anthropologie de la nature

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  • 7/24/2019 Anthropologie de La Nature

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    Anthropologie de la nature

    M. Philippe D, professeur

    C : O ()

    On a continu cette anne lenqute dmarre lanne prcdente sous lintitul ontologie des images en poursuivant lexamen des modalits de la figurationcorrespondant aux quatre types dinfrence ontologique mis en vidence dans destravaux antrieurs. La figuration ainsi entendue est cette activit universelle, et

    propre aux humains, de fabrication, de dcoration, de transformation ou de miseen situation dun objet, ou dun ensemble dobjets, en vue de le convertir enimage, cest--dire en un signe qui soit la fois iconique et indiciel (selon laterminologie de Peirce). Prcisons que liconicit nest pas la ressemblance, puisquillui suffit pour oprer quune unique qualit de la chose figure soit reconnaissabledans limage, voire dans le seul intitul qui la dsigne. Quant la dimensionindicielle des images, elle tient au fait que celles-ci peuvent tre vues commeprolongeant les tats internes de ceux qui les ont fabriques ou comme exprimantlintentionnalit des entits quelles reprsentent, ce qui parat leur donner uneagentivit sui generiset les qualifier comme des actants de plein droit dans la vie

    sociale. Outre cette remarquable aptitude signifier autre chose quelle-mme touten semblant anime dune causalit intentionnelle propre, limage figurative a aussila capacit de rendre visibles des caractristiques ontologiques prtes aux objetsdu monde. Lhypothse qui sert de fil conducteur cette enqute est en effet quecertaines images rvlent, dans leur contenu et dans leur organisation formelle, dessystmes diffrentiels de qualits dtectes dans les choses et les relations decontinuit et de discontinuit que lon peut dceler entre elles, bref des ontologies.

    Toutes les images iconiques nont pas ncessairement cette proprit ; des imagesfort communes ont dautres finalits, comme cest le cas, par exemple, des blasons,des pictographies, des caricatures ou des idogrammes. Les images qui mettent en

    vidence des dimensions ontologiques possdent ceci de particulier que lonparvient en gnral reprer en elles un jeu subtil sur les rapports entre la

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    physicalit et lintriorit des objets reprsents, lequel se dcline en un nombre

    restreint de formules correspondant autant de faons de percevoir des relationsde similitude et de contraste entre les choses. En effet, les formes individuelles etcollectives de structuration de lexprience du monde peuvent tre ramenes unpetit nombre de modes didentification correspondant aux diffrentes manires dedtecter des qualits dans les existants, cest--dire de reconnatre en eux certainesaptitudes les rendant capables de tel ou tel type daction. Fonde sur les diversespossibilits dimputer un aliud indtermin une physicalit et une intrioritsemblables ou dissemblables celles dont tout humain fait lexprience,lidentification peut donc se dcliner en quatre formules ontologiques : soit laplupart des existants sont rputs avoir une intriorit similaire tout en se

    distinguant par leurs corps, et cest lanimisme ; soit les humains sont seuls possder le privilge de lintriorit tout en se rattachant au continuum des non-humains par leurs caractristiques matrielles, et cest le naturalisme ; soit certainshumains et non-humains partagent, lintrieur dune classe nomme, les mmesproprits physiques et morales issues dun prototype, tout en se distinguant enbloc dautres classes du mme type, et cest le totmisme ; soit tous les lmentsdu monde se diffrencient les uns des autres ontologiquement, raison pour laquelleil convient de trouver entre eux des correspondances stables, et cest lanalogisme(cf. Par-del nature et culture, 2005). Le cours de lanne 2006-2007 avait tconsacr explorer les proprits figuratives de lanimisme en montrant, partirdexemples tirs de laire arctique et de lAmazonie, comment lintriorit des

    diverses sortes dexistant y est rendue visible ainsi que la faon dont celle-ci habitedes corps diffrents identifiables sans quivoque par des indices despce. Dans lecours de lanne 2008-2009, on avait continu ltude des modes de figurationontologique en examinant dabord la mise en image du totmisme partir desmatriaux australiens, puis celle du naturalisme naissant, cest--dire la nouvellemanire de reprsenter qui se met en place en Europe au dbut du e sicle.Durant la prsente anne on a poursuivi lanalyse de la figuration naturaliste,tandis que la seconde partie du cours a permis ltude des modalits de la figurationdans lontologie analogiste.

    La figuration naturaliste

    Un bref rappel des caractristiques figuratives du naturalisme exposes lanneprcdente est ici indispensable afin de mettre en perspective les dveloppementsque lon consacra son volution dans lenseignement de cette anne. Au sens oon lentend ici, le naturalisme commence merger dans les textes en Europe partir du esicle pour ne prendre une forme acheve que deux sicles plus tardavec lavnement de la notion de culture et des sciences qui en traitent. Durantcette priode, une perception des qualits du monde voit peu peu le jour quisappuie sur deux infrences complmentaires : les humains se dissocient nettement

    du reste des existants du fait des capacits cognitives que leur intriorit singulireleur confre, tout en tant semblables eux par leurs dterminations physiques. La

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    formule du naturalisme est donc inverse de celle de lanimisme : cest par leur

    esprit, non par leur corps, que les humains se distinguent des non-humains,notamment par cette intelligence rflexive de soi que dsigne le cogitocartsien, etcest aussi par leur esprit, hypostasi en me collective, quils se distinguent les unsdes autres dans des ensembles unifis par le partage dune langue, dune culture,dun systme dusages. Quant aux corps, ils sont tous soumis aux dcrets de lanature, ils relvent de luniversel linstar de lespace, du temps et de la substance,de sorte quils ne sauraient servir singulariser les humains comme une classedtres part.

    Toutefois, si la naissance du naturalisme europen peut tre fixe au esiclesous son aspect normatif et propositionnel, il nen a pas ncessairement t de

    mme dans les autres champs, notamment dans celui des images, car il semble bienque le monde nouveau a commenc devenir visible dans des reprsentationsiconiques avant dtre systmatis dans le discours. En effet, les deux traits quunefiguration de lontologie naturaliste doit au premier chef objectiver sont lintrioritdistinctive de chaque humain et la continuit physique des tres et des choses dansun espace dpeint de faon homogne ; or il ne fait gure de doute que ces deuxobjectifs ont reu un dbut de ralisation dans la peinture du nord de lEurope dsle e sicle, cest--dire bien avant que les bouleversements scientifiques et lesthories philosophiques de lge classique ne leur donnent la forme argumente quisignale dordinaire laccouchement de la priode moderne pour les historiens desides. Ce qui caractrise la nouvelle faon de peindre qui nat en Bourgogne et enFlandres cette poque, cest lirruption de la figuration de lindividu, daborddans les enluminures, o sont reprsents des personnages aux traits ralistes,dpeints dans un cadre raliste, en train de raliser des tches ralistes, puis dansdes tableaux que caractrisent la continuit des espaces reprsents, la prcisionavec laquelle les moindres dtails du monde matriel sont rendus et lindividuationdes sujets humains, dot chacun dune physionomie qui lui est propre. Larvolution dans lart de peindre qui se produit alors installe durablement en Europeune manire de figurer qui met laccent sur lidentit individuelle de licone, duprototype, de lartiste et du destinataire, une manire de figurer qui se traduit parune virtuosit croissante dans deux genres indits : la peinture de lme, cest--dire

    la reprsentation de lintriorit comme indice de la singularit des personneshumaines, et limitation de la nature, cest--dire la reprsentation des contigutsmatrielles au sein dun monde physique qui mrite dtre observ et dcrit pourlui-mme. Le premier genre se manifeste dans le dveloppement dun vritable artdu portrait dont tmoignent les chefs-duvre de Robert Campin, Jan Van Eyckou Rogier Van der Weyden. Leurs sujets ne sont plus des princes, des rois ou desempereurs, reprsents conformment un modle idal, mais des gens ordinairesdpeints avec un grand souci de ralisme, cest--dire au plus prs de leurphysionomie, sans dissimuler leurs imperfections physiques ni ce que les traits deleur visage peuvent rvler de leur caractre. Quant limitation de la nature, elle

    se donne voir avec clat dans la peinture de paysage, une spcialit de lEuropedu Nord o fut notamment invente la vision panoramique. Celle-ci, la diffrence

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    de la perspective litalienne, figurant un morceau de pays construit la manire

    dune scne de thtre, vise dcrire de faon exhaustive un monde dune infiniediversit dont tout suggre quil se prolonge au-del des bords du cadre ; le tableaunest pas la mise en scne dun point de vue, mais une dcoupe arbitraire dans lecontinu des choses.

    Lontologie naturaliste ne connat pourtant pas son plein panouissement aveclavnement de lart du portrait et du paysage entre le e et le e sicle. Elletranche en effet sur les autres ontologies, plus statiques, en ce quelle est animepar une tension dynamique entre lme et le corps qui voit lintriorit distinctivedes humains, au dbut affirme sans ambages dans les images puis dans les textes,se trouver peu peu subordonne luniversalit des dterminations physiques.

    Longtemps rticentes englober dans leur juridiction ce quon appelle lesprit celui dun homme ou celui dun peuple , les sciences de la nature ont fini parsuivre la voie esquisse ds le e sicle par des penseurs matrialistes comme LaMettrie ou Condillac en tentant de rduire cette substance immatrielle unecausalit et un mcanisme matriels. Certes, ce mouvement de naturalisation delintriorit est prsent plus manifeste car il a pris beaucoup dampleur dans lesdernires dcennies du e sicle avec le dveloppement de la thse physicaliste enphilosophie et dans les neurosciences : la conscience, la subjectivit, les dilemmesmoraux, les particularismes culturels, et mme la cration artistique tendent deplus en plus tre expliqus comme des proprits mergentes ou des consquencesadaptatives de fonctions biologiques et de mcanismes neuraux dvelopps aucours de la phylogense dHomo sapiens. Mais, l encore, les images ont anticipde beaucoup lexpression discursive de cette rduction du moral au physique ; elleslont fait travers un processus dimmanentisation progressive au cours duquel lesoccupants du monde sont peu peu devenus ce quils sont en rfrence exclusive eux-mmes, non plus comme des signes dautre chose. Cest cette mutationprogressive de la figuration naturaliste entendue comme une histoire de la qutede lobjectivit dans les images qui a fait lobjet de la premire partie du cours.

    Approche iconologique et approche anthropologique

    La figuration naturaliste possde une autre particularit qui rend son approchesingulire : elle est lobjet presque exclusif dune discipline ancienne et prestigieuse,lhistoire de lart, dont les mthodes et les objectifs diffrent sensiblement de ceuxengags dans ce cours sur lanthropologie de la figuration. Afin de prvenir toutmalentendu, il ntait pas inopportun de revenir sur ces diffrences. Si lon a choiside dfinir le naturalisme en le singularisant par deux caractristiques, lintrioritdistinctive des humains, dune part, et luniversalit des principes qui rgissent leurdimension physique, dautre part, cest que ces deux traits contrastifs sont ceux quiparaissent les plus pertinents pour comprendre la spcificit de cette ontologie auregard des autres. Du fait dun tel choix, lon est ncessairement condamn

    rduire des paramtres dune relative simplicit la trs riche tradition de lartoccidental, la foisonnante diversit dont elle a tmoign pendant six sicles, les

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    emprunts, chos et citations entre artistes qui font sa saveur et sa complexit, enfin

    toute la symbolique qui permet de dchiffrer le sens des uvres et dont les racinespuisent dailleurs pour lessentiel dans un terreau constitu bien avant la naissancedu naturalisme. Cette simplification est un risque assum, car cest elle qui fournitles outils servant qualifier les spcificits du naturalisme au regard dautres modesde figuration, ce quune approche purement internaliste de lart occidental nepermettrait pas daccomplir. Ainsi, devant une nature morte de Willem ClaeszonHeda ou de Willem Kalf, on peut tenter de dgager la signification symboliquedes objets qui la composent et qui renvoient des codes partags par le peintre etses contemporains, codes que les historiens de lart ont su restituer avec uneadmirable rudition. Dans ce cadre danalyse, on sait que chacun des fruits et des

    lgumes dpeints avec une minutie maniaque, chacun des aliments, chacun desanimaux, insectes ou poisson, mort ou vif, fait rfrence lhistoire sacre, unequalit, un dfaut ; selon la conjonction des lments, lon peut donc dchiffrerle sens moral que lartiste a voulu donner son uvre, voire lironie quil y meten juxtaposant des symboles opposs. Mais une telle interprtation iconologique,tout entire appuye sur un savoir local hautement spcifique, ne sera daucunsecours si lon tente dlucider en quoi ce genre dimage est tout fait singulier,pourquoi lon a fait des natures mortes en Europe partir dune certaine poqueet pas ailleurs dans le monde ? Pourquoi les peintres y ont investi une telle obsessionde la vracit mimtique ? Pourquoi, par exemple, y figure-t-on un perroquet toutentier symbole dloquence et de faon raliste, au lieu de se contenter

    dvoquer sa prsence par quelques plumes insres dans un diadme, ainsi que lefont les Indiens dAmazonie ? Autrement dit, liconologie classique ne permettrapas de dcouvrir en quoi cette nature morte, dans toute la richesse de sonsymbolisme historiquement contingent, peut prsenter un contraste pertinent avecun masque animal yupik ou avec limage trs stylise dun cerf quun Indienhuichol aura figur dans une calebasse au moyen de perles de verre. Or la raisonde ce genre de contraste est la seule question qui vaille pour une anthropologie dela figuration entendue comme thorie gnrale et comparative des images, et cestprcisment la question laquelle une histoire interne de lart occidental ne peutapporter de rponse, pas plus dailleurs quune ethnologie de lart huichol,

    uniquement concerne par les significations rituelles et mythiques des artfacts, neserait capable de dire en quoi telle image dpeinte dans une calebasse ou sur unerosace votive peut tre compare avec un mt hraldique de la cte Nord-Ouestou avec une statue de divinit polynsienne.

    La description du monde

    Au eet au esicle, les reprsentations ralistes des personnages et du cadrede leur vie quotidienne sont encore asservies un objectif suprieur, en gnral denature difiante. Certes, la priphrie des images se constitue en espace autonome ;

    chez Campin ou Van Eyck, les paysages, les difices, les animaux, les meubles, toutce dcor dune bouleversante exactitude chappe pour lessentiel des finalits

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    symboliques et manifeste surtout lattention au rel et le dsir den reproduire

    toutes les nuances. Toutefois, la scne centrale continue dtre le foyer de sens etle principe dorganisation qui donne cohrence et justification limage : unpisode de lhistoire sacre le plus souvent, une scne tire dun rpertoire desituations ou de conditions la bergre ou larchitecte, les activits agricoles de telou tel mois, un pisode dune chasse lpieu ou au faucon ou encore, thmede prdilection de la peinture flamande, une vocation des vices et des vertus. Bref,le naturalisme naissant se niche surtout dans les dtails. Il faudra attendre lespeintres hollandais du esicle pour que ces dtails, en accaparant tout lespacede la toile, finissent par constituer le sujet mme du tableau. Non que les thmesemprunts la mythologie, aux Saintes critures ou lhistoire aient disparu pour

    autant ; ils constituaient sans doute lessentiel de la production dimages desProvinces-Unies. Pourtant, ct des thmes historiques et allgoriques, unenouvelle peinture de genre y voit le jour qui infuse le monde matriel dans saplaisante banalit dune dignit et dune beaut paisibles que personne auparavantnavait su rendre ainsi. Les scnes de la vie quotidienne que dpeignent GrardDou, Pieter de Hooch ou Samuel Van Hoogstraten sont bien loignes de llandes histoires sacres et des gestes hroques qui transportent le spectateur dans unplan si lev quil en devient alin lui-mme ; dans les figurations du mondeprofane, par contraste, dans ces arrire-cours ombrages et ces cuisines aux carreauxbien cirs, il suffit aux choses dtre pour quelles soient dignes dintrt commelcrit Taine (Philosophie de lart dans les Pays-Bas, 1869). Or cest cette peinturehollandaise, notamment les paysages et les natures mortes, qui rvle de faonexemplaire comment une nouvelle tape a t franchie dans la figuration delontologie naturaliste, et cela lpoque mme, le esicle, o cette ontologiecommence merger de faon rflexive dans les textes. La fidlit la nature,cest--dire la mise en vidence que les qualits physiques des tres et des chosesfont partie dun mme continuum universel, y prend en effet une placeprpondrante, mme si, par contraste avec la peinture italienne, abondammentcommente par ceux qui la font, les aspirations des artistes hollandais nous sontbeaucoup moins connues.

    Pour reprendre la distinction propose par Svetlana Alpers (Lart de dpeindre,

    1983), la peinture du Sicle dOr hollandais est essentiellement descriptive, commeltait la peinture des matres flamands auparavant ; elle rend manifeste lattentionporte la surface des choses et le dsir de restituer leur diversit par un traitementiconique homogne, la diffrence de la peinture italienne, qui relve dune cultureplus narrative et textuelle. Interprter lart hollandais dans une perspectivestrictement iconologique, en cherchant y dtecter un symbolisme caractristiquedu modle de lUtpictura poesis, est donc un contresens. Il est prfrable de leconsidrer comme un usage iconique de lespace destin figurer des qualits dumonde, et visant les rendre prsentes comme par une empreinte, raison pourlaquelle on a souvent compar la peinture hollandaise la photographie, deux

    entreprises mimtiques dans lesquelles le signe est la fois icone et indice. Il estmme probable que la traduction en images de lontologie naturaliste soit avant

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    tout cela, une tentative de parvenir au plus grand degr dexactitude dans la

    description de la complexit du monde, un point de vue imitatif qui se prteparticulirement bien la mise en vidence de proprits ontologiques, parcontraste avec la figuration de grands thmes narratifs, qui est un art du temps etde la squentialit, et pour lequel, au fond, le discours demeure le vecteur le plusappropri. Par contraste avec la conception albertienne du tableau une fentre travers laquelle le spectateur regarde un substitut du monde , il sagit ici deffacerla frontire entre luvre dart et les uvres de la nature ce pour quoi PieterBruegel fut lou par Abraham Ortelius comme entre celle-ci et les autrescatgories dimages. En outre, la peinture dans la Hollande de lpoque est lunedes manifestations dun engouement pour lobservation qui se traduit par le succs

    de divers dispositifs optiques microscope, tlescope, chambre noire lesquelspermettent une vue dite naturelle que les peintres cherchent muler, parcontraste avec la vue en perspective litalienne, construite partir de lobservateur.Idalement, ainsi que laffirment certains peintres hollandais, on ne devrait paspouvoir reconnatre dans un tableau la main dun artiste particulier, lequel nestque la simple et discrte mdiation du monde tel quil est.

    La peinture hollandaise du Sicle dOr est une manifestation parmi dautresdune culture visuelle qui met au premier plan lobservation dtaille, la descriptionminutieuse et la curiosit exprimentale, et o, de ce fait, pratique artistique etpratique scientifique vont de concert. Outre lintrt pour le mimtisme donttmoigne lusage de la chambre noire quelle ait t effectivement employe ounon par les peintres , cette convergence est manifeste dans deux cas sur lesquelsS. Alpers a justement attir lattention : la relation entre nature morte et vuemicroscopique et celle entre paysage et cartographie. Le premier cas renvoie lhabitude quont les peintres hollandais douvrir les objets reprsents dans leursnatures mortes de faon rvler leur aspect cach : les fruits, les noix, les tourtes,les fromages, les hutres sont pels, dcoups ou entrebills, tandis que les cruchesou les verres sont renverss pour exhiber leur dessous. Pourquoi dpeindre uncitron ou une grenade avec tant de maniaque mticulosit, avec un art siconsomm ? Est-ce vraiment pour signifier que la beaut est transitoire, que toutest vanit, que la goinfrerie est condamnable ? Plutt quune allgorie convenue, il

    vaut mieux voir dans ce genre de peinture un vritable travail de dissection, le dsirde faire apparatre derrire les surfaces, la structure et la texture interne des choses.Il ne sagit pas de transformer la nature en une abstraction soumise un point devue unique, mais de rendre visible chacune de ses parties dans toute la vrit dunebeaut sans apprt. Quant la cartographie, elle joue un rle minent dans laculture visuelle de la Hollande du e sicle ; non seulement parce que les cartesdcoraient les murs des maisons linstar des tableaux, mais aussi parce que lesactivits du peintre et du cartographe, lun et lautre des descripteurs de monde,taient tout fait parallles. Du reste, les tableaux de paysage sont souventconstruits selon un schme driv des vues topographiques reprsentant les villes

    telles quelles sont figures dans les atlas chorographiques ou dans les cartoucheslatraux des cartes gographiques.

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    Lintriorit indcise

    En mme temps quelle pousse un degr jamais atteint lobservation et ladescription des qualits physiques des existants, la peinture hollandaise du e

    sicle introduit un doute quant la singularit de lintriorit des humains. Ceciest manifeste dans la peinture de genre, ces tableaux reprsentant des scnes de lavie quotidienne qui ont assur sa notorit lart des Pays-Bas. Dabord, lespersonnages qui peuplent ces tableaux sont des anonymes : soldat, servante oubourgeoise, ce sont des types sociaux et non des individualits identifiables.Comme Tzvetan Todorov la bien vu (loge du quotidien, 1993), ltre figur y estfonction de laction quil accomplit ou de la situation dans laquelle il est pris, ladiffrence du portrait dans lequel lenvironnement et le contexte daction sont au

    service de la vrit du personnage. Cela ne signifie pas que la peinture de genretrancherait sur le reste de la peinture hollandaise en racontant des histoires, parcontraste avec le portrait, le paysage et la nature morte qui seraient exclusivementdescriptifs. La plus grande partie de la peinture de genre a galement pour finalitde dcrire, non pas des substances, des sites ou des personnes, mais les conditionspragmatiques dun vnement. linstar de lArt de la peinture de Vermeer (cf.lanalyse de Daniel Arasse dans LAmbition de Vermeer, 1993), les tableaux quirelvent de la peinture de genre sont, pour lessentiel, des descriptions des ressortsde laction, des reprsentations de reprsentation dune allgorie ou dun messagemoral, mais elles nindiquent rien de la signification que revt laction, tant pour

    le spectateur que pour les personnages qui la ralisent. Bref, les tres dpeints ontune intriorit vanescente et un moi indcidable car ils sont la simple instanciationtypique de ce quune scne typique exige. Lme est devenue une proprit desactions, et peut-tre mme des choses, dont les individus ne sont que desrverbrations, tout comme les fruits des natures mortes rverbrent une lumirediffuse dont la source est insaisissable. cela sajoute que la scne typique ne lestpas autant quon pourrait le penser et quune trs grande latitude dinterprtationest laisse au spectateur quant ce qui se passe rellement sur la toile, ce quicontribue encore plus vider les personnages dune subjectivit reconnaissable.

    Le corps tel quil estLvolution du naturalisme en images est lhistoire de lmancipation progressive

    de celles-ci lgard des canons du Beau et des significations symboliquestransmises par la tradition, le souci de la fidlit aux choses mmes lemportantpeu peu sur le respect des contraintes imposes simultanment par les codesreligieux et par lidal esthtique de lUtpictura poesis. La peinture hollandaise delge dor offre, on la vu, un bon exemple de cette tension ; mais cest sans douteautour du corps humain que le divorce sera finalement consomm. Il spare ausicle suivant, et en France particulirement, ceux qui, la suite de Descartes etde La Mettrie, voient dans lhomme et lanimal dingnieuses machines dont on

    peut percer les mcanismes, des machines faites de rouages, de pompes et desoufflets, linstar des automates que Vaucanson, les frres Jaquet-Droz et dautre

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    habiles horlogers-mcaniciens ont su construire pour muler la vie, et, de lautre

    ct, les artistes engags dans une qute de lidal et du style, les Watteau,Boucher, Greuze et Fragonard, attachs montrer dans leurs uvres toute lagamme des passions humaines. Un bon indice de cette tension est le dbat sur lapart dvolue lenseignement de lanatomie dans les beaux-arts. Non pas, biensr, que la dissection et la figuration anatomique aient attendu le e siclepour tre chose courante en Europe. La premire est commune ds le dbut duesicle en Italie du nord ; quant la seconde, elle se dveloppe considrablement la Renaissance, notamment grce au clbre trait illustr de Vsale (De humaniscorporis fabrica, 1543) qui connatra une longue postrit. Ce que le esicleapporte de nouveau, cest une lente libration de la figuration du corps humain

    du canon idal de la beaut antique. Celle-ci ne sest pas faite sans opposition ( cf.Philippe Comar, Une leon danatomie lcole des Beaux-arts , 2008). lAcadmie royale de peinture et de sculpture, le point de vue des artistesprdomine jusque dans les annes 1740 : la recherche dune trop grande exactitudeanatomique est vue comme un dvoiement dans la qute du Beau idal et commeun asservissement de lart la science. Les choses commencent changer avec lanomination comme professeur danatomie du chirurgien Jean-Joseph Sue, auteurdun trait inspir par les conceptions mcanistes de Descartes. Lentre delcorch de Houdon lAcadmie en 1769 marque une autre rupture : il est lafois fidle lanatomie sans tre parfaitement exact, ses formes pures et sesvolumes simplifis se conformant lesthtique classique. Le succs de cet corch,en France et en Europe, va exercer un effet dentranement et susciter parmi lesartistes un vif intrt pour les tudes anatomiques. la fin du e sicle,lenseignement des beaux-arts comporte dsormais ce que lon pourrait appelerune anthropologie physique compare, cest--dire une tude systmatique desvariations de la singularit morale en fonction des caractristiques physiques. Peu peu se met en place une sorte dquivalent figuratif du doute mthodique, parlequel, grce lexprience de la dissection, lartiste se dprend des schmesvisuels transmis par la tradition en reconstituant des corps complets partir deleurs composantes lmentaires. Les corchs ont dfait le lien entre le corps etla beaut intrieure que le nu avait longtemps tenu nou ; derrire la peau

    diaphane et les chairs souples, ils rvlent sans quivoque que se cache le mmegenre de muscles et de viscres que ceux des animaux. la fin du esicle,en Europe, le corps devient alors vraiment nu, dune nudit terrible car dpouill,en mme temps que de son piderme, de la trame spirituelle qui lhabillait dunsouvenir dincarnation.

    La conqute de lobjectivit

    Si le destin du naturalisme dans les images est de sapprocher toujours plus prsde lobjectivit, cest--dire dune connaissance du monde qui soit tout fait

    indemne dun sujet connaissant, alors cest dans les images scientifiquescaractristiques de la deuxime moiti du e sicle que ce destin commence

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    saccomplir. On a suivi la priodisation de cette histoire de limagerie scientifique

    propose par Lorraine Daston et Peter Galison (Objectivity, 2007). Au e

    sicledomine dans les atlas un rgime de fidlit la nature visant figurer le type sous-jacent dun objet naturel indpendamment de ses variations. Une plante, uninsecte, un cristal de roche, un organe sain ou malade, sont reprsents de manire synthtiser des caractristiques essentielles de forme, de couleur et decomportement dont aucun spcimen noffre une image accomplie. Sans doutecette mthode permettait-elle de standardiser et de diffuser des objets scientifiquesbien talonns, mais elle concdait une place excessive la subjectivit delobservateur ; la tendance normaliser les descriptions, liminer les variations,avait abouti des quasi-fictions chez des observateurs pourtant scrupuleux. Cest

    pourquoi le souci de dpeindre des archtypes fut supplant dans un deuximetemps par ce que L. Daston et P. Galison appellent lobjectivit mcanique ,cest--dire la mise en uvre de techniques de figuration dans lesquelles la part delobservateur est rduite au minimum, pour lessentiel grce des dispositifsdenregistrement plus ou moins automatiques dont la photographie est le plusexemplaire. Lanthropologie physique en a compris demble les avantages et leslimites. Dun ct, la recherche de types humains selon le programme de Brocatait facilite par la collecte documentaire que la photographie permettait soustoutes les latitudes ; dun autre ct, il est vident que, comme lcrit Paul Topinard, les types ne se touchent pas du doigt [] ils se voient par les yeux de lesprit (Lhomme dans la nature, 1891) ; par consquent, on ne saurait les photographier.

    On peut pourtant envisager de faire correspondre un rfrent objectif ce quevoient les yeux de lesprit . Cest ce qua tent Francis Galton en inventant undispositif mcanique dabstraction standardise des types humains, un synthtiseurphysiognomique fonctionnant par superposition optique de visages issus de groupes criminels types ; il en rsulte des portraits composites dans lesquelsaucun trait nest propre un individu en particulier, mais qui prsentent nanmoinsun air de famille avec chacun des individus ayant servi constituer le type. Avecce procd de fabrication de types physiognomiques, une nouvelle tape a tfranchie dans la rduction des paramtres physiques des mandres de lintriorit ici les dispositions au crime. Non seulement le moral devient une proprit du

    biologique, mais la production mme de limage type dune intriorit dviante sefait, en principe, sans intervention de lintriorit de lexprimentateur grce unmcanisme de fusion automatise.

    Cette limination de la subjectivit de lobservateur dans la production desimages scientifiques na pourtant jamais t mene son terme. Galton lui-mmetait oblig de faire des choix dans la masse des photographies dindividussusceptibles de participer la constitution dun type par superposition de traits. Etpuis sa victoire fut de courte dure : les thories racialistes qui devinrent en voguedans les premires dcennies du e sicle, notamment en Allemagne, remirent augot du jour un genre datlas dans lequel, linverse de ce que la majorit des

    anthropologues physiques de la fin du e sicle opinait, lon trouvait lgitimedillustrer des races par des photos dindividus. Les atlas raciaux de Hans Gnther,

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    par exemple, taient conus la manire dune flore de poche et se donnaient pour

    objectif dassocier des photographies de spcimens reprsentant des conformationseuropennes typiques la race baltique-orientale , septentrionale , dinarique , etc. avec un comportement spirituel caractristique. Dans un telcas, lintriorit nest pas tant rduite la physicalit, comme une fonction le serait un organe ; elle est ce dont la physicalit est la fois licone et lindice. De fait,mme les techniques dimagerie crbrale non invasives qui permettent de visualiserla matrialisation physique doprations cognitives ne sont pas parvenues fairecompltement disparatre la subjectivit de lobservateur. Cest trs net dans la plusspectaculaire dentre elles, la tomographie par mission de positons (TEP). Parcontraste avec les techniques dimagerie structurelles qui produisent des images

    analogiques de lorganisme, la TEP permet de visualiser lactivit fonctionnelle auniveau molculaire, mais la suite dun long et complexe processus de traitementde donnes qui se prsentent au dpart sous forme numrique. Or, outre la partdarbitraire que comporte la dfinition et le choix dun sujet normal et de la tcheplus ou moins discrtise quil doit accomplir, la transformation en imagessynthtiques au moyen dun algorithme des donnes numriques dtectes parscintigraphie rpond aussi des choix assez largement subjectifs. Ceux-ci concernent la fois la normalisation volumtrique des voxels et lassignation des couleurs,laquelle permet de transformer une trs petite variation numrique en un contrastetrs marqu ; il en rsulte une anatomie fonctionnelle au sein de laquelle desrgions en apparence homognes sont isoles et nettement spares dautres enfonction du type dactivation mesur. Au fond, les images nont plus vraiment iciune fonction descriptive ou de normalisation ; elles sont fabriques afin dillustrerde la faon la plus ostensible possible des arguments scientifiques prsents defaon discursive et fonds sur des donnes statistiques, les seules qui font foi.Malgr les proclamations prudentes des chercheurs qui utilisent la TEP enneuroscience, malgr laveu que les images sont surtout montres pour illustrer desstatistiques et ne constituent pas des preuves en elles-mmes, malgr lareconnaissance que ce qui est mesur par la TEP est un indicateur statistique dunprocessus mtabolique dans le cerveau et non directement une activit cognitive,malgr lacceptation que, du fait de la varit des types de scanner et de labsence

    de normalisation dans lusage des pseudo-couleurs, les images sont trs souventimpossibles comparer, malgr toutes les prcautions, donc, que les chercheursprennent pour spcifier les limites des rsultats quils apportent, il y a comme unmessianisme dans lusage de la neuroimagerie qui conduit croire que lavisualisation des tches cognitives finira par donner une cl physique dufonctionnement de lintriorit. La contradiction entre les deux infrencesfondamentales de lontologie naturaliste lintriorit distinctive des humains,dune part, et la gnralisation toutes choses des lois du dterminisme physique,dautre part a ainsi engendr une puissante dynamique historique de conflit entrele matriel et le spirituel dont certaines images permettent de retracer les tapes.

    Cest dans les images scientifiques que cette dynamique a t la plus perceptibleau cours des deux derniers sicles car celles-ci ont repris et amplifi une vocation

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    descriptive que la peinture flamande puis hollandaise avaient incarne auparavant

    et qui constitue le trait le plus caractristique de lambition figurative que lenaturalisme sattache raliser.

    La figuration analogiste

    Lidentification analogiste est fonde sur la reconnaissance dune discontinuitgnrale des intriorits et des physicalits aboutissant un monde peupl desingularits, un monde qui serait difficile habiter et penser en raison dufoisonnement des diffrences qui le composent si lon ne sefforait de trouver entreles existants, comme entre les parties dont ils sont faits, des rseaux de correspondances

    permettant de les connecter. Car la simple observation de ce qui nous entoure montreque le monde est compos dune infinit de diffrences et quaucun des tres, deschoses, des situations, des tats, des qualits, des processus qui soffrent notrecuriosit nest absolument semblable aux autres. Lontologie analogiste sappuie surcette exprience rpte de la singularit des existants et tente dapaiser le sentimentde dsordre qui rsulte de la prolifration du divers au moyen dun usage obsessif descorrespondances. Chaque chose est particulire, certes, mais lon peut trouver enchaque chose une proprit qui la reliera une autre, et cette autre une autre encore,de sorte que des pans entiers de lexprience du monde se retrouvent ainsi tisss par lachane de lanalogie. Un aliment, une partie du corps, une saison, une couleur, unanimal, tous distincts et tous singuliers, seront nanmoins unis parce que lon pourrales associer au chaud ou au froid, au sec ou lhumide, au jour ou la nuit, aumasculin ou au fminin. Figurer une ontologie analogiste, cest donc donner voirtout la fois que lensemble des existants est fragment en une pluralit dinstances etde dterminations, et quil existe nanmoins toujours une voie par laquelle on pourraassocier certaines de ces singularits. Il sagit, au fond, de rendre prsents des rseauxde correspondances entre des lments discontinus, ce qui implique de multiplier lescomposantes disparates de limage afin de mieux la dsindividualiser et deffacer ainsitoute possibilit que lon puisse y apprhender, comme dans liconographie animiqueou naturaliste, la puissance hypnotique dune subjectivit unique. En ce sens, etmme si la figuration analogiste est parfois dun saisissant ralisme, elle ne vise pas

    tant reproduire avec fidlit un modle naturel objectivement donn qu restituerla trame des affinits au sein de laquelle des entits relles ou imaginaire se trouventinsres et acquirent de ce fait une qualit dagent. La difficult didentifier coupsr une image analogiste vient de ce que le schme ontologique quelle ambitionne defigurer se rvle encore plus abstrait que ce que les autres modes de figurationsouhaitent objectiver : non une relation de sujet sujet, comme dans lanimisme, ouune relation partage dinhrence une classe, comme dans le totmisme, ou unerelation de sujet objet, comme dans le naturalisme, mais une mta-relation, cest--dire une relation englobante structurant des relations htrognes. Cest donc moinspar le contenu ostensible de limage quune telle ambition est reprable, que par les

    mcanismes visuels grce auxquels peuvent tre reprsents des agrgats cohrents,des rseaux spatiaux et temporels et des correspondances de niveaux et dchelles.

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    ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE 811

    Les tres composites

    Le premier de ces mcanismes visuels est lhybridation. La figure exemplaire delontologie analogiste, celle au moyen de laquelle on peut le plus directementidentifier une image comme relevant de ce registre, cest la chimre, un trecompos dattributs appartenant des espces diffrentes, mais regroups de faon prsenter une certaine cohrence sur le plan anatomique. La chimre est doncun hybride complexe dont les lments constitutifs sont emprunts des sourcesdisparates des espces animales relevant de classes ou dordres diffrents, desplantes, les humains dans toutes leurs varits, et mme des artfacts mais quisont exceptionnellement runis dans un tre sui generis. Celui-ci peut tre uneentit singulire lhydre de Lerne, par exemple , parfois une divinit ou un

    esprit, ou encore, comme la licorne, un spcimen dune espce peu commune,quoique rpute relle. Pour que cet agrgat de qualits soit plausible, il faut quechacune dentre elles soit identifiable dans un lment anatomique ; il faut aussi etsurtout que la combinaison de ces lments parvienne donner lillusion de la viesous la forme dun organisme capable daction autonome. Car la chimre possdetoujours une unit de composition et un schma corporel vraisemblables en dpitdu caractre htrogne des pices dont elle est faite ; ainsi, les ailes de toutes leschimres volantes les dragons, Pgase ou Garuda sont disposes sur le dos defaon permettre la locomotion arienne, non sur le museau ou sur les pattes.Cest en cela que la chimre analogiste se distingue des animaux de lhraldique

    europenne ou nord-amrindienne. En effet, ces derniers sont le plus souvent depurs symboles accols au sein dune structure complexe, chacun deux reprsentantun attribut, un nom ou une filiation spcifique ; la plupart du temps, ils ne sontpas vraiment hybrides et ils nont aucune autonomie ou agence en dehors de lacomposition o ils sont enchsss. Et lorsque les animaux armoris sont bien deshybrides vritables le griffon ou la licorne dans les blasons europens , cestparce quils procdent dun rpertoire analogiste plus ancien et quils sontremploys pour leur puissance vocatrice par liconographie hraldique.

    Un trait caractristique des chimres analogistes est quelles sont le plus souventdes illustrations de rcits dcrivant leurs qualits, les circonstances de leur gense

    ou les actions dont elles sont les hros. Mme, et peut-tre surtout, quand on lescrdite dune existence relle, il faut que la bizarrerie de leur apparence saccompagnedune tiologie et dun mode demploi, lun et lautre tant vus comme desjustificatifs de leur actualisation figurative. Bref, elles sont indissociables dudispositif narratif par lequel elles sont institues. Cest mme probablement unecaractristique des images analogistes en gnral que dillustrer, de condenser oude ponctuer des noncs, comme si la complexit de la tche quon leur confie ordonner des choses disparates ne pouvait se faire avec le seul secours duneorganisation spatiale et exigeait en sus la succession temporelle et le contrepointsmantique que le rcit apporte.

    On peut distinguer les figurations dtres hybrides en au moins trois typeslmentaires : le recompos , le lexical et lagglomr . Le premier est la

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    forme classique de ltre composite ; cest la chimre au sens littral, un tre peu

    prs cohrent sur les plans anatomique et fonctionnel bien quil soit constitu departies dautres tres que lon a dcomposs en pices lmentaires pour lesrecombiner en lui. Le deuxime type, lhybride lexical , est lillustration imagedun taxon dont le nom est compos, cest--dire qui est dsign par la combinaisonde deux lexmes renvoyant chacun des objets, naturels ou pas, issus de domainessmantiques gnralement bien diffrencis, par exemple oiseau-mouche ou requin-marteau . Limage caractristique de lhybride lexical tend vers le rbusou le calembour puisquelle combine les formes des objets qui entrent dans sonnom ; on en trouve des exemples plaisants dans les codices mexicains. Le derniertype dimage hybride, lagglomr , se caractrise par le fait que les lments qui

    constituent ltre composite ne sont pas des parties dtres, mais des tres entiersamalgams de faon crer le volume, tandis que le contour reste homogne, lamanire des compositions dArcimboldo ; les miniatures mogholes en offrent lunedes expressions les plus saisissantes.

    Figurer des rseaux

    Un autre mcanisme visuel typique de la figuration analogiste consiste mettre envidence le caractre rticulaire de ce qui est reprsent. Pour figurer un rseau, ilfaut rendre visible de petits carts organiss de faon systmatique entre des lmentshtrognes et cela demande que chacun des lments soit peru comme la foisdiffrent de tous les autres et comme une partie dun tout cohrent. Cest lensembledes objets entre lesquels une affinit quelconque existe qui est objectiv, non chacunpris sparment, une opration plus difficile raliser que la composition des treschimriques puisque, dans ce dernier cas, le rle cohsif est assur par la vraisemblanceanatomique et comportementale. De fait, limage doit donner voir non pas uneaccumulation accidentelle dobjets, mais les principes, ontologiques et fonctionnels,qui structurent un ensemble. Cet effet peut tre obtenu de diverses faons. Lapremire est ce que lon pourrait appeler la figuration par hypostase ; des singularitsy forment un assemblage car elles sont hypostasies dans un principe de totalisationpersonnifi tout en gardant chacune ses caractres distinctifs. Outre lexemple de la

    Sainte Trinit notamment dans certaines de ses figurations les plus originalescomme les enluminures des cantiques Rothschild de la Beinecke Library , cettemodalit est bien illustre par les spectaculaires masques de gurison de Kla Sanniyaau Sri Lanka. Il sagit dune divinit malfique, cause des maladies, qui englobe dix-huit autres dmons dont chacun est responsable dune maladie particulire. KlaSanniya, le principe de totalisation, occupe dans le masque la position centraletandis que les dmons sont reprsents indpendamment sur les deux cts avectoutes leurs caractristiques, comme sils irradiaient de lui. Le caractre minent dudmon principal est bien soulign dans le rituel nocturne dexorcisme par le fait queson action y diffre du tout au tout de celle des autres dmons : ces derniers dlivrent

    le patient dun symptme particulier alors que Kla Sanniya sengage dans une sortede diplomatie cosmique au terme de laquelle il se soumet lautorit du Bouddha.

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    Du reste, le rcit de lorigine des maladies met clairement en vidence que le dmon

    principal est le crateur des dmons secondaires, un rapport dengendreur engendrqui est la forme la plus commune dans ce genre de figuration du lien unissant leprincipe de totalisation aux lments quil coagule. Ainsi en est-il des btons-divinits des les Cook reprsentant la ligne issue dun anctre commun et le liende filiation qui les unit : de la tte de lanctre en position apicale descend une rangede personnages assis qui reprsentent les gnrations successives, les figures tantdisposes alternativement de face et de profil, un moyen simple et efficace de rendrevisible que les lments de la srie engendre par le fondateur sont tous diffrents.

    Une autre faon de reprsenter des rseaux est lagrgation fonctionnelle : unecollection dlments htrognes est assemble en vue de contribuer une fonction

    commune gnralement de mdiation avec des divinits, de protection magiqueou de rparation de linfortune. On en trouve de bonnes illustrations dans lesmesas, ou tables rituelles, si communes parmi les populations amrindiennes deshautes terres du Mexique et du Prou. Il sagit dune pice de tissu, dune natte oudune planche, gnralement rectangulaire, pose mme le sol ou sur un support,o lon dispose des offrandes et des objets cultuels trs divers. En Msoamrique,les mesasconstituent des dispositifs de miniaturisation du cosmos qui, du fait dela rduction dchelle, peuvent condenser des rseaux de relations entre un grandnombre dexistants, rseaux manipulables par des spcialistes rituels. Dans lesAndes, les mesas possdent aussi ce caractre de branchement ou de prisemultiple entre les humains, les divinits et les diffrents secteurs du cosmos, bienquelles soient presque compltement dpourvues de dimension iconique.Lutilisation des mesasest aussi fort commune parmi les populations mtisses dela campagne et des villes latino-amricaines dont lunivers symbolique syncrtiqueest trs marqu par linfluence des ontologies analogistes autochtones. Cestnotamment le cas au Prou o des gurisseurs utilisent des sortes dautelsthrapeutiques afin de soigner un grand nombre dinfortunes de lme et du corps ;le curanderomobilise pour cela les pouvoirs curatifs quil a acquis au fil du tempsauprs dentits diverses avec lesquelles il a pass des sortes de pactes magiques,pouvoirs qui se matrialisent chacun dans un des objets quil dpose sur sa mesa.Leur nombre plus dune centaine parfois et leur diversit sont stupfiants :

    outre des lments animaux et vgtaux, des confiseries, des boissons et desprparations alimentaires, on trouve un invraisemblable bric--brac dimagessaintes et profanes, de statuettes voquant des personnages ou des divinitsprcolombiennes, des fioles contenant des prparations diverses, des livres de magienoire, des varas, ces cannes sculptes qui sont traditionnellement dans les Andesles signes de lautorit politique et religieuse, mais aussi des sabres ou des bijouxde fantaisie. La mesaest la fois un tableau satur de qualits images et un agrgatdintentionnalits incorpores dans des objets dont le thrapeute joue comme duncosmos miniature, activant tel champ, neutralisant tel autre, induisant tel objet se coaliser avec tel autre en vue dune action commune. Au fond, limage car une

    mesa,cest bien une image na ici pas dautre sujet que lagrgation de singularitsquelle rend opratoire. Cette faon dinscrire un rseau dobjets disparates dans un

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    espace bien dlimit o ils sont vus comme des parties dun ensemble fonctionnel

    ou ontologique nest videmment pas propre aux mesas. On la trouve dans maintscollectifs analogistes autour du globe, dans des installations magiques o la diversitmme des lments assure une efficacit prophylactique ou thrapeutique quirsulte de ce que toutes les ventualits sont prvues par le dispositif.

    Une autre faon encore de figurer des rseaux joue sur ce que lon pourraitappeler, dans un clin dil Leibniz, la dtermination expressive : dessingularits forment un ensemble car chacune est un aspect partiel du tout qui leurprexiste. Par contraste avec le masque des dmons du Sri Lanka, dans lequel leprincipe de totalisation est personnifi, et la diffrence de la Sainte Trinit, dontlensemble nest pas indpendant des parties qui le composent, le tout est ici

    suprieur et, dans une certaine mesure, transcendant la somme des parties. Cepeut tre une totalit trs englobante, un systme socio-cosmique, par exemple, ouune institution agissant en qualit de personne morale, comme une caste, unlignage ou une nation ; mais dans tous les cas, les lments qui la composent neprennent ordre et sens vis--vis les uns des autres quen tant quils sont des partiesde la structure gnrale qui les dtermine. Une manire efficace de figurer cela estde donner lensemble des images un style reconnaissable qui fait percevoir un airde famille malgr leurs diffrences, les objectivant ainsi comme autant de variationsdun modle unitaire. Les poupes reprsentant les katsinamdes Hopi offrent unebonne illustration de ce jeu subtil qui consiste puiser toutes les figures de ladiversit lintrieur dun genre nanmoins identifiable. Les katsinam sont desesprits dont chacun reprsente une particularit ou une qualit du cosmos hopi il y en aurait plus de 400 et qui peuvent tre temporairement incarns par desdanseurs masqus loccasion de crmonies o ils sont accueillis et fts par leshumains. On fabrique aussi pour les enfants des poupes figurant les katsinamafinquils se familiarisent avec eux. Comme il convient pour un aspect du monde,chaque katsinapossde ses propres attributs forme du corps et du visage, couleurs,motifs et ornements, emblmes lintrieur dune gamme commune tous, desorte que si lon runissait la collection complte de tous les katsinamon disposeraitdu systme exhaustif des proprits dfinissant lunivers des Hopi.

    Macrocosme et microcosme

    Une autre caractristique fondamentale de la pense analogiste est lobsessionpour la thmatique des correspondances entre le macrocosme, lunivers, et lemicrocosme, la personne humaine vue comme un monde en miniature. Cest unmoyen efficace pour limiter et cadrer la prolifration des signes en concentrant leurprincipe de dchiffrement dans un tre distingu entre tous, lhumain, qui se voitinvesti du privilge dtre le gabarit et le garant de la validit de leur interprtation.Certes, il sagit moins ici dun mcanisme visuel proprement parler, comme dansla figuration des tres composites ou dans celle des rseaux, que dun type de

    contenu ; mais il est si caractristique quil finit par acqurir la force dun schmecanonique. Ce schme est relativement facile identifier dans ses formes les plus

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    simples. La plus lmentaire consiste figurer directement sur un corps humain,

    ou relier celui-ci par des lignes, les signes cosmiques qui font cho telle outelle de ses parties ou dispositions. Ces signes peuvent renvoyer aux plantes, lavote cleste, aux lments, des accidents gographiques, un axis mundiou auxsymboles du zodiaque. Ces derniers constituent, par exemple, un motif connudepuis lantiquit gyptienne et encore trs commun lge classique, selon unmodle immuable associant chacun des douze signes une partie du corps, depuisle Blier pour la tte jusquaux Poissons pour les pieds. Dautres formes decorrespondance entre macrocosme et microcosme mettent plutt laccent sur laconnexion entre la figure humaine et les lments, les plantes et les pointscardinaux, tel le remarquable homme-microcosme du Glossaire de Salomon de

    Constance ralis au e

    sicle au couvent de Prfening. Les reprsentations delhomme zodiacal ou de lhomme cosmique sont certes caractristiques deliconographie mdivale ; toutefois, en raison de leffet de rmanence des schmeset des images de lontologie analogiste, il nest pas inattendu den trouver desfigurations bien aprs que le naturalisme ait commenc tablir son emprise enEurope. Relvent dailleurs du mme principe les anatomies tantriques quaffectionne lart populaire indien, les reprsentations du corps subtil dans latradition tantrique tibtaine ou les illustrations de certains manuels mdicauxchinois. Dans tous ces cas, la figuration est centre sur le corps, gabarit du cosmosou rceptacle de ce quil contient, en tout cas manifestation son chelle de ladiversit des lments qui le composent.

    Une autre faon de figurer des correspondances entre lhomme et le mondeconsiste situer des activits humaines des tches accomplir, des souvenirs deprgrination, un itinraire suivre dans un schma du cosmos. Les schmesvisuels sont ici plus diversifis que dans le premier cas dans la mesure o il y a unplus grand nombre de faons de reprsenter un cosmogramme que de figurer lapersonne humaine. Soit que, comme cest le cas des mandalas tantriques etbouddhistes, la figuration de lunivers y constitue un guide de mditationpermettant ladepte de se dplacer successivement dans plusieurs niveaux jusquatteindre une figure centrale, gnralement le Bouddha, foyer de lunivers etprincipe de toute ralit. Soit que le cosmos soit reprsent de faon plus

    diagrammatique, mais en y mnageant des repres lis lexprience individuelle.Cest le cas de la rosace votive des Indiens Cora du Mexique nomme bien propos chnaka, monde : le cercle central reprsente la montagne Takamuutasitue au cur du territoire cora et centre du monde tandis que les trianglesdisposs de faon concentrique tout autour correspondent des montagnes et des sites particuliers que les crateurs de la rosace ont frquents.

    Rplique et englobement

    Un dernier mcanisme figuratif que la pense analogiste exploite de faon

    systmatique est la rptition mtonymique dune image diffrents niveauxdenchssement. Parce quil permet de structurer dimportantes populations de

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    singularits au moyen dun principe classificatoire simple, ce procd est trs

    commun dans lorganisation des collectifs analogistes o il prend gnralement laforme dune distribution hirarchique dmultiplie, chaque sous-ensemble deniveau infrieur se trouvant vis--vis des autres dans le mme rapport ingal queles units de niveau suprieur. Dans le domaine iconique, on obtient cet effet trssimplement par la rplique dans une mme image, mais des chelles diffrentes,dun motif, dune structure ou mme de la totalit de limage. Le rsultat est unobjet fractal la manire des cristaux de neige.

    Lenchssement dun mme motif des chelles diffrentes peut servir plusieursfinalits. La plus simple est dattirer lattention sur la structure qui organiselensemble en la rendant ostensible par la rptition en abme. Cest le cas, par

    exemple, des tsikurichez les Indiens Huichol du Mexique, des croix trfles ornesde losanges de fils de couleur que lon emploie durant la fte des rcoltes et lesrites dinitiation des enfants, ou encore des motifs tisss ou dcorant le fond descalebasses votives reprsentant notamment des cervids styliss : chaqueembranchement de la croix ou de la ramure du cerf introduit un changementdchelle et donc un niveau diffrent de correspondance entre macrocosme etmicrocosme. Le recours une disposition fractale peut aussi servir mettre envidence quune singularit en apparence autonome est en ralit constitue pardes rseaux de relations reprsentables comme des chos delle-mme. Cest unparti-pris qui a t souvent exploit dans la figuration des divinits en Polynsie.Lexemple le plus fameux en est sans doute la statue du dieu Aa de lle Rurutu,actuellement au British Museum. Ce personnage un peu replet, les bras colls aucorps et les mains poss sur le haut du ventre, est constell en surface de petitshumanodes sculpts en bas-relief qui forment aussi les traits principaux de sonvisage, manire spectaculaire de rendre perceptible quune personne, humaine oudivine, est constitue de toutes les relations avec dautres personnes ou avec elle-mme qui lui donnent une consistance sociale. La rptition du motif des chellesdiffrentes contribue liminer toute ide de contingence et favorise par contrasteun sentiment de rgularit et de permanence ; cest une faon de suggrervisuellement quun champ de relations a une fonction structurante largie.

    Ph. D.

    S : L :

    Intitul Les critres du beau : tudes de cas , le sminaire avait pour objectifdexaminer la manire dont lanthropologie compare pouvait contribuer au projetdune esthtique gnrale affranchie des conceptions europocentres du Beau. Lamultiplication des travaux ethnographiques et historiques portant sur desesthtiques locales rend un tel projet moins incongru puisque lon connatdsormais un peu mieux ce qui, dans une grande diversit de cultures, fonde les

    jugements de got. On explora donc lhypothse que certains objets se prtentmieux que dautres, du fait de leurs qualits, une activation de la relation

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    ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE 817

    esthtique, tant entendu que celle-ci nest jamais automatiquement lie des

    proprits intrinsques de lobjet. Un premier parcours a permis de mettre envidence des critres trs souvent mentionns dans les jugements esthtiquesprovenant de civilisations extrmement diverses : la symtrie, la rptitionrythmique, linventivit dans les varits de ladquation dune forme unefonction, les qualits physiques des textures, notamment leur capacit rflchirla lumire ; de fait, le brillant, le chatoyant, le rutilant, la transparence, sont desqualits trs souvent mentionnes comme sources de satisfaction esthtique.

    Programme du sminaire

    Le 26 novembre 2009 : prsentation par Philippe Descola.

    Le 3 dcembre 2009 : expos de Jean-Marie Schaeffer (EHESS) sur O en est laquestion de lesthtique en philosophie ?

    Le 10 dcembre 2009 : expos de Dimitri Lorrain (EHESS) sur Le beau la Renaissance :jalons pour une tude anthropologique de lart italien aux eet esicles

    Le 17 dcembre 2009 : expos de Denis Laborde (CNRS) sur La musique du mondepeut-elle tre belle ?

    Le 7 janvier 2010 :expos dePierre-Olivier Dittmar (EHESS) sur Les conceptions dubeau au Moyen ge .

    Le 14 janvier 2010 : expos de Suzanne Preston Blier (Universit Harvard) sur Lejugement esthtique dans lart de cour au Nigeria .

    Le 21 janvier 2010 :expos deMarie Mauz (CNRS) sur Les critres du beau dans lart

    de la cte Nord-ouest .Le 28 janvier 2010 : expos de Michle Coquet (CNRS) sur Le Beau et la beaut

    corporelle en Afrique de lOuest .Le 4 fvrier 2010 : expos de Brigitte Derlon (EHESS) et Monique Jeudy-Ballini (CNRS)

    sur Quest-ce que le beau pour les collectionneurs dart premier ?

    P

    Ouvrages

    Descola Ph., La Fabrique des images. Visions du monde et formes de la reprsentation, Paris,Somogy & muse du quai Branly, 2010, 224 p., 160 illustrations in-texte et hors-texte.

    Articles et contributions

    Descola Ph., LEnvers du visible: ontologie et iconologie , inThierry Dufrne & Anne-Christine Taylor (sous la direction de), Cannibalismes disciplinaires. Quand lhistoire de lartet lanthropologie se rencontrent, Paris, Institut national dhistoire de lart & muse du quaiBranly, 2009, pp. 25-36.

    Descola Ph., La doppia vita delle immagini , inFabrizio Desideri, Giovanni Matteucci,& Jean-Marie Schaeffer (sous la direction de), Il fatto estetico. Tra emozione e cognizione, Pise,Edizioni ETS, 2009, pp. 149-162.

    Descola Ph., Preface , inEdward R. Landa & Christian Feller (sous la direction de),Soil and Culture, Dordrecht & Heidelberg, Springer, 2010, pp. XIII-XV.

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    Descola Ph., Prface , in Florencia Carmen Tola, Les conceptions du corps et de la

    personne dans un contexte amrindien : Indiens toba du Gran Chaco sud-amricain, Paris,LHarmattan, 2010, pp. 11-13.Descola Ph., Vers une anthropologie compare de lhbris? , inDominique Bourg et

    Philippe Roch (sous la direction de) Crise cologique, crise des valeurs ? Dfis pour lanthropologieet la spiritualit, Genve, Labor et Fides, 2010, pp. 145-165.

    E

    Commissariat de lexposition La Fabrique des images ,muse du quai Branly, Paris, du16/02/2010 au 17/07/2011.

    A

    Directeur dtudes lcole des hautes tudes en Sciences sociales.Directeur du Laboratoire dAnthropologie sociale (UMR 7130 du Collge de France, du

    CNRS et de lEHESS).Prsident de la Socit des Amricanistes.

    C,

    Communications des colloques Territories and representations , colloque Space as a Contested Terrain. Landscaping

    Politics, I Dialoghi di San Giorgio, Fondazione Giorgio Cini, Venise, 16-18 septembre2009.

    De plusieurs tats de la matire , table ronde Au-del de la matrialit : approchesalternatives la culture matrielle , Centre de lUniversit de Chicago Paris, 7/05/2010.

    Forme, dveloppement, transformation , colloque Claude Lvi-Strauss et sescontemporains , Universit de Bourgogne, Dijon, 20 mai 2010.

    Indigenous epistemologies : traps to be avoided , colloque All our Relatives :Indigenous Peoples Epistemologies in Dialogue , Universit de Californie Davis, 3 juin2010.

    Enseignement

    Enseignement dlocalis au Mexique : Universidad Nacional Autnoma de Mxico,Instituto de Investigaciones Antropolgicas, enseignement dune semaine sur Cosmologay ontologa: un enfoque antropolgico , 28 septembre - 2 octobre 2009.

    Confrences

    Colegio de Mxico, Totalidad, agregacin, colectivos , le 5 octobre 2009.Instituto Nacional de Antropologa e Historia, Mexico, Antropologa de la figuracin ,

    le 7 octobre 2009.

    Universidad Nacional Autnoma de Mxico, Dar a ver: imgenes, intencionalidad yreligin, le 9 octobre 2009.

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    ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE 819

    Universit libre de Bruxelles, dpartement danthropologie, Ontologie des collectifs :

    comment sortir du dbat entre holisme et individualisme, le 27 mai 2010.Universit de Californie Davis, Department of Anthropology et Department of NativeAmerican Studies, Societis, Wholes, Collectives: an Ontological perspective, le 1er juin2010.

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    Le Laboratoire dAnthropologie sociale est une unit mixte du Collge de France,du CNRS et de lEHESS (UMR 7130) qui compte cinquante-six membrespermanents, dont huit du Collge de France ; il publie deux revues danthropologie

    gnrale, LHomme et tudes rurales (aux ditions de lEHESS) et une collectiondanthropologie, Les Cahiers danthropologie sociale (aux ditions de LHerne). Ilabrite une bibliothque danthropologie gnrale riche de 25 000 volumes et de386 priodiques, dont 190 vivants, et un centre documentaire unique en Europe,les Human Relation Area Files. Une centaine dtudiants y prparent des thses. Lesinvestigations ethnographiques menes au Laboratoire dAnthropologie socialeconcernent lEurope, lAfrique, lAmrique du Sud et du Nord, lAustralie et laMlansie. Les chercheurs poursuivent individuellement leur activit selon lesgrands axes de recherche classiques de lanthropologie sociale ; ils participent aussicollectivement des recherches dans le cadre dquipes auxquelles sont associs des

    doctorants et des chercheurs dautres units. Le laboratoire compte actuellementhuit quipes de recherche en activit.

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