudo « camp des auxiliaires » à Lámbese. Cahiers du groupe de recherche sur l'armée romaine et les provinces, 1. 1, 1977, p. 71-85. La seconde livraison de ces cahiers, parue en 1979, est consacrée à une bibliographie réunie par le même auteur, sous le titre : Archéologie militaire de l'Afrique du nord. Bibliographie analytique 1973-1977. Pour l'histoire de la ville au Bas-Empire, on se reportera désormais à Lepelley (Cl.), Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. I, La permanence d'une civilisation municipale, Paris 1979 ; t. 2, Notices d'histoire municipale, Paris, 1981, particulièrement p. 416-425 (Lambaesis) et p. 488-490 (Verecunda). Pour l'évolution municipale de Lámbese et de Verecunda, voir en dernier lieu Gascou (J.), La politique municipale en Afrique du nord, I-De la mort d'Auguste au début du IIIe siècle, II- Après la mort de Septime Sévère, ANRW, II,02, p. 136-320, particulièrement p. 198-201 et 262.

2 Gsell, Atlas f. 27, 222-2247. C, VIII, 2705, trouvé entre l'arc « de Sévère » et le grand camp est le seul texte à mentionner la via septimiana. G. Wilmanns lui-même nous avertit que la restitution qu'il propose pour C. VIII, 2718, fragmentaire, découverte entre l'arc et le Capitole est très douteuse. Notons enfin que nous ne sommes pas du tout assurés de la continuité entre les deux tronçons de la voie. Nous conservons le nom de via septimiana à la partie haute de ce cardo, en cédant aux commodités d'une dénomination traditionnelle.

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cet ensemble à la prétendue « ville basse », en fait le grand camp légionnaire et le uicus qui le jouxte. Bordée de petits bâtiments dans lesquels on doit reconnaître des temples (d'Isis et de Sérapis, de l'Africa divinisée et peut-être identifiée à La Legio IH Augusta 3) et une fontaine que l'emphase d'un légat baptisa Septizonium 4, cette rue, en courbe légère, conduit du nord au sud à un espace que les pillages de pierres ont, au siècle dernier, rendu à peu près illisible 5. Il faut sans doute y situer, sinon le Forum, au moins une des places qu'atteste Fépigraphie 6. A l'est, une rue dallée se détache, passe sous deux arcs

3 Le Glay (M.), Encore la dea Africa. Mélanges d'archéologie et d'histoire offerts à André Piganiol, Paris, 1966, p. 1233-1239, a publié une tête de marbre trouvée lors des fouilles de R. Godet, en 1949, près des petits sanctuaires. L. Leschi pensait, à tort, que cette tête pouvait appartenir à une statue « d'Isis », mise au jour lors des mêmes fouilles (BCTH, 1950, p. 40-41). Lors des fouilles menées dans le secteur par les déportés de 48, furent découvertes deux statues privées de leur tête. Selon Terson (cité dans Recherches II, p. 23 1 et 235) l'une était une « nymphe », l'autre une « Minerve ». La disparition de cette « Minerve », certainement une statue féminine armée, laisse le champ libre à l'hypothèse. On peut donc conjecturer qu'elle était surmontée de la tête à « proboscis ». Nous aurions dès lors le modèle en ronde bosse & Africa coiffée de la dépouille d'éléphant et porteuse du vexillum, dont on connaît les représentations sur les revers monétaires, sur le vase de marbre et le médaillon de terre cuite de Timgad et sur le relief de Sour Djouab : Le Glay (M.), La déesse Africa à Timgad. Hommages à Jean Bayet, Bruxelles, 1964, p. 374-382 ; Bayet (J.) Un bas-relief de Sour Djouab et l'iconographie des provinces romaines sous l'Empire. M.E.F.R., t. 48, 1931, p. 40-74). On pourrait même, reprenant une suggestion de J. Bayet, se demander si ce type iconographique n'a pas été créé, ou du moins officialisé, à partir de la visite d'Hadrien à l'armée d'Afrique, en 129. L'occasion aurait pleinement justifié la construction, à Lámbese, quartier général de la Legio III Augusta, d'un sanctuaire de l'Afrique identifiée à La Légion.

4 Recherches, II, p. 224-240, fig. 10-17 ; Aupert (P.), Le Nymphée de Tipasa et les nymphées et « Septizonia » nord-africains. Rome, 1974, p. 113-126. J'aurais tendance à inverser la proposition de l'auteur, quand il estime, p. 122-123, que certains nymphées à sept niches peuvent être des Septizonia : le nom ne nous serait pas parvenu, les inscriptions dédicatoires ayant disparu. L'exemple de Lámbese me paraît clair d'une fontaine transformée à peu de frais (quelques mosaïques, sans doute murales, et une nouvelle inscription) en Septizonium pour suivre la mode « urbaine ». Qu'il faille comprendre Septi-zodium ou Septi-zonium est au bout du compte, peu déterminant pour l'architecture même du monument ; v. en dernier lieu, l'importante contribution de Settis (S.) « Esedra » e « ninfeo » nella terminologia architettonica del mondo romano. Dall'età repubblicana alla tarda antichità. ANRW I 4, p. 661-745, en particulier p. 713-715 et 722-726. Sur une autre fontaine de Lámbese dont le plan se rapproche du Septizonium : Rakob (F.) Das Groma-Nymphaeum von Lambaesis. M.D.A.I. (R) 86. 1979, p. 375-389. A propos de C, VIII, 2661, inscription trouvée dans les ruines du Septizonium, je ne comprends pas l'interprétation proposée par Cl. Lepelley, op. c, p. 418, n. 9 : « Terverso ductu : il faut comprendre que l'aqueduc comportait trois coudes, trois tournants ». Je préfère suivre les ILS., 5788 et le Thesaurus s.v. intervertere, ne pas tenir compte de la coupure entre in- (fin de la 1. 2) et -teruerso (début de la 1. 3) et lire interuerso ductu ui torrentis : le cours normal de l'Aqua Titulensis a été détourné de sa destination par la force du torrent, qui a entraîné une rupture de la canalisation.

5 Au nord du Capitole, les destructions ont été telles qu'il est pratiquement impossible de retrouver la moindre trace d'une stratigraphie. Les dalles de l'égout qui longe le mur du temple sont complètement déchaussées de plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du sol actuel. Il reste l'espoir de niveaux archéologiques épargnés sous le chemin vicinal qui conduit à Aïn-Drinn.

6 Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 20-21. La cour dallée qui s'étend devant le Capitole ne saurait être identifiée avec le forum de la ville. S. Gsell s'élevait déjà contre cette dénomination « qui n'a aucune vraisemblance » (Monuments, I, p. 128-129). On notera que les inscriptions mentionnant des places, ou attestant la proximité du forum, toutes trouvées dans les parages, sont tardives. La plus ancienne était portée sur deux dés à peu près similaires, datés de 172 ou 173 : C, VIII, 18069 ; AE, 1914, 39 ; 1967, 565. On prendra garde cependant que le terme platea peut désigner certes une place, mais aussi une rue bordée de portiques (v. l'article de M. Le Glay, dans ce même tome d'Ant. Afr., p. 112, n. 7) C, VIII, 181 19 = 2722 : sous le règne conjoint de Valentinien et Valens, un forum transitorium est établi ou rénové ; dans C. VIII, 2723 apparaissent un arc et une place ; C, VIII, 18328 fait état, entre autres travaux, de la rénovation de la Curie, en 379-383, par L. Aemilius Metopius Flavianus (Jones (A.H.M.), Martindale (J.R.), Morris (J.), The Prosopography of the Later Roman Empire, 1. 1, Cambridge, 1971 (cité dorénavant PLRE, I), p. 345). Ce dernier texte a été gravé au revers d'une base dédiée à Galère Auguste, dont les noms ont été martelés et remplacés par ceux de Constance Chlore (C, VIII, 18260). L'utilisation de la même base pour trois commémorations successives laisse planer un doute sur l'ampleur des travaux mentionnés dans le dernier texte. La grandiloquence des termes employés peut fort bien dissimuler la modestie des travaux accomplis. C, VIII, 18260 et 18328 ne constitue par un exemple isolé de réutilisation au Bas-Empire de dédicaces antérieures. Dans bien des cas, on aimerait avoir la preuve archéologique de ces érections et de ces réfections, afin d'estimer l'importance réelle des actes d'évergétisme. En l'occurrence, Cl. Lepelley, op. c, p. 420-421, me semble accorder un crédit un peu rapide au témoignage épigraphique hors-contexte.

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AMBESE PL PLAN GENERAL DE LA VILLE HAUT!

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Asclepieium Camp de Titus Septizonium Via septimiana Capitole Temple -anonyme» Huilerie Bâtiments tardifs Thermes «des Chasseurs. Route vers Verecunda

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RECHERCHES À LÁMBESE III 37

monumentaux et se poursuit par la route de Verecunda 7. Sur le côté nord de ce decumanus, très défiguré par des remaniements tardifs et les destructions de carriers, on ne distingue plus guère qu'un établissement de bains, nommé « Thermes des Chasseurs », d'après le nom de l'unité militaire qui l'a fouillé 8.

Au sud, deux temples composent un ensemble monumental cohérent. Le plus grand est le Capitole 9. Sur une inscription qui n'est pas la dédicace de ce temple au plan assez exceptionnel, le Genius Lambaesitanorum s'associe à la triade capitoline 10. Le Capitole s'élève sur le côté occidental d'une cour dallée où l'on a relevé les traces d'un gnomon et qui a été considérée par beaucoup, sans raison déterminante, comme le Forum de la ville u. L'établissement de cette cour a recouvert une petite place — ou une grande cour — implantée selon une orientation différente 12. Le second temple est construit selon un axe sud-nord, perpendiculaire au premier. L'accès à la place qui l'entoure se fait par une porte à trois baies que surmontait sans doute une inscription encore inédite découverte aux alentours immédiats. Si cette attribution se trouve vérifiée, la construction du temple serait datée de 283-284 13.

Les traces d'une occupation tardive ne manquent pas tout autour. C'est ainsi que des latrines se sont installées devant la porte du second temple. Sur le côté est de la via septimiana, les fondations d'une huilerie se posent sur les vestiges d'un petit temple dont seule reste en place la base du stylobate. Un des contrepoids de l'huilerie a été taillé dans une pierre portant une dédicace à Esculape et à Hygie 14. Plus loin, de longues pierres placées verticalement côte à côte forment les murs d'une sorte de fortin et montrent une utilisation inattendue des harpes d'opus africanum. Tout cela révèle qu'après la perte par

7 Gsell, Atlas, f. 27, 223-224, 23-24 ; Monuments, I., p. 1 59-160, et 176. L'arc le plus oriental a été élevé par M. Valerius Maximianus, légat de Commode en 183-185 (C, VIII, 2698, 18.247. Thomasson (B.E.). Die Statthalter der römischen Provinzen Nordafrikas von Augustus bis Diocletianus, t. II Lund, 1960, cité infra, Die Statthalter, II, p. 190-192 ; Id= RE. Suppl. XIII, col 319). Je me permets de renvoyer à la carte de la fig. 25, p. 255 de Recherches. Elle présente l'avantage sur les documents antérieurs de faire ressortir l'anatomie de l'occupation urbaine et suburbaine de Lámbese, articulée autour des établissements militaires successifs.

8 Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 22 ; Monuments, I, p. 218, pL. LVII ; Leschi (L.), B.C.T.H., p. 265-269, avec plan fig. 1. 9 Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 20 ; Monuments, I, p. 143-145, pi. XXIII, plan fig. 42. C, VIII, 18226, semble être la

dédicace du temple restauré en 246-247 (C, VIII, 261 1 : Thomasson. Die Statthalter, II, p. 216-218 ; Id, RE. Suppl. XIII, col. 320) par M. Aurelius Cominius Cassianus, [patronus mun] icipii, puis en 364-367 par Publilius Caeionius Caecina Albinus (C, VIII, 18229 = 2735 ; PLRE, I, p. 34-35). Un plan du Capitole et du temple situé immédiatement à l'est, a été publié par Février (P.-A.). A propos du Capitole de Brescia, sur quelques exemples africains. Atti del Convegno internazionale per il XIX centenario della dedicazione del « CAPITOLIUM » e per il 150° anniversario della sua scoperta, t. 2, Brescia, 1973, p. 134 et fig. 3. J'ai donné dans Lambaesis, ein Überblick, Antike Welt, 1977, 2, fig. 6a et b une photo aérienne oblique de la ville haute et fig. 10 la reproduction d'un dessin de Duthoit représentant l'ensemble monumental au cours des fouilles. Cette vue cavalière situe parfaitement les temples dans la « ville haute » et dans le paysage lambésitain.

10 L'association de la triade capitoline au génie de Lámbese selon la restitution proposée par G. Wilmanns pour C, Vili, 2612, est très hypothétique et n'est pas confirmée par les restitutions de J. Schmidt et H. Dessau de C, VIII, 18227. Elle est assurée uniquement en C, VIII, 261 1, portée sur un socle qu'on n'imagine pas inclus dans l'architecture du Capitole. L'inscription dédicatoire de ce temple étant très certainement C, VIII, 18226 il faut situer C, VIII, 18227, où le Genius Lambaesis apparaît seul, au fronton d'un autre temple, plus petit. On ne peut que rejoindre P.-A. Février, 7.7., p. 134, quand il souhaite une étude un peu sérieuse du Capitole. Les documents réunis devraient permettre une restitution du monument, au moins dans ses grandes masses.

11 Ce gnomon a été étudié de façon apparemment très précise dans un dossier conservé au Service des Antiquités d'Algérie. V. une courte note de Bel (Α.), Le gnomon du Capitole de Lámbese, R. Af., t. 73, 1932, p. 319-323.

12 II faudrait vérifier si nous n'avons pas là trace du forum « primitif ». L'orientation de cette cour ne se retrouve qu'au sud et à l'est du Capitole dans quelques alignements qui pourraient appartenir à un état ancien.

13 Gsell, Atlas, f. 27. 222-224, 21 ; Id, Monuments, I, p. 145 et p. 176. Un texte encore inédit, daté de 283-284 par la mention du praeses Numidiae, M. Aurelius Decimus (Kolbe, Die Statthalter, p. 21-28 ; PLRE, I, p. 245) semble appartenir à la porte à trois baies ouverte sur l'aire du temple. La construction du monument lui-même peut cependant être antérieure à cette date. Le fait que l'accès à la cour du Capitole se faisait par une porte située, non dans l'axe du temple, mais sur le côté nord, pourrait indiquer que les deux sanctuaires, Capitole et temple anonyme, sont contemporains. La vérification archéologique de l'hypothèse devrait être aisée.

14 II s'agit encore d'une dédicace par M. Aurelius Decimus : A.E., 1973, n° 630.

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la cité de son rang et du plus clair de sa fonction urbaine, une occupation « légère » s'est maintenue sur le site. Il est regrettable que nous n'ayons plus guère les moyens d'appréhender les étapes de cette occupation. Elle se manifestait encore en 1 850 par la présence, près du Capitole, d'une « mosquée », sans doute une simple qûba 15.

Entre le ravin de l'oued Tazzoult à l'ouest, le camp de Titus au nord et l'extrémité, mal définie, de la uia septimiana à l'est, s'étend le sanctuaire d'Esculape. Au sud, il semble que la limite arbitraire des fouilles coïncide à peu près avec celle du sanctuaire. Elle dévoile, en tout cas, une extension minimale du sanctuaire : des bâtiments appartenant à Y Asclepieium peuvent se trouver au-delà, sous les terrains actuellement en culture. Malgré les quelques problèmes que l'état des lieux laissera subsister — de ce côté particulièrement, mais aussi sur bien d'autres points —, les dégagements ont été suffisants pour permettre une approche des fonctions de Y Asclepieium et une première recherche sur les principales étapes de son histoire 16. A certains endroits, ils ont été même assez profondéments menés pour susciter de nouvelles questions.

HISTORIQUE DES FOUILLES

Les quatre colonnes de façade, supportant l'architrave du temple d'Esculape, étaient encore debout en décembre 1852 17. Au même titre que les autres monuments conservés à Lámbese, la gromals, les thermes « du Légat », le Capitole, l'amphithéâtre et les arcs 19, le temple a été signalé par la plupart des anciens voyageurs. Peyssonnel, le premier, en donne une description aussi fantaisiste que le dessin qui l'accompagne (fig. 1) : « D'un autre côté, l'on découvre la façade d'un temple dédié à Esculape. Il y a

ΤΚΜΙΊ.Κ I» 1·. S « Τ Ι. \!·|·. Λ i.AMi'.A Fig. 1. — Le temple d'Esculape « vu » par Peyssonnel.

15 Par exemple, L. Renier cité par Wilmanns. C, VIII, 2722 « près du forum, dans les ruines d'une petite mosquée ». 16 II manque à ce travail les résultats des quelques sondages stratigraphiques, très limités, que j'aurais aimé mener en

des endroits stratégiques, sur l'esplanade et dans les annexes thermales. Les fouilles qui pourront être entreprises sur le site, ne modifieront sans doute pas de fond en comble les conclusions auxquelles je pense aboutir.

17 Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 19 ; Id, Monuments, I, p. 140-143, pi. XXII. Beury, Notes sur les ruines de Lámbese en 1852. R.S.A.C., t. 28, 1893, p. 100.

18 Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 3 ; Id, Monuments, I, p. 80-83, fig. 23, pi. VIII et IX. Cagnat (R.) L'Armée romaine d'Afrique, 2, 1912, p. 464-470. On avait coutume d'appeler « prétoire » le monument dans lequel les premiers explorateurs

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RECHERCHES À LÁMBESE III 39

six colonnes cannelées d'ordre ionique, élevées de 20 pieds; et au-dessus de la corniche, sur trois pierres, court cette inscription :

ESCULAPIO ET SALUTI IMP. CAES. MARCUS AURELIUS ANTONIUS AUG. PONT MAX IMP. CAES. LUCIUS AELUS VERUS AUG.

Cette façade forme un péristyle et le temple, qui est détruit, a une façade fort simple, proportionnée au tout ». 20 N'était l'inscription, dont la lecture est d'ailleurs fautive, on ne pourrait reconnaître le temple d'Esculape, ni dans ces lignes, ni dans ce dessin.

Fig. 2. — Le temple d'Esculape en 1850, d'après Delamare. Les erreurs sont minimes : proportion des chapiteaux, nombre trop important des cannelures sur les colonnes, amortissement des cannelures au sommet du fût. Devant le temple, l'inscription aux Aquae Sinuessanae (C.VIII, 2583).

de Lámbese avaient vu une écurie à éléphants, ou un garage à machines de guerre. Il vient de retrouver sa dénomination authentique de groma grâce aux travaux de Kolbe (H. G.), Die Inschrift am Torbau der Principia im Legionslager von Lambaesis. M. D.A.I. (R.), t. 81, 1974, p. 281-300. Dans la même revue, p. 253-280, Rakob (F.) et Storz (S.) ont étudié Die Principia des römischen Legionslagers in Lambaesis. Vorbericht über Bauaufnahme und Grabungen. V. aussi Rakob (F.) Le « Torsaal » des principia du camp romain de Lámbese. Β. Α. Α., t. 5, 1971-1974, p. 35-71.

19 Les vestiges situés au pied de la ville haute (Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 15 ; Id, Monuments, p. 220, pi. LVIII) ont été pris par les premiers visiteurs pour le « palais du légat » impérial. Reconnus pour être des thermes ils ont gardé leur qualificatif. Pour le Capitole, ν. supra, p. 37 n. 9. L'architecte Duthoit avait réuni sur les arcs de Lámbese un important dossier que S. Gsell a utilisé en partie (Monuments, p. 159-162, 176-177, pi. XXX, XXXII, XLI, fig. 49, 58 ; Id, Atlas, f. 27, 222-224, 8, 14, 23, 24). L'amphithéâtre (Gsell, Atlas, f. 27, 222-224, 10 ; Id., Monuments, I, p. 202) a fourni la matière d'une communication au Comité des travaux historiques (Golvin (J.-Cl.), Janon (M.), L'amphithéâtre de Lámbese (Numidie) d'après des documents anciens. B.C.T.H., 12-14, fase. Β., 1976-78 p. 169-193). Il me semble aujourd'hui qu'on peut déceler dans la structure même de l'amphithéâtre, deux moments principaux : dans un premier temps une cauea étroite suffisait aux besoins d'un ludus militaire. L'agrandissement de 169, sanctionné par les dédicaces au-dessus des portes (A.E., 1955, 134) marquait l'ouverture de l'amphithéâtre à un public civil et son utilisation pour des uenationes ou des muñera.

20 Peyssonnel et Desfontaines. Voyages dans les Régences de Tunis et d'Alger, publiés par M. Dureau de la Malle, Paris, 1838, 1. 1, p. 351. Le séjour à Lámbese de Peyssonnel remonte à l'année 1724, ou 1725.

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40 M. JANON

La gravure publiée par Delamare, qui vit le temple en 1844, est d'une toute autre valeur 21. C'est sans nul doute le meilleur document que nous possédions sur l'état du monument avant son effondrement (fig. 2). Elle est bien supérieure au plan dressé par C. Boissonnet 22 en 1865 (fig. 3) et au croquis du Dr Guyon 23, qui n'a que le mérite de la naïveté (fig. 4). Un extrait d'une lettre de Ledere, cité par Delamare, et qu'il est inutile de reprendre ici 24, est le seul texte publié sur les déblaiements entrepris dès

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Fie 3. — Plan du temple d'Esculape (Boissonnet, 1865).

21 De Lamare (Ad. -H. -Al.). Recherches sur l'ancienne ville de Lámbese. Mémoires de la société nationale des Antiquaires de France, vol. XXI, 1852, p. 1-62.

Sur le travail accompli en Algérie par le commandant Delamare (ou De la Mare), v. l'introduction de Gsell (S.) à Exploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840-1845 — Archéologie — Texte explicatif des planches de Ad.-H.-Al. Delamare, Paris, 1912. On ne peut, hélas, que regretter que le deuxième volume des dessins de l'officier d'artillerie n'ait pas été publié. Il était pourtant prêt pour la gravure. Renier (L.) a donné la liste des planches qui devaient le composer {Quatrième rapport..., Archives des missions scientifiques et littéraires, II, 1852, p. 480-483). Ces planches semblent avoir été dispersées (Gsell (S.), op. c, p. IV et n. 6, p. VI-VIII). Ne furent publiés que les dessins accompagnant les « Recherches sur la ville de Lámbese ».

22 Le futur général C. Boissonnet est l'auteur d'un plan conservé dans les dossiers Carbuccia à la Bibliothèque de l'Institut de France (infra, p. 42 et n. 28). Ses relevés du tombeau des Lollii (Gsell, Monuments, II, p. 97-99 ; Id. Atlas, f. 8, 174 ; C, VIII, 6705*) ont été gravés et insérés dans l'ouvrage de Delamare, pi. 49* ; Christofle (M.) Rapport sur les Travaux de fouilles et consolidations..., Alger, 1935, p. 156-160.

23 Dr Guyon. Voyage d'Alger aux Ziban, l'antique Zébe, en 1847. I, Atlas des Monuments du Tell, Alger, 1852, p. 125 et volume de planches, Alger, 1850, pi. 2.

24 La lettre du « chirurgien aux zouaves », publiée dans les Recherches... de Delamare (p. 39), montre bien que le plan du monument n'avait pas été compris par les premiers fouilleurs. N'ayant dégagé que la partie centrale, ils y voyaient un temple ordinaire, de plan « carré ou à peu près ».

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RECHERCHES À LÁMBESE III 41

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Fig. 4. — Le temple d'Esculape d'après F« Atlas » du Dr Guyon (1847).

1850. C'est à cette époque, en effet, qu'arrivèrent à Lámbese les déportés de 1848. Ils intronisaient le site dans la triste fonction pénitentiaire qu'il n'a plus abandonnée depuis 25. Par chance, nous avons conservé les manuscrits de déportés qui bénéficièrent, au début de leur détention, d'assez de loisirs pour mener quelques études archéologiques 26 et surtout le précieux « journal de fouilles » que constituent les rapports manuscrits du Colonel Carbuccia, commandant du Second Régiment de la Légion étrangère, en garnison à Batna 27. Il sut, avec autorité et discernement, faire exécuter des travaux de fouille. Il utilisa surtout au mieux les talents des peintres, dessinateurs et géomètres que les hasards d'une vie aventureuse mettaient sous ses ordres et réussit à constituer un dossier graphique capital. Nous aurons souvent à nous

25 Sur les déportés en Algérie après 1848, on se reportera à l'ouvrage d'EMERiT (M.), Les Saint-Simoniens en Algérie, Paris, 1941. Id., A propos des déportés du Second Empire. Notes et documents. R. Af, t. 94, 1950, p. 153-156.

26 Ces déportés étaient souvent très cultivés, et leurs manuscrits sont une source précieuse de renseignements. R. Cagnat, dans son guide de Lámbese (Guides en Algérie à l'usage des touristes et des archéologues. Lámbese. Paris, 1893, p. 51-52), transcrit, sans nommer l'auteur, un passage du manuscrit de l'architecte Beury. Le manuscrit lui-même, élagué de son introduction et précédé d'une courte notice anonyme fut publié l'année même de la parution du guide de Cagnat dans le R.S.A.C., t. 28, 1893, p. 95-102. Pour les manuscrits de Terson et Pelletier, conservés à la Bibliothèque de l'Arsenal, cote 7786-7788 et à la Bibliothèque Nationale, cote F 80 1587, v. Janon, Recherches, p. 194, n. 4 et 5.

27 Le colonel Jean- Luc Carbuccia, successeur de Canrobert à la tête du 2e régiment de la Légion étrangère fut le premier commandant supérieur de la subdivision de Batna. Esprit curieux, d'une activité inlassable, il était Fauteur d'une plaquette couronnée par l'Académie des Sciences : Du dromadaire considéré comme bête de somme et comme animal de guerre. Il est cité à plusieurs reprises par Delamare et dans les manuscrits des déportés, particulièrement de Terson. Il y a beaucoup à tirer, aussi bien pour l'archéologie de la région que pour l'histoire des débuts de la colonisation française d'une étude des témoignages parallèles du colonel et du Saint-Simonien.

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42 M. JANON

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Fig. 5 a et b. — Plan et vue perspective du temple d'Esculape et des premières chapelles de l'Esplanade d'après Carbuccia (1849). Noter sur le plan, l'indication des endroits où ont été trouvées les statues d'Esculape et d'Hygie, et les vestiges de mosaïques dans le pronaos et dans les chapelles latérales.

y référer. Nous en extrayons déjà les deux dessins (fig. 5) qui composent la planche « Lambessa IV » du rapport conservé à la bibliothèque de l'Institut de France 28. L'intérêt des plans et des croquis ainsi rassemblés permet d'être indulgent pour le texte souvent discutable qui les accompagne. Quelques passages, pourtant, mériteront d'être reproduits.

28 Les manuscrits du colonel Carbuccia sont conservés à la Bibliothèque de l'Institut de France sous la cote ms 1369. M. Dupont-Sommer, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et Mme Hautecœur, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Institut, ont bien voulu autoriser Ph. Foliot, photographe au Centre Camille Jullian, à photographier texte et planches.

Le dossier se composait à l'origine d'une grande carte de l'occupation romaine de la région, carte utilisée par S. Gsell (Atlas, f. 27, p. 1, n. 1), et de neuf cahiers accompagnés de planches consacrés à Batna (6 pi.), Lámbese (38 pi.), Timgad (10 pi.), Chemora (2 pi.), Le Medracen (2 pi.), Diana (2 pi.), Ngaous (2 pi.), Tobna (3 pi.) et le pont d'El Kantara (3 pi.).

Par une singulière malchance, ces documents ne furent pas plus publiés que ceux de Delamare. Il est vrai que le texte de Carbuccia aurait gagné à être repris par un des savants de la compagnie à laquelle il adressait son rapport. Aujourd'hui très vieilli, il ne vaut que pour une lecture discursive. En revanche, depuis sa résurgence, le dossier graphique a fourni au moins en partie, la matière des articles suivants : Germain (S.), Mosaïques florales de Lámbese (Algérie). Ant. Afr., t. 1 1, 1977, p. 137-148 ; Le Glay (M.), Gassend (J.-M.) et Janon (M.), Nouvelles recherches sur le monument du discours d'Hadrien à Lámbese, résumé paru dans B.C.T.H., n.s. B. t. 10-1 1, 1974-1975, p. 200-201 ; Golvin (J.-Cl.) et Janon (M.), L'amphithéâtre de Lámbese (Numidie) d'après des documents anciens. B.C.T.H., n.s. B, t. 12-14, 1976-78 p. 169-193. On verra que l'apport à l'étude de YAsclepieium est essentiel.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 43

Β.

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44 M. JANON

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Fig. 6. — Plan du temple d'Esculape et des chapelles par Y. Geslyn de Bourgogne (1873).

Avec la dispersion des déportés, le départ de la Légion pour la Crimée où Carbuccia devait trouver la mort devant Gallipoli et l'installation d'un pénitencier digne de ce nom, un voile de silence tombe sur la ville. L'établissement d'un « village de colonisation » avait été décidé. Il était tentant de le construire avec les pierres des monuments antiques. On ne s'en priva pas. Ainsi furent commis d'irréparables dégâts 29. De cette époque, seule nous est parvenue la contribution, bien médiocre, d'Yves Geslyn de Bourgogne (fig. 6) 30. Peu à peu, cependant, l'importance historique de Lámbese imposa la reprise des

29 II suffit pour se rendre compte de l'ampleur des dégâts de comparer l'état de l'amphithéâtre sur le plan extrait du dossier Carbuccia avec les photos aériennes (Golvin (J.-Cl.) et Janon (M.) /./., fig. 1-2 et fig. 8).

30 Officier de l'armée d'Afrique, le capitaine Yves Geslyn de Bourgogne envoya en juillet 1873 à ses collègues de Saint-Brieuc, des Notes sur l'occupation des Aurès par les Romains, qui parurent dans les Comptes rendus et Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, t. XI, 1873-1874, p. 1 18-129, et que l'auteur compléta quelques mois plus tard par une conférence, p. 130-149.

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RECHERCHES A LÁMBESE III 45

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F,G. γ. — Vue du temple d'Esculape par E. Duthoit (1880).

travaux. La première manifestation de ce regain d'intérêt fut la mission, interrompue par la mort, de l'architecte Duthoit (fig. 7, 8, 9) 31. Sur le terrain, la responsabilité des fouilles incomba d'abord aux directeurs de la « Maison Centrale », utilisant ainsi la main-d'œuvre bon marché fournie par les détenus. Au début du siècle, l'abbé Montagnon, curé de Lámbese, entreprit quelques travaux, surtout au « camp des auxiliaires » 32. Ensuite, les directeurs des fouilles de Timgad furent chargés du chantier de Lámbese.

31 On trouvera une biographie sommaire d'Edmond Duthoit dans l'introduction de Boeswillwald (E.), Cagnat (R.), Ballu (Α.), Timgad, une cité africaine sous l'Empire romain. Paris, 1905, p. XIX-XXI. Le dossier des dessins d'E. Duthoit concerne aussi bien les monuments médiévaux que les antiquités. Malheureusement, le vieillissement du papier rend difficile l'utilisation d'une grande partie des dessins originaux. Il existe dans ces chemises un plan intitulé « Ruines de Lámbese, Temple d'Esculape », et sous-titré « Temple d'Esculape vers 1850 d'après un dessin communiqué par M. l'abbé Garcin qui n'en connaît pas l'auteur ». Je n'ai pas jugé utile de le reproduire. Le plan de VAsclepieium donné par Gsell, Monuments. I, fig. 41, p. 141, est une copie, schématisée pour l'édition, du plan de Duthoit reproduit ici fig. 8.

32 Les résultats de ces travaux furent brièvement consignés dans une note de Gsell (S.), B.C.T.H., 1901, p. 320-321, avec p. 321, un plan sommaire. Les insuffisances, tant de ce croquis que de la description qui l'accompagne, contribuent à maintenir des problèmes et suscitent des interprétations divergentes. En dernier lieu, Le Bohec (Y.), Le pseudo « camp des auxiliaires » à Lámbese. Cahiers du groupe de recherche sur l'armée romaine et les provinces, 1. 1, 1977, p. 71-85.

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Fig. 8. — Plan du temple d'Esculape et de l'extrémité occidentale de l'Esplanade, par E. Duthoit (1880). La mosaïque découverte par Carbuccia dans la seconde chapelle sur le côté nord de l'Esplanade semble avoir déjà disparu.

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Fig. 9. — Détails de l'ordre dorique du bâtiment central (E. Duthoit, 1880).

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48 M. JANON

En réalité, à cause des difficultés de communication à une époque encore peu motorisée, la surveillance des travaux était abandonnée au contremaître, chef du chantier. Les fouilles avaient pris l'allure d'une chasse quasi-exclusive aux inscriptions. Il n'y a pas lieu, dès lors, de s'étonner du nombre de monuments inédits, ou trop sommairement publiés, ni de l'impossibilité où nous sommes aujourd'hui de faire un historique précis des découvertes. On sait qu'en 1905, les colonnes du temple d'Esculape, écroulées en 1852, furent en partie remontées 33. A partir de 1903, on peut suivre, à travers les comptes rendus d'A. Ballu puis de M. Christofle, les étapes essentielles des travaux 34. Ces rapports brillent souvent par leur concision et l'on y relève maintes erreurs et incohérences. En 1913, furent dégagés les petits thermes au sud-est du temple d'Esculape. De 1914 à 1920, le chantier porta surtout ses efforts à l'extrémité orientale de Y Asclepieium, avec le dégagement du portique sud-est. Dans ce secteur, en 1915, fut mise au jour l'épitaphe d'un médecin grec 35. En 1920, des mosaïques furent déposées au Musée. Elles provenaient de différents points du quartier, sans plus de précisions.

L'état des lieux à ce moment fut donné par R. Cagnat. Son étude, très succincte, fait la part belle à la documentation épigraphique 36. Suivit une période d'abandon relatif. En 1928, A. Ballu signale la découverte, « près du temple d'Esculape », d'une ciste d'argent, mais il semble bien s'agir d'une découverte fortuite, comme celle d'une « statue en marbre d'un magistrat municipal dans le terrain avoisinant le temple d'Esculape ».

En 1938, R. Godet, directeur de fouilles de Timgad, dégagea la partie haute de la uia septimiana 37. Pendant la guerre, les travaux se réduisirent à l'entretien des parties dégagées. En 1947, les fouilles reprirent aux alentours du Capitole. On dégagea, en 1949, les petits sanctuaires de la uia septimiana, et l'on retrouva les vestiges du Septizonium 38. Le Mithraeum, découvert en 1950, fut publié en 1954 par M. Le Glay 39. L. Leschi, directeur du Service des Antiquités de l'Algérie, reconnaissait la complexité du quartier, où « l'on retrouve en sous-œuvre des vestiges qui ont échappé aux premiers chercheurs. La tâche, rendue délicate par l'accumulation des vestiges devra être facilitée par des relevés minutieux et précis »40. C'est en 1951 et 1952 que R. Godet fit la découverte essentielle du camp de Titus et de l'inscription commémorant sa construction 41. En 1952, le « portique » bordant la « uia sacra » fut fouillé en profondeur 42.

Pendant toute la durée de la guerre d'Indépendance, les travaux furent arrêtés. La présence d'un gardien sur le site n'empêcha pas le temps et encore moins les hommes de causer de nombreux dégâts

33 Ballu (Α.), Rapport officiel sur les travaux de fouilles et consolidations des monuments historiques de l'Algérie à Monsieur le Gouverneur général de l'Algérie ; exercice 1906. Journal officiel de la République Française, 26 février 1906, p. 26 du tiré-à-part.

34 Bien des renseignements sont à glaner dans les rapports des directeurs de fouilles de Timgad, Charles Godet et, après 1945, René Godet. Le Service des Antiquités de l'Algérie conservait une partie de ces rapports mensuels, trimestriels et annuels.

35 A.E., 1973, 634. 36 Cagnat (R.), L'Asclepieium de Lámbese (Numidie). Atti della Pontificia Accademia romana di Archeologia, s. Ili,

Memorie, voi. I, Rome 1923, p. 81-88. 37 Leschi (L.), B.C.T.H., 1938-39-40, p. 269-273. 38 Leschi (L.), R. Afr., t. 94, 1950, p. 203-204 ; Id., B.C.T.H., 1950, p. 40-41. 39 Leschi (L.), R. Afr., t. 95, 1951, p. 207-208 ; Le Glay (M.), Le Mithraeum de Lámbese. C.R.A.I., 1954, p. 271-278,

à compléter par A.E., 1973, 642 et peut-être 643. 40 Leschi (L.), Ibid., p. 208. 41 Rapport trimestriel de R. Godet, 1er trimestre 1951. Leschi (L.), Inscriptions latines de Lámbese et de Zana (Diana

Veteranorum), I, Un nouveau camp de Titus à Lámbese (81 αρ. J.-C). Libyca, t. 1, 1953, p. 189-197. Dédicace faite par L. Tettius Iulianus, légat en 81-82. Thomasson, Die Statthalter, p. 157-158 ; Id., RE, Suppl. X, col. 317 ; Janon (M.), Recherches, p. 201-210.

42 Leschi (L.), R. Af., t. 97, 1953, p. 261-262. Les vestiges découverts ont été relevés par E. Stawski.

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Fig. 10. — Vue aérienne de Γ Asclepieium (E. Stawski). 1. Temple d'Esculape nade ; 5. Camp de 81 ; 6. Capitole ; 7. Chemin vicinal de Lámbese à Ain Drinn ; Í

2. Insula 2 ; 3. . Propylées.

4 Insula 1 ; 4. Espia-

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à des vestiges qui n'avaient jamais été consolidés. M. Baghli, alors directeur des Beaux-Arts et des Musées, voulut bien m'attribuer, en 1965 et 1966, la direction de quelques ouvriers pour nettoyer le site, besogne préalable à l'étude que P.-A. Février m'avait confiée 43.

PRÉSENTATION DU SANCTUAIRE

L Asclepieium se présente comme un ensemble de constructions refermé sur ce que R. Cagnat appelait la « voie sacrée » (fig. 10). Le terme d'« esplanade » me semble mieux convenir à cet espace non bâti, plus long que large certes, mais d'où la notion de cheminement, décelable dans les sanctuaires de la Grèce classique, est exclue 44. Au nord, une rangée de petits temples, au sud, deux insulae où dominent les installations thermales, puis, vers l'ouest, un bâtiment triangulaire dont les dispositions rappellent celles d'une maison d'habitation, des thermes au plan traditionnel, et, derrière le temple principal, un espace mal structuré par une occupation architecturale dispersée : tel qu'il nous apparaît, le plan est aisé à lire et les rubriques de l'étude semble s'imposer d'elles-mêmes. Cette cohérence n'est pourtant pas le résultat d'un « schéma directeur » qui aurait conditionné l'organisation progressive des lieux. Les vestiges les plus anciens, en particulier ceux mis au jour dans Y insula I, ne pouvaient s'accorder avec la présence, ou le projet, de l'esplanade. Ailleurs aussi, des irrégularités du plan laissent deviner, au premier coup d'œil, l'existence de constructions appartenant à un état antérieur et qui ne sont pas intégrées sans difficulté dans le remodelage concerté dont nous voyons aujourd'hui le résultat. Nous essaierons de préciser le moment où cette organisation nouvelle du sanctuaire s'est imposée. Nous pouvons déjà suggérer qu'elle est liée à une restructuration de l'ensemble du quartier autour du Capitole.

Les propylées

Depuis la façade du temple d'Esculape, l'esplanade s'étend vers l'est jusqu'à une grande bâtisse qui n'était pas encore fouillée quand R. Cagnat publia son étude. Bien que ses abords ne soient toujours pas dégagés, cette construction peut, semble-t-il, être considérée comme l'entrée monumentale du sanctuaire. Il est possible que des accès secondaires aient été pratiqués au sud, au bout des venelles qui séparent les insulae thermales. La restructuration de Y Asclepieium a dépendu en grande partie de l'aménagement de ces « propylées » qui méritent quelque attention. Le bâtiment est installé en travers de l'esplanade, face au sud. Il est précédé d'une cour rectangulaire dallée dont une partie est recouverte par un chemin vicinal. Les pilleurs de pierres, au siècle dernier, ont détruit tout le côté méridional de la cour, à l'endroit où devait se situer la porte d'entrée, ouvrant sur la via septimiana ou sur la place au nord du Capitole. La cour était

43 Mes « Recherches sur l'Asclépieium de Lámbese » ont fourni la matière d'une thèse de IIIe cycle, soutenue en 1970 à l'université de Paris-Sorbonne devant un jury composé de J. Lassus, G. Ch. Picard et P.-A. Février. Le présent texte a profité des remarques et des suggestions faites par les membres du jury, par M. Le Glay, et par P. Varène et P. Gros, à l'occasion d'une présentation au séminaire dirigé par ce dernier des problèmes architecturaux et sémiologiques posés par le temple d'Esculape.

44 Les plans d'un grand nombre de sanctuaires de Grèce ont été réunis par Berve (H.) et Gruben (G.), Temples et sanctuaires grecs, Paris, 1961. Nous verrons plus tard que, dans le dernier état du sanctuaire, l'accès sur esplanade imposait un lieu privilégié d'où l'espace sacré se révélait d'un coup. C'est exactement le parti inverse de celui adopté dans la Grèce antique, où des trajets sinueux entraînaient une découverte lente, pas à pas, de point de vue en point de vue, de l'organisation des sanctuaires.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 51

Fig. 1 1. — L'extrémité orientale de Γ Asclepieium (vue prise du sommet du Capitole) : 1. Principia du camp de 81 ; 2. Temple de Mercure sur l'Esplanade ; 3. Les propylées du sanctuaire. On distingue le dallage de la cour, encore en partie recouverte par le chemin d'Ain Drinn.

entourée d'un portique. Elle communiquait par une porte relativement étroite, ouverte sous la branche nord du portique, avec le bâtiment principal. Les murs de celui-ci sont épais, construits en lits de petits moellons réguliers et rythmés par des piles de grand appareil, avec un léger bossage. La solidité de la construction semble indiquer que l'ensemble était couvert d'une lourde charpente, avec des portées de 14 m. A l'intérieur, une vaste pièce communique avec la salle allongée en façade de Y insula I par une porte ouverte dans le mur occidental. Au pied de ce mur, des bases et des sous-bases devaient supporter une rangée de dés inscrits et de piédestaux. Au centre de la pièce, les dégagements ont fait apparaître le sommet de murs antérieurs à la construction des propylées. Un mur parallèle au fond porte la base des deux pilastres placés en tête des murs de refend qui divisaient le volume en trois pièces, celle du centre plus large que les deux autres. Ces dispositions indiquent clairement l'existence de sortes de tribunes sur lesquelles pouvaient être exposées des statues et des ex-voto.

Ces propylées jouaient aussi le rôle d'un massif destiné à maintenir les remblais accumulés lors du dernier aménagement de l'esplanade. Une dénivelée de près de 4 m existe entre le niveau de l'esplanade — tel qu'on peut le restituer à partir de la semelle de fondation du petit temple (sans doute dédié à

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Mercure) qui fait face au temple principal — et le sol des constructions à l'est des propylées. Cette fonction de soutènement justifie elle aussi la puissance des murs et les renforts en grand appareil dans les parties nord et est.

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Fig. 12. — Propylées de Γ Asclepieium, d'après E. Stawski.

L'extension vers l'est de Γ Asclepieium a eu pour autre conséquence de rendre aigus les problèmes latents posés par la juxtaposition du sanctuaire et de l'établissement militaire de 81. Les propylées sont en effet installés devant la porte méridionale du camp. Ils en auraient pratiquement condamné l'entrée s'ils n'avaient pas été pris en echarpe par un passage souterrain, dont on ne voit pas bien actuellement l'origine à l'est, sous le chemin vicinal, mais qui s'ouvre devant la porte du camp par un arc appareillé (fig. 13) 45. Il semble donc bien destiné à faciliter l'accès au camp de Titus, dont nous savons qu'il était

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RECHERCHES À LÁMBESE III 53

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Fig. 13. — Passage souterrain sous les propylées, vu depuis l'intérieur de la porte sud du camp de 81.

45 On notera sur la photographie de la fig. 13, le dispositif d'appareillage à clé qui de chaque côté de l'arc assure la liaison entre les claveaux et l'arase de pierres de taille. Un souterrain prend aussi en echarpe les propylées de Y Asklepieion de Pergame, mais il s'agit d'une canalisation de grande taille et non d'un passage. Toujours à Pergame, un couloir souterrain conduit de la « Kursaal » à la « source » miraculeuse. Il me semble peu fondé, pour l'instant, de rapprocher les deux dispositifs, sous prétexte qu'il s'agit de souterrains. Cependant, l'omniprésence dans ce secteur de l'eau, qui se manifeste par la proximité du Septizonium et la concentration de dispositifs d'adduction et d'évacuation, ne permet pas d'exclure tout à fait un aménagement sur le modèle pergaménien (Ziegenaus (O.), Altertümer von Pergamon, XI Das Asklepieion, 1 Der südliche Temenosbezirk in hellenistiche und frührömische Zeit. Berlin, 1968 ; XI 2, Der nordliche Temenosbezirk und angrenzende Anlangen, Berlin — New York, 1975. XI \ Die Kulbauten aus römischer Zeit an des Ostseite des heiligen Bezirks, Berlin, 1981. Un plan à petite échelle du sanctuaire a été souvent publié, en particulier dans Berve (H.) et Gruben (G.) op.c, fig. 159-160, p. 289). A Castellum Dimmidi, un puits s'ouvrait dans la cave d'un petit temple. A proximité, a été retrouvée une inscription à Apollon, Esculape et Hygie (Picard (G. Ch.), Castellum Dimmidi. Alger-Paris, 1944, p. 127-131, fig. 1 1-12 et 185). La relation entre le puits et l'inscription n'est pas assurée. En attendant un dégagement éventuel au sud-est des propylées, on se gardera de voir un dispositif cultuel dans le souterrain de Lámbese (v.n. 48). Sa fonction est très fortement liée à l'occupation du camp de Titus. Il n'est pas interdit de suggérer que ce dernier, dépouillé de rôle tactique, a pu, à un certain moment, être utilisé comme une « hôtellerie » pour les curistes de Y Asclepieium.

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encore occupé par les militaires en 197 46. Le passage est étroit. La voûte en blocage de parpaings et mortier paraît s'élever lentement vers le nord, mais le niveau du sol n'est pas assuré.

Dans les parages des propylées, ont été trouvés les blocs portant une dédicace qui devait s'allonger « sur plus de six mètres » par un légat du tout début du IIIe siècle. Si les DU patrii mentionnés par le texte sont bien les divinités présentes dans le temple principal : Esculape, Salus, Jupiter Valens, Silvain Pegasianus, il ne fait pas de doute que l'inscription est à replacer quelque part sur les propylées, au-dessus des pièces du fond, sur le mur du bâtiment principal ou sur la façade extérieure tournée vers le Capitole. On voit mal quelle autre construction du quartier aurait pu accueillir un texte aussi long et de cette teneur. Cette attribution, qui reste malheureusement incertaine, aurait le grand avantage de fournir, pour l'aménagement des propylées, donc pour le dernier état du sanctuaire, un jalon chronologique précis 47. Coup d'œil sur l'esplanade

La légère pente naturelle du terrain est encore atténuée par le comblement de l'extrémité est de l'esplanade. L'espace s'élargit progressivement devant le temple principal. Cette disposition permettait de respecter les deux orientations préexistantes à l'aménagement des lieux : celles, légèrement divergentes, du temple principal et de l'établissement militaire de 81. L'esplanade est isolée du camp par un fossé et par un long mur de soutènement (fig. 14).

Le fossé semble avoir fait partie du système défensif à l'origine de l'occupation du site. Les dégagements ont, à cet endroit, été un peu rapides. Des fouilles attentives auraient sans doute permis d'établir une chronologie au moins relative. Il semble cependant qu'à l'époque de l'installation des propylées, vers le début du IIIe siècle, la partie orientale du fossé, au moins jusqu'à la porte du camp, n'était pas comblée : les piles de l'aqueduc alimentant le Septizonium le confirment 48. Plus à l'ouest, les vestiges se superposent, surtout à hauteur du premier des petits « temples » construits à cheval sur le mur du camp. Un four de terre, destiné peut-être à la cuisson de tuiles ou de briques, mais, plus probablement, à celle de pain ou de galettes, reste engagé en partie sous l'esplanade. Un petit caniveau emprunte le fond du fossé, sans qu'on puisse préciser son origine ni sa fonction. Sur l'esplanade elle-même, en particulier devant les insulae thermales, des bases moulurées et des sous-bases sont encore en place. Trouvés dans les fouilles, des dés d'autels et de piédestaux ont été regroupés contre le mur occidental des propylées. La plupart des pierres inscrites ont été transportées au musée de Lámbese. Il est donc pour l'instant impossible de faire les rapprochements que l'on devine fructueux et qui éclaireraient d'un jour nouveau

46 L'autel à la Disciplina militaris où la mention d' équités singulares a fait couler beaucoup d'encre (A.E., 1973, 629 avec bibliographie) a été trouvé « dans le camp de 81, près d'une salle à abside », c'est-à-dire près de la « chapelle aux enseignes » du camp. Il est daté de 197-198 par la mention du consulat de Q. Anicius Faustus (Thomasson (B.E.), Die Statthalter, p. 197-201 ; Id., R.E., Suppl. XIII, col. 319 ; P.I.R. \ p. 97-98).

47 A.E., 1967, 571. Dans une Contribution aux fastes de Numidie, B.A.A., t. 2, 1966-1967, p. 159-173, plus particulièrement, p. 165-169, Marcillet-Jaubert (J.) a rapproché deux fragments nouveaux de C, VIII, 18091 =2585, connue seulement par la copie de Renier et un dessin de Delamare, qui lisaient avant la cassure de la 1.3, respectivement...] BIANO et...] E BIANO. La correction de Wilmanns en C, VIII, 2585 : Pegajsiano, n'a pas emporté l'adhésion de J. Schmidt et H. Dessau en C, VIII, 18091. Elle seule pourtant permet de restituer Ioui Valenti, Aesculapio (et ?) Situano Pegdsiano, d'où notre suggestion de replacer l'ensemble du texte sur les propylées du sanctuaire. Les noms du légat dont seul le gentilice, Pontius, nous est conservé, restent inconnus. Ni sa légation, ni son consulat ne peuvent être datés précisément. La mention de trois augustes indique seulement la fourchette 202-21 1 : Thomasson (B.E.), R.E., suppl. XIII, col. 319. On peut aussi s'étonner de l'absence de Salus, dans le texte restitué, alors qu'elle est présente sur la frise du temple principal {infra, p. 69 et n. 50) et, sous le nom d'Hygie ou de Bona Dea, sur des ex-voto trouvés dans le sanctuaire : Hygie seule : C, VIII, 2588 ; associée à Esculape : C, VIII, 2589, 2590 - B.C.T.H., 1915, p. CLXVI = A.E., 1915, 26 ; Id., p. CLXVIII = A.E., 1915, 630 ; Bona dea : B.C.T.H., 1955-56, p. 123-124 = A.E., 1960, 107.

48 Le parcours de l'aqueduc, en amont de ces piles, reste problématique. Peut-être rejoignait-il, par un conduit enterré, le canal visible sur quelques mètres dans la partie sud-ouest de Γ Asclepieium (Janon (M.), Recherches à Lámbese, II, Aquae Lamb, esitanae, p. 234 et fig. 16, 18). L'existence de cet aqueduc enjambant, semble-t-il, l'accès nord du souterrain pourrait confirmer la fonction strictement utilitaire du passage.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 55

Fig. 14. — L'esplanade vue des propylées. A droite, le camp de 81, a\ec le temple // installe sur le l'osse et le mur. Au fond, le temple d'Esculape, à gauche, le temple de Mercure.

l'histoire du sanctuaire. Il faut, en tout cas, imaginer ce vaste espace, aujourd'hui désert, meublé de monuments votifs qui rompaient la monotonie des longues facades des insulae thermales et introduisaient une animation qui se laisse difficilement deviner de nos jours.

Le temple d'Esculape : état actuel

Comme nous venons de le voir, l'installation des propylées a sanctionné la dernière étape de l'évolution de Y Asclepieium. Le temple dédié à Esculape, Salus, Jupiter Valens et Siluanus, et que, par commodité, nous appellerons temple d'Esculape, marque le point de départ de cette évolution architec-

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Fig. 15. — Temple d'Esculape ; état actuel. Façade et coupe dans l'axe de la cella.

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PL Π LAMBESE-temple d Esculape et petits temples de 1 Esplanade

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RECHERCHES À LÁMBESE III 57

turale (pi. II et fig. 15). Le monument s'élève à une cinquantaine de mètres du coin sud-ouest du camp de Titus. Son orientation diffère légèrement de celle du camp. Il est probable que les observations astronomiques préalables à l'implantation de l'un et de l'autre monument n'ont pas été faites au même moment de l'année.

Quelques documents, dont la gravure de Delamare, nous révèlent l'aspect du temple avant l'effondrement des colonnes à la fin de 1852 (fig. 2, 4, 5). Le remontage de 1905 se borna à redresser en façade des fragments de colonnes et à placer d'autres fûts devant les chapelles. Les fragments des architraves furent alignés devant le temple. Le monument n'a plus dès lors changé d'aspect (fig. 16). Il se compose d'un bâtiment central rectangulaire, encadré par deux chapelles latérales avec une façade convexe. Deux portiques concaves assurent la liaison entre le bâtiment central et les chapelles (PI. II). La façade est en pierres de taille, utilisées dans la crépis en parement mince, les murs latéraux et ceux du fond sont en petits moellons carrés. Le tout repose sur un noyau de béton et petits parpaings irréguliers. La pierre utilisée est un calcaire local à grain fin, d'une couleur jaunâtre que les altérations font virer au gris.

Fig. 16. — Le temple d'Esculape ; état actuel.

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'iSt-ή Fig. 17. — Le temple d'Esculape, jonction du portique sud et du bâtiment dorique.

Fig. 18. — Détail du mur d'échiffre nord du bâtiment dorique.

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La crépis et les murs d'échiffre sont formés d'un noyau de blocage paré de dalles minces avec une modénature sobre (fig. 9, 17, 18) : sur le soubassement, au-dessus d'une plinthe étroite, un tore, un talon et un cavet séparés par des réglets. Pour la corniche, de bas en haut, un cavet entre deux réglets, une doucine entre deux filets. Au-dessus de la corniche, une assise prolongeait sur les murs d'échiffre la marche supérieure de l'escalier. Les appareillages dessinés par Duthoit (fig. 9, en bas à gauche) sont exacts. Les colonnes sont placées directement sur les marches et reposaient sur une aire circulaire en léger relief. Le même dispositif d'attente est visible sous les piliers latéraux (fig. 19).

Fig. 19. — Détail de la base du pilier nord. Noter le lit d'attente sous le pilastre « dorique », la qualité de l'appareillage, avec les angles de blocs soigneusement dressés, contrastant avec les profils à pans coupés, à peine dégagés de l'ébauche, des tores de la base « attique » du pilastre latéral.

Tout se présente comme si le stylobate avait joué le rôle d'une assise d' euthynteria, permettant une ultime régularisation en élévation, avant la pose des colonnes et l'assemblage des piliers. Une seule colonne entière a pu être remontée et coiffée de son chapiteau. Elle est d'ordre dorique, monolithe, haute de 4,07 m, s'amincissant légèrement vers le haut. Elle porte vingt cannelures sans amortissement au sommet où manque aussi le trait de scie traditionnel. Le chapiteau, haut de 30 cm, porte trois annelets. Son échine s'inscrit dans un cône peu ouvert et supporte une abaque étroite (fig. 9 et 20). L'entablement se compose de trois blocs, actuellement brisés et posés au pied des marches. Ils forment ce qu'il est bien difficile de nommer une frise architravée : la partie centrale de l'inscription dédicatoire occupe toute la hauteur des blocs. Elle ne laisse place, au coin supérieur des blocs extrêmes, qu'à deux triglyphes angulaires, à quatre gouttes, citation qui rappelle qu'à ce niveau aurait dû régner une frise dorique,

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Fig. 20. — Pilier nord et pronaos du bâtiment dorique, vus de l'intérieur du temple.

comme celle qu'on trouve sur les côtés du temple (fïg. 21). Deux blocs provenant de la partie latérale de l'entablement gisent en effet devant le temple. Ils montrent l'alternance régulière triglyphe-métope (fig. 22). Ils sont également ornés, sur leur face inférieure, d'un soffite, simple rectangle déprimé au centre d'un cadre sommairement mouluré, confirmant l'exactitude du dessin de Duthoit (fig. 9). Il ne semble

Fig. 21. — Triglyphe angulaire du bâtiment dorique.

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Fig. 22. — Bâtiment central. Frise dorique latérale.

plus y avoir de vestiges de la corniche dont le même architecte nous a donné le profil, à moins qu'il n'en faille reconnaître les ultimes restes dans un bloc gisant dans le pronaos et sur lequel on pourrait, malgré les épaufrures, retrouver des moulures comparables. La clef de fronton du temple, trouvée à proximité, porte à peu près la même modénature (fig. 23 et 24a) : introduits par un cavet qui s'amortit sur le fond, deux listels décalés ; un talon soutient le larmier lisse dont la partie plafonnante est inclinée vers l'avant ;

Fig. 23. — Clef de fronton du bâtiment central.

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Fig. 24. — Moulures des corniches du temple d'Esculape : a - rampant du fronton du bâtiment central ; b - corniche des ailes ; c - corniche des chapelles.

deux bandes décalées, une doucine, un filet, et enfin un large cavet. Sur la coupe de Duthoit, on notera la moulure d'attente d'un élément plafonnant à l'intérieur du monument. Une large entaille est pratiquée au sommet de la clef de fronton pour recevoir l'extrémité de la panne faîtière. Sur les côtés du bloc, on relève les traces de scellement avec les autres blocs du fronton.

Les piliers situés au point de jonction entre le bâtiment central et les ailes participent à deux ordonnances. Vers l'avant, un pilastre lisse, sans base, est couronné d'un chapiteau dont le profil est identique à celui des chapiteaux des colonnes. A une époque sans doute récente, le chapiteau du pilastre sud a été inclus dans l'escalier du portique (fig. 25). On verra plus loin que la colonnade des portiques

&£ '-r·-.*^ Fig. 25. — Crépis du bâtiment central et escalier de l'aile sud. Au premier plan, chapiteau du pilier sud. Noter, sur

le bloc de fondation visible à gauche, la trace de l'encastrement de l'avant-dernière marche.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 63

aboutit sur les mêmes piliers, à un pilastre corinthien (fig. 17, 19). La solution employée pour l'appareillage du pilier nord n'est sans doute pas la plus économique (fig. 26). Dans le pilier sud, la composition des assises est plus tâtonnante (fig. 17).

La cella est ainsi séparée du pronaos par un espace qui met en relation les portiques latéraux, créant une sorte de déambulatoire de la chapelle de Silvain à celle de Jupiter. La porte de la cella est marquée

Fig. 26. — Détail de l'appareillage du pilier nord (sans échelle).

par un large seuil (fig. 27). De chaque côté, on distingue la trace de l'encastrement des chambranles et le lit d'attente des montants. L'un de ces montants était encore en place, bien qu'en équilibre instable, semble-t-il, quand Delamare dessina le temple (fig. 2). Il est maintenant déposé sur le côté nord de la cella. C'est un monolithe lisse, avec apophyges supérieure et inférieure.

Les angles antérieurs de la cella étaient appareillés, avec un pilastre sans doute dorique. La liaison entre les piliers d'angle et les montants de la porte devait être assurée par un remplissage de petites pierres, comparable à l'appareil qui est mis en œuvre dans les murs de la cella, ceux du fond des portiques et des chapelles latérales.

Les moellons y composent sur chaque face un parement à peu près régulier. Leur extrémité noyée dans le mortier à l'intérieur des murs est le plus souvent taillée en pointe. La cella se termine par une abside sous-tendue par un mur qui n'apparaît plus qu'à fleur de terre. Le dallage de brèche rougeâtre ou

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Fig. 27. — La cella vue du haut du pilier nord. Sur le seuil, on distingue le lit d'attente des montants et les cavités pour l'encastrement des chambranles. En bas, à droite, pile d'angle appareillée. Posé sur le dallage, reste d'un pilastre de la tribune (?).

lie-de-vin encore en place dans la cella s'arrête au niveau de ce mur (fig. 27 et 28). Dans la concavité de l'abside, on distingue une arase de régularisation en briques. Sur le côté nord, une protubérance arrondie, évidemment contemporaine du reste de la construction, peut se comprendre comme un contrefort installé pendant les travaux pour parer la menace d'un tassement du sol, mais aussi comme la trace d'une particularité cultuelle qui nous échappe. J'avais pensé un moment que cette « hernie » pouvait être le vestige d'une niche qui aurait abrité la statue d'Hygie, ainsi placée en position subalterne par rapport à Esculape. En réalité, les documents Carbuccia qui indiquent l'emplacement exact où se trouvaient les statues ruinent cette hypothèse 49.

Les portiques concaves unissant le bâtiment central aux deux chapelles sont précédés eux aussi d'un escalier de sept marches. Devant l'aile méridionale, les marches ne sont conservées qu'à la jonction avec la crépis du temple principal (fig. 25). Au nord, en revanche, l'escalier est presque intact (fig. 29). Trois blocs de fondation des colonnes sont noyés dans le blocage du soubassement. Leur face antérieure est entaillée pour permettre la mise en place de l'avant-dernière marche de l'escalier. La dernière marche recouvrait ces pierres et s'insérait donc entre les sous-bases et les bases des colonnes (fig. 39). Aux endroits où les marches ont disparu, on voit dans le blocage l'empreinte en négatif de leur pose (fig. 29, 31).

49 Le texte cité p. 70 et les indications portées sur le plan de la fig. 5 concordent pour replacer la statue d'Esculape sur le côté nord, celle d'Hygie sur le côté sud de la cella.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 65

Fig. 28. — La cella vue de l'ouest. Au centre, le pilastre de la tribune (?).

Sous le portique sud, contre le mur du fond, une couche de terre et de débris a protégé un fragment de pavement mosaïque : au-delà d'une mince bordure noire avec un petit filet blanc, des écailles imbriquées, mi-partie noires, mi-partie blanches, sont disposées selon un schéma rayonnant. Ce motif, couramment utilisé pour la décoration d'espaces circulaires, devait se retrouver aussi dans le portique nord.

A proximité du temple, ont été réunis de nombreux fragments de colonnes lisses. Deux d'entre eux ont même été remontés sur leurs bases en façade de la chapelle de Silvain, mais devaient en fait appartenir à la colonnade des portiques (fig. 31, 32 b). Les deux colonnades venaient se terminer sur les pilastres adossés aux piliers du bâtiment central : l'assise inférieure des pilastres porte une apophyge reposant sur deux tores que sépare une scotie soulignée par deux réglets (fig. 17 et 18). Ce sont des bases « attiques » tout à fait classiques, comme celles que l'on trouve sur les pilastres des chapelles (fig. 32 a). Aucun chapiteau attribuable à cette partie du monument n'a été retrouvé. Deux fragments seulement de la corniche ont été conservés. Elle portait, de bas en haut, un cavet souligné par un petit listel, un bandeau en saillie, une baguette, une doucine s'amortissant sur une surface légèrement oblique formant larmier, une bande et deux petites doucines séparées par un filet et se terminant par un listel (fig. 24 b).

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Fig. 29. — Le portique nord et la chapelle de Silvain, vus du sommet du pilier nord.

Fig. 30. — Coupe sur l'escalier du portique sud : 1. Massif de blocage ; 2. Sol d'opus spicatum ;3. Niveau actuel ; 4. Niveau de la mosaïque.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 67

Fig. 31. — Chapelle de Silvain vue à travers la colonnade du bâtiment central.

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muí r 0,5 Fig. 32. — Profils de bases : A - des pilastres des chapelles ; Β - des colonnes des ailes (?).

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Les mêmes techniques de construction ont été mises en œuvre pour les chapelles latérales, aussi bien au niveau du soubassement et des escaliers que des murs du fond. Ici, le mouvement s'inverse, la façade dessine une courbe convexe. Dans l'escalier, c'est toujours la pierre formant la marche devant les chapelles qui occupe l'angle au point de jonction des deux courbes (fig. 29). A cet endroit, au niveau des fondations, deux ou trois blocs côte à côte fondaient un élément plus important qu'une colonne, sans aucun doute un pilier (fig. 29 et 33). Une pierre tombée sur le sol du portique sud, devant la chapelle de Jupiter, appartenait aux parties hautes de ce pilier qui épousait la forme courbe des chapelles (fig. 33). Toujours dans la partie sud, un seuil est en place entre le portique et la chapelle. Il porte des traces d'encastrement des chambranles (fig. 33).

Les murs postérieurs des chapelles sont rectilignes et dans le prolongement des murs des ailes. Un léger décrochement se remarque pourtant au nord, simple bévue au moment de la construction. Les murs latéraux des chapelles sont placés un peu de biais par rapport à l'axe du temple. Un pilastre appareillé forme tête de mur (fig. 31 et 32 a). De part et d'autre, on a retrouvé les traces de l'arrachement des murs d'échiffre qui bornaient l'escalier.

Le sol de la chapelle méridionale, le mieux conservé, est encore recouvert sur une trentaine de centimètres après le seuil par une bordure de mosaïque blanche. Au-delà, on distingue les restes d'un pavement de carrés jaunes et rouges séparés par des bandes blanches et quelques rangées de cubes verts. Contre le mur du fond de la même chapelle, s'appuie le soubassement d'une base étroite avec pilastres latéraux (fig. 33).

Fig. 33. — Chapelle de Jupiter et « temple » a. Devant le seuil de la chapelle, pierre qui devait faire partie de l'assise supérieure du pilier entre le portique et la chapelle.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 69

Fig. 34. — Lit d'attente et face interne de l'architrave devant la chapelle de Jupiter. Traces d'encastrement des tirants. Au fond, corniches de la même chapelle.

On n'a pas retrouvé de chapiteau appartenant à ces chapelles. On possède, en revanche, de nombreux blocs de l'entablement (fig. 34). Les « frises architravées » portent une inscription qui ne se comprend qu'en relation avec le texte sur la façade du temple principal, selon le schéma suivant :

IOVI VALENTI

HAS AEDES

AESCULAPIO ET SALUTI IMP.CAES.M.AURELIUS AUG. PO NT. MAX. ET IMP.CAES.L.AURELIUS VERUS AUGUSTUS

SILVANO

PER LEG.III FECERUNT

La fin de la dédicace est donc constituée par la seconde ligne de l'inscription des chapelles 50. Le profil des corniches est un peu plus compliqué que celui de la corniche des ailes avec, en

particulier, une concavité de la face inférieure du larmier (fig. 24 c).

Les statues de culte Le colonel Carbuccia a découvert dans le bâtiment central les statues d'Esculape et d'Hygie. Je ne

peux mieux faire que de reproduire les paragraphes 66 et 67, f° 90-94 de son rapport sur Lámbese : « 66 - Découverte de l'autel et de statues d'Esculape et d'Hygie. J'aurais désiré diriger nos fouilles

ailleurs, sauf à revenir plus tard, si le temps le permettait, au temple d'Esculape ; mon détachement s'y opposa fort heureusement, et me demanda de le laisser agir encore une semaine sur ce point. Il obtint de moi deux brouettes que j'empruntai au matériel de la place, et quatre hommes de plus. Avec ces douze

50 C, VIII, 2579 a, b, c= 18089 = I.L.S., 3841 . Le nom de la légion a été martelé. C, VIII, 2579 d et e sont les inscriptions dédiées par D. Fonteius Frontinianus à Jupiter Valens et Siluanus Pegasianus. Les dalles portant ces textes étaient posées contre le mur du fond des chapelles latérales sur des bases dont l'une est restée en place dans la chapelle de Jupiter (fig. 33).

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70 M. JANON

hommes on attaqua le déblai du temple, au-delà de cette pierre de marbre dont j'ai parlé plus haut, et qui paraissait devoir en être l'extrémité (il s'agit sans doute du seuil de la cella). On trouva d'abord l'autel tout en beau jaspe rouge ; puis le marbre rouge qui pavait l'intérieur du temple ; et enfin 7 (?) jours après la statue de marbre blanc d'Esculape. Elle était couchée sur le dos, les pieds plus haut que la tête et sur le côté gauche de l'autel : le terrain ayant été déblayé sur cette partie gauche, on a vu la place réservée à la statue ; de suite on a fait fouiller à tâtons sur le côté droit de l'autel, et on a découvert la statue en marbre blanc de la Déesse Hygie. Toutes les recherches faites pour retrouver la tête de cette dernière n'ont malheureusement rien produit. Je n'ai pas encore perdu tout espoir à ce sujet.

67 - Honneurs rendus à la statue d'Esculape. L'effet produit sur nos soldats par la découverte d'Esculape fut magique. Le Génie prêta un camion, l'administration 8 chevaux, et avec une escorte d'honneur d'un escadron de cavalerie, je conduisis nos statues triomphalement à Batna, aux acclamations de toute la garnison, et au bruit de la fantasia des Arabes, surpris de ce nouveau culte que je leur fis expliquer publiquement par le Cap. Marmier, chef du bureau arabe de Batna. Ce fut réellement un jour de fête dans le pays.

En attendant que le chef-d'œuvre puisse orner la première place qui sera créée dans notre ville naissante, Esculape a été exposé dans le jardin de l'hôtel de la subdivision, où il ne cesse d'être l'objet de l'admiration de tous les Arabes de la région. Un grand nombre n'est venu à Batna que pour voir cette statue et celle d'Hygie, que j'ai fait aussi transporter dans le même jardin. Ces statues sont les seules qui existent dans le pays. La vérité oblige à dire que la première attire plus l'attention des Arabes que la seconde, malgré la gracieuseté des formes de cette dernière ».

Je ne sais ce que Carbuccia entendait quand il parlait d'autel en jaspe rouge. Son plan n'en indique pas la position et on n'en retrouve pas trace dans les planches qui l'accompagnent. Dans la cella du temple, un petit bloc, avec des pilastres corniers est resté en place, sans doute depuis les premières fouilles (fig. 27 et 28). C'est peut-être « l'autel » de Carbuccia. Bien entendu, ni la forme du bloc ni son emplacement ne justifient ce nom. J'y vois plutôt une partie du décor de la tribune au fond de la cella, comme l'indiquent les plans de Carbuccia lui-même, de Geslyn de Bourgogne et de Duthoit (fig. 5, 6 et 8).

Les dispositions de la cella se seraient fort bien prêtées à l'installation comme statue de culte d'un des groupes d'Esculape et d'Hygie exécutés à l'époque hellénistique 51. Le choix de deux statues indépendantes à Lámbese implique le recours à des modèles plus répandus sous l'Empire.

Esculape La statue de l'Esculape de Lámbese a 2,27 m de haut (fig. 35). Elle est assez bien conservée 52. Le

dos, comme celui de la statue d'Hygie, est sommairement sculpté et n'a pas été poli. Le dieu est représenté

51 Les indications des auteurs anciens ne permettent pas d'affirmer que les statues dont ils signalent l'existence dans les sanctuaires composaient un groupe, comme celui du Vatican ou de la glyptothèque Ny Carlsberg : Esculape est assis, le serpent enroulé autour du bâton placé contre sa jambe gauche, vient boire dans la patere que lui offre Hygie, appuyée sur l'épaule droite de son père. C'est peut-être un groupe de Bryaxis qui était exposé à Mégare (Pausanias, I, 40, 6). Scopas était l'auteur de deux « groupes », l'un, à Gortys, d'Esculape imberbe accompagné d'Hygie (Id., VII, 38, 1), l'autre à Tégée, où Esculape et Hygie encadrent Athena Alea (Id., VIII, 47, 1), etc. Pline (H. Ν., XXXIV, 88) indique la présence de statues d'Esculape et d'Hygie, œuvres de Nicératos, dans le temple de la Concorde à Rome, mais ne s'agit-il pas d'une simple parastase ?

52 Cagnat (R.). Musée de Lámbese, Paris, 1875, p. 42, pi. II, Lugand (R.), Inventaire des objets conservés au musée de Lámbese, R.S.A.C., t. 58, 1927, n° 1, p. 142. Ni R. Cagnat, ni R. Lugand, dont la description est sommaire, ne semblent avoir compris qu'Esculape tenait dans la main gauche le bâton au serpent. Il me semble improbable de placer sur le socle, entre le pied droit et la capsa, un petit Télesphore maintenu à cet endroit par le scellement dont on voit la trace. L'espace est par trop mesuré. Sur ces représentations de Télesphore accompagnant Esculape, voir, par exemple, les groupes de Hammam- Djedidi et de Carthage : Merlin (Α.), B.C.T.H., 1913, p. CCXV-CCXVII ; Martin (S.), Musée Lavigerie de Carthage, Suppl. II, Paris, 1915, p. 14, pi. IV2. C'est encore un groupement parastatique d'Hygie, de Télesphore et d'Esculape qui apparaît sur le fronton d'une stèle de Tomis, au musée de Bucarest : Bordenache (G.), Sculture greche e romane del Museo nazionale di Antichità di Bucarest, t. I, Bucarest, 1969, n° 10, p. 18-19, pi. VI.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 71

Fig. 35. — Statue de culte d'Esculape, au musée de Lámbese.

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debout, le poids du corps reposant sur la jambe gauche, la droite légèrement fléchie, d'où un déhanchement sensible du corps. A sa droite, une grosse capsa cylindrique, munie de ses courroies est emplie de volumina dont la taille imposante convient mieux à des planches anatomiques qu'à des recueils d'ordonnances. La pression de la main gauche maintenait contre la hanche une extrémité du manteau épais qui entoure le corps à hauteur des reins, laissant le torse nu jusqu'au dessus du bas-ventre, passe dans le dos et vient recouvrir l'épaule et le bras gauche. La main gauche saisissait le pan retombant et tenait aussi un bâton dont on voit la trace au-dessus de la main. L'extrémité venait se poser sur le socle, sur une amorce circulaire placée en avant du pied gauche. Autour de ce bâton s'enroulait un serpent dont les anneaux effleuraient les draperies, en deux points, au-dessus du genou, où on voit l'arrachement, sous la main, où existe un petit tenon. Le serpent et la partie inférieure du bâton, sous la main, étaient rapportés et non sculptés dans le même bloc que la statue. Les deux petits trous visibles de chaque côté du pied gauche servaient à maintenir les replis de la queue de l'animal. Il est peu probable qu'un troisième trou, près du pied gauche, ait eu le même usage . Il a dû servir à fixer un autre attribut, peut-être le couvercle de la capsa. Les draperies sont bien médiocres. Le pan du manteau qui retombe à la gauche du dieu, a des replis raides et paraît empesé. En revanche, le torse vigoureux n'est pas sans mérite. La tête, posée sur un cou puissant, pour ne pas dire épais, porte une chevelure et une barbe abondantes. Les mèches sont disposées symétriquement. Les lèvres sont entrouvertes. Les pupilles, avec l'iris indiqué par un petit trou à fleur de paupière, dénoncent, si besoin était, la date de la sculpture. Malgré ces maladresses, il me semble qu'on arrive à retrouver dans le visage un reflet, bien déformé, de la douceur un peu absente qui anime la tête de l'Asklepios de Milo, conservée au British Museum 53.

Ce type d'Esculape, dérivé d'une œuvre du IVe siècle, semble avoir été particulièrement répandu en Afrique du nord, où les autres modèles statuaires du dieu sont à peu près inconnus 54. L'effigie était présente dans de nombreux thermes, en Proconsulaire comme en Numidie, mais elle avait aussi sa place dans les sanctuaires. A Bulla Regia, dans la cella du temple d'Apollon, à la gauche de la statue du dieu principal était exposée une statue d'Esculape en tout point comparable à celle de Lámbese. Les mérites esthétiques n'en sont guère supérieurs 55. Si les études d'iconographie de la mythologie actuellement en cours confirmaient ce quasi monopole, on aurait, dans un registre mineur, une nouvelle pièce à verser

53 Les effigies d'Esculape sont d'un type très proche et par là même souvent indiscernables de celles de Zeus, de Poséidon et de Genii. L'iconographie a été étudiée par Neugebauer (K.A.), Asklepios, 78e Berliner Winckelman Programm, Berlin, 1921, et par Heiderich (G.), Asklepios, Fribourg, 1968. Vierneisel-Schlöb (Β.), Glyptothek München, t. II, Klassiche Skulpturen, Munich, 1979, a consacré, p. 216-226, une copieuse notice à Esculape. Voir aussi les rubriques de J. Papadopou- los et L. de Lachenal, dans Giuliano (Α.), ed., Muzeo nazionale romano. Le Sculture, t. I1, Rome, 1979, p. 91-96.

54 Une seule représentation d'Esculape assis, dont la statue chryselephantine d'Epidaure est l'exemple le plus célèbre (Krause (Β.), Zum Asklepios-Kultbild des Thrasymedes. AA., 1972, p. 250-257) semble exister en Afrique du nord, à Cherchel : Gauckler (P.), Musée de Cherchel Paris, 1895, pi. XVI 2 ; Picard (G.), L'Asklepios assis de Cherchel. R.A., 1958 \ p. 1 15-1 17. Au musée de Carthage, quatre statues sont d'un modèle identique à celui de Lámbese. L'une porte un modius ; sur le socle, à la droite du dieu, est figuré Télesphore : voir n. 52. A Guelma, une statue en morceaux provenant de Madaure et une tête plus petite que nature sont attribuées à Esculape. Une statue renvoie au modèle lambésitain : Patchtere (F.-G. de), Musée de Guelma, Paris, 1909, p. 30-31, pi. V. 5 et 6. A Pergame, parmi les statues ex-voto d'Esculape, l'une se rapproche de ce modèle : Winter (F.), Altertümer von Pergamon, t. VII 2, Die Skulpturen, Berlin, 1908, n° 188, p. 189. Les autres sont des copies de l'Esculape « Giustini », moins dénudé, avec souvent un long bâton dont l'extrémité est placée sous l'aisselle. Le type est sans doute celui de la statue de culte installée dans le sanctuaire de l'île Tiberine (ibid., n° 189-194, p. 189-191 ; les dimensions des fragments varient de 0,14 à 0,35 m). A Cyrène, les deux types coexistent, avec des variantes intermédiaires (déhanchement et nudité plus ou moins accentués) : Paribeni (E.), Catalogo delle sculture di Cirene. Statue e rilievi di carattere religioso. Rome, 1959, n° 197-217, p. 82-86, pi. 110-116. La même contamination des types existe à Leptis Magna, avec les cinq statues d'Esculape trouvées dans les thermes : Bartoccini (R.), Le terme di Lepcis (Lepcis Magna). Bergame, 1929, p. 124-129.

55 Merlin (Α.). Le temple d'Apollon à Bulla Regia, Paris, 1908, p. 18, pi. III, Hautecœur (L.), Merlin (Α.), Poinssot (L.), Musée Alaoui, Suppl. I, Paris, 1909, n° 1013, p. 56, pi. XXXIV3, Yakoub (M.), Musée du Bardo, Tunis, 1969, p. 23-24, fig. 24. Il semble qu'on puisse reconnaître le même type dans une statue de Sousse : Hannezo (G.), Gauckler (P.),

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RECHERCHES A LÁMBESE III 73

Fig. 36. — Statue ex-voto d'Esculape, d'après Carbuccia.

Fig. 37. — Statue ex-voto d'Esculape (?), d'après Carbuccia.

au dossier d'une personnalité africaine s'exprimant par des choix spécifiques parmi les modèles hellénistiques. Notons que Carbuccia a trouvé près du temple de Lámbese deux petites statues d'Esculape, dont l'une est un modèle réduit de la statue de culte (fig. 36 et 37) 56.

Hygie

C'est aussi à un modèle hellénistique que renvoie la statue d'Hygie (fig. 38). Les représentations de la fille favorite d'Esculape révèlent des différences, très marquées ou de détail, qui rendent ardue la définition des types et des variantes. La statue de Lámbese est sculptée dans le même marbre que celle d'Esculape. Elle avait à peu près la même taille, puisqu'elle mesure 1,87 m sans la tête qui n'a jamais été retrouvée. Elle est très exactement du type d'une Hygie d'Ostie, non la célèbre Hygie Hopé, trouvée dans la même ville, mais l'Hygie transportée au musée de Cassel 57. La déesse est debout, appuyée sur la jambe

Couvert (E.), Musée de Sousse, Paris, 1902, p. 39. Aux Aquae Flauianae, près de Mascula, c'est encore le même modèle, mais avec un modius, comme sur les statues de Carthage et de Hammam Djedidi (voir n. 52) qui accompagnait une statue d'Hygie sur une base consacrée en 194 : Gsell (St.), Graillot (H.), Ruines romaines au nord de l'Aurès, M.E.F.R., t. 13, 1893, p. 51 1-512, fig. 2. Sur la datation de l'inscription (C, VIII, 17726) par la légation de C. Iulius Lepidus Tertullus : Thomasson (B.E.), Die Statthalter, II, p. 196-197, id., RE, Suppl. XIII, col. 319. Il est fâcheux que seul un « misérable fragment » de la statue d'Hygie ait été conservé.

56 Si le n° 18 de Carbuccia (fig. 36), haut de 85 cm, est indubitablement un Esculape, on peut avoir des doutes pour le n° 15 (fig. 37), haut de 62 cm, avec des draperies disposées différemment et qui pourrait être un Jupiter ou un Neptune.

57 Pour les représentations d'Hygie : Röscher (W.H.), Ausfürliches Lexicon der Griechischen und Römischen Mythologie, Leipzig, 1886-1890, t. I2, col. 2772-2792, Daremberg (Ch.), Saglio (C), Dictionnaire des Antiquités, t. IIP, Paris, 1900, p. 321-332. La statue de Lámbese a été publiée par R. Cagnat, Musée de Lámbese, p. 43, pi. II, et décrite sommairement par R. Lugand dans son Inventaire, p. 142.

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Fig. 38. — Statue de culte d'Hygie, au musée de Lámbese.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 75

Fig. 39. — Fragment d'une statue d'Hygie, dans la cour du musée de Lámbese.

gauche. Le pied droit, sur l'exemplaire de Lámbese, est nettement de biais et rejeté vers l'arrière. Elle est vêtue d'une tunique légère tombant jusqu'à terre et d'un manteau. La tunique, attachée sous les seins par une cordelière, est fixée sur l'épaule et le bras droit par quatre agrafes. De l'autre côté, elle est défaite, le tissu a glissé et n'est retenu que par la pointe du sein gauche. L'artifice pourrait être charmant, mais à Lámbese, la maladresse des plis révèle la copie sans esprit. Le sculpteur a néanmoins réussi à rendre la différence de matière entre la tunique et le manteau. Hygie porte ce vêtement un peu comme Esculape, sauf que, imitant la tunique, il a glissé de l'épaule gauche : le bras gauche en retient une extrémité contre la hanche, le tissu ceint les reins de la statue et vient reposer sur le même bras fléchi. La main offrait une patere au serpent enroulé autour du bras droit. Les seules différences avec la statue d'Ostie résident dans les longues boucles qui, à Lámbese, viennent recouvrir les épaules et par le traitement général qui n'est pas meilleur que celui de la statue d'Esculape. Le modèle est assez répandu dans les provinces africaines 58. A Lámbese même, une médiocre copie est déposée dans le jardin du musée (fig. 39) 59.

58 Pachtere (F.G. de), Musée de Guelma, Paris, 1909, a publié, sans en indiquer la provenance, une statue d'Hygie très semblable à celle de Lámbese, mais d'un piètre style, p. 30-31, pi. V5. En fait, cette statue a été trouvée à Madaure : Gsell (S.), Joly (Ch.A.), Khamissa, Mdaourouch, Announa, t. II, Mdaourouch, p. 113, pi. XlIIbis, fig. 4 ; une statue identique et qui semble être restée inédite est signalée par S. Gsell, dans les thermes de Khamissa. Une des deux statuettes d'Hygie trouvées dans les thermes du sud à Timgad appartient au même type : Boeswillwald (E.), Cagnat (R.), Ballu (Α.), Timgad, une cité africaine sous l'Empire romain, Paris, 1905, p. 256, fig. 1 17, Ballu (Α.), Cagnat (R.), Musée de Timgad, Paris, 1903, p. 9 et pi. II5.

59 Lugand (R.), Inventaire des objets conservés au musée de Lámbese. R.S.A.C., t. 58, 1927, p. 147, n° 18.

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Jupiter et Silvain

Des statues qui pouvaient être placées dans les chapelles de Jupiter et de Silvain, nous ne savons pas grand-chose. Il reste d'ailleurs à préciser leur emplacement. Pour être posées sur les pierres qui, au fond des chapelles, portent les inscriptions de D. Fonteius Frontinianus 60, il les eût fallu bien plates. On les imagine mieux sur des piédestaux, au centre des chapelles. Carbuccia a trouvé un fragment de statue, avec le bas d'une jambe masculine et un aigle (fig. 40) 61. Γ1 s'agit certainement d'un Jupiter, mais peut-être pas de la statue de culte. Le même doute existe pour un torse de Silvain dont Guillet 62 nous a transmis le dessin (fig. 41). Le bras gauche soutient une peau de bête attachée autour du cou et sans doute emplie de fruits. Le reste du corps est nu. Pour répondre aux modèles bien connus de Silvain, la tête devait être celle d'un homme mûr, portant le plus souvent la barbe. La main droite devait tenir une serpette. Un chien se tient fréquemment contre la jambe droite 63.

Fig. 40. — Fragment d'une statue de Jupiter, d'après Carbuccia.

60 Supra, p. 68 ; il est exclu de restituer dans le mur du fond des chapelles latérales une niche, ou un renfoncement comme celui qui existait peut-être sur les murs latéraux de la cella du temple d'Apollon à Bulla Regia : Merlin (Α.), cité η. 55, p. 17-18. En réalité, ce dispositif, qui paraît possible à l'examen du plan de la pi. I, devient plus difficile à admettre, si l'on considère l'élévation des murs, sur la photographie de la pi. II.

61 Ce fragment a pu appartenir à une statue placée dans un des petits « temples » de l'Esplanade, ou sur un piédestal indépendant. Carbuccia (Lambessa, §83) indique en effet qu'il a été trouvé « dans une chapelle de la même ligne, un peu plus loin que le temple d'Esculape, à environ 50 m de la façade ».

62 Guillet est un dessinateur qui accompagna L. Renier pendant sa mission de 1850-51. 63 Pour l'iconographie de Silvain : Daremberg (Ch.), Saglio (E.), Dictionnaire des Antiquités, t. IV2, Paris 1911,

p. 1341-1345, Röscher (W.H.), Lexikon, t. IV, col. 824-877. Bien que relativement rares, les représentations de Silvain ne sont pas inconnues en Afrique du Nord. On en connaît un exemple à Cherchel : Wuillemier (P.), Musée d'Alger, Suppl., Paris, 1928, p. 49-50, pi. V2. C'est une statue comparable qui a été trouvée à Mactar et présentée dubitativement comme un torse de satyre par Picard (G.), Rapport sur l'archéologie romaine en Tunisie pendant l'année 1951. B.C.T.H., 1951-52, p. 196, pi. XXI2. Il est souvent impossible de faire la distinction entre les statues de Silvain, de faunes et de satyres, surtout quand elles sont fragmentaires. Un bas-relief est particulièrement intéressant pour nous puisqu'il a été dédié, sans doute en 145, par des équités singulares : Candida (Β.), Altari e cippi del Museo Nazionale romano. Rome 1979, p. 127-129, n° 56 et n. 15, p. 129, pour la bibliographie. L'inscription a été publiée en C.,V1, 31 152.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 77

Fig. 41. — Fragment d'une statue de Silvain, trouvée dans Γ Asclepieium, d'après Guillet.

Pour autant qu'il soit permis d'établir une relation entre ces deux dernières statues et les inscriptions des chapelles du temple principal, on ne voit pas les caractères ou les attributs qui correspondraient aux qualificatifs de Valens donné à Jupiter et de Pegasianus attribué à Silvain. Les statues d'Esculape et d'Hygie, médiocres copies d'œuvres banales, ne sont pas non plus en accord avec l'originalité architecturale du temple qui les abritait.

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78 M. JANON

Essai de restitution

Une restitution du monument avait déjà été tentée par Guillet. Nous ne nous attarderons pas sur ce dessin (fig. 42). Il présente deux invraisemblances : la fermeture des façades des chapelles par un mur orné de pilastres et l'entablement des mêmes chapelles, où la corchiche, posée directement sur les chapiteaux supporte l'architrave ! La restitution du corps de bâtiment ne pose guère de problèmes (fig. 43) : il se présente comme un petit temple dorique tétrastyle prostyle affublé d'une abside. L'insertion

Fig. 42. — Reconstitution du temple d'Esculape, d'après Guillet.

Fig. 43. — Essai de restitution de la façade du temple d'Esculape (J.-M. Gassend).

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Fig. 44. — Coupe sur le bâtiment central, essai de restitution (J.-M. Gassend).

des ailes entraîne d'autres particularités, dont l'espace qui sépare le pronaos de la cella. On doit placer à cet endroit un linteau de plus de 4 m que la couverture des portiques dissimulait extérieurement en partie. L'architrave et la frise dorique ne se poursuivaient pas sur toute la profondeur du temple, mais on voit mal où et comment elles s'arrêtaient. Sur le côté nord de la cella, la hernie maçonnée dont il a déjà été question, continue à poser des problèmes 64. Le piètre appareillage des angles semble exclure l'ouverture de l'abside par un arc clavé. On pe»ut restituer à cet endroit un simple linteau, ou peut-être un arc et un cul-de-four en tubes emboîtés 65. La hauteur de la tribune rehaussant l'abside et sur laquelle

64 C'est à peine si j'ose faire état de l'hypothèse suivante : dans ce renfoncement du mur, aurait été aménagé le coffre maçonné renfermant le trésor du dieu. Que ce trésor ait existé à Lámbese est attesté par une inscription trouvée dans les citernes du Grand Camp (B.C.T.H., 1907, p. 254-255 = A.E., 1908, 11) : Religiosi I qui stipem \ ad Aesculápium ponel re volunt, \in thes\ aurarium I mutant I ex quibus \ aliquod I donum I Aesculaì pio fiat. Nous n'entamerons pas ici l'analyse détaillée que mérite ce texte. Nous remarquerons seulement qu'il implique l'existence d'un thesaurus. L'emploi du verbe poneré au lieu de conferre, dans poneré stipem pourrait même indiquer que ce thesaurus a une réalité très concrète* qu'il s'agit d'un coffre où le religiosus pouvait glisser son obole. Outre les grands « trésors » des villes, construits dans les sanctuaires grecs, nous connaissons trois modèles de θεσαυροί : les petites tirelires, les coffres monolithes et les thesauroi creusés dans le sol, à même le rocher ou consolidés par des dalles de pierre et fermés par de lourds couvercles (Martin (R.), Un nouveau règlement de culte thasien, B.C. H., t. 64-65, 1940-1941, p. 163-200). Ces fosses sont particulièrement fréquentes dans les secoi des temples d'Asklepios et des divinités égyptiennes souvent considérées comme des divinités guérisseuses (Martin (R.), Sur quelques particularités du temple d'Esculape à Epidaure. B.C.T.H., t. 70, 1946, p. 352-356, surtout p. 366-367 ; Roux (G.), L'Architecture de l'Argolide aux IVe et IIIe siècles avant J.-C, Paris, 1961, p. 118-119). Elles existent à Epidaure et dans le temple Β de Y Asklepieion de Cos. Tout en insistant sur la fragilité de l'hypothèse, je dois dire que les références constantes à l'architecture et à la liturgie du monde grec que nous allons rencontrer dans l'étude du sanctuaire de Lámbese, ne la rendent pas invraisemblable.

65 Les premiers fouilleurs ont relevé la présence de nombreuses « bouteilles » en céramique dans les ruines. Ils ne précisent malheureusement pas s'il y en avait dans les décombres du temple d'Esculape. Au témoignage de Carbuccia, elles étaient employées dans les petits sanctuaires sur le côté de l'esplanade : « §85. Outre les briques de toutes dimensions dont j'ai parlé, on trouve scellées en terre, horizontalement et sur deux rangs, dans des couches de chaux ou plâtre, une quantité de petites bouteilles en terre sans fond. Elles sont emboîtées les unes dans les autres, les cols étant glissés dans les corps des bouteilles contiguës, ... Toutes renferment un dépôt de carbonate de chaux qui les emplit à moitié. Je ne puis dire encore d'une manière précise, quelle était leur destination. Ce queje puis affirmer, c'est que ces bouteilles ne servaient pas de cintre à des voûtes en maçonnerie, ainsi que, dit-on, cela a été constaté dans les ruines d'Orléansville. L'opinion des officiers est qu'ils servaient à une conduite d'eau ; mais était-ce à l'eau de pluie, ou aux eaux des fontaines qu'on amenait dans les chapelles ? » (Bibliothèque de l'Institut de France, ms. 1369.fo.93-94). Il s'agit très certainement, quoi qu'ait pu penser le colonel, de restes de voûtes effondrées, avec peut-être deux rangées superposées de tubes emboîtés (Lezine (Α.), Les voûtes romaines à tubes emboîtés et les croisées d'ogives de Bulla-Regia. Karthago, t. 5, 1954, p. 168-181, v. en particulier les fig. III et VIII ; Id., Architecture romaine d'Afrique. Paris, s.d., (1961), p. 153. Olivier (A.) et Storz (S.), Analyse et restitution d'un procédé de construction antique : réalisation d'une voûte d'arête sur coffrage perdu en tubes de terre cuite. Recherches archéologiques franco-tunisiennes à Bulla Regia, I, Miscellanea, 1, p. 111-127.

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Fig. 45. — Vue perspective du temple d'Esculape, essai de restitution (J.-M. Gassend).

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RECHERCHES À LÁMBESE III 81

étaient placées les statues d'Esculape et d'Hygie, était peut-être différente de celle indiquée sur la coupe de la fig. 44. Il faut sans doute y replacer le petit bloc mouluré posé dans la cella (fig. 27-28 et p. 70). Un comble en bâtière recouvrait l'ensemble. Nous avons déjà vu que la clef de fronton portait une cavité où venait s'engager l'extrémité de la panne faîtière 66. Un plafond de bois isolait l'intérieur de la charpente, y compris dans le pronaos : le dessin de Duthoit nous en montre, à la partie postérieure du bloc portant la corniche, la moulure d'attente (fig. 9).

Restituer les parties latérales est plus délicat. L'aménagement du pilier nord, presque intact, permet cependant de faire quelques propositions vraisemblables, sinon tout à fait assurées. Le pilastre introduisant la colonnade du portique est conservé jusqu'à la septième assise (fig. 46 et 47). Les huitième et neuvième assises du pilier portent un trou profond où venaient prendre place, d'abord la pierre où était sculpté le chapiteau, ensuite l'extrémité d'une frise architravée. Au-dessus, la corniche reposait à la fois sur la frise et sur une pierre en saillie de la dixième assise du pilier. Tel dispositif ne signifie nullement que la hauteur du chapiteau et celle de la frise architravée étaient égales chacune à la hauteur d'une assise. Pour assurer la liaison entre la corniche et le pilier, on a été obligé de supprimer la plus grande partie des annelets et de l'échiné sur le côté du chapiteau dorique. L'abaque, en revanche, est resté intact, les épaufrures qu'on y relève ont dû se produire lors de la chute de l'entablement. Ces traces nous fournissent un indice précieux pour restituer la hauteur des ailes.

Étant donnée la faible profondeur du portique, on aurait pu le couvrir d'un toit à une pente, incliné vers l'avant. Cette solution entraîne une trop grande hauteur du mur du fond et un conflit supplémentaire au niveau des corniches et du toit du bâtiment central et des chapelles. Un toit à deux pentes semble préférable 67.

Des piliers qui, à l'extrémité des ailes, marquent leur jonction avec les chapelles, nous avons vu qu'il ne reste que les blocs de fondation et une pierre près de la chapelle de Jupiter (fig. 33). L'échancrure du coin supérieur droit a dû recevoir l'extrémité de la corniche des ailes, retaillée en conséquence. L'emplacement où venait s'appuyer l'architrave est grossièrement dressé au ciseau. La pierre porte deux moulures superposées. L'une se poursuit sur les blocs de l'architrave de la chapelle, l'autre, plus importante, s'interrompt rapidement pour laisser le champ libre à l'inscription. Elle rappelle que normalement, il y aurait eu à cet endroit un couronnement d'architrave, introduisant le niveau de la frise. Le pilier se poursuivait vers l'arrière par un mur de maçonnerie qui venait rejoindre le mur du fond des portiques. La présence d'une porte démontre assez qu'un accès direct, par la façade, était interdit, sans doute par des grilles posées entre les colonnes.

Les différences de hauteur entre les bases de la colonnade des ailes et celles de la colonnade des chapelles semblent indiquer que ces dernières étaient plus élevées. C'est la seule solution qui permette une jonction sans trop de problèmes des parties hautes. On évitait par ce décalage de placer au même niveau des corniches concaves et convexes, de modénature différente bien que de taille identique. Toutes les difficultés n'étaient pas éliminées pour autant, et au niveau du couronnement, comme à ceux de la charpente et de la couverture, il a sans doute fallu utiliser des solutions empiriques et des ajustements coup par coup. Bien entendu, l'assemblage des trois pierres de chaque architrave se faisait au droit des

66 Pour les problèmes de charpente, Varène (P.), La charpente de comble chez les Grecs et les Romains. Dossiers de l'Archéologie, n° 25, nov.-déc. 1977, p. 92-99, avec la bibliographie, p. 99.

67 Éviter les échauffourées architectoniques entre les entablements et les couvertures ne semble pourtant pas avoir été la préoccupation majeure des architectes romains, à en juger par la restitution du temple d'Avenches, proposée par Bridel (Ph.), Le sanctuaire de Cigognier, Aventicum III, Lausanne, 1981, p. 128-132, pi. 104, 105, 107. Carbuccia qui nous avertit de la présence dans les fouilles de nombreuses tuiles estampillées au nom de la Legio III Augusta, (op.c. fo 91) donne uniquement le dessin de quelques-unes de ces tuiles (ibid. pi. XXII de « Lambessa »). La courbure des portiques a dû imposer la fabrication de tuiles sur mesure, même si on replace à cet endroit des imbrices.

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Fig. 46. — Pilier nord du bâtiment central. Sur le chapiteau, retouches des annelets et de l'échiné, pour placer la corniche du portique nord.

Fig. 47. — Détail de l'appareillage du sommet du pilier nord avec l'encastrement du couronnement du portique. Les chiffres indiquent

le numéro des assises (sans échelle).

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RECHERCHES À LÁMBESE III 83

chapiteaux. Ici comme sur les ailes, nous avons replacé des chapiteaux corinthiens, mais des chapiteaux ioniques, ou « ionisants », ne seraient pas non plus déplacés.

Le couvrement des chapelles pouvait être assuré par un toit à une seule pente, soit, plus vraisemblablement, par une charpente en bâtière, avec une partie rayonnante vers l'avant, inversant ainsi le schéma de couvrement des pièces à abside. On remarque, à l'arrière des blocs de l'architrave (fig. 35), des entailles en queue d'aronde, où s'encastraient des poutres rayonnantes agissant comme des tirants. Au dessous, des entailles horizontales en sifflet ont pu servir à consolider le dispositif, à la pose du plafond, ou tout simplement à la mise en place des blocs. Actuellement, le lit de pose de l'architrave et le lit d'attente des corniches sont inaccessibles. Des relevés minutieux de ces blocs, dont la plus grande partie, sinon la totalité, est conservée, devraient permettre une restitution exacte de la charpente. Celles que j'ai tentées sont par trop hypothétiques pour être présentées ici.

Une date assurée

II est tout à fait clair que le temple a été conçu tel qu'il nous apparaît aujourd'hui. Les hésitations et les retouches qu'on a pu déceler au niveau des entablements ne sauraient être considérées comme les traces d'éventuels remaniements. Ce sont les témoins, d'ailleurs pleins d'intérêt, d'un ajustement sur place, lors du montage des blocs. L'inscription qui court d'une architrave à l'autre fournit, par la mention du règne conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Verus, une date comprise entre 161 et 169, année de la mort de ce dernier. Deux dédicaces, à Jupiter Valens et à Silvain, étaient, sans doute possible, placées sur les soubassements moulurés, contre le mur du fond des chapelles. Elles réduisent la fourchette chronologique à la période 161-162, puisque le dédicant, D. Fonteius Frontinianus L. Stertinius Rufinusaété légat de la Legio III Augusta entre 160 et 162 68. Nous sommes donc en présence d'un monument parfaitement daté. Son caractère exceptionnel ne dépend pas d'un trait unique, mais plutôt de la somme, de la conjonction, de plusieurs particularités de plan et d'ordonnance :

Utilisation au même niveau de deux ordres différents. Emploi de l'ordre dorique pour le temple central. Division tripartite incluse dans une courbe concave du plan général. Emploi de contre-courbes convexes pour les chapelles latérales. La superposition d'ordres différents dans les façades à étages de bâtiments élevés, théâtres,

amphithéâtres, nymphées, mausolées, n'est pas exceptionnelle. Leur juxtaposition est plus rare et ne se conçoit que pour des constructions, temples, portiques à deux nefs, où l'ordre inférieur peut être différent de l'ordre extérieur 69. Leur présence simultanée sur une façade n'a guère d'équivalents. On la rencontre

68 C.yill, 18089= ILS, 3841 =2579, a, b, c = inscriptions sur la frise ; d et e, inscriptions sur les dalles appuyées au mur des chapelles de Jupiter et de Silvain. Pour la légation de D. Fonteius Frontinianus L. Stertinius Rufinus : Thomas- son (B.E.), Die Statthalter, II, p. 178-180 ; Id., R.E., Suppl. XIII, col. 318. Les dates de son consulat sont également imprécises, 162 ou 163 (outre les remarques de B.E. Thomasson, v. P.I.R.2, A.472, p. 199).

69 Dès la fin du IVe s. avant notre ère, l'emploi de deux ordres différents, à l'extérieur et à l'intérieur des monuments, portiques ou temples, devient fréquent. Roux (G.), L'architecture de l'Argolide, p. 221-222.

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pourtant à Rome, où le forn ix central de Y Arcus Augusti, cantonné de colonnes corinthiennes, est flanqué de deux baies d'ordre dorique 70.

L'ordre dorique : une référence à Asklepios

La composition du temple de Lámbese est d'autant plus étonnante que l'ordre dorique n'est presque jamais employé dans l'architecture de l'Afrique romaine 71. En Tripolitaine, où des traditions hellénistiques ont pu perdurer, on ne se formalisera pas de la présence d'une frise dorique à l'intérieur de la basilique sévérienne de Leptis Magna 72. Encore doit-on reconnaître qu'il ne s'agit, en l'occurrence, que d'une citation dépourvue de fonction structurelle. Sur deux des mausolées élevés à Ghirza au IIIe ou IVe siècle de notre ère, la frise dorique qui règne au dessus d'une colonnade corinthisante est plus surprenante. Une superposition comparable se trouve pourtant, également dans un contexte funéraire, sur des monuments à dé, où une frise dorique est supportée par des pilastres ioniques ou corinthiens. Des tombeaux de ce type, souvent couronnés de puluini, se rencontrent en Italie comme en Narbonnaise,

70 Pour l'Arc d'Auguste élevé sur le forum romain vers 20 av. J.-C. : Andreae (B.), Archäologische Funde und Grabungen im Bereich der Soprintendenzen von Rom 1949-1956. A.A., 1957, p. 150-154 ; Degrassi (Α.), L'edifìcio dei Fasti Capitolini, R.P.A.A., t. 21, 1945-46, p. 57 ; Nash (E.), Bildlexicon zur Topographie des antiken Rom, vol. 1, Tubingen, 1961, p. 92-101. Il est clair que cet arc appartient à une époque de tâtonnements et d'essais architecturaux qui conduiront à la formule augustéenne de l'arc « triomphal » (Kahler (H.), Rome et son Empire. Paris, 1963, p. 48-55). Les colonnes doriques y occupent une position subalterne, aux fornices latéraux. Dans la baie axiale, l'ordre corinthien, le plus orné, bénéficie ainsi d'un surcroît de mise en valeur. C'est le parti inverse qui est utilisé à Lámbese, comme pour insister encore sur le symbole dont est porteuse l'ordonnance dorique du temple central. On relève, sur une terre cuite architectonique, la présence d'une tholos flanquée de portiques (?) corinthiens. Les colonnes de la tholos sont à cannelures torses, posées sur des bases et supportent des chapiteaux et une frise doriques : v. Rohden (H.), Winnefeld (H.), Die Antike Terrakoten, vol. IV, Architektonische römische Tonreliefs der Kaiserzeit. Berlin-Stuttgart, 1911, vol. 1, p. 274, vol. 2, pl. LXIX).

Le mélange des ordres à un même niveau, sinon dans le même bâtiment, apparaît comme une tentation intellectuelle qui s'exprime « impunément » dans la peinture murale, faute de pouvoir conquérir les espaces architecturaux. Un magnifique exemple est fourni par un panneau de la villa de Boscoreale où une tholos d'ordonnance corinthienne s'élève au centre d'une cour bordée de colonnes toscanes tandis que des colonnes avec des chapiteaux « a sofà » encadrent et divisent le panneau : Lehmann (P.). Roman Wall Paintings from Boscoreale. Cambridge (Mass.) 1953, p. 189-206 ; Borda (M.). La Pittura romana. Milan, 1958, p. 30-38 ; Ragghianti (C.L.), Pittori di Pompei. Milan, 1963, pl. 5. Dans la maison du labyrinthe à Pompéi, un panneau à peu près semblable est encadré par les colonnes de F« oecus corinthien » : l'espace réel participe à l'espace imaginaire : Lyttelton (M.), Baroque Architecture in Classical Antiquity. Londres, 1974, p. 17, fig. 16. On trouvera d'autres exemples de cette confusion voulue des styles dans la « phase architectonique » de la peinture du « second style » : Beyen, Die Pompejanische Wanddekoration, I, La Haye, 1938. v. aussi les superbes reproductions en couleur des fresques d'Oplontis : de Franciscis, La villa romana di Oplontis. Neue Forschungen in Pompeji und der anderen vom Vesuvansbruch 79 n. Chr. verschüttelen Städten, Recklinghausen, 1975, p. 9-38. Ces peintures mettent en scène des architectures comparables à celles des marchés (Ostie, Pouzzoles, Leptis, par exemple) et en particulier du Macellum Magnum de Néron, si l'on peut reconnaître ce marché dans la description donnée par Pirro Ligorio de ce qu'il pensait être une caserne des Vigiles, sur le Caelius : Fuchs (G.), Architekturdarstellungen auf römischen Münzen, t. I, Berlin, 1969, p. 46, pl. 12, fig. 133-135 ; pl. 13, fig. 136 ; Rainbird (J.S.) et Sear (F.B.), A Possible Description of the Macellum Magnum of Nero. P.B.S.R., vol. 39, 1971, p. 40-45.

71 A Cherchel, Pensabene (P.) n'en a rencontré qu'un exemplaire : Les chapiteaux de Cherche!. Étude de la décoration architectonique (1982). Alger, 1982, n° 1, p. 15 et pl. 2. L'absence en paraît totale dans le Tell tunisien : Ferchiou (N.), Architecture romaine de Tunisie. Tunis, 1975, p. 43. On notera pourtant qu'il est parfois difficile de définir un chapiteau comme toscan ou dorique quand il est séparé du reste de l'ordre : Lezine (Α.), Chapiteaux toscans trouvés en Tunisie. Karthago, t. 6, 1955, p. 13-29. Sur les chapiteaux doriques d'Afrique du Nord à haute époque : Lezine (Α.), Architecture punique. Recueil de documents. Tunis, s.d., p. 63-71. Il ne paraît pas utile de comparer ces chapiteaux avec ceux du temple d'Esculape, trop de siècles les séparent.

72 Romanelli (P.), Leptis Magna. Rome, 1925, p. 112, pl. Ill, fig. 46, 55-56 ; Floriani Squarciapino (M.), Leptis Magna. Bâle, 1966, p. 95-110. Au-delà de l'autel des Philènes existent des rémanences architecturales classiques encore plus nettes. Pour des raisons historiques évidentes, on ne peut à ce point de vue, établir un parallèle entre la Cyrénaïque et la Numidie méridionale.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 85

depuis la fin de la République jusqu'au début du Ier siècle de notre ère. Un exemple, au moins, est attesté en Afrique Proconsulaire 73.

Certes, l'abaque des chapiteaux de Lámbese manque de volume et d'indépendance vis-à-vis d'un echinos qui lui-même ne s'affirme pas avec autorité. Les annelets s'émoussent et présentent le profil mou de trois baguettes superposées. On a déjà noté l'absence au sommet du fût, de l'anglet et de l'amortissement des cannelures. Cependant, ces mêmes cannelures respectent avec soin la tradition dorique avec leurs arêtes vives sans listel intermédiaire. La sculpture des triglyphes, dépourvue de fantaisie, révèle aussi ce respect de la même tradition. L'ensemble, tous comptes faits, est assez bien venu. La réduction de la frise aux seuls triglyphes angulaires ne manque pas d'astuce. Elle affiche un louable souci de préserver, au moins en partie, la cohérence de l'ordre 74. Or, la composition architecturale s'efforce de mettre en valeur cet ordre dorique, totalement désuet au IIe siècle de notre ère. Je vois, dans cette apparente contradiction, la volonté d'affirmer avec force une référence à la Grèce classique et plus précisément aux grands Asklepieia, parmi lesquels celui d'Epidaure occupait la place eminente que l'on sait 75. L'état d'esprit qui transparaît dans l'architecture du temple de Lámbese est identique à celui de l'auteur d'une inscription de Carthage : au deuxième siècle de notre ère, il dédiait un petit autel de marbre Esculapio ab Epidauro 76.

73 Pour Ghirza : Goodchild (R.G.), Libyan Studies, éd. par Joyce Reynolds, p. 8, fig. 7. Brogan (O.) et Smith (D.), The Roman Frontier Settlement at Ghirza : an Interim Report. J.R.S., t. 47, 1 957, p. 1 73-1 84 ; pi. V 1 ; Vergara Caffarelli (E.) a fourni une notice très détaillée sur les tombeaux de Ghirza à Y Enciclopedia dell'Arte antica, classica et orientale, voi. Ili, Rome, 1960, s.v. Ghyrza, p. 866, fig. 1079 : Tombeau A de la nécropole du nord. En Africa, le mausolée de l'affranchi impérial C. Iulius Felix peut être daté de la période julio-claudienne : Ferchiou (N.), Remarques sur la politique impériale de colonisation en Proconsulaire au cours du premier siècle après J.-C. C.T., t. 28, 1980, p. 9-55, particulièrement p. 21-27 et fig. 3.

74 En partie, car les mutules et les gouttes font cruellement défaut au plafond de la corniche. La succession des triglyphes sur le bloc appartenant au côté du temple ne tient pas compte du rythme des colonnes. La présence des triglyphes uniquement aux extrémités de la façade, élimine le conflit dorique des angles qui conduisaient les architectes classiques à rapprocher les colonnes extrêmes ou à allonger les dernières métopes : Krauss (F.), Paestum, Die Griechischen Tempel2, 1943.

75 Une phrase de Pausanias révèle la position privilégiée du sanctuaire d'Epidaure : Τα γαρ Ασκλπιεϊα τα επιφανέστατα γεγονότα έζ Επιδανρον (11,26,8). Sur les méthodes « publicitaires » des

Asclepieia .-Roux (G.), L'architecture de l'Argolide, p. 187-200 et 389-390. La primauté du sanctuaire de l'Argolide se traduit, sur le plan architectural, par l'adoption du plan du temple principal construit vers 380 av. J.-C, dans au moins deux autres sanctuaires : on sait qu'il s'agit d'un temple périptère avec un secos sans opisthodome et une peristasis de 6 χ 1 1 colonnes. Les exemples de ce plan se rencontrent dans le temple d'Asklepios et d'Hygie à Gortys d'Arcadie, élevé vers le milieu du IVe s. av. J.-C. (Martin (R.), Sur quelques particularités du temple d'Esculape à Epidaure. B.C. H., t. 70, 1946, p. 353, n. 1 ; Martin (R.) et Metzger (H.), Gortys d'Arcadie, Chronique des fouilles en 1942. B.C. H., t. 66-67, 1942-43, p. 334-339 ; Metzger (H.), Chronique des fouilles en 1950, Gortys d'Arcadie. B.C. H., t. 75, 1951, p. 130-133 ; Ginouves (R.), Note sur quelques relations numériques dans la construction des fondations de temples grecs. B.C. H., t. 80, 1956, p. 105-109) et à Cos, où vers 160 av. J.-C. un temple dorique de plan identique s'installa sur la terrasse supérieure de Γ Asklepieion, supplantant l'ancien petit temple ionique élevé au début du IIIe s., après la mort d'Hippocrate, dans la patrie du plus célèbre des Asclépiades (Herzog (R.) et Schazmann, KOS, t. I. Asklepieion. Berlin, 1932). Il est tout à fait remarquable qu'au moment de la plus grande prospérité du sanctuaire de Cos, le nouveau temple élevé au dieu ait emprunté son plan à celui d'Epidaure. Le tableau que vient de publier Knell (H.), Dorische Ringhallentempel in spät- und nachklassischer Zeit, J.D.A.I., t. 98, 1983, p. 203-233, tableau p. 230, montre bien ce qu'aurait d'incongru la construction d'un périptère dorique en 160 avant notre ère, si on ne la rattachait pas à la tradition épidaurienne. Elle s'explique si l'on y reconnaît la trace d'une tentative de « récupération » par Cos du prestige qui s'attachait toujours à Epidaure. Les éventuelles divergences méthodologiques entre la « médecine théurgique » et la « médecine hippocratique » s'effacent devant les nécessités de la propagande.

La tradition d'une médecine grecque s'exprimant jusque dans l'architecture des établissements de cure apparaît également dans le sanctuaire de Pergame, où le côté oriental de la place est organisé de façon très théâtrale, avec une niche centrale accostée de deux façades corinthiennes, mais, comme le dit G. Gruben « Ce sont pour ainsi dire des façades de temples grecs auxquelles aucun édifice de même nature ne correspond plus » : Berve (H.) et Gruben (G.), Temples et sanctuaires grecs. Paris, 1965, p. 288. Toutes proportions gardées, nous ne sommes pas si éloignés du projet lambésitain.

76 A.E., 1968, 553.

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Contre l'avis des éditeurs, je pense que les termes employés expriment clairement le désir de distinguer le dieu grec des divinités guérisseuses locales, assimilées parfois à Esculape, mais héritières avant tout des dieux indigènes 77. Un génie local de ce genre, lié au culte des eaux, ne pourrait-il pas être identifié avec ce Jupiter que minimise l'épithète de Valens, et auquel l'architecture du temple assigne aussi une position secondaire ?

Ambivalence des courbes et dilution de l'espace

Admettre que l'emploi de l'ordre dorique pour le bâtiment central soit un manifeste en faveur d'une tradition grecque de la médecine, nous incite à chercher un symbole de même nature dans l'agencement compliqué des autres parties du monument. Dans sa récente étude du nymphée de Zaghouan, F. Rakob a établi une typologie des monuments où une cella s'insérait dans un système de portiques rectilignes ou semi-circulaires. Il a dressé un inventaire des bâtiments tant civils que religieux présentant ces dispositions 78. Je me permettrai donc de renvoyer à cet article, plus précisément à la planche 40 : y sont fort commodément regroupés les plans de ces édifices, ramenés à la même échelle.

Mon seul regret : que le savant architecte allemand n'ait pas donné une représentation en élévation ou même une vue perspective des monuments recensés, comme l'ont fait A. Boethius et J.B. Ward-Perkins pour le temple d'Esculape 79.

En effet, des monuments comparables par leur plan peuvent avoir dans la réalité une apparence et une fonction architecturale différentes. Comparons, par exemple, le plan du temple du Divin Trajan, cerné dans une cour, et les sanctuaires de Preneste et d'Orange, largement ouverts sur le paysage 80. Dans

77 Ferron (J.) et Saumagne (Ch.), Adon-Baal, Esculape, Cybèle à Carthage. Africa, t. 2, 1967-68, p. 75-137 : « Quant à cet Esculape si vénéré, on a beau insister sur son ethnique épidaurienne, ce n'est pas à la Grèce que pensent ses dévots de Carthage, mais bien... à cet Eshmoun-Asklépios, à ce « démon des Carthaginois » du serment d'Hannibal » (p. 109). Il me semble singulier qu'on puisse parmi ces dévots inclure C. Fonteius Doryphorus, prêtre de Cybèle et d'Attis, dédicataire de l'inscription pro salute Aug(usti). Nous aurons à revenir sur la personnalité de l'Esculape de Lámbese. Disons déjà qu'il a pu succéder à une divinité indigène, mais qu'au second siècle de notre ère, dans le contexte lambésitain, il paraît bien étranger à une tradition punique. V. pourtant le commentaire de ΓΑ.Ε., 1968, 553.

78 Rakob (F.), Das Quellenheiligtum in Zaghouan und die römische Wasserleitung nach Karthago. M. D.A.I. (R.), t. 81, 1974, p. 41-89, cité inf. Das Quellenheiligtum.

79 Boethius (Α.), Ward-Perkins (J.B.), Etruscan and roman Architecture. Harmondsworth, 1970, fig. 187 c, p. 492. Des représentations en perspective, dessins ou photographies de maquettes existent pour certains des monuments présentés par F. Rakob. Je reproduis fig. 51, 52, une restitution de Hammam Berda, et fig. 53 celle du sanctuaire de Val Catena. Les dessins anciens de Zaghouan livrés par F. Rakob pi. 70-73 complètent admirablement les photographies de la maquette du monument, pi. 73-75 et les clichés du site, pi. 40-41. Dans l'ouvrage de Fasolo (F.) et Gullini (G.), Il Santuario della Fortuna Primigenia a Palestrina, Rome, 1953, une axonométrie (pi. Ili) permet d'apprécier le jeu des volumes : ν. aussi dans le compte rendu de Kahler (H.), Gnomon, t. 30, 1958, p. 366-383, la planche p. 372. Une vue frontale de l'hémicycle du nymphée de la villa d'Anguillara Sabazia accompagne la publication de Vighi (R.), Architettura curvilinea romana. La uilla ad esedra dell'Acqua Claudia.

Palladio, t. 5, 1941, p. 145-157, fig. 4 et 5 : le dessin est repris dans Crema (L.) L'Architettura romana. Turin, 1959, Enciclopedia Classica, III, vol. XII, t. 1, p. 235, fig. 252. Pour la villa de Montmaurin, v. les photographies aériennes, pi. XVIII-XIX, de Fouet (Α.), La villa gallo-romaine de Montmaurin. XXe Suppl. à Gallia, Paris, 1969. A comparer plans et reconstructions, on se rend compte à quel point la théâtralité monumentale qu'on pourrait déduire des premiers disparaît dans le resserrement des volumes en élévation (par exemple, Bauer (H.), Kaiserfora und lanustempel. M. D.A.I. (R.), t. 84, 1979, p. 301-329 : rapprocher la reconstruction isométrique de la fig. 1, du plan de la fig. 3). La même situation se retrouvait sans aucun doute au temple du Divin Trajan (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 22) où l'exiguïté relative de la cour ne donnait pas au spectateur le recul nécessaire pour apprécier l'insertion du Temple dans les courbes des portiques latéraux.

80 A vrai dire le sanctuaire d'Orange, situé près du théâtre, reste bien mal connu. Je ne reviendrai pas sur les différentes interprétations proposées (Grenier (Α.), Manuel d'Archéologie gallo-romaine, t. III ', Paris, 1958, p. 180-188, plans fig. 45 et 50) et qui paraissent toutes erronées ou incomplètes. Notons par exemple que, devant le temple, sous-tendant en quelque sorte la courbe dans laquelle il s'insère, on a mis au jour les restes d'un nymphée.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 87

ces deux derniers cas, les dénivellations naturelles, soutenues par l'architecture, ont le premier rôle. Deux plans, comme ceux de Dougga et de Vernègues 81, si proches qu'ils en sont presque superposables, traduisent une conception bien différente : ils ne reflètent en rien le jeu des volumes imposé par la topographie. L'implantation d'un monument est un des éléments de sa signification.

Ni le rôle architectural, ni la mise en scène ne sont d'autre part comparables dans le cas d'un espace clos, comme le prétendu nymphée-théâtre (?) des thermes dits de Sosandra à Baies 82 ou le vestibule de la villa de Piazza Armerina 83 et dans celui d'un volume largement ouvert comme dans les uillae d'Anguillara Sabazia 84 (fig. 48), de Tettingen 85 ou de celle qui est représentée sur une fresque, dans le triclinium de la maison de Lucretius Fronto, à Pompei 86.

Fig. 48. — Vue perspective de la façade de la villa d'Anguillara Sabazia (d'après Vighi).

81 Pour le temple de Vernègues (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 21) qui est probablement un sanctuaire de source (Grenier (Α.), p. 280-285, plans fig. 74 et 75), il faudrait rajeunir les études anciennes de Clerc (M.), Le temple romain du Vernègues. Annales de la Faculté des Sciences de Marseille, 1908, p. 129-162, et de Formige (J.), Le Vernègues. Congrès Archéologique de France, 95e Session (Aix-en-Provence, Nice) 1932, Paris, 1933, p. 144-156. Pour Dougga, Poinssot (Cl.), Les ruines de Dougga, Tunis, 1958, p. 41-44, fig. 4 et pi. VIII-IX ; Id., La recherche de l'effet monumental et l'utilisation des difficultés naturelles du terrain à Thugga au IIe et IIIe s. après J.-C. Atti del séptimo congresso internazionale di Archeologia classica, Rome, 1961, p. 256. Ces structures en D font aussi partie du « mobilier urbain » de l'Antiquité. Dans le cas des macella, elles répondent à des impératifs fonctionnels : Fedele (L.), Mercati e piazze antiche, Storia ed architettura. Naples, 1954. Deux exemples africains sont bien connus. A Timgad : Boeswillwald (E.), Cagnat (R.), Ballu (Α.), Timgad, une cité africaine sous l'Empire romain, Paris, 1905, p. 313-316, fig. 147, pi. XXXIX et XL ; à Gigthis : Constans (L.A.), Rapport sur une mission archéologique à Borghara (Gigthis). Nouvelles archives des missions scientifiques et littéraires, fase. 14, 1916, p. 87-91, pi. XIII. En revanche la fonction « décorative » est déterminante, à Ostie, dans Y aula absidata installée tardivement contre le « forum de la statue héroïque », en face d'un nymphée (Calza (G.), Scavi di Ostia, 1. 1 : Topografìa generale. Rome, 1953, p. 159, pi. 8) et dans la Porticus absidata de Rome (Marchetti-Longhi (G.), Senatus ad palmam, porticus curva et porticus absidata. R.P.A.A., t. 25-26, 1949-1951, p. 183-229 ; Carettoni (G.), Colini (A.M.), Cozza (L.), Gatti (G.), La pianta marmorea di Roma antica. Forma Urbis Romae, Rome, 1960, p. 73, pi. XX ; Nash (E.), Bildlexicon zur Topographie des antiken Rom, t. II, Tübingen 1962, p. 235). V. en dernier lieu, Bauer (H.). Porticus absidata. M.D.A.I. (R.), t. 90, 1983, p. 111-184.

82 Neuerburg (Ν.), L'Architettura delle fontane e dei Ninfei nell'Italia antica. Naples, 1965, p. 139-140. La vasque circulaire, tangente à l'hémicycle, à l'emplacement de l'orchestre (Id., fig. 109) n'apparaît pas sur le plan de F. Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 8.

83 Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 12. On trouvera une axonométrie de la villa, en particulier dans Piace (Β.), / mosaici di Piazza Armerina, Rome, 1955, pi. I, et dans Kahler (H.), Die Villa des Maxentius bei Piazza Armerina. Monumenta Artis Romanae, t. 12, Berlin, 1973, fig. 2.

84 Rakob, Das Quellenheiligtum, pl. 40 6 ; supra, n. 67. 85 Ibid., pi. 40 9. 86 RosTOVTZEFF (M.), The social and Economie History of the roman empire2, Oxford, 1957, p. 104, PI. VIII1 ;

Pompeianische Landschaften und römischen Villen. J. D.A.I., 1904, p. 103-126, pi. Vi avec un plan schématique de la villa représentée sur la fresque ; repris par Crema (L.), op. cit., n. 65, p. 325, fig. 367-368. On trouvera d'autres exemples, sans doute moins éclairants, dans Rostowzew (M.). Die Hellenistischrömische Architekturlandshaft. M.D.A.I. (R.), t. 26, 1911, p. 1-185.

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88 M. JANON

La notion d'un espace clos, où se combinent des portiques demi-circulaires et un segment rectiligne, nous renvoie immédiatement à la description de Pline le Jeune d'un portique en forme de D, cernant une cour «paruula sed festiua » 87. On ne peut que regretter que Pline n'ait pas éprouvé le besoin de préciser en quoi l'espace ainsi délimité lui paraissait « charmant ». Je ne crois pas qu'il attribuait cet agrément à l'orientation, au décor ou à tout autre caractère étranger à la structure : en opposant paruula à festiua, il indique bien que les courbes des portiques diluent en quelque sorte l'espace en privant l'œil des références « normales » qu'offrent les lignes droites. Ainsi, les dimensions de la cour n'ont plus guère de sens, l'attention est sollicitée par autre chose, les jeux de la lumière ou l'ambiguïté d'un espace mal défini, et plus encore le remodelage constant subi par les volumes, au regard d'un promeneur aussi bien dans la cour que sous les portiques. Ce serait faire dire beaucoup aux trois mots de Pline si le dispositif qu'il décrit n'avait eu un succès certain dans le monde romain. On retrouve ces portiques en D dans la villa de Montmaurin 88, comme dans la demeure urbaine des Antistii 89 et dans de nombreux thermes 90. Ils ne sont jamais imposés par des impératifs fonctionnels, ils compliquent plutôt l'agencement des volumes contigus. Leur seule justification est bien de créer un espace «festiuus ».

Dans le cas où l'espace reste largement ouvert vers l'extérieur, une vision à peu près identique est proposée à un observateur situé sous les portiques. Il s'y ajoute que le monument peut maintenant être vu de l'extérieur et d'assez loin. Ainsi, est créée une structure d'« accueil », délimitant une zone de transition où l'on n'est plus tout à fait à l'extérieur, sans avoir encore franchi un seuil. Il s'agirait là d'une notion extrêmement ancienne, si l'on veut bien interpréter dans le même sens aussi bien les tombeaux « à antennes » du Sahara (fig. 49), que l'hémicycle en façade des « tombes de géants » de Sardaigne

Fig. 49. — Tombeau à antennes du Sahara (d'après M. Reygasse).

87 On pourra se reporter au plan schématique dressé par Van Buren (A.W.). Pliny's Laurentine villa. J.R.S., t. 38, 1948, p. 35-36, selon les indications de Pline, Ep., II, 17 4 : Villa usibus capax, non somptuosa tutela. Cuius in prima parte atrium frugi nee tarnen sordidum, deinde porticus in D litterae similitudinem circumactae, quibus paruola, sed festiua area includitur.

88 Fouet (G.), La villa gallo-romaine de Montmaurin, cité n. 79, p. 75-77, fig. 23-28. 89 Gsell (St.) et Joly (Ch. Α.), Khamissa, Mdaourouch, Announa, 3e partie, Announa. Alger-Paris, 1918, p. 81-88,

pi. XVIII. Le même dispositif existe dans la villa de Rielves : Cruz Fernandez Castro (M.), Villas romanas en España; Madrid, 1982, p. 111, plan fig. 84 E, p. 105 ; fig. 95 E, p. 181, et fig. 53 dans le recueil de plans. Une reconstruction de la villa est présentée fig. 54, p. 111. Un portique en forme de D est figuré sur un petit médaillon de la mosaïque de la Vega Baja, près de Tolède : Ibid. p. 30.

90 A Barcola (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 IO), la cour fermée par un mur rectiligne correspond bien à ces espaces clos. En revanche, la façade des thermes de la villa de Val Catena dans l'île de Brioni grande, s'ouvre sur la mer : v. le plan général du site donné par Gnirs (Α.), Forschungen in Istrien. J.Ö.A.I., t. 10, 1907, Beiblatt, p. 46 ; repris par Crema (L.), op. cit. n. 67, p. 325 et fig. 370. La palestre des thermes du sud à Timgad utilise le même principe d'un espace clos : Boeswillwald (E.), Cagnat (R.), Ballu (Α.), Timgad, une cité africaine sous l'Empire romain. Alger- Paris, 1905, p. 217-257, pi. XXVI, XXVII, XIX, XXXI. Aux thermes d'Oued-Athménia, célèbres pour leurs mosaïques, un portique semi-circulaire avec promenoir cerne une piscine froide. Sur le premier plan, publié par Poulle (Α.), Les Bains de Pompeianus, R.S.A.C.,

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RECHERCHES À LÁMBESE III 89

Fig. 50. — Tombe de Sardaigne.

(fig. 50) 91. L'exemple des portes de villes, en demi-lune flanquée de tours rondes, outre que, par le jeu des courbes et des contres-courbes, il nous rapproche du temple d'Esculape, est très éclairant 92. On conçoit parfaitement qu'avant de passer la porte, on est déjà sous le contrôle de l'organisation urbaine, accueilli si l'on se présente en ami, exposé à ses défenseurs si l'on est hostile. A cette dualité de la forme architecturale vue de l'extérieur correspond une ambiguïté sinon une duplicité dans son appréhension à

t. 19, 1878, p. 431-454, le mur du fond du portique est scandé par des harpes de pierre. Une étonnante erreur d'interprétation fit confondre ces harpes avec les bases de colonnes d'un portique ouvert vers l'extérieur du bâtiment (dossier de reproductions chromolithographiques, supplément au R.S.A.C.), dispositif pour le moins inattendu, mais accepté, malgré les corrections de Gsell (S.), Monuments antiques, t. 2, p. 23-26, fig. 88, par tous les éditeurs successifs, de Daremberg (Ch.) et Saglio (Ed.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. III 2, Paris, 1904, s.v. Musivum, p. 2108, fig. 5246, à Alquier(J. et P.), Les thermes romains de Val d'Or près d'Oued-Athmémia. R.S.A.C., t. 57, 1926, p. 81-118. L'examen des plans suffit pour convaincre du bien-fondé des corrections de S. Gsell. Une visite du site n'a fait que renforcer ma conviction.

91 Je dois ce rapprochement à une remarque de G. Camps qui, dans Aux origines de la Berbérie. Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, 1961, p. 175-176, note la rareté de ces monuments dans le Maghreb, alors qu'ils « paraissent très nombreux au Sahara où ils constituent le groupe très diversifié des idebnan en forme de V. Au Sahara les bras s'écartent du monument en déterminant un espace en forme d'éventail qui a pu être une sorte de pronaos. Mais la construction, qu'on veut croire postérieure, de petits tumulus annexes à l'extrémité de l'un ou des deux bras rend encore plus difficile la compréhension de ces éléments ». Reygasse (M.), Monuments funéraires préislamiques de l'Afrique du Nord. Paris, 1950, p. 56-62, fig. 64-72. Je reproduis ici la fig. 66. Pour les « tombes des géants » : Zervos (Ch.), La civilisation de la Sardaigne du début de l'énéolithique à la fin des temps nouragiques. Paris, 1954, fig. 311-313 ; Guido (M.), Sardinia, Londres, 1963, fig 23-24, où sont regroupés les plans de plusieurs de ces monuments. Le plan ici reproduit (fig. 50) est extrait du catalogue d'une exposition organisée en 1980 par le Badisches Museum de Karlsruhe et le Museum für Vor-und Frühgeschichte de Berlin : Kunst und Kultur Sardiniens vom Neolithikum bis zum Ende der Nuraghenzeit. Karlsruhe, 1980, fig. 80).

92 A Fréjus, la porte « des Gaules » et la porte « de Rome » : Février (P.- A), Fréjus (Forum Iulii) 2, Cuneo, 1977, p. 72, 78-80, fig. 35. A Tipasa, les portes « de Caesarea » et d'« Aquae Calidae » Duval (P.-M.), Cherchel et Tipasa, recherches sur deux villes fortes de l'Afrique romaine, Paris, 1946, p. 38-53, plan fig. 3 et 5, et inventaire des portes en demi-lune, n. 3 p. 49. A la porte de Caesarea, des colonnes engagées animent la concavité de la demi-lune. Il ne semble pas y avoir de décor semblable à la porte occidentale de Cherchel (porte « de Tipasa »), qui a le même plan, d'après les relevés inédits de L. Gazagne, conservés à la Direction des Antiquités à Alger.

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partir de l'abri qu'elle offre. S'y exprime toute une dialectique entre l'extérieur et l'intérieur, traduisant les rapports complexes qui existent entre protégés et protecteurs, entre dominants et dominés 93. C'est à la même sémiologie qu'ont obéi les dessinateurs de la Table de Peutinger en indiquant les ports par des portiques concaves au bord de l'eau : le port n'est pas tout à fait la mer, il n'est pas encore la terre. Il protège des dangers du large et il en ouvre l'accès. La valeur du signe était parfaitement comprise : le même dessin est couramment utilisé pour représenter les ports sur les mosaïques « marines » 94.

L'eau suggérée

Cela nous conduit à une série de monuments qui présentent avec le temple d'Esculape de notables analogies, non seulement dans leur plan, mais aussi dans les volumes mis en œuvre. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il s'agit de monuments ou de sanctuaires des eaux. Aux trois exemples africains réunis par F. Rakob, Zaghouan bien sûr, Henchir Tamesmida et Hammam Berda (fig. 51 et 52), j'ajouterai, bien qu'il ne s'agisse pas avec certitude d'un monument des eaux, un édifice de Val Catena (Brioni Grande) dont A. Gnirs a publié le plan et esquissé la restitution (fig. 53) 95 : face à la mer, un portique concave relie un temple placé dans l'axe à deux petits sanctuaires latéraux. J'emploie les termes « temple » et « sanctuaire » car je vois mal quelle fonction autre que cultuelle pourrait convenir à cet ensemble. L'hypothèse religieuse est encore renforcée par l'existence d'un autel ou d'un piédestal devant le bâtiment central.

93 Même dans une lecture pratique, tactique, du plan, l'avant-cour flanquée de tours ne saurait avoir pour seule fonction, celle de « piège » (Duval (P.-M.), op. c, p. 53). Elle est aussi protection quand une sortie se prépare, et offre l'abri de ses tours au détachement qui s'y réfugie. Il reste à en explorer le rôle symbolique. Quittons le domaine militaire : il est un peu schématique de parler, comme je l'ai fait, de structure « d'accueil » à propos des vastes façades des villaede Tettingen (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40 9), de Montmaurin (supra, n. 67), de Barcola (Gnirs (Α.), Forschungen über antiken Villenbau in Südistrien, J.Ö.A.I., t. 18, Beiblatt, flg. 62, d'après Puschi (Α.), Edificio romano scoperto nelle villa di Barcola. Archeografo Triestino, t. 16, 1980, p. 819) ou de bien d'autres. Elles révèlent chez leur occupant une claire volonté d'appropriation du paysage, sinon du terroir. C'est le même sentiment qui devait animer le riche propriétaire dont la villa est représentée sur une mosaïque de Cincari (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 75 2). A ce propos, on ne peut suivre le premier éditeur de ce pavement qui écrivait : « L'ensemble de l'édifice « cadre » trop bien avec la forme du registre... pour ne pas avoir été inventé, sinon de toutes pièces, du moins en ce qui concerne son ordonnance générale » : Quoniam (P.), Une mosaïque à scène de chasse récemment découverte à Henchir Toungar (Tunisie). Karthago, t. 2, 1951, p. 114. La façade concave avec les trois édifices, l'un au centre, les autres aux extrémités de la courbe, s'inscrit, nous le voyons, dans une série bien fréquentée.

94 La représentation, sur la table de Peutinger, des ports par un bâtiment semi-circulaire, n'est pas systématique. Seuls sont ainsi indiqués Ostie et le port de Fos. Sur les vignettes de la carte, voir la dernière édition, avec le commentaire de Weber (E.) Tabula Peutingeriana, codex Vindobonensis 324, Graz, 1976, p. 14-16.

Pour les mosaïques : à El-Alia, Gauckler (P.), C.R.A.I., 1898, p. 828, reproduite dans le Dictionnaire des Antiquités s.v. musivum, p. 2089, fig. 5230 ; Id., Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l'Afrique, t. II, Afrique Proconsulaire (Tunisie). Paris, 1910 ; 2 volumes de planches, Paris, 1913 et 1914, n° 94 : A Carthage, n° 671 ; au musée archéologique de Tolède, pavement trouvé à la Vega Baja de Toledo : Blazquez (J.-M.), Mosaicos romanos de la real Academia de la Historia, Ciudad Real, Toledo, Madrid y Cuenca. Corpus de mosaicos de España, fase. V, Madrid, 1982, n° 25, p. 33-36, pl. 16 et 46 ; à Piazza Armerina : Gentili (A.V.), La villa erculia di Piazza Armerina. I mosaici figurati. Rome, 1959, fig. 6 et PI. XXXVIII.

Le signe convenait parfaitement aux représentations de ports, particulièrement du port d'Ostie, sur les monnaies : Fuchs (G.), Architekturdarstellungen auf römischen Münzen, 1. 1, Berlin, 1969, p. 46 et 63, pi. 13, fig. 131-132. Voir aussi pl. 19, fig. 158, la vignette sur parchemin. Notons au passage que le temple pergaménien de Zeus-Asklepios offre à Aelius Aristide, comme il l'indique lui-même par périphrase, « la sécurité du port ».

95 Gnirs (A.) Antike Funde aus Pola und Umgebung. J.Ö.A.I., t. 7, 1904, Beiblatt, col. 131-141. Le dessin repris ici est celui de la fig. 23 ; Id., Forschungen in Istrien. J.Ö.A.I., t. 10, 1907, Beiblatt, col. 43-50 ; Id., Forschungen in südlichen Istrien. J.Ö.A.I., t. 11, 1908, Beiblatt, col. 168-173.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 91

Fig. 51. — Relevé anonyme des ruines de Hammam Berda.

A Zaghouan, le bassin en avant des portiques n'a qu'un rôle anecdotique, en raison de sa taille modeste plus que par son plan en cercles sécants, assez remarquable. Il n'en est pas de même à Henchir Tamesmida, où le vaste réservoir circulaire, dans un paysage de plaine, se voit conférer une place

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Fig. 52. — Essai anonyme de restitution du sanctuaire de Hammam Berda.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 93

Fig. 53. — Sanctuaire de Val Catena (d'après A. Gnirs). Les quais rectilignes au premier plan ne sont nullement assurés.

eminente. A Hammam Berda, l'eau n'est plus enfermée seulement dans le cercle du réservoir 96, elle pénètre dans le fer à cheval des portiques pour participer au jeu architectural, comme elle le fait au « Canope », mais plus encore au « Teatro marítimo » de la Villa Hadriana 97.

A Val Catena, tout semble avoir été mis en œuvre pour suggérer un espace à la fois illimité et centralisé. Les références orthogonales de la perspective se dissolvent entre les courbes des portiques et l'infini de l'horizon marin. Le temple central et l'autel, ou la statue, qui le précédait y gagnaient une exceptionnelle importance. Cette architecture ne peut être que le reflet de toute une cosmogonie. Nous sommes loin de l'intimité charmante de la cour de Pline 98.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici le prix de l'eau sous les cieux méditerranéens pour comprendre que la seconde solution architecturale, celle d'un volume largement ouvert, ait pu être de préférence utilisée pour marquer et éventuellement sacraliser les emplacements des sources. Le plan en demi-cercle était le mieux adapté pour protéger le jaillissement de l'eau, tout en permettant son écoulement ". On peut même lui attribuer une fonction quasi magique, promettant la pérennité de la

96 A Hammam Berda, les relevés anciens, anonymes, que nous publions ici, permettent de penser à un sanctuaire des eaux et sans doute à un établissement de cures thermales, installé à proximité d'une source chaude. Gsell (S.) Atlas, f. 9, 92 ; Id., Monuments I, p. 240, pi. LXIV, et suppl. ; Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 40.5. Kahler (H.), Hadrian und seine Villa bei Tivoli. Berlin, 1950.

97 AuRiGEMMA (S.), Villa Hadriana. Rome, 1961. 98 Comme Gnirs l'avait déjà noté, la villa de Val Catena est l'exemple bâti le plus proche des villae marines des

peintures campaniennes. A cet égard, on pourrait presque penser que le bâtiment cultuel de Val Catena est le modèle de celui qui est représenté sur une peinture de Pompei, au Musée de Naples (Rakob, Das Quellenheiligtum, pi. 76). On retrouve dans cette forme architecturale, utilisant le site privilégié de l'île de Brioni Grande, l'idée même du Bernin pour lequel les colonnades de la Place Saint-Pierre embrassaient l'univers (cité entre autres par Rakob, Das Quellenheiligtum, p. 88, η. 67).

99 Ce plan est aussi une traduction des résurgences abritées par une grotte naturelle. Le plus bel exemple en est sans doute le « temple-nymphée », « Serapeum », « Grottentriklinium », au bout du Canope de la Villa Hadriana : Aurigemma (S.), op.c, n. 84, p. 100-133. Plan entre les pages 104 et 105. Reconstitution fig. 94. Plan détaillé du « temple-nymphée », fig. 84 ; Id., Lavori nel Canopo di Villa Hadriana. B.A., t. 15, 1950, p. 64-78 ; t. 39, 1954, p. 327-340.

La ressemblance des plans du « temple-nymphée » et du temple d'Esculape de Lámbese est frappante. V. aussi Rakob (F.), Ein Grottentriklinium in Pompeji. M. D.A.I. (R.), t. 71, 1964, p. 182-194.

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source. On ne s'étonnera donc pas de retrouver ce plan en U à l'intérieur des villes, transportant en quelque sorte la résurgence au centre de la cité : il est fréquent, plus ou moins affirmé, dans l'architecture des nymphées et des fontaines 10°.

Or le temple d'Esculape peut se comparer à un nymphée. Par son plan, il se rapproche du type « à exèdre » de N. Neuerburg 101. Comme ce dernier et le type « à façade », il ne supporte qu'un point de vue frontal. Une vision latérale, peu gratifiante au demeurant, est de toute façon interdite par son implantation et son architecture. On comprend que les parties arrières du bâtiment soient d'une construction assez sommaire. Invisibles, elles n'avaient pas besoin d'être soignées.

On oserait même suggérer un rapprochement avec les fontaines « a grotta » de N. Neuerburg, en considérant la position de la cella 102. Complètement rejetée derrière la façade, elle rappelle les cavités, naturelles ou aménagées, abritant les sources et les fontaines. Il est vrai que la conception du temple justifie ce recul de la cella et qu'on peut, pour l'expliquer, faire aussi appel aux besoins de la liturgie des Asclepieia 103.

Le parti choisi par l'architecte de Lámbese d'opposer aux courbes des ailes, les contre-courbes des chapelles, ne manquait pas d'habileté dans son principe. Il est clair que la terminaison « abrupte » des portiques de Zaghouan, de Hammam Berda ou de Henchir Tamesmida n'était pas très satisfaisante. Les petits bâtiments placés à l'extrémité des portiques (?) d'Anguillara-Sabazia (fig. 48) et de ceux de Val Catena, introduisent un rythme ternaire dans la composition architecturale. Pour un observateur placé vers l'avant, ils justifiaient les portiques en leur assurant une « chute » ponctuée par des volumes nouveaux. Restait entier, pourtant, le problème sur lequel nous avons vu trébucher l'architecte de Lámbese : de chaque côté de la façade se présentaient deux murs aveugles, rectilignes. Seuls, à ma connaissance, la façade concave de la villa de Tettingen, ou le porche de Barcola, flanqués de deux édicules convexes, devaient assurer un glissement sans heurt du regard. Encore faudrait-il être assuré de leur aspect en élévation.

100 On doit rappeler ici qu'il n'y a pas d'opposition formelle à rapprocher des constructions « marines » et des monuments des sources. En Afrique en particulier, Neptune devient souvent le dieu des sources : Petitmengin (P.), Inscriptions de la région de Milev. M.E.F.R., t. 79, 1967, p. 165-205, plus précisément p. 165-205, actualise une remarque déjà ancienne de Toutain (J.), Les cultes païens dans l'empire romain, I, Les provinces romaines, t. 1, Paris, 1907, p. 372-384, qui réduisait la dualité de Neptune par la résurgence provinciale d'une unique divinité italique, hypothèse que viennent conforter, dans une certaine mesure, les études récentes : Ruch (M.), La capture du devin. R.E.L., t. 44, 1966, p. 333-350, surtout 337-338 ; Dumézil (G.) Mythe et épopée, t. 3, Histoires romaines, Paris, 1975, chap. 1 : La saison des pluies, particulièrement p. 39-62. L'assimilation des ouvrages d'hydraulique à des dispositifs naturels transparaît dans le vocabulaire technique : le mot lacus désigne aussi un réservoir artificiel ; le terme salientes s'applique aux sources comme aux fontaines publiques : Callebat (L.), Le vocabulaire de l'hydraulique dans le livre VIII du De Architectura de Vitruve. R.Ph., 48, 1974, p. 313-329.

101 Neuerburg (N.), L'architettura delle fontane e dei ninfei nell'Italia antica. Naples, 1965, p. 53-59 pour le type « ad esedra semicircolare », p. 73-80 pour les nymphées « a facciata ». On a souvent des difficultés à distinguer les deux « types ».

102 Neuerburg (N.), op. c, p. 31-39. Voir la bibliographie citée ici, n. 86. 103 Inf. p. 108-109 et n. 96-97. L'hypothèse d'une référence architecturale au « tophet » punique, avec, dans la tradition

sémitique, un « Saint des Saints », nettement séparé de l'aire rituelle, me semble déplacée dans le cas de Lámbese. Sur les « temples orientaux » en Africa, Lezine (Α.), Architecture romaine d'Afrique. Recherches et mises au point. Tunis, s.d. (1961), p. 99-118. On notera la prudence avec laquelle Boethius (A.) et Ward- Perkins (.f.·!}.), Etruscan and Roman Architecture, Harmondsworth, 1970, p. 493, utilisent cette « distinction between the « Punic » and the « Roman » types, never sharply drawn ». En fait, la position de la cella, séparée du pronaos par un « promenoir », comme à Lámbese, n'existe guère qu'à Aventicum, au temple du Cigognier, où la section centrale d'une portiçus triplex traverse, en quelque sorte, le temple : Bridel (Ph.), Le sanctuaire du Cigognier, Aventicum III, Lausanne, 1982. La restitution du temple d'Auguste à Conimbriga, proposée par Alarcao (J.), et Etienne (R.), Fouilles de Conimbriga, I, L'Architecture, Paris, 1977, p. 32-34, pi. XI-XIII, indiquerait un dispositif comparable. On prendra garde, toutefois, aux réserves formulées par Gros (P.), dans son compte rendu, R.A., 19792, p. 349-350.

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RECHERCHES À LÁMBESE III 95

Fig. 54. — Olympic Le nymphée d'Hérode Atticus (d'après S. Settis).

Pour résoudre cette difficulté, l'exèdre d'Hérode Atticus utilise un agencement des volumes proche de celui de Lámbese 104. A Olympie, cependant, les contre-courbes latérales ne sont pas organiquement liées à la façade. Le rôle d'émousser la rigidité des lignes projetées vers l'avant revient à deux petites tholoi indépendantes (fig. 54). Le nymphée d'Atticus est contemporain du temple de Lámbese. Il révèle la même sensibilité architecturale. C'est aussi un représentant important de l'utilisation des « exèdres » semi- circulaires dans l'architecture des fontaines.

On ne peut sans doute pas se contenter, pour expliquer la structure du temple de Lámbese, d'évoquer vaguement l'influence de la mode « baroque » qui venait d'être superbement illustrée par les architectu-

104 Settis (S.), // Ninfeo di Erode Attico a Olimpia e il problema composizione della Periegesi di Pausania. A.S.N.P., s. 2, t. 37, 1968, p. 1-63 ; Id., « Esedra » e « Ninfeo » nella terminologia architettonica del mondo romano. Dall' età repubblicana alla tarda antichità. ANRW 1, 4, fig. 15. Dans les entrecolonnements cohabitaient les statues des familles d'Antonin le Pieux et de Hérode Atticus : Dittenberger (W.) et Purgold (K.), Die Inschriften von Olympia. Ed. an., Amsterdam, 1966, n° 610-628 et col. 615-620.

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res de la Villa Hadriana. Dans l'Europe du XVIIe siècle, les témoins ne manquent pas de ce goût pour les façades agencées en courbes et contre-courbes. Le germe s'en retrouve peut-être dans les escaliers en demi-cercle qui ponctuent avec légèreté les porches de la place Saint- Pierre. Un autre exemple spécifiquement « baroque » nous reconduit sur la voie d'une symbolique « aquatique ». On peut remarquer, en effet, que le plan choisi par Alessandro Specchi pour les escaliers de la porte de Ripetta, au bord du Tibre, n'est pas sans rappeler, un peu dans les détails, beaucoup par l'esprit, celui des degrés du temple d'Esculape 105. Ils assurent la transition entre les eaux du fleuve et les architectures urbaines. Ils sont une représentation construite du flot autant qu'un accès à la terre ferme. Notons, dans le même registre, que les fontaines de péristyle portent régulièrement de petits escaliers sur lesquels l'eau cascadait 106. Faire mention de la « fluidité » des escaliers de Lámbese est peut-être autre chose que le recours à une image, si l'on songe aussi aux contreforts internes semi-circulaires des réservoirs de retenue d'eau de Tunisie 107 et au mouvement des marches dans le bassin de Zaghouan. Dans la conception du temple d'Esculape, il semble donc qu'on puisse attribuer au dessin des marches un rôle important, certes, mais complémentaire : sans escaliers, l'architecture du « Teatro marítimo » ne trouve un sens complet que dans son reflet. A Lámbese, les escaliers précisent le symbole suggéré par le mouvement des ailes et des chapelles.

L'hypothèse d'une représentation de l'eau par l'architecture est renforcée par la présence probable d'une fontaine dans un des deux édicules qui encadrent le temple et qui pourraient, nous allons le voir, en être contemporains. Ce serait sans étonnement qu'on verrait de nouvelles fouilles mettre au jour, devant le temple, un bassin alimenté par cette fontaine, ou par un autre moyen. Il n'est pas indispensable d'espérer un résultat aussi hasardeux pour justifier la présence symbolique de l'eau : l'ampleur des annexes thermales démontre assez l'importance de l'hydrothérapie dans le sanctuaire. L'eau n'est-elle pas, comme le dit Aelius Aristide (XXXIX, 1 1), « la servante et l'auxiliaire du plus généreux des dieux » ?

L'indice d'une liturgie Un autre fondement de la médecine « sacrée », était la mantique par incubation : les malades passant

la nuit dans l'enceinte sacrée, étaient visités par des songes qu'interprétaient au réveil les prêtres-médecins et sur lesquels ils fondaient leurs diagnostics et leurs prescriptions 108. Les mortaises creusées

105 On retrouve la même architecture de courbes dans les pavillons « baroques » élevés au XIXe siècle dans les parcs des villes thermales.

106 On en trouve un peu partout, de plan circulaire ou carré, avec souvent un jeu de courbes, de contre-courbes et de segments rectilignes. Settis, « Esedra » e « Ninfeo », cité η. 104, donne, pi. 19, un exemple d'une fontaine adossée. Il en existe d'autres, qui destinées à être vues de tous les côtés, se plaçaient au centre des cours.

107 Des exemples sont donnés par Gauckler (P.). Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie. On n'accordera pas un crédit aveugle à cette enquête qui rassemble des renseignements de valeur très inégale fournis par les différents officiers des « Brigades topographiques » de Tunisie. Par exemple, le plan du réservoir de Majen-Smaoui près de Gafsa est incomplet et erroné dans le tome 1 de Y Enquête, Tunis, 1899, p. 193-195, fig. 17, puis publié à nouveau dans le tome 2, Tunis, 1902, p. 23-24, de façon plus satisfaisante. Ce monument a fait aussi l'objet d'une note du commandant Goetschy, Notes archéologiques sur la région nord-est de Gafsa. R.S.A.C, t. 28, 1893, p. 86-90. C'est un réservoir circulaire, avec des petits contreforts internes arrondis et, devant le conduit d'alimentation, des degrés incurvés. Aux contreforts près, c'est le même plan qui a été utilisé pour la construction de la piscine des thermes d' Aquae Flauianae près de Kenchela (Gsell (S.), Atlas, f. 28 137 ; Id., Monuments, I, p. 236-239, pi. fig. 72, pi. LXII-LXIII), établissement thermal que je soupçonne d'avoir été bâti par et pour des militaires.

108 Nous ne nous attarderons pas ici sur la personnalité du dieu de la médecine. Ce travail sera mieux à sa place au terme de l'étude sur l'ensemble du sanctuaire lambésitain. Restons cependant sensibles à la contemporanéïté que j'expose brièvement :

— Vie de Galien, « fondateur » de la médecine moderne (126-201). — Vie d' Aelius Aristide, sophiste dévot d'Esculape (117 ou 118-181). — Construction du nouveau temple de Zeus-Asklepios à Pergame (145). — Construction du temple de Lámbese (161-162). Bien entendu, dans une architecture cultuelle comme celle du temple d'Esculape, on décèle plus facilement les

phantasmes du rhéteur hypocondriaque que les principes et les théories scientifiques de Galien. Cela n'autorise nullement

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RECHERCHES À LÁMBESE III 97

dans le fût des colonnes ont pu servir à poser les supports amovibles de rideaux destinés à isoler les malades passant la nuit sous les portiques, au plus près du lieu saint : les nuits sont fraîches à 1 200 m d'altitude. Selon les principes que l'on voudra bien reconnaître à l'éthique médicale de l'époque, on pourra soutenir que ces patients privilégiés étaient les plus atteints ou les plus influents. On peut aussi penser que le programme médical comportait une nuit ad deos, destinée à favoriser la pertinence du rêve des curistes, hébergés le reste du temps en d'autres lieux du sanctuaire. Ainsi peut-on déceler, dans le plan du temple, le projet de cerner les consultants par les influences bénéfiques, en situant leur repos au lieu géométrique des aurae salutifères, dans le giron du temple. Un peu de la personnalité d'Esculape, médecin secourable et bienveillant, semble aussi avoir déteint sur l'architecture de son aedes, sur ces volumes courbes qui refoulent toute agressivité 109.

Les « temples » a et b

Le souci d'exprimer ce caractère de douceur accueillante propre à Esculape, autant que celui de la « mise en scène », est peut-être à l'origine de la construction des « temples » a et b (PI. II). Si notre restitution est bonne, les chapelles de Jupiter et de Silvain projetaient vers l'Esplanade, comme nous l'avons vu, deux murs aveugles qu'on ne peut imaginer que crépis, dépourvus de décor architectonique, trahissant ainsi l'échec partiel de l'architecte. Les deux tempieti cachent ces surfaces stériles. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils font partie du projet initial, mais différents indices montrent qu'ils en sont chronologiquement très proches. Leur implantation, tout contre les chapelles latérales, ne se justifiait pas par le manque de place à une époque où l'Esplanade n'était pas encore encombrée. Ils sont d'autre part placés symétriquement sur une perpendiculaire à l'axe longitudinal du temple d'Esculape. Ce n'est pas un hasard enfin si le temple a est le seul à avoir jamais été implanté sur le côté sud de l'Esplanade. J'ai donc choisi de séparer leur présentation de celle des autres temples du sanctuaire.

En avant du temple d'Esculape, sur une vingtaine de mètres, s'étend un sol de petites briques disposées en chevrons (fig. 25, 29, 31). Bien conservé au pied des marches, il est abîmé et n'apparaît que

à postuler une stricte dichotomie dans la pratique médicale. Sur le « cas » d'Aristide, voir en dernier lieu les travaux de Behr (C.A.), en particulier Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amsterdam, 1968, et surtout le tout récent ouvrage de Gourevitch (D.), Le triangle hippocratique dans le monde gréco-romain. Le malade, sa maladie et son médecin, Rome, 1984, plus précisément le premier chapitre « La maladie comme preuve d'existence : l'aventure d'Aelius Aristide et ses interprétations », p. 17-71.

Reste toujours valable, pour une première approche des méthodes oniromantiques : Bouché-Leclerc (Α.), Histoire de la divination dans l'Antiquité, en particulier le t. III, Paris, 1880, p. 271-307 ; R.E., t. IX, col. 1256-1262. On pourra se reporter aussi au livre de Behr (C.A.), Aelius Aristides, Amsterdam, 1968, surtout au chapitre VIII, p. 171-196 et à l'appendice D, p. 196-201.

109 Pausanias, II, 27, 2, mentionne à Epidaure des bâtiments destinés à abriter les nuits des malades. Les fouilles ont retrouvé les traces des deux installations successives, la plus récente d'époque romaine : Defrasse (Α.), Lechat (H.), Epidaure, Paris, 1895 ; Berve (H.), Gruben (G.), Temples et sanctuaires grecs, p. 161-164. Des έγκοιμητήρια ont également été reconnus au centre de la cour de YAsklepieion de Pergame : Ziegenhaus (O.), De Luca (G.), AvP, XI ι, Der Südliche Temenosbezirk in hellenistischer und frührömischer Zeit, Berlin, 1968, p. 10-76 et Pl. 71, où l'on suit l'évolution et les modifications du bâtiment réservé aux incubations ; Berve (H.), Gruben (G.), op. c, p. 288-290. A Lámbese, il semble bien que des logements aient été ménagés dans les insulae, particulièrement aux frontières de Y insula 3, et destinés à des clients importants. La plupart des consultants devaient utiliser comme dortoir, la longue pièce en façade de Y insula 1. Il n'est pas certain que ces lieux aient été les seuls réservés à l'oniromancie. Les textes d'Aelius Aristide montrent que l'incubation n'était pas systématiquement pratiquée dans un lieu privilégié. On se reportera en particulier au second Discours sacré, 71, dans l'ancienne édition de G. Dinsdorf : Έγκατεκεκλίμην μεταζύ των τε θυρών και των κιγκλίδων τοϋ νεή κατά δη τίνα 'όνείρατος οψιν : « Je m'étais allongé dans l'intervalle entre les portes et les grilles du temple, conformément à ce que j'avais vu dans un rêve ». Je remercie D. Pralon qui a bien voulu m'aider à établir une traduction. Une κιγκλίς est, comme un τρύφακτος, un dispositif à claire-voie d'usage très général. La première est mobile tandis que le second est fixe (Salviat (F.), Dédicace d'un τρύφακτος par les Hermaïstes déliens. BCH. t. 37, 1963, p. 252-264, particulièrement p. 260-263). Ces deux termes, et d'autres encore, peuvent désigner un dispositif de protection de la statue de culte, jouant ainsi un rôle comparable à celui du chancel (Roux (G.), L'architecture de l'Argolide, p. 228). Il semble donc qu'Aristide ait, à cette occasion, pratiqué l'incubation à l'intérieur même de la cella du temple de Pergame.

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par endroits plus à l'est. A environ 10 m et dans l'axe du temple, un noyau de blocage émergeant à peine, pourrait être le reste d'un grand autel (1,80 m de côté). Ailleurs, tout n'est pas clair, des lignes de tuiles placées sur champ bordent Y opus spicatum selon un dessin pour l'instant incompréhensible, mais qui pourrait révéler des dispositifs cultuels. Ces aménagements peuvent être en relation avec le temple d'Esculape, mais aussi appartenir aux petits « temples » de l'Esplanade.

On ne peut que déplorer le mauvais état de conservation du temple a (fig. 33 et 55). La partie antérieure a entièrement disparu. Deux pierres de taille sont les seuls vestiges d'un escalier de deux ou trois marches. Les murs du bâtiment lui-même sont pratiquement arasés. L'espace entre le mur du fond et un long mur plus ancien contre lequel s'appuie aussi la chapelle de Jupiter, est empli d'un blocage qui a pu supporter une petite abside, plutôt une niche, comme en sont pourvus la plupart des édicules du côté nord. Nous n'en avons pas retrouvé la trace, elle n'est indiquée par aucun plan ancien. Dans le coin sud-ouest, le béton conserve encore quelques rangées de cubes de mosaïque. Dans l'axe du temple, en partie recouvertes par le sol de blocage, de grosses dalles indiquent la présence d'un caniveau.

Fig. 55. — Partie antérieure du temple a avec les dalles recouvrant la canalisation. A l'arrière-plan, deux blocs de la frise dorique latérale du bâtiment central.

Le bâtiment b est mieux conservé (fig. 56 et 57). C'est une simple pièce à peu près carrée, avec une niche dans le mur du fond. Les murs ont un double parement de petits moellons carrés disposés en lits irréguliers. Ils sont renforcés aux angles antérieurs par des piles appareillées. Le blocage du sol est recouvert de béton lisse. Devant la porte marquée par un seuil avec traces des crapaudines et des chambranles, un noyau de blocage fondait un escalier de trois marches avec retour latéral. Seule la rangée inférieure en est conservée, avec le tracé de la pose de la seconde marche. L'escalier venait effleurer celui de la chapelle de Silvain.

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Fig. 56. — Rangée des petits « temples » au nord de l'esplanade. Le « temple » b est au premier plan. En haut, à gauche, mur occidental du camp de Titus.

Par chance, le « temple » b peut être assez précisément daté. Il est évidemment postérieur au temple principal et antérieur à tous les autres temples de la rangée au nord de l'Esplanade. Or, dans le « temple » e, a été trouvée, en place, une dédicace à Médaurus par un légat inconnu mais dont on sait par ailleurs qu'il géra le consulat en 167 no. Le « temple » b a donc, selon toutes probabilités, été construit entre 162 et 167.

Le « temple » a pourrait être contemporain. Il a une implantation symétrique par rapport à la façade du temple d'Esculape. Il est, par ses dimensions comme par ce qu'on peut deviner de son plan, comparable au « temple » b. Comme le prouve la gravure de Delamare (fig. 2), c'est devant ce bâtiment qu'a été trouvée l'inscription aux Aquae SinuessanaeUì. D'après cette gravure et un croquis du dossier

110 C, VHI,25Sl ; Thomasson (B.E.), Die Statthalter, II, p. 181-184 ; sauf erreur, la pierre a disparu. Il en existe un excellent dessin dans les dossiers de Delamare, recueillis par L. Renier et déposés à la Bibliothèque de la Sorbonne. La dalle portant l'inscription reposait effectivement sur un soubassement mouluré qui est resté en place dans le temple. Le terme « temple », employé pour désigner les édicules qui bordent le côté nord de l'esplanade, indique seulement ici une forme architecturale. Il ne constitue pas une affirmation du statut de ces bâtiments dont la fonction reste à définir.

111 C, VIII, 2583 : [Aquis Sin] uessanis ob[ I ] T(itus) Caunius Prisc[us I leg(atus) Aug(usti) Pr(o)] pr(aetore), cos(ul) des(ignatus) cum V\era I uxore et Fir I mino et Prisca fìliis.

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Fig. 57. — Chapelle de Silvain et « temple » b. Noter sur la colonne, qui n'est sans doute pas à sa place, la trace d'encastrement.

Carbuccia 112, le texte était gravé sur une pierre assez longue et épaisse pour être un linteau ou pour avoir occupé le même emplacement que les dédicaces, à Jupiter et à Silvain dans le temple principal, à Medaurus dans le temple e. La tentation est grande de réunir les témoignages de l'épigraphie à ceux fournis par la lecture du plan, et d'en déduire que le « temple » a abritait, comme le suggère le caniveau, une fontaine, et que cette fontaine était dédiée aux Aquae Sinuessanae. Une difficulté surgit pourtant : le dédicataire, T. Caunius Priscus, légat de la Legio III Augusta, est consul désigné sur l'inscription. Cette désignation intervint en 186, soit près d'un quart de siècle après la construction du temple d'Esculape, et vingt ans au moins après l'installation du temple b. Peut-on admettre que Priscus ait profité de l'existence d'une fontaine pour insérer dans le « tempietto » une dédicace aux sources de Sinuessa ? Par la force d'une inscription, il aurait ainsi transporté à Lámbese les qualités thérapeutiques des célèbres eaux italiennes, dont lui et sa famille avaient éprouvé les vertus U3. L'offrande conjointe à Hygie, sans

112 PI. V, n° 22 du cahier « Lambessa ». 113 Thomasson (B.E.), Die Statthalter, II, p. 192-193 ; Id., R.E.., Suppl. XIII, col. 319. La mollis Sinuessa était aussi

appréciée pour les douceurs de son climat que pour les vertus curatives de ses sources thermales. Il s'agissait de sources chaudes (Pline, H.N., III, 60, Strabon, V, 3, 6) qui guérissaient la stérilité des femmes et les dérangements mentaux des hommes (Pline, H.N., XXI, 4), mais qui n'étaient pas sans effet sur la goutte, ainsi que l'indique Dion Cassius (LX, 34, 4), précisant une phrase de Tacite, à propos d'un séjour de Narcisse : ualetudine aduersa corripitur, refouendisque uiribus mollitia

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doute d'une statue, dont on a retrouvé la base sur le côté nord de l'Esplanade, très près de là, pourrait manifester cette volonté d'amalgame, de transfert de compétence 114.

Tout ceci nous incite à penser que les deux constructions a et b, n'étaient peut-être pas des temples, voués à des divinités précises. L'une aurait été un « ninfeo a camera » U5, l'autre une sorte d'annexé au temple principal, destinée à abriter des ex-voto. C'est en effet à cet endroit qu'ont été retrouvées trois petites statues. Il a déjà été question de deux d'entre elles qui représentent Esculape (p. 73 et fig. 36, 37). Sur la troisième, dont il manque le haut, une divinité masculine assise est désignée par l'inscription de la plinthe comme le génie de Cirta U6.

Quelle que soit la date du « temple » a, il est clair qu'il a été élevé pour assurer avec le « temple » b, une symétrie de part et d'autre de l'Esplanade. Ces deux édifices contribuaient à « rattraper » un faux-pas esthétique. Ils accentuaient encore la mise en valeur du corps central du temple d' Esculape. Leur taille modeste, l'absence de colonnes en façade, la discrétion des perrons ne devaient pas perturber la dynamique des courbes antagonistes des ailes et des chapelles.

Conclusion

L'effort de mise en scène du temple, effort qui se manifeste encore après l'achèvement du monument, confirme bien que son architecture était porteuse d'une symbolique complexe que nous espérons avoir contribué à éclairer. Référence affirmée par l'ordre dorique à une tradition grecque de la médecine, représentation de l'eau guérisseuse, dispositifs liturgiques inscrits dans le plan, personnalité même d'Esculape transparaissant dans le refuge qu'il offre, voilà une bien grande richesse conceptuelle prêtée à un bâtiment somme toute modeste. Peut-on expliquer autrement le choix par l'architecte et l'approbation par D. Fonteius Frontinianus d'un dessein s'écartant aussi délibérément des canons ? Au premier, les exemples ne manquaient certes pas dans le monde romain, ni en Afrique, pour répondre au simple projet d'un sanctuaire tripartite. Il a refusé les solutions de facilité et mis en œuvre une idée architecturale d'une grande originalité. Les relevés du temple, bloc par bloc, permettront, s'ils sont faits un jour, d'élucider les rapports entre le projet et sa réalisation, de mieux cerner les ajustements empiriques dont nous avons relevé les plus criants. Concrétiser cette idée, ou ce faisceau d'idées, ne fut sans doute pas facile. N'oublions pas que ce monument est un temple, pièce maîtresse d'un sanctuaire très fréquenté, dont il réussit à être comme le résumé architectural. La place occupée par les militaires, sanctionnée par la mention de la Légion sur la frise, est aussi révélée par l'endroit où il est implanté, et par la personnalité de ce Silvain « Pegasianus », s'il faut, avec P. Veyne, voir dans Pégase un des emblèmes de la Légion d'Afrique m. Dans une ville de garnison, au second siècle de notre ère, l'ambiance n'était guère favorable

caeli et salubritate aquarum Sinuessa pergit (Ann., XII, 66, 1). C'est pendant qu'il y prenait les eaux que Tigellinus apprend qu'il lui faut mourir (Tacite, Hist., I, 72). Fréquentée par l'aristocratie, la ville attirait aussi l'élite intellectuelle : Cicerón y avait une villa, Horace et ses amis appréciaient l'étape (Cicerón, Ep. 710, 1 = Att. XIV, 8 ; 731, 1 =Att., XV, 1 ; 808 = Λ«., XVI, 10 ; 802 = Λ«. XVI, 13 ; 930 = Farn., XII, 20 - Horace, Satires, I, V, 40).

114 C, VIII, 2588 : Hygiael T(itus) Caunius Priscus leg(atus)\ Aug(usti) pr(o)pr(aetore), cos(ul)\ des(ignatus) cum Ve\ ra uxore et Fir\ mino et Prisca fil(iis). La mention de la femme et des enfants du légat, sur les deux inscriptions, est un fait assez rare pour être noté. Il est regrettable que la cassure de C, VIII, 2583, à la 1.1, juste après le mot oè.nous empêche de connaître le motif de la dédicace. Cependant, si l'on se réfère à Pline (supra, n. 1 12), on peut se demander si Vera, l'épouse de Priscus, n'était pas redevable aux eaux de Sinuessa d'une fécondité dont témoigne précisément la présence de Firminus et de Prisca.

115 Neuerburg (Ν.), L'architettura delle fontane, cité η. 82, p. 41-52. 116 C, VIII, 2595, trouvée par Carbuccia « sur le côté droit de l'avenue ... dans la première chambre » (Lambessa, § 72).

Lugand (R.), Inventaire, n° 15, p. 146-147 ; Cagnat (R.), Musée de Lámbese, p. 22-23, fig. p. 23. 117 Veyne (P.), Epigraphica —4— Le Pégase de la Légion d'Afrique. Latomus, 1964, t. 23, p. 37-41. L'hypothèse de

P. Veyne n'a toujours pas reçu la confirmation iconographique qu'il espérait. Elle reste fondée sur deux documents épigraphiques, une inscription de Gemellae, où Pégase est associé à Mars (C, VIII, 17977) et la dédicace lambésitaine de

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à une architecture originale. Il lui fallut le soutien de forts motifs idéologiques et l'adhésion sans réserve du légat impérial. D. Fonteius Frontinianus se révèle ainsi comme un bon représentant de la classe dirigeante, nourrie de culture grecque et familière des cures thermales. Certes, le sanctuaire de Lámbese s'inscrit dans une série de Heilthermen destinés aux soldats 118, mais le temple d'Esculape apparaît d'abord comme le reflet exceptionnel de deux personnalités, celle de l'architecte et celle du gouverneur, associées pour un manifeste intellectuel étranger aussi bien au légionnaire du rang qu'à la tradition africaine.

D. Fonteius Frontinianus (C, VIII, 2579 e). Cette inscription était placée, comme nous l'avons vu {supra, p. 69, n. 50), contre le mur du fond de la chapelle nord du temple d'Esculape. Sur la frise, Silvain ne porte pas le surnom de Pegasianus, dont la restitution sur les propylées du sanctuaire reste douteuse {supra, p. 54, n. 47). Comme me le rappelle fort opportunément C.B. Rüger, Pégase fut enfanté par Poséidon, ce qui le situe dans la mouvance « aquatique » paternelle {supra, p. 94, n. 100). C'est d'un coup de son sabot que jaillit la source Hippocrène (Antoninus Liberalis, Les Métamorphoses, IX, et les références données par Papathomopoulos (M.) dans l'édition des Belles Lettres, Paris, 1968, p. 89, n. 13 et 15. Sa présence, du reste assez discrète, dans Γ Asclepieium peut ainsi se justifier hors de tout contexte militaire.

ne v Petrikovits (H.), Aquae Iasae. A. Arch. Slov., t. 19, 1970, p. 89-93, repris dans Beiträge zur römischen Geschichte und Archäologie, Bonn, 1976, p. 479-483. Janon (M.), A propos de l'Asclepieium de Lámbese (Numidie), Akten des XI internationalen Limeskongresses, Budapest, 1977, p. 705-719.