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  • COMPLEXIT DES RAPPORTS SOCIAUX DE SEXEEntretien avec Monique Haicault, par Sylvia Faure et Chantal de Linares

    Dans lentretien quelle nous a accord, MoniqueHaicault prsente son parcours de chercheure et montrecomment elle a t conduite conceptualiser la notionde rapports sociaux de sexe . Sa thse centrale estquils constituent un rapport social majeur se manifes-tant et se constituant en lien avec les conditionssociales, matrielles et symboliques de lexistence quo-tidienne (de la coexistence) des deux sexes. Sadmarche a largement repos sur linterdisciplinarit envue de tester ses hypothses en diffrents domaines etobjets dinvestigation.

    Monique Haicault a t matresse de confrences luniversit de Toulouse-Le Mirail.Elle est, depuis 1985, chercheure au Laboratoire d'conomie et sociologie du travail(LEST) Aixen-Provence. LEST35, avenue Jules Ferry13626 Aix-en-ProvenceCourriel : [email protected] : 04 42 23 29 13

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  • Pionnier en matire de recherches sociologiques sur les essais de thori-sation des rapports sociaux de sexe, le travail de Monique Haicault sinscritau croisement de plusieurs champs dtude : ceux de la sociologie du travail,de la famille et de lurbain. Sa thse centrale porte sur la production mat-rielle et symbolique des rapports sociaux, notamment de sexe, et leurs mani-festations dans les pratiques sociales au sein des socits industriellementavances.

    Agora : Comment, au dbut des annes 1970, avez-vous t conduite ques-tionner les rapports sociaux de sexe ? Et quelle rupture intellectuelle introduisaitcette nouvelle problmatique des rapports sociaux, en particulier dans le domaineet les conceptions du travail et de la division du travail ?

    Monique Haicault : Au dbut des annes 1970, un enseignement donn luniversit de Toulouse-Le Mirail sur le travail des femmes a permis de constateret danalyser la division sexuelle du travail , prsente au sein du systme pro-ductif, qui concernait galement lespace familial et le travail domestique .Apprhend comme un ensemble de tches imbriques, en partie superposes,effectues au sein de la famille, ce travail exigeait des comptences gestion-naires de type managrial. Cette conception, qui allait conduire parler dun vri-table procs de travail mettant en uvre des rapports sociaux, sopposait lapproche en vigueur depuis 1948 (Jean Stoetzel et lInstitut franais dopinionpublique) en termes de budgets-temps , approche calque sur le modle du tra-vail industriel et donc incapable de rendre compte de la ralit spcifique de ce travail , qui excde une simple addition de tches identifies et circonscritesdans une dure limite. Cette conception, qui est reste dominante, vacuait lesrapports sociaux, remplacs au mieux par la notion de rles, ainsi que la dimensionintellectuelle de sa gestion, vritable charge mentale .

    La place occupe par les femmes dans les secteurs de la production des bienset de la production/reproduction de la vie immdiate a mis en vidence la pr-sence et la force dun rapport social entre les catgories de sexe, conues commedes catgories socialement construites et non plus comme de simples variables.Ce rapport social de sexe ainsi nomm a t analys et conceptualis au coursdes annes 1976-1978 dans de petits collectifs pluridisciplinaires de rflexion lis lAssociation pour la critique des sciences conomiques et sociales, collectifs sti-muls par la rflexion initiale de quelques chercheuses : Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin. Fruit de deux annes de travail collectif, unarticle crit sept a t publi en 1978 dans la revue Critique de lconomie poli-tique. Pour ma part, le rapport social entre sexes, ou de sexe, a t immdiatementconu et analys comme transversal et actif dans toutes les sphres sociales. Unrapport social majeur dordre structurel qui se manifestait lobservation des pra-tiques sociales matrielles et symboliques, individuelles et collectives.

    En 1977, jai ouvert Toulouse avec le soutien de Raymond Ledrut, alorsdirecteur du dpartement de sociologie un cours de licence et un sminaire dematrise intitul Sociologie des rapports sociaux de sexe . Pour construire cetenseignement, il tait ncessaire dexplorer de larges domaines, de prendre lerisque davancer des hypothses thoriques, de les tester dans plusieurs

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  • directions, de dcloisonner les disciplines, ce qui a permis denrichir et de stabili-ser les notions qui se mettaient en place et den proposer de nouvelles (chargementale, doxa de sexe, rapports intrasexes, plasticit des rapports sociaux).

    Agora : partir de cette ouverture diffrentes disciplines, quels sont les nou-veaux objets dtude que votre travail permet de questionner au dbut desannes 1980 ?

    Monique Haicault : Des objets scientifiques, jusqualors carts du champlgitime de la recherche, comme division sexuelle du travail, travail domestique,rapport social de sexe, ont mis en question des concepts majeurs des sciencessociales autour du travail : le concept de production de la valeur, celui de qua-lifications avec des chercheuses comme Danile Kergoat, Margaret Maruani,Anne-Marie Daune-Richard. Un peu plus tard, ce sont les composantes des rap-ports sociaux ( la suite du travail de Maurice Godelier sur l Idel ) qui ont tinterroges.

    Ce chantier de dconstruction des implicites a encore t effectu en petitscollectifs, organiss au dbut des annes 1980 en ateliers rguliers centrs sur lathmatique large production/reproduction (APRE 1982, 1988).

    Dans les essais de construction thorique des rapports sociaux de sexe, pourlenseignement comme pour la recherche, la dimension symbolique des rapportssociaux sest impose. Reprsentations, croyances, systmes de signes, formes-pense, systmes de signification et de production de sens sont quelquesnotions composant ce vaste champ de recherches qui a occup ma rflexiondurant plusieurs dcennies. Jai pris appui en particulier aussi bien sur les travauxde Pierre Bourdieu, portant notamment sur la violence symbolique , que surceux de Roland Barthes et de la smiologie, enfin sur les importantes novationsde lcole de Palo Alto concernant la communication corporelle par signes,indices, symboles.

    Agora : Quelles sont alors les articulations entre la dimension symbolique etla dimension matrielle des rapports sociaux et des rapports sociaux de sexe ?Comment en rendez-vous compte ?

    Monique Haicault : Sans la prise en compte de la dimension symbolique desrapports sociaux quels quils soient, il semble impossible de comprendre le fonc-tionnement et les mcanismes complexes par lesquels la nature contraignante deces rapports sociaux peut paratre lgitime aux yeux de tous. En outre, on ne peutaborder la question de leur capacit se reproduire au sein de la dynamiqueconstante du changement social si lon ne sattache qu leur composante mat-rielle, conomique, comme le voulait lorthodoxie marxiste.

    Au-del du symbolique, la rflexion sur les rapports sociaux de sexe a vitedbouch sur la mise en question, par identification, diffrenciation et hirarchisa-tion, de rapports intrasexes, intimement combins aux rapports entre sexes pourbriser la bipolarit de genre et le caractre univoque des rapports sociaux. AvecDanile Combes, nous avons tent de montrer que les rapports sociaux de sexe

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  • peuvent prendre, dans certaines conditions, un caractre dalliance entre hommeset femmes que lantagonisme univoque ne peut seul apprhender.

    Agora : Ces perspectives danalyse vous conduisent ainsi prendre trs ausrieux les divisions et les usages du temps et des espaces par les hommes etles femmes, en montrant que ces usages sexus varient selon les conditionsdexistence des familles

    Monique Haicault : Ltude de la gestion des espaces et des temps dans lesdiffrentes sphres sociales auxquelles sont confrontes les femmes plus que leshommes, et diffremment, sest appuye sur des enqutes chiffres, des entre-tiens et des enregistrements vido. Elle a mis en lumire la gestion virtuose de la vie en deux de ces femmes, pour allger la charge mentale , si bien queles conceptions alors dominantes dun temps social rgulier, linaire, mesurableen heures ont but sur les donnes de terrain, rvlant ainsi de nouvelles tempo-ralits dans les pratiques sociales. Le temps horloge , alors hgmonique dansla recherche, entrait, en ralit, en tension avec un temps social dune autrenature.

    Le rapport social entre sexes, un rapportsocial majeur dordre structurel qui semanifestait lobservation des pratiquessociales matrielles et symboliques,individuelles et collectives.

    Une fois de plus, lapproche par linscription diffrentielle des femmes et deshommes dans la vie sociale tait fconde au plan pistmologique. Si le temps estbien une construction sociale, comme le soulignaient les anthropologues, les sys-tmes dhoraires, les temporalits irrgulires et en tension que les femmesaffrontent, traduisaient, au-del dune spcificit de leurs modes de vie, lmer-gence dun nouveau temps social des socits avances qui allait se gnraliser.

    La dimension temporelle des pratiques sociales de la vie quotidienne est alorsdevenue un nouveau domaine de rflexion. Pour identifier les contenus, les sp-cifications de ces nouveaux temps sociaux, des terrains dobservation ont t pri-vilgis comme le travail domicile, le tltravail et enfin les temporalitsurbaines. Les temps du travail eux-mmes chappaient de plus en plus la normetemporelle.

    Jai alors tent de montrer que la sociologie du travail tait reste ancre dansune triple centralit : travail industriel, travailleur masculin, temps horloge. Unecentralit qui vacuait par dfinition toute autre situation. Si le temps est une

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  • construction sociale, alors il est appris et inculqu trs tt au sein de la famille,avant mme lcole. Avec Anne Fouquet, nous avons entrepris dtudier de prscette prime socialisation temporelle, lhritage du quotidien , dans unerecherche portant sur diffrents milieux sociaux et rgionaux par observationdirecte, notamment la squence du matin nomme du rveil la cloche , o les trois modes de socialisation dgags laide de plusieurs variables croisesse manifestent au jour le jour dans les pratiques interactives parents-enfants, linsu de tous.

    Ds 1976, les enregistrements vido ont t utiliss pour observer dans leurcontexte les pratiques en actes. En outre, limage (photos, films) enregistre dansles intrieurs permet de saisir la place relative des objets, leur ordonnance-ment qui, sans intention, respecte les rgles dune sorte de grammaire . Cettegrammaire des objets une fois dcode voque mieux quun entretien les valeurs,les habitudes de consommation, les rfrences dappartenance sociale desfamilles, les normes et leur combinaison qui, dune famille lautre issues dunmme milieu social, prsentent une certaine rgularit, tandis que les comparai-sons entre milieux sociaux en soulignent au contraire des diffrences insoupon-nes. Le systme ducatif nchappe pas lobservation de tels signes qui fontsens pour manifester des lments de la pdagogie familiale. Enfin, les intrieurscomme les extrieurs (garages, jardins, cours, quartiers) traduisent lvidenceltat des rapports homme-femme dans ces micromilieux sociaux. Le poids, certesvariable, des rles traditionnels sur une ou deux gnrations organise cependanttoujours le mode de socialisation.

    La mthodologie de limage a constitu un enseignement de licence ds la findes annes 1970 Toulouse. Invite au Canada (Ottawa) en 1999 par Marie-Blanche Tahon, jai pu constater que cet enseignement avait trouv dans ce paysune audience, confirme par les tudiants. Ds 1982, Marie-Blanche Tahon sestintresse mon travail dans le cadre de ses propres travaux de sociologie de lafamille et de sociologie politique. Elle demeure une interlocutrice pertinente etconvaincante. Le Canada, le Qubec particulirement, a toujours t en avancesur toutes les questions de genre avec des chaires spcifiques, des revues inter-nationales, la tenue rgulire de colloques internationaux, tout ceci en lien avec unpuissant mouvement de femmes et une socit civile autonome convenablementrelie des mdias rceptifs la diffrence de sexes et sa dynamique.

    Agora : Aussi, comment ces rapports sociaux de sexe se fabriquent-ils auquotidien ?

    Monique Haicault : Ils ne se fabriquent pas un moment donn ou dans unseul lieu, ils se produisent et se reproduisent sans cesse, mais parfois la socitcivile les bouscule, des mouvements sociaux et politiques, comme le mouvementdes femmes entre 1970 et 1980, les dnoncent et les rvlent, ou bien encorecherchent les modifier. Ils nont rien perdu de leur rigidit dans nos socits.

    chaque instant, de la socit se cre, se recre sur des rapports sociaux djnous, manifests dans les pratiques et les reprsentations, au sein des doxas etdes lieux de socialisation que sont la famille, lcole, la ville, les mdias, les milieuxprofessionnels, galement dans les faits-divers et leur traitement. Par exemple, la

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  • violence que subissent les jeunes filles dans les banlieues, le silence qui entoureles viols ordinaires, autres que ceux mdiatiss travers une hrosation du vio-leur, le silence encore de linstitution scolaire lgard des femmes institutricesou professeurs maltraites, ce silence est une manifestation des rapportssociaux de sexe notamment sur un plan symbolique, il est en lui-mme une vio-lence symbolique qui renforce la doxa.

    Agora : Par rapport aux travaux fministes, comment vous situez-vous ?

    Monique Haicault : En tant que chercheuse, jessaie de me situer commequelques autres dans une posture thorique et mthodologique. Celle-ci ncessitedes comparaisons de genre, linterrogation de laction des rapports sociaux desexe dans toute question sociale, le reprage du rfrant masculin luvre impli-citement qui biaise les questions et sapparente une faute pistmologique. Il nesagit donc pas de dfendre une cause, mais de faire le plus possible un travailscientifique qui exige, selon Bachelard, une vigilance pistmologique.

    Avec Marie-Blanche Tahon, nous avons souvent voqu le fait que les travauxsur le genre ou dits fministes peuvent ne pas mettre en uvre les rapportssociaux de sexe, ds lors quils se limitent une approche unisexe, non compara-tive, renvoyant parfois la notion dpasse de condition fminine , ou pire, devariable. Il faut dire que la mise en uvre de ces rapports sociaux exige un ren-versement des approches auquel nos formations rsistent.

    Le silence qui entoure les viols ordinaires,le silence encore de linstitution scolaire lgard des femmes institutrices ouprofesseurs maltraites, ce silence esten lui-mme une violence symbolique quirenforce la doxa.

    Agora : Vos recherches tendent montrer que lon ne peut comprendre le tra-vail des femmes, leur situation sociale et galement les ingalits de sexe que silon tient compte, en mme temps, des ingalits entre les femmes de catgoriessociales diffrentes. En cela, les rapports sociaux de sexe sont plastiques , nonimmuables ; ils varient finalement selon les conditions sociales dexistence.Pouvez-vous nous prciser ce que vous entendez ici par la plasticit des rapportssociaux de sexe ?

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  • Monique Haicault : Je crois avoir un peu rpondu plus haut cette question. Plasticit signifie capacit prendre plusieurs niveaux dintensit selon lesconjonctures, les contextes et les cultures. Dans les cultures traditionnelles, lesrapports sociaux de sexe sont trs rigides, trs codifis par la religion, les mythes.Dans les socits dmocratiques, lhistoire montre, en revanche, quil existe despriodes o ils sont plus poreux, plus souples, dautres au contraire o ils se dur-cissent. Ces dernires priodes sont souvent lies des gouvernements de typeconservateur, imposant une soumission hirarchise des femmes aux hommes,des hommes au chef, du chef une idologie abstraite prsente comme lgi-time, ou bien des gouvernements tents par un fascisme ambiant comme laFrance sous le rgime de Vichy.

    Mais plasticit ne veut pas dire que certains milieux sociaux chapperaient leur emprise. Le milieu de la politique, par exemple, bien que cultiv et reprsen-tant en principe des avances dmocratiques dans les rapports sociaux, a enFrance, encore rcemment, montr la force de la doxa de sexe. Les femmes neconstituent pas un groupe social homogne, il ny a pas didentit de femmes ouune essence femme, mais toutes rencontrent dans leur vie de citoyenne, pourelles-mmes ou pour celles quelles ctoient, le poids des rapports sociaux desexe que leurs pratiques peuvent consciemment chercher allger, dtourner,transformer. Il est donc important de faire fonctionner, dans la construction desobjets, des hypothses et des catgories danalyse, la fois la plasticit et lim-brication des rapports sociaux, sans chercher une dtermination en dernire ins-tance de lun ou de lautre. Le travail sur ces questions est assez peu avanc, quilsagisse de la plasticit, de limbrication ou des combinaisons rapports de sexe etintrasexes.

    Il est important de faire fonctionner, dans laconstruction des objets, des hypothses etdes catgories danalyse, la fois laplasticit et limbrication des rapportssociaux, sans chercher une dterminationen dernire instance de lun ou de lautre.

    Agora : Pouvez-vous revenir sur la constitution du concept de charge men-tale . De quelles enqutes de terrain tes-vous partie et quels ont t vos rf-rents thoriques pour cette conceptualisation ?

    Monique Haicault : Les rfrences thoriques viennent de lergonomie,notamment dans ltude du travail sur cran qui a commenc vers le milieu des

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  • annes 1970, mais portait uniquement sur le travail dans les industries de procs.Les ergonomes consults Toulouse refusaient lide que le travail domestiquepuisse prsenter une quelconque charge mentale. Le film ralis alors en 1976-1977 dans plusieurs milieux sociaux lavait pourtant mise en vidence, tandis queles enqutes de terrain effectues dans diffrents secteurs de la production leconfirmaient. Jai donc import la notion pour rendre compte du poids intellectuel,mental, que reprsentait la gestion des espaces-temps de toute une famille, enplus du travail professionnel de la vie en deux des femmes actives. Avec lestudiants, nous avons mme enqut sur les rats du travail domestique pourmontrer quil nest ni inn, ni codifi pour toutes de la mme manire, ce qui nousa conduit observer comment les mthodes, vritables catalogues de ressources,sont souvent transmises de mre en fille. Toutefois, comme sa complexit aug-mente aujourdhui avec la transformation des moyens, des technologies domes-tiques et des enjeux, avec la multiplicit des temporalits quotidiennes et laspatialisation plus tale des pratiques familiales, la gestion, plus stressante, exigeencore plus de rigueur, de savoir-faire, dinventivit.

    La notion didentit va lencontre delpistmologie sociologique qui, pour laquestion ici pose, cherche saisirlimbrication dynamique de rapports sociauxmultiples au sein desquels se faonnelexprience sociale de chacun.

    Agora : Certaines interprtations fministes parlent didentit de sexe. Quepensez-vous de cette notion didentit ? Lutilisez-vous, et si oui, dans quelleslimites ?

    Monique Haicault : La notion didentit na pas encore t interroge ni, donc,dconstruite pour mettre jour les prsupposs idologiques quelle vhiculecomme des allant de soi . Il ma toujours sembl que le regard du sociologuedevait sattacher dcrire puis comprendre des processus, des phnomnes entrain de se produire, de se modifier ou de se maintenir, sans chercher vacuerles contradictions, qui ont une valence dynamique. La notion didentit aujourdhuime parat encore plus fausse et dangereuse quhier. Elle va lencontre de lpis-tmologie sociologique qui, pour la question ici pose, cherche saisir limbrica-tion dynamique de rapports sociaux multiples au sein desquels se faonnelexprience sociale de chacun. Un homme ou une femme ne se limite pas ladclaration de son sexe ltat civil, ni une trajectoire sociale unique et

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  • rptitive, un clonage social en quelque sorte. Tout individu, au sein de nos soci-ts, est constamment pris dans une pluralit de rapports sociaux enchevtrantceux pour le moins doubles de sa classe parentale, puis de sa classe profession-nelle, avec ceux de sexe, de gnration, ceux de ses compagnons de vie, de sonethno culture tels quils simbriquent, se renforcent ou entrent en tension. Enfin,chacun construit aussi son exprience sociale par sa manire propre de se repr-senter sa place et le monde, dadhrer un systme de croyances quil agenceavec ses hritages et ses prises de conscience. Il ne peut donc y avoir didentitde sexe quarbitrairement dfinie o la biologie risque de revenir en force pournous sortir alors des sciences sociales.

    Agora : Comment considrez-vous aujourdhui les rapports sociaux de sexe auregard des processus de prcarisation des catgories populaires ?

    Monique Haicault : Vous savez comme moi que la prcarisation des catgo-ries populaires touche plus profondment encore et autrement les femmes queles hommes. Partant des statistiques au demeurant trop rares et insuffisammentapprofondies sur la prcarit socialement diffrencie (milieux sociaux, sexe, ge,ethnoculture), en France notamment , force est de constater que les rapportssociaux de sexe, les rapports de classe et dethnoculture se renforcent les uns lesautres. Aucun deux nest dterminant en dernire instance, rptons-le. Ils sontactifs dans lespace priv familial, o un nombre important de femmes lventseules un ou plusieurs enfants sans soutien financier du mari ou du compagnon. Ilssont actifs dans le systme professionnel, qui les met au chmage en plus grandnombre que les hommes des mmes quartiers, des mmes milieux sociaux. Ils sontactifs dans la prcarit morale, psychique, puisquelles subissent frquemment uneforte domination psychologique et physique et que leur sant est plus souvent dansun tat de prcarit qui entrave leurs capacits dautonomie, tat renforc souventsur un plan gnral et mondial par un plus fort taux danalphabtisme.

    Personnellement, je nai pas tudi le phnomne de la prcarit, je ne peuxpas rpondre correctement votre question, mais il faut tout de mme soulignercombien le langage noie les diffrences sociales de sexe dans des catgorisationsglobalisantes. Ainsi les femmes sont-elles rendues invisibles dans catgoriespopulaires ou jeunes des banlieues . Que dire aussi des femmes ges ?

    BBiibblliiooggrraapphhiiee

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    LES DBATS

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