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Table des matières

ÉlectionsenRépubliqueDémocratiqueduCongo:victoire(s)politique(s),défaitedémocratique,

alternancesymbolique?

ParSidneyLeclercq

Page1

Nouvellesetannonces

Page8

Bulletin

FrancoPaixVol.4,no5|Mai2019

Par Sidney Leclercq

Résumé exécutif

• Largementcélébréecommelapremièrealternancepacifiquedupouvoirdepuisl’indépendancedupaysen1960,l’élection‘surprise’dunouveauprésidentissudel’oppositionhistoriquereflètecependantunprocessusetunrésultatélectoralbienpluscomplexes.

• Lesélectionsontconsacréunedoublevictoirepolitique:pourlecandidatdel’oppositionFélixTshisekediquidevientprésidentet,paradoxalement,poursonprédécesseurdontlacoalitionremporteunevictoireécrasanteauxélectionslégislativesnationalesetprovinciales.Parconséquent,siJosephKabilan’estplusàlatêtedupays,ilsembleencorelargementendétenirlepouvoir.

• Ladissonancedecettedoublevictoireainsiquelesfuitesprovenant de la Commission Électorale NationaleIndépendante(CENI)etdelaConférenceépiscopalenationaleduCongo(CENCO)remettentencauselavéracitédesrésultatsofficiels.Ceux-ciseraientenfaitlefruitd’unarrangementpolitiqueentrelesdeuxcoalitions.

• Cettecontinuitédansl’alternanceestlargementleproduitd’unesériedetechniquesdesubversiondémocratiqueparl’ex-PrésidentKabila.Celles-ciconsistantàs’approprierlescodes,institutionsetmécanismesdeladémocratielibéraledanslebutparadoxaldel’affaiblir.

• Leprocessusélectoral(etsapréparation)démontreàlafoisl’habiletédeJosephKabilaàreconfigurerdespratiquesautoritairesàtraversdesrèglesd’apparencedémocratiquemaisaussi sa résiliencepour s’adapterà l’évolutiondecontraintesetpressionsaussibieninternesqu’externes.

• Endépitdelamanipulationélectoraleévidente,lesrésultatsofficielsontfinalementétéacceptésparlacommunautéinternationale.Celle-ci,craignantpourlastabilitédupaysetn’ayantdetoutefaçonquepeud’espoirquantàunsuccèsduprocessusélectoral,s’est largementrésignéefaceaucompromisimposéparlescampsTshisekedietKabila.

Élections en République Démocratique du Congo : victoire(s) politique(s), défaite démocratique, alternance symbolique ?

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« Par un mélange d’arrangements politiques, de manipulations électorales et de subversion démocratique, l’ancien président et son entourage semblent avoir ainsi réussi à produire une configuration politique inédite permettant à la fois de conserver le contrôle des institutions de l’État – et sa rente politico-économique – tout en offrant une alternance présidentielle dont la marge de manœuvre dans l’exercice du pouvoir parait largement symbolique ».

Le24janvier2019,FélixTshisekediaprêtésermentetestdevenulecinquièmeprésidentdelaRépubliqueDémocra-tiqueduCongo.IlsuccèdeainsiàJosephKasa-Vubu(1960-1965),Joseph-DésiréMobutu(1965-1997),Laurent-DésiréKabila (1997-2001) et Joseph Kabila (2001-2019). Ce der-nier,nomméaprèsl’assassinatdesonpère,aexercélepou-voirpendantunepérioded’intérim (2001-2003),de tran-sition (2003-2006) puis durant deux mandats électorauxdecinqans–lemaximumselonlaConstitutioncongolaise,dont ledernieraétéprolongédedeuxans jusqu’à l’orga-nisation des élections générales du 30 décembre 2018,soit18annéesaupouvoir.Largementcélébréecomme lapremière alternance pacifique du pouvoir depuis l’indé-pendance, l’élection ‘surprise’ du nouveau président issude l’oppositionhistoriquereflètecependantunprocessusetunrésultatélectoralbienpluscomplexes.DenombreuxélémentssuggèrenteneffetquesiJosephKabilan’estplusàlatêtedupays,ilendétientencorelargementlepouvoir.

Par unmélange d’arrangements politiques, demanipula-tions électorales et de subversion démocratique, l’ancienprésident et son entourage semblent avoir ainsi réussi àproduire une configuration politique inédite permettantà lafoisdeconserverlecontrôledesinstitutionsdel’État–etsarentepolitico-économique–toutenoffrantuneal-

ternanceprésidentielledont lamargedemanœuvredansl’exercicedupouvoirparaitlargementsymbolique.Dèslorset en dépit de l’apparence de changement, ces électionsneproduiraientqu’uneformedecontinuitéetneseraientqu’une reconfiguration d’unmême pouvoir. La nature etlesconséquencesdeceprocessusélectoral–et la recon-naissanceinternationaledontilafaitl’objet–posentainsiplusieursquestions,àlafoissurlaviabilitéàmoyenetlongtermed’unecohabitationdefaitentrelaplateformeélec-toraleduprésidentetcelledesonprédécesseur,etsurlemessageenvoyéauxCongolaisquantàleursaspirationsdé-mocratiquesetlesmoyensd’accéderaupouvoirpolitiqueenR.D.Congo.

Une élection historique et une double victoire politique

Espéréespuisreportéesplusieursfois, lesélectionsgéné-ralescongolaisesontfinalementététenuesle30décembre2018,deuxansaprèslafindumandatofficielduPrésidentKabila.Troisscrutinsontétéorganisés:l’électionprésiden-tielle (àuntour)et lesélections législativesnationalesetprovinciales.Lesdéputésprovinciauxélusontà leur tourdésigné les sénateurs et gouverneurs des provinces lorsd’électionsorganiséesles14marset10avril2019.Justifié

Photo:SidneyLeclercq

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pardesmenaces sécuritaires ou sanitaires (liées au virusEbola), la Commission ÉlectoraleNationale Indépendante(CENI)areportélatenuedesscrutinsdanstroisvilles im-portantesdupays:Béni,ButemboetYumbi.Danscesvilles,lesélectionssesontfinalementdérouléesle31mars2019,àl’exceptionduscrutinprésidentielquiaétésimplementsupprimé.Àcejourdonc, l’ensembledesrésultatsdecesélectionsgénéralessontconnus,saufceuxdequatregou-vernoratsdontl’électionaétéreportéeau30maiprochain (provincesduNord-Kivu,deMai-Ndombe,duSud-UbangietduSankuru).

Pourlescrutinprésidentiel,JosephKabila(inéligibledufaitdelalimiteconstitutionnellededeuxmandatsconsécutifs)et sa majorité présidentielle avaient désigné EmmanuelRamazani Shadary, ancienMinistre de l’Intérieur et de laSécurité,pourreprésenterleFrontCommunpourleCongo(FCC), la coalitiondespartisde lamajoritéprésidentielle.Faceàlui,l’oppositioncongolaiseatentédes’uniretpro-poseruncandidatunique.Aprèsd’intensesnégociationsàGenève,c’estMartinFayulu,présidentd’unpetitpartid’op-position(Engagementpourlacitoyennetéetledéveloppe-ment–ECiDé)quifutdésignécommecandidatuniquedel’opposition.Moinsconnuetpopulaire, ilétait ledénomi-nateur commun permettant aux grandes figures de l’op-positioncommeMoïseKatumbi, Jean-PierreBemba (tousdeuxempêchésdeseprésenter),FélixTshisekediouVitalKamerhe de s’accorder collectivement tout en s’assurantqu’ilnepuisses’émanciperdeleursoutienultérieurement.Cetaccordn’auracependantduréque24heures, labasedel’Unionpour laDémocratieet leProgrèsSocial(UDPS)deFélixTshisekedin’acceptantpasquelepartisoitrepré-sentéparunautrecandidat.Lefilsdel’opposanthistoriqueÉtienneTshisekedi,décédéenfévrier2017,décidaalorsdeseprésentersousuneautreplateformed’opposition,Cappour le Changement (Cach), avec un autre parti, l’Unionpour laNationCongolaise (UNC)deVitalKamerhe (deve-nuaujourd’huiDirecteurdecabinetduprésident).Poursapart,MartinFayuludécidadesemaintenircommecandidatdurestedespartisreprésentésàGenève,souslabannièrede la coalition Lamuka.C’estdoncprincipalement autourdecetriangleFCC(Shadary),Cach(Tshisekedi)etLamuka(Fayulu)quelesélectionsgénéralessesontdisputées.

En dépit d’obstacles pré-électoraux et d’irrégularités, deviolencesouderestrictionsdudroitdevotelejourduscru-tin1, les Congolais se sont largementdéplacéspour voter(tauxdeparticipationde47,56%).Leglissementducalen-drierélectoraletlaperspectived’unchangementpost-Ka-bila ont contribué à la ferveur électorale congolaisemal-grélaméfiancegénéraliséeautourduprocessus.Desfiles

d’attentessesontmême forméesdanscertainesvillesoùl’électionavaitétéreportée,beaucoupsouhaitantexprimerleurvote,mêmesymboliquement.AnnoncésparlaCENIle10janvierpuisvalidésparlaCourconstitutionnelle10joursplustard,lesrésultatsconsacrentunedoublevictoirepoli-tique.Victoirehistoriquepour lecandidatde l’opposition,Félix Tshisekedi, qui devient président de la Républiqueavec38%desvoixcontre34%pourMartinFayuluetseu-lement23%pourlecandidatduFCC,EmmanuelShadary.Victoire aussi, paradoxalement,pour le FCCqui remporteunegrandemajoritédessiègesàlafoisauniveaunationaletprovincial.Eneffet,lacoalitiondeJosephKabilaaobte-nu341siègessurles500del’Assembléenationale,contre104pourlacoalitionportéeparMartinFayuluetseulement47pourlacoalitionduprésidentélu2.Cesrésultatsontlo-giquement permis au FCC de prendre le contrôle de l’As-sembléenationale,duSénat,desassembléesprovincialesainsiquedesgouvernoratsprovinciauxdont18sur les22déjàélus reviennentàdespersonnalitésduFCC– contreunseulpourCachetunseulpourLamuka.Miseàpart laPrésidence, c’estdoncun raz-de-maréeélectoralpour lespartisansdeJosephKabila.

Une défaite démocratique : le vote otage des arrangements politiques

Cette double victoire est néanmoins surprenante à plu-sieurs égards. D’abord, elle suggère qu’une grande partiedelapopulationaitvoté(lemêmejour)pourunecoalitiondifférenteauscrutinprésidentieletauscrutinlégislatif.EneffetsilacoalitiondeTshisekediaobtenu38%desvoixàl’électionprésidentielle,ellen’aobtenuque9%dessiègesauParlementnationaltandisqueleFCCaobtenu68%desmêmes sièges pour seulement 23% des voix à l’électionprésidentielle. L’ampleur de la différence entre les deuxvotesengendrecertainesinterrogationsquantàlavéracitédesrésultatsannoncés.

Ensuitecarlesrésultatsdel’électionprésidentiellepubliésparlaCENIcontredisentàlafoislesdonnéesobtenuesparles 40.000 observateurs de la Conférence épiscopale na-tionaleduCongo(CENCO)portantsur43%desvotesmaisaussicellesissuesd’unefuitedelabasededonnéesdelaCENIportantsur83%deceux-ci.CesdeuxsourcesrévèlentquelegagnantseraitenfaitMartinFayulu,avec59%desvoixselonlesdonnéesdelaCENCOet62%seloncellesfui-tantdelaCENI.FélixTshisekedin’auraitluiobtenuqu’entre15%(CENCO)et19%desvoix(CENI)etEmmanuelShadaryenviron18%.Lacorrélationquasi-parfaiteentrelesrésul-tats issusdecesdeuxsourcesainsique l’analysede leursdonnéesrespectivespardesexpertsindépendantslaissent

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peudedoutequantàunevéritablevictoiredeTshisekedipar lesurnesetpar là,quantà l’exactitudede l’ensembledesrésultatsannoncésparlaCENI3.

Enfin,laCENIn’a(pourl’instant)publiéaucunrésultatdé-taillé des élections, en contradiction avec son obligationlégale.Alorsquelacommissionélectoraleauraitpufacile-ment lever toutsoupçonenpubliant les résultatsparbu-reaudevoteetcentredecompilation,elle s’est limitéeàl’annoncedesvoixobtenuesparlestroisprincipauxcandi-datsàl’électionprésidentielleetlesnomsdesdéputésélus.Aucune vérification indépendante n’est possible sur cettebase, ce qui accentue encore la suspicion autour de l’au-thenticitédes résultatspubliés.Parailleurs, l’exclusiondeBéni,ButemboetYumbiduvoteàl’électionprésidentiellerenforce encore le doute sur la réelle volonté de la CENId’assurerquelevainqueursoitceluiissuduvotepopulaire.Eneffet,levotedanscescirconscriptionsauraitpumodifierl’ordredesvainqueurs, ladifférence(officielle)dunombrede voix entre Tshisekedi et Fayulu n’étant que d’environ680.000alorsquelenombred’électeurspotentielsyétaitdeprèsdudouble.

Si les résultats annoncésne correspondent pas àla réalité des urnes, dequoi sont-ils le fruit ?Confirmée à demi-motparleprésidentlui-même,l’explication de cettedissonance semble setrouver dans un accordtrouvéentrelescampsdeKabilaetdutandemTshisekedi/Kamerhe.Cetaccordpourune‘transitionpacifique’etunegestioncommunedupaysàtraversunecoalitiongouverne-mentaleseraitdonclaconclusiondetractationsautourdedeuxélémentsclés : le transfertde laPrésidenceau-delàducercleKabilaet lesgarantiespouvantêtreapportéesàcelui-cipournepass’yopposer.Autrementdit, leproces-susélectoraln’auraitétéquelafaçadederrièrelaquellelagestion du pays se négociait par arrangements politiqueset hors de tout contrôle démocratique, avec pour consé-quencela‘construction’derésultatsélectorauxenfonctiondu compromis trouvé. En ce sens, le processus électoralcongolaisconstitueunedéfaitedémocratique,lechoixdesurnesn’ayantpasétérespecté4.Cettedéfaitesembleainsiêtre leprixde l’accèsaupouvoirpour lesunset celuidumaintienaupouvoirpourlesautres.

Perdre un peu pour ne pas tout perdre : un ‘modèle’ de subversion démocratique

Inédite, la configuration politique post-électorale cimente

unecontinuitédupouvoirdeKabiladansl’alternanceprési-dentielleavecTshisekedi.Letitreducommuniquédepresseducampdel’ex-PrésidentKabilaaulendemaindesélectionssynthétiseainsiparfaitementleprocessusélectoraletl’évo-lutiondesrapportsdeforceluirésultant:«Toutestbienquifinitbien!»5.Si lecompromisavecTshisekediéclairesurlescausesultimesdecettecontinuitédansl’alternance,commentencomprendrelamécanique,lesmodalitéspra-tiques qui ont permis ce tour de passe-passe électoral ?Au-delàdepratiquesautoritaires ‘classiques’–répressiondesmanifestations,intimidationsnotamment6–etdel’ar-gumentpolitico-sécuritairedu‘chaosoumoi’,unepartiedela réponsese trouvedans lacapacitéde JosephKabilaetdesonentourageàs’approprierlescodes,lesprincipes,lesinstitutionsetlesprocessusdeladémocratielibéraleavecd’autresobjectifsqueceuxquileursontnormalementas-signés.Autrementdit,àlasubvertir.C’estdoncbienautra-versautantquecontre l’ingénieriedémocratiquequeKa-bilaaréussiàconsoliderettransformersonpouvoirsuretdansles institutionsdupays.CesdynamiquessubversivesnesontnirécentesniexclusivesàlaseuleR.D.Congo7mais

leur ampleurest telleque leprocessusélectoral congolais– y compris sa ‘préparation’et le ‘glissement’ de son ca-lendrier – aurait pu consti-tuerunchapitreillustratifdel’ouvragerécentdeNicChee-semanetBrianKlaas,How To Rig An Election8 (‘Commenttruqueruneélection’),tantila fait l’objetd’unecombinai-

sonmultiple et complexe de tactiques pour subvertir lesoutilsdeladémocratiedanslebutparadoxaldel’affaiblir.Onpeutciter,defaçonnon-exhaustive,lestechniquessui-vantes:

1) La mobilisation de modalités techniques de la démo-cratiecomme justificationdepratiquesquiseraientsinonconsidérées comme autoritaires. Par exemple, le reportdesélectionsétaitjustifiéparlanécessitédes’assurerquelesconditions ‘techniques’soientréuniespour lesorgani-ser,qu’ils’agissedel’enregistrementdesélecteursoudesconditionspratiques–notammentsécuritaires–del’orga-nisation.CommelePrésidentKabilal’alui-mêmeexprimé,«nousavonsdécidéderepousserlesélectionspouréviterd’exclure un très grand nombre de gens, pour la plupartde jeunes électeurs »9. Cette ‘politique des préparationstechniques’10apermisdetirerlacordetemporelletoutenlimitant lescritiques internationales. Ilétaiteneffetdiffi-cile pour la communauté internationale d’appeler à desélectionsquine respecteraientpas les standards interna-tionaux.

« L’ensemble de ces techniques démontre à la fois l’habileté de Joseph Kabila à reconfigurer des pra-tiques autoritaires à travers des règles d’appa-rence démocratique mais aussi sa résilience pour s’adapter à l’évolution de contraintes et pressions aussi bien internes qu’externes ».

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2) Le détournement de réformes institutionnelles pourrenforcerlecontrôlepolitiquedupayspendantlapériodepré-électorale, par exemple au travers de celle sur la dé-centralisation. Considérée comme essentielle pour unegouvernance efficace et démocratique du pays, cette ré-forme n’a constitué une priorité du gouvernement qu’en2015,lorsquelaperspectiveélectoraleapprochait.Ellefûtalorspasséeetpromulguéeenprocédured’urgence,provo-quantleredécoupageduterritoirede11aux26provincesconnuesaujourd’hui.Plusquedanslefonddelaréforme,c’estdans cequ’elle aproduit commeconséquencesquel’onyretrouvelesdynamiquessubversives.Eneffet,celle-ciainduitladémissiondesgouverneursdesprovincesdéman-telés, affaiblissant ainsi certains opposants politiques po-tentiellementcandidatsàl’électionprésidentielle(commeMoïseKatumbi)etlaprisedecontrôlein finede20des26gouvernoratsprovinciaux,notammentgrâceàl’invalidationdenombreusescandidaturesdel’opposition11.

3) L’instrumentalisation des instances judiciaires du pays.L’ingérence par la corruption, la cooptation ou la coerci-tiondansletravaildescoursettribunauxontgrandementcontribuéàaffaiblir l’oppositioncongolaiseetà ‘légaliser’lesvolontésduPrésidentKabila.Quecelasoitparsadéci-siondemai2016d’autoriserleprésidentàresteraupou-voirtantquelesuivantnepuisseêtreéluoulavalidationdesélectionsenjanvier2019endépitdesdoutessurleurvéracité, l’instrumentalisationdelaCourconstitutionnelleaparexempleétécrucialedans l’exercicede légitimationde cemaintienaupouvoir. Et ceenvertuduprincipedel’«Étatdedroit»dontlerégimeréclamesanscessesonrespect:«lesjugesnetravaillentpaspourKabilaousama-jorité,(…)ilstravaillentpourl’intérêtdetous»12.

4) L’appropriation du code démocratique de l’alternancepolitique.L'entouragedeJosephKabilaaréussiàtransfor-mer la contrainte initialeque représentait l’alternanceenoutildelégitimationdudispositifpolitiquenégociéaveclecampTshisekedi/Kamerhe.Eneffet,auregarddel’ampleurdelamanipulationnécessaire–etdurisqued’explosionpo-pulaire–qu’auraitimpliquéel’impositiond’unevictoireducandidatduFCC,l’entourageduprésidents’estvucontraintdecéderlaPrésidence.Néanmoins,cetteconcessions’estmuéeenétendardpolitiqueetmédiatiquevisantà légiti-meretàfaireaccepterlesrésultatsannoncésparlaCENI.Laconstructiond’unrécitautourde‘lapremièretransitionpacifiquedupouvoirdepuis l’indépendance’aainsi large-ment éclipsé les doutes entourant le processus électoral.Ainsi, et en brisant la barrière psychologique de l’alter-nance, les camps Kabila et Tshisekedi ont réussi à voilerla nuance entre une alternance politique, symbolique etdémocratique.

5)Lamobilisationde l’argumentde lasouveraineté.Légi-timeàbiendeségards,l’organisationsurfondspropresetsans observateurs internationaux des élections a, cepen-dant, été largement subvertie. S’il est indéniable qu’uneorganisationautonomed’unprocessusélectoralestunpassymboliqueimportant,l’objectifintermédiairepoursuivinesemblepastantavoirétél’émancipationdémocratiquedupaysquesonisolementdesregardsextérieurspourmieuxencontrôlersesparamètresetrésultats13.

L’ensembledecestechniquesdémontreàlafoisl’habiletédeJosephKabilaàreconfigurerdespratiquesautoritairesàtraversdesrèglesd’apparencedémocratiquemaisaussisarésiliencepours’adapteràl’évolutiondecontraintesetpressionsaussibieninternesqu’externes.Sil’objectiffinalestrestéceluidesemainteniraupouvoir,l’ancienprésidentadûajuster les cheminsàemprunterpouryparvenir. Lapression populaire et diplomatique ont ainsi fait évoluerlanaturedecettepréservationdupouvoir.D’untroisièmemandat,lecampKabilaaprogressivementbasculéversunglissement sine die du calendrier électoral, un accord detransitionpolitique avec l’opposition et l’élaborationd’unnouveau calendrier électoral (i.e. accord de la Saint-Syl-vestre),lanominationetvictoireprogramméedudauphinShadaryet,enfin,l’abandondelaPrésidence.

La communauté internationale entre antici-pation de l’échec et satisfaction résignée

Enapparenceinacceptabled’unpointdevuedémocratique,le ‘compromis’ proposépar les campsKabila-Tshisekedi acependantétéacceptéparlacommunautéinternationale,notamment africaine et occidentale. Tous connaissent,voirereconnaissent,lamanipulationélectoraleetcertainesvoix se sontmêmeélevéespourdemander le respectdela‘véritédesurnes’entrelemomentdel’électionetceluidelavalidationdesrésultatsparlaCourconstitutionnelle14.C’est le cas par exemple de la Communauté de dévelop-pement de l’Afrique australe (SADC) qui avait appelé àun recomptage des voix ou de l’Union africaine qui avaitdemandélasuspensiondel’annoncedesrésultatsetl’envoid’unedélégationàKinshasa.Néanmoinsetaprèsplusieursrevirements, peu, voire aucunmembre de cette commu-nauté internationale, ne reconnaît aujourd’hui d’autresrésultats que ceux annoncés par la CENI. Par exemple, silegouvernementaméricainasanctionnéunesériedeper-sonnesliéesauprocessusélectoral,notammentpouravoirentravé leprocessusdémocratiqueetnepas avoir réussiàfaireensortequele«votereflètelavolontédupeuplecongolais »15, le pays reconnaît néanmoins le PrésidentTshisekedi, qui a effectué une visite d’État aux États-Unisdébutavril.

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Lesrevirementsetl’ambiguïtédelacommunautérégionaleetinternationaleoccidentaleautourduprocessusélectoralest largement leproduitd’unepeurde l’instabilitéetdesviolences potentielles qui résulteraient d’un positionne-mentalternatif.Deplus,largementdubitativesurlapossi-bilitéd’unsuccèsduprocessusélectoral,cettecommunau-té internationale–comme laplupartdescommentateursetexperts–n’avaitquepeud’espoirqu’unautrecandidatqueceluichoisiparKabilapuisseêtreélu.Cetteanticipa-tiondel’échecafacilitél’acceptationd’unealternancequi,siellen’estpasdémocratique,alemérited’enavoirlesap-parencesetdes’êtredérouléesansexplosiondeviolence.En filigrane de cette acceptation se dessine égalementuneformederésignation(paternaliste)vis-à-visdelaR.D.Congo:cen’estpeut-êtrepasunevraiealternancedémo-cratiquemaisce n’est déjà pas si mal.Commel’aexpriméle ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves LeDrian,«L’élections’estachevéefinalementparuneespècede compromis à l’africaine (…).M. Tshisekedi est devenuprésidentdansuneconfigurationtrèsparticulièreetpropreàlaRépublique[Démocratique]duCongo»16.Cepropos–etlaformedecondescendancequ’il laissetransparaître–contribueaussiàunafro-pessimismeessentialisantcequiserait une incapacité continentale à produire un résultatélectoraldémocratique.

Conclusion : entre inconnues, incertitudes et (dé-)démocratisation de l’accès au pouvoir

Aprèsplusdecent joursd’âpresnégociations, lenouveauprésident a enfin réussi à nommer son Premier ministre(PM), SylvestreIlungaIlunkamba,le20maidernier.Direc-teurgénéraldelaSociéténationaledescheminsdeferduCongo(SNCC)depuis2014etprofesseurd’économieàl’Uni-versitédeKinshasa,cemembredupartideKabilaâgéde73ans(plusieursfoisministresousMobutu)s’esttrouvéêtrele (seul) dénominateur commun faisant consensus entrele nouveau président et son prédécesseur. Ce choix qui,selonlaConstitution,devaitsefaireauseindel’hyper-ma-joritéparlementaireduFCCdémontreainsiàlafoislaper-sistancedupouvoirdeJosephKabilaàquilenouveauPMdoit largement sa carrièremais aussi une certainemargedemanœuvrepourFélixTshisekediquiaréussiàbloquerd’autres profils plus proches de l’ancien président. FélixTshisekedi reste cependant largementotagede sapropreprésidence,lerapportdeforceinstitutionnelluiétantplusquedéfavorable.Satournéedeschancelleriespourasseoirsalégitimitéexternenesauraiteffacercedéséquilibredesforces internesauquels’ajouteunmécontentementcrois-santauseindelabasedesonpropreparti,l’UDPS,quiré-aliseaujourd’huilagrandevacuitédelacoquilleprésiden-

tielleofferteparKabila.Celle-cineluipermetpourl’instantdenegouvernerquepar‘gestes’dansl’espoird’accroîtresapopularitéetsalégitimité,etaugmenterainsilecoûtdesadestitution.

Plusieurs grandes inconnues demeurent néanmoins.D’abord,surl’issuedesnégociationsd’uneéquipegouver-nementale et la répartition (et nature) des postes entreles coalitions FCC et Cach. Ensuite, sur la capacité réelledunouveauprésidentàproposerunvéritableprogrammepolitique,économiqueetsocialetsurladurabilitédel’ac-cord entre les camps Kabila et Tshisekedi. Enfin, l’incerti-tudesubsisteencoresurlerôleformelqu’exerceral’ancienPrésidentKabilaetnotamments’ildeviendraprésidentduSénat.Bienquepeuprobable–notammentenraisondeluttesdepouvoirinternes auFCC,siteldevaitêtrelecas,ilseraitalorsledeuxièmepersonnagedel’Étatetredevien-draitprésidentsiFélixTshisekediétaitdéchuoudansl’in-capacitédegouverner.Ilpourraitégalementconsidérercequinquennatcommeunepériodeintérimaireenvuedesacandidatureetréélectionen2023.

Enfiligranedeces incertitudes résideaussi l’ampleurdes‘dividendes’decettenouvelleconfigurationpolitique.Nonnégligeable, l’alternance à la tête de l’État et les gestesdu nouveau président dans sa quête de légitimité – parexempleautorisationetencadrementpacifiquedemanifes-tations,libérationdeprisonnierspolitiques,remplacementàlatêtedel’Agencenationaledesrenseignements,annula-tiondelacondamnationdel’opposantMoïseKatumbi–ontpermisunedétentepolitique,aussibienauniveaunationalqu’international. Washington, Paris ou Bruxelles ont parexempleannoncélareprise,voirelerenforcement,deleurcoopérationaudéveloppementet/oudeleurcoopérationmilitaire. L’entre-deux de cette alliance concurrentielle àlatêtedel’Étatpourraitainsiproduire,àmoyentermeetsiellesematérialisepourlapopulation,uneaméliorationdelasituationenRépubliqueDémocratiqueduCongo.LedéfipourFélixTshisekediseradoncbiendeconcrétiserunealternativeau-delàdel’alternanceetdenaviguerentredé-pendanceà l’ex-Présidentetémancipationvis-à-visdece-lui-ci.

Enfin,etau-delàdeceséquilibrespolitiquesfragiles,lepro-cessus électoral congolais suscite plusieurs interrogationsquant aux conséquences desmessages véhiculés par ce-lui-ci.D’abord,surlerisqued’émulationpard’autreschefsd’Étatdesmêmestactiquespoursemainteniraupouvoir.Enayantréussicetourdepasse-passeélectoral,JosephKa-bilapourraitservirdemodèled’alternancefictivepourdeschefsd’Étatfaisantfaceàlamêmelimiteconstitutionnelle

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desdeuxmandats.Ensuite,surlacrédibilitédelacommu-nauté internationale (occidentale) comme actrice-promo-trice de la démocratie. En validant le produit d’un arran-gement politique non-démocratique, elle a coproduit lamécanique de subversion démocratique et la continuitéd’unecapturedel’Étatparsonéliteaupouvoir.Parailleurs,ellerenforceencorelaperceptiond’unevariabilitégéomé-triquedesadiplomatiedémocratique.Enfinetsurtout, leprocessusélectoralcongolaisaaffaibliladémocratiecongo-laise elle-même en sapant les aspirations dont elle a faitl’objet. Le vol de ces aspirationsne fait que renforcer lesalternatives à l’acquisitiondémocratiquedupouvoir et in fine lesrisquesd’instabilitéqui,paradoxalement, l’ontfaitaccepter.

Sidney Leclercq est chercheur post-doctoral au centre de Recherche et études en politique internationale (REPI) à l’Université libre de Bruxelles et chercheur invité au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) à l’Université de Montréal.

¹Voir,entreautres:HumanRightsWatch,2019.RDCongo:Lesélectionsontétéentachéesdeviolencesetderestrictionsdudroitdevote.5janvier.URL:https://bit.ly/2C2osKh

²Nousavonsintégrélesrésultatsdesélectionslégislativesdescirconscriptionsoùlevoteaétéreportéaumoisdemars2019.

³Pouruneanalysedesfuitesetrésultats,voirentreautres:JasonStearns,2019.WhoreallywontheCongo-leseelections?16Janvier.URL:https://bit.ly/2RPlJ0p

⁴MoIbrahimetAlanDoss,2019.Congo’selection:adefeatfordemocracy,adisasterforthepeople.9février.URL:https://bit.ly/2IFe53M

⁵AndréAlainAtundu-Liongo,2019.Communiquédelamajoritéprésidentielle«M.P.».12janvier.URL:https://bit.ly/2VcMEoP

⁶HumanRightsWatch,2019.Ibid.

⁷Voir,entreautres:SidneyLeclercq,2018.BetweentheLetterandtheSpirit:InternationalStatebuildingSub-versionTacticsinBurundi. Journal of Intervention and Statebuilding12(2):159-184.

⁸NicCheesemanetBrianKlaas,2018.How To Rig An Elec-tion. NewHaven:YaleUniversityPress.

⁹LeMonde,2016.JosephKabilaannoncelereportdel’électionprésidentiellecongolaise.5octobre.URL:https://lemde.fr/2ECDQQb

10InternationalCrisisGroup,2015.Congo:IsDemocraticChangePossible?Africa Reportn°225.5Mai,p.18.URL:https://bit.ly/2IuLf75

11MichelLuntumbue.2016.RDC:lesenjeuxduredécou-pageterritorial-Décentralisation,équilibresdespouvoirs,calculsélectorauxetrisquessécuritaires.Les rapports du GRIP2016/10.URL:https://bit.ly/2VV1ops

12Andre-AlainAtundu,citédansWilliamClowes,2018.CourtShakeupFuelsFearsCongo’sLeaderPlansAnotherTerm.20mai.URL:https://bloom.bg/2GDabDV

13Voir:KalvinNjallSoiresse,2019.ÉlectionsenRDC: Tshisekedi,Kabilaetl’arithmétiquedupouvoir. Politique.24janvier.URL:https://bit.ly/2viLKIB

14Voir,entreautre:SoniaRolley,2019.ElectionsenRDC:oùsetrouvelavéritédesurnes?15janvier.URL:https://bit.ly/2GvtceF

15FredOluoch,2019.USsanctionsCongo’stoppollofficialsovergraft.22mars.URL:https://bit.ly/2FtecgW

16EntretiensurlaradioFranceInter,4février2019.URL:https://bit.ly/2VWm7sX

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Nouvelles et annonces•AdibBencherifapubliél'article"RécitsduconflitentrelesIfoghasetlesImghad.(Re-)positionnement,grammairedelaparentéetcompétitionentreélitespolitiquestouarègues"danslenumérothématique"Lepolitique,unehistoiredefamille?"desCahiersd'Étudesafricaines.IlaaussipubliédanslaRevuecanadiennedesétudesafricaines"Pourune(re-)lecturedesrébellionstouarèguesauMali:mémoiresetreprésentationsdansl'assemblagepolitiquetouareg".

•ElisaLopezLuciaaprésentéle13mailerapportFrancoPaix"TheEuropeanUnionintegratedandregionalisedapproachtowardstheSahel"àChathamHouseauRoyaume-Uni,lorsd’unatelierintitulé"SahelianSecurityinFlux".

•ChristianLeuprechtapublié"TheDiffusionandPermeabilityofPoliticalViolenceinNorthandWestAfrica"avecDavidB.SkilicornetOlivierWaltherdanslarevueTerrorismandPoliticalViolence.

Photo:SidneyLeclercq

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Le Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix a pour mission de valoriser la recherche scientifique, la formation universitaire et le dévelop-pement des études dans le domaine de la résolution des conflits et des missions

de paix dans la francophonie.

Chaire Raoul-Dandurand | UQAMC.P. 8888, Succ. Centre-Ville

Montréal (Québec) Canada H3C 3P8Tel. (514) 987-6781 | chaire.strat@uqam.ca

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