le tourisme, rencontre de l’autre ou découverte pour soi ?
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Mardi des Bernardins 10 mai 2011
Le tourisme, rencontre de l’autre ou découverte pour soi ?
Voyage, voyage…
À l’approche des vacances, alors que certains organisent leur départ, demandons-nous ce que l’on attend d’un voyage. Les manières de voyager sont multiples : on peut partir en promeneur, en salarié épuisé, en aventurier curieux des rencontres avec l’autre et sa culture, ou bien préférer la sécurité et le confort d’un circuit organisé.
Pourtant, quelques soient les choix des voyageurs et leur destination, ils font partie, consciemment ou non, d’une économie du tourisme croissante qui tend à complexifier les rencontres.
À qui profite le voyage ? Comment les voyages sont-ils organisés ? Que révèlent-ils ? Et comment chaque voyage peut-il devenir une découverte ?
Pour répondre à ces questions, Christian de Cacqueray interroge trois intervenants :
Michel Malherbe, polytechnicien, ancien directeur de l'administration du tourisme, grand voyageur,
directeur de la collection Parlons… aux éditions L'Harmattan
Thierry Orsoni, directeur de la communication du Club Méditerranée
Sylvain Tesson, explorateur, géographe, écrivain
Livres conseillés :
- Éloge de l’énergie vagabonde, Sylvain Tesson
- Fonctionnaire ou touriste ?, Mémoires d’un globe-trotter, Michel Malherbe
- L’usage du monde, Nicolas Bouvier
« La grande angoisse moderne : être cloué ! », écrit Sylvain Tesson. Une certaine fébrilité
semble s’être emparée de nos contemporains, qui retrouvent un comportement nomade afin de ne
plus s’ancrer dans une vie pétrie d’habitudes. Le monde occidental a-t-il le désir de voyager et comment
voyage-t-il ? Quelles sont ses motivations ?
Selon Michel Malherbe, personne ne voyage de la même façon : les motivations comme les
ressources financières sont très diverses. Le mot même de « tourisme » est très large et le nombre réel de
touristes difficilement quantifiable. Thierry Orsoni complète ce point de vue : il n’y a pas un seul type de
comportement. Une même personne peut être tour à tour « consommatrice de vacances », partir en
famille ou partir seule avec un sac à dos. Le Club Med, dont il dirige la communication, propose un type de
vacances qui permet de vivre des expériences et répond au besoin d’un « lâcher prise ». Grâce à ces
vacances organisées, véritables parenthèses dans une vie agitée, le touriste préserve une liberté de choix,
dans sa destination comme dans ses activités, tout en bénéficiant de facilités d’organisation. Pendant
longtemps, les vacances organisées ont donné une impression d’embrigadement. Aujourd’hui, le Club
Med répond au tourisme de masse tout en s’adaptant à l’air du temps : il doit donner la possibilité de se
reconnecter avec ses proches, de s’ouvrir aux rencontres, sans toutefois les imposer. Ici, il s’agit plus de
« vacances » que de « voyage ».
Sylvain Tesson, grand voyageur, distingue le « voyage » du « tourisme » : le tourisme est une
parenthèse, une expérience, une inclusion dans une vie, tandis que le voyage est une vie en continuum,
une existence entière. Le voyage permet d’accéder à une certaine paix et répond à « une tentative de
mener [sa] barque » en ne subissant plus la pression d’une société, en s’évadant de l’habitude. Il ralentit
la fuite du temps, qui s’intensifie lors de la marche, du voyage et de l’écriture : les journées deviennent
alors « de petites existences ». Sylvain Tesson pense que le voyage est la seule activité humaine qui
pourrait se passer de motif. Il s’appuie pour cela sur Nicolas Bouvier, célèbre voyageur et écrivain, qui
disait : « le voyage nous fait et nous défait, mais, avant tout, il se passe de motif ». Sylvain Tesson aime
l’idée de la « gratuité du voyage », du « simple appel de la route ». Analyser trop longuement les raisons
qui nous poussent à répondre à cet appel ne pourrait que nous faire perdre notre élan. L’homme ne
répond qu’au besoin d’aller « voir plus loin », de fuir, d’avoir une expérience de l’extérieur, de l’inconnu,
voire de la précarité. Pour Sylvain Tesson, la route devient une « énergie vitale » car la vie en ville ne lui
suffit pas : seul le voyage a la capacité d’étancher sa soif de nouveauté. « Je suis un hamster et le monde
est ma cage », plaisante-t-il. La surprise, pour Michel Malherbe, est bien l’un des agréments du voyage, ne
serait-ce que visuellement : on n’a jamais idée de ce que l’on va découvrir.
Quels sont les ingrédients d’un bon voyage ? « Voyager c’est apprendre à mourir », écrivait
Nicolas Bouvier. Sylvain Tesson explique que le voyage nous aide à muer, à mourir à soi, à se découvrir :
« Le plus court chemin qui mène à soi-même vous conduit au tour du monde », écrivait Hermann de
Keyserling, dans l’exergue du Journal de voyage d’un philosophe. Revenir en étant le même qu’avant son
départ, c’est avoir raté son voyage.
Pour Michel Malherbe, beaucoup de personnes veulent partir loin par snobisme, pour en
« mettre plein la vue » à leur retour. Mais l’essentiel repose en la rencontre de l’autre : il faut aller vers
l’autre, sortir du Club Med ou aller parler au personnel local. C’est une découverte qui transforme
véritablement.
Selon Thierry Orsoni, la découverte des autres passe aussi par celle de nos proches, de nous-
mêmes. Le voyage permet de vivre les choses différemment, de se risquer à des activités qu’on n’aurait
jamais tentées, par exemple sur le conseil de quelqu’un. Le Club Med permet de vivre des expériences,
de se surprendre. Il faut savoir que le Club Med est une entreprise créée au lendemain de la guerre afin
de « passer les frontières de manière détendue ».
Le voyage se teint-il d’une dimension spirituelle ? Sylvain Tesson ne lie pas ses voyages à une
puissance supérieure identifiée. Mais il reconnaît que l’expérience de la distance, de la solitude, de
l’effort, comme la traversée de terrains hostiles permettent une méditation, des pensées, des agitations.
Il ne croit pas à l’idée du « voyage du coin de la rue », où partir près de chez soi suffirait. Il a lui-même
vécu des expériences spirituelles lors de ses voyages, comme le « syndrome de Saint François d’Assise » :
en étant complètement seul, on ressent un « écoulement de bienveillance » envers les êtres vivants qui
nous entourent, le « sentiment d’appartenir au grand édifice du vivant ».
Pour Michel Malherbe, l’ensemble de la vie est une forme de prière. La vie spirituelle, c’est
s’ouvrir aux autres : « voir tout le temps les mêmes personnes a tendance à stériliser la curiosité ». S’il est
possible de vivre une vie spirituelle intense dans un couvent, Michel Malherbe pense qu’il est intéressant
de découvrir des gens qui pensent et vivent autrement, qui ne sont pas conditionnés de la même manière
que nous. Il note enfin que le « tourisme » est parfois incompatible avec le « pèlerinage » : il est par
exemple impossible de venir en touriste à La Mecque, ce qui est regrettable.
Thierry Orsoni a, lui, vécu une forte expérience au Couvent Sainte-Catherine. Pour lui, échanger
en profondeur avec quelqu’un se fait rarement sur une plage : ce sont les lieux habités qui permettent le
mieux ces échanges.
Pour clore cette table ronde, Christian de Cacqueray interroge les trois interlocuteurs sur les
destinations où ils aimeraient se rendre prochainement. Thierry Orsoni souhaiterait avoir plus de temps
pour voyager et pour atteindre des endroits lointains comme l’Himalaya ou le Bhoutan afin de rompre
avec le rythme de son quotidien. Michel Malherbe, lui, se dit très marqué par l’Éthiopie, l’Afghanistan et
l’Asie dans son ensemble. Enfin, Sylvain Tesson a le projet de partir pour la corne de l’Afrique afin de
mieux découvrir les peuples qui y vivent et qui le fascinent.
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