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ANALYSE DU RÔLE DES ACTEURS DANS LA CRISE ACTUELLE EN ÉGYPTE par François Guay-Racine Dans le cadre du cours ECH4750A Conflits et processus de paix au Moyen-Orient

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ANALYSE DU RÔLE DES ACTEURS DANS LA CRISE ACTUELLE EN ÉGYPTE

par

François Guay-Racine

Dans le cadre du cours

ECH4750A

Conflits et processus de paix au Moyen-Orient

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Depuis la révolte populaire en Tunisie qui a débuté au mois de décembre 2011, une très

grande attention médiatique est portée à l’échelle internationale aux évènements qui sont

appelés les « révoltes arabes » ou le « printemps arabe ».1 Ce mouvement de rébellion,

qui revendique une plus grande liberté et davantage de démocratie, s’est d’ailleurs

rapidement étendu dans plusieurs pays, notamment en Égypte, en Libye et en Syrie,

résultant en des changements de régime pour certains d’entre eux. Alors que ces

changements en Tunisie et en Égypte se sont faits sans l’intervention de l’Organisation

des Nations unies, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution visant la

protection des civils libyens. Or, ce qui ne devait être qu’une simple opération de

protection de civils s’est rapidement transformée en une intervention militaire dirigée par

l’OTAN, favorisant ainsi un changement de régime.2 Cette intervention a d’ailleurs

certainement joué un rôle-clé dans le renversement de l’ancien dirigeant du pays,

Mouammar Kadhafi. Du côté de la Syrie, le pays, qui est dirigé par Bachar al-Assad, est

toujours en crise et connaît une guerre civile depuis plus de deux ans. Celle-ci a d’ailleurs

entraîné la mort de plusieurs milliers d’individus jusqu’à présent. Malgré certaines

tentatives de la communauté internationale pour mettre un terme à ce conflit dévastateur,

il est bien difficile de prévoir quelle sera l’avenir du pays.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, ce contexte révolutionnaire a également

été observable en Égypte, où le mouvement d’opposition a commencé à véritablement

devenir apparent en janvier 2011. Les différents évènements qui se sont déroulés au pays

depuis le début de cette révolution ont par ailleurs eu plusieurs conséquences

importantes, notamment sur les plans politique et social, tel que le départ d’Hosni

Moubarak qui était au pouvoir depuis près de trente ans. Or, suite au retrait de Moubarak

de la vie politique égyptienne, le pays a amorcé une transition démocratique qui a été

parsemée d’embûches et de défis. Le partage du pouvoir entre les différentes institutions

égyptiennes a notamment été l’un des principaux enjeux et continue d’être la source de

nombreux conflits.

1 Jean-François Coustillière. « Les forces armées dans les révoltes arabes ». Confluences Méditerranée,

2011/4 N°79, p. 67-71. 2 Organisation du traité de l’Atlantique Nord. « L’OTAN et la Libye ».

http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_71652.htm (Consulté le 10 novembre 2013).

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Dans ce travail de recherche, nous analyserons le rôle joué par les différents acteurs, tant

internes qu’externes, dans la crise actuelle en Égypte. L’idée défendue sera que cette

crise repose principalement sur des acteurs qui sont internes au pays, principalement

l’armée égyptienne ainsi que l’organisation des Frères musulmans.

Avant de débuter une telle analyse, nous présenterons un résumé des évènements qui se

sont déroulés en Égypte depuis le début de la crise en janvier 2011. Nous aborderons

notamment les protestations des Égyptiens face au pouvoir en place, le départ de

Moubarak associé à celles-ci, la tentative de transition démocratique qui s’en est suivie,

les élections législatives et présidentielle, la montée au pouvoir de Mohamed Morsi ainsi

que les évènements ayant mené à la fin de sa présidence à l’été 2013. Par la suite, nous

analyserons en profondeur le rôle des différents acteurs ayant joué un rôle dans la crise

égyptienne. Étant donné la complexité de notre objet d’étude et pour bien saisir tous les

enjeux en cause, notre analyse se fera sur quatre plans. Ainsi, concernant les acteurs

internes, nous analyserons les acteurs infra-étatiques, soit les différentes communautés

religieuses en Égypte de même que les acteurs étatiques, soit le gouvernement, le Conseil

suprême des forces armées (CSFA), la confrérie des Frères musulmans ainsi que les

manifestants. Pour les acteurs externes, nous examinerons les acteurs régionaux qui

participent à cette crise, notamment Israël, le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Arabie

Saoudite et le Koweït, de même que les acteurs internationaux, soit les États-Unis.

L’analyse du rôle de ces différents acteurs nous permettra de mieux comprendre la crise

égyptienne actuelle et d’émettre certaines conclusions quant à celle-ci.

1. La crise égyptienne

Avant d’analyser le rôle joué par les différents acteurs inhérents à la crise égyptienne, il

importe de saisir l’évolution des évènements s’étant déroulés au pays depuis le début des

révoltes arabes en 2011. Cela est essentiel, car la situation en Égypte s’est

considérablement transformée depuis le début de la crise. Cette section présentera donc

l’évolution de la crise égyptienne et nous permettra de comprendre les différents enjeux

de celle-ci et pourquoi elle perdure depuis si longtemps.

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1.1 Début des révoltes arabes en 2011

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, un vaste mouvement révolutionnaire

a pris naissance au Moyen-Orient vers le début de l’année 2011. Celui-ci a véritablement

débuté en décembre 2010 en Tunisie. Les révoltes du peuple tunisien ont été

principalement motivées par des « revendications liées à la capacité à survivre dans un

pays corrompu, appauvri et pressuré ».3 Pris par surprise, le président Ben Ali a tenté de

réprimer ce mouvement en demandant l’intervention de l’armée. Or, l’appui de l’armée

au mouvement de rébellion et son refus d’utiliser la violence contre la population a joué

un rôle majeur dans la chute du président Ben Ali.

C’est donc dans ce climat révolutionnaire que se trouvait la région à la veille de l’année

2012. Peu de temps après le succès tunisien dans la chute du dirigeant politique, c’est au

tour de la population égyptienne de prendre les rues d’assaut afin de réclamer un

changement. Pour se mettre en contexte, il importe de se rappeler que le dirigeant

égyptien, Hosni Moubarak, a succédé à Anouar el-Sadate, connu pour avoir négocié le

traité de paix avec Israël en 1979. Par ailleurs, Moubarak était au pouvoir depuis le 14

octobre 1981, soit depuis plus de trente ans, lorsque les révolutions ont commencé.

Également, en plus d’être sous l’emprise d’un régime autoritaire, les conditions de vie en

Égypte n’étaient pas excellentes. À titre d’exemple, selon la Banque mondiale, 25 % de

la population égyptienne vivait sous le seuil de la pauvreté en 2011, ce qui est non

négligeable.4 Or, cet esprit révolutionnaire n’était pas quelque chose de totalement

nouveau pour le Égyptiens étant donné que, depuis plusieurs années, les grèves et les

manifestations se faisaient de plus en plus fréquentes au pays. Les principales causes de

celles-ci étaient notamment les salaires très bas ainsi que le taux de chômage et le coût de

la vie très élevés Dans un tel contexte, de nombreux Égyptiens, notamment des jeunes,

étaient insatisfaits du pouvoir en place et ont décidé de susciter des changements en

prenant comme modèle la population tunisienne.

C’est le 25 janvier 2011 que les grandes manifestations d’envergure réclamant davantage

de démocratie au pays ont débuté en Égypte. Celles-ci rassemblaient des milliers

3 Jean-François Coustillière. « Les forces armées dans les révoltes arabes ». p. 70.

4 Banque mondiale. « République arabe d’Égypte ». http://donnees.banquemondiale.org/pays/egypte-

republique-arabe-d, (Consulté le 20 novembre 2013).

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d’individus dans plusieurs villes telles le Caire, Suez et Alexandrie, réclamant davantage

de démocratie au pays. Les manifestations ont pris par la suite des proportions énormes,

rassemblant des millions de personnes au plus fort de celles-ci. Pendant la révolte, la

place Tahir, située au Caire, est devenue un lieu symbolique pour les manifestants et elle

a été occupée en permanence par ceux-ci.5 Rapidement, différents groupes de la société

se sont également joints aux contestataires, notamment la confrérie des Frères musulmans

qui a rejoint officiellement le mouvement quelques jours après le début de celui-ci.6

L’ampleur des contestations a eu l’effet escompté, car 18 jours seulement après le début

de la révolution, le président Hosni Moubarak a quitté le pouvoir. C’est le Conseil

suprême des forces armées (CSFA), qui a repris le pouvoir politique, assurant à la

population égyptienne la tenue future d’élections libres dans le pays.7 Cet évènement

marque le début de la transition démocratique en Égypte suivant le départ de Moubarak.

1.2 L’après Moubarak : Tentative de démocratisation du pays

Nous considérons qu’il y a trois évènements majeurs dans la tentative de démocratisation

de l’Égypte. Ceux-ci sont : la tenue d’un référendum portant sur des amendements à la

Constitution le 19 mars 2011, la tenue d’élections législatives libres, du 28 novembre

2011 au 5 janvier 2012, ainsi que la tenue d’une élection présidentielle qui s’est divisée

en deux tours, le premier étant les 23 et 24 mai 2012 et le deuxième les 16 et 17 juin

2012.8

À la suite du départ de Moubarak, l’armée et les généraux du CSFA, possédant désormais

tous les pouvoirs, se sont présentés à la population comme les défenseurs de l’ordre et ont

promis une transition démocratique. Une fois en contrôle, « la première déclaration du

Conseil suprême des forces armées visait ainsi à rassurer quant au respect des traités

5 Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». EuroMeSCo,

http://www.euromesco.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1874%3Aquel-avenir-pour-

larmee-dans-la-lnouvelle-egypter&catid=88%3Amembers-publications&Itemid=79&lang=fr, (Consulté le

12 novembre 2013). 6 Gilbert Achcar. « Les Frères musulmans pour une transition dans l’ordre ». Le Monde diplomatique, 1er

mars 2011, p. 3. 7 Mélissa Rahmouni. « L’Égypte après Moubarak ». Averroès, n°4-5, p. 2.

8 Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 3.

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internationaux », notamment l’accord de paix établi avec Israël, en 1979.9 L’armée a pris

également différentes mesures telles que l’emprisonnement des fils de Moubarak, la

dissolution du parlement, la suspension de la Constitution ainsi que l’adoption d’un

calendrier constitutionnel.10

Peu de temps après, une commission de réforme de la constitution est formée afin de

proposer des modifications possibles à la Constitution, avec en tête Tarek al-Bichri. Par

la suite, un référendum portant sur les amendements proposés par cette commission a eu

lieu en Égypte, le 19 mars 2011. Pour Mélissa Rahmouni, les principaux amendements

qui faisaient l’objet du référendum ne constituaient pas un changement radical. Ceux-ci

étaient notamment « l’ouverture des modalités de candidature à la présidence de la

République ; la réintroduction des juges dans le processus de vérification du scrutin (ce

qui était le cas avant 2007) et les dispositions sur l’état d’urgence. »11

Ce référendum

s’est soldé par la victoire du « oui » à plus de 77 %. D’ailleurs, de nombreuses personnes

ayant voté « non » au référendum, l’ont fait étant donné qu’ils auraient préféré qu’il y ait

une mise en place d’une assemblée constituante afin de rédiger une nouvelle constitution.

Chose certaine, la participation de plus de 18 millions d’Égyptiens à ce référendum « a

montré une véritable aspiration des Égyptiens à la participation électorale ».12

Un autre évènement majeur dans la transition démocratique en Égypte a été la tenue

d’élections législatives, en trois phases successives, qui ont eu lieu du 28 novembre 2011

au 5 janvier 2012.13

Ces élections avaient une importance cruciale pour l’Égypte étant

donné qu’il s’agissait des premières élections libres au pays depuis 1952, soit lorsque les

officiers libres avaient renversé la monarchie du roi Farouk.14

Voici les résultats de ces

élections de l’assemblée du Peuple : « Sur une chambre de 498 députés élus, la «

coalition démocratique » dirigée par le parti Liberté et justice des Frères musulmans a

obtenu 235 sièges, tandis que le parti salafiste Al-Nour (« La Lumière »), dont

9 Mélissa Rahmouni. « L’Égypte après Moubarak ». p. 8.

10 Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 3.

11 Mélissa Rahmouni. « L’Égypte après Moubarak ». p. 4.

12 Sarah Ben Néfissa. « Révolution civile et politique en Égypte. La démocratie et son correctif».

Mouvements, 2011/2, n° 66, p. 51. 13

Bernard Rougier. « Élections et mobilisations dans l'Égypte post-Moubarak ». Politique étrangère,

2012/1 Printemps, p. 85. 14

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 1.

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l’émergence fulgurante a constitué une surprise pour tous les observateurs, a remporté

121 sièges. Les forces libérales se partagent le reste des sièges : 39 pour le parti Al-Wafd,

35 pour le Bloc égyptien (Al-Kutla al-Masriyya) et 10 sièges pour le parti Réforme et

développement. »15

Ainsi, il est possible de parler d’une grande victoire de la part des

islamistes aux élections législatives, car les Frères musulmans ont obtenu 44,6 % des

votes tandis que les salafistes en obtinrent 22,5 %.16

Ces résultats ont inquiété de

nombreux individus, notamment la communauté Copte en Égypte, qui se sentait menacée

par une telle victoire islamiste.

Pour comprendre de tels résultats, il importe de garder en mémoire que le Conseil

supérieur des forces armées avait mis en vigueur une nouvelle loi portant sur les partis

politiques. Celle-ci a mis fin à certaines difficultés liées à la création d’un parti politique

qui étaient engendrées par la précédente législation.17

Elle a ainsi permis la création de

plusieurs nouveaux partis politiques, notamment ceux ayant obtenu un grand succès aux

élections législatives de 2011. De tels partis sont notamment le Parti Liberté et Justice, le

parti « Al-Nour » ainsi que le Bloc Égyptien.

Finalement, la tenue d’une élection présidentielle pourrait représenter, selon nous, la

troisième étape importante dans la transition démocratique qui a suivi le départ de

Moubarak. C’est le 30 juin 2012 que Mohamed Morsi a été élu président d’Égypte, sous

la bannière du Parti Liberté et Justice (PLJ), devenant, par le fait même, le premier civil à

être président dans l’histoire du pays. Les résultats du second tour ont couronné Morsi,

qui a obtenu 51,73 % des voix, alors qu’il faisait face au général Ahmed Chafiq, ancien

Premier ministre d’Hosni Moubarak.18

Ces résultats peuvent être considérées comme surprenants, étant donné que de nombreux

observateurs n’avaient pas prédit un tel dénouement. En effet, certains candidats qui

semblaient avoir de meilleures chances, tels Moneim Aboul Fotouh et Amr Moussa, ne se

15

Bernard Rougier. « Élections et mobilisations dans l'Égypte post-Moubarak ». p .85. 16

Clément Steuer. « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans les

élections législatives ». Confluences Méditerranée, 2012/3, N°82, p. 101. 17

Ibid., p. 95. 18

Virginie Collombier. « Égypte : les Frères musulmans et la bataille pour le pouvoir ». Politique

étrangère, 2012/3 Automne, p. 615.

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7

sont même pas rendus au deuxième tour.19

Or, pour comprendre ces résultats, la

chercheure Virginie Collombier nous invite à s’attarder aux stratégies utilisées par les

deux candidats lors de l’élection présidentielle : « En simplifiant, on pourrait dire que si

M. Morsi et le PLJ ont utilisé la religion comme instrument de mobilisation, A. Chafiq a

quant à lui rassemblé derrière sa candidature une grande partie de ceux qui sont connectés

à l’appareil d’État et sont soucieux de préserver ce dernier dans sa forme et son

fonctionnement actuels. »20

Cette vision, que nous partageons, pourrait effectivement

expliquer de tels résultats.

1.3 Montée et chute de Mohammed Morsi au pouvoir

Comme nous l’avons vu précédemment, à la suite de l’élection présidentielle, Mohamed

Morsi, alors chef du Parti Liberté et Justice, issu de la confrérie des Frères musulmans,

est devenu le cinquième président de la République arabe d’Égypte, le 30 juin 2012.

L’élection de Mohamed Morsi a eu comme impact de forcer les deux plus anciennes et

puissantes institutions d’Égypte, soit les Frères musulmans ainsi que l’armée, à collaborer

et à partager le pouvoir. La victoire de Morsi a été acceptée par l’armée, mais sous

certaines conditions.21

Ainsi, les deux parties ont réussi à atteindre un compromis,

notamment en partageant certains ministères. À titre d’exemple, la gestion du ministère

du Budget et des Affaires intérieures a été laissée à l’armée.22

Or, le nouveau président n’a pas tardé à prendre plusieurs décisions très controversées.

Parmi celles-ci, notons celles de s’attribuer les pouvoirs de légiférer et d’annuler des

décisions de justice ainsi que l’adoption d’une modification de la Constitution élaborée

par une commission composée exclusivement d’islamistes.23

Par ailleurs, de nombreuses

personnes ont reproché à Morsi de promouvoir l’agenda politique des Frères musulmans

et de ne pas représenter la population égyptienne.

19

Lamiss Azab. « Morsi au pouvoir : scénario d'une transition à l'égyptienne ». Confluences Méditerranée,

2012/3, n°82, p. 152. 20

Virginie Collombier. « Égypte : les Frères musulmans et la bataille pour le pouvoir ». p. 624. 21

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 4. 22

Virginie Collombier. « Égypte : les Frères musulmans et la bataille pour le pouvoir ». p. 620. 23

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 5.

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8

Bref, il est clair que le nouveau président ne faisait pas l’unanimité au pays. De plus,

l’aggravation des problèmes sociaux, économiques et politiques sous sa présidence a

engendré une insatisfaction générale en Égypte et sa gouvernance a été marquée par le

maintien de l’instabilité dans le pays. À titre d’exemple, les manifestations contre le

président au pouvoir sont devenues courantes à partir de décembre 2012. D’ailleurs, de

nombreux cas de violence ont été observés, notamment entre les manifestants anti-Morsi

et les pro-Morsi. Pour remédier à la situation qui dégénérait, Morsi, par un décret

présidentiel, a offert « tous les pouvoirs d’arrestation judiciaire » aux militaires, ce qui

n’a nullement amélioré la situation.24

Ces démonstrations de l’insatisfaction générale de

la population ont atteint leur apogée le 30 juin 2013, soit un an après l’assermentation du

président. En effet, à cette date, plusieurs milliers d’opposants à Morsi ont manifesté dans

les rues afin de réclamer le départ de celui-ci. Par ailleurs, le quartier général des Frères

musulmans a été occupé à partir du 1er

juillet. Alors qu’elles étaient pacifistes à l’origine,

les mes manifestations sont devenues rapidement violentes.

Dans un tel contexte d’extrême instabilité et de violence, le CSFA a donné un ultimatum

à Morsi afin qu’il démissionne. Devant son refus d’agir, le 3 juillet 2013, le chef d’état-

major de l’armée égyptienne a mis fin aux fonctions de Mohamed Morsi et l’a remplacé

par le président de la Haute Cour constitutionnelle, Adli Mansour. Il a également annoncé

la suspension de la Constitution ainsi que la tenue prochaine d’élections législatives et

présidentielle. Morsi a été détenu par les forces égyptiennes pour diverses accusations,

notamment celles d’assassinat de soldats et de conspiration avec le Hamas.

Bref, c’était un retour à la case départ pour l’Égypte, qui se retrouvait à nouveau avec

l’armée au pouvoir et sans véritable chef d’État.

1.4 Coup d’État ou révolution?

Certaines personnes, notamment les partisans de Mohamed Morsi, considèrent que les

actions menées par l’armée égyptienne, le 3 juillet 2013, correspondent à un coup d’État

et critiquent vivement cette institution d’avoir agi ainsi. Ceux-ci considèrent, dans le

même ordre d’idées, que le départ forcé de Morsi par l’armée égyptienne était illégitime.

24

Ibid., p. 5.

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9

Toutefois, nous sommes en désaccord avec une telle position et nous considérons plutôt

que le terme approprié aux évènements du 3 juillet est celui de « révolution ». Avant d’en

arriver à une telle position, il importe, en premier lieu, de bien définir les deux termes.

Par définition, un coup d'État est « un renversement du pouvoir par une personne investie

d'une autorité, de façon illégale et souvent brutale ». 25

Ainsi, celui-ci se distingue d’une

révolution étant donné qu’elle implique un soulèvement populaire et l’appui de la

population. Dans un tel contexte, nous jugeons incorrect d’utiliser le terme « coup

d’État » pour décrire les évènements en Égypte, étant donné que l’armée n’a pas agi par

son unique volonté, mais plutôt avec l’appui d’une grande partie de la population. En

effet, comme nous le verrons à travers l’analyse spécifique du rôle joué par les

manifestants dans la crise égyptienne, le groupe anti-Morsi appelé « Tamarod » avait

récolté plus de 22 millions de signature réclamant la démission du président, avant même

l’intervention de l’armée. Bref, nous considérons que le CSFA a agi ainsi pour répondre

aux demandes de la population et non dans son seul intérêt. Pour cette raison, les

évènements du 3 juillet 2013 correspondraient à une révolution et non à un coup d’État.

2. Les acteurs de la crise égyptienne

Cette section s’attardera plus spécifiquement au rôle joué par chaque acteur dans la crise

égyptienne.

2.1 Acteurs infra-étatiques

Les acteurs infra-étatiques inhérents à la crise égyptienne sont les différents groupes

religieux présents au pays. À cet égard, il est important de comprendre que la dimension

religieuse occupe une grande place en Égypte. À titre d’exemple, tel qu’inscrit dans la

Constitution, la religion d’État est l’Islam et le droit à la liberté de religion est garanti

pour tous les Égyptiens.26

Pour bien comprendre les dynamiques du pays, il est essentiel

de se rappeler que sa population est principalement musulmane à 90 %, avec une majorité

sunnite. Parmi les musulmans, on retrouve notamment les salafistes, qui revendiquent un

retour aux fondements de l’Islam. Également, il y a les Frères musulmans, dont nous

25

Pierre Avril et Jean Gicquel. Lexique De Droit Constitutionnel. Paris, Presses Universitaires De France,

2003. 26

Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. « Egypt : Constitutional Declaration of July 8,

2013 », http://www.wipo.int/wipolex/fr/text.jsp?file_id=297858, (Consulté le 23 novembre 2013).

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10

parlerons plus en détails dans la section portant sur les acteurs étatiques. Finalement, les

chrétiens Coptes sont la principale minorité religieuse et représentent environ 9 % de la

population, soit près de 10 millions d’Égyptiens.27

Il est évident que les relations entre les différents groupes religieux ont eu des

conséquences dans le déroulement de la crise égyptienne. Les impacts de celles-ci ont

notamment été observables pendant les élections législatives de 2012. Comme nous

l’avons mentionné précédemment, la modification apportée par le CSFA concernant les

partis politiques a favorisé l’émergence de nouveaux partis. Ainsi, les Frères musulmans,

les salafistes et les chrétiens ont pu établir leur propre parti politique. À titre d’exemple,

les salafistes ont fondé le parti de la Lumière, « Al-Nour », en juin 2011, tandis que les

coptes se sont ralliés rapidement au nouveau parti libéral des Égyptiens libres, créé par le

milliardaire chrétien Naguib Sawiris. Cette implication politique représentait tout un

changement pour ces deux groupes religieux. En effet, avant le début des révolutions en

Égypte, les salafistes adoptaient une attitude envers la politique qui « avait auparavant

toujours oscillé entre l’indifférence et la condamnation comme activité impie ».28

Or,

étant donné les gains politiques possibles associés aux élections législatives, les salafistes

ont changé de position, ce qui leur a permis d’obtenir 22,5 % des votes et 121 sièges à

l’assemblée du peuple, ce qui est non négligeable.29

Ce nouvel intérêt pour la politique a également été partagé par les chrétiens, qui, depuis

près de trois décennies, démontraient plutôt une attitude passive en la matière.30

En effet,

comme nous l’avons vu, l’Église a apporté son soutien au parti des Égyptiens libres. En

partie grâce à celle-ci, ce parti politique a pu rassembler plus de 100 000 membres en

quelques mois et a obtenu 14 sièges suite aux élections législatives.31

27

Fatiha Kahouès. « Les Frères musulmans et les chrétiens dans la révolution égyptienne ». Confluences

Méditerranée, 2011/4, N° 79, p. 147-148. 28

Clément Steuer. « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans les

élections législatives ». p. 96. 29

Ibid., p. 101. 30

Fatiha Kahouès. « Les Frères musulmans et les chrétiens dans la révolution égyptienne ». p. 155. 31

Clément Steuer. « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans les

élections législatives ». p. 96.

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11

Toutefois, il faut souligner que les chrétiens avaient certaines inquiétudes en lien avec la

révolution égyptienne. En effet, malgré leur désir qu’une réelle démocratie soit instaurée

en Égypte, ils craignaient que la majorité islamiste prenne le pouvoir et qu’ils soient

encore plus marginalisés.32

La victoire impressionnante des islamistes aux élections

législatives ainsi que l’élection de Mohamed Morsi ont donc confirmé leurs craintes. À ce

propos, avant la révolte, les coptes étaient déjà victimes de discrimination, notamment en

ce qui concerne l’accès limité aux hautes positions dans la fonction publique.33

Par ailleurs, les tensions entre les chrétiens et les musulmans se sont accentuées pendant

la crise égyptienne. Celles-ci ont particulièrement été présentes lors du référendum

constitutionnel qui a eu lieu en 2011; les musulmans votaient en grande majorité « oui » à

celui-ci, contrairement aux chrétiens qui étaient dans le camp du « non ». La question de

la charia était d’ailleurs le principal enjeu politique de ce référendum et cela a créé

certaines controverses au sein de la population.34

Or, les risques associés à de tels conflits

religieux sont très présents, étant donné qu’il s’agit d’un conflit que l’on pourrait qualifier

de latent. En effet, les violences interconfessionnelles risquent de se transformer en

guerre civile si l’État, donc l’armée, venait à s’affaiblir et à perdre le contrôle.

Bref, la crise égyptienne a permis une plus grande participation sur le plan politique des

différents groupes religieux tels les salafistes et les coptes, notamment en leur permettant

de créer leur propre parti politique. Néanmoins, l’augmentation des violences

interconfessionnelles demeurent une source d’inquiétude en Égypte étant donné qu’elles

démontrent la présence d’un conflit latent.

2.2 Acteurs étatiques

2.2.1 Le pouvoir en place

Évidemment, les dirigeants en Égypte ont joué un rôle crucial dans le déroulement des

évènements au pays. À ce propos, nous avons été témoins d’une alternance du pouvoir

entre l’armée et les politiciens. Tout d’abord, rappelons-nous qu’au début de la

révolution, soit le 25 janvier 2011, Hosni Moubarak était au pouvoir et occupait cette

32

Fatiha Kahouès. « Les Frères musulmans et les chrétiens dans la révolution égyptienne ». p. 148. 33

Ibid. 34

Bernard Rougier. « Élections et mobilisations dans l'Égypte post-Moubarak ». p .87.

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12

position depuis plus de 30 ans. Ainsi, la population égyptienne était habituée à son

régime autoritaire et, sans le « printemps arabe », ce type de régime aurait probablement

perduré par le passage du pouvoir au fils du tyran, soit Gamal Moubarak.

Dès le début de la révolution, Hosni Moubarak a utilisé la répression pour mettre un

terme à celle-ci en demandant à l’armée d’intervenir, ce qu’elle a refusé de faire. Le fait

qu’il ait tenté de réprimer le mouvement de révolte par la violence a certainement joué un

rôle dans la propagation de celui-ci, étant donné que cela a motivé la population à mettre

un terme à la tyrannie du dirigeant. À la suite du départ de Moubarak, c’est l’armée qui a

pris le contrôle du pays. Comme nous le verrons dans la prochaine section, celle-ci a

entrepris diverses actions dans le but d’apaiser la colère de la population et de faciliter la

transition démocratique. À la suite de l’élection de Mohamed Morsi en 2012, premier

président dans l’histoire du pays à ne pas être un militaire, la situation est revenue

rapidement à la case départ étant donné que la population était insatisfaite du dirigeant.

Encore une fois, le fait que Morsi ait autorisé l’armée à utiliser la violence contre la

population et le refus de l’armée d’obtempérer sont des facteurs qui ont certainement

contribué à la chute de celui-ci. Finalement, depuis le départ du président le 3 juillet

2013, c’est le président de la Haute Cour constitutionnelle qui est à la tête du pays et il

travaille en étroite collaboration avec l’armée.

Dans un tel contexte, pour bien comprendre la dynamique entre les acteurs au pouvoir, il

est intéressant de chercher à comprendre le rapport de forces qui prévalait en matière de

pouvoir politique en Égypte avant les révoltes arabes. Cette situation est bien résumée par

Mélissa Rahmouni qui explique que « ce [rapport de forces] reposait sur trois principaux

piliers : le président; le Parti national démocratique (PND), qui s’apparente plus à un

organe de soutien du président qu’à un véritable parti politique doté notamment d’un

programme; et enfin l’armée. […] En revanche, l’armée, acteur de l’histoire égyptienne

depuis Nasser et les Officiers libres, semblait beaucoup plus discrète et retranchée dans

les coulisses du pouvoir. »35

35

Mélissa Rahmouni. « L’Égypte après Moubarak ». p. 2.

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13

Ainsi, nous pouvons dire que la crise égyptienne a permis la consolidation du pouvoir

d’un acteur important en Égypte, soit le Conseil suprême des forces armées. La prochaine

section présentera justement le rôle crucial joué par cet acteur dans la révolution.

2.2.2 Le Conseil suprême des forces armées (CSFA)

Le Conseil suprême des forces armées est certainement l’acteur ayant joué le plus grand

rôle dans le cadre de la crise égyptienne. Avant de chercher à comprendre les

conséquences de son implication dans celle-ci, il importe de clarifier dans quelle mesure

l’armée égyptienne est l’une des plus puissantes institutions en Égypte.

Tout d’abord, l’armée est particulièrement prestigieuse en fonction de ses effectifs, qui

comptaient, en 2011, plus de 438 000 militaires et 479 000 réservistes, ce qui fait que

l’Égypte dispose d’une des plus importantes puissances militaires en Afrique.36

L’armée

bénéficie d’une importante aide américaine, principalement en matériel, formation et

financement.37

Également, elle joue un rôle fondamental dans l’économie du pays. En

effet, elle est souvent citée «comme une véritable entreprise, la première du pays selon

plusieurs sources, et qui pèserait jusqu’à 25 % du produit intérieur brut, tandis qu’elle

représente directement 10 % de l’emploi en Égypte et même 20 % de l’emploi national si

l’on ajoute les services civils dans lesquels elle a diversifié son activité. »38

En plus de se

distinguer et de jouir d’une très grande importance sur les plans économique et militaire,

l’armée égyptienne occupe également une place fondamentale dans la vie des Égyptiens.

En effet, il existe un fort sentiment d’appartenance lié à l’armée au pays et avoir une

carrière militaire représente un excellent moyen de promotion sociale. Ce sentiment se

traduit en partie du fait que l’armée possède « un énorme capital de confiance, de

sympathie et de vénération dans la population ».39

À ce propos, selon Roland Lombardi, il serait incorrect de penser que l’armée n’aurait

pris le pouvoir qu’après le départ de Moubarak, car cette institution le possédait déjà

depuis le 23 juillet 1952 étant donné que, suite au renversement de la monarchie, « ce

36

Ibid. 37

Jean-François Coustillière. « Les forces armées dans les révoltes arabes ». p. 77. 38

Ibid., p. 75. 39

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 1.

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14

sont toujours des chefs militaires qui se sont succédé aux commandes ».40

Cet élément est

important afin d’analyser la façon dont l’armée a géré la crise égyptienne. Ainsi, selon

Lombardi, les militaires ont « gér[é] la révolte de janvier 2011 et « récupér[é] » ce

mouvement dans le but de se maintenir au pouvoir ».41

Effectivement, dès le début de la

crise, bénéficiant d’une relation privilégié avec le peuple égyptien, les militaires ont

choisi d’adopter une position favorable à celui-ci, notamment en refusant d’utiliser la

violence contre la foule, et ce, malgré la demande du président Moubarak. Par ailleurs, ils

ont eu un discours supportant les manifestants, en martelant que la révolution était

légitime et en se portant comme défenseurs des intérêts du peuple égyptien. Dans un tel

contexte, il n’était pas surprenant d’entendre les slogans suivants scandés par les

manifestants en janvier 2011 : « l’armée et le peuple ne font qu’un! »42

Le CSFA a vu cette révolte comme une opportunité de se débarrasser d’Hosni Moubarak

et, par la même occasion, de son fils Gamal Moubarak, avec qui ils avaient une très

mauvaise réputation.43

Leur plan a donc fonctionné, car le départ du président a permis

aux dirigeants militaires de prendre le pouvoir en Égypte, se targuant d’être les garants de

l’ordre et d’une transition démocratique. Selon plusieurs observateurs, plutôt que

d’engendrer de véritables changements, le CSFA a plutôt profité de son nouveau rôle

pour consolider ses intérêts et sa position dominante dans le monde politique. Ainsi, la

situation en Égypte ne s’est guère améliorée avec l’armée au pouvoir. Toutefois,

l’élection de Mohamed Morsi a changé la donne, étant donné que l’armée n’était plus le

seul acteur disposant du pouvoir exécutif. À ce propos, comme nous l’avons vu, l’armée

a accepté les résultats de l’élection présidentielle, mais sous certaines conditions,

notamment quant au partage de certains ministères. Cette collaboration entre le nouveau

président et l’armée n’a duré qu’une seule année, puisque ceux-ci ont repris le pouvoir le

3 juillet 2013, à la suite du départ forcé de Mohamed Morsi.

Bref, il est clair que l’armée est un des acteurs principaux dans la crise égyptienne et,

comme nous l’avons démontré, elle a su habilement jouer ses cartes afin de se maintenir

40

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 1. 41

Ibid., p. 2. 42

Virginie Collombier. « Égypte : les Frères musulmans et la bataille pour le pouvoir ». p. 617. 43

Roland Lombardi. « Quel avenir pour l’armée dans la nouvelle Égypte? ». p. 2.

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15

au pouvoir et de garder un certain appui de la population, ce qui est assez remarquable.

Or, il est difficile de parler d’une rupture avec l’ancien régime, car, selon certains experts,

l’armée « a fait prévaloir la continuité à la rupture ».44

2.2.3 La confrérie des Frères musulmans

Les Frères musulmans sont, avec l’armée, le deuxième acteur central du conflit égyptien

et représentent la première force politique du pays.45

Cette organisation, fondée en 1928,

est d’ailleurs l’une des plus anciennes et des plus puissantes institutions en Égypte.

Interdite en vertu de la loi prohibant les partis à base religieuse, cette confrérie a tout de

même réussi à atteindre un niveau important d’influence, et ce, dans presque toutes les

sphères de la société égyptienne.46

L’organisation compterait entre deux à cinq millions

de membres, en plus des nombreux sympathisants qui la supportent.47

Ayant eu des

relations très mitigées par le passé avec le pouvoir politique en place, l’organisation a

tout de même réussi à maintenir sa place de choix en Égypte.

Tout comme l’armée, la confrérie des Frères musulmans a joué un rôle très important

dans la chute de Moubarak et dans la transition démocratique qui s’en est suivie.

D’ailleurs, certains experts ont dénoté l’existence de trois courants principaux au sein de

ce mouvement, qui ont caractérisé sa participation dans la révolte arabe de janvier 2011.

Ces courants sont : un mouvement conservateur, un mouvement majoritaire pragmatique,

qui cherche à concilier un conservatisme religieux et un intérêt pour la participation

politique, ainsi qu’un mouvement réformiste.48

La faction réformiste, principalement

composée de jeunes égyptiens, est celle qui a participé le plus aux révoltes, et ce, dès leur

commencement en janvier 2011. L’attitude des deux autres factions qui comportent

notamment les principaux dirigeants des Frères musulmans, était très différente étant

donné qu’ils ont d’abord refusé de s’impliquer dans le mouvement, pour finalement

officialiser le 27 janvier, soit deux jours plus tard, un appui « modéré » aux

44

Bernard Rougier. « Élections et mobilisations dans l'Égypte post-Moubarak ». p .86. 45

Mélissa Rahmouni. « L’Égypte après Moubarak ». p. 3. 46

Ibid. 47

Ibid. 48

Laura Guazzone et Simone di Tonno. « Les Frères musulmans en Égypte (1990-2011) : entre néo-

autoritarisme, réformisme et islamisme ». Maghreb - Machrek, 2011/1, N° 207, p. 137.

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16

manifestants.49

À la suite du départ de Moubarak, les Frères musulmans ont choisi

d’adopter une stratégie en trois volets, soit « la campagne nationale et internationale pour

rassurer l’opinion publique, le soutien mutuel offert à la junte militaire […] et l’annonce

depuis le 21 février de la création du parti des FM », appelé Liberté et Justice.50

Cette

stratégie a été fructueuse, car l’organisation a connu un véritable succès lors des élections

législatives de 2011 de même que lors de l’élection présidentielle tenue en 2012. En effet,

le Parti Liberté et Justice a récolté 44,6 % des votes aux élections législatives et le

président du parti, Mohamed Morsi, a pris le pouvoir du pays le 30 juin 2012.51

L’ascension de l’islamiste Mohamed Morsi au pouvoir et la reconnaissance de l’armée

accordée à celui-ci présentent de nombreuses similitudes avec les évènements qui se sont

déroulés en Turquie par le passé. Pour plusieurs observateurs, à la suite de la victoire de

Morsi, la situation égyptienne était comparable à « la démocratie électorale sous le

contrôle de l’armée, à la manière de la transition qui se déroula en Turquie entre 1980 et

1983 ».52

Une autre comparaison relève du fait qu’un parti islamique puisse accéder au

pouvoir et coopérer avec les militaires dans la gestion du pays.53

Bref, tel que nous l’avons vu, le départ de Moubarak a finalement permis à la confrérie

des Frères musulmans de créer leur propre parti politique, soit le Parti Liberté et Justice.

Les victoires de ce parti aux élections législatives et présidentielle illustrent très bien, à

notre avis, l’influence et l’importance dont dispose cette organisation au sein de la société

égyptienne. Néanmoins, le départ « forcé » de Mohamed Morsi, dû à son incapacité à

rétablir la situation en Égypte et au maintien de l’insatisfaction générale de la population,

a certainement terni la réputation de l’organisation des Frères musulmans. Ainsi, avec le

retour de l’armée au pouvoir, qui ne réjouit pas les Frères musulmans, il est difficile de

prévoir quel sera le rôle joué par la confrérie jusqu’à ce que la crise se termine.

49

Ibid., p. 137-138. 50

Ibid., p. 142. 51

Clément Steuer. « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans les

élections législatives ». p. 101. 52

Gilbert Achcar. « Les Frères musulmans pour une transition dans l’ordre ». p. 4. 53

Ibid.

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17

2.2.4 Les manifestants

Les manifestants ont également joué un rôle crucial dans la crise égyptienne, parce que,

sans eux, les révoltes du « printemps arabe » n’auraient jamais débuté. Néanmoins,

malgré le fait que les manifestations de grande envergure aient commencé le 25 janvier

2011 en Égypte, plusieurs groupes de la population contestaient déjà le régime de

Moubarak avant cette date. À ce propos, il serait possible de dire que le groupe Kifāya,

qui signifie « assez » ou « ça suffit » est, en quelque sorte, l’ancêtre du mouvement

révolutionnaire en Égypte. Celui-ci, établit en 2004, est né en solidarité avec la seconde

Intifada palestinienne et a été formé par une coalition de gauchistes, de nationalistes et

d’islamistes.54

Les membres de Frères musulmans, notamment, ont participé à ce

mouvement. Par ailleurs, celui-ci possède de nombreuses similitudes avec le mouvement

protestataire de 2011, étant donné qu’ils avaient des objectifs communs, tels que la

démocratisation du pays ainsi que le départ du président Moubarak.55

Néanmoins, la

principale distinction entre les deux mouvements est que celui de Kifāya n’a pas connu

l’ampleur des révoltes de 2011 et n’a jamais réussi à être autant organisé. Toutefois, il a

permis de « maintenir en vie le sens de la protestation chez les citoyens égyptiens », et,

en ce sens, a favorisé l’émergence du mouvement de protestation en 2011.56

Par ailleurs,

suite à la création du groupe Kifāya en 2004, de nouveaux mouvements sociaux voient le

jour. Ceux-ci revendiquent principalement des réformes socio-économiques ainsi que des

initiatives afin de réformer le pouvoir politique.

Or, il existe certaines différences entre de tels mouvements et celui qu’a connu l’Égypte

en janvier 2011. Tout d’abord, la révolte égyptienne a principalement été organisée via

les réseaux sociaux et Internet, ce qui était une nouveauté dans la façon de mobiliser les

gens. Également, les initiateurs et les principaux organisateurs de ce mouvement ont été

principalement des jeunes qui se sont inspirés des évènements en Tunisie.57

À ce propos,

il s’agit de la première fois que « des mouvements de jeunesse sont en mesure de gagner

la sympathie de différents secteurs de la société égyptienne », ce qui est un exploit.

54

Ibid. 55

Nadine Sikka. « Nouveaux mouvements sociaux et révolution égyptienne ». Outre-Terre, 2011/3, n° 29,

p. 368. 56

Ibid., 57

Sarah Ben Néfissa. « Révolution civile et politique en Égypte. La démocratie et son correctif». p. 48.

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18

Malgré tout, il est difficile pour nous de dresser un profil spécifique des personnes ayant

participé aux manifestants, étant donné que l’on retrouvait des Égyptiens de toutes les

sphères de la société. Pour illustrer cet appui général de la population, pensons au rôle

joué par le groupe Tamarod, qui signifie « rébellion », qui s’est constitué en avril 2013

alors que Mohamed Morsi était au pouvoir et qui réclamait la démission de ce dernier. En

effet, Tamarod a réussi à obtenir plus de 22 millions de signatures réclamant le départ de

Morsi, ce qui représente plus du quart de la population égyptienne.58

Cet élément est

considérable dans notre analyse, car cela confirme que, comme nous l’avons avancé

précédemment, l’intervention de l’armée du 3 juillet 2013 n’était pas un coup d’État,

puisque le CSFA disposait de l’appui d’une partie importante de la population.

Bref, il est impossible de dire que la société égyptienne était dépolitisée avant le

« printemps arabe », car des mouvements de contestation existaient déjà au pays, mais ils

avaient une moins grande envergure que celui de janvier 2011. Par ailleurs, une autre

conséquence importante de la révolte égyptienne est qu’elle a permis « l’entrée en

politique de la jeunesse et également [celle] des couches sociales considérées comme

favorisées ».59

Bref, il est clair que les manifestants, soit une grande partie de la population égyptienne,

ont joué un rôle central dans la révolution étant survenue au pays, car, sans eux, celle-ci

n’aurait jamais eu lieu. Également, cette expérience a permis aux Égyptiens

d’expérimenter, pour la première fois, « l’expérience pratique de la souveraineté

populaire qui a fait tomber le président Hosni Moubarak ».60

2.3 Acteurs régionaux

Malgré le fait que la crise à l’étude se soit déroulée à l’intérieur des frontières de

l’Égypte, certains acteurs régionaux ont joué un rôle dans celle-ci. Avant d’élaborer sur

les rôles joués par ces différents acteurs, il est légitime de se questionner à savoir si un tel

mouvement de révolte se serait répandu en Égypte en 2011, sans les évènements s’étant

58

Hamza Hendawi. « Egypt group: 22 million signatures against Morsi ». Yahoo News, 29 juin 2013,

http://news.yahoo.com/egypt-group-22-million-signatures-against-morsi-125919145.html, (Consulté le 23

novembre 2013). 59

Sarah Ben Néfissa. « Révolution civile et politique en Égypte. La démocratie et son correctif». p. 51. 60

Ibid., p. 53.

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19

déroulés en Tunisie, en décembre 2010, et qui ont ultimement mené à la chute du

président Ben Ali. Gardons en tête que cet « effet domino » dans la région s’est d’ailleurs

propagé dans d’autres pays, notamment en Libye et en Syrie, et a résulté en ce qui est

désormais connu comme le « printemps arabe ».

2.3.1 Israël

Bien qu’il figure parmi la liste des acteurs régionaux, Israël n’est pas vraiment intervenu

dans la crise égyptienne. Toutefois, étant donné l’existence du traité de paix entre le pays

et l’Égypte, signé en 1979, et leurs relations bilatérales, un changement politique en

Égypte aurait nécessairement de graves conséquences sur son voisin. Par ailleurs, la

principale crainte des Israéliens était que, à la suite du départ de Moubarak, le pouvoir

politique soit accaparé par des groupes islamistes tels les Frères musulmans et que les

révoltes égyptiennes ne résultent non pas en démocratie mais plutôt en un pouvoir

antisémite. Dans cet ordre d’idées, il est clair que les victoires des musulmans aux

élections législatives et celle de Morsi ont été vues d’un mauvais œil et qu’elles ont été

une source d’inquiétude pour les Israéliens.

Toutefois, une étude plus approfondie du comportement d’Israël lors de la crise

égyptienne montre une certaine forme d’hypocrisie de la part des dirigeants israéliens à

l’égard de leur position sur la démocratie. En effet, comme l’indique Avi Shlaim, « Israël

s’est toujours présenté aux yeux du monde comme un îlot de démocratie au milieu d’une

mer d’autoritarisme ».61

Dans un tel contexte, il aurait été logique que les leaders

israéliens appuient et encouragent le mouvement égyptien réclamant plus de démocratie

au pays, ce qui n’a pas été le cas. Cette réaction a été justifiée par certains observateurs

par le fait que les Israéliens, notamment à cause de leur histoire particulière, ont toujours

eu une forme de méfiance et de dédain à l’égard des Arabes, particulièrement des

Palestiniens.62

Ainsi, Israël ne se sentait pas du tout interpellé par les évènements se

déroulant au Moyen-Orient, ayant plutôt un sentiment d’appartenance avec le monde

occidental.

61

Avi Shlaim. « Israël, les États-Unis et le printemps arabe ». Mouvements, 2011/2, p. 136. 62

Ibid., p. 136

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20

Chose certaine, l’attitude d’Israël à l’égard des révoltes arabes, et plus précisément de la

crise égyptienne, illustre « la contradiction interne, pour ne pas dire l’hypocrisie, de la

position d’Israël sur la démocratie. »63

2.3.2 Les pays du Golfe

Quatre pays du Golfe, divisés en deux camps, ont principalement été impliqués dans la

crise égyptienne. D’un côté, nous retrouvons l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis

ainsi que le Koweït et, de l’autre, le Qatar.64

Le principal élément d’opposition entre les

deux groupes concerne le support offert aux Frères musulmans. Alors que le premier

groupe ne supporte aucunement la confrérie, le Qatar l’encourage de différentes façons.

L’opposition entre les deux groupes de pays du Golfe a particulièrement été observable

en juillet 2013, soit à la suite de la destitution du pouvoir de Mohamed Morsi par l’armée.

En effet, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït se sont réjouis de cet

évènement et de la reprise du contrôle de l’Égypte par l’armée. Néanmoins, le support de

ces pays à l’égard du CSFA n’est pas seulement diplomatique, étant donné qu’au

lendemain de la destitution de Morsi, ils ont promis au nouvel exécutif le versement de

douze milliards de dollars, dont cinq milliards pour l'Arabie saoudite, quatre pour le

Koweït et trois pour les Émirats arabes unis.65

Cette aide est particulièrement utile pour

l’Égypte étant donné qu’elle est offerte sous forme de « pétrodollars du Golfe », qui vont

directement contribuer à renflouer les coffres du Caire. Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a

également supporté financièrement le parti salafiste « Al-Nour », qui est principalement

orienté sur des questions religieuses à l’instar du port du voile islamique.66

Une telle position était donc totalement contraire à celle adoptée par le Qatar, qui a offert

plus de sept milliards de dollars en aide financière à l’Égypte alors que Morsi était au

63

Ibid., p. 139. 64

Lepoint. « Comment le Qatar et l’Arabie Saoudite s’affrontent en Égypte ». 21 août 2013,

http://www.lepoint.fr/monde/comment-le-qatar-et-arabie-saoudite-s-affrontent-en-egypte-21-08-2013-

1716008_24.php, (Consulté le 19 novembre 2013). 65

Ibid. 66

Dominique Cettour-Rose. « L’Arabie Saoudite supplante le Qatar en Égypte ». Géopolis, 12 juillet 2013,

http://geopolis.francetvinfo.fr/larabie-saoudite-supplante-le-qatar-en-egypte-19145, (Consulté le 19

novembre 2013).

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21

pouvoir. Par ailleurs, pendant la crise, la Turquie et le Qatar avaient soutenu les Frères

musulmans et le PLJ de même que des forces islamistes dans d’autres pays.

Il est intéressant de chercher à comprendre les motifs qui sous-tendent de telles positions.

Tout d’abord, le premier groupe, opposé aux Frères musulmans et supporteur de l’armée

égyptienne, craint que les révolutions en Égypte se transportent dans leur pays.67

Ces

pays considèrent que la confrérie est un « mouvement islamiste jugé déstabilisateur par

son potentiel révolutionnaire » qui pourrait donc menacer la stabilité des monarchies du

Golfe.68

À titre d’exemple, lors du printemps arabe, en 2011, des chiites, minoritaires en

Arabie Saoudite, ont manifesté en réclamant la fin des discriminations à leur égard.69

Or,

Riyad a répliqué violemment afin de mettre un terme à ce mouvement de contestation

avant qu’il ne prenne de l’ampleur. Par ailleurs, étant donné l’aide financière attribuée

aux Frères musulmans par le Qatar, le support de l’Arabie Saoudite offert aux groupes

salafistes visait à réduire l’influence de Doha en Égypte.

De son côté, le Qatar s’est défendu que son aide, attribuée dès les débuts de la révolution,

ne visait pas à aider spécifiquement les Frères musulmans, mais plutôt l’Égypte en

entier.70

Par ailleurs, selon le doctorant spécialiste du Qatar, monsieur Nabil Ennasri,

« outre la connivence idéologique entre [les Frères musulmans] et une partie de l'appareil

d'État du Qatar, [ils] présentaient l'avantage d'avoir la légitimité des urnes ».71

Finalement, un autre élément qui pourrait justifier la position du Qatar est le fait que,

contrairement aux autres monarchies du Golfe, Doha ne craint pas du tout que la

révolution égyptienne puisse se propager au Qatar, considérant que la population du pays

est totalement dépolitisée.72

67

Lepoint. « Comment le Qatar et l’Arabie Saoudite s’affrontent en Égypte ». 68

Ibid. 69

Ibid. 70

Lepoint. « Le Qatar dit aider l'Égypte, non les Frères musulmans ». 18 août 2013,

http://www.lepoint.fr/monde/le-qatar-dit-aider-l-egypte-non-les-freres-musulmans-18-08-2013-

1715128_24.php, (Consulté le 19 novembre 2013). 71

Lepoint. « Comment le Qatar et l’Arabie Saoudite s’affrontent en Égypte ». 72

Ibid.

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22

Finalement, le Koweït, impliqué dans une moins grande mesure dans le conflit que les

autres monarchies du Golfe, a récemment tenté de réconcilier les différents partis

impliqués lors d’un sommet tripartite qui a été tenu le 24 novembre 2013 à Riyad.73

2.4 Acteurs internationaux

2.4.1 Les États-Unis

Le principal acteur international impliqué dans la crise à l’étude est les États-Unis, de par

les relations diplomatiques et économiques que ce pays entretient avec l’Égypte. En effet,

depuis les Accords de Camp David où il avait agi à titre de médiateur entre l’Égypte et

Israël, le gouvernement américain entretient d’excellentes relations avec le pouvoir

égyptien. Rappelons également que l’armée égyptienne bénéficie d’une d’aide financière

américaine à raison de plus de 1,3 milliards de dollars annuellement, ce qui a créé une

certaine dépendance égyptienne face aux Américains.74

Par ailleurs, cette dépendance est

bien présentée par Mélissa Rahmouni : « La puissance militaire égyptienne est fondée sur

l’aide américaine […] qui suppose un alignement de l’Égypte sur la politique régionale

des États-Unis, un « impératif de nécessité » puisque les États-Unis sont le premier

partenaire commercial et investisseur en Égypte. »75

Malgré cette relation privilégiée, les États-Unis, à l’instar du reste de la communauté

internationale, ont fait des appels au calme et ont demandé un rétablissement rapide de la

situation en Égypte, sans toutefois intervenir comme ce fut le cas en Libye. Cette

passivité peut d’ailleurs être perçue comme faisant partie de la « Doctrine Obama » et

viserait donc à rétablir la réputation internationale américaine ternie, notamment par

l’Administration Bush et par l’intervention militaire en Irak.76

Toutefois, Washington devait être prudent dans ses commentaires concernant la situation

égyptienne, étant donné que ceux-ci pouvaient avoir des conséquences sur les relations

73

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2013). 74

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diplomatiques avec son principal allié dans la région, soit l’Arabie Saoudite, dont la

position a été présentée précédemment. Ainsi, la décision des États-Unis de demander à

Moubarak de quitter le pouvoir a créé certaines tensions avec son allié, qui supportait le

dirigeant égyptien. Par ailleurs, Obama n’a pas vraiment critiqué l’intervention militaire

ayant conduit au départ de Mohamed Morsi du pouvoir, notamment parce que l’Arabie

Saoudite appuie fortement le Conseil suprême des forces armées.

Bref, pour bien comprendre la position américaine, relativement passive à l’égard de la

crise égyptienne, il importe de comprendre les relations entretenues entre les États-Unis

et l’Égypte, mais également celles entretenues avec son grand allié dans la région,

l’Arabie Saoudite.

Conclusion

Pour conclure, ce travail de recherche nous a permis d’avoir une meilleure

compréhension de la crise actuelle en Égypte et du rôle des acteurs inhérents à celle-ci.

Cela nous a permis d’en arriver à la conclusion que, malgré le fait que certains acteurs

externes fassent partie de cette crise, celle-ci repose principalement sur les acteurs qui

sont internes au pays, principalement l’armée égyptienne ainsi que l’organisation des

Frères musulmans.

La première partie de ce travail nous a permis de faire la chronologie des évènements

s’étant déroulés en Égypte, et ce, depuis le début de la crise en janvier 2011. Ainsi, nous

avons expliqué les manifestations et la montée rapide du mouvement de contestation qui

a mené à la chute du président Hosni Moubarak, qui exerçait son régime autoritaire

depuis plus de trente ans. Également, nous avons présenté les efforts menés dans le but de

permettre une transition démocratique, notamment les changements constitutionnels, la

tenue d’élections législatives ainsi que la tenue d’une élection présidentielle au pays,

ayant ultimement permis à Mohamed Morsi de devenir le premier civil à être président

d’Égypte. Or, Morsi n’a guère pu régler les problèmes sociaux et économiques en

Égypte, ce qui a permis au mouvement de contestation de reprendre de l’ampleur. Cette

insatisfaction générale a conduit à l’intervention militaire du 3 juillet 2013, considérée

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comme un coup d’État par les supporteurs de Morsi, où l’armée égyptienne a enlevé le

pouvoir au président du Parti Liberté et Justice. Bref, dans un tel contexte, il est possible

de parler d’un « retour à la case départ » étant donné que l’armée dirige actuellement le

pays et que la transition démocratique en Égypte est loin d’être terminée.

La deuxième partie du travail était davantage axée sur les rôles spécifiques joués par les

différents acteurs du conflit, et ce, à quatre niveaux. Sur le plan infra-étatique, nous avons

mis en lumière les rivalités interconfessionnelles présentes en Égypte qui représentent un

conflit latent et qui pourraient dégénérer si le pouvoir égyptien venait à s’affaiblir. Sur le

plan étatique, nous avons présenté les rôles respectifs du gouvernement en place, du

Conseil suprême des forces armées, de la confrérie des Frères musulmans ainsi que des

manifestants égyptiens. À cet égard, nous avons vu que le CSFA et les Frères musulmans

sont les deux principaux acteurs de ce conflit et représentent également les deux plus

anciennes et les plus puissantes institutions en Égypte. Sur le plan des acteurs régionaux,

nous avons décrit la position timide d’Israël quant à la crise, de même que celles des

monarchies du Golfe qui n’appuient pas les mêmes acteurs internes. Finalement, nous

avons également présenté la relation spéciale entre les États-Unis et l’Égypte, qui pourrait

justifier le comportement de Barack Obama dans la gestion de la crise égyptienne.

À l’heure actuelle, la crise égyptienne dure depuis plus de deux années et demie et ne

semble pas sur le point d’être réglée. Dans un tel contexte, nous jugeons qu’il serait

intéressant, dans un travail futur, de nous pencher sur les diverses solutions et les

alternatives qui pourraient être mises de l’avant par la communauté internationale afin de

permettre une sorte de crise et, par le fait même, restaurer un climat paisible en Égypte.

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