anne rice - la punition

Upload: bom-ready

Post on 11-Oct-2015

382 views

Category:

Documents


12 download

TRANSCRIPT

  • ANNE RICE

    Les Infortunede la Belle au bois

    dormant

    2. La Punition

    traduit de lamricain par Adrien Calmevent

  • Ce quil est advenu de la Belle

    APRS un paisible sommeil dun sicle, la Belle au bois dormant ouvrit les yeux au baiser du

    Prince, pour dcouvrir ses vtements ts, et son cur, et son corps, sous la coupe de celui quilavait dlivre. Aussitt attribue au Prince, titre desclave nue de ses plaisirs, la Belle devait treemmene de force dans le Royaume de ce dernier.

    Ds lors, avec le consentement reconnaissant de ses parents, perdue de dsir pour le Prince, laBelle fut prsente la Cour de la Reine lonore, la mre du Prince, pour y servir, aux cts decentaines de Princes et Princesses nus, tous en qualit de jouets de la Cour, jusqu ce que vienne,avec leur rcompense, le temps de les renvoyer chez eux, dans leur Royaume.

    Envote par les rigueurs de la Salle dApprentissage, de la Salle des Chtiments, du supplice duSentier de la Bride abattue, et par sa propre passion de plaire, qui ne faisait qualler croissant, laBelle est demeure la favorite inconteste du Prince et le dlice de celle qui fut, un temps, saMatresse, la jeune et jolie Dame Juliana.

    Et pourtant elle ne pouvait se masquer son engouement, interdit et secret, pour lesclave plein deraffinement de la Reine, le Prince Alexis, et, la fin, pour cet esclave qui avait dsobi, le PrinceTristan.

    Ayant entrevu le Prince Tristan parmi les disgracis du chteau, la Belle, dans un moment derbellion apparemment inexplicable, sattire exactement le mme chtiment que celui auquel estpromis Tristan : se faire renvoyer de cette Cour de volupt pour aller subir la dchance dun rudelabeur au village voisin.

    Au moment o nous reprenons notre rcit, on vient peine de hisser la Belle, avec le PrinceTristan et dautres esclaves en disgrce, dans le chariot qui les mnera, au bout dune longue route, la vente aux enchres sur la place du village.

  • Les chtis

    LTOILE du matin svanouissait tout juste dans le ciel mauve lorsque lnorme chariot de bois,

    bourr craquer desclaves nus, franchissait lentement le pont-levis du chteau. De leur pas rgulier,les chevaux de trait blancs sengagrent pniblement en direction de la route sinueuse, et les soldatspoussrent leurs montures plus prs des hautes roues de bois du chariot pour mieux frapper, duclaquement mat de leurs lanires de cuir, les jambes et les fesses nues de ces Princes et de cesPrincesses, de ces esclaves en larmes.

    Dans le dsordre de leur moi, les esclaves, les mains lies derrire la nuque, la bouche bride,distendue par de petits mors de cuir, les seins lourds et les fesses rougies, frmissantes, se blottirentcontre les planches rugueuses.

    Gagns par le dsespoir, certains parmi eux jetaient un regard en arrire, vers les hautes tours duchteau encore plong dans la pnombre. Mais l-bas, semblait-il, personne ne stait rveill pourentendre leurs cris. Et un millier desclaves dociles y dormaient, sur les lits de soie de la Salle desEsclaves ou dans les chambres somptueuses de leurs Matres et Matresses, tans se soucier de cesimpnitents que lon loignait dsormais, dans ce chariot brinquebalant bard de hautes ridelles, enroute pour la vente au village.

    Lorsquil vit la Princesse Belle, lesclave trs chre du Prince Hritier de la Couronne, sepresser vers cette grande silhouette la musculature paisse, celle du Prince Tristan, le Commandantde la patrouille eut un sourire. Elle avait t charge dans le chariot en dernier, et, songea-t-il, quellejolie esclave elle faisait, avec ses longs cheveux lisses et dors qui lui retombaient jusquau bas dudos, sa petite bouche qui se tendait toute force pour embrasser Tristan, malgr le mors de cuir quila bridait. Comment Tristan lindocile, se demandait le Commandant, avec ses mains fermement liesderrire la nuque, comme tous les autres esclaves en pnitence, pouvait-il, cet instant mme, laconsoler.

    Il disputait la chose en lui-mme : devait-il faire cesser cette intimit illicite ? Pour prix de sonimpudence, il serait assez simple de tirer la Belle lcart du groupe et de lui carter les jambes, enla faisant se courber par-dessus les ridelles du chariot, pour fesser coups de ceinture son petit sexedsobissant et gonfl. Peut-tre fallait-il les faire descendre tous les deux, Tristan et la Belle, parterre, sur la route, pour les y fouetter larrire du chariot, histoire de leur donner une bonne leon.

    Mais, en vrit, le Commandant se sentait un tantinet dsol pour ces esclaves condamns, aussigts fussent-ils, et mme pour Tristan et la Belle, ces deux entts. Dici lheure de midi, tousseraient vendus aux enchres, et ces longs mois dt passs servir au village leur apprendraientbeaucoup.

    Le Commandant chevauchait maintenant la hauteur du chariot, et, de sa ceinture, il saisit uneautre petite Princesse succulente, chtia les lvres vermeilles de son pubis qui pointaient sous un nidde boucles noires, luisantes, et lorsquun Prince sempressa galamment pour lui offrir un bouclier deses membres longilignes, il joua de sa lanire de cuir plus fort encore.

    De la noblesse jusque dans ladversit, se dit le Commandant, en riant tout seul, et, quand ildonna au Prince exactement ce quil mritait, il fut dautant plus amus dapercevoir lorganeprincier frmir et durcir.

    Un lot bien dress quon avait l, il devait ladmettre, avec ces jolies Princesses aux ttons

  • rigs, aux visages carlates, et ces Princes qui tentaient de dissimuler leur queue gonfle. Et, sidsol quil se sentt pour eux, le Commandant ne put sempcher de penser la joie des villageois.

    Toute lanne, les gens du village pargnaient leur argent en prvision de ce jour-l, o,moyennant quelques pices, ils allaient sacheter, pour toute la dure de lt, un fringant esclavechoisi pour servir la Cour, entran et soign pour la Cour, et qui allait devoir dsormais obir ladernire des servantes de cuisine ou au dernier des garons dcurie, pourvu quils aientsuffisamment renchri lors de la vente.

    Et quel groupe apptissant ils formaient, cette fois-ci : les membres potels encore tout parfumsde coteuses essences, la toison pubienne encore peigne et huile, comme si, au lieu dun millier devillageois avides et concupiscents, ctait la Reine en personne quils allaient tre prsents.Cordonniers, aubergistes, marchands, tous les attendaient, bien dcids en avoir pour leur argent, ce que cette dpense leur rapporte, certes, des mines charmantes et une abjecte humilit, mais, outrecela, des sujets rudes la tche.

    Dans le chariot, les esclaves en proie aux lamentations taient secous, culbuts les uns contre lesautres. Le chteau lointain ntait gure plus quune grande ombre grise contre le ciel qui sclairaitpeu peu, et les vastes jardins dagrment taient dsormais cachs par les murs levs quilentouraient.

    Le Commandant rapprocha sa monture du chariot, et, la vue de ce taillis de mollets jolimentdessins et de pieds fortement cambrs, et de la demi-douzaine de splendides infortuns qui sepressaient lavant tout contre la ridelle, avec tous les autres masss contre eux dans le vain espoirdchapper aux lanires de cuir des soldats, il sourit Tout ce quils pouvaient faire, ctait de setortiller sous cet assaut enjou, ce qui ne faisait quexposer encore un peu plus leurs hanches, leursderrires et leurs ventres nus la morsure des ceintures, alors mme quils inclinaient leurs visagessouills de larmes.

    Le spectacle tait franchement savoureux, et, du fait quils ne savaient pas vraiment ce quon leurrservait, il nen tait peut-tre que plus captivant. Peu importait combien desclaves de la Couravaient entendu parler du village : ils ntaient jamais rellement prpars au choc qui les attendaitSils avaient vraiment su de quoi il retournait, jamais, au grand jamais ils nauraient risqudencourir le mcontentement de la Reine.

    Le Commandant ne pouvait sempcher de penser la fin de lt, quand, une fois parfaitementassagis, la tte basse et la langue silencieuse, en signe de totale soumission, ces mmes jeunes gens etces mmes jeunes femmes, qui, pour lheure, ne cessaient de gmir et de se dbattre seraient ramens.Quel privilge ce serait alors de leur donner le fouet, lun aprs lautre, pour quils viennentcraser leurs lvres contre la pantoufle de la Reine !

    Allons, pour linstant, laissons-les gmir, songea le Commandant. Laissons-les, en cette heure ole soleil se lve sur ces collines rondes et verdoyantes, se tordre et se contorsionner dans ce chariotqui descend pesamment et sans cesse plus vite la longue route vers le village. Et quon laisse la joliepetite Belle et ce jeune Tristan plein de majest se serrer lun contre lautre au milieu de cettepagaille. Bientt, ils sauraient quoi ils staient exposs.

    Cette fois-ci, se dit le Commandant, il se pourrait bien quil reste assister la vente, ou, tout aumoins, assez longtemps pour voir la Belle et Tristan spars et, comme ils le mritaient, hisss lunaprs lautre sur le banc des enchres pour y tre brads leurs nouveaux propritaires.

  • La Belle et Tristan

    MAIS, Belle, pourquoi avez-vous fait cela ? chuchota le Prince Tristan. Pourquoi avez-vous

    dsobi de propos dlibr ? Vouliez-vous tre envoye au village ?Tout autour deux, dans le chariot en marche, les Princes et les Princesses poussaient de faibles

    plaintes inarticules et pleuraient sans retenue, en proie au dsespoir.Mais Tristan tait parvenu se dgager du cruel petit mors de cuir qui lavait tenu brid, et il

    lavait laiss tomber sur le plancher. Et la Belle, faisant aussitt de mme, se libra de ce mchantaccessoire en saidant de la langue et le cracha loin delle avec une dlicieuse expression de dfi.

    Aprs tout, ils taient des esclaves condamns, alors quelle importance ? Leurs parents lesavaient remis leur Reine, en guise de tributs, tout nus, et, pour la dure de ces annes passes sonservice, on leur avait dit dobir. Mais ils avaient failli. Dornavant, ils taient condamns un rudelabeur et ce que des gens du peuple fassent deux un cruel usage.

    Pourquoi, Belle ? insista Tristan.Mais peine avait-il pos de nouveau cette question quil couvrait de la sienne la bouche offerte

    de la Belle, et la Belle, debout sur la pointe des pieds, ne put que recevoir ce baiser, lorgane deTristan soulevant son sexe humide qui avait dsesprment faim de lui. Si seulement ils navaient paseu les mains attaches, si seulement elle avait pu le serrer dans ses bras !

    Soudain, le pied de la Belle ne fut plus en contact avec le plancher du chariot, et elle bascula enavant contre la poitrine de Tristan, le chevauchant, et cette pulsion en elle fut si violente quelleeffaa ses pleurs ainsi que les coups sourds que les soldats cheval leur flanquaient de leurs laniresde cuir, et la Belle se sentit comme vide de son souffle.

    Linstant dune ternit, elle parut flotter, avoir perdu tout ancrage dans le monde rel, lnormechariot de bois grinant sur ses roues si hautes, les railleries des gardes, la pleur naissante du cielqui dcrivait une vote lointaine au-dessus des collines sombres et rondes, et la vision lointaine,incertaine du village tapi sous une brume bleue, lointain, au-dessous. Lever du soleil, martlementdes sabots des chevaux, membres des esclaves la peau si douce qui se dbattaient, scrasaientcontre ses fesses endolories, tout cela tait effac. Il ny avait plus que cet organe qui la fendait endeux, la soulevait, la menait, avec une force implacable, vers une explosion de plaisir, assourdissanteet silencieuse la fois. Son dos se cambra, ses jambes se raidirent, ses ttons pointrent contre lachaleur de la chair de Tristan, et sa bouche tait pleine de la langue de Tristan.

    Confusment, dans le trouble de lextase, elle sentit les hanches de Tristan qui adoptaient leurcadence finale, irrsistible. Elle nen pouvait plus, et pourtant son plaisir tait comme fragment,dmultipli, lavant tout en elle, comme de leau, infiniment. Dans quelque Royaume sis au-del de lapense, elle ne se sentait plus humaine. Le plaisir dissolvait lhumanit telle quelle lavait connue.Et elle ntait pas la Princesse Belle, amene au chteau du Prince pour y servir en guise desclave.Et pourtant, l-dessus, le doute ntait pas permis, car ce plaisir dchirant, ctait bel et bien l-basquelle lavait appris.

    Elle ne savait plus rien, sinon la palpitation de son sexe doux et humide, sinon cet organe qui lasoulevait, qui la tenait. Et les baisers de Tristan qui se faisaient sans cesse plus tendres, plus doux,plus insistants. Un esclave en larmes se serrait contre son dos, sa chair brlante contre la sienne, unautre corps chaud scrasait contre son ct droit, et lample caresse dune chevelure soyeuse vint

  • effleurer son paule nue. Mais pourquoi, Belle ? lui chuchota de nouveau Tristan, sans que ses lvres la quittent. Pour

    vous tre enfuie de la Cour du Prince, vous avez d faire preuve dune telle volont. Vous y tiez tropadmire, trop pleinement accomplie.

    Ses yeux dun bleu profond, presque violets, mditatifs, trahissaient sa rpugnance se livrer toutentier.

    Il avait le visage un peu plus grand que celui de la plupart des hommes, lossature puissante,dune symtrie parfaite, et, pourtant, les traits en taient presque dlicats, et la voix basse et plusimprieuse que les voix de ceux qui avaient t les Matres de la Belle. Mais en cet instant cette voixnexprimait rien dautre quune intimit charnelle, et ses longs cils, o la lumire du soleil laissaitdes reflets dor, donnaient Tristan un air denchantement. Il sadressait la Belle comme silsavaient t compagnons de servitude depuis toujours.

    Je ne sais pourquoi jai agi ainsi, chuchota la Belle en rponse. Je ne puis lexpliquer, mais,oui, cela devait tre de mon plein gr.

    Elle lui embrassa la poitrine, rapidement, elle trouva ses ttons et les embrassa, puis elle les suaavec force, lun aprs lautre, tant et si bien quelle sentit son organe cogner nouveau contre ellealors mme que, dune voix feutre, il lui demandait grce.

    Naturellement, les chtiments subis au chteau avaient t source de volupt ; il avait t excitantdtre ainsi le jouet dune Cour aussi fastueuse, lobjet dune impitoyable attention. Oui, tout celaavait t envotant, troublant, ces battoirs et ces lanires de cuir ouvrags dexquise manire, et lesmarques quils laissaient sur la peau, cette punition rigoureuse qui lavait si souvent laisse enpleurs, le souffle coup. Et puis, aprs coup, les bains chauds et odorants, les massages aux huilesparfumes, les heures de demi-sommeil au cours desquelles elle nosait pas mme envisager lestches et les preuves qui lattendaient.

    Oui, cela avait t grisant, sduisant, et terrifiant.Assurment, elle avait aim le Prince Hritier, sa haute stature, ses cheveux noirs, ses

    insatisfactions mystrieuses et indicibles, et la douce et ravissante Dame Juliana, ses jolies nattesblondes, qui tous deux avaient t des tourmenteurs si talentueux.

    Alors pourquoi la Belle avait-elle rejet tout cela ? Pourquoi, lorsquelle avait aperu Tristandans cette cour du chteau o on les avait retenus sous bonne garde, au milieu dune foule de Princeset de Princesses dsobissants, tous condamns tre vendus aux enchres au village, avait-elledsobi volontairement afin dtre envoye au village avec eux ?

    Elle pouvait encore se rappeler la description sommaire que Dame Juliana lui avait faite du sortqui les attendait.

    On accomplit l les tches misrables des domestiques. La vente elle-mme a lieu ds leurarrive, et vous pouvez aisment vous imaginer que mme les mendiants et les plus communs desrustauds, venus de tous les environs du bourg, sont l pour y assister. Pardieu, tout le village sedclare en cong.

    Et puis cette remarque trange du Matre de la Belle, le Prince Hritier, qui navait certainementpas song un seul instant, ce moment-l, que la Belle se placerait bientt delle-mme en situationde disgrce : Ah, mais en dpit de toute sa rudesse et de toute sa cruaut, lui avait-il dit, cest l unchtiment sublime.

    taient-ce ces mots-l qui avaient caus sa perte ?Brlait-elle du dsir de se retrouver prcipite dans les bas-fonds, fuyant la hauteur de cette

    Cour, faite de rituels, dornements et de ruses, o on lui infligeait coups et humiliations, pour se

  • retrouver en ces lieux reculs o on la tiendrait pour rien, o les humiliations et les coups cinglantstomberaient tout aussi dru, tout aussi vite, mais accompagns dun tat de dnuement plus complet etplus froce ?

    Naturellement, l-bas, les limites seraient identiques. Mme au village, aucun esclave ne devaitavoir ses chairs abmes ; jamais on ne pouvait brler aucun esclave, et on ne pouvait leur faire proprement parler aucun mal. Non, simplement, tous ses chtiments allaient se trouver encorerehausss. Or elle savait dsormais trs exactement tout ce que lon pouvait accomplir avec cettelanire de cuir noir dinnocente allure et ce battoir de cuir la dcoration trompeuse.

    Mais au village, elle ne serait pas une Princesse. Tristan ne serait pas un Prince. Et les rustres,hommes ou femmes, qui les feraient travailler et qui les puniraient nignoreraient pas qu chacun deleurs coups gratuits ce serait le vu de la Reine quils excuteraient.

    Soudain, la Belle se trouva incapable de rflchir. Oui, cet acte avait t dlibr, mais navait-elle pas commis l une effroyable erreur ?

    Et vous, Tristan, dit-elle subitement en tchant de dissimuler le tremblement de sa voix.Ntait-ce pas un geste voulu, de votre part vous aussi ? Navez-vous pas provoqu votre Matre depropos dlibr ?

    Oui, Belle, mais derrire cela il y a une longue histoire, rpondit Tristan.Et la Belle put percevoir lapprhension dans ses yeux et cette crainte quil ntait pas non plus

    mme dadmettre. Jtais, comme vous le savez, au service du Seigneur Etienne, mais ce que vous ne savez pas,

    cest que voici un an, dans un autre pays (et nous tions alors des gaux), Sire Etienne et moi tionsamants.

    Les grands yeux bleu-violet se firent un peu moins impntrables, les lvres un peu plus chaudes,et il sourit presque tristement.

    ces mots, la Belle eut le souffle coup.Le soleil stait maintenant compltement lev, le chariot avait ngoci un virage serr que

    dcrivait la route, la descente se faisait maintenant plus lente, sur un terrain ingal, et les esclavesfurent encore plus brutalement prcipits les uns contre les autres.

    Vous pouvez imaginer notre surprise, poursuivit Tristan, lorsque nous nous sommesdcouverts Matre et esclave au chteau, et quand la Reine, remarquant le rouge qui montait au frontde Sire Etienne, me livra immdiatement son bon vouloir en lui donnant pour ordre impratif de medresser jusqu ce que je sois parfait.

    Insupportable, admit la Belle. Lavoir connu auparavant, stre promen avec lui, avoir parlavec lui. Comment pouviez-vous vous soumettre ?

    Tous ses Matres et toutes ses Matresses avaient t pour elle des trangers, parfaitement tablisdans leur rle, ds linstant o elle avait compris son impuissance et sa vulnrabilit. Elle avaitconnu la couleur et la texture de leurs pantoufles et de leurs bottes magnifiques, le ton sec de leursvoix avant de connatre leurs noms ou leurs visages.

    Tristan laissa chapper le mme sourire mystrieux. Oh, je pense que ctait bien pire pour Etienne que pour moi, chuchota-t-il son oreille.

    Voyez-vous, nous nous tions rencontrs lors dun grand tournoi o nous tions opposs lun lautre, et, chaque passe darmes, je lavais vaincu. Lorsque nous chassions ensemble, jtais lemeilleur tireur et le meilleur cavalier. Il en avait conu de ladmiration mon gard, me considraitavec grand respect, et pour cela je laimais, parce que je connaissais lampleur de sa fiert et delamour qui galait cette fiert. Lorsque nous nous accouplions, ctait moi le meneur de jeu.

  • Mais il nous fallait regagner chacun notre Royaume. Il nous fallait retourner aux devoirs quinous attendaient. Nous avons eu trois nuits damour voles, peut-tre plus, au cours desquelles ilsest abandonn comme un garon pouvait le faire avec un homme. Aprs quoi, il y eut des lettres, quidevinrent la fin trop douloureuses crire. Ensuite, ce fut la guerre. Le silence. Le RoyaumedEtienne sest alli celui de la Reine. Et plus tard encore, les armes de la Reine arrivrent nosportes, et il y eut cette trange rencontre au chteau de la Reine : moi, genoux, dans lattente dtredonn un noble Matre, et Etienne, le jeune parent de la Reine, assis en silence sa droite, latable du banquet. (Tristan sourit nouveau.) Non, le pire, ce fut lui qui le vcut. Je rougis de honte deladmettre, mais, quand je lai vu, mon cur a fait un bond. Et cest moi qui, par dpit, ai triomph enlabandonnant.

    La Belle comprenait la chose, parce quelle avait agi de mme avec le Prince Hritier et DameJuliana.

    Mais le village, est-ce que cela ne vous faisait pas peur ?Encore une fois, un tremblement vint lui voiler la voix. Ce village quils voquaient, quelle

    distance sen trouvaient-ils encore ? Ou alors, en fait, tait-ce tout simplement le seul et unique moyen de vous librer ? lui

    demanda-t-elle avec douceur. Je ne sais. Il doit y avoir quelque autre raison cela, chuchota Tristan, mais alors il

    sinterrompit, comme drout par ses propres paroles. Mais, si vous tenez le savoir, avoua-t-il,alors sachez-le, je suis terrifi.

    Et pourtant il dit ces mots avec un tel calme, la voix si pleine dune telle assurance, que la Bellenen pouvait croire ses oreilles.

    Le chariot avait pris un autre virage en grinant. Les gardes avaient conduit leurs montures lavant du convoi pour y recevoir les ordres de leur Commandant. Le chariot se balanait lentement,et les esclaves chuchotaient entre eux, toujours bien trop obissants et bien trop craintifs pour oser sedfaire des petits mors de cuir qui leur bridaient la bouche, ce qui ne les empchait pas de tenir desconciliabules fort anims propos du sort qui les attendait.

    Belle, reprit Tristan, ds que nous aurons atteint le village, nous allons tre spars, etpersonne ne sait ce qui peut nous arriver. Montrez-vous aimable, obissez ; au bout du compte, celane peut pas (Et une fois encore, il sinterrompit, incertain.) Au bout du compte, cela ne peut pastre pire quau chteau.

    Et la Belle crut entendre, dpouille de tout artifice, une relle nuance dinquitude dans sa voix ;mais, pourtant, son visage, lorsquelle leva les yeux sur lui, tait presque dur, et seuls ses beaux yeuxen adoucissaient un peu lexpression. Sur son menton, elle pouvait discerner jusquau trs lger duvetdor de sa barbe de la veille, et cela lui donna lenvie de lembrasser.

    Veillerez-vous sur moi aprs que nous serons spars, tenterez-vous de me retrouver, neserait-ce que pour me dire quelques mots ? senquit la Belle. Oh, simplement pour me faire savoirque vous tes l. Toutefois, sachez-le, je ne crois pas que je vais me comporter de manire aimable.Je ne vois pas pourquoi je devrais continuer un seul instant me montrer aimable. Nous sommes devils esclaves, Tristan. Pourquoi devrions-nous obir, dornavant ?

    Que voulez-vous dire ? demanda-t-il. Je crains pour vous.Loin devant eux sleva une rumeur sourde de voix touffes, le bruit dune vaste foule, qui leur

    parvint mollement portes par-dessus les petites collines la rumeur estompe dune foire devillage, de centaines de conversations, de cris, le grouillement de la multitude.

    La Belle se serra tout contre la poitrine de Tristan. Le cur battant elle sentit une pointe

  • dexcitation sveiller entre ses jambes. Lorgane de Tristan avait de nouveau durci, mais il ntaitpas en elle, et ce lui fut encore un supplice, ayant les mains lies, de ne pouvoir le toucher.

    La question quelle lui avait pose lui parut soudain dpourvue de sens, et pourtant elle la luirpta, tandis que le bruit lointain samplifiait.

    Pourquoi faut-il obir, si nous sommes dores et dj punis ?Tristan entendait lui aussi ces bruits qui samplifiaient. Le chariot prenait de la vitesse. Au chteau, on nous a dit quil nous fallait obir, fit la Belle, cest ce quavaient souhait nos

    parents en nous envoyant devant la Reine et les Princes en qualit de Tributs. Mais dsormais noussommes de vils esclaves

    Si nous dsobissons, cela ne fera quaggraver notre chtiment, lui rappela Tristan, maisquelque chose, dans lexpression de ses yeux, trahissait lexpression de sa voix.

    Ses mots sonnaient faux, comme sil lui rptait quelque chose quil croyait devoir lui dire pourson bien elle.

    Il nous faut attendre de voir ce qui va nous arriver, fit-il. Souvenez-vous, Belle, qu la fin ilssauront nous plier leur volont.

    Mais comment cela, Tristan ? demanda-t-elle. Vous voulez dire que vous vous tes vous-mme condamn cet tat et que pourtant vous allez obir ?

    Encore une fois, elle prouva ce frisson quelle avait ressenti en laissant leur affliction lePrince et Dame Juliana au chteau.

    Je suis une si mauvaise fille , songea-t-elle. Et pourtant Belle, leurs souhaits prvaudront Souvenez-vous, un esclave entt, dsobissant, les amusera

    tout autant. Alors, pourquoi lutter ? insista Tristan. Pourquoi lutter, en effet, si cest pour obir ? reprit la Belle. Avez-vous la force de vous conduire de faon pouvantable sans jamais faiblir ? interrogea-t-

    il.Il parlait dune voix feutre, pressante, et lorsquil lembrassa de nouveau son souffle tait chaud

    contre son cou. La Belle sefforait deffacer le bruit de la foule ; ctait un bruit horrible, commecelui dune norme bte qui sort de sa tanire. Elle trembla.

    Belle, je ne sais pas au juste ce que jai fait, lui dit Tristan.Inquiet, il jeta un coup dil dans la direction de ce vacarme effrayant, menaant : hurlements,

    vivats, brouhaha des jours de foire. Mme au chteau, continua-t-il, ses yeux bleu-violet se consumant maintenant dune flamme

    qui aurait bien pu tre celle de la peur ce quun Prince courageux ne saurait montrer , mme auchteau, jai trouv quil tait plus facile de courir lorsquon nous disait de courir, de sagenouillerlorsquon nous disait de nous agenouiller : rien que dans le fait daccomplir tout cela la perfectionil y avait une sorte de triomphe.

    Alors, pourquoi sommes-nous ici, Tristan ? demanda-t-elle en se dressant sur la pointe despieds pour lui baiser les lvres. Pourquoi sommes-nous tous deux de si vils esclaves ?

    Et elle avait beau dployer tous ses efforts pour se donner une allure rebelle et brave, elle seserra contre Tristan plus dsesprment encore.

  • Vente aux enchres sur la place du march

    LE chariot avait fini par simmobiliser, et, en contrebas, la Belle put apercevoir, travers

    lenchevtrement des bras la peau blanche et des chevelures bouriffes, le mur denceinte duvillage, avec ses portes ouvertes et une foule bariole qui investissait le pr.

    Les esclaves furent promptement dchargs du chariot, et on les fora, sous la morsure des coupsde ceinture, se regrouper sur lherbe. Tout de suite, la Belle fut spare de Tristan, qui se retrouvapouss lcart, loin delle, brutalement, sans aucun autre motif apparent que le caprice dun garde.

    Les autres se virent retirer de la bouche leur mors de cuir. Silence ! imposa la voix forte du Commandant. Au village, les esclaves nont pas droit la

    parole ! Quiconque parlera sera de nouveau billonn, et encore plus svrement !Sur sa monture il fit le tour du petit troupeau, pressant les esclaves les uns contre les autres, et il

    donna lordre de leur dlier les mains, mais malheur celui, mle ou femelle, qui les retirerait de sanuque.

    Le village na pas besoin dentendre vos voix impudentes ! poursuivit-il. Vous tes dsormaisdes btes de charge, mme si cette charge est un labeur de plaisir ! Et vous garderez vos mains sur lanuque, sans quoi on vous mettra le joug et on vous mnera travers champs, devant une charrue !

    La Belle fut secoue de violents tremblements. On la contraignit avancer, et elle perdit Tristande vue. Autour delle, ce ntaient que longues chevelures balayes par le vent, ttes courbes etlarmes. Une fois librs de leurs billons, les esclaves donnaient limpression de contenir un peuplus leurs pleurs, dployant tous leurs efforts pour conserver les lvres closes, et les gardes lesapostrophaient avec des voix dune brutalit insoutenable !

    Avancez ! La tte leve !Les ordres tombaient avec impatience et brusquerie. Au son de ces voix pleines de colre, la

    Belle sentait des frissons lui remonter le long des bras et des jambes. Tristan tait derrire elle, ellene savait o si seulement il avait pu se rapprocher delle.

    Et pourquoi les avait-on fait descendre ici, si loin du village ? Et pourquoi faisait-on faire undemi-tour au chariot ?

    Tout coup, elle sut. On allait les conduire pied, comme une troupe doies que lon mne aumarch. Et, peine cette ide lui tait-elle venue lesprit, les gardes cheval fondirent sur le petitgroupe et commencrent de le faire avancer sous une grle de coups.

    Cest trop cruel , se dit la Belle. Elle se mit courir, toute tremblante, et le coup de battoirvint la cueillir, comme toujours, au moment o elle sy attendait le moins, la propulsant en avant, sespieds ne faisant plus queffleurer la terre meuble et frachement retourne de la route.

    Au trot, tte leve ! hurlait le garde, et aussi les genoux levs !La Belle vit les sabots des chevaux frapper le sol ct delle, exactement comme elle les avait

    vus auparavant sur le Sentier de la Bride abattue, au chteau, et elle sentit la mme apprhensionfroce qualors chaque fois que le battoir lui claquait les cuisses et les mollets. Elle courait, ses seinslui faisaient mal, et une douleur sourde et brlante irradiait dans ses jambes douloureuses.

    Elle ne pouvait voir la foule distinctement, mais elle savait quils taient l, des centaines devillageois, peut-tre mme des milliers, une mare qui se rpandait par les portes du village pourvenir au-devant des esclaves. Et nous allons tre conduits au beau milieu deux ; cest trop

  • pouvantable , se dit-elle ; soudain, la rsolution quelle avait prise dans le chariot de dsobir, dese rebeller la quitta. Elle tait tout bonnement trop effraye. Et elle courait aussi vite quelle pouvaitsur la route qui descendait tout en bas jusquau village, et, elle avait beau se dpcher, le battoirlattendait, jusqu ce quelle se rende compte quelle avait si bien lutt pour traverser les premiresranges desclaves quelle courait maintenant leur hauteur, sans plus personne prsent pour luimasquer le spectacle de cette foule norme.

    Sur les remparts flottaient des tendards. Des bras dcrivaient de grands gestes, des vivatsponctuaient lapproche des esclaves, et au milieu de toute cette excitation peraient les quolibets dedrision ; le cur de la Belle cognait sourdement, et elle tchait de ne pas chercher distinguer tropclairement ce qui lattendait, mme si elle navait gure de moyen desquive.

    Aucune protection, nulle part o se cacher, et o est Tristan se demanda-t-elle ? Pourquoi nepas me replonger dans la horde ? Mais, lorsquelle sy essaya, le battoir vint la frapper enretentissant, tandis que le garde lui hurlait davancer. Les coups sabattaient sur les autres autourdelle au point de faire fondre en larmes dimpuissance la petite Princesse rousse qui se tenait sadroite. Oh, que va-t-il nous arriver ? Pourquoi avons-nous dsobi ? , et ses gmissements furententrecoups de sanglots. Mais le Prince aux cheveux noirs qui se trouvait, lui, droite de la Belle luilana un coup dil en guise davertissement : Du calme, sinon ce sera pire !

    La Belle ne put sempcher de penser au long priple quelle avait effectu pied jusquauRoyaume du Prince Hritier, comment il lavait mene par des villages o elle avait t honore etadmire comme son esclave de choix. Rien de tel, prsent.

    lapproche des portes, la foule avait rompu les amarres et se dployait de part et dautre descaptifs. La Belle put voir de prs les femmes, en tablier blanc de fte et en galoches, et les hommeschausss de bottes de peau et en pourpoint de cuir, des visages robustes, de toutes parts,manifestement rayonnants de plaisir. La Belle en eut le souffle coup et laissa tomber le regard sur lechemin devant elle.

    Ils passrent les portes. On sonna de la trompette. Et, de partout, des mains se tendirent pour lestoucher, les pousser, leur tirer les cheveux. La Belle sentit des doigts lui passer sans mnagement surla figure ; on lui gifla les cuisses. Elle laissa chapper un cri dsespr tout en se dbattant pourchapper aux mains qui la poussaient violemment, tandis quautour delle slevaient les rires, forts,pais, moqueurs, les hurlements et les exclamations, et puis, ici et l, des cris isols.

    La Belle avait le visage inond de larmes, sans quelle sen soit mme encore aperue. Sapoitrine palpitait de la mme pulsation violente quelle sentait battre hauteur de ses tempes. Autourdelle, elle vit les maisons du village, leves, troites, colombage, qui dcrivaient une largecourbe le long dune vaste place o se tenait un march. Une haute estrade de bois, surmonte dungibet, dominait tout Et ils taient l, par centaines, masss aux fentres et aux balcons quisurplombaient la place, agitant des mouchoirs blancs, poussant des vivats ; il y en avait dautresencore, ne pouvoir les compter, qui engorgeaient les ruelles encaisses dbouchant sur la place,tout ce monde jouant des coudes et se bousculant pour se rapprocher des malheureux esclaves.

    On regroupa ceux-ci de force dans un enclos situ derrire lestrade. La Belle dcouvrit unevole de marches de bois branlantes qui menait jusque sur les planches et une longueur de chane encuir suspendue au-dessus du gibet. Sur un ct de la potence, il y avait un homme qui attendaitdebout, les bras croiss, tandis quun autre sonnait de nouveau un coup de trompette pendant que lonrefermait les portes de lenclos. La foule les encercla, et il ny eut plus que le mince bandeau de lapalissade pour les protger. Encore une fois, des mains se tendirent vers eux, et ils se blottirent lesuns contre les autres. On pina les fesses de la Belle, on lui souleva sa longue chevelure.

  • Elle se dbattit dsesprment pour gagner le centre de lenclos, la recherche de Tristan. Ellene laperut quun bref instant quand on le rudoya pour le pousser jusquau pied de lescalier.

    Il faut quon me vende avec lui , se dit-elle, et elle poussa violemment devant elle, mais lundes gardes la refoula dans le petit groupe, tandis que la foule huait, beuglante et rigolarde.

    La Princesse rousse, celle qui avait pleur sur la route, tait devenue inconsolable, et la Belle seserra tout prs delle afin de la rconforter et de se cacher en mme temps. La Princesse avait desseins ravissants, plants haut, des ttons trs larges et roses, et ses cheveux roux cascadaient enrigoles sur son visage tremp de larmes. La foule se remettait pousser des vivats et des hurlements,maintenant que le hraut en avait fini.

    Nayez pas peur, lui chuchota la Belle. Souvenez-vous, finalement, ce sera tout comme auchteau. Nous serons punis, on nous fera obir.

    Non, ce ne sera pas pareil ! chuchota la Princesse en tchant de ne pas remuer les lvres defaon trop visible. Et moi qui me prenais pour une rebelle. Et moi qui me prenais pour une enttefarouche.

    La trompette lcha un troisime appel lanc pleins poumons, une srie de notes aigus quilaissrent un cho derrire elles. Et, dans le silence qui sabattit immdiatement aprs sur la place dumarch, une voix retentit :

    Nous allons maintenant procder la grande vente de printemps !Un rugissement sleva tout autour deux, un chur presque assourdissant, dune force qui mit la

    Belle en tat de choc, tel point quelle ne se sentait plus respirer. La vue de ses propres seinspalpitants la laissa abasourdie. Dun coup dil, elle embrassa la scne, vit des centaines dyeuxpasser sur elle, lexaminer, prendre la mesure de ses attributs dnuds, et cent lvres animes dechuchotis et de sourires.

    Entre-temps, les Princes subissaient les tourments des gardes : leurs queues lgrement fouettespar les ceintures de cuir, des mains ptrissant leurs couilles pendantes, on les contraignit se mettreau garde--vous et, sils ne sexcutaient pas, on les punissait de svres coups de battoir sur lesfesses. Tristan tournait le dos la Belle. Elle put donc voir les muscles durs et parfaits de ses jambeset de ses fesses tressaillir lorsque le garde les taquina, en lui passant la main sans mnagement danslentrejambe. Ds lors, elle regretta amrement leur treinte amoureuse la drobe. Si jamais il neparvenait pas se tenir au garde--vous, ctait elle qui serait blmer.

    Mais la voix tonnante rsonna de nouveau. Tous ceux qui habitent le village connaissent les rgles de la vente. Ces esclaves

    dsobissants, que Notre Gracieuse Majest nous destine afin quils fournissent un dur labeur,doivent tre vendus au plus offrant, pour une priode de service qui ne saurait tre en aucun casinfrieure trois mois, la convenance de leurs Seigneurs et Matres. Ces impnitents devrontdemeurer dans leur condition de muets serviteurs, et ils devront tre amens sur la Place desChtiments publics aussi souvent que leurs Matres et Matresses le permettront, afin dy tre soumis toutes les souffrances, pour lamusement de la foule autant que pour leur propre dification.

    Le garde stait loign de Tristan tout en lui chuchotant quelque chose loreille, et lui assenaun coup de son battoir au passage, non sans espiglerie, et avec le sourire.

    Vous tes solennellement chargs, poursuivit, sur lestrade, le hraut, de faire travailler cesesclaves, de les punir, de ne tolrer aucune dsobissance de leur part, et jamais la moindre paroleimpudente. Et tous les Matres et Matresses ont loisir de vendre leur esclave lintrieur de cevillage, tout moment, pour la somme de leur choix.

    La Princesse rousse pressa ses seins nus contre la Belle, et la Belle se pencha en avant pour

  • lembrasser dans le cou. Elle sentit la toison dense et drue du pubis de la jeune fille contre sa jambe,sa moiteur et sa chaleur.

    Ne pleure pas, lui chuchota-t-elle. Lorsque nous repartirons dici, je me conduirai la perfection, la perfection ! lui confia la

    Princesse, et elle clata de nouveau en sanglots. Mais quest-ce qui vous a amene dsobir ? lui chuchota la drobe la Belle loreille. Je ne sais pas, gmit la fille en ouvrant tout grands ses yeux bleus. Je voulais voir ce qui

    arriverait ! et elle se remit pleurer, pitoyablement. Quil soit bien entendu que chaque fois que vous punissez lun de ces esclaves indignes,

    continua le hraut, vous exaucez le vu de Sa Royale Majest. Cest de sa main que vous frappez lecoup que vous frappez, de ses lvres que vous les chapitrez. Une fois par semaine, tous les esclavesdoivent tre envoys aux bains publics pour leur toilette. Ils doivent tre nourris convenablement. Entoutes occasions, les esclaves doivent produire la preuve quils ont t copieusement fouetts.Linsolence ou la rbellion seront rprimes avec la dernire intransigeance.

    La sonnerie de trompette clata de nouveau. Des mouchoirs blancs sagitrent, et de toutes partsdes mains applaudirent par centaines. La Princesse rousse poussa un cri lorsquun jeune homme, quise penchait par-dessus la palissade de lenclos, lattrapa par la cuisse et lattira vers lui.

    Le garde larrta dune rprimande bon enfant, lui laissant cependant le temps de glisser la mainsous le sexe humide de la Princesse.

    On conduisit alors Tristan sur lestrade de bois. Montant les marches, il se tenait la tte haute, lesmains nous la nuque comme auparavant, dans une attitude toute de dignit, en dpit du battoir quidonnait avec vigueur sur ses fesses quil tenait troitement serres.

    Pour la premire fois, la Belle vit, au-dessous du haut gibet et des attaches de cuir qui enpendaient, une roue sur laquelle un homme de haute stature, lair lugubre, en pourpoint de veloursvert vif, fora Tristan prendre place. coups de pied, il carta les jambes de Tristan, comme silavait t hors de question dadresser un ordre au Prince, ft-ce le plus lmentaire.

    On le traite comme un animal , songea la Belle, qui observait.Debout un peu en arrire, le commissaire de la vente, un homme de grande taille lui aussi,

    actionnait la roue en appuyant de son pied sur une pdale, de manire faire tourner Tristan toutevitesse.

    La Belle napercevait plus que fugitivement son visage carlate, ses cheveux dor et ses yeuxbleus presque clos. De la sueur luisait sur sa poitrine et son ventre durs, sa queue, norme et forte, selon le souhait des gardes , ses jambes lgrement tremblantes dtre si largement cartes.

    Le dsir se noua au sein de la Belle, elle le prit en piti, elle sentit ses organes se remettre gonfler et palpiter, et, dans le mme temps, fut saisie dune peur terrible : tre force de me tenirdebout seule devant tout le monde, je ne peux pas. tre brade de la sorte, je ne peux pas ! Je ne peuxpas !

    Mais combien de fois, au chteau, avait-elle prononc ces mots-l. Un puissant clat de rire, enprovenance dun balcon proche, la cueillit par surprise.

    Partout, ce ntaient que conversations bruyantes et disputes, et la roue tournait sans relche, etles boucles blondes qui ruisselaient sur la nuque de Tristan le faisaient paratre plus nu et plusvulnrable.

    Un Prince dune force exceptionnelle, cria le commissaire dune voix plus forte, plus profondeencore que celle du hraut, en coupant court au brouhaha des conversations. Des membreslongilignes, mais une ossature robuste. Assurment taill pour le travail de maison, et plus

  • certainement encore pour le travail des champs, et sans aucun doute pour le travail ltable.La Belle tressaillit.Le commissaire avait en main un battoir de cuir, de lespce longue et flexible qui ressemblait

    une lanire rigide, et il en gifla le dard de Tristan, puis, lorsque ce dernier, achevant son tour, revinten position, face lenclos des esclaves, il annona, en sadressant la cantonade :

    Un organe puissant, des plus empresss, capable de grands services, dune enduranceconsidrable, et des voles de rires slevrent de la place.

    Le commissaire tendit le bras, empoigna Tristan par les cheveux, le fit soudain se courber endeux tout en faisant pivoter encore une fois la roue, et Tristan demeura courb dans la mme posture.

    Des fesses excellentes, scria la voix profonde et tonitruante, et puis il y eut les invitablescoups de battoir qui laissrent leurs marbrures rouges sur la peau de Tristan. lastiques, douces !cria le commissaire en appuyant sur la chair du bout du doigt (Puis il porta la main au visage deTristan, le releva.) Et rserv, de temprament calme, dsireux de se montrer obissant ! Et a vautmieux pour lui !

    Un autre coup de battoir, et dautres rires de toutes parts. quoi pense-t-il, se dit la Belle. Je ne puis endurer cela ! nouveau, le commissaire avait empoign la tte de Tristan, et la Belle vit lhomme soulever un

    phallus de cuir noir accroch par une chane la ceinture de son pourpoint de velours vert. Avantquelle ait pu raliser ce quil avait lintention de faire, il avait enfonc linstrument de cuir danslanus de Tristan, un geste qui, de tous les cts de la place du march, souleva une nouvelle salve devivats et de cris, tandis que Tristan, le visage impassible, se courbait en position incline, comme uninstant auparavant, jusqu terre.

    Ai-je besoin den dire plus ? cria le commissaire, ou les enchres vont-elles pouvoircommencer ?

    Aussitt, tous se lancrent, et ce furent des enchres hurles de toutes parts, chaque annonce, peine enregistre, tant aussitt couverte par une autre, et mme une femme, sur un balcon voisin srement la femme dun boutiquier, dans son riche corsage de velours et son chemisier de lin blanc ,se dressa sur la pointe des pieds pour lancer son enchre par-dessus la tte des autres.

    Tous ces gens sont si riches, se dit la Belle, tous, tisserands, teinturiers et orfvres de la Reineen personne, et ainsi, chacun dentre eux a de quoi nous acheter. Mme une femme dallurerustaude, avec ses grosses mains rouges et un tablier tach, fit une enchre depuis le pas de porte dela boucherie, mais elle fut rapidement dpasse.

    La petite roue continuait de tourner lentement, et le commissaire finit par inciter la foule, avecforce flatteries, mesure que les offres montaient. Avec une fine badine gaine de cuir quil tira dunfourreau comme une pe, il piqua les chairs du derrire de Tristan et lui caressa lanus. Tristan setenait humblement immobile, et seule la folle rougeur de son visage trahissait sa dtresse.

    Alors, soudain, une voix sleva du fin fond de la place, couvrant largement toutes les enchres,et la Belle entendit un murmure parcourir la foule. Elle se mit sur la pointe des pieds pour essayer devoir ce qui se passait. Un homme stait avanc jusque devant lestrade et, travers les trteaux surlaquelle celle-ci reposait, elle put le voir. Lhomme avait les cheveux blancs, mais pas lge de cettechevelure, qui, encadrant un visage carr et daspect plutt paisible, lui confrait une lgance peuordinaire.

    Ainsi le Chroniqueur de la Reine veut de cette Jeune et robuste monture, scria lecommissaire. Ny a-t-il personne pour couvrir son enchre ? Vais-je entendre que lon me proposeplus pour ce Prince splendide ? Allons, en vrit

  • Une autre enchre, mais aussitt le Chroniqueur la couvrit, dune voix si douce que ce futmerveille si la Belle put lentendre, et cette fois son offre tait si leve quelle visait clairement dcourager toute opposition.

    Vendu, cria enfin le commissaire, Nicolas, le Chroniqueur de la Reine et lHistorien en Chefdu village de la Reine ! Pour la somme considrable de vingt-cinq pices dor.

    Et tandis que la Belle observait la scne, les yeux mouills de larmes, Tristan fut tir sansmnagement au bas de lestrade, prcipit au pied des marches, et conduit vers lhomme aux cheveuxblancs qui attendait posment, bras croiss, le gris sombre de son pourpoint finement coup luidonnant une allure proprement princire, alors quil inspectait en silence son acquisition. Dunclaquement de doigts, il ordonna Tristan de le prcder, au trot, pour quitter la place.

    La foule ouvrit un passage Tristan contrecur, le poussant et le houspillant. Mais la Belle neput apercevoir cette scne que dun coup dil avant de pousser un cri lorsquelle saperut quon latranait son tour hors du groupe des esclaves en pleurs, dans la direction des marches.

  • La Belle aux enchres

    NON, cela ne peut marriver, pas moi ! se dit-elle, aveugle par les larmes, et elle sentit ses

    jambes se drober sous elle tandis que le battoir la giflait. On la porta presque sur lestrade jusqula roue pour ly installer. Peu importait quelle ny soit pas monte en toute obissance.

    Ctait fait, elle y tait ! Et devant elle la foule stendait dans toutes les directions, visagesgrimaants et mains agites, fillettes et garons courts sur pattes sautant pour mieux voir, et les gens,aux balcons, se levant pour regarder plus attentivement.

    La Belle se sentait sur le point de dfaillir, et pourtant elle tenait debout, et quand la douce bottede peau du commissaire lui carta les jambes du bout du pied elle lutta pour conserver son quilibre,ses seins frmissant au rythme de ses sanglots touffs.

    Jolie petite Princesse ! proclama-t-il, faisant pivoter la roue dun coup, la faire presquebasculer en avant.

    Elle vit derrire elle des centaines et des centaines de personnes masses jusquaux portes duvillage, et encore dautres balcons, et dautres fentres et, plus en hauteur, des soldats qui seprlassaient sur toute la longueur des remparts.

    Des cheveux comme de lor fil, et des petits seins bien mrs !Le bras du commissaire senroula autour delle, lui crasa la poitrine, et il lui pina les ttons.

    Lvres closes, elle laissa chapper un cri et, dans le mme temps, sentit un flux immdiat entre sesjambes. Mais sil devait lempoigner par les cheveux comme il lavait fait de Tristan

    Or, linstant mme o elle pensait cela, elle sentit quon la forait se courber jusqu terre,didentique faon, et ses seins, qui pendaient sous elle, donnaient limpression de gonfler sous leurpropre poids. Et de nouveau le battoir trouva le chemin de son postrieur, aux cris de ravissement dela foule. Applaudissements, rires, hurlements, lorsque le commissaire lui fit lever le visage du boutde son instrument de cuir rigide et noir tout en la maintenant courbe en avant, et en faisant tourner laroue plus vite encore.

    De ravissants attributs, assurment faite pour le travail de maison le plus raffin, qui voudraitgcher ce joli morceau dans les champs ?

    Mais si, vendez-la dans les champs ! hurla quelquun.Et il y eut encore des vivats et des rires. Et quand le battoir la gifla de nouveau la Belle lcha un

    gmissement dhumiliation.Le commissaire lui plaqua la main sur la bouche et la fora se relever, le menton en lair, puis

    il la relcha pour quelle se tienne debout, le dos cambr. Je vais dfaillir, je vais mvanouir ,pensa la Belle, son cur cognant au creux de son sein, mais elle se tenait l, debout, endurant lachose, mme lorsquelle sentit le chatouillement soudain de la badine gaine de cuir entre ses lvrespubiennes. Oh, pas a, il ne peut pas , se dit-elle, mais dj son sexe humide commenait gonfler, affam quil tait de tter de cette caresse brusque de la badine. Elle se tortilla pour senlibrer.

    La foule rugit.Et elle se rendit compte que, seule fin dchapper cet examen pouss elle remuait les hanches

    de faon horriblement vulgaire.Il y eut plus encore dapplaudissements et de hurlements, lorsque le commissaire, de sa badine,

  • se fora un passage dans son pubis humide et chaud, non sans scrier : Une petite jeune fille lgante et dlicate, faite pour tre la meilleure des femmes de chambre

    ou la meilleure des distractions pour un gentilhomme !La Belle savait que son visage tait carlate. Jamais, au chteau, elle navait connu semblable

    mise nu. Comme ses jambes se drobaient encore sous elle, elle sentit la main ferme ducommissaire lui lever les poignets au-dessus de la tte, jusqu ce quelle se retrouve suspendue ensurplomb de la roue, et alors le battoir de cuir gifla ses mollets sans dfense et la plante de ses pieds.

    Sans le vouloir, la Belle donnait des coups de pied, en vain. Elle perdait toute matrise delle-mme.

    Criant entre ses dents serres, suspendue la poigne de lhomme, elle se dbattait comme unefolle. Un sentiment dabandon, trange et dsespr, la submergea, tandis que le battoir venait luilcher le sexe, le gifler et le caresser, et alors les cris et les vocifrations de la foule furentassourdissants. Elle ne savait pas si elle dsirait ardemment ce tourment ou si elle essayait touteforce de sy soustraire.

    Sa respiration et ses sanglots frntiques lui emplissaient les oreilles, et, tout coup, elle sutquelle offrait prcisment ceux qui taient ses spectateurs le genre de spectacle quils adoraient.Ils obtenaient delle bien plus que ce quils taient parvenus obtenir de Tristan, et elle ne savait passi elle y accordait ou non de limportance. Tristan tait parti. Elle tombait dans loubli.

    Le battoir la punissait, lui faisait subir sa morsure, imposait ses hanches de se cambrer, commeprises de frnsie, seule fin de venir mieux caresser encore sa toison pubienne humide, pour lasubmerger de vagues de plaisir et de douleur.

    Par pur dfi, elle balana son corps de toute sa force, si violemment quelle se libra presque ducommissaire, qui, dtonnement, lcha un rire sonore. Comme il cherchait la ramener la raison,ses doigts serrs lui mordirent les poignets lorsquil la hissa plus haut, la foule poussa des crisperants, et, du coin de lil, la Belle vit deux valets grossirement vtus se prcipiter verslestrade.

    Sur-le-champ, ils lui lirent les poignets la chane de cuir qui pendait du gibet, au-dessus de satte. prsent, elle se balanait, libre de la gravit. Le battoir du commissaire la faisait tournoyersous les coups, et, noye de sanglots, elle tchait de se cacher le visage au creux de son bras tir.

    Nous navons pas toute la journe devant nous pour nous amuser avec cette petite Princesse,cria le commissaire, bien que la foule le presst de hurlements Fesse-la , Punis-la.

    Pour cette jolie dame, jen appelle une main ferme et une discipline de fer. Alors, quelleoffre va-t-on me faire ?

    Il retourna la Belle, lui claqua la plante de ses pieds nus avec le battoir, lui repoussa la tte entreles bras pour lempcher de se dissimuler le visage.

    De beaux seins, des bras bien tendres, des fesses dlectables, et une douce petite crevasse deplaisir taille pour les dieux !

    Mais les enchres volaient dj, si vite couvertes quil navait gure les rpter, et, les yeuxbaigns de larmes, la Belle vit des centaines de visages levs, fixs sur elle, des jeunes gens massstout au bord de lestrade, un couple de jeunes femmes qui chuchotaient et la montraient du doigt et,derrire elles, une vieille femme appuye sur une canne qui tudiait la Belle et levait maintenant undoigt noueux pour proposer une enchre.

    Encore une fois, le sentiment dabandon la submergea, puis lenvie du dfi, et elle lana descoups de pied et gmit entre ses lvres closes, en stonnant de ne pas pousser de hurlements. Serait-il plus humiliant de reconnatre quelle savait parler ? Aurait-elle eu le visage plus carlate encore si

  • on lui avait impos de dmontrer quelle tait une crature pensante et doue de sentiments, et passeulement une esclave muette ?

    Ses sanglots furent la seule rponse quelle se donna, les jambes cartes, tandis que les enchresse poursuivaient et que le commissaire lui fouillait les fesses avec sa badine de cuir, comme il lavaitfait avec Tristan, pour lui caresser lanus, ce qui lui arracha un cri perant et la fit se tordre en toussens et mme essayer de le frapper coups de pied.

    Mais voici quil confirmait lenchre la plus leve, et puis une autre, tchant dencourager lafoule par ses invites flatteuses pour en obtenir plus encore, jusqu ce que, toujours de cette mmevoix profonde, la Belle lentende annoncer :

    Vendue lAubergiste, Matresse Jennifer Lockley, lenseigne du Lion, pour la sommeconsidrable de vingt-sept pices dor, cette petite Princesse amusante et spirituelle, afin, nen pasdouter, quelle y soit fouette, histoire de lui apprendre la gratitude pour lhospitalit quon lui offre,ainsi que tout le reste !

  • Les leons de Matresse Lockley

    LORSQUON libra la Belle de ses chanes et quon la prcipita au bas des marches, les mains

    noues dans le dos, ce qui faisait saillir ses seins, la foule applaudit. Elle ne fut aucunement surprisede sentir une pice de cuir oblongue quon lui introduisait de force dans la bouche. Cette pice decuir fut attache, bien serre, par une boucle place derrire sa nuque, et lon y attacha ses poignets,ce qui ne la surprit pas non plus, au vu de la manire dont elle stait dfendue.

    Laissons-les faire ! se dit-elle, en proie au dsespoir. Et lorsque deux longues rnes furentramenes cette mme boucle dattache, derrire sa tte, et quon en tendit les extrmits cettegrande femme aux cheveux noirs qui se tenait debout devant lestrade, la Belle se dit : Trsastucieux. Elle va me tirer derrire elle comme si jtais une petite bte sauvage.

    Le visage triangulaire, presque beau, la chevelure noire tombant librement dans le dos, exceptune fine natte sur le front qui avait tout lair dune manire dcorative de dgager sa figure de sesmches noires et paisses, la femme ltudiait, comme le Chroniqueur lavait fait avec Tristan. Elleportait une jupe et un corsage magnifiques, en velours rouge, sur un chemisier de lin manchesbouffantes.

    Une riche Aubergiste , songea la Belle. La grande femme tirait ferme sur les rnes, avec detelles secousses quelle fit presque chuter la Belle, puis elle jeta les rnes par-dessus son paule,tranant la Belle sa suite, pour la forcer, malgr ses rechignements, prendre une allure de trotrapide.

    Les villageois poussaient la Belle, la bousculaient, la houspillaient, giflaient ses fessesendolories, la traitaient de sale fille, lui demandaient joignant le geste la parole si elle aimaitles gifles et lui glissaient comme ils aimeraient disposer delle une heure seul seul pour luiapprendre se tenir. Mais elle gardait les yeux sur la femme et tremblait de tous ses membres,lesprit bizarrement vid, comme si elle ne pensait rien.

    Pourtant, elle rflchissait. Elle rflchissait et se disait nouveau : Pourquoi ne pas meconduire aussi mal que jen ai envie ? Mais tout coup elle clata en larmes, sans savoir pourquoi.La femme marchait si vite que la Belle devait trotter docilement, quelle le veuille ou non, et seslarmes lui piquaient les yeux et brouillaient les couleurs de la place du village, en un nuage flou etbrlant.

    Elles sengagrent dans une petite rue, au pas de course, dpassrent des tranards qui jetaient peine un il sur elles en pntrant sur la place du march. Et, trs vite, la Belle trotta sur les pavsdune petite ruelle silencieuse et vide qui sinuait et tourna au pied des sombres maisons colombage,avec leurs fentres aux carreaux en forme de losanges, leurs volets et leurs portes peints de couleursvives.

    Partout, des enseignes annonaient les commerces du village ; ici, on avait accroch la botte ducordonnier, l, le gant de cuir du gantier, et une coupe en or peinte de faon rudimentaire poursignaler le marchand de plats dargent et dor.

    Une trange srnit enveloppa la Belle, et du coup les menues douleurs de son corps serappelrent plus vivement elle. Elle sentait sa tte tire brutalement en avant par les rnes de cuirqui frottaient contre ses joues. Elle avait la respiration empche, par cette pice de cuir qui labillonnait et, lespace dun instant, elle perut dans toute cette scne la ruelle qui serpentait, les

  • petites choppes dsertes, cette grande femme en corsage de velours rouge et en large jupe rouge quimarchait devant elle, sa longue chevelure noire droulant librement ses boucles dans son dos menu quelque chose de singulirement trange. Il lui semblait que cela, tout cela, stait dj produitauparavant, ou plutt que la chose lui tait des plus familires.

    Naturellement, il tait impossible que cette scne se ft dj produite. Mais, de manire quelquepeu singulire, la Belle avait la sensation dappartenir cet endroit, et, de ce fait, le moment deterreur de la place du march, qui lavait tant marque, fut comme emport au loin. Elle tait nue,certes, et ses cuisses marques de zbrures la brlaient, comme ses fesses elle nosait pas mmepenser lallure quelle devait avoir , et ses seins, comme laccoutume, lui irradiaient tout lecorps de cette palpitation puissante ; il y avait, comme toujours, cette terrible pulsation secrte entreses jambes. Oui, son sexe, taquin cruellement par les caresses de ce battoir lisse, continuait de larendre folle.

    Mais, prsent, ces choses lui taient presque douces. Mme le contact de ses pieds nus sur lespavs rchauffs par le soleil lui tait presque agrable. Et elle prouvait une vague curiosit pourcette grande femme qui ouvrait la marche. Elle se demandait aussi ce quelle, la Belle, allait faire.

    Au chteau, elle ne stait jamais rellement pos la question. Elle avait eu peur de ce quon luiferait faire. Mais dsormais elle navait plus aucune certitude quant ce qui lattendait.

    Et, encore une fois, le fait dtre une esclave nue et ligote, une esclave punie, que lon tirait avecbrutalit dans cette ruelle, voil qui lui procurait une sensation de complte normalit. La pense luivint lesprit que cette grande femme savait prcisment comment la manier, en la faisant se presserde la sorte, en lui imposant de refouler en elle-mme toute chance de rbellion. Et cela la fascinait.

    Elle laissa son regard glisser sur les murs et se rendit compte quil y avait, ici et l, des gensposts aux fentres, et que ces gens la regardaient Devant elle, elle vit une femme, les bras croiss,qui la dominait du regard. Plus loin, lautre bout du chemin, il y avait un jeune homme assis sur unrebord de fentre qui lui sourit et lui souffla un petit baiser, et puis voici quapparut dans la ruelle unhomme grossirement vtu, les jambes torses, qui retira son couvre-chef lattention de MatresseLockley et sinclina tout en passant son chemin. Ses yeux se posrent peine sur la Belle, maisquand elle le dpassa il lui administra une petite tape sur les fesses.

    La sensation trange du caractre ordinaire de tout cela commenait de plonger la Belle dans untat de parfaite confusion. Dans le mme temps, elle sy abandonnait, alors quon lamenait pntrer, dun pas rapide, sur une autre vaste place pave, au centre de laquelle se dressait un puitsrserv lusage commun, et que bordaient de tous cts les enseignes de plusieurs auberges.

    Il y avait l lenseigne de lOurs et lenseigne de lAncre, et lenseigne des pes croises, maisla plus magnifique, et de loin, ctait lenseigne dore du Lion, accroche au-dessus dune largeentre cochre et sous trois tages de profondes fentres plombures. Le dtail le plus saisissant detous, ctait le corps dune Princesse nue qui se balanait sous lenseigne, attache, chevilles etpoignets runis, une chane de cuir, de sorte quelle pendait au panneau de lenseigne comme unfinit mr, son sexe rouge et nu pniblement expos aux regards.

    Ctait exactement ainsi quon ligotait les Princes et les Princesses dans la Salle des Chtimentsdu chteau de la Reine, une position que la Belle navait jamais eu supporter et quelle redoutaitplus que toute autre. Le visage de la Princesse tait attach entre ses jambes, quelques centimtresseulement au-dessus de son sexe gonfl et expos sans piti, et elle avait les yeux presque clos.Quand elle aperut Matresse Lockley, elle gmit et gigota au bout de sa chane, se tendant de toutesses forces en avant, en signe de supplication, exactement comme la Belle lavait vu faire aux Princeset aux Princesses dans la Salle des Chtiments.

  • la vision de cette fille, le cur de la Belle cessa de battre. Mais elle fut tire plus avant et ladpassa, sans du tout pouvoir tourner la tte pour mieux observer la malheureuse, et entra au trot dansla grande Salle de lAuberge.

    En dpit de la chaleur de la journe, limmense Salle tait frache, et un petit feu de cuisineflambait dans ltre gant, sous une bouilloire en fer fumante. Il y avait l des dizaines de tablesimpeccablement astiques et des bancs disposs un peu partout sur le sol carrel. Des tonneauxgants taient aligns le long des murs. un bout de la pice, il y avait une longue tagre qui partaitde ltre et, lautre bout, contre le mur den face, ce qui semblait tre une petite scne rudimentaire.

    Un long comptoir rectangulaire se prolongeait en direction de la porte, partir de ltre, etderrire ce comptoir se tenait un homme avec un cruchon la main, le coude reposant sur le bois ducomptoir, comme sil tait prt servir de la bire au premier qui en ferait la demande. Il releva satte hirsute et cueillit la Belle de ses petits yeux sombres et profondment enfoncs, puis, souriant,lana Matresse Lockley :

    ce que je vois, vous avez fort bien fait.Il fallut un moment aux yeux de la Belle pour shabituer la pnombre de lendroit, et quand ce

    fut fait, elle saperut quil y avait dans cette Salle quantit dautres esclaves nus. Dans langleoppos, un Prince nu, la belle chevelure noire, tait occup rcurer le sol genoux, avec unelourde brosse quil tenait entre les dents par son manche de bois. Une Princesse aux cheveux blondfonc se consacrait la mme tche, mais juste au-del du seuil de la porte. Une autre jeune femme,les cheveux bruns relevs en spirale au-dessus de la tte, astiquait un banc genoux, avec lapermission de se servir de ses mains pour ce faire. Deux autres, un Prince et une Princesse, lescheveux libres, agenouills au bord de ltre, mais de lautre ct, dans lclatante lumire du jourqui provenait de la porte de derrire, astiquaient des plats dtain avec de grands gestes vigoureux.

    Aucun de ces esclaves nosa mme jeter un il sur la Belle. Toute leur attitude tait empreintedobissance, et tandis que la petite Princesse avec la brosse rcurer se dpchait de laver le soltout prs des pieds de la Belle, celle-ci vit que ses jambes et ses fesses avaient subi des punitionsdepuis peu.

    Mais qui sont ces esclaves ? se dit la Belle. Elle tait presque certaine quelle et Tristanavaient fait partie du premier chargement condamn au travail forc. Ces pnitents taient-ils de ceuxqui se tenaient si mal quils avaient t confins au village pour une anne entire ?

    Apportez-moi le battoir de bois, demanda Matresse Lockley lhomme au comptoir.Elle tira la Belle en avant et, promptement, la bascula sur le comptoir.La Belle ne put retenir un gmissement ; ses jambes se balanaient au-dessus du sol. Elle ne

    stait pas encore dcide, si elle devait ou non obir, lorsquelle sentit la femme lui dtacher sonbillon et sa boucle pour ensuite lui plaquer les mains dans la nuque.

    Mais lautre main de la femme tait passe entre les jambes de la Belle, ses doigts fureteurstrouvrent son sexe humide et ses lvres gonfles, et mme la petite graine brlante du clitoris, ce quicontraignit la Belle serrer les dents pour rprimer un pitoyable gmissement.

    La main de la femme la laissa son tourment. La Belle respira librement un instant, puis ellesentit la surface lisse du battoir de bois que l'on appuyait dlicatement contre ses fesses, et ce fut denouveau comme si ses zbrures la brlaient.

    Rouge de honte sous leffet de ce petit examen, la Belle se tendit, dans lattente de la fesseinvitable, mais celle-ci ne vint pas. Matresse Lockley lui fit tourner la figure, de sorte que la Belleput voir, sur sa gauche, par la porte ouverte.

    Voyez-vous cette jolie Princesse pendue lenseigne ? lui demanda la Dame.

  • Et, empoignant la Belle par les cheveux, elle lui poussa la tte vers le bas et la lui tira vers lehaut pour la faire acquiescer. La Belle comprit quelle ne devait pas parler et dcida, pour lemoment, dobir. Elle hocha la tte de son propre chef. Le corps de la Princesse oscillait vaguementde gauche droite au bout de sa chane. La Belle ne pouvait se rappeler si son malheureux sexe taithumide ou timide sous le voile bien prcaire de sa toison pubienne.

    Est-ce que vous voulez vous retrouver pendue l-bas, sa place ? lui demanda MatresseLockley. (Sa voix tait sche, svre et froide.) Est-ce que vous voulez vous retrouver pendue l,heure aprs heure, jour aprs jour, avec votre petit sexe affam qui crvera de faim, grand ouvert, auvu et au su de tous ?

    En toute sincrit, la Belle fit un signe de la tte pour rpondre que non. Alors vous allez cesser ces insolences et renoncer cet esprit de rbellion dont vous avez fait

    montre lors de la vente aux enchres, et vous allez obir chaque ordre qui vous sera donn, et vousbaiserez les pieds de votre Matre et de votre Matresse et quand on vous donnera votre dner, vousen pleurnicherez de gratitude, et vous lcherez le plat pour le nettoyer !

    Elle fora de nouveau la Belle rpondre par un hochement de tte, et la Belle ressentit unesensation dexcitation des plus tranges. Elle hocha la tte derechef, et de son propre gr. Son sexepalpitait contre le bois du comptoir.

    La main de la femme passa sous son corps et lui comprima les seins pour les runir, en les tenantscomme deux pches bien douces frachement cueillies larbre. Les ttons de la Belle taientbrlants.

    Nous nous comprenons, nest-ce pas, dit-elle.Et la Belle, aprs un trange moment dhsitation, approuva de la tte. Maintenant, vous allez dautant mieux comprendre ceci, fit la femme, de cette mme voix trs

    nette. Je vais vous fesser jusqu ce que vous soyez vif. Et il ny aura pas de riches Seigneurs ni deriches Dames pour se dlecter du spectacle, et pas non plus de soldats ou autres messieurs pour enjouir, rien que vous et moi, qui prparons lAuberge pour lheure de louverture, occups faire cequi doit tre fait. Et, si jagis de la sorte, cest pour une seule et unique raison, savoir quaprs avous allez avoir tellement mal que le contact de longle de mon doigt vous fera pousser des petitscris. Et, du coup, vous presserez le mouvement pour obir mes ordres. Vous resterez la peau vif,ainsi, tous les jours de lt tant que vous serez mon esclave, et quand je vous aurai fesse vous vousjetterez mes pieds pour baiser mes pantoufles, faute de quoi vous vous retrouverez vous balancersous cette enseigne. toute heure du jour, et tous les jours que Dieu fait, vous vous balancerez l, eton ne vous redescendra de l que pour dormir et manger, les jambes ligotes bien cartes et lesmains attaches dans le dos, et votre derrire qui recevra la fesse, tout comme il va se faire fesserdans un instant Et on vous remettra vous balancer l-haut pour que les durs cuire du villagepuissent venir rigoler de vous, et rigoler devant votre petit sexe affam. Vous mavez comprise ?

    La femme attendit, les seins de la Belle toujours dans le creux dune main, lautre sur les cheveuxde la Belle.

    Trs lentement, celle-ci hocha la tte. Trs bien, fit la femme voix basse.Elle retourna la Belle et la fit tendre sur le comptoir, le corps dans le sens de la longueur, la tte

    vers la porte. De la paume de la main, elle lui redressa le menton pour que la Belle regarde, droitdevant, par la porte, la pauvre Princesse suspendue, aprs quoi le battoir de bois vint se poser denouveau sur son derrire, appuyer gentiment sur ses marbrures, lui donnant limpression que sesfesses taient normes et brlantes.

  • La Belle se tenait immobile. Elle tait presque se prlasser, baignant dans cette trangeimpression de calme quelle avait ressentie dans la ruelle pave, mais cela sajoutait lexcitationcroissante de son entrejambe. Tout se passait comme si lexcitation dgageait tout sur son chemin mme la peur et la mortelle inquitude. Ou, plutt, ctait la voix de la femme qui la dgageait detoutes ces choses. Je pourrais dsobir, si je le voulais , songea la Belle, toujours dans cet tat decalme trange. Son sexe tait incroyablement humide et gonfl.

    Alors, maintenant, coutez encore, poursuivit Matresse Lockley. Lorsque ce battoir vasabattre, vous allez vous remuer, rien que pour moi, Princesse. Vous allez gigoter et vous allezgeindre. Vous nallez pas vous dbattre pour mchapper. Vous ne feriez pas une chose pareille. Etvous nallez pas retirer les mains de votre nuque. Et vous nallez pas non plus ouvrir la bouche. Maisvous allez gigoter et vous allez geindre. En fait, sous mes coups de battoir, vous allez faire desbonds. Parce qu chaque coup vous allez me montrer ce que a vous fait, et comme vous apprciez,et comme vous tes reconnaissante pour la punition que vous recevez, et quel point vous savez lamriter. Et si cela ne se passe pas exactement comme je le dis, vous vous retrouverez suspendue lenseigne jusqu la fin de la vente aux enchres, et jusqu ce que la foule arrive et que les soldatssoient prts boire leur premier cruchon de bire.

    ce discours, la Belle demeura interdite.Jamais, au chteau, personne ne lui avait parl sur ce ton, avec cette froideur et cette franchise, et

    pourtant il y avait dans tout cela une espce de bon sens pratique qui en imposait et lui arrachapresque un sourire. Naturellement, rflchit-elle, cette femme agissait exactement comme il se devait.Et pourquoi agirait-elle autrement ? Si ctait la Belle qui avait dirig cette auberge, et si elle avaitpay vingt-sept pices dor pour prix dune petite esclave rebelle, elle aurait fort bien pu agir demme. Et, naturellement, elle exigerait de son esclave quelle gigote et geigne afin de montrer quelleavait pleinement compris lhumiliation quon lui faisait subir, car il importait dexercer trsprcisment lesprit de son esclave, et non de la battre tort et travers.

    Et, de nouveau, la Belle fut gagne par cette bizarre impression de normalit.Elle comprenait ce que signifiait cette Auberge frache et sombre, aux pavs clabousss de

    soleil sur le seuil de la porte, et elle comprenait fort bien ce que signifiait cette voix trange quisadressait elle sur un ton de commandement, tout en marquant une telle distance. Par comparaison,le langage sucr du chteau avait quelque chose dcurant, et, oui, se dit la Belle en se raisonnant,pour le moment, en tout cas, elle obirait, et elle gigoterait, et elle gmirait.

    Le battoir sabattit sur elle, ce qui la fit gmir une premire fois, bruyamment, chose qui nexigeadelle aucun effort. Ctait un mince battoir de bois, de grandes dimensions, et, lorsquil la cogna denouveau il y eut un bruit sec qui lui fit perdre toute contenance, et, sous cette grle de coups quicinglait ses fesses endolories, la Belle se surprit, sans aucune dcision consciente de sa part, setortiller et pleurer, les larmes jaillissant de ses yeux comme une source. On et dit que le battoir lafaisait se tordre et se tourner, quil la ballottait contre le comptoir de bois brut. Elle sentait celui-cigrincer sous elle, la cadence de ses hanches qui se soulevaient et retombaient. Elle sentait sesttons frotter contre le bois. Et pourtant elle gardait ses yeux baigns de larmes fixs vers lentreouverte sur la rue, et, gare comme elle ltait sous la fesse vigoureuse du battoir et au milieu deses pleurs sonores, touffs par ses lvres scelles, elle ne pouvait sempcher de se reprsenter sapropre image, se demandant si Matresse Lockley en concevait du plaisir, si cela lui suffisait.

    La Belle entendait ses propres gmissements, quelle poussait pleins poumons, tinter sesoreilles. Elle sentait les larmes couler sur ses joues, sur le bois. Elle chancelait sous le battoir, sonmenton lui faisait mal, et elle sentait ses longs cheveux qui lui retombaient sur les paules, lui abritant

  • la figure. prsent, le battoir lui faisait vraiment mal, la faisait souffrir de manire insupportable, et elle

    se soulevait trs au-dessus de la surface de bois, comme pour demander, avec tout son corps : Nest-ce pas assez, Madame, nest-ce pas assez ? Jamais, au chteau, dans toutes ses preuves,elle navait manifest si pleinement sa dtresse.

    Le battoir sarrta. Un doux torrent de sanglots emplit ce silence soudain, et, humblement, laBelle se contorsionna contre le comptoir, comme pour implorer Matresse Lockley. Quelque chosefrla trs lgrement ses fesses douloureuses, et, les dents serres, la Belle laissa chapper un petitcri.

    Trs bien, fit la voix. Allons, redressez-vous, et debout devant moi, jambes cartes. Tout desuite !

    La Belle se dpcha de se soumettre cette demande. Elle se laissa glisser du comptoir et se mitdebout, les jambes aussi cartes quelle le put, tout son corps frissonnant de reniflements et desanglots.

    Sans lever les yeux, elle put voir le visage sombre de Matresse Lockley, les bras croiss, lablancheur clatante de ses manches bouffantes dans la pnombre, et, dans ses mains, le grand battoirovale en bois.

    Mettez-vous genoux ! (Cet ordre cassant tomba avec un claquement de doigts.) Et vos mainssur la nuque, vous posez le menton au sol et vous rampez jusquau mur, l, tout au bout, aller etretour, en vitesse !

    La Belle se dpcha dobir. Il tait pitoyable de sessayer ramper de cette faon, les genoux etle menton au sol, et elle ne pouvait supporter de penser lair gauche et misrable qui devait tre lesien, mais elle atteignit le mur et aussitt se pressa de revenir aux bottes de Matresse Lockley. Prisedune folle impulsion, elle les lui baisa. La palpitation entre ses jambes se fit plus intense, comme siun poing appuyait sur son sexe. La Belle en eut presque le souffle coup. Si seulement elle pouvaitserrer ses jambes lune contre lautremais Matresse Lockley le verrait et ne le lui pardonneraitjamais.

    genoux, ordonna Matresse Lockley, et elle empoigna la Belle par les cheveux pour les luienrouler en boule derrire la tte.

    Avec des pingles quelle sortit de sa poche, elle les lui attacha.Puis elle claqua des doigts. Prince Roger, fit-elle, apportez ce baquet et rcurez donc un peu par ici.Le Prince la chevelure noire sexcuta aussitt en se dplaant avec une tranquille lgance,

    bien quil ft quatre pattes, et la Belle vit quil avait le derrire tout rouge et vif, comme silavait, lui aussi, connu la sanction du battoir de bois, depuis peu. Ses yeux noirs bien ouverts, leregard franc, il baisa les bottes de Matresse Lockley, avant de se retirer, sur un geste de cettedernire, par la porte de derrire, dans le jardin. Autour de la petite bouche rose de son anus, il avaitdes poils noirs et drus, et ses petites fesses taient dune rondeur exquise pour celles dun homme.

    Maintenant, vous allez devoir prendre cette brosse entre vos dents et vous allez rcurer le solavec, en commenant par ici et en allant jusque l-bas, fit Matresse Lockley avec froideur. Vousallez me faire a bien, et proprement. Et pendant ce temps, vous allez me garder vos jambes grandesouvertes. Si je vois ces jambes-l jointes, si je vous vois frotter sur le sol cette petite bouche affameou si je vous vois la toucher, vous vous retrouverez dans la rue, pendue lenseigne. Est-ce que cestcompris ?

    Immdiatement, la Belle baisa de nouveau les bottes de la Dame.

  • Trs bien, fit celle-ci. Ce soir, les soldats vont payer cher pour ce petit sexe troit. Ils vont lenourrir comme il faut. Mais pour lheure vous allez rester sur votre faim, en toute obissance et entoute humilit, et vous ferez ce que je vous dis.

    La Belle se remit aussitt la tche avec la brosse, en frottant dur le sol carrel, tout ensaccompagnant dun mouvement de la tte, en avant, en arrire. Son sexe lui faisait presque aussimal que ses fesses, mais mesure quelle se consacrait son travail la douleur sestompait, et ellefinit par avoir lesprit trangement clair.

    Quarriverait-il, se demanda-t-elle, si les soldats tombaient en adoration devant elle, silspayaient une bonne somme pour lavoir et nourrissaient son petit sexe jusqu ce que, pour ainsi dire,il en dborde, et quarriverait-il si, alors, la Belle se montrait dsobissante ? Est-ce que MatresseLockley pourrait se permettre de la pendre lenseigne ?

    Je suis vraiment en train de devenir une sale petite fille ! se dit-elle.Mais le ct trange de la chose, ctait que son cur, la pense de Matresse Lockley, battait

    plus vite. Elle aimait sa froideur et sa scheresse comme jamais elle navait aim sa Matresse duchteau, la trop affectueuse Dame Juliana. Et elle ne put sempcher de sinterroger : pour MatresseLockley, dans tous ces coups de battoir, ny avait-il quune mince part de plaisir ? Matresse Lockleyfaisait cela si bien.

    Tout en rflchissant, elle faisait partir la crasse en tchant de rendre les carreaux bruns du solaussi brillants et aussi propres que possible, quand elle ralisa soudain que, depuis la porte resteouverte, une ombre montait jusqu elle. Et elle entendit Matresse Lockley scrier dune voixfeutre :

    Ah, Capitaine.La Belle leva les yeux avec prudence, mais tout de mme avec une certaine audace, pleinement

    consciente quun tel geste pouvait fort bien passer pour de limpudence. Et elle vit un homme auxcheveux blonds qui se tenait debout au-dessus delle. Ses bottes de cuir lui arrivaient bien au-dessusdes genoux, et, sa ceinture paisse, il portait, attachs par une boucle, une dague incruste depierreries, une pe double tranchant et un long battoir de cuir. Il lui semblait nettement plus grandque tous les hommes quelle avait connus dans ce Royaume. Toutefois il tait dune constitutionlance, malgr des paules massives. Ses cheveux somptueux, couleur paille, lui descendaientjusqu la naissance du cou et se terminaient par des boucles paisses. Ses yeux verts et brillants seplissrent lorsquil la considra du regard, en riant.

    Le dsarroi quelle ressentit la transpera comme un coup de poignard, bien quelle ne st paspourquoi la fusion soudaine de cette froideur et de cette duret laffectait tant Et, avec uneindiffrence calcule, elle se remit son nettoyage.

    Mais lhomme la contourna pour venir se poster face elle. Je ne vous attendais pas si tt, fit Matresse Lockley. Ce soir, je pensais quassurment vous

    amneriez toute la garnison. Mais trs certainement, Matresse, fit-il.Sa voix tait presque veloute. La Belle, qui ressentait dj ce serrement de gorge bien

    particulier, continua de nettoyer, en tchant dignorer les bottes la peau de veau lgrement ridequelle avait devant elle.

    Jai vu de quelle manire on sest arrach cette petite perdrix lors des enchres, fit leCapitaine. (Et la Belle rougit, tandis que lhomme dcrivait un cercle autour delle.) Le type mme dela petite rebelle. Jai t surpris que vous versiez une telle somme pour lacqurir.

    Avec les rebelles, jai ma manire, Capitaine, rpliqua Matresse Lockley de sa voix froide

  • comme le fer, aussi dpourvue de fiert que dhumour. Et celle-ci est une petite perdrixexceptionnellement succulente. Je pensais que vous pourriez vous faire plaisir avec elle, ce soir.

    Faites-lui une bonne toilette et envoyez-la-moi tout de suite dans ma chambre, fit le Capitaine.Je ne crois pas avoir envie dattendre jusqu ce soir.

    La Belle tourna la tte en lchant dlibrment au Capitaine une illade pleine dpret. Il taitdune beaut insolente, avec au menton un soupon de barbe blonde, comme si on lui avait frott lafigure de poussire dor. Le soleil avait laiss sur lui sa marque en lui hlant la peau dun brunprofond, si bien que ses sourcils dors et ses dents blanches nen paraissaient que plus lumineux. Ilgardait sa main gante pose la taille, et comme Matresse Lockley, sur un ton glacial, enjoignait laBelle de baisser les yeux il se contenta de sourire cette dernire, avec insolence.

  • Ltrange petit histoire du Prince Roger

    LA Belle fut brutalement remise debout par Matresse Lockley, qui, en lui tordant les poignets

    dans le dos, la fit sortir de force par la porte de derrire, dans un vaste jardin o, sous des arbres auxbranches lourdement charges de fruit, poussait une herbe grasse.

    Dans une cabane ciel ouvert, une demi-douzaine desclaves dormaient nus sur des planches debois, aussi profondment et dun sommeil aussi paisible, en apparence, que lorsquils dormaient auchteau dans la Salle des Esclaves. Mais une femme dallure fruste, les manches roules au-dessusdu coude, surveillait un autre esclave qui se tenait dans une barrique pleine deau savonneuse, lesmains attaches la branche dun arbre juste laplomb de la barrique. Il se faisait toiletter par lafemme avec autant de dlicatesse que si elle prparait un morceau de viande sale pour le dner.

    Avant mme de comprendre ce qui lui arrivait, la Belle stait vue contrainte de se mettre deboutdans une baignoire du mme acabit, leau savonneuse dcrivant de petits tourbillons de mousse hauteur de ses genoux, et, comme on lui attachait les mains la branche du figuier au-dessus delle,elle entendit Matresse Lockley appeler le Prince Roger.

    Aussitt, le Prince parut, cette fois debout, une brosse rcurer la main, pour immdiatement semettre au travail sur la Belle : il la rina leau chaude, lui frotta les coudes et les genoux, puis latte, tout en la faisant se tourner du ct gauche, puis du ct droit, avec une grande clrit.

    Il ny avait dans tous ces gestes que lempreinte de la pure et simple ncessit rien, l-dedans,de voluptueux. Quand la brosse lui frotta lentrejambe, la Belle tressaillit, et elle gmit quand lesextrmits des poils durs de lustensile vinrent sincruster dans ses zbrures et ses contusions.

    Matresse Lockley tait partie. Lpaisse bonne femme du jardin avait fess le pauvre esclavequelle venait de toiletter pour quil regagne sa couche dans les plaintes, avant de disparatre elle-mme lintrieur de lAuberge. Et le jardin, mis part ceux qui dormaient, tait dsormais vide.

    Si je vous parle, allez-vous me rpondre ? chuchota la Belle.Quand il lui fit basculer la tte en arrire et quil renversa le pichet deau chaude sur sa

    chevelure, le contact de la peau sombre du Prince contre la sienne fut doux comme du miel. prsentquils taient seuls, il y avait de la gaiet dans ses yeux.

    Oui, mais soyez trs prudente ! Sils nous surprennent, on nous enverra subir le ChtimentPublic. Et jai horreur dtre offert en spectacle pour divertir tous les rustres de la ville, ligot laRoue Publique.

    Pourquoi tes-vous ici ? demanda la Belle. Je pensais tre arrive avec les premiers esclavesque lon a envoys du chteau.

    Cela fait des annes que je suis au village, rpondit-il. Le chteau, cest peine si jen aiencore des souvenirs. Jai t condamn pour mtre clips en compagnie dune Princesse. Nousnous sommes cachs deux journes entires avant quils ne nous retrouvent ! lui raconta-t-il, toutsourire. Mais jamais on ne me fera retourner l-bas.

    Ce rcit laissa la Belle sous le choc. Elle se rappela sa nuit vole avec le Prince Alexis, tout prsde la chambre de la Reine.

    Et elle, que lui est-il arriv ? demanda la Belle. Oh, elle est reste un certain temps au village, et puis elle est retourne au chteau. Elle est

    devenue lune des grandes favorites de la Reine. Et lorsque est venu le temps pour elle dtre

  • renvoye dans son foyer, elle a choisi de rester vivre ici, avec le rang de Dame. Ce que vous dites l ne peut tre vrai ! scria la Belle, stupfaite. Oh, si. Elle est devenue un membre de la Cour part entire. Elle est mme descendue

    jusquau village cheval me rendre visite dans ses nouveaux atours et me demander si je voulaisrevenir avec elle pour tre son esclave. La Reine le permettrait, me dit-elle, parce quelle lui avaitpromis de me punir avec la dernire rudesse et de me mener la trique, sans me laisser aucun rpit.Elle se conduirait comme la Matresse la plus malfaisante quun esclave ait jamais eue, mavertit-elle. Jen suis demeur compltement abasourdi, comme vous pouvez aisment limaginer. Ladernire fois que je lavais vue, elle tait nue, renverse sur les genoux de son Matre. Et voil quprsent elle montait un cheval blanc, portait une robe somptueuse de velours noir, orne dor, sescheveux natts dor, et elle tait prte membarquer, nu, comme un paquet, en travers de sa selle. Jebrisai l et menfuis en courant, mais elle me fit ramener par le Capitaine de la Garde, me donna dubattoir en travers de la selle de son cheval, l, dehors, sur la place, devant une foule de villageois.Elle y prenait un immense plaisir.

    Comment a-t-elle pu faire une chose pareille ? (La Belle tait outrage.) Avez-vous dit quellecoiffait ses cheveux en nattes ?

    Oui, confirma-t-il. Jai entendu dire quelle ne les porte jamais dnous. Cela lui rappelle trople temps o elle tait une esclave.

    Ce nest pas Dame Juliana ? Si, cest elle. Comment le savez-vous ? Elle tait ma perscutrice au chteau, ma Matresse, aussi srement que le Prince Hritier tait

    mon Matre, lui apprit la Belle.Elle se reprsentait parfaitement le joli visage de Dame Juliana, et ces nattes opulentes. Combien

    de fois lu Belle avait-elle couru pour chapper son battoir sur le Sentier de la Bride abattue ! Oh, comme elle tait redoutable ! scria-t-elle. Mais, aprs a, quest-il arriv ? Comment

    tes-vous parvenu lui chapper ? Je vous ai dit que jai bris l, que je me suis enfui en courant, et que le Capitaine de la Garde

    dut me ramener. Il tait clair que je ntais pas prt revenir au chteau. (Il rit) Elle a pri et suppli,ma-t-on dit. Et elle a promis de me mater elle-mme, en personne, sans laide de quiconque.

    Le monstre ! scria la Belle.Le Prince lui scha les bras et la figure. Sortez de la baignoire, fit-il, et tenez-vous tranquille. Je pense que Matresse Lockley est dans

    la cuisine. (Puis il ajouta, dans un chuchotement :) Matresse Lockley ne me laisserait jamais partir.Mais Juliana nest pas la premire esclave rester au Royaume qui devienne une terreur. Peut-tre unjour serez-vous confronte un choix identique, et, tout coup, vous vous retrouverez le battoir entreles mains, avec tous ces derrires nus votre merci. Pensez-y, la prvint-il, le visage sombrechiffonn par un rire lanc de bon cur.

    Jamais ! souffla la Belle. Allons, il faut nous dpcher. Le Capitaine attend.Limage de Dame Juliana, nue en compagnie de Roger, illumina dun coup lesprit de la Belle.

    Comme elle aimerait, rien quune fois, basculer Dame Juliana sur ses genoux ! Elle sentit un viffrmissement lui parcourir lentrejambe. Mais o donc avait-elle la tte ? La seule vocation duCapitaine provoqua en elle une faiblesse immdiate. Elle navait pas de battoir entre les mains, etpersonne sa merci. Elle tait une vile esclave nue, sur le point dtre envoye auprs dun soldatendurci, qui avait un penchant manifeste pour les rebelles. Et, en imaginant ce visage bruni par le

  • soleil et ces yeux profonds o brillait une lueur, elle se dit : Si je suis une si mauvaise fille que a,alors je vais me conduire comme une mauvaise fille.

  • Le Capitaine de la Garde

    MATRESSE Lockley avait pass la porte. Elle dtacha les mains de la Belle et lui scha

    sommairement les cheveux. Aprs quoi, elle lui lia les poignets dans le dos et la fit entrer de forcedans lAuberge puis lui ordonna de gravir un troit escalier de bois incurv, derrire limposantechemine. travers le mur, la Belle pouvait sentir la chaleur du conduit, mais on lui fit monter lesmarches au pas de charge, si vite quelle ne sentit pour ainsi dire rien.

    Matresse Lockley ouvrit