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La mémoire de l’aile ANDRéE CHRISTENSEN ROMAN

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  • La mémoire de l’aile

    Andrée Christensen

    roman

  • […] À partir de ce jour, le noir devint sa couleur de prédilection. Son destin, un labyrinthe vertical dont elle seule connaîtrait le chemin de la sortie. La corneille, devenue part d’elle-même, l’aiderait à percer, sans se dérouter, le redoutable secret des ténèbres, à accéder grâce aux ailes du rêve à la plénitude du monde de l’esprit.

    Couverture :

    Vincent McDonald / Anne-Marie Berthiaume

    D’après une image de la suite photographique, We All Have Wings, de Vincent McDonald.

  • LA MÉMOIRE DE L’AILE

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  • La mémoire de l’aile

    ROMAN

    Andrée Christensen

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  • Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario et la Ville d’Ottawa. En outre, nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

    L’auteure remercie la ville d’Ottawa et le Conseil des arts de l’Ontario pour l’aide financière accordée à l’écriture de ce roman.

    Les Éditions David Téléphone : 613-830-3336 335-B, rue Cumberland Télécopieur : 613-830-2819 Ottawa (Ontario) K1N 7J3 [email protected] www.editionsdavid.com

    Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 4e trimestre 2010

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

    Christensen, Andrée

    La mémoire de l’aile / Andrée Christensen.

    (Voix narratives) ISBN 978-2-89597-152-8

    I. Titre. II. Collection : Voix narratives

    PS8555.H677M45 2010 C843’.54 C2010-906540-9

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    Prologue

    Homme-oiseau / Femme-oiseau

    Au fil du temps, dans l’orfèvrerie précolombienne, les représenta-tions de chaman-oiseau devinrent des icônes en forme de cœur.

    Gerardo Reichel-Dolmatoff, Goldwork and Shamanism

    Il faut du cœur pour devenir un chaman-oiseau, ou pour en devenir une, le courage d’ être, d’accepter la séparation de la vie que l’on avait choisi de vivre ; le soi encore incomplet, le soi jamais totalement présent, le soi aujourd’hui prêt à une transformation en pur esprit de l’air. Mais auparavant, au faîte de la solitude qui constitue la première épreuve, il y a le soi choisi pour supporter la forteresse du froid, la fournaise ardente ; le soi qui doit jeûner jusqu’au seuil de la mort ; le soi qui doit se gorger de jus de tabac sacré, jour après jour, jusqu’ à ce que les visions se manifestent naturellement ; le soi qui doit

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    accepter le don terrifiant de la voyance, prix de l’extase ; le soi qui, à grand risque, doit reconnaître intuitivement son esprit gardien et l’apprivoiser ; créer à partir de cris d’oiseaux et de calebasses, de plumes et de crachats, les instruments de sa vocation secrète ; le soi qui prête sa voix aux animaux qui la lui renvoient, grossière, mais infiniment plus souple et poly-valente ; le soi qui doit, neuf jours durant, rester pendu à un arbre. À la fin de toutes ces souffrances, vous retrouvez l’esprit de la Mort, seul à venir vous ravir. Mais soyez sans crainte. Purifié, un jour vous ressusciterez en un être nouveau, destiné à servir, à guérir, à récupérer des âmes perdues. Poète, destiné à chanter. Mais d’abord, âme voyageuse, vous avez encore une épreuve à surmonter. Le vol, comme unique façon de rentrer chez soi. Venez. Première leçon : comment faire du repliement de vos ailes, un battement du cœur.

    Olive Senior(Traduction de l’auteure)

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  • PREMIÈRE PARTIE

    L’effet papillon

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  • Le battement des ailes d’un papillon au Brésil déclenche-t-il une tornade au Texas ?

    Edward Lorenz, climatologue, auteur de la Théorie du chaos

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  • 13

    D ans cette forêt ancienne, où se dressent des troncs gigantesques, imposantes colonnes d’un temple à ciel ouvert, règne une atmosphère de sacré. Au dire de certains, c’est au cœur de cette forêt profonde que tout commença. Bien avant l’arrivée des humains, les dieux auraient habité ce lieu ancestral et nommé les arbres, gardiens de la terre. L’histoire du monde hante chaque branche, chaque tronc, chaque racine plongée dans la poussière de ses morts.

    On s’avance en forêt comme en soi-même, avec une impression d’ambivalence, livré à la plénitude de son inson-dable mystère. Tour à tour, nous sommes rassurés par sa fluidité féminine, son intimité enveloppante et maternelle ou alors, menacés par son espace sans limites, sa terrifiante gueule de ténèbres, si semblable aux angoisses de la nuit des temps et aux révélations de l’inconscient. Qui, sinon le rêveur au cœur pur, peut dévoiler la véritable dimension de la forêt ? Ne sait-il pas, par intuition, qu’elle est un nid immense, à la grandeur de l’âme humaine ?

    Au loin, le martèlement régulier d’une hache. Emmail-lotée de conifères enneigés, une chaumière de bois aux yeux clos respire d’un souffle paisible. Dans la cour arrière, une jeune femme appuyée à la margelle du puits fait des-cendre un seau. Elle enlève un de ses gants de laine. Sa main a la rugosité de l’écorce, comme les mains de tous les gens du pays.

    Elle tend l’oreille vers la maison. Dans sa préoccu-pation maternelle, elle croit entendre son bébé appeler,

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  • 14

    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    gazouiller, se retourner dans son berceau. À distance, elle veille tendrement au-dessus de lui. Puis, ses yeux glissent vers la forêt, son regard se perd très loin au-delà de la pinède, là où elle a accouché, il y a à peine plus d’un mois.

    * * *

    Ce jour-là, elle s’était aventurée en forêt pour porter un goûter à son mari qui fendait du bois quand, soudain, le vent se leva et une neige abondante se mit à tomber, effaçant toute trace de pas. Son pied heurta une pierre dis-simulée sous la fine couche de neige. Elle culbuta, s’étala de tout son long. Elle se releva avec peine, palpa son ventre rebondi, en proie aux premières contractions du travail. Son enfant était sur le point de naître, et elle se trouvait à plus d’un kilomètre de la maison. Elle se cuirassa contre la douleur de plus en plus envahissante, diffusant jusque dans les reins. Même en courant, elle n’aurait pas eu le temps de se rendre chez elle. De toute façon, ses jambes flageolantes ne la portaient plus. Elle ne put retenir un cri que seul le noroît entendit. Les contractions s’accélérè-rent et des sécrétions marron-beige coulèrent le long de ses cuisses, signalant la rupture du bouchon muqueux. Elle se mit à l’abri sous un pin centenaire, se laissa tomber au sol. Ses jupes relevées au-dessus de sa tête, elle arracha sa culotte de laine puis, à quatre pattes, commença à pous-ser en invoquant le nom de tous les saints du calendrier liturgique. Elle retenait ses hurlements, de peur d’attirer

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  • 15

    L’EffET PAPILLON

    les loups. Un gant entre les dents, elle mordit de toutes ses forces, puis agrippa une branche, la secouant sans relâche.

    Petit à petit, une tête se dégagea de sa vulve dilatée. Vinrent les épaules. Enfin, visqueux de sang, tout le corps apparut. L’enfant rouge tomba dans la neige. Le choc du froid provoqua un premier vagissement, dépliant les alvéoles pulmonaires qui s’emplirent d’air glacé. L’enfant toussa, râla. « Il faut faire vite », pensa la mère. Aussitôt, elle trancha le cordon ombilical avec le poignard encore attaché à sa taille et blottit l’enfant contre la chaleur de sa poitrine, sous son manteau de peau. « Une fille, ma fille ! » s’ exclama-t-elle, en découvrant son sexe.

    Encore tremblante, elle appela au secours. À peine quelques instants plus tard, une voix familière lui répondit. « Sylvana, me voici ». Hrafn, son mari, surgit de derrière un buisson. Il vit la neige rougie et la trace que sa femme lais-sait derrière elle. Il ne put réprimer un cri de joie et déposa un baiser délicat sur la tête presque chauve de sa fille, un autre sur la joue de sa femme. Sourire radieux aux lèvres, il les transporta toutes deux dans ses bras vers la maison.

    La jeune mère entendit un froissement d’ailes. Tourna la tête un instant. Derrière elle, poussant des croassements de satisfaction, une corneille dévorait à plein bec le pla-centa de la nouveau-née, dernière matière du temps où mère et fille ne faisaient qu’une. Dans cette région du pays, la masse sanglante expulsée après l’enfant signifiait « mon second, celui qui me suit ». Un frisson d’horreur lui par-courut l’échine mais, superstitieuse, elle n’osa pas signaler l’incident à son mari.

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  • 16

    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    * * *

    Toujours devant la margelle du puits, Sylvana remet son gant puis, d’une main tremblante, fait remonter le seau d’eau. Une plume de corneille flotte sur la surface. Les muscles de son visage se crispent. Elle saisit la plume, la jette derrière son épaule gauche, en se signant, et retourne, titubante, vers la maison.

    Il fait bon à l’intérieur. Elle enlève son manteau et le dépose sur une chaise, met une bûche dans le poêle. Elle secoue ses longues tresses sombres saupoudrées de neige. En étirant le bras pour prendre une bouteille de whisky, elle fait tomber un missel. Un vieux missel poussiéreux aux pages jaunies et recouvert d’une peau tachée. Elle se signe de nouveau, s’offre une longue rasade pour chasser les der-niers frissons de froid. Prise d’un léger vertige, elle se cram-ponne à la chaise devant elle, jette un coup d’œil dehors, tend l’oreille vers la fenêtre. Le martèlement continu de la hache la rassure. Elle regarde l’horloge. Son mari en a encore pour au moins une heure.

    Des pleurs aigus attirent son attention. Essayant tant bien que mal de maintenir son équilibre, Sylvana glisse la bouteille d’alcool dans la poche de son tablier, se dirige vers la chambre du fond. fondante d’admiration devant sa progéniture, elle prononce plusieurs fois son nom d’un air chantant, l’orne de nombreux glissandos, sa voix chaude et roucoulante grimpant de plusieurs octaves. Elle détache les mots, les répète lentement avec, chaque fois, des embel-lissements hyperboliques, des onomatopées et des accents de surprise.

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  • 17

    L’EffET PAPILLON

    Aux cris stridents succèdent des gazouillis. « Voilà, ma petite sirène, tu vas bien dormir maintenant ; quelques gouttes d’alcool n’ont jamais fait de mal à un bébé. » La jeune femme revient dans la pièce principale, son poupon emmailloté dans les bras. Elle le dépose dans un porte-bébé de daim qu’elle ajuste sur son dos au moyen de cour-roies. Lampe à huile dans une main, elle se penche, ouvre une trappe grinçante, s’engage dans le grand trou noir de la cave, obscur et clos comme le sein d’une mère. Par prudence, son mari lui en avait déconseillé l’accès, crai-gnant qu’elle prenne peur des rats et des souris et qu’elle ne se blesse. Il se méfiait aussi de l’escalier glissant, surtout quand elle avait trop bu.

    Une nuit trouble aspire Sylvana. Sa lampe éclaire la noirceur animale, sournoise. Que de fantômes grouillent autour d’elle, en elle ! À chaque mouvement, une descente en profondeur dans un passé tellement lointain, qu’il échappe à sa mémoire.

    Raide et étroit, l’escalier gémit sous ses pas incertains. Sa botte écrase un nid de perce-oreilles sans le voir. Elle sent les minces exosquelettes craquer sous son talon, ima-gine la substance gluante qui s’en échappe. Ses boyaux se tordent. Elle n’a pas l’habitude de tuer. Même les mouches qui entrent dans la maison sont patiemment escortées à l’extérieur. « Il faut respecter les plus petits que soi, proté-ger les faibles », lui avait-on inculqué à un jeune âge. Elle prend une autre gorgée de whisky pour oublier son geste infortuné.

    Do, do, l’enfant do, l’enfant dormira bien vite. Do, do, l’enfant do, Angéline dormira bientôt, chantonne la mère au bébé confiant qui ne tarde pas à fermer les yeux. Dans cette nuit de la terre, les murs glaiseux sont noirs et suin-tants et dégagent une odeur de moisissure. Malgré le froid,

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  • 18

    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    des gouttes de sueur perlent sur son front. Elle pose la lampe sur une table de bois. La flamme geint, soupire. Elle entend le malaise de la lumière, regarde avec inquiétude ses reflets fiévreux éclairant des toiles d’araignées. Une petite mite touche la flamme, se consume dans une mort soyeuse. Sylvana détourne aussitôt le regard. Elle dépose avec soin le nourrisson, admire ses joues roses et rebondies, le duvet blond et follet qui orne son crâne. Elle caresse ses petits pieds, bien au chaud dans les chaussons de laine qu’elle lui a amoureusement tricotés, plusieurs mois auparavant.

    Le visage de la mère s’enflamme. Au calme succède l’agitation. Ses traits se durcissent, ses yeux se troublent. Elle fouille nerveusement parmi les outils de son mari. Un couteau de chasse ! La lumière rebondit sur la lame, allume son regard d’un éclat diabolique. Ses yeux roulent dans leurs orbites, sa bouche se tord en prononçant des mots d’une voix gutturale et caverneuse, si loin de ses habituelles intonations, pures et légères : « Seigneur, pourquoi exigez-vous de moi ce sacrifice ? Ne vous ai-je pas déjà donné mes deux premières-nées ? N’est-ce pas là une preuve suffisante de ma soumission à votre volonté ? » Ses yeux se posent douloureusement sur l’enfant. « Angéline, pardonne-moi. Tu sais combien je t’aime. »

    Une force au-delà d’elle-même l’envahit. Sa respiration s’accélère. Le manche du couteau lui brûle la paume. D’un geste ferme et décidé, elle lève le bras, brandit l’arme au-dessus de l’enfant qui se réveille brusquement, pousse un cri à fendre l’âme.

    Plus haut, la trappe grince, s’ouvre. Un rayon de lumière éclaire la descente de l’escalier.

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  • 19

    L’EffET PAPILLON

    * * *

    Le même jour, à des centaines de kilomètres au sud-ouest de cette forêt, un autre paysage. Une même saison, pourtant si différente. Dans ce coin de pays, la forêt est une mer végétale immense, toujours verte. À perte de vue, de violents roulis et tangages de chlorophylle. Dans une transfusion alchimique de ténèbres et de lumière, la lente respiration d’oxygène et d’oxyde de carbone des fossiles verdoyants, à la mémoire centenaire. Des cimes puissantes ouvrent grand les yeux au-dessus de l’écume brumeuse de la forêt.

    Ici et là, où sont tombés quelques vieux géants, des clairières ensoleillées où bouleaux et frênes s’étirent pour se gorger de soleil. Une combustion irrépressible fait exploser le creuset des bourgeons, embrase les ramures d’un vert acide et lumineux. Émergeant des limbes frais et humides, aux lueurs de vitrail, des colonies de fougères déroulent leurs crosses tendres au-dessus de lichens jaunes ou gris pâle, ces acolytes veloutés de la pierre. Lourd, riche d’hu-mus, le terreau noir exhale des parfums de sacré.

    La plupart entendent un silence où seules les pensées font du bruit. Or, pour qui sait écouter, la nature n’est jamais muette. Il suffit de tendre l’oreille et le rideau se lève sur le murmure d’invisibles présences qui fourmillent dans les chemins secrets de l’ombre. À tout moment, la forêt tremble, frissonne, animée de mille vies.

    En cette journée de printemps, au sommet d’un majes-tueux pin parasol, se déroule un drame invisible aux yeux des humains. Dissimulé dans les branches de la cime, irrégulière et étalée, au feuillage vert sombre, un nid de

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  • 20

    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    corneilles, emmêlement de branches et de brindilles. Au centre, un plancher de terre séchée, tapissé d’herbe, de mousse, de feuilles et de lambeaux d’écorce. Trois oisillons affamés, cou tendu, bec déployé, réclament la becquée. Les parents s’affairent, vont et viennent, à la recherche de grai-nes, de fruits blets et de larves d’insectes qu’ils enfoncent au fond de deux gorges impatientes, ignorant un troisième corbillat, malgré ses cris percutants.

    Au lieu du plumage brun noir de ses frères, le malheu-reux oisillon est couvert de plumes blanches, phénomène rarissime chez les oiseaux. Est-ce à cause de cette aberra-tion pigmentaire que les parents l’ignorent et que les deux autres oisillons l’assaillent sans relâche, lui picorant cruel-lement la tête, arrachant les reliquats de son mince duvet ? Plus faible que les autres, il n’a pas la force de résister aux attaques répétées.

    Pourtant, il y a à peine quelques semaines, blotti dans la tiédeur douillette de sa coquille de calcaire, il som-meillait, comme les deux autres, soumis aux douces lois de la rêverie. Yeux fermés, il survolait déjà avec confiance les crêtes bleutées des montagnes ; de ses plumes, il effleu-rait la tête des bouquetins, dont les panaches caressent les nuages. Puis un jour, une force supérieure l’interpella, le contraignit à se retourner, l’incita à frapper de son bec les murs de son logement. Malgré sa fatigue, il s’enhardit, cogna, tapa. Enfin, la coquille se fêla. Le salaire de son labeur, la liberté.

    Un cri de détresse. L’oisillon dominant vient de pro-jeter le malheureux albinos par-dessus bord. Les parents reviennent au nid, ne semblent même pas s’apercevoir de l’absence de leur troisième rejeton et continuent de donner la becquée aux deux gloutons.

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  • 21

    L’EffET PAPILLON

    Au pied de l’arbre, épargné par les branches qui ont amorti sa chute vertigineuse, l’oisillon blessé, terrifié et affamé, continue de pousser des cris que les parents ignorent. Combatif, il dresse sa tête chauve, continue en vain d’appeler. Ses faibles pattes le supportent à peine, pourtant, il mouline des ailes, se déplace courageusement par petits bonds.

    Un bruit soudain l’inquiète. Au sol, à quelques mètres de lui, des craquements de branches, puis des fracas de feuilles sèches bousculées se rapprochent. Un cri guttural glace l’air. Le cri d’alarme d’un faisan qui s’envole. Des geais bleus le relaient d’une série de notes râpeuses et dis-cordantes, enroulées et répétées. Des mésanges à tête noire et des sittelles inquiètes volent en nuée, lancent des appels à tous ceux qui sauront les entendre. Au loin, l’écho de gloussements, de glapissements aigus. La forêt entière est en alerte. Paralysé de frayeur, l’oisillon n’a plus la force d’avancer, ni même d’émettre un son. Ses petites plumes se hérissent. Une ombre géante s’approche avec précaution, s’abat sur lui. Une main. Une main verte et bleue.

    * * *

    Le même jour, sur un autre continent, dans une somp-tueuse roseraie regorgeant de rosiers thé, de rosiers du Ben-gale, de Perse, de Syrie, de Chine. Des fleurs blanches, au velouté distingué, au cœur délicat et doré ; des roses abricot, à la tête ébouriffée des pavots, au parfum puis-sant et voluptueux ; des roses jaunes, nuancées de carmin, touffues comme des têtes de dahlia. Dans ce labyrinthe

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  • 22

    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    qui colore l’air de ses enivrants parfums, une vie florale triomphante de roses à cinq pétales dont l’expression et la symétrie ont le charme d’un visage à la Botticelli, de roses aux cent pétales, aux coupes rondes et si profondes qu’on y boirait son âme. Tonnelles et treillis ploient sous le poids de l’explosion parfumée de rosiers grimpants, de rosiers lianes, de rosiers fontaines. Des noms à faire rêver : Cuisse de Nymphe émue, rougissant d’un rose soutenu au centre, pâlissant sur les bords ; Boule de neige, une rose Bourbon aux fleurs de camélia ; Centenaire de Lourdes, au rosé très tendre à grand onglet blanc ; La Sylphide, inspirée du ballet dont la musique du même nom fut écrite par Chopin, et rendit célèbre le danseur russe Nijinski ; La noisette Éten-dard de Jeanne d’Arc ; Souvenirs de la Malmaison, nommée d’après la roseraie de Joséphine de Beauharnais. Soute-nant le chatoiement de couleurs, les tiges lisses ou hérissées d’épines féroces, garnies de feuillage aux mille nuances de vert, du vert pomme au vert émeraude, du vert de mer au vert-dragon ; des sépales lisses, velus ou frangés, qui permettent de retracer la lignée de la plante ; des boutons pulpeux, plus appétissants que bouches de courtisanes, d’autres qui rappellent le bicorne de Napoléon.

    Toutes ces roses font l’objet de l’attention passionnée d’une seule femme, Albarosa qui, depuis dix ans, de l’aube au crépuscule, plante, taille, sarcle, arrose, ébourgeonne, engraisse, écussonne. Elle connaît le nom des deux cent cinquante variétés qu’elle cultive et se vante de pouvoir les reconnaître les yeux fermés, rien qu’à leur parfum. La rosiériste a peu de temps à consacrer à son mari et à son fils. Elle n’a d’yeux que pour cette reine des fleurs qui rivalise avec les rosaces des plus belles cathédrales et qui, depuis plus de huit cents ans, inspire peintres et poètes, chorégra-phes et musiciens, orfèvres et joailliers. Dans ce véritable

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  • 23

    L’EffET PAPILLON

    musée de roses, une absence étonne. En effet, dans les haies et massifs, autour des colonnes et des arcades, sur les murs et les clôtures, il n’y a aucune rose rouge.

    Sous le chapeau de paille qui la protège du soleil cui-sant, le visage d’Albarosa a les traits durs, la bouche crispée d’une grande blessée de l’âme. Pourtant, dans ses yeux bleu gris, au regard toujours brumeux et mouillé, une sen-sibilité à fleur de peau.

    Surplombant le jardin enchanteur, une somptueuse maison blanche, aux murs recouverts de glycines, regor-geant de bougainvillées. Du côté est s’élève une tour ronde, au toit recouvert de tuiles rouges. De la fenêtre ouverte s’échappent les premières notes de La jeune fille et le rossignol, une Goyescas d’Enrique Granados. Le jeu de son fils est si troublant que la jardinière s’arrête, dépose son sécateur, tend une oreille inquiète.

    Soudain, un croassement trouble l’air. Le piano s’arrête brusquement. Beltran, un jeune adolescent, apparaît au balcon. Il a le même regard mélancolique que la jardinière, sa mère. « Tais-toi, va faire du bruit ailleurs », lance-t-il à la corneille, ses grands yeux bleu noir en colère. Il retourne à l’intérieur, claquant les portes derrière lui.

    Un autre graillement rauque et discordant se fait entendre. L’adolescent poursuit son jeu en dépit des appels insistants du corvidé. Albarosa prend son râteau, tente de chasser l’oiseau qui vient de s’installer sur une tonnelle de roses blanches. « Va-t-en, sale bête, ne sais-tu pas que tu troubles la concentration d’un prodige ? » crie-t-elle, agitant l’instrument aratoire en direction de l’oiseau qui s’envole et se perche sur un poirier voisin. Le vacarme recommence de plus belle. Beltran revient sur le balcon, menace l’oiseau du poing. La corneille se tait. Soudain, elle se met à roucou-ler comme une tourterelle triste, puis à émettre des sons

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    semblables à des murmures humains. Le jeune musicien retourne au piano. Avant même une première note, les croassements reprennent.

    Quelques minutes plus tard, Beltran sort du bâtiment central de la maison, muni d’un arc, superbe arme en bois de pêcher offert en cadeau par sa mère à l’occasion de ses treize ans, et d’un carquois regorgeant de flèches accroché à l’épaule. Avec la confiance calme d’un archer zen, il s’age-nouille dans le sentier de gravier, tend son arc, pouce placé autour de la corde, immédiatement sous la flèche, et bien rentré. Les premiers doigts tiennent fermement la corde, retenant ainsi la flèche en place. Il vise l’oiseau qui sautille sur sa branche, portant dans son bec une touffe de fleurs de poirier et qui ne songe même pas à s’envoler devant le dan-ger imminent. Lorsque la corde est tendue au maximum, le jeune homme ouvre les doigts qui retiennent le pouce. La corde bruit, la flèche vole avec la précision fulgurante de la foudre. La corneille perd l’équilibre. Le petit bouquet de fleurs tombe au sol, suivi de la corneille, flèche en tra-vers du corps. Immobile derrière un massif, la mère, qui observait la scène de loin, se réjouit de la démonstration de l’évidente habileté de son fils. « Enfin, Beltran est devenu un homme », pense-t-elle naïvement avant de reprendre son travail.

    « Tu as ce que tu mérites », dit à haute voix le jeune archer, bombant le torse en se dirigeant vers l’oiseau fou-droyé pour récupérer sa flèche. Arrivé à l’endroit où, selon ses calculs, l’oiseau aurait dû chuter, la bête n’y est pas. Il fouille parmi les buissons, mais n’aperçoit aucune trace de la corneille. Soudain, un cri aigu et lancinant lui glace les veines. Il se précipite vers une plate-bande de lavandes. L’oiseau gît sur le dos et se débat vigoureusement. La flèche qui traverse son scapulaire est restée coincée entre deux

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  • 25

    L’EffET PAPILLON

    branches de l’arbrisseau aux feuilles linéaires. Impuissant, il se fige aux pieds de l’agresseur.

    Beltran est un jeune homme arrogant, mais il n’est pas cruel et ne laisserait pas souffrir un animal en détresse. Il retire une autre flèche de son carquois et se prépare à tirer. Les yeux de la corneille le fixent avec intensité. La main de l’adolescent vacille. Les pupilles noires de l’oiseau le happent tout entier. Le paysage autour de lui s’efface. fait-il jour, fait-il nuit ? Il n’y a que le noir de l’œil, chaos englobant, un noir de commencement du monde.

    Puis, une voix étrange, d’une octave au-dessus de la voix humaine, se fait entendre. L’œil parle-t-il ? Une voix calme, sans terreur, ni haine contre l’agresseur, semble émaner de l’animal blessé.

    « Maintenant, ma vie est en ton pouvoir. À toi d’agir. »

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  • DEUXIÈME PARTIE

    Le feu sous la neige

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  • Chacun recèle en lui une forêt vierge, une étendue de neige où nul oiseau n’a laissé son empreinte.

    Virginia Woolf

    Quelle naïveté de croire qu’une voie, parce qu’elle paraît la plus droite, saura aboutir ?

    Michaël La Chance

    Le hasard est désir.

    Maurice Blanchot

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    Rencontre de hasard objectif 1

    U ne toile de neige vierge attend un premier trait de pinceau. À l’aube, noir sur blanc, la silhouette floue d’un homme et de son chien, tache éphémère qui apparaît, s’évanouit du tableau, puis réapparaît quelques mètres plus loin. Une tempête fait rage et un vent déchaîné souffle la neige poudreuse qui tombe depuis la veille. Dans ce climat nordique, la neige a la mémoire courte et ne garde pas longtemps l’empreinte des pas. Devant eux, le chemin s’estompe. Derrière, le temps d’un regard, et leurs traces effacées ne sont que souvenirs.

    Vers quels lieux indistincts vont-ils, ces deux êtres fantomatiques ? Tout autour, le paysage se déconstruit. À peine quelques lignes émergent entre les rafales de plus en plus opaques qui dissolvent la couleur ; ici, on croit encore discerner la grisaille de la pente d’un toit, là-bas, très haut, deux lignes noires se croisent pour former une croix ; à l’arrière-plan, la courbe délavée d’un dôme. Droit devant,

    1. L’expression est d’André Breton. Le hasard objectif constitue l’ensemble de phénomènes qui manifestent l’invasion du merveilleux dans la vie quotidienne. Ce ne sont pas des faits aléatoires comme on pourrait penser, mais des épisodes dictés par une loi supérieure qui nous échappe.

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    des silhouettes de branches zèbrent un instant les derniers vestiges de couleur. De couche en couche, le blanc pur, immémorial.

    Renfonçant son chapeau, remontant le col de son ano-rak, Beltran Aguilar s’engage avec Boléro, son berger belge, sur le sentier de randonnée pédestre, maintenant invisible, qu’il fréquente quotidiennement depuis son arrivée dans ce pays de glace et de neige. En ce trente novembre, et à cette heure matinale, pas âme qui vive n’ose s’aventurer dehors. L’homme et son chien sont les premiers à sortir et se dirigent là où, dès le lever du jour, les propriétaires des maisons environnantes viennent marcher, tenant en laisse bouviers des flandres, bichons frisés, caniches et golden retrievers. Les gens se saluent amicalement, échangent des banalités d’usage, tandis que les chiens se reniflent, heu-reux de se retrouver.

    Beltran aime, plus que tout, la neige de son pays d’adoption qui incarne le vent et sculpte des formes si évo-catrices. Beltran et Boléro sont maintenant entièrement blancs. Toute trace de noir effacée, ils se fondent dans le paysage. Deviennent neige, au silence épais, habité.

    Un carrefour. Homme aux habitudes rigides que le changement rend mal à l’aise, Beltran fait un pas dans le sentier de droite. Hésite. Une force mystérieuse l’appelle, le tire dans la direction opposée. Il résiste encore, saisi d’un sentiment qu’il n’arrive pas à s’expliquer. Boléro qui, depuis cinq ans, tourne au même endroit, regarde son maî-tre d’un air inquiet et se met à aboyer en tirant sur sa laisse, l’entraînant avec vigueur sur le sentier de gauche. Surpris, Beltran suit néanmoins l’instinct de son fidèle compagnon et fait courageusement un premier pas vers la gauche.

    Depuis des années, comme la plupart de ses voisins, il évite d’emprunter ce sentier, plus densément boisé, qui

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    longe le cimetière et mène jusqu’au terrain de l’hôpital psychiatrique de la ville, établissement qui en trouble plus d’un. C’est aussi le dortoir de plusieurs centaines de bruyantes corneilles qui, chaque après-midi, quittent leurs garde-manger respectifs, qu’elles protègent jalousement de tout intrus, pour se rassembler en une confrérie vespérale, obéissant aux lois de l’Un.

    À maintes reprises, les citoyens du quartier ont pris en grippe ces noirs « oiseaux de malheur » dont les croas-sements cacophoniques persistants, à l’aube et au crépus-cule, perturbent leur sommeil et leurs brefs moments de détente. La campagne anti-corneille remonte au Déluge des temps bibliques, lorsque Noé envoya une corneille et une colombe en éclaireurs à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil. On soupçonna la corneille, qui négligea de revenir à l’Arche, de s’être plutôt gavée de charognes flottant sur les eaux. Elle fut maudite et depuis persécutée pour sa déloyauté. Or elle ne se dément pas, la réputation gloutonne de ces mangeurs de cadavres qui dévorent les carcasses d’animaux tués sur la route, fouillent dans les déchets ménagers à la recherche de nourriture.

    « Les corneilles dévorent sans pitié œufs et oisillons, réduisent la population de nos oiseaux chanteurs », affir-ment certains. Ils ignorent sûrement que les corneilles viennent aussi au secours des plus petits qu’eux, en don-nant le signal d’alarme dès qu’elles aperçoivent l’ombre d’un prédateur qui n’en ferait qu’une bouchée. Ces mêmes braves gens, insoucieux des pesticides ou herbicides qu’ils épandent religieusement, deux fois l’an, sur leurs pelouses vert golf, sont sûrement plus à blâmer que les présumés coupables, les corvidés. Ces créatures mal-aimées qui nous épient du perchoir des réverbères ou des pylônes, qui nous

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    narguent du sommet des plus hauts conifères, ne laissent aucun d’entre nous indifférent.

    Depuis des siècles, ces oiseaux fascinants, ne serait-ce que par leur intelligence supérieure et leur proverbiale longévité, font l’objet d’observations et d’études dans le monde entier.

    D’innombrables mythes et légendes portent sur cor-beaux et corneilles qui fréquentent sorcières, cimetières et champs de bataille. Tour à tour adulés, admirés et persécu-tés, ils sont représentés dans des armoiries et des dénomi-nations communales et font l’objet de nombreux dictons populaires de toutes les époques. On va même jusqu’à leur attribuer des capacités de clairvoyance et l’on affirme que, sur les champs de bataille, ils font des yeux leur premier festin.

    Aveuglé par la neige et le vent qui lui fouettent le visage, Beltran avance lentement, regard fixé au sol. Un pas devant l’autre, il s’enfonce jusqu’aux chevilles. Soudain, son sang se glace. Une vague de noir, surréelle, sonore, s’élève des augustes sapins, plus fantômes qu’arbres, la neige les ayant affublés d’épais linceuls. Des dizaines, des centaines de corneilles quittent leurs perchoirs, protestant contre l’in-trusion de Beltran et de son chien sur leur territoire puis, comme des fleurs trop lourdes, se posent sur les branches qu’elles viennent de quitter, peu auparavant.

    Au lieu d’aboyer et de s’élancer à la poursuite des oiseaux, comme il l’aurait fait d’habitude, queue entre les jambes, Boléro se cache piteusement derrière son maître, émet de faibles geignements de crainte. Beltran a du mal à s’expliquer le malaise qui l’envahit. Résolu à ne pas se laisser impressionner par le caractère troublant de la scène, ni à y voir de message particulier, il continue d’avancer,

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    ignorant que chacun de ses pas communique avec les zones obscures de son inconscient.

    Une deuxième fois, en un seul chœur, les oiseaux s’en-volent avec une grâce lugubre pour se poser sur les bran-ches, à des dizaines de mètres plus loin. Beltran s’arrête pour regarder ces mystérieux cauchemars volants qui le toisent avec une curiosité méfiante. Il reprend son chemin, escorté de la sombre confrérie.

    Au moment où Beltran se retourne pour encourager son chien à le suivre, dans un silence sépulcral et comme en réponse à un appel irrésistible, les corneilles s’envolent, puis disparaissent derrière une pinède. Il lève les yeux, étonné de constater que la source de son angoisse a disparu.

    « Pourquoi se sont-elles envolées et par où ont-elles bien pu passer ? » se demande-t-il, intrigué. Mû par la curiosité, il accélère le pas, à la recherche des mystérieux volatiles.

    La tempête diminue peu à peu, puis se dissipe comme un mauvais rêve au petit matin. Le vent continue toute-fois de souffler et de balayer les nuages sur son passage, exposant, çà et là, des parcelles de ciel bleu. L’imagination de Beltran ne peut anticiper ce qu’il aperçoit plus loin, de l’autre côté des pins.

    Au milieu de la clairière, entourée d’arbres semblables à des momies enveloppées de bandelettes, les corneilles qui l’ont accompagné jusque-là. Au milieu d’elles, une silhouette humaine, à la longue chevelure noire, un oiseau perché sur chaque épaule, d’autres sautillant à ses pieds ou voltigeant à côté d’elle, comme des phalènes autour d’une lampe. Elles sont légion perchées dans les arbres, tête oscillant de bas en haut, animées d’une fébrilité jubilatoire.

    Une fois de plus, Boléro se réfugie derrière son maître. Une sentinelle aperçoit les intrus et lance une série de kraak rauques et aigus, signal d’alarme invitant ses congénères

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    à se joindre à sa protestation. En un rien de temps, un matraquage de croassements envahit l’air. Plumes héris-sées, dans des postures d’agression, les oiseaux poussent des cris furieux.

    La femme se retourne, dévisage Beltran. Un visage lunaire, plus blanc que la neige. Des sourcils, comme des ailes d’oiseau, dessinent une ligne ininterrompue au-dessus de ses yeux noirs et perçants qui pénètrent jusqu’au plus profond de l’âme.

    « Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu », dit le poète. En un battement de paupières, Beltran reçoit toute la déclinaison du bleu, la plus profonde et immatérielle des couleurs. Sans rencontrer d’obstacle, son propre regard se noie, s’évanouit, à l’image de l’oiseau qui disparaît dans la transparence du ciel. Il vient d’entrer dans un bleu profond qui n’est pas de ce monde, mais un irrésistible chemin de l’infini qui éveille une soif d’absolu, et où l’imaginaire est réalité.

    Rapidement, l’inconnue détourne le regard, laisse tomber son sac de graines et de maïs séché à ses pieds, vire-volte et s’enfuit. La neige glisse de son vêtement, révélant une longue pèlerine noire. Elle court tellement vite malgré l’épaisseur de la neige qu’on lui imagine des pieds ailés. Les corneilles poursuivent leur tumulte. Deux oiseaux se détachent du groupe, suivent la mystérieuse silhouette qui, au tournant du sentier, disparaît comme une tache d’encre effacée d’une feuille de papier vierge.

    Les corneilles restées derrière se calment. Certaines se dispersent, d’autres, ignorant dorénavant la présence de Beltran et de son chien, poussent leur audace jusqu’à se poser à quelques mètres d’eux pour dévorer les restes du festin de graines.

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    Au sol, tels des hiéroglyphes, l’empreinte de centaines de pattes d’oiseaux attire le regard de Beltran. S’il avait été poète, il y aurait lu des haïkus en braille. S’il avait été pein-tre, il y aurait reconnu une calligraphie ésotérique. Esprit scientifique, il y voit plutôt la finesse d’équations mathé-matiques, à ses yeux de la pure poésie. Adepte de l’esthéti-que des raisonnements, il trouve une réelle élégance dans les schématisations, les énoncés, la formulation des résul-tats et des conclusions. Équations et théorèmes sont un art envoûtant pratiqué pour leur beauté presque éthérée et même « diabolique », comme l’a écrit fénelon. L’infini ne révèle-t-il pas ses mystères à celui qui réussit à décrypter l’énigmatique grammaire des chiffres et des signes ?

    Le vent est maintenant tombé et on n’entend que le silence. fasciné, Beltran met ses pas dans ceux de la femme aux semelles de vent et son cœur s’emballe. Lentement, pour faire durer le plaisir, tout autant que pour s’approprier sa présence, il s’avance jusqu’à l’endroit où elle a disparu.

    « Ses empreintes sont tellement légères ! À peine celles d’une ombre, pense Beltran. Pourtant, elle a fait fondre la neige. Aurait-elle une âme de feu ? »

    Beltran s’engage sur le sentier, suit les traces de pas qui se font de moins en moins appuyées puis, d’un coup, s’ arrêtent. « Comment cette femme a-t-elle pu disparaî-tre ainsi ? Se serait-elle envolée ? Elle n’a quand même pas d’ailes ? »

    Au moment de sa fuite, la femme a laissé tomber un gant. Un long gant noir. Comme s’il s’agissait d’un objet précieux, Beltran le ramasse, caressant la laine douce. Il prend le temps d’en respirer profondément le parfum, avant de le plier avec soin et de le placer dans la poche de son anorak. « Qui peut-elle bien être, cette femme sauvage qui

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    semble venir de l’au-delà du réel ? » se demande Beltran, en réfléchissant à la mystérieuse apparition qui a laissé dans son cœur des traces plus profondes que dans le paysage de ce matin d’hiver.

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    Neige de minuit

    À l’abri dans sa grande serre de verre, œil scintillant dans la nuit, Beltran s’affaire au milieu de ses roses. Autour de lui, ses créations, des centaines de rosiers, tous garnis de somptueuses fleurs, blanches comme l’écume de la mer ou l’ivoire du clair de lune, certaines teintées d’or rappe-lant la chevelure des sirènes de la mer du Nord. Célèbre botaniste, hybrideur de roses blanches, il a produit une catégorie de rosiers très rustiques même dans les régions de grand froid, qu’il a baptisée Roses des neiges ; tous ces rosiers peuvent, sans soins particuliers, résister à des froids de moins trente-cinq degrés. Beltran est aussi mélomane. C’est pourquoi la plupart de ses séries portent des noms liés à la musique, à des compositeurs ou à des titres de pièces connues. Inspiré du jardin musical de Gabriel Fauré, il a présenté au monde des cultivars tels que L’heure exquise ou Chanson d’Ève. Puis, sont venues les roses inspirées de la neige — Finlandia, Nymphéa de neige, Avalanche bleue. La neige-élément travaille l’imagination de Beltran qui sait en écouter le silence fécond. Non seulement la voit-il, mais il en entend les notes d’ivoire, les folâtres portées d’une partition inaudible.

    Dans la serre, règne une quiétude qui va au-delà de l’absence de bruit. C’est l’univers sonore que seul Beltran entend et qu’il couve en lui. Silence d’une forêt de chiffres et d’équations, porteuse de découvertes, qu’il métamor-phose en sonates, passacailles et sérénades végétales.

    Dans ce lieu fortement éclairé, à l’atmosphère chaude et humide, les pétales dégagent des effluves sensuels et

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    pénétrants, typiques des fleurs blanches. Chaque variété a son parfum unique. Beltran a passé des années à croiser des rosiers anciens, fortement parfumés, avec les hybrides rustiques modernes, presque tous privés d’odeur.

    Ce soir, sa plus récente création, Neige de minuit, ouvre ses premiers pétales. De ses longs doigts fins de pianiste, il en caresse le velours, d’un blanc plus blanc que les neiges éternelles, que les cheveux du plus vieil homme de la terre. « Plus doux qu’un sexe de femme », pense-t-il. Il plonge son visage dans l’âme de la fleur, en aspire le parfum subtil.

    Tout ce qui entoure Beltran est d’un raffinement extrême. Une maison à son image où aucun détail n’a échappé à son œil d’esthète, à sa sensibilité affinée. Dans le salon, éclairé par des puits de lumière, rien que du blanc : cloisons, divans, fauteuils, tapis. De pièce en pièce, appareils ménagers, baignoire, cuvette, serviettes et gant de toilette, couette, literie, nappes, encore du blanc, rien que du blanc. Une seule exception, le piano à queue, un Steinway & Sons noir que personne ne touche, sauf la femme de ménage qui, toutes les semaines, l’enduit de cire et le fait étinceler comme une étoile. Malgré sa beauté, le piano est toujours fermé, muet, mort. On dirait un sarco-phage reposant dans une plaine enneigée.

    Entre ces murs austères règne une atmosphère si éloi-gnée de l’humain que nul son n’y parvient. Il y tombe un silence d’infini, infranchissable muraille, une froideur de l’époque glaciaire, la blancheur du rien avant tout com-mencement. Pourtant, ce blanc mat, ce silence suspendu entre absence et présence, ne seraient-ils pas dans l’attente de la couleur, de la musique de toute chose ?

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    La Walkyrie

    Ce matin, sa voiture au garage pour des réparations, Beltran prend l’autobus pour se rendre au centre-ville. Nez plongé dans le journal local, il ne s’attarde pas aux allées et venues des travailleurs, des commis de maga-sin, des employés de bureau, des écoliers, tous plus ou moins réveillés, à cette heure matinale. Il est insensible aux bâillements, aux toux, aux éternuements, aux impatientes bousculades qui animent l’autobus.

    « Septième Avenue », crie le chauffeur. Sans lever les yeux, Beltran plie son journal, le range dans sa serviette, se lève. Devant lui, une femme au port altier ; sa longue che-velure sombre se déverse sur une pèlerine noire. Le cœur de Beltran bondit. Son sang ne fait qu’un tour. « C’est elle ! » se dit-il, plongeant la main dans sa poche, serrant le gant de laine échappé par l’inconnue, quelques semaines auparavant. Il est très attaché au gant qu’elle a porté, objet fétiche devenu la véritable métonymie de cette femme dont il est obsédé. « C’est le moment de lui rendre son gant », pense-t-il spontanément, en allongeant le bras pour lui taper sur l’épaule. Il se retient. « Non, pas encore. Elle risque simplement de me remercier et de s’esquiver à nou-veau. Si je la suivais discrètement ? »

    L’autobus s’arrête. — Bonne journée, Lilith, dit le chauffeur à la femme,

    au moment où celle-ci s’apprête à descendre.— Bonne journée à vous et à demain, même heure,

    répond-elle.

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    « Tiens, elle s’appelle Lilith, se dit Beltran. Quel nom curieux ! » Il regarde sa montre. Huit heures dix. Oubliant tout du garage et de sa voiture, il suit la mystérieuse incon-nue. fasciné, il ne la quitte pas des yeux, son regard plongé dans les reflets irisés de sa voluptueuse toison. Il a du mal à la suivre dans la foule de plus en plus dense de l’heure de pointe, véritable labyrinthe humain. Elle accélère le pas, disparaît derrière un immeuble de verre. Beltran est essouf-flé. Quatre personnes le séparent de Lilith. Il craint de la perdre de vue. Elle longe un autre immeuble de verre. S’ar-rête. Se penche pour ramasser quelque chose qu’elle met dans son grand sac de toile. Les passants la regardent d’un air curieux qu’elle semble ignorer, poursuivant sa course avec un majestueux détachement. Elle fait quelques pas, se penche de nouveau.

    — Ah, encore la folle-aux-oiseaux ! s’exclame une jeune femme au sein d’un petit groupe fumant au coin de la rue.

    — Qu’est-ce qu’elle peut bien faire de tous ces oiseaux ? lance l’un d’eux.

    — Peut-être qu’elle les mange. Un ragoût de moineaux et d’étourneaux, ça ne doit pas être mauvais, ricane cruel-lement un autre.

    — Dommage qu’elle soit folle ! Vous avouerez qu’elle n’est pas laide à regarder. Rien qu’à sa démarche, on imagine assez bien ses belles grandes jambes et ses fesses rebondies, en ajoute un troisième, qu’on fait rapidement taire d’un coup de coude.

    Lilith se relève, se remet à marcher droit devant elle, traverse la rue, ignorant le feu rouge. On klaxonne. Beltran bouscule deux passants pour se rapprocher d’elle. « Hé, vous, vous êtes bien pressé ! » proteste l’un d’eux.

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    Il continue de la fixer pour ne pas la perdre de vue. Dans son dos, Lilith sent le regard de Beltran, comme une onde bleue. Elle reconnaît le regard qui se pose sur elle, se retourne, dévisage le poursuiveur, accélère le pas, tourne à droite et disparaît.

    Beltran essaie de la rattraper dans le dédale de cafés, de parfumeries et de bijouteries, s’égare dans des couloirs de béton. Il a la nausée, le vertige. Les murs, qui semblent se resserrer, l’oppriment. Les ruelles se transforment en tunnels, les carrefours en caveaux. Il ne sait plus où il est. Malgré le froid intense, il transpire abondamment. Il a le souffle court. Comme en rêve, il court sans pouvoir avancer, arrive à une intersection. « Maudits carrefours », se dit Beltran. Droite ou gauche ? Il prend la droite, se remet au pas de course, arrive à un cul-de-sac. Lilith lui a de nouveau échappé. frustré, il donne un coup de pied au réverbère et essaie de retrouver le chemin du garage.

    * * *

    Lilith a toujours senti dans son sang une filiation généalogique avec le monde de la forêt. Son monde, c’est celui des arbres et des ruisseaux, des herbes folles, des pierres moussues et des fougères. Sa famille, c’est celle des hirondelles et des pinsons, des lièvres et des loups. Son parfum, celui du serpolet et de la menthe aquatique, du gingembre sauvage et de la verveine officinale. Née de la forêt, la forêt l’habite. De la sève coule dans ses veines et son âme est faite de plumes d’oiseaux.

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    Lilith n’a pas de voiture et évite à tout prix l’agression sonore de la ville et son enfer de béton. Le bruit intolérable et répété des crissements de pneus, des vrombissements de moteurs, des gémissements de freins, des klaxons toni-truants des milliers de voitures qui sillonnent les routes, l’intensité sonore des marteaux-piqueurs, tout ce tinta-marre écorche sa sensibilité à fleur de peau. Les émana-tions nauséabondes des moteurs diesel qui noircissent le ciel, des cheminées industrielles qui crachent des gaz toxi-ques, l’oppressent. Néanmoins, tous les matins, à la même heure, elle quitte la maison, brave la nausée et les éternue-ments, les maux de tête et les bourdonnements d’oreilles qui l’assaillent dès son arrivée dans les rues ronflantes du centre-ville, à vélo durant la belle saison, et en autobus par temps froid. Lilith a une mission.

    En effet, dans les champs de bataille de béton, le long des grandes tours à bureaux, elle ramasse les cadavres de pics bois, de cardinaux, de gros-becs, de sittelles et de mésanges qui se fracassent contre les vitres, puis tombent foudroyés, certains mourant sur le coup, d’autres, pire encore, s’accrochant à la vie, malgré des ailes brisées ou des plaies béantes. Heureusement, aujourd’hui, la récolte est maigre. Il y a à peine un mois, au moment de la migra-tion automnale, chaque soir, oiseaux-mouches, fauvettes et pinsons tombaient par centaines, attirés comme des papillons de nuit par les gratte-ciel trop éclairés dont la lumière intrusive salit tant le ciel.

    Combien de fois Lilith a déposé son sac de cadavres d’oiseaux sur les pupitres de fonctionnaires municipaux, exigeant une lutte contre la pollution lumineuse ? « Nous sommes en train de perdre la nuit. Nous avons besoin de l’obscurité », clame-t-elle.

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    Combien de fois l’a-t-on ignorée, traitée de rêveuse égarée parce qu’elle cherche à protéger des êtres insigni-fiants ; rabrouée, même lorsqu’elle a cité des études qui démontrent, hors de tout doute, que la pollution lumi-neuse peut aussi influer sur les rythmes biologiques des humains, en déréglant les horloges internes ou certains processus hormonaux ? Ne suffit-il pas de voir la fréquence des troubles de sommeil associés aux grandes villes pour comprendre que ce n’est pas un problème bénin ?

    Or, qui écoutera cette pythie aux antennes hypersen-sibles, cette sombre Cassandre qui prêche dans le vide ?

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    Histoire de Lilith

    Lilith. Intrigué par le prénom étrange, Beltran se rend à la bibliothèque municipale et fouille dans dictionnaires et encyclopédies pour tenter de découvrir l’étymologie et l’histoire de cette créature mythique. Un premier livre associe les origines de Lilith à des temps immémoriaux, au démon femelle (Lilitû), qui signifie « esprit du vent » ; un second l’identifie à la Lillaka du récit de Gilgamesh. Séduisante démone de la nuit, dotée d’ailes puissantes, elle traverse la mythologie sumérienne, babylonienne, assy-rienne, persane, juive, arabe et teutonne. Dans différentes versions de la Bible, le terme désigne un être nocturne, mais le thème de Lilith est absent de la Bible canonique. Beltran est surpris de constater que, dans la tradition kab-balistique, Lilith serait, dans le paradis terrestre, la pre-mière femme et la première compagne d’Adam avant Ève, née non pas de la côte de celui-ci, mais directement de la terre et en même temps que lui. « Nous sommes tous les deux égaux, puisque nous venons de la terre, aurait-elle dit à Adam. Pourquoi devrais-je être toujours allongée sous toi lorsque nous faisons l’amour ? » Là-dessus, ils se dispu tèrent. Lilith, en colère, prononça en vain le nom de Dieu et s’enfuit dans les airs pour s’exiler dans des terres désolées, imbibées de sang, repaires de scorpions, de cor-beaux et de hiboux, envahies par des orties et des buissons épineux, parsemées de tanières d’hyènes et de chacals. Là, elle commença sa carrière de concubine du diable, de suc-cube et de dévoreuse d’enfants.

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  • 47

    LE fEU SOUS LA NEIGE

    En ouvrant le Zohar, ouvrage kabbalistique du trei-zième siècle et méditation sur l’Ancien Testament, une photo d’un relief en terra-cotta attire l’attention de Bel-tran. Elle représente Lilith, la Dame des bêtes, fille du ciel et du vent, mince et belle, portant dans son dos de longues ailes qui font l’effet d’un voile. Sur sa tête, une tiare de cornes. À ses pieds, un hibou et des corneilles. Il examine attentivement le visage de la divinité et constate une ressemblance frappante avec l’objet de son admiration. « Voilà, se dit Beltran, c’est elle ! »

    Il poursuit sa lecture sur cette Dame des bêtes qui vit en communion avec la nature et apprend qu’elle possède, entre autres, le don de la métamorphose et celui de l’ubi-quité, qu’elle est sujette à des visions prophétiques, ressen-ties comme des formes de possession. « Je me demande si cette femme étrange connaît la signification de son nom et sa ressemblance à la Lilith des mythes anciens ? » se demande Beltran.

    Lilith lui rappelle les sujets féminins des toiles préra-phaélites, aux yeux couleur de rêve, aux longues et épaisses tignasses, aux visages d’une pâleur lunaire. Pour le peu qu’il a entendu, sa voix a le doux son des choses qu’un seul souffle suffirait à briser en mille éclats ; tous ses gestes lui semblent aussi tendres que des lissements de plumes. Il en est convaincu, la Lilith qu’il a rencontrée appartient à un autre monde que le sien.

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    Les Ménades

    Le lendemain matin, huit heures. Lilith monte dans l’autobus déjà bondé. Tapi sur la banquette arrière, Beltran se dissimule derrière son journal. Huit heures trente, Lilith sort par la porte avant et salue le chauffeur, comme elle le fait tous les matins. Beltran emprunte la sortie arrière.

    Prudemment, il suit de loin la mystérieuse Walkyrie en hardes noires, déterminé à ne pas la perdre de vue. Dix heures vingt. Son sac rempli de malheureuses victimes, Lilith reprend l’autobus. Le cœur de Beltran bat très fort. « Cette fois-ci, je la tiens, pense-t-il. Peut-être rentre-t-elle à la maison. Je vais la suivre. »

    * * *

    Elle nous hèle de loin, la maison de Lilith, perchée sur le haut d’une colline verdoyante. De près, c’est une humble maisonnette délabrée que les promoteurs immo-biliers essayaient en vain de s’approprier pour construire des appartements en copropriété, avec vue imprenable sur la ville. Malgré les offres alléchantes qui feraient d’elle une femme prospère, Lilith refuse de vendre sa maison et la précieuse forêt qui l’entoure, dernier grand espace vert à la périphérie de la ville, hôte de nombreuses plan-tes rares, et qui offre à des dizaines d’espèces d’oiseaux

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    chanteurs migrateurs des aires de reproduction accueil-lantes et protégées.

    — Quel bouge qui défigure notre quartier ! affirme, à la sortie du supermarché, une femme accompagnée de ses deux amies, indiquant la maison de Lilith. Ni cette bico-que, ni sa propriétaire n’ont leur place dans ce quartier. Et cet immense terrain dont elle a supposément hérité et qu’elle n’entretient même pas, pourquoi refuse-t-elle de le vendre ? Vous imaginez-vous les logements qu’on pourrait y bâtir ? Nos maris n’auraient plus à aller pointer au chô-mage. Je ne sais pas ce que la ville attend pour l’exproprier.

    — Moi, elle me donne la chair de poule, affirme la seconde femme. Ça ne m’étonnerait pas qu’elle s’adonne à des cultes bizarres. Le facteur m’a dit qu’il l’a surprise plus d’une fois dehors, par des temps où il gelait à pierre fendre, en robe de nuit et en pantoufles, croassant pour appeler ses vermines volantes et leur offrir, vous ne devinerez pas quoi ? De la nourriture pour chats ! C’est pas normal de vouloir nourrir ces affreuses bêtes qu’on essaie par tous les moyens d’éliminer, sans succès, depuis des années. Elle le fait probablement rien que pour nous narguer.

    Les comportements excentriques de Lilith et ses pré-occupations marginales en désarçonnent plus d’un. Sa présence irréelle et insaisissable, son extrême discrétion, son regard trop clair ont quelque chose de terriblement louche. Si elle avait été infirme, si elle avait eu un physique monstrueux, si elle avait été sourde ou aveugle, on l’aurait accueillie volontiers. Mais son mystère et son originalité leur sont intolérables. Elles jugent anormale sa solitude, inacceptable, son mutisme en leur présence.

    — Moi, je trouve plutôt qu’elle fait pitié, dit une des femmes, enceinte de plusieurs mois, ses mains posées sur son ventre protubérant. Mon aînée l’a vue la semaine

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    LA MÉMOIRE DE L’AILE

    dernière, ses bras entourant le tronc d’un érable, son oreille posée tout contre l’écorce, murmurant « mère, mère ».

    « Qu’est-ce que vous écoutez, Madame ? » lui a-t-elle demandé. Elle l’a fait venir près d’elle, l’invitant à poser sa tête contre l’arbre : « N’entends-tu pas la musique des vagues ? » lui aurait-elle répondu, presque en transe. Ma fille est rentrée, impatiente de me dire qu’elle avait entendu la mer mugir dans un tronc. Pensez-y, une femme qui caresse des arbres, va pour un enfant, mais pour une adulte, quel ridicule !

    — Personnellement, je soupçonne qu’elle n’est pas tout à fait saine d’esprit, interrompt la troisième. Je devrais en parler à mon frère qui est gardien de sécurité à l’hôpi-tal psychiatrique. Il doit connaître ça, lui, les symptômes de la folie. Je ne dormirai pas sur mes deux oreilles tant qu’elle ne sera pas derrière des murs capitonnés. On ne peut jamais prendre assez de précautions. Si on surveillait ses allées et venues ? Un jour ou l’autre, nous trouverons bien un moyen de la prendre en faute.

    En réalité, ces mauvaises langues se heurtent à l’es-prit libre de Lilith, à son innocence et à sa pureté. Même discrète, sa présence rend inconfortables ces cœurs étroits qui ont enfoui le goût de la liberté et la soif d’envol dont elles avaient eu un aperçu dans leur jeunesse, mais qu’elles avaient dû mettre de côté pour devenir des adultes rai-sonnables, pratiques et responsables. Au fond, la colère qu’elles éprouvent envers cette femme qui refuse la ser-vitude ne masque-t-elle pas une forme de jalousie ? Ne répriment-elles pas le regret d’avoir choisi d’étouffer un besoin fondamental ? Certes, elles avaient eu le choix, mais peut-être n’avaient-elles pas eu le courage de s’interroger sur la vie qui s’imposait à elles. Elles éprouvaient parfois le sentiment diffus d’être passé à côté de l’essentiel, mais

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    LE fEU SOUS LA NEIGE

    combien plus simple de ne pas se poser de questions, de croire que les idées toutes faites imposées par la société sont les meilleures pour tous. Elles offrent confort et paix d’esprit, un semblant de normalité.

    Toutes ces femmes frustrées, ces conspiratrices assoif-fées de vengeance, sont envieuses de la beauté naturelle de leur rivale, bien dans sa peau, inconsciente des pas-sions qu’elle déchaîne autour d’elle, ignorante du pouvoir de séduction qu’elle exerce surtout sur leurs maris, qui ne manquent pas de la reluquer lorsqu’elle se trouve sur leur passage. Sa silhouette svelte et élancée de sylphide, sa longue chevelure noire balayant des hanches lascives, ses yeux noirs à la frida Kahlo, ses jambes longues et fines, sa poitrine haute et épanouie donneraient des frissons, même à un saint homme. Ses tenues de bohémienne, ses longues boucles d’oreilles font rêver les maris qui la soupçonnent d’être nue sous ses jupes. Agacées, les femmes n’y voient que pure provocation.

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    Remerciements

    Je veux exprimer ma reconnaissance à mes amis, Jacques flamand, Daniel Langevin et Lise Plamondon, pour leur lecture attentive de la première version du manuscrit et leurs précieux conseils.

    Un merci affectueux à Vincent qui m’a soutenue avec patience, tendresse et la force du roc dans ce cheminement labyrinthique.

    Du fond du cœur, merci à Anne-Marée pour son ac-compagnement généreux, perspicace, enthousiaste et sa fidélité sororale.

    Des remerciements amicaux à Metka Zupancic pour sa présence inspirante et nos échanges enrichissants.

    Une gratitude toute particulière va à Nancy Vickers pour m’avoir fait connaître la photographie de Joel-Peter Witkin, Woman Once a Bird, à l’origine de ce projet d’écriture.

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  • Table des matières

    Prologue .......................................................................7

    Première partieL’effet papillon ............................................................9

    Deuxième partieLe feu sous la neige

    Rencontre de hasard objectif ....................................... 31Neige de minuit .......................................................... 39La Walkyrie.................................................................41Histoire de Lilith .........................................................46Les Ménades................................................................48L’épreuve initiatique .................................................... 52Le seuil ........................................................................ 61Duende ou la neige musicale ........................................79À l’ombre du duende ....................................................89S’exposer à la corne du taureau ....................................98

    Troisième partieVocation secrète

    Un nid dans les nuages .............................................. 111Langage des oiseaux .................................................. 121Des yeux dévoreurs de lumière .................................. 123Quand la mort porta quatre fers ................................ 127

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  • La nymphe des bois ................................................... 136Les douze lunes ......................................................... 141L’Île volante ............................................................... 150Oracula ......................................................................153Migration .................................................................. 167Devenir arbre ............................................................ 169Tâche de naissance ................................................... 172Le Minotaure ............................................................ 176La chrysalide ............................................................. 183Un nid au fond des yeux ............................................ 188La mort-qui-trompe ................................................... 197La métamorphose des amants .................................... 205La malédiction des ailes ............................................. 210La femme-aux-mains-vertes-et-bleues ....................... 213Icare ..........................................................................220Le manteau de plumes ............................................... 230Par la seule force de l’aile ........................................... 232Les oiseleurs .............................................................. 237Nids blancs, vos oiseaux vont fleurir ..........................242Le baiser de Judas ......................................................244

    Quatrième partieLa nef des fous

    La Villa des Mystères ................................................. 251L’aile des Sanguinaires .............................................. 256Les briseurs d’ailes .....................................................260La leçon de vol .......................................................... 265La Chambre du silence ..............................................268Le cabinet des yeux ................................................... 272

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  • Cinquième partieL’impossible rose rouge

    L’ange au parfum ...................................................... 281L’accompagnatrice..................................................... 286La dernière rose de l’été ............................................. 292Un habit de lumière taché de sang ............................. 299Le sommeil des pommes............................................ 310Dans l’arène d’un regard vide .................................... 318

    Sixième partieLe rêve est une seconde vie

    Le piège à fantômes ................................................... 329La vengeance des corneilles de Van Gogh .................. 335Les pouvoirs du nom ................................................. 339Derrière la forteresse de verre .....................................342Le retour du Minotaure .............................................346

    Septième partieL’envol

    L’ultime métamorphose ............................................. 353funérailles de corneilles ............................................. 365

    Remerciements .......................................................... 371

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  • DE LA MÊME AUTEURE

    Poésie

    Le châtiment d’Orphée, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1990. Prix de poésie de l’Alliance française d’Ottawa-Hull 1991.

    Lèvres d’aube. Suivi de l’Ange au Corps, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1992. Prix de poésie de l’Alliance française d’Ottawa-Hull 1993.

    Pavane pour la naissance d’une infante défunte (collage dramatique), Ottawa, Éditions du Nordir, 1993.

    Noces d’ailleurs, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1993. Prix du livre d’Ottawa-Carleton 1995.

    La femme sauvage. Livre I de la trilogie Miroir de la sorcière, Ottawa, Éditions du Nordir, 1996.

    Sacra privata. Livre II de la trilogie Miroir de la sorcière, Ottawa, Éditions du Nordir, 1997. Grand Prix du Salon du livre de Toronto 1997.

    Les visions d’Isis. Mystères alchimiques en vingt-quatre heures, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1997.

    Le livre des ombres. Livre III de la trilogie Miroir de la sorcière (poésie accompagnée de cinq collages de l’auteure), Ottawa, Éditions du Nordir, 1998.

    Lithochronos ou le premier vol de la pierre (poésie écrite avec Jacques flamand et illustrée de 15 photographies de l’auteure), Ottawa, Éditions du Vermillon, 1999. Prix Trillium 2000. Traduit en anglais.

    Que l’apocalypse soit ! Chants nouveaux de la Sibylle (poème dramatique coécrit avec Jacques flamand), Ottawa, Éditions David, 2000. Traduit en roumain.

    Cigale d’avant-poème (illustrations de Christine Palmiéri), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2003.

    Géologie de l’ intime (poésie écrite avec Jacques flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2009.

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  • Prose

    Le livre des sept voiles (récit), Ottawa, Éditions du Nordir, 2001. Traduit en roumain.

    Roman

    Depuis toujours, j’entendais la mer, Ottawa, Éditions David, 2007. Prix Christine Dumitriu-Van-Saanen 2007 ; Prix du livre d’Ottawa 2008 ; Prix Émile-Ollivier 2008 ; Prix LeDroit 2007. Traduit en roumain.

    Catalogue d’exposition

    Regard de la main / In the Hand’s Eye. Catalogue d’exposition solo à la Galerie d’Art de l’Alliance Française d’Ottawa, du 3 au 27 novembre 2009. Brochure couleur de 34 pages, textes en français et en anglais.

    Traductions littéraires

    Levenson, Christopher. Belvédère (poèmes choisis et traduits avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2001.

    Rosenblatt, Joe. Le perroquet fâcheux/Parrot Fever (fable surréaliste traduite avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2002.

    Burnett, Virgil. Leonora (poèmes et dessins, textes traduits avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2003.

    McInnis, Nadine. Ce feu qui dévore/First Fire (poésie traduite avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2005.

    Lampman, Archibald. A Gift of the Sun/Le don du soleil (poésie traduite avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2006.

    Crozier, Lorna. Apocryphe de la lumière (poésie traduite avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2007.

    Ferguson, Heather. Le lapidaire/The Lapidary (poésie traduite avec Jacques Flamand), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2009.

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  • VOIX NARRATIVESCollection dirigée par Marie-Anne Blaquière

    Bélanger, Gaétan. Le jeu ultime, 2001. Épuisé.Boulé, Claire. Sortir du cadre, 2010. Brunet, Jacques. Ah…sh***t ! Agaceries, 1996. Épuisé.Brunet, Jacques. Messe grise ou La fesse cachée du Bon Dieu,

    2000.Canciani, Katia. Un jardin en Espagne. Retour au Généralife,

    2006.Canciani, Katia. 178 secondes, 2009.Chicoine, francine. Carnets du minuscule, 2005.Christensen, Andrée. Depuis toujours, j’entendais la mer,

    2007.Christensen, Andrée. La mémoire de l’aile, 2010.Couturier, Anne-Marie. L’ étonnant destin de René Plourde.

    Pionnier de la Nouvelle-France, 2008.Couturier, Gracia. Chacal, mon frère, 2010.Crépeau, Pierre. Kami. Mémoires d’une bergère teutonne, 1999.Crépeau, Pierre et Mgr Aloys Bigirumwami, Paroles du soir.

    Contes du Rwanda, 2000. Épuisé.Crépeau, Pierre. Madame Iris et autres dérives de la raison,

    2007.Donovan, Marie-Andrée. Nouvelles volantes, 1994. Épuisé.Donovan, Marie-Andrée. L’envers de toi, 1997.Donovan, Marie-Andrée. Mademoiselle Cassie, 1999. Épuisé.Donovan, Marie-Andrée. L’harmonica, 2000.Donovan, Marie-Andrée. Les bernaches en voyage, 2001.Donovan, Marie-Andrée. Mademoiselle Cassie, 2e éd., 2003.Donovan, Marie-Andrée. Les soleils incendiés, 2004.Donovan, Marie-Andrée. Fantômier, 2005.Dubois, Gilles. L’homme aux yeux de loup, 2005.Ducasse, Claudine. Cloître d’octobre, 2005.Duhaime, André. Pour quelques rêves, 1995. Épuisé.

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  • fauquet, Ginette. La chaîne d’alliance, en coédition avec les Éditions La Vouivre (france), 2004.

    flamand, Jacques. Mezzo tinto, 2001.flutsztejn-Gruda, Ilona. L’aïeule, 2004.forand, Claude. Ainsi parle le Saigneur, 2006.forand, Claude. R.I.P. Histoires mourantes, 2009.Gagnon, Suzanne. Passeport rouge, 2009.Gravel, Claudette. Fruits de la passion, 2002.Harbec, Hélène. Chambre 503, 2009.Hauy, Monique. C’est fou ce que les gens peuvent perdre, 2007.Jeansonne, Lorraine M. M. L’occasion rêvée… Cette course de

    chevaux sur le lac Témiscamingue, 2001. Épuisé.Lamontagne, André. Le tribunal parallèle, 2006.Lamontagne, André. Les fossoyeurs. Dans la mémoire de

    Québec, 2010.Lepage, françoise. Soudain l’ étrangeté, 2010.Mallet-Parent, Jocelyne. Dans la tourmente afghane, 2009.Marchildon, Daniel. L’eau de vie (Uisge beatha), 2008.Muir, Michel. Carnets intimes. 1993-1994, 1995. Épuisé.Piuze, Simone. La femme-homme, 2006.Richard, Martine. Les sept vies de François Olivier, 2006.Rossignol, Dany. L’angélus, 2004.Rossignol, Dany. Impostures. Le journal de Boris, 2007. Tremblay, Micheline. La fille du concierge, 2008.Vickers, Nancy. La petite vieille aux poupées, 2002.Younes, Mila. Ma mère, ma fille, ma sœur, 2003.Younes, Mila. Nomade, 2008.

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  • Mémoire_Christensen_L.indb 381 10-10-04 10:59

  • Photographie de l’auteure : Henriette EthierMaquette et mise en pages : Anne-Marie Berthiaume

    Révision : frèdelin Leroux

    Dépôt légal, 4e trimestre 2010ISBN 978-2-89597-152-8

    Achevé d’imprimer en octobre 2010 sur les presses de Marquis Imprimeur

    Cap-Saint-Ignace (Québec) Canada

    Imprimé sur papier Silva Enviro 100 % postconsommation

    traité sans chlore, accrédité Éco-Logo et fait à partir de biogaz.

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  • Andrée Christensen a publié une vingtaine de titres en poésie, roman, récit, incluant des traductions littéraires. Certains de ses ouvrages ont été traduits en anglais et en roumain. Son premier roman, Depuis toujours, j’entendais la mer, a remporté le Prix du livre d’Ottawa, le Prix LeDroit, le Prix littéraire Émile-Ollivier et le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen.

    Elle a réalisé cinq livres d’artistes à partir de ses recueils de poèmes, en collaboration avec des artistes visuels de l’Ontario et du Québec. Elle exprime aussi sa sensibilité dans l’art du collage et de la photographie, ainsi que dans l’aménagement d’un jardin poétique.

  • 24,95 $VOIX NARRATIVES�www.editionsdavid.com

    Après Depuis toujours, j’entendais la mer, couronné par plusieurs prix littéraires, Andrée Christensen signe ici une œuvre riche et puissante, soutenue par une écriture maîtrisée qui exalte le rêve, l’amour et la liberté.

    Angéline, Lilith, Mélusine. Trois prénoms, un seul personnage énigmatique, assoiffé d’envol et de créativité, qui vit au cœur d’une forêt, en symbiose avec la nature. C’est en suivant une confrérie de corneilles en pleine tempête de neige que Beltran Aguilar, hybrideur de roses et ancien pianiste, rencontre la mystérieuse femme aux pas ailés, résurgence de la Mélusine mythique. Au fil de la fascinante révélation de leurs origines, s’amorce entre ces deux solitudes aimantées une relation aussi improbable qu’espérée.

    Artiste marginale, victime de préjugés, Mélusine est internée à la suite d’un délit étrange. Forte des pouvoirs de l’imaginaire, la femme-oiseau, ivre d’absolu, tentera de transformer les barreaux de sa cage en labyrinthe salvateur.

    Première de couverturePremier rabatPage de titreCatalogage — Dépôt légalProloguePREMIÈRE PARTIE — L’effet papillonDEUXIÈME PARTIE — Le feu sous la neigeRencontre de hasard objectifNeige de minuitLa WalkyrieHistoire de LilithLes MénadesRemerciementsTable des matièresDe la même auteureCrédits — Achevé d'imprimerSecond rabatQuatrième de couverture