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>Concours 12 Y onne Mémoire numéro 15 - novembre 2005 des déportés, estimant que cette main d’œuvre serait beau- coup plus efficace si elle était sortie des camps. Il ne l’a obtenu que dans une faible proportion. Dans le cas où il a fait appel à des déportés pour ses usines ( il estime leur nombre à 160 000) et pas pour les entreprises appartenant à la SS, Speer a payé au WVHA une somme correspondant au tarif fixé d’avance. Himmler, malgré la priorité idéologique et répressive qu’il donne à sa gestion du système concentra- tionnaire, défend avec acharnement les intérêts de la SS. Il monnaye, c’est le WVHA qui s’en charge, l’utilisation de la main d’œuvre déportée. Par exemple, l’entreprise I.G. Farben, pour son usine d’Auschwitz, a payé le travail des déportés au WVHA au tarif de 4 marks par jour pour les ouvriers qualifiés, et 3 marks pour les manœuvres. Il reste la question des déportés juifs. Depuis la conférence de Wannsee, en janvier 1942, la « solution finale » est mise en œuvre. Il demeure cependant des contradictions parmi les responsables nazis. Himmler, qui a dû remplacer Heydrich en juin 1942 après l’exécution de ce dernier par des résis- tants tchèques, a des arbitrages à rendre comme par exemple sur la question du déroulement dans le temps de la déportation de tous les juifs d’Europe, et sur celle de l’ex- ploitation de cette force de travail 5 . Il aurait souhaité utiliser cette population pour les grands projets d’aménagement pour les territoires soviétiques conquis. Ceux-ci ne se réali- seront pas ; par contre dans le complexe d’Auschwitz d’I.G. Farben, la Buna, (voir plus haut) sont employés deux mille travailleurs juifs en 1942. Est créé le camp annexe de Monowitz qui permet d’éviter le trajet de 7 kilomètres qui séparent l’usine d’Auschwitz. Primo Levi a travaillé à la Buna. Les considérations économiques ont toujours été présentes ; il semble qu’elles n’ont pas eu la priorité. Mais il n’y a de contradiction qu’en apparence. Les déportés, encore plus massivement les juifs, sont utiles, mais ils sont destinés à disparaître. JEAN ROLLEY Notes (1) Germaine Tillion, La traversée du mal, Arléa, Paris, 2002. (2) Jean Léger, Petite chronique de l’Horreur Ordinaire, ANACR Yonne, 1998. (3) Cette citation, comme les suivantes, est extraite du livre d’Olga Wormser- Migot, Le système concentrationnaire nazi, PUF, 1968. Cet ouvrage, qui consacre un chapitre important au travail concentrationnaire est encore aujour- d’hui indispensable. (4) Les conférences de La Haye de 1899 et de 1907 prévoyaient en particulier que les prisonniers ne pouvaient être employés à un travail excessif ou dange- reux ou de caractère militaire ; était prévue une rémunération. (5) Sur cette question un livre est indispensable, bien qu’un peu difficile, celui de Florent Brayard, La « solution finale de la question juive », Fayard, 2004. > Commandez dès maintenant le livre auprès de l’Arory et bénéficiez d’un tarif préférentiel de 25 euros jusqu’au 31 décembre 2006! UNE AUTRE HISTOIRE DE L’YONNE PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE“ L’Yonne des années noires n’avait encore jamais fait l’objet d‘une étude aussi globale, méthodique et approfondie.” UN DÉPARTEMENT DANS LA GUERRE 1939- 1945 OCCUPATION, COLLABORATION ET RÉSISTANCE DANS L’YONNE

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> C o n c o u r s

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YonneMémoire

numéro 15 - novembre 2005

des déportés, estimant que cette main d’œuvre serait beau-coup plus efficace si elle était sortie des camps. Il ne l’aobtenu que dans une faible proportion. Dans le cas où il afait appel à des déportés pour ses usines ( il estime leurnombre à 160 000) et pas pour les entreprises appartenant àla SS, Speer a payé au WVHA une somme correspondant autarif fixé d’avance. Himmler, malgré la priorité idéologiqueet répressive qu’il donne à sa gestion du système concentra-tionnaire, défend avec acharnement les intérêts de la SS. Ilmonnaye, c’est le WVHA qui s’en charge, l’utilisation de lamain d’œuvre déportée. Par exemple, l’entreprise I.G.Farben, pour son usine d’Auschwitz, a payé le travail desdéportés au WVHA au tarif de 4 marks par jour pour lesouvriers qualifiés, et 3 marks pour les manœuvres.Il reste la question des déportés juifs. Depuis la conférencede Wannsee, en janvier 1942, la « solution finale » est miseen œuvre. Il demeure cependant des contradictions parmi lesresponsables nazis. Himmler, qui a dû remplacer Heydrichen juin 1942 après l’exécution de ce dernier par des résis-tants tchèques, a des arbitrages à rendre comme parexemple sur la question du déroulement dans le temps de ladéportation de tous les juifs d’Europe, et sur celle de l’ex-ploitation de cette force de travail5. Il aurait souhaité utilisercette population pour les grands projets d’aménagement

pour les territoires soviétiques conquis. Ceux-ci ne se réali-seront pas ; par contre dans le complexe d’Auschwitz d’I.G.Farben, la Buna, (voir plus haut) sont employés deux milletravailleurs juifs en 1942. Est créé le camp annexe deMonowitz qui permet d’éviter le trajet de 7 kilomètres quiséparent l’usine d’Auschwitz. Primo Levi a travaillé à laBuna.

Les considérations économiques ont toujours été présentes ;il semble qu’elles n’ont pas eu la priorité. Mais il n’y a decontradiction qu’en apparence. Les déportés, encore plusmassivement les juifs, sont utiles, mais ils sont destinés àdisparaître. z JEAN ROLLEY

Notes (1) Germaine Tillion, La traversée du mal, Arléa, Paris, 2002.(2) Jean Léger, Petite chronique de l’Horreur Ordinaire, ANACR Yonne, 1998.(3) Cette citation, comme les suivantes, est extraite du livre d’Olga Wormser-Migot, Le système concentrationnaire nazi, PUF, 1968. Cet ouvrage, quiconsacre un chapitre important au travail concentrationnaire est encore aujour-d’hui indispensable.(4) Les conférences de La Haye de 1899 et de 1907 prévoyaient en particulierque les prisonniers ne pouvaient être employés à un travail excessif ou dange-reux ou de caractère militaire ; était prévue une rémunération.(5) Sur cette question un livre est indispensable, bien qu’un peu difficile, celuide Florent Brayard, La « solution finale de la question juive », Fayard, 2004.

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Commandez dès maintenant le livre auprès de l’Arory etbénéficiez d’un tarifpréférentiel de 25 eurosjusqu’au 31 décembre 2006!

“UNE AUTRE HISTOIRE DE L’YONNE PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE”

“ L’Yonne des années noires n’avait encore jamais fait l’objet d‘une étude aussi globale, méthodique et approfondie.”

UN DÉPARTEMENTDANS LA GUERRE1939-1945OCCUPATION, COLLABORATIONET RÉSISTANCE DANS L’YONNE

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40/44YonneMémoire

Dans le précédent bulletin nousannoncions la sortie prochained’un livre consacré aux années

de guerre 1939-45 dans l’Yonne. Noussommes prêts du but et il sera bientôtchez l’imprimeur. Son titre est : Un département dans la guerre, 1939-45.Occupation, Collaboration etRésistance dans l’Yonne.Ce sera un gros livre, plus de neuf centpages, ce qui s’explique par la doublevolonté d’évoquer cette période soustous ses aspects essentiels et d’en pré-senter le contexte général. Il faut ajou-ter une centaine de photographies etdes cartes. L’Yonne, malgré ses singula-rités bien mises en valeur, n’est pas iso-lée : bien des aspects concernent toutela zone occupée, puisl’ensemble du territoireaprès novembre 1942.L’éditeur, la maisonTirésias, qui s’appuiesur des personnalités marquantes de laRésistance, devrait assurer une diffusiondans l’ensemble de la France. Ce livre ale soutien de L’AERI, association co-éditrice avec l’ARORY du cédérom LaRésistance dans l’Yonne.Cela n’a pas été sans mal, au delà de lasomme de travail que ce livre a deman-dé. Nous avons déjà évoqué dans cebulletin (le président Claude Delasselledans l’éditorial du numéro 15) le che-min étroit que doit emprunter l’histo-rien qui essaye d’approcher la vérité,qui veut comprendre et faire com-prendre ce que furent ces moments sidifficiles. Que doit-il faire, l’historien quand il seheurte à une mémoire installée et trans-mise depuis soixante ans ? Doit-ilrenoncer, pour ne pas heurter des sensi-bilités encore très vives ? Mais fait-il

alors son travail d’historien ? Doit-ilexposer ce qu’il a appris, ce qu’il acompris de cette époque, au risqued’être considéré comme un trublion,paraissant aux yeux de certainsremettre en cause « la Résistance » etses « valeurs » ?L’équipe qui a rédigé ce livre a pris leparti de poursuivre une démarche histo-rienne, en s’en tenant à ce qu’elle pen-sait être au plus près de la vérité, sansavoir la prétention de présenter « la »vérité. L’engagement de tous sesmembres pour ce qu’a été le choix derésister, qui exclut toute « neutralité »,n’a pas empêché l’équipe de posertoutes les questions, même quand ellesétaient dérangeantes. Elle a répondu à

certaines, sans doute pas à toutes.Le lecteur doit être averti, car il peutêtre quelquefois surpris, même si nosprécédents travaux et notamment lecédérom La Résistance dans l’Yonne nesont nullement remis en question. Cequi peut provoquer la surprise, et mêmel’irritation de certains, c’est la confron-tation entre une vision simple de la réa-lité et des comportements des hommes(il y aurait ceux qui sont du bon côté etceux qui sont du mauvais côté), et lacomplexité mise à jour par le travail deshistoriens. Les historiens, au demeu-rant, ont eux-mêmes éprouvé cette sur-prise, ce malaise. Il reste à nos lecteurs, nombreux nousl’espérons, à donner leur avis, à nous lefaire connaître. Ils ont le dernier mot. z

JEAN ROLLEY

SommaireLe DossierLa propagande clandestinedans l’Yonne : une formeméconnue de résistance /pages 2 à 8, par Frédéric Gand.Une femme dans laRésistance : Irène Chiot / pages 16, par Thierry Roblin.

Le concours 2007 / pages 11 à 12, par Jean Rolley.

40/44Bulletin de l’Association pour

la Recherche sur l’Occupation et la Résistance dans l’Yonne.

Directeur de publication : C. Delasselle Rédacteur en chef : J. Rolley

Iconographie : A. FouanonCoordination : T. Roblin

Graphisme et réalisation : F. JoffreArory, 2005. Photos : D.R.

site internet : www.arory.come-mail : [email protected]

Centre de documentation : 15 bis, rue de la Tour d’Auvergne

89000 AuxerreTél. / fax : 03 86 48 23 68.

numéro 17 - novembre 2006 - 4€

LE BULLETIN DE L’ARORY

YonneMémoire

L’équipe qui a rédigé ce livre a pris le parti de poursuivre une démarche historienne, en s’en tenantà ce qu’elle pensait être au plus près de la vérité,sans avoir la prétention de présenter « la » vérité.

Après tant d’efforts...Après tant d’efforts...

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LE DOSSIER> L e D o s s i e r

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YonneMémoire

numéro 17 - novembre 2006

Face au discours imposés par l’Occupant et « l’État français » des Français réagissentrapidement. Dans l’Yonne, les premiers mois de l’Occupation sont marqués par la diffusionclandestine de tracts et de journaux qui attestent d’un esprit de résistance et qui préfigurent dece que sera la presse résistante. Que sait-on sur cette activité ? Qui en étaient les auteurs ou lesorganisations ? Et enfin quelle fut l’efficacité de cette propagande clandestine ?

LA PROPAGANDE CLANDESTINE

DANS L’YONNE : UNE FORME MÉCONNUE DE

RÉSISTANCE

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LE DOSSIER

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I. NAISSANCE DE LA PROPAGANDE CLANDESTINE

A). La lutte contre la propagande officielleAprès la signature de l’armistice, le 22juin 1940, l’Yonne se retrouve en zoneNord et subit l’occupation allemande. Lapresse perd aussitôt sa liberté d’expres-sion et passe sous le contrôle de la pro-pagande allemande (Propaganda Staffel).À partir de juillet 1940, le nouveau gou-vernement de Vichy la renforce non sansfaire sa propre apologie au gré des inter-ventions du maréchal Pétain. LeBourguignon, le journal du départementsiégeant à Auxerre, maintient sa diffu-sion sous la stricte surveillance d’unofficier de propagande. Ses colonnesreproduisent les discours de Pétain etd’Hitler, tantôt pour justifier laCollaboration, tantôt pour commenterles phases de la guerre sous un jouranglophobe. S’y ajoutent les avis duFeldkommandant -le chef de laWehrmacht dans l’Yonne- et des partiscollaborationnistes.La radio, qui peut matériellement tou-cher l'ensemble de l’Yonne, est aussisous contrôle. Depuis juillet 1940, Radio

Paris est aux mains des Allemands qui yconsacrent d’importants moyens finan-ciers recrutant de nombreux journa-listes collaborationnistes comme JeanHérold-Paquis (membre du Parti popu-laire français, PPF, et du comité d'hon-neur de la Waffen SS) et profitant desnombreux spectacles parisiens pours’attacher de nombreux auditeurs. Aumême moment Radio Vichy, dont lesémetteurs sont plus faibles que ceuxdes Allemands en zone occupée, lasseson auditoire par ses discours marécha-listes dédaignant la politique extérieureet la poursuite de la guerre. A partir dejuin 1941, cette lacune est compenséepar un volume consistant d'émissionsde divertissement En France comme dans l’Yonne, laRésistance est déjà ce premier désird’expression libre et de lutte contrel’idéologie dominante. La guerre n’estpas terminée et la victoire passe aussipar la conquête des esprits. Face à la

puissante propagande officielle, il fauttrouver le moyen de démentir les com-muniqués allemands et les discours deVichy pour rallier la population dans lecamp des Alliés et de la Résistance.

B). Qu’est-ce que la propagande clandestine ?Dans l’Yonne, la propagande clandestinerevêt deux grandes formes : la propa-gande écrite c’est à dire la presse clan-destine1 et la propagande radiophoniquede Londres.La presse clandestine désigne l’en-semble des papillons, tracts, journaux etmême brochures qui ont été distribuéssous l’Occupation malgré leur interdic-tion. L’essentiel a disparu car les habi-tants s’en séparaient par prudence. Enrevanche, si les autorités les détrui-saient à leur découverte, ils en conser-vaient quelques exemplaires afin demesurer leur influence sur l’opinion. Ils’agissait d’une recommandation du

régime de Vichy qui voulait que ses pré-fets lui rendent compte de l’état desesprits, tant à l’égard de l’action gouver-nementale que des autres formes depropagande. Dans l’Yonne, le préfet adonc commandé aux services de policeet aux brigades de gendarmerie des rap-ports de saisie qui comportent souventun descriptif du tract ou du journal etparfois même un exemplaire de celui-ci.Tous ces documents sont actuellementconservés aux Archives départemen-tales de l’Yonne.Mais la presse clandestine est diverse.Elaborée sur le terrain, à l’intérieur ou àl’extérieur du département, elle exprimela variété des situations locales et ladiversité des opinions. Dans l’Yonnecoexistent trois sources de diffusion, lapresse gaulliste, la presse communisteet la presse anglo-saxonne.

Radio BBCA Londres, Churchill a vite compris le rôlede contre-pouvoir de la radio et concè-de, dès l’été 40, des tranches de diffu- >

LA PRESSE CLANDESTINE DÉSIGNE L’ENSEMBLE DES PAPILLONS,TRACTS, JOURNAUX ET MÊME BROCHURES QUI ONT ÉTÉ DISTRIBUÉSSOUS L’OCCUPATION MALGRÉ LEUR INTERDICTION.

>

Extraits duBourguignonillustrant?????

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numéro 17 - novembre 2006

LE DOSSIERsion aux exilés européens. La sectionfrançaise de la B.B.C est aux mains de laFrance libre et de Gaulle dispose d’unporte-parole en la personne de MauriceSchuman qui dispose de cinq minuteschaque soir à 20 H 25. Parallèlement etdepuis juillet 1940, la BBC diffuse quoti-diennement deux émissions françaises,« Honneur et Patrie » et « Les Françaisparlent aux Français ». Il est difficile demesurer l’impact de la BBC sur l’opinionicaunaise dans les premiers mois del’Occupation. En revanche son influenceest perceptible par la suite.

II. PREMIÈRES FEUILLES CLANDESTINES DANS L’YONNE :PRESSE COMMUNISTE, PRESSE GAULLISTE ET PRESSE ANGLO-SAXONNE

A). L’évolution de la presse communisteLa presse nationale du Parti communisteest la première forme de diffusion clan-destine dans l’Yonne. D’octobre ànovembre 1940, les militants distribuentdes tracts et des journaux communistesà Auxerre, à Sens et à Joigny oùL’Humanité est attestée le 25 octobre1940. Le parti communiste de l’Yonne,qui s’est reconstitué dans la clandestini-té en septembre 1940, ne s’exprime pasencore en son nom et diffuse la presseque lui fournit la direction nationale.Celle-ci ne s‘attaque pas à l’Occupant,l’Allemagne est très peu citée. Le pactedu 23 août 1939 a conduit le PCF à unrenversement de leur point de vue : ilsconsidèrent désormais la guerre comme« une guerre impérialiste ». Ils portentleurs coups, comme les tracts et la pres-se communiste le montrent, contrel’Angleterre et la France libre ; le régimede Vichy est l’objet de violentes attaques ;il a en effet engagé une forte répressioncontre le Parti. Cela explique le contenudes tracts : « Thorez au pouvoir », « Àbas les traîtres de Vichy ». La pressecommuniste locale reparaît l’année sui-vante et est à l’unisson. En janvier 1941,le Travailleur, journal d’avant-guerre duParti communiste icaunais, se placesous le patronage de Lénine à l’occasiondu 17e anniversaire de sa mort : « Lénine !Tu as été et tu resteras notre chef. Etnous te retrouvons en notre cher Staline :

ton digne successeur à la tête du prolé-tariat mondial. » Cette presse n’est passans poser problème à l’historien. S’agit-il de Résistance ? Depuis son interdic-tion à la veille de la guerre, le Parti com-muniste français, qui a été sanctionnépour son soutien au pacte germano-soviétique, a maintenu sa fidélité auparti communiste soviétique. Son affilia-tion à la Troisième Internationale l’em-pêche de s’en prendre à l’Allemagne quiest alliée de l’URSS. Dans ce contextepeut-on parler de la presse clandestinecommuniste, bien que combattant trèsviolemment Vichy, comme d‘ une presserésistante ? La situation change radicalement à par-tir du printemps 1941. L’invasion alle-mande de l’URSS libère les communistesqui abandonnent le credo de la « guerreimpérialiste » pour celui de la guerre

contre le fascisme et le nazisme. Lesmilitants entrent véritablement en résis-tance. En octobre 1941 paraît le premiernuméro de l’Yonne (L’Yonne libre à partirde 1942). C’est le porte-parole du FrontNational, le nouveau mouvement derésistance impulsé et dirigé par le Particommuniste. On peut y lire une mise engarde au rédacteur en chef du Bourguignonet au maire d'Auxerre puis un appel lancéaux paysans : « Résistez aux impositionsallemandes ». La nouvelle orientationidéologique s’y confirme dans les numé-ros suivants et à mesure que se dévelop-pe le Front National dans le département. Illustration 2. L’Yonne ou/et tract commu-niste : « écoutez radio Moscou »(visuel radio Moscou illisible, mal scanné)

B). La presse gaullisteLa presse gaulliste est mal connue et n’alaissé de trace que pour les premièresannées de la guerre. Le 29 novembre1940, le commissaire aux Renseigne-

ments généraux parle de « propagandeanglophile » et signale que « papillons etgraffitis favorables à l’Angleterre se mul-tiplient, tout au moins à Auxerre ». Onobserve des « drapeaux anglais grossiè-rement dessinés et coloriés ». Le com-missaire ajoute encore que « dans lamasse, les tendances pro-anglaises sonten nette progression » et que « le partide de Gaulle gagne chaque jour du terrain ».Le 11 décembre 1940, il parle de tracts «De Gaullistes ». Quelques numéros deRésistance2 témoignent de distributionsen août et octobre 1941 sans oublierquelques numéros du journal La Francecontinue 3 en 1941.

C). La presse anglo-saxonne Celle-ci est distribuée dans l’Yonne par lavoie des airs. Les paquets de tracts sontsuspendus à des ballonnets lâchés parles avions anglais puis sont libérés parl’explosion d’une fusée. Il est difficile d’enévaluer l’importance puisque la seulesource est là aussi celle des découvertesofficielles. Elles sont parfois massives :50 kg de tracts découverts le 6 décembre1943 à Sens et à Malay-le-Grand, 10 kg àEvry en mars 1944, 4 027 supplémentsdu Courrier de l’Air lancés dans la nuit du26 au 27 novembre 1942 et récupérés

LA PRESSE ANGLO-SAXONNE ESTDISTRIBUÉE DANS L’YONNE PARLA VOIE DES AIRS. LES PAQUETSDE TRACTS SONT SUSPENDUS ÀDES BALLONNETS LÂCHÉS PARLES AVIONS ANGLAIS PUIS SONTLIBÉRÉS PAR L’EXPLOSION D’UNEFUSÉE.

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Tract gaulliste Croix de Lorraine.

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0 25 km

LE DOSSIERsur 10 km2 de territoire sur les communesde Chigy et de Pont-sur-Vanne. Lesdécouvertes de ces ballonnets sontinnombrables tout au long de l’Occupation.Cette propagande en langue française estessentiellement d’origine anglaise. Ils’agit dans la très grande majorité descas du petit journal Le Courrier de l’Air,« distribué par la RAF », accompagné par-fois du Courrier de l’Air illustré. Le 13octobre 1943, on trouve des exemplairesde L’Amérique en guerre, avec la mention« apporté au peuple de France parl’Armée de l’air américaine ». Ce sontdes journaux luxueux en comparaison dela presse clandestine française, illus-trés, parfois même en couleur.

D). Une grande variété de productionsLa presse clandestine est très diverseet correspond souvent aux moyens d’im-pression des organisations de résistan-ce. Les textes peuvent être manuscrits,dactylographiés ou en caractères d’im-primerie. C’est parfois même un mélan-ge des genres comme dans L’Yonne,L’Yonne libre et Le Travailleur dont lesintitulés sont dessinés à la main alorsque le reste est dactylographié. La lectu-re des documents fait apparaître toutesles tailles de caractères, des fautes defrappe ou d’orthographe, quelques illus-trations grossières et exceptionnelle-

ment un cliché photographique. Lavariété des formats est infinie. En règlegénérale, les journaux ont un formatapproximatif de 21 x 27. Les formats destracts vont du petit carré ou rectangle dequelques centimètres de côté (on parlealors de papillon) à deux pages impri-

mées. Les journaux ont un nombre depages inégal : souvent un recto-verso,parfois quatre pages. Le papier et la qua-lité d’impression sont très variables ;beaucoup de tracts et journaux sontaujourd’hui partiellement illisibles.

III. LA BATAILLE DES ONDES

A). Le succès de la BBC Le nombre et la durée des émissionsfrançaises de la BBC augmentent pro-gressivement, passant de deux heureset demie quotidiennes en septembre1940 à plus de 5 heures en septembre

1942. La BBC renforce aussi sa puissan-ce d’émission afin de rivaliser avecRadio Paris mais aussi avec Radio Vichyqui s’est nettement renforcée depuis1942 et dont les services s’installent àParis en 19434. Mais malgré le brouilla-ge et l’interdiction allemande, les

Icaunais écoutent discrètement maissûrement la BBC. Son succès s’expliquepar ses bulletins d'informations (12 parjour en 1944) fournissant de véritablesrenseignements sur le déroulement dela guerre et les actions de Résistancesans oublier les émissions de divertisse-ments. D’après certains témoignages derésistants, son écoute, et accessoire-ment celle de la radio suisse, RadioSottens, a joué un rôle non négligeabledans le basculement de l’opinionpublique du côté de la Résistance.

B). La campagne des V , une action depropagande efficace de la BBC >

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Journal anglo-saxon : Courrier de l’Air.

Tract communiste de faible qualité :« Mamans, c’est parce qu’Hitlernous prend tout que nous mour-rons de faim ».

L’Amérique en guerre, journalluxueux.

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YonneMémoire

numéro 17 - novembre 2006

LE DOSSIERAu printemps 1941, la campagne des « V »révèle l’intérêt des Icaunais pour laFrance libre et son chef de Gaulle. Cedernier s’inspire de l’action réussie enjanvier 1941 par les Belges de la BBC5 etlance à son tour, le 22 mars 1941, laconsigne de couvrir les murs de Francede « V » , en l’honneur du roi Pierre deYougoslavie qui a refusé de capitulerdevant les Allemands. La campagne estintensivement suivie dans les deuxzones. La lettre « V » , synonyme de « Victoire », devient le signe de la résis-tance à l’occupant et le symbole de lavictoire sur le nazisme.Des inscriptions fleurissent un peu par-tout dans les villes et les villages del’Yonne6. La police observe plusieurs « V »et de nombreuses inscriptions à Auxerrele 28 mars 1941, « Vive de Gaulle etVictoire anglaise », « Patience, on lesaura les Boches », « Un bon Français doitécouter Londres. Vive de Gaulle. A basDarlan. » Le 31 mars, le Feldkomman-dant écrit au préfet de l’Yonne : « À lademande de l’émetteur gaulliste enAngleterre, des lettres V et des croix deLorraine ont été inscrites en grandnombre la nuit dernière dans plusieurslocalités. Elles sont une provocation pourl’armée allemande et devront être enle-vées pour le 2 avril. Des contre-mesuresseront prises à l’encontre de la popula-tion si de nouvelles inscriptions sontconstatées. » Aussitôt un arrêté préfec-

toral oblige les propriétaires à nettoyerchaque matin les murs et les façadesafin d’en effacer les inscriptions, « vu lanécessité de maintenir la tranquillité etl’ordre public». Le 2 avril, Le Bourguignonaffirme que ces « inscriptions à la craieaussi fantaisistes que vaines » peuvent« provoquer des mesures très sévères àl’encontre de la population » et « attirel’attention des parents et des chefsd’établissements » afin qu’ils surveillentune jeunesse qui semble portée à ce

genre d’action. Il rappelle que « les pro-priétaires et locataires seront tenus pourresponsables et devront les faire dispa-raître dès qu’ils les remarquent ». Deuxjours plus tôt effectivement, le directeurde l’Assistance publique a été arrêté carla façade de sa maison est couverte de « V » et de croix de Lorraine. Le 3 avril,un inspecteur de police surprend unejeune fille de seize ans à tracer des « V »sur la poussière d’un car des Rapides deBourgogne qui stationne gare desMigraines. Le 18 avril, les autorités ana-lysent ainsi la situation : « Cette propa-gande résulte des mots d’ordre diffusés

par la radio britannique et que les parti-sans de l’ex-général de Gaulle suiventavec d’autant plus d’empressement queson exécution est particulièrement faci-le. S’ils sont effacés régulièrement dansles villes, il n’en est pas de même dansles campagnes et les petites localités. »Le commissaire de police d’Auxerredéplore que « la jeunesse des écoles (...)se laisse séduire par le faux patriotismeet le côté romanesque de l’activité del’ex- général ».Devant le succès croissant de la cam-pagne des « V » , les Allemands décidentde réagir en récupérant l’opération pourles besoins de leur propagande. Ils lan-cent dans toute l’Europe une contre-offensive sur le thème « Victoria !Victoire de l’Europe contre le bolchevis-me ». À Paris, un « V » immense est ins-tallé sur la Tour Eiffel, un autre sur laChambre des députés, souligné d’unebanderole proclamant « L’Allemagnegagne sur tous les fronts ». Le 18 juillet,des « V » de grande taille sont peints àJoigny par des soldats allemands. Maisdans la nuit du 21 des croix de Lorraine ysont ajoutées ! En août 1941, les Allemands apposentdes affiches portant le « V » de la victoi-re dans tout le département. Durant l’étéet l’automne, Le Courrier de l’Air continuede tomber du ciel et des tracts gaullistessont distribués alors qu’aucune véritableorganisation de résistance n’existe enco-

>

LA LETTRE « V » , SYNONYME DE « VICTOIRE », DEVIENT LE SIGNEDE LA RÉSISTANCE À L’OCCUPANTET LE SYMBOLE DE LA VICTOIRESUR LE NAZISME.

Tract incitant à écouterRadio Londres.

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re dans l’Yonne.Par la suite, la radio de Londres tient sonrôle et lance sa plus grande campagned’information contre le STO. Le slogan « Ne vas pas en Allemagne » de JeanOberlé aura été répété plus de 1500 foisau cours de l’année 1943. Son influencecontribue à l’engagement de jeunesréfractaires icaunais dans la Résistance.

IV. LA QUESTION DE L’IMPACT DE LA PROPAGANDE CLANDESTINE

Difficultés d’une étude sur la presseclandestineL’étude de la presse clandestine dansl’Yonne dépend principalement de laconnaissance des sources. Or l’essentiel(80%) du matériel conservé aux Archivesdépartementales est d’origine commu-niste. Celui-ci est forcément fragmentai-re et correspond aux aléas des décou-vertes opérées par les services d’ordredu gouvernement de Vichy. De plus cetteproportion traduit certainement l’impor-tance de la répression anticommunisteque ces derniers n’ont pas manqué demener dès l’automne 1940. Cette réalitéincite donc à la prudence et à émettredes hypothèses. Les organisations derésistance mieux représentées sur l’en-semble du territoire que dans l’Yonne,ont-elles toujours trouvé les relaisnécessaires à leur diffusion ? Et cellesqui étaient bien implantées dans ledépartement comme Ceux de laLibération, Résistance et Libération-Nord, ont-elles moins diffusé leur presseque ne l’a fait le Parti communiste ? Iln’existe que deux traces du journalLibération, les numéros 151 et 153 des19 octobre et 2 novembre 1943, attestéspar les rapports de découvertes alorsque les témoignages de Gaston Vée et deSerge Caselli font état de journauxenvoyés de Paris et diffusés dansl’Yonne. Il faut signaler aussi la présencealéatoire de Témoignage Chrétien.Il est certain par ailleurs que l’organisa-tion communiste a su constituer unréseau de diffusion suffisamment effica-ce pour surmonter les difficultés. Il fallaitdéjà disposer d’un matériel d’impressionréservé alors aux professionnels et stric-tement surveillé. Plusieurs arrêtés pré-fectoraux (24 octobre et 10 décembre

1940 ; 24 mai 1941) réglementaient l’ac-quisition et la détention de l’encre, dupapier, des stencils, des machines à écri-re, des appareils duplicateurs et despresses à imprimer. Toute vente de cematériel devait figurer sur un registre etfaire l’objet d’une déclaration à la préfec-ture. Et la diffusion clandestine n’étaitpas oubliée : en 1941, la distribution et ladétention de tracts ou de journaux clan-destins valait à son auteur de trois àquinze mois de prison, de deux à troisans de prison dès 1943. Le 20 septembre1942, la distribution du Travailleur et detracts déclenche importante vague d’ar-restations en particulier à Chablis et àVilleneuve-sur-Yonne. Elle entraîne: « 36individus ayant appartenu au PC ont été

internés le dimanche 20 septembre 1942.Ils ont toutefois été relâchés le 21. »

La solide infrastructure clandestine du parti communisteLa propagande nécessite une solideorganisation clandestine que seul leParti communiste a pu maintenir dansl’Yonne tout au long de l’Occupation.Aucune autre organisation de Résistancen’a laissé de signes d’une telle infra-structure. Le Parti communiste imprimeses premiers tracts et journaux grâce aumatériel qu’il détenait avant la guerre etqu’il avait su préserver dans la clandesti-nité après son interdiction. La fabricationet le stockage ont lieu dans des locauxsûrs qui sont souvent les domiciles despropriétaires du matériel : GeorgetteSansoy à Saint-Sauveur, Mme Polgar àGron et les locaux du transporteurBerthault à Venoy. Les tracts y sont rédi-gés à la main ou tapés à la machine surun stencil, un papier parafiné servant dematrice d’impression à l’aide de laquelleon tire des doubles sur un duplicateur àalcool. On utilise parfois un linotype, unemachine à composer qui fond les carac-tères par lignes complètes. Le véritablematériel d’imprimerie, qui nécessite descompétences professionnelles, est très

rare. Le Parti communiste disposera tou-tefois d’une imprimerie de fortune àBellechaume et d’une autre à Coulanges-la-Vineuse. Les journaux imprimés vien-nent de Paris, parfois de Dijon où futimprimé le premier numéro du Travailleur(janvier 41)avant d’être édité à Champi-gnelles chez Marcel Plaut. Le premiernuméro de L’Yonne (octobre 41) est tiréchez le père de Robert Bailly à Auxerre,puis chez les époux Durand.La presse arrive de Dijon et surtout deParis par divers canaux dont le plus utili-sé est le chemin de fer. Le dépôt deLaroche-Migennes est la plaque tournan-te d’où la presse est redistribuée dansdes secteurs géographiques du départe-ment. Le Parti communiste y dispose de

groupes de diffusion composés de mili-tants qui sont, par tradition, rompus à lavente de journaux et à la distribution detracts. Celle-ci se fait la plupart du tempsde nuit, ou très tôt le matin, et est sou-vent accomplie par une seule personne.Elle vise les boîtes aux lettres et les des-sous de portes et toutes sortes de lieuxpublics comme les rues, chemins, mar-chés, gares et même les urinoirs. Il arriveparfois que des tracts soient adresséspar courrier notamment depuis Parismais cette solution reste coûteuse. Lafréquence et l’intensité de la diffusionnous demeurent largement inconnus sice n’est la statistique des rapports degendarmerie et de police comme celle de1941 et 1942, respectivement 97 et 94découvertes.

L’impact dans l’YonneLa diffusion constante de tracts et dejournaux clandestins atteste d’une acti-vité résistante, mais il est difficile deconnaître son impact sur l’évolution del’opinion ou sur l’engagement dans laRésistance. Aucun des nombreux témoi-gnages recueillis dans l’Yonne n’évoquela lecture de la presse clandestinecomme un facteur déterminant d’engage-ment résistant, mais faut-il en conclure >

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LA PROPAGANDE NÉCESSITE UNE SOLIDE ORGANISATIONCLANDESTINE QUE SEUL LE PARTI COMMUNISTE A PU MAINTENIRDANS L’YONNE TOUT AU LONG DE L’OCCUPATION. AUCUNE AUTREORGANISATION DE RÉSISTANCE N’A LAISSÉ DE SIGNES D’UNE TELLEINFRASTRUCTURE.

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> L e D o s s i e r

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YonneMémoire

numéro 17 - novembre 2006

LE DOSSIERque la propagande n’a joué aucun rôle ?De ce point de vue l’omniprésence de lapresse clandestine communiste est unedonnée à reconsidérer. Il existe toutefoisdes exemples qui prouvent l’influencedirecte de la propagande. Ainsi les appelsà commémorer des fêtes patriotiquesconnaissent un certain succès.L’organisation communiste réussit ainsià mobiliser la population par le biais detracts et de journaux. Le 13 juillet 1943,dans l'ensemble du département, destracts du Front national déclenchent desrassemblements au monument aux mortsdes communes. Le 20 septembre 1943est également célébré par la distributionmassive de tracts et l’accrochage de dra-peaux tricolores, notamment à la Ferté-Loupière et à Saint-Julien-du-Sault.Mais Londres n’est pas en reste et la BBCpeut mobiliser tout à la fois la populationet les organisations de résistance y com-pris communistes. À l’automne 1943, leConseil national de la Résistance décidede faire du 11 novembre 1943 une impor-tante journée patriotique en France. Lemot d’ordre est lancé à la BBC et estrelayé par les responsables de laRésistance intérieure. Cette commémo-ration trouve un grand écho au sein de laRésistance icaunaise et est célébréedans de nombreuses communes dudépartement. À Migennes, des membresde l’antenne du groupe Bayard accro-chent un drapeau tricolore au monumentaux morts et s’y rassemblent avec denombreux civils. Luc Berton y était pré-sent « pour y déposer une gerbe surlaquelle avait été confectionnée un Vavec une immense croix de Lorraine », etil ajoute « qu’une centaine de jeunes dudépôt est montée au monument malgréla présence des Allemands cantonnésdans une école toute proche9». À Joigny,Charny, Toucy, Dixmont, des drapeauxtricolores sont placés sur les monu-ments aux morts. A Guerchy, dans la nuitdu 10 au 11, une imposante couronne defleurs portant l’inscription : « Aux mortsdes deux guerres, aux patriotes assassi-nés par les nazis » est déposée au monu-ment aux morts10. Les jeunes résistantsdu Front national poursuivent leur actionle lendemain et rassemblent par tracts 80personnes au monument ; une jeune fille,Josette Bernard, entonne La Marseillaisequi est reprise par l’assistance.

Conclusion La propagande clandestine ne se limitepas à la presse clandestine. L’écoute dela radio anglaise, et accessoirement dela radio suisse, a certainement joué unrôle prépondérant dans l’histoire del’Occupation dans l’Yonne. Le poids de lapresse clandestine n’est pas à négligermais ne doit pas être surestimée. La surreprésentation de la presse communisteaux Archives départementales ne signi-

fie pas une influence communiste équi-valente mais révèle plutôt une puissanteorganisation clandestine.Enfin, il reste difficile d’évaluer l’impactde la presse clandestine sur la popula-tion au regard des sources puisqu’ellesproviennent soit de leurs auteurs soitdes saisies opérées par les autoritésadministratives et policières. L’efficacitéde la propagande radiophonique n’estpas plus aisée en l’absence de sourcesprécises (sinon quelques témoignages)mais est à souligner.Moins spectaculaire et moins connueque les diverses formes de lutte armée,la propagande clandestine a joué cepen-dant un rôle important dans le chemine-ment des esprits qui a conduit de plus enplus d’Icaunais à rejeter le régime deVichy, à partager l’espoir de la Libération,sans aller toujours vers l’engagementdans la Résistance. z FRÉDÉRIC GAND

Notes(1) Les sources la presse clandestine sont lessuivantes : ADY, 1 W 14-26, rapports préfectoraux ;1 W 32-34, répression des activités antinationales ;1 W 70, épuration des panneaux d’affichages ; 1 W91-94, recherche, découverte, saisie et transmis-sions de tracts ; 1 W 95, rapports desRenseignements généraux au préfet. Alexandra LeDoussal , La presse clandestine dans l’Yonne de1940 à 1944, 2 tomes, mémoire de maîtrise,Université de Bourgogne, 1998.(2) ADY, 1 W 19, rapports préfectoraux. Il s’agit dupremier Résistance publié par le « groupe duMusée de l’Homme », un groupe de résistancefondé à l’appel du général De Gaulle et qui étaitformé d’intellectuels et d’ universitaires, parmilesquels Boris Vildé, qui dirigeait le réseau, etl’écrivain Jean Cassou qui lance le journal « Résistance ».(3) Henri de Montfort, ancien envoyé spécial duquotidien Le Temps en Pologne et dans les paysbaltes de 1923 à 1932, fonde le 10 juin 1941 unefeuille clandestine d’obédience gaulliste, LaFrance continue. C’est le futur fondateur à laLibération d’Ici Paris, en référence au fameux « IciLondres, les Français parlent aux Français »(4) En 1942 le retour de Laval au gouvernementde Vichy puis l’invasion de la zone libre par lesAllemands, marque un nouvel élan de Radio Vichy :une réforme législative (financement et moderni-sation des émetteurs) et la création d’un conseilsupérieur de la Radiodiffusion dirigé par PaulDemaison. En 1943, les services de la Radio seregroupent à Paris tandis que la radicalisation dudiscours est perceptible à travers les diatribesantisémites et anticommunistes du nouveauministre de l'Information Philippe Henriot.(5) À Londres, Victor de Laveleye, ancien ministrebelge et speaker de Radio Belgique, lance le 14janvier 1941, une opération de propagande anti-allemande à l’attention des citoyens belges fran-cophones et néérlandophones. avec la lettre « V »pour Vrijheid (liberté) en flamand et Victoire enfrançais.(6) ADY, 1 W 16, 1 W 36 et 1 W 96. Jean-LouisCrémieux-Brilhac , La France libre. De l’appel du 18juin à la Libération, Gallimard, 1996. Signes de laCollaboration et de la Résistance, éd.Autrement/Ministère de la Défense, 2002.(7) Jean-Louis Crémieux-Brilhac , La France libre.De l’appel du 18 juin à la Libération, Gallimard,1996.(8) ADY, 1 W 19, 20, 21, 23 et 29, rapports préfec-toraux.(9) Jean-Yves Boursier , La Résistance dans leJovinien et le groupe Bayard, Mémoire etEngagement, Châlon-sur-Saône, 1993.(10) Robert Loffroy , Souvenirs de guerre, manus-crit inédit.

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LA PROPAGANDE CLANDESTINEA JOUÉ CEPENDANT UN RÔLEIMPORTANT DANS LECHEMINEMENT DES ESPRITS QUIA CONDUIT DE PLUS EN PLUSD’ICAUNAIS À REJETER LERÉGIME DE VICHY, À PARTAGERL’ESPOIR DE LA LIBÉRATION,SANS ALLER TOUJOURS VERSL’ENGAGEMENT DANS LARÉSISTANCE.

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> P o r t r a i t

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e matin Irène est descendueà l’interrogatoire. Quelquesheures plus tard, elle remon-te portée par deux gardiens.

Ils passent devant notre porte entre-bâillée. J’entrevois son visage tuméfié,ravagé. Elle est cassée en deux, inca-pable de marcher, et ses pieds traînentsur le sol. Des gouttes de sang tombentsur la passerelle. Pourtant, le soir, sa voixs’élève de nouveau, aussi ferme, aussirassurante qu’à l’habitude...»Cette femme à la volonté hors du communqui force l’admiration de Jean Léger1, senomme Irène Chiot. Elle est alors âgée de45 ans et dirige un groupe de résistanceparticulièrement actif à partir de l’été1943. Nous avons choisi d’étudier le par-cours résistant d’Irène Chiot non pas uni-quement parce qu’il fut celui d’unefemme au destin tragique, mais surtoutparce qu’il montre que si la majorité desrésistantes était cantonnées aux fonc-tions subalternes de secrétaire oud’agent de liaison, il n’en demeure pasmoins qu’une minorité exerçait des res-ponsabilités importantes, Irène Chiotétant un exemple marquant pour l’Yonne.

Création du groupe Irène Chiot Irène Chiot est née en 1898 à Perreux2

dans l’Aillantais. Assistante sociale,mariée en 1922 mais rapidement divor-cée, elle est décrite comme une personneénergique, volontaire et soucieuse d’indé-pendance. En 1940, refusant l’occupationet désireuse d’agir pour libérer son pays,elle s’installe dans la région de Toulouseet participe à la création d’un réseaunommé Trait d’Union, composé d’anciensmilitaires. Au printemps 1942, pour desraisons que nous ignorons (était-elle enmission3?),Irène Chiot revient dansl’Yonne à Epizy, près de Joigny où vit samère, Anna, pour y créer un groupe derésistance. Il naît à partir d’un noyaufamilial composé de sa cousine, PaulaBuchillot, de son cousin Roger Rouard, etde relations de voisinage comme FernandDufour, Georges Pellard, Henri Eternot,René Deharbe et Georges Vannereux.

Tous sont sédentaires ce qui signifie quecontrairement aux clandestins, ces der-niers ont gardé leur domicile et leur pro-fession. Après les premières actions comme l’or-ganisation d’évasions de prisonniers deguerre à Joigny4, le groupe cherche à sor-tir de son isolement en nouant les pre-miers contacts avec les représentantsdes organisations de résistance les-quelles commencent à s’implanter dansl’Yonne au cours du printemps 1943.

La multiplication des contacts avec lesorganisations de résistanceSelon certains témoignages, Irène Chiotaurait été affiliée au Front national,d’autres affirment qu’elle était unmembre actif du groupe Bayard. En fait,tout en gardant une certaine autonomie,il semble qu’Irène ait été en étroite rela-

tion avec différentes organisations. Sonobjectif principal étant de se procurer desarmes, elle a donc noué de nombreuxcontacts avec en particulier le réseauJean-Marie Buckmaster seule organisa-tion capable de lui en fournir5. À partir dejuin 1943, elle rencontre Pierre Argoud etAlain de la Roussilhe, représentant duréseau Jean-Marie dans l’Yonne. Gagnantla confiance des deux hommes, elle parti-cipe au cours de l’été 1943, aux pre-mières réceptions de parachutage dansl’Yonne6, comme le 23 août à Piffonds etle 16 septembre à Volgré au lieu-dit lesTuileries7.Irène Chiot peut ainsi constituer un dépôtd’armes à Epizy. Une bonne partie de cesarmes bénéficient aux groupes et maquisFTP8. Par l’intermédiaire de GeorgesVannereux, en contact avec Jaminet (« Paulo »), membre de l’état-major FTP,des armes et des munitions passent chezdes groupes et maquis FTP comme celuides frères Horteur, du maquis Vauban etdu maquis Bourgogne dirigé par HenriCamp. Des armes ont pu servir aussi auxgroupes FTP-MOI de la région parisiennecar Michel Herr (« Jacques Mercier ») etJorge Semprun (« Gérard ») étaienthébergés chez Irène Chiot9. Le 7 octobre 1943, un commando compo-sé d’Irène Chiot, de Paula Buschillot, deRoger Rouard et de George Vannereuxorganise le sabotage d’un train allemandstationné à Pontigny. L’explosion de septwagons provoque également une énormeexcavation de 8 mètres de profondeur etendommage les habitations les plusproches, entraînant la mort d’une fillette10.Le journal Le Bourguignon, contrôlé par lacensure allemande, relate le sabotagecomme un accident : « (...) à 4h 30, jeudimatin, une violente explosion dont lesrépercussions s’étendirent en certainspoints à plus de soixante kilomètres,éveilla et mit en émoi une grande partiedes populations de l’Yonne ; la vénérableet célèbre abbaye cistercienne n’a elle-même pas été épargnée. La voûte dusanctuaire est gravement fissurée (...) »

L’arrestation et la déportation d’Irène ChiotQuelques heures après le sabotage,Georges Vannereux11 est appréhendé lorsd’un contrôle de police. Le lendemain,trois agents de la Gestapo effectuent une

Le 7 octobre 1943, uncommando composé d’IrèneChiot, de Paula Buschillot, deRoger Rouard et de GeorgeVannereux organise lesabotage d’un train allemandstationné à Pontigny.

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Une femme dans la résistance, IRÈNE CHIOT

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> L e C o n c o u r s

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descente au domicile d’Irène Chiot. Ils l’arrêtent ainsi queSemprun surpris dans son sommeil. Vannereux a-t-il parlé ?Les Allemands savaient-ils qu’ils investissaient le quartiergénéral d’un groupe de résistance actif ? Il est permis d’endouter car ils n’ont pas pris la peine de perquisitionner lagrange dans laquelle se trouvait le dépôt d’armes. En fait,il semble que le manque de discrétion des résistants etleurs incessants allers et retours soient à l’origine de cettedouble arrestation qui entraîne le démantèlement dugroupe, Irène Chiot étant incarcérée à la prison d’Auxerre. Le fait d’être une femme ne protège nullement de la bar-barie des policiers allemands. Après avoir été atrocementtorturée, Irène Chiot est transférée au camp deCompiègne fin janvier 1944. Quelques jours plus tard, le 31janvier, elle fait partie avec cinq résistantes icaunaises duplus important convoi de déportées de France vers lecamp de Ravensbrück (959 femmes). Irène Chiot décède-ra d’épuisement et de dysenterie à Bergen-Belsen le 6 juin1945, quelques semaines après la libération du camp12. zTHIERRY ROBLIN

Le concours est cette année, suivant la règle d’alter-nance, consacré à la déportation. Le sujet choisi est :« Le travail dans l’univers concentrationnaire ». Cesujet, en apparence simple, soulève de nombreuses

questions.Il faut d’abord délimiter clairement le sujet. Depuis le débutde la guerre les Allemands ont décidé d’utiliser la popula-tion des pays occupés pour produire ce dont ils avaientbesoin, réaliser des travaux, etc. Ils ont recouru à tous lesmoyens pour cela. Ils ont réquisitionné la production detrès nombreuses usines ( automobile, aviation, métallurgie,chimie…) en faisant le chantage aux matières premières.Plusieurs usines du département fabriquent des filets decamouflage pour l’armée de l’air allemande (Luftwaffe), parexemple. Cette production est payée avec l’argent exigé dugouvernement de Vichy ( une clause de l’armistice contraintla France à verser 400 millions de francs par jour auxAllemands).La deuxième méthode est la réquisition de travailleurs soiten France pour les chantiers ouverts par les Allemands dansle cadre de l’organisation Todt, en particulier pour laconstruction du « mur de l’Atlantique », soit à partir de1942 en Allemagne. La loi de février 1943 instaure leService du travail obligatoire (STO). Mais dans tous ces casil ne s’agit pas de « déportation », même si certains desrequis du STO voudraient qu’on leur accorde la qualifica-tion de « déportés du travail ».Le sujet ne concerne que l’univers concentrationnaire ausens strict. Cet univers comprend les camps de concentra-tion dont on connaît les noms, Buchenwald, Dachau,Neuengamme, Bergen-Belsen, Ravensbrück, Mauthausen,Sachsenhausen, en France celui de Natzweller-Struhof, etc..mais aussi d’innombrables camps annexes ou kommandos,plus de mille au total, ( un des plus sinistrement célèbres estcelui de Dora, devenu camp ensuite) ; il faut y inclure descamps où est mise en œuvre l’extermination, mais qui sontaussi des camps de concentration, comme Auschwitz etMaïdanek. La première donnée, essentielle, est ce que nous ont trans-mis les survivants sur leur calvaire. Les récits, les témoi-gnages, font tous état des conditions épouvantables danslesquelles travaillaient les déportés. Germaine Tillion, qui aété déportée à Ravensbrück écrit : « C’était à la fois obtenirle plus fort rendement et créer un climat de férocité […] Lerendement qu’on a tiré de moi a dû être excessivementfaible, car le plus souvent j’étais attelée à un rouleau de

deuxmilleseptCONCOURS2007

Notes(1) Léger Jean, Petite Chronique de l’Horreur Ordinaire, A.N.A.C.R.-Yonne, 1998. (2)Une plaque commémorative a été posée sur la façade de la maisonnatale d’Irène Chiot sur une initiative de l’ANCR-Yonne en 2005. Unerue porte également son nom à Epizy.(3) D’après Paula Buschillot et Roger Rouard, (témoignages parusdans l’ouvrage d’Alain Vincent, Les blés rouges, la bataille du rail àLaroche-Migennes, éditions de l’Armançon, 1996), Irène Chiot auraitétabli des contacts avec le colonel Buckmaster, un des responsablesdu SOE. Il n’est donc pas interdit de penser qu’Irène a pu être envoyeren mission dans l’Yonne pour y créer un réseau.(4) Un camp de prisonniers appelé Frontstalag est implanté sur lesbords de l’Yonne à Joigny. Une filière autour de la famille Herbin, s’or-ganise pour aider ceux qui le souhaitent à s’évader.(5) Ce réseau dépendait du Section Operation Service, créé par lesBritanniques au cours de l’été 1941 afin d’aider au développement desorganisations de résistance dans l’Europe occupée par l’Allemagnenazie. Grâce aux nombreux parachutages, les réseaux SOE avaientd’importants moyens en armes et en argent. (6) Il y avait bien eu le parachutage dans le Morvan dans la nuit du 21au 22 novembre 1942 organisé par le BCRA mais il n’était pas destiné,à l’origine, aux résistants de l’Yonne. Ce n’est vraiment qu’à partir duprintemps 1943 que les parachutages sont organisés dans l’Yonne.(7) Témoignage de Jean Guyet chargé d’établir la liaison entre PierreArgoud et Irène Chiot.(8) Les premiers maquis FTP apparaissent en 1943, mais ils sontencore très rares et leur création résulte de circonstances particu-lières. Ce sont de petits groupes mobiles, qui bénéficient de l’appuilogistique des groupes de sédentaires et des membres locaux duFront national, qui se livrent à des sabotages et qui, à l’exception dumaquis Vauban, disparaissent à l’automne.(9) Michel Herr et Jorge Semprun étaient chargés par les FTP-MOI(main d’œuvre immigrée) d’infiltrer le réseau Jean-Marie afin de récu-pérer des armes. Dans l’Yonne, ils ont caché leur véritable appartenan-ce, même auprès des responsables FTP de l’Yonne.(10) Deux maisons se sont effondrées et Andrée Merle, une fillette dedouze ans, est morte ensevelie sous les décombres. ADY 1W.(11) Transféré à la prison d’Auxerre, Vannereux y rencontre JorgeSemprun qui l’évoquera sous le nom de « Vacheron » dans son romanLe grand voyage. Rapidement jugé par un tribunal militaire allemand,Georges Vannereux est fusillé le 8 novembre 1943 au champ de tird’Egriselles.(12) AN, 72 AJ 208.

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fonte qui était censé entretenir les routes du camp. C’est àpeu près tout ce que j’ai fait : j’ai été terrassière pendanttoute ma captivité, dernier degré dans la hiérarchie des « forçates » du camp. »1

Jean Léger évoque le travail à Kochem (un des kommandosde Buchenwald) ; il s’agit d’installer une usine souterrainedans un tunnel ferroviaire (nous sommes en 1943, et lesAllemands sont contraints d’enterrer leurs installations àcause des bombardements alliés). Le travail consiste à : « pratiquer dans les parois des excavations à des fins incon-nues de nous. Le travail à la barre à mine, dans le rocher,est affreusement pénible. Chaque coup – j’en donne lemoins possible – résonne douloureusement dans les bras etla colonne vertébrale. La poussière règne en maîtresse ets’infiltre partout : dans le nez, dans les yeux, et dans lespoumons […] Partout, le rythme imposé est infernal. Leskapos hurlent sans cesse et frappent sans arrêt, pour un ins-tant de repos, pour un regard trop appuyé, pour rien,comme cela, en passant, pour s’entretenir la main. Les for-çats qui sortent les déchets sur des wagonnets le font au pasde course […] Le soir, après douze heures de travail dansces conditions, nous rentrons en traînant nos morts sur desbrouettes, vidés, au bord de la rupture. »2

De très nombreux récits traduisent la mêmeréalité : un travail harassant et simultanémentune violence extrême, comme si les Allemandsne cherchaient pas à garder au moins la capaci-té de travail des déportés, alors qu’ils ontbesoin de main d’œuvre. Le commandant deBuchenwald, Erich Koch, signe le 12 octobre1939 un ordre significatif : « Je répète une fois de plus qu’ilest strictement interdit d’employer dans le camp où ils sontinternés des physiciens en tant que physiciens… »Malgré les conditions épouvantables auxquelles ils étaientsoumis, il ne faut pas oublier que dans un certain nombred’usines (d’armement, en particulier), des déportés ontessayé, pour certains réussi, à opérer des sabotages. Le systè-me nazi n’était pas parvenu à briser leur volonté de résister.Ils savaient, bien sûr, qu’ils risquaient la mort immédiate.Quelle était donc la place du travail dans le système concen-trationnaire ? Les choses ont évolué tout au long de la guer-

re, et surtout à partir de 1941-42. La guerre a d’une partaugmenté très fortement les besoins en hommes, d’autrepart précipité la mise en place de la « solution finale » de laquestion juive. Les tensions deviennent fortes au sein mêmede l’appareil nazi ; certains veulent donner la priorité àl’économie, à l’utilisation de la main d’œuvre constituée parles déportés qu’ils soient juifs ou non, d’autres moins. Voicice que déclare Goering au cours du procès de Nüremberg :« À ce moment-là (en 1942) la masse humaine (des prison-niers de guerre russes) n’avait pas à nos yeux comme matiè-re première (sic) et comme main d’œuvre, la valeur quenous lui accordons aujourd’hui, et le fait que des centainesde milliers de prisonniers soient morts d’épuisement et defaim est à déplorer, mais pas au point de vue racial : à causede la perte de main d’œuvre subie. »3 La liquidation des pri-sonniers de guerre russes est ralentie et un grand nombre estemployé dans tous les secteurs de l’économie, évidemmenten contradiction avec la Convention de La Haye de 19074.C’est finalement en 1942 que la ligne est fixée. C’estOswald Pohl, chef de l’Office central de l’administration etde l’économie de la SS (Wirtschaftsverwaltungshauptamt,WVHA) récemment créé, responsable à ce titre de tous lescamps de concentration rédige un texte qui définit les règlesde l’exploitation du travail des déportés : « La guerre aamené un changement marqué dans les structures descamps de concentration et a considérablement changé leurrôle en ce qui concerne l’emploi des prisonniers .L’internement des prisonniers pour les seules raisons desécurité, d’éducation ou de prévention, n’est plus la condi-tion essentielle, l’accent est à porter maintenant sur le côtééconomique […] Pour cette raison j’ai rassemblé tous leschefs de l’ancienne inspection des camps de concentration,tous les commandants des camps et tous les directeurs etsurveillants de travaux, les 23 et 24 avril 1942. J’ai résumédans l’ordre ci-joint les points essentiels... » Et l’ordre suit :« Le commandant du camp est seul responsable de l’emploide la main d’œuvre disponible. Cet emploi doit être total ausens propre du mot, afin d’obtenir le rendement maximum[…] Il n’y a pas de limite à la durée du travail […] Elle est

fixée par les commandants de camps seuls.Toutes les circonstances qui pourraient entraîner un rac-courcissement de la durée du travail (par exemple repas,appels..) doivent en conséquence être réduits à un strictminimum. Il est interdit de permettre de longues marchesjusqu’aux lieux de travail […] Il appartient au commandantdu camp de faire preuve d’initiative, d’apprécier avec intelli-gence les possibilités des groupes humains, afin d’obtenird’eux le plus fort potentiel productif. »Le ministre de la production industrielle et des armements,Speer, a essayé de prendre le contrôle d’une partie au moins

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De très nombreux récits traduisent la même réalité : un travail harassant et simultanément une violence extrême,comme si les Allemands ne cherchaient pas à garder au moinsla capacité de travail des déportés, alors qu’ils ont besoin demain d’œuvre.

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