l'avenir des villes-musées, l'exemple italien - mickael cuillerat
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LA « VILLE-MUSÉE » A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ?
CUILLERAT Mickaël
Directrice de mémoire : Antonella Mastrorilli
ENSAL // 2013
REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT GARDE OU ÉCHEC D’UNE CONCILIATION
ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ ?
Mémoire de master
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« « La ville de demain va-t-elle défi nitivement reléguer
les villes du passé au musée du patrimoine historique ?
N’est-il pas possible, au contraire, d’intégrer villes, centres et
quartiers anciens dans la vie quotidienne de l’ère électronique,
de les rendre à des usages qui ne soient pas ceux de l’industrie
culturelle ?
Françoise Choay, dans la préface de L’Urbanisme face aux villes anciennes,
GIOVANNONI Gustavo, 1998, Paris, Editions du Seuil.
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Fig : Porto Antico, Genova
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INTRODUCTION
01 / HERITAGE PATRIMONIAL ET VILLE MUSEE EN ITALIE :
VERS LE TOUT-PATRIMOINE ?
A - LE PATRIMOINE EN ITALIE : CINQ SIECLES DE PROTECTION
1 / Le patrimoine italien : Diversité et identité
2 / Evolution et spécificités de la législation italienne
La Renaissance : Prise de conscience et esquisse de la
patrimonialisation
La vandalisation : Moteur de la protection du patrimoine
L’appareil législatif italien : Deux siècles de législation
3 / Du patrimoine architectural au patrimoine urbain
Emergence de la question urbaine
Diffi cile législation et la protection des centres anciens
B - VERS LA MUSEIFICATION DES VILLES ITALIENNES ?
1 / Quelques notions de la ville patrimoniale
De la ville palimpseste...
... à la ville-musée
De la protection à la valorisation du patrimoine
2 / Les enjeux économiques de la muséification
02 / LA VILLE ITALIENNE HISTORIQUE, VILLE MUSÉIFIÉE :
MYTHE OU RÉALITÉ ?
A - PROFESSIONNELS, TOURISTES ET VILLE MUSÉE :
QUELLE VISION DE LA MUSÉIFICATION ?
1 / Du coté de la profession
2 / Du côté des touristes
3 / Mythe ou réalité ?
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SOMMAIRE
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B - DU DANGER DE LA MUSÉIFICATION « PASSIVE »
DES VILLES ITALIENNES, VENISE, MANIFESTE D’UN ÉCHEC ?
1 / Venise, du port au tourisme, à la recherche d’un idéal fi gé ?
2 / Quelle avenir pour la ville historique ?
La discrétion, l’éphémère ou rien
L’avenir hors les murs
Il faut sauver... le tourisme
3 / Où est passée la vie ?
03 / LE XXIÈME SIECLE ET LA VILLE ITALIENNE :
UNE POSSIBLE ÉVOLUTION ?
A - PEUT-ON ENVISAGER UN AVENIR POUR LA VILLE-MUSEE ?
Conserver, protéger, plus qu’une volonté, une nécessité
La muséification se résume-t-elle à la surprotection du patrimoine ?
Quel futur pour la ville italienne ?
B - GÊNES : UN EXEMPLE DE MUSÉALISATION ÉQUILIBREE ?
1 / Ville atypique ou reflet des villes italiennes ?
Apogée et rayonnement
Déclin de la puissance de la ville
2 / Le renouveau de la ville : Quelles options ?
3 / Retrouver son port : Un projet initiateur
Un projet ambitieu
Un projet pas à pas
Les raisons du succès
4 / Retrouver son centre-ville : La finalité du projet
Un lieu impossible à vivre ?
Quelques projets initiateurs et une main tendue vers le port...
Un projet pour les touristes et les habitants
5 / Les grands projets et les outils mis à contribution
6 / Une ville ambitieuse
C - ROME : CONSTRUIRE, RÉNOVER, RECONVERTIR DANS LA
VILLE-MUSÉE
1 / Faire la ville sur la ville, un perpétuel défi
2 / Construire dans la ville italienne historique
De la préconisation au dialogue
Les vestiges, un problème ?
Des projets polémiques
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CONCLUSION
REMERCIEMENTS
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
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INTRODUCTION
Reconstruire la ville sur la ville. Peut-
être l’enjeu architectural et urbain du XXIème
siècle. À l’heure où l’urbanisation s’étend sur
les périphéries des métropoles et participe
au mitage sans précédent de l’espace rural,
l’ensemble des acteurs de l’architecture et de
l’urbanisme contemporain se tourne vers le
centre-ville des villes.
Aujourd’hui les centres-villes anciens sont
redécouverts, parfois après des années
d’oubli, de mise à l’écart.
Certaines villes se sont pourtant tournées vers
leurs centres-villes bien avant pour une raison
bien particulière. Ils sont les berceaux de
l’évolution de leur ville, leur centre de gravité.
Ils sont aussi un trésor, un trésor patrimonial.
Pour défi nir ces villes dotées d’un patrimoine
riche, on parle fréquemment de villes-musées.
Conscientes de leur valeur patrimoniale et
historique, ces villes ont rapidement fait de leur
centre un atout économique en se tournant
vers le tourisme. De nombreuses villes de
taille moyenne basent ainsi leur économie
largement sur le tourisme. Le tourisme est une
facilité largement appréciée des villes-musées.
Chaque bâtiment est exploité, on protège un
maximum les constructions remarquables ou
atypiques pour faire preuve d’authenticité au
moment où le monde se tourne vers le XXIème
siècle synonyme de grands changements.
À trop vouloir se tourner vers le centre, et
vouloir tirer parti et surtout profi t de la richesse
patrimoniale, ne risque-t-on pas de fi ger la
ville dans un idéal d’authenticité ? Il s’agit
en effet d’une des problématiques soulevées
par la muséifi cation des villes c’est-à-dire la
transformation des villes (et en particulier de
leurs centres anciens) en véritable musée
urbain.
La question à se poser est la suivante : Peut-
on concilier dans le centre-ville les activités
touristiques dépendantes d’une qualité
historique et de la préservation du tissu urbain
et du patrimoine, avec la vie de l’habitant, les
activités économiques, culturelles, sociales... ?
En quelque sorte peut-on donner aux centres
anciens la qualité urbaine et architecturale
de la ville ancienne adaptée aux usages
contemporains ? Peut-on concilier passé et
modernité dans la ville ancienne ?
Alors que le retour au centre s’impose, que
la reconversion occupe une part toujours
plus importante dans le volume de projets
réalisés, il est bon de se poser une question
qui dépasse même le projet, pour parler de
l’échelle urbaine.
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Pour répondre à cette question qu’est l’avenir
de la ville-musée, nous nous intéresserons à un
pays en particulier, l’Italie. En effet, la péninsule
italienne est riche d’une multitude de villes au
patrimoine toujours plus impressionnant et
atypique (Florence, Naples, Gênes, Venise,
Rome, Côme...). Chacune de ces villes offrent
un visage différent compte tenu de l’histoire de
chacune.
Mais elles sont toutes confrontées au même
problème. Que va devenir leur centre-ville dans
plusieurs années s’il est muséifi é, protégé et
haut lieu du tourisme ?
Ce mémoire fait aussi suite à un rapport d’étude
réalisé en 3ème année de Licence sur l’avenir
du patrimoine militaire en France et leur rôle
dans la dynamique urbaine des villes. Ici nous
nous intéressons beaucoup moins à la qualité
de la construction, aux programmes réalisés.
Dans ce mémoire nous nous intéressons avant
tout au patrimoine pour son poids urbain et son
rôle dans la vie des habitants et des touristes,
plutôt que sur les opérations réalisées sur
celui-ci. Nous nous attacherons à étudier des
centres anciens dans leur globalité, et non pas
des projets. Le sujet de ce mémoire est plutôt
l’avenir de la ville ancienne (et par conséquent
de son patrimoine, mais aussi de l’ensemble du
bâti ancien) plus que de l’avenir du patrimoine
uniquement.
COMMENT PEUT-ON FAIRE ÉVOLUER LA
VILLE ANCIENNE ET L’INSCRIRE DANS LA
PERSPECTIVE DU XXIÈME SIÈCLE ?
Nous allons pour cela nous intéresser à la ville
italienne sur plusieurs points pour comprendre
la spécifi cité de celle-ci.
Tout d’abord, la conception du patrimoine en
Italie est primordiale pour bien comprendre le
visage de la ville musée italienne. La notion
de patrimoine a fait peu à peu son émergence
en Italie avant de se diffuser dans les autres
pays européens et la législation à suivi pour
protéger de plus en plus de constructions
patrimoniales. Dès lors la pris en compte
du patrimoine s’étend alors à la question du
patrimoine urbain mais la protection de la ville
se trouve beaucoup plus complexe à défi nir
ce que nous verrons au début de ce mémoire.
La complexité de la question législative de la
protection patrimoniale fait de l’Italie un pays
singulier, doté d’un patrimoine exceptionnel
mais dans lequel il est relativement complexe
de savoir quoi faire, comment faire et pourquoi
faire. Encore plus lorsqu’il s’agit de faire
évoluer la ville.
Après s’être penché sur la question de la
muséifi cation et de ses aspects économiques,
nous nous tournerons vers la vision qu’ont
les usagers (professionnels ou touristes de
la ville-musée), que nous confronterons à
une analyse de la ville-musée italienne par
excellence, à savoir Venise.
Venise est très particulière. Son centre
ancien isolé sur une île au large du rivage
est d’une qualité patrimoniale exceptionnelle.
Cependant depuis des années, la municipalité
semble avoir du mal à expliquer le problème de
Venise : plus personne ne s’y installe ? Quelles
sont alors les pathologies de la ville-musée.
Qu’entraîne une muséifi cation excessive et
une surprotection patrimoniale ? Venise nous
permettra de prendre vraiment conscience
des maux qu’entraîne la muséifi cation d’un
site patrimonial surtout sur le long terme.
Venise est parfois dépeinte comme un parc
d’attraction patrimonial et nous verrons quels
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en sont les aspects.
Cependant le but de ce mémoire n’est pas
de condamner toutes les opérations de
sauvegarde, de protection et d’exploitation
des villes-musées italiennes, mais il faudra
comprendre comment l’on peut faire aujourd’hui
pour proposer une muséifi cation non pas
excessive et passive, mais équilibrée où tout
est concilié (passé et modernité, habitants et
touristes...).
Un avenir est-il possible pour la ville-musée
dans le siècle actuel ? Nous répondrons à
cette question par deux exemples distincts.
Gênes permettra de comprendre comment
une ville arrive aujourd’hui à concilier la vie de
ces habitants et de ses touristes, comment son
économie s’est tournée vers le tourisme tout en
développant des économies complémentaires,
comment elle a pu redécouvrir son centre
oublié... Gênes est l’exemple même qui
permettra de relativiser sur l’avenir de la ville-
musée, alors que l’avenir de la ville aurait
pu nous inquiéter. Mais la question n’est pas
vraiment « Un avenir est-il possible ? Oui ?
Non ? ». Elle vise plus à démontrer comment
une ville peut arriver à un tel résultat, quels
sont les outils mis en place...
Rome nous permettra par la suite de nous
intéresser aux contraintes de la construction en
site historique à Gênes par quelques exemples
contemporains réalisés ces dernières années.
Nous essayerons comprendre comment la
ville-musée, saturée de monuments, peut
encore accueillir en son sein l’architecture
contemporaine et à quoi elle est aujourd’hui
confrontée ?
Ce mémoire se veut un portrait itératif de
l’avenir de la ville italienne par un regard sur
plusieurs villes différentes mais partageant
un même idéal : revaloriser son centre
historique. Il n’est pas question ici de donner
un modèle unique à suivre pour assurer à la
ville-musée un avenir, mais l’idée est plus
d’approcher des points clés inévitables, et
de dresser les raisons d’un échec ou les
jalons d’une réussite.
Chaque ville est unique, mais comprendre
les raisons d’un succès permettra à chacun
de relativiser sur chacune des métropoles
italiennes pour espérer un jour voir sortir ces
illustres cités de la muséification classique.
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0101
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0101HERITAGE PATRIMONIAL
ET VILLE-MUSÉE ITALIENNE : VERS LE TOUT-PATRIMOINE ?
01
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Fig. 1 : La place du Capitole, Rome
Fig. 2 : Florence et Santa Maria Del Fiore
17
01011 / LE PATRIMOINE ITALIEN :
DIVERSITÉ ET IDENTITÉ
Pour comprendre l’infl uence du
patrimoine sur la conception des villes
italiennes et la place qu’il occupe aujourd’hui
dans le paysage architectural et urbain italien,
il est nécessaire de comprendre son évolution
au fi l des siècles et de comprendre le poids
que représente l’histoire de l’Italie, de son
architecture au niveau national et européen.
L’Italie n’est pas choisie indépendamment
de toute prise de position quant à la notion
de patrimoine. Le pays est à l’origine de
toute une mouvance architecturale et
patrimoniale sans pareil en Europe. Que serait
le patrimoine architectural européen sans
l’apport architectural des années d’apogées
de l’Empire romain et de son architecture de
pierre et de monumentalité ? L’architecture
de la Renaissance trouve sa force et son
essence dans les constructions palladiennes
et l’engouement des familles de mécènes
italiens. L’Italie a été le berceau de la diffusion
de l’architecture, de l’art et de la construction
pour l’ensemble de l’Europe. Les principes
architecturaux des plus grands édifi ces de la
péninsule italienne séduisirent nombres de
monarques au fi l des siècles qui imitèrent et
réinterprétèrent l’architecture italienne (si l’on
peut vraiment défi nir l’architecture réalisée sur
le sol italien comme italienne car il n’existe pas
de style italien mais plus d’un savoir-faire).
Il est néanmoins sûr que la qualité architecturale
des constructions réalisées en Italie au fi l des
siècles a doté le pays (ou plutôt les Etats
italiens, car le pays n’était pas unifi é avant
1871) d’un immense patrimoine architectural
et urbain aussi varié que de qualité (fi g.1),
aussi majestueux que pittoresque (fi g.2).
Pour comprendre la spécifi cité de l’Italie vis-à-
vis de la conservation et de la reconnaissance
de son patrimoine, il sera utile d’effectuer des
aller-retours avec la France dont on connait
bien les principes de patrimonialisation.
A la grande différence de la France cette
reconnaissance du patrimoine entre très tôt
dans la conscience collective ou du moins
des élites et édiles de la société italienne
(principalement romaine). Le pays a reconnu
très tôt le rôle majeur que joue le patrimoine
dans la construction d’une identité commune.
L’ensemble de l’histoire de l’Italie et de son
rapport au patrimoine se joue en partie
grâce à la ville de Rome. La question du
patrimoine romain est source de polémique
car compte tenu de l’histoire de la ville elle
est un laboratoire à ciel ouvert de la question
du patrimoine. Rome est la ville italienne par
excellence, centre de la chrétienté, centre du
pouvoir, centre de l’art… Rome nous aidera à
comprendre pourquoi le patrimoine occupe un
poids si particulier en Italie, comme nulle part
ailleurs.
Si en France on s’intéresse au patrimoine, il
est en fait nécessaire de comprendre cette
reconnaissance patrimoniale et urbaine en
Italie car elle est certainement le pays qui a
permis à toute l’Europe d’ouvrir les yeux sur
l’ensemble du poids patrimonial accumulé au
fi l des siècles.
A - LE PATRIMOINE EN ITALIE, CINQ SIECLES DE PROTECTION
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2 / ÉVOLUTION ET SPECIFICITÉS DE
LA LEGISLATION ITALIENNE
Françoise Choay dans Le Patrimoine
en question retrace l’évolution de la notion
de patrimoine au fi l des siècles. S’il est clair
que cette notion existe naturellement comme
concept, il a fallu un temps avant que l’on
applique la notion de patrimoine à l’héritage
d’une communauté, d’une nation…
Si la protection du patrimoine fait l’unanimité
aujourd’hui, ce ne fut pas le cas en Europe et
en Italie par le passé.
On distinguera deux étapes dans le
processus de reconnaissance du patrimoine
: une première étape qui pose les jalons des
qualités du patrimoine par la redécouverte
des œuvres antiques, et une seconde étape
qui pose les bases d’une législation à venir
suite à l’indignation des intellectuels face aux
démolitions.
LA RENAISSANCE :
PRISE DE CONSIENCE ET ESQUISSE DE
LA PATRIMONIALISATION
La Renaissance italienne traduit ce
retour aux sources, et en particulier aux
concepts antiques. Cette période qui met fi n
au Haut Moyen-Age à la fi n du XIVème siècle
prend corps dans l’Italie du Nord (dans des
villes comme Siène, Florence...) et bouleverse
l’ensemble des codes artistiques, littéraires
et scientifi ques. On redécouvre les ouvrages
antiques, des pièces de l’art comme le Laocoon
(fi g.3) en 1506 qui marqueront les érudits et
artistes et remettront en cause les acquis et
croyances contemporaines. La célèbre fresque
Fig. 3 : Le Laocoon
Fig. 4 : L’Ecole d’Athènes,Raphael
Fig. 5 : Villa AdrianaTivoli
19
de Raphael de l’Ecole d’Athènes (fi g.4) (située
dans les appartements de Jules II au Vatican)
représente avec une grande fi nesse ce retour
aux fondamentaux antiques ainsi qu’à leurs
protagonistes. Dès lors l’Antiquité devient une
référence que l’on va copier, décoder, diffuser,
interpréter… Il n’est alors plus possible
aux yeux des édiles de laisser cet héritage
disparaître alors que l’on découvre petit à
petit que 10 à 15 siècles auparavant, d’autres
possédaient déjà les réponses à des questions
contemporaines ainsi qu’une fi nesse artistique
jamais égalée jusqu’alors. Multiples sont
les enjeux de la Renaissance italienne qui
a infl uencé tout l’Occident, mais c’est avant
tout cet engouement pour l’antiquité qui nous
intéresse ici car au cœur de la future défi nition
du concept de patrimoine.
Les fouilles autour des édifi ces antiques
comme le Palatin, Pompéi ou encore la Villa
Adriana (fi g.5) se multiplient pour apprendre à
connaître l’époque antique.
Une grande partie du travail de cette
reconnaissance du patrimoine est dûe au
Vatican et aux différents souverains pontifes
qui se sont succédés.
Très tôt dès le XIVème siècle, sous le pontifi cat
de Martin V, on voit la création d’un bureau des
Magistri Viarum qui prévoit la conservation des
rues, ponts, murs mais aussi des bâtiments de
la ville de Rome. Il pose aussi les bases de la
restauration et de la reconversion des édifi ces.
C’est un des premiers papes à s’intéresser à
la question du devenir des constructions.
Entre 1458 et 1464, le pape Pie II, invite à la
sauvegarde des vestiges romains en cours
d’utilisation comme les ponts et églises.
Cependant, malgré des ambitions louables et
qui augurent de beaux jours à ces constructions
antiques, rien ne sera fait contre le pillage
des pierres du Colisée qui servirent à édifi er
nombres de constructions romaines comme
entre autre la basilique Saint-Pierre. Notons
de même que Jules II, qui est à l’origine du
projet de la basilique, n’a eu que très peu
d’intérêt patrimonial pour l’ancienne basilique
constantinienne érigée au IVème siècle.
Au début du XVIème siècle les enjeux de la
reconnaissance patrimoniale sont encore peu
esquissés et restent des concepts politiques.
En 1538, le pape Paul III invite par une bulle
pontifi cale à la protection des monuments
antiques. Cet écrit marque une prise de
conscience du Vatican sur la nécessité de la
conservation des monuments antiques et leur
apport culturel, théorique et artistique.
Plus d’un siècle plus tard, le cardinal Spinola
signe un édit qui assure la protection, la
conservation et la restauration des monuments.
Il faut protéger « les souvenirs et ornements
que cette cité-mère de Rome, lesquels
provoquent l’estime de sa magnifi cence et de
sa grandeur auprès des nations étrangères ».
La Renaissance marque aussi la redécouverte
des traités antiques sur l’architecture tel que
le aujourd’hui célèbre traité de Vitruve De
Architectura écrit au Ier siècle av. JC jusqu’alors
inconnu. Ce texte infl uença de nombreux
architectes de la Renaissance comme Léonard
de Vinci, Alberti ou encore Michel-Ange. Il pose
les bases d’une architecture autour de trois
fondements majeurs : la fi rmitas, l’utilitas et la
venustas (forte, utile et belle). Les architectes
italiens entre autres s’inspirent alors de ce traité
redécouvert comme une source d’écriture pour
leur propre écrit. Vitruve, par son manuscrit,
redéfi nit les fondements de l’architecture
comme un art total alliant l’ensemble des
sciences (de la géométrie à l’acoustique en
passant par l’optique).
20
LA VANDALISATION :
MOTEUR DE LA PROTECTION DU
PATRIMOINE
« Tant que le Colisée sera debout,
Rome sera debout.
Quand le Colisée s’écroulera, Rome
s’écroulera.
Quand Rome s’écroulera, le monde
entier s’écroulera. »
Bède le Vénérable, (673-735 ap. J.-C.), moine
bénédictin
C’est aussi et avant tout les destructions
des monuments qui vont provoquer une vive
réaction des pouvoirs en place vis-à-vis des
vandales.
Déjà au XVème siècle on voit naître une
farouche opposition entre les humanistes,
soucieux de conserver les vestiges antiques
source d’inspiration et de questionnement, et
les vandales qui à Rome détruisent œuvres
d’art et monuments à la gloire des faux-dieux.
L’un des éléments principaux à cette
reconnaissance et protection du patrimoine
reste la lettre de Raphael au pape Léon X. Le
cardinal Giovanni di Lorenzo de Medici, futur
Léon X succède en 1514 à Jules II. Tous deux
sont des grands mécènes de la Renaissance
et s’intéressent particulièrement aux arts et
en particulier à l’Architecture car ils comptent
donner à Rome la possibilité de rayonner par
sa grandeur passée et actuelle.
Cependant malgré leurs intérêts pour
l’antiquité, les papes les uns après les autres,
tiennent des discours ambigus.
Ainsi, Eugène IV déclare en 1436 vouloir
protéger le Colisée du pillage des tailleurs
de pierre, mais autorise la récupération des
pierres pour la restauration de l’abside de
St-Jean de Latran et permet d’utilisation des
marbres de la Curie et du Forum Julium pour
construire le palais apostolique.
En 1471, pour édifi er la librairie du Vatican,
Sixte IV autorise les architectes à se livrer à
des excavations pour s’approvisionner en
matériaux, cependant en 1474, il menace
d’excommunication tous ceux qui prélèveront
des pierres des églises et basiliques anciennes.
Dans ce contexte et pour préserver l’ensemble
des constructions antiques, Raphaël est
nommé en 1515 commissaire des Antiquité
des Rome par le Vatican par Léon X. C’est le
Vatican qui est à l’origine de la reconnaissance
de l’apport théorique, artistique et scientifi que
dont est chargé le « patrimoine antique ».
Cependant le pape déclare qu’il est possible
de récupérer les pierres sur des vestiges
antiques du moment où celui-ci n’est pas
considéré comme un « monumenta ». (fi g.5)
La lettre de Raphael à Léon X va dans le sens
opposé et fait l’éloge de la Rome antique et
de ses vestiges essentiel à la société actuelle.
Dans sa lettre écrite en 1519, Raphael fait
apparaître d’une part la grandeur de la Rome
antique, Mère du monde et d’autre part
l’ambition démesurée des papes pour une
Rome nouvelle et prospère. Cependant ils
opposent ces deux visions que les souverains
pontifes n’arrivent pas à allier.
« Oui, j’ose affi rmer: toute cette Rome nouvelle,
si grande puisse-t-elle être, si belle, si riche en
palais, églises et autres monuments, visibles
aujourd’hui, est toute entière bâtie avec de la
chaux fabriquée à partir des marbres antiques.
» [1]
[1] Georg GERMANN , Traduction de la Lettre à Léon X de Raphael. Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à
l’histoire de la théorie architecturale, Lausanne, 1991, p. 91
21
Les successeurs de Saint-Pierre n’ont pas
su conserver et construire dans Rome. L’un
impliquait nécessairement l’abandon de l’autre
et c’est cette conception manichéenne que les
différents papes ont suivi un par un.
Raphael trouve dans les modèles antiques
l’ensemble des éléments architecturaux qui
serviront de références pour la production
architecturale de la Renaissance : architraves,
frises, chapiteaux ouvragés et bases
proportionnées. A ce titre, supprimer un vestige
antique revient à supprimer une référence
notoire.
Si la lettre de Raphael reste un élément
qui aura peu d’impact dans le monde de la
reconnaissance du patrimoine, elle est un
élément qui expose très tôt les qualités du
patrimoine (au-delà d’un esthétisme pittoresque
ou romantique) et la prise de conscience de
celles-ci par d’une part les érudits (ou artistes)
puis d’autres parts la population toute entière.
Entre 1585 et 1590, le pape Sixte Quint décida
de réaliser un grand projet d’extension et de «
mise en valeur » des terrains de la partie Nord
de la ville de Rome, et décida par la même
occasion de tracer des grandes artères à
travers la ville et il se vit rapidement confronté
au Colisée sur ces tracés.
Mais pour assurer une évolution à la ville, il
fut décidé que le Colisée serait amputé pour
permettre le passage d’une grande avenue.
Grâce à la persévérance et la pugnacité du
Cardinal de Santa Severina et au ralliement
d’autres cardinaux, le Colisée fut sauvé in
extrémis.
Cet exemple, parmi d’autres, montre que par
le passé, le patrimoine n’a pas toujours fait
l’unanimité aux yeux de la population même la
plus érudite qui soit.
Fig. 5 : L’Intérieur du Colisée,Abraham-Louis-Rodolphe Ducros, vers 1790
22
Tant qu’aucune législation précise ne
fut spécifi ée autour de la protection des
monuments, le débat entre les conservateurs
et les novateurs (si l’on peut classifi er le
débat autour du patrimoine en deux castes
radicalement contradictoires) fut stérile et
déboucha sur des débats aussi étrange puisse-
t-il sembler aujourd’hui que la destruction ou
non du Colisée.
Le pillage des sites antiques pour la construction
de nouveaux édifi ces a aussi bouleversé les
populations ce qui remis au goût du jour la
nécessité d’une législation patrimoniale pour
protéger concrètement ces édifi ces menacés.
Plus d’un siècle après le projet ambitionné par
Sixte Quint, le cardinal Spinola signe en 1704,
un édit qui assure la protection, la conservation
et la restauration des monuments. Il faut
protéger « les souvenirs et ornements de
cette cité-mère de Rome, lesquels provoquent
l’estime de sa magnifi cence et de sa grandeur
auprès des nations étrangères ». [2]
Cet édit est renforcé en 1733, par celui
du cardinal Albani qui condamne toutes
dégradations et propose des réprimandes
envers ceux qui voudraient porter atteinte aux
monuments antiques.
En 1802, Pie VII met en place une législation
pour protéger le patrimoine, comme l’héritage
du passé, d’une nation. La protection ne se
résume plus uniquement à la protection des
monuments antiques.
Autre exemple plus de deux siècles après
le projet de Sixte Quint, en 1811, Napoléon
1er ambitionne de prolonger le Corso vers le
Capitole et donc de détruire le petit palais de
Venise.
La proposition provoque une vive réaction des
romains, et de nombreux artistes signèrent une
pétition recensant de nombreux arguments
artistiques, juridiques et fi nanciers. Suite à
l’indignation des romains face à ce projet,
l’empereur français retire sa proposition et le
petit palais échappa à la destruction… jusqu’à
ce que le monument à Victor-Emmanuel ne
soit érigé et provoque la destruction de tout
un quartier médiéval attenant à la colline du
Capitole.
Les différentes atteintes au patrimoine qu’elles
soient concrètes ou ambitionnées ont imposé
aux autorités, essentiellement pontifi cales de
légiférer sur la question de la protection du
patrimoine.
On s’aperçoit donc que la notion de patrimoine,
de protection de celui-ci ou au minimum de
reconnaissance de ces qualités interviennent
très tôt en Italie au XVème-XVIème siècle
alors que dans les autres pays européen,
et entre autres la France, il faut attendre la
fi n du XVIIIème siècle pour voir apparaître
les premières consignes de protection du
patrimoine.
L’APPAREIL JURIDIQUE ITALIEN :
DEUX SIÈCLES DE LÉGISLATION
Si l’Italie était hier en avance sur ses
pays voisins quant à la reconnaissance du
patrimoine, sa législation n’en reste pas moins
complexe par rapport aux autres législations
européennes. En effet, si la prise en compte
du patrimoine est une composante inhérente
et fondamentale pour l’Etat Italien, la récente
unifi cation des Etats Italiens au cours du
XIXème siècle n’a pas simplifi é la législation
globale qui se veut être une synthèse des [2] Carlo CESCHI, Teoria e Storia del Restauro, Roma, 1970, page 31
23
réglementations des différents Etats.
Comme expliqué dans la partie précédente,
pour lutter contre le pillage des sites
archéologiques et pour conserver ses sites
patrimoniaux intacts, les Etats italiens encore
indépendants ont pris des mesures par
décrets, en 1745 en Lombardie, en 1760 à
Parme, en 1854 en Toscane ou encore en
1857 à Modène.
Pour comprendre le regard italien sur le
patrimoine, il convient d’être informé des
différents courants de penser européen. Il ne
s’agit pas ici d’exposer les différents visions
de chaque nation européenne, mais de
comprendre pourquoi l’Italie s‘est tournée vers
un certain mode de patrimonialisation.
A la fi n du XIXème siècle, Ruskin publie un
ouvrage majeur en architecture : Sept Lampes
de l’Architecture. Dans cet ouvrage, il invite les
architectes, et autres acteurs du patrimoine
à la plus grande prudence avec les édifi ces
anciens.
« Prenez soin de vos monuments et vous
n’aurez nul besoin de les restaurer. Quelques
feuilles de plomb placées en temps voulu sur
la toiture, le balayage opportun de quelques
feuilles mortes et de brindilles de bois
obstruant un conduit sauveront de la ruine à la
fois murailles et toiture. Veillez avec vigilance
sur un vieil édifi ce, gardez-le de votre mieux
et par tous les moyens de toute cause de
délabrement. Comptez-en les pierres comme
vous le feriez pour les joyaux d’une couronne,
mettez-y des gardes comme vous en placeriez
aux portes d’une ville assiégée ; liez-le par
le fer quand il se désagrège ; soutenez-le à
l’aide de poutres quand il s’affaisse ; ne vous
préoccupez pas de la laideur du secours que
vous lui apportez, mieux vaut une béquille
que la perte d’un membre ; faites-le avec
tendresse, avec respect, avec une vigilance
incessante, et encore plus d’une génération
naîtra et disparaîtra à l’ombre de ses murs.
Sa dernière heure enfi n sonnera ; mais
qu’elle sonne ouvertement et franchement,
et qu’aucune substitution déshonorante et
mensongère ne le vienne priver des devoirs
funèbres du souvenir. » [3]
Cette leçon sera très largement entendue en
Italie qui veillera avec grand soin à l’entretien
de ses bâtiments, à la différence d’autres pays
européen comme en particulier la France.
Il s’oppose radicalement à Eugène Emmanuel
Viollet-Le-Duc, qui en France prône une
intervention de restauration des monuments
pour lui redonner une nouvelle vie. Cependant
l’architecte français tente de retrouver une
nouvelle identité perdue, ou peut-être jamais
possédée. Il efface les traces du temps alors
que Ruskin assume l’héritage du temps et
des siècles de constructions successives.
Ces deux visions françaises et anglaises sont
radicalement opposées : l’une fait l’éloge de la
restauration stylistique, alors que l’autre prône
une conservation romantique.
L’Italie n’a pas fait le choix de la restauration
styliste et s’est beaucoup plus rapprochée de
la vision de John Ruskin, par des théoriciens
et architectes comme Camillo Boito. En effet,
si Ruskin considère la conservation comme
unique voie de protection du patrimoine qui
ne nuit pas à sa qualité, il tombe rapidement
dans l’extrémisme de la conservation c’est-
à-dire le fantasme du ruinisme. Les Italiens
Boito et son élève Giovannoni, ouvrent alors
les portes d’une troisième voie « italienne »,
plus équilibrée, tout en offrant des pistes de
conservation et de restauration modérées.
[3] John RUSKIN, Sept Lampes de l’Architecture, Paris, 1980
24
Dans Conserver ou Restaurer, Boito expose
l’extrémisme de Viollet-Le-Duc et de Ruskin
afi n de démontrer l’incompatibilité de leur
position tant elles sont radicalement différentes.
Cet écrit, et la position de Boito, infl uencera
beaucoup le processus de patrimonialisation
italien. Les textes de loi qui seront alors rédigés
pendant les décennies suivantes seront donc
très modérés.
Nombres de textes se sont succédés au
début du XXème siècle, en 1904, 1909,
1913 ou encore 1923 sans déboucher sur
une législation complète, et ce n’est qu’en
1939 qu’est mise en place une loi qui régit la
protection du patrimoine.
L’article 1er défi nit la protection patrimoniale
de la manière suivante :
« Les objets d’intérêt artistique, historique
et ethnographique, y compris : les objets
relatifs à la paléontologie, la préhistoire et les
premières civilisations ; les objets d’intérêts
numismatiques ; les manuscrits, autographes,
correspondances, documents remarquables,
incunables, ainsi que les livres, imprimés et
estampes ayant un caractère de rareté ou
de prix » seront à protéger. Cette loi protège
aujourd’hui encore l’ensemble des objets
patrimoniaux, témoins de l’histoire du pays.
Si l’on avait avant tout un langage esthétique
lors de la rédaction de cette loi en 1939,
le décret de 1974, a redéfi nit la notion de
patrimoine autour du « bien culturel ».
La loi de 1939 est l’équivalent italien de notre
loi de 1913 sur les monuments historiques
qui prévoit le classement de l’ensemble des «
immeubles dont la conservation présente au
point de vue de l’Histoire et de l’Art un intérêt
public ».
La Constitution Italienne promulguée en
1947 considère la protection du patrimoine
comme une composante nécessaire au bon
fonctionnement de la république Italienne.
L’article 9 exprime la place principale qu’occupe
le patrimoine : La République promeut le
développement de la culture et la recherche
scientifi que et technique. Elle protège les
sites et sauvegarde le patrimoine historique et
artistique de la Nation.
Dès la mise en place de ces décrets de
protection du patrimoine architectural riche et
varié dont dispose l’Italie, se pose la question de
la classifi cation des ouvrages architecturaux.
Ainsi le Cardinal Pacca propose en 1820 un
édit pour la protection des monuments en
c’est Fernand 1er de Bourbon à Naples qui
prévoit le premier un catalogue qui recenserait
l’ensemble des œuvres d’arts et des œuvres
antiques.
Il faudra attendre les premiers textes de
1909 pour voir naître l’équivalent de notre
classement des Monuments Historiques
français. Cependant la législation italienne
rend complexe cette classifi cation (la «
notifi cazione »). Si en France n’importe quel
monument, peu importe sa nature, peut être
inscrit sur la liste des monuments historiques,
Italie cela reste assez différent. En effet,
comme la Constitution considère qu’il est du
devoir de la nation italienne que de conserver
le patrimoine, cette « notifi cazione » ne
s’applique qu’aux édifi ces qui sont la propriété
de personnes privées. Ces édifi ces, qui sont
propriété d’une personne, sont ajoutés à cette
liste et deviennent sous la surveillance du
ministère chargé des Biens culturels après le
dépôt et l’acceptation du dossier de protection.
Le particulier, propriétaire du bien reconnu par
la « notifi cazione », a l’obligation vis-à-vis de
l’Etat d’assurer la pérennité de l’édifi ce.
25
Contrairement à la France, il n’existe dans
cette loi de protection et de classement du
patrimoine, d’obligation de l’Etat vis-à-vis
du propriétaire de participer fi nancièrement
aux travaux de restauration, rénovation,
solidifi cation… Cependant, le propriétaire ne
peut entreprendre ces travaux que sous la
validation de l’autorité décentralisée régionale
: la Surintendance. Cette spécifi cité italienne
qui implique donc avant tout un engagement
du propriétaire vis-à-vis de l’Etat explique la
non-existence du corps des Architectes des
Monuments Historiques comme en France,
qui suivent les travaux et veille à la qualité de
l’intervention. La Surintendance, représentation
régionale du ministre a la possibilité d’imposer
des travaux (et y participer si elle le souhaite)
et d’imposer une ouverture d’un édifi ce au
public.
La décentralisation facilite l’intervention la
gestion des dossiers concernant le patrimoine.
L’aboutissement international et législatif
autour du patrimoine reste tout de même la
charte de Venise ratifi ée en 1964 qui permet
de défi nir un cadre réglementaire autour
de la question du patrimoine. Elle aborde
globalement la notion de patrimoine autour des
thèmes de la restauration, la conservation...
Si la prise de conscience fut relativement
précoce en Italie par rapport aux autres pays
européens, la législation à mis très longtemps
à s’installer dans le pays pour proposer une
reconnaissance et une gestion convenable du
patrimoine.
26
Fig. 7 : Piazza del Campo,Sienne
Fig. 6 : Maquette du Plan Voisin pour ParisLe Corbusier, 1925
27
3 / DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL
AU PATRIMOINE URBAIN
Jusqu’au XXème siècle, la protection
et la sauvegarde des monuments historiques
ne s’intéresse qu’à l’édifi ce comme un objet
architectural isolé. Et cette conception est
commune à l’ensemble de l’Europe. Le
patrimoine comme objet solitaire n’est pas
envisagé comme ayant de la valeur grâce et
à cause de son environnement urbain. Par
exemple, entre 1922 et 1925, Le Corbusier
propose même pour Paris, le célèbre plan Voisin
dans lequel il propose un nouvel urbanisme. La
ville conserve cependant ses édifi ces majeurs,
le Louvre, l’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, le
Sacré Cœur… (fi g.6). Ces éléments font «
l’esprit de Paris » pour Le Corbusier.
Les autres propositions de Le Corbusier à la
même époque en Italie pour le nord de Rome
et la ville de Pontinia, montrent de même peu
d’intérêt pour le patrimoine urbain.
Cette conception de l’objet patrimoniale hors
de son contexte va perdurer pendant quelques
années encore jusqu’au milieu du XXème
siècle.
Il faudra donc attendre le milieu du XXème
siècle pour qu’émerge la notion de patrimoine
urbain. En effet ce sont des auteurs comme
Gustavo Giovannoni avec des ouvrages tels
que L’urbanisme face aux villes anciennes.
Dès lors on prend conscience que le
patrimoine n’existe pas comme un objet seul
mais qu’il doit beaucoup au contexte urbain
dans lequel il est édifi é. Naît alors la notion de
« centre historique ». La Chartes d’Athènes
de 1931, va dans ce sens et « recommande
de respecter, dans la construction des édifi ces
le caractère et la physionomie des villes,
surtout dans le voisinage des monuments
anciens dont l’entourage doit être l’objet de
soins particuliers. Même certains ensembles,
certaines perspectives particulièrement
pittoresques, doivent être préservés. » [4]
En effet, que serait la ville de Sienne sans ses
étroites et hautes ruelles qui débouchent sur
la grande Piazza del Campo (fi g.7). Peut-on
imaginer le même espace sans ses rues, ses
constructions du quotidien ?
EMERGENCE DE LA QUESTION URBAINE
Le milieu du XXème siècle marque
alors ce basculement en Italie de la question
patrimoniale. L’environnement bâti, historique
et urbain gagne alors en importance pour la
défi nition de la ville contemporaine.
Alors qu’en France la question des centres
historiques s’est trouvée renforcée par la
protection des 500 m via la loi de 1913, l’Italie
tarde à protéger ses centres historiques.
En 1942, la loi fondamentale d’urbanisme
propose une première approche de la question
des centres historique : dans un premier temps,
il est jugé nécessaire d’intégrer la question des
centres historiques dans les plans d’urbanisme
et de requalifi cation urbaine des villes, et dans
un second temps, la nécessité de mettre en
place des mesures de protection de ces centres
anciens par la préservation entre autres de leur
densité bâtie, de leur gabarit de construction…
Cette loi s’attarde donc à l’impact urbain des
constructions des centres anciens plus que
sur leur aspect patrimonial. La ville historique, [4] Extrait de la Charte d’Athènes, 1931
28
le centre ancien est ainsi fait de constructions
exceptionnelles, mais aussi de constructions
du quotidien. Cette loi autorise des opérations
de consolidation, de restauration (dans
l’optique de la pensée de Boito) sans toutefois
dénaturer l’aspect initial de la construction et
de l’environnement urbain. Il est important de
constater que cette loi, porteuse d’une ambition
de protection de la qualité urbaine, historique
et patrimoniale de ces centres anciens
propose une ébauche de protection des vides
(places, parcelles non bâties...) qui jalonnent
la ville historique. Le patrimoine trouve sa
défi nition au-delà du simple monument, il est
aussi espace public, rue, pont... (à l’exemple
du Ponte Vecchio de Florence (fi g.8)). On voit
dès lors que la ville historique n’existe pas
uniquement par ces monuments mais par
l’ensemble des constructions et des vides qui,
mis en rapport, composent l’espace urbain
de la ville ancienne et en assurent la qualité
esthétique et historique.
LA DIFFICILE LEGISLATION ET LA
PROTECTION DES CENTRES ANCIENS
Jusqu’alors les législateurs italiens (et
européens par la même occasion), n’avaient
pas pris en compte les centres historiques
pour leur caractère patrimonial mais avant tout
pour leur potentiel urbain dans la redéfi nition
de l’urbanisme moderne.
En 1960 est rédigé une charte affi rmant la
nécessité de classifi er, reconnaître et protéger
les « lieux historiques » en tant que zones à
remettre en état. Ce document, la charte de
Gubbio, met en exergue un besoin impératif
de considérer les opérations de protection
des centres historiques comme une étape
nécessaire à la composition de la ville de
demain. Centres historiques et nouveaux
centres doivent trouver un équilibre dans
la composition de la ville contemporaine.
Cette charte, indique qu’auparavant l’objet
architectural était considéré comme un
élément autiste de son contexte alors qu’il
Fig. 8 : Ponte Vecchio sur l’Arno,Florence
29
est nécessaire de considérer un ensemble
architectural unique comme un tout avec son
contexte d’origine.
En 1964, sous la présidence de Franceschini
est créée la Commission d’enquête pour la
protection et la valorisation du patrimoine
historique, archéologique, artistique et
paysager. Elle met en application les grands
principes de la charte de Gubbio, et prévoit
en plus des opérations de protection du
patrimoine, des opérations de maintien et
de protection des alentours pour assurer
une meilleure habitabilité (consolidation,
assainissement…). De même des opérations
de réglementation de circulation protègent
ces centres anciens afi n qu’ils ne deviennent
pas des voies de circulations primaires.
Cependant la commission est dissoute en
1967, et peu de ses préconisations sont mises
en place. En effet on considère à l’époque, et
cela est toujours vrai aujourd’hui, qu’il n’existe
pas une seule solution pour l’ensemble des
modèles urbains qui jalonnent l’Italie, et que
chacun des centres historique possèdent ses
propres problèmes (dégradations, pollution,
insalubrité, criminalité...) .
L’Italie ratifi e la Convention du Patrimoine
Mondiale en 1976. Ainsi 35 biens patrimoniaux
sont classés, dont 12 villes ou centres anciens
tels que Florence, Venise, Sienne, Naples… et
Rome. Cette ratifi cation marque un grand pas
vers la reconnaissance mondiale de ces centres
historiques et de leur qualité patrimoniale et
urbaine.
La loi de 1978 de « reprise des bâtiments
anciens » propose une nouvelle vie à ces
constructions anciennes dans la ville ancienne
qui vie au rythme du XXème siècle.
Entre 1997 et 1998, l’ancien ministre des
biens culturels Walter Veltroni, propose
un projet de loi pour protéger les centres
anciens et encadrer les interventions. L’intérêt
général de la proposition de loi réside dans
la protection, la restauration et l’amélioration
les centres historiques italiens. Ce projet de
loi s’étend au-delà des centres historiques et
s’intéressent aux villes historiques considérant
qu’il est nécessaire de protéger les abords de
ces villes. Elle encadrait en quelque sorte la
protection de ces « quartiers historiques » afi n
d’en assurer l’intégrité et la conservation dans
un but patrimonial mais aussi économique et
touristique car cette composante est une source
de revenu majeur pour l’Italie. Cependant de
nombreuses personnes se sont opposées à ce
projet qui cristalliserait totalement les centres
anciens et remettaient en cause le fait que rien
ne puisse être fait sans une autorisation d’une
administration supérieure. L’institut national de
planifi cation urbaine a remis en cause ce projet
de loi qui isolerait la protection des centres
anciens de la planifi cation urbaine et limiterait
le pouvoir des communes à décider pour leurs
propres centres anciens.
L’ensemble des propositions faites autour de
la protection des centres anciens peuvent
être d’une part ambitieuse et d’autre part un
obstacle à l’évolution de la ville. C’est pourquoi
ces propositions de lois, ces décrets sont
aujourd’hui encore vivement critiqués car s’ils
résolvent un problème, ils peuvent soulever
des interrogations sur la pérennité des centres
anciens.
30
Fig. 11 : PalimpsesteFig. 10 : Via Della Conciliazione avant travaux, Rome
Fig. 9 : Teatro Di Marcello,Rome
31
0101B - VERS LA MUSEIFICATION DES VILLES ITALIENNES ?
1 / QUELQUES NOTIONS DE LA VILLE
PATRIMONIALE
La ville italienne comme d’autres
villes européennes est forte d’un patrimoine
spectaculaire, dense et varié. C’est ce qui
en fait la force de ces villes de la péninsule
italienne. C’est ce qui donne ce charme à ces
villes. Mais pourquoi aujourd’hui peut-on parler
de villes palimpseste, de villes-musée ? Ces
deux notions ne sont-elles pas paradoxales ?
DE LA VILLE PALIMPSESTE…
A l’heure actuelle on se rend bien
compte que les constructions ne peuvent
plus s’étendre sans fi n sur le territoire. Il nous
faut faire face au mitage du paysage et des
zones rurales. Il nous faut limiter l’urbanisation
croissante des zones rurales. La ville ne peut
plus se construire hors de ses murs. L’avenir
de la ville contemporain se trouve dans la ville
d’hier.
Si l’affi rmation précédente semble iconique
d’une pensée contemporaine qui trouverait
dans la ville d’hier les fondations de la ville
de demain, elle a toujours été inhérente à
l’évolution urbaine de ces villes. La question
est beaucoup moins contemporaine qu’elle ne
semble être. Celle-ci ne s’est pas uniquement
construite à côté de celle déjà présente. Mais
souvent sur celle-ci.
La sédimentation de Rome le montre très
bien : sur les constructions romaines ont été
édifi ées diverses constructions du Moyen-Age
puis d’autres constructions Renaissance…
C’est le cas des constructions comme le Teatro
Di Marcello (fi g.9), ancien théâtre romain,
transformé au Moyen-Age en habitation,
auxquelles des boutiques sont venues
s’ajouter…On retrouve encore aujourd’hui les
arcs du théâtre d’origine noyées dans la masse
bâtie. C’est un des célèbres exemples romains
en matière de destruction, recomposition
urbaine, traces bâties… La ville a su et du
effacer une partie de son patrimoine bâti pour
recomposer la ville, l’adapter aux composantes
contemporaines… au prix de sacrifi ces parfois
diffi ciles comme lors de l’édifi cation de la via
della Conciliazione (fi g.10). Les travaux ont
imposé la destruction de nombreux d’îlots
de logements pour créer cette percée qui
aujourd’hui relie la Place Saint-Pierre au
Château Saint-Ange et au Tibre. Rome, comme
d’autres villes italiennes, a toujours du évoluer
pour s’adapter au prix de démolitions et de
reconstructions. « Ceci tuera cela », célèbre
maxime de Victor Hugo est plutôt adaptée à
l’histoire urbaine et architecturale italienne.
Pour imager ce concept de ville qui se
régénère constamment, on parle de ville
palimpseste. Le palimpseste, au Moyen-Age,
est un parchemin utilisé sur lequel on réécrit
après avoir fait disparaître les inscriptions, tout
en conservant les anciennes traces écrites en
fi ligrane (fi g.11). Le papier coûtant très cher au
Moyen-Age, il était nécessaire d’écrire sur du
papier déjà utilisé. Dans La condition urbaine
: La ville à l’heure de la mondialisation, Olivier
Mongin parle de la « ville palimpseste ». Ce
terme, fréquemment utilisé en architecture et
en urbanisme, défi nit une ville qui se reconstruit
32
sur elle-même en effaçant une partie de son
héritage bâti, afi n de toujours occuper le
centre-ville et en profi tant de parcelles bien
placées, et très convoitées.
L’homme a compris très vite que l’avenir de la
ville se trouvait dans la ville. La ville italienne est
très particulière, car elle est la représentation
parfaite de cette sédimentation architecturale
et de cette pluralité patrimoniale conservée.
Elle permet encore aujourd’hui de comprendre
cette cohabitation entre des constructions
aussi diverses réalisées au fi l des siècles.
Aujourd’hui la ville devra se reconstruire sur
elle-même, composer avec son existant,
composer avec une architecture qui n’est plus
adaptée au monde contemporain mais qui est
empreint d’un langage tout particulier. L’homme
devra se poser la question du patrimoine.
La ville qui s’est reconstruite sur elle-même
s’est posée la question de conserver ou non,
et les reconstructions successives de la ville
ont donné naissance à une multitude de
constructions toutes aussi intéressantes les
unes que les autres.
…A LA VILLE MUSEE
L’avenir de la ville se trouve donc dans
la ville. Peut-on alors appliquer la politique
de la tabula rasa pour reconstruire celle-ci ?
Il semble évident que non. Aloïs Riegl, dans
Le culte moderne des monuments, oppose
souvent l’ambition fantasmagorique des
novateurs qui veulent détruire coûte que coûte
pour mieux reconstruire, à l’immobilisme des
conservateurs prêts à tout pour conserver un
brin d’histoire dans la ville contemporaine.
Quelle a cependant été l’histoire de la ville au
fi l des siècles ?
La ville palimpseste a dû se séparer d’une
partie de ses constructions pour en accueillir
de nouvelles. Par essence, ces nouvelles
constructions ont remplacé d’anciennes dont le
caractère patrimonial n’était pas remarquable.
Par chance la nouvelle construction aura pu
faire l’onjet d’une reconnaissance patrimoniale
dans les siècles à venir, et sera épargnée
des prochaines destructions opérées dans
la ville palimpseste. Cependant en suivant
ce schème, n’arrive-t-on pas à créer une
collection de constructions remarquables ?
Aussi paradoxal qu’il puisse paraître, l’avenir
de la ville palimpseste réside peut-être dans
la ville-musée, cette ville qui abrite un nombre
important de constructions remarquables.
Au-delà du caractère patrimonial de ces
constructions, c’est tout un imaginaire urbain
qui a su se créér autour de ces espaces et
vestiges d’un passé qui raconte l’histoire
de la ville. Détruire le patrimoine c’est en
quelque sorte effacer l’histoire de la cité. La
sauvegarde du patrimoine peut « contribuer
à la mise en perspective du temps, à la
fourniture de repères historiques et territoriaux
et au renforcement d’une relation affective de
la population avec son patrimoine. » [5]
Dans l’Urbanisme face aux villes anciennes,
Gustavo Giovannoni ne remet pas en cause
la préservation du patrimoine, au contraire
c’est pour lui une façon de comprendre la ville
et son histoire, nous ne pouvons vivre dans
une ville privée de ses repères spatiaux et
historiques. « Nous avons en effet une tradition
artistique, un patrimoine d’histoire et de beauté
monumentale que nous voulons et que nous
[5] Pierre NORA, 1997. « L’ère de la commémoration », dans Les lieux de mémoire (tome 3), Paris, Gallimard, pp. 4687-4719
33
devons conserver, car le sentiment de notre
peuple doit se refl éter dans une organisation
et un style qui nous soient propres. »
Si cette défense a amené les politiques
comme les citoyens à défi nir ce concept, on
voit aujourd’hui que de plus en plus de constru-
ctions entrent dans le champ patrimonial,
non pas parce qu’ils sont esthétiquement
comparables à des monuments mais
parce que par leur morphologie, typologie,
programme, histoire... il traduise une partie
de notre héritage architectural, historique,
national (patrimoine militaire, industriel...). On
voit une généralisation de la patrimonialisation
des constructions du XXème siècle, souvent
qualifi ée de patrimoine sans qualité (qui ne
ruine pas, qui n’est pas fait de pierre taillée...)
mais qui pourtant est le témoin érigé de notre
culture et de notre histoire. Cette tendance au
«tout-patrimoine» s’est généralisée depuis le
milieu du XXème siècle.
«Tout devient aujourd’hui digne de
conservation : non seulement les églises, les
châteaux et les quartiers anciens, mais aussi
les bateaux […], les usines abandonnées, les
lavoirs, les fours à pains […], les constructions
de fer, de terre ou de béton. » [6] Si quelques
édifi ces font débat, les populations sont assez
heureuses de pouvoir conserver au minimum
des fragments de leur histoire.
La ville se voit donc dotée de constructions
extrêmement différentes (immeubles, hôtels
particuliers, monuments, usines...) qui
trouvent leur reconnaissance patrimonial dans
des critères radicalement variés mais qui font
partie au même titre du paysage architectural
et patrimonial de la ville du XXIème siècle.
DE LA PROTECTION À LA VALORISATION
DU PATRIMOINE
Si hier le patrimoine était le combat
des édiles de l’architecture et de la société, il
est aujourd’hui un « phénomène populaire »
comme le défi ni Régis NEYRET. « Aujourd’hui
il semble que le patrimoine reste le dernier
élément de permanence et de référence
dont les hommes disposent encore dans ce
monde qui leur échappe en bougeant tout le
temps. […] le goût et le désir de patrimoine
sont devenus des phénomènes populaires
incontournables marqués à la fois par la peur
du changement et par le désir de valorisation
d’un héritage » [7]
Il n’est presque plus d’actualité que de débattre
sur l’intérêt patrimonial d’un édifi ce. On voit
même que des édifi ces tout récemment
construits trouvent un intérêt patrimonial car
ils traduisent une façon de voir la société à
un moment précis. Si la protection législative
du patrimoine a fait débat pendant longtemps
en Europe (faut-il protéger, à quel degré,
qu’est ce qui est ou n’est pas patrimoine ?…)
aujourd’hui le patrimoine tend plus à être
valorisé que reconnu. Car s’il est nécessaire
de patrimonialiser à minima pour assurer une
reconnaissance minimale des constructions
dignes de reconnaissance des institutions…
les questions se posent d’avantages sur
l’usage de ce patrimoine. Car un patrimoine
« mort » n’est plus d’aucune utilité autre que
celle esthétique s’il est privé de toute fonction
[6] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 10
[7] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 12
34
utilitaire. Ce qu’Aloïs Riegl défi nissait par la
valeur d’utilité. Un monument ne peut exister
s’il n’est pas utilisé. Il est nécessaire de
préserver les activités du monument et de le
réparer à cet effet. Un monument (patrimoine
au sens de Riegl) a du sens par son utilisation
Il est cependant nécessaire de rester prudent
sur la vision de Riegl quand à l’utilité du
patrimoine. Il considère que le patrimoine
doit conserver sa fonction d’origine. Pour ce
dernier le patrimoine trouve sa force dans la
fonction qui lui est attribuée. Cependant un
palais vénitien édifi é à la Renaissance ne
saura plus jamais trouver sa fonction originelle
au XXIème siècle tout comme un ancien fort
intégré dans la ville contemporain ne saurait
trouver une fonction de défense dans un pays
où les confl its ne viennent plus de la ville
voisine.
Il convient donc de prendre acte de cette
nécessité d’utilité pour proposer une vie
contemporaine au patrimoine d’hier. (comme
les exemples ci-contre)
Si la patrimonialisation et sa législation fut
le premier acte de la reconnaissance et
de la protection de celui-ci, le second acte
fut certainement la reconnaissance par les
populations. Aujourd’hui le patrimoine semble
entrer (et cela depuis plusieurs années) dans
son troisième âge, celui de la valorisation. Va-t-
on aller vers ce que Régis Neyret défi nit, dans
un texte intitulé Le patrimoine valeur ajoutée,
comme « le marketing de la nostalgie » ?
Fig. 13 : Palazzo Rosso,Musée de la ville,
Architecte : Franco Albini,Gênes
Fig. 14 : Marché des fruits et légumes,Village Olympique,
Architecte : AIA,Turin
Fig. 12 : Ancien Arsenal,Hôtel, centre des congrès et de conférences,
espaces d’expositions,Architecte : Stefano Boeri,
La Maddalena
35
2 / LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DE
LA MUSEIFICATION
« Le patrimoine sans la vie n’est qu’une
coquille vide de Bernard-l’ermite agréable à
l’œil mais tout juste bonne à décorer un coin
d’étagère. Avec la vie, sa valeur d’identité lui
donne tout naturellement sa place dans le
monde du XXème siècle. » [8]
Le patrimoine ne se suffi t pas dans la
ville par sa fonction de décor urbain. Il trouve
réellement une valeur ajoutée lorsqu’il est «
exploité » et valorisé. Ce que les autorités des
communes italiennes ou européennes ont très
vite compris.
Le patrimoine devient très rapidement un
atout majeur des villes qui en possèdent une
collection impressionnante par leur valeur,
leur nombre, leur variété… Ainsi se met en
place une « course à la patrimonialisation »
véritable marathon vers la protection et la
valorisation du patrimoine. Ainsi se met en
place un processus de muséifi cation qui tend à
protéger de tout son possible une quelconque
construction digne d’un intérêt patrimonial.
La ville italienne, s’est naturellement tournée
vers l’exploitation de cette ressource
patrimoniale riche et variée. Quelle meilleure
idée que de muséifi er la ville, de proposer un
tourisme autour de la mise en valeur et de
l’exploitation du patrimoine bâti ? Cet intérêt
pour le patrimoine donne naissance aux
concepts de ville-musée ou de muséifi cation
de la ville. Celle-ci vise à se transformer en
véritable musée urbain dans lequel l’œuvre
d’art serait le patrimoine et le musée, la ville
elle-même.
Valoriser le patrimoine, sauvegarder le
patrimoine. Oui mais à quel prix ? Et qu’en
retire les communes qui se lancent dans une
protection de leur patrimoine qui parfois peut
aller jusqu’à la patrimonialisation de quartiers
entiers voir de la ville entière.
La muséifi cation induit nécessairement une
dimension économique qui régit la ville par
la suite. Car le patrimoine, s’il est entré
dans les consciences collectives comme un
élément essentiel de la culture commune, est
devenu une source de tourisme et donc de
revenus économiques pour les communes.
Le patrimoine a profi té de la publicité faite par
les organismes nationaux ou internationaux
comme l’UNESCO. Nombreux sont les pays,
dont l’Italie, qui misent sur le tourisme culturel
et leur patrimoine pour attirer les touristes du
monde entier. L’Italie représente la cinquième
destination touristique mondiale, la troisième
en Europe derrière l’Espagne et la France avec
des recettes, dues au tourisme, supérieures
à 43 000 millions d’euros pour l’année 2011
(source INSEE). Pour certaines villes, le
tourisme culturel est une des seules ressources
économiques. Il est donc nécessaire pour
elles de développer au maximum cette fi lière
économique.
Le XXème siècle, siècle de la mondialisation
et de la culture de masse, a vu le tourisme
s’imposer comme composante populaire.
Les vacances se sont démocratisées, en
particulier en Europe, la ville a délaissé ses
activités de travail (production) situées en
centre-ville. La ville insalubre, délabrée, du
travail a laissé place à un visage pittoresque,
de contemplation...
[8] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 13
36
0202
37
0202LA VILLE ITALIENNE HISTORIQUE, VILLE-MUSÉIFIÉE : MYTHE OU RÉALITÉ ?
02
38
39
0202A - PROFESSIONNELS, TOURISTES ET VILLE MUSÉE : QUELLE VISION DE LA MUSÉIFICATION ?
La ville musée est un concept
cependant assez vague. A quoi ressemble-t-
elle ? Quels en sont les aspects ? Il est alors
nécessaire de prendre du recul sur la question
de la ville-musée en général qui accueille
chaque année un nombre de touristes toujours
plus nombreux. Cependant comment peut-
on défi nir cette ville ? Et qu’en pensent les
touristes ?
1 / DU COTÉ DE LA PROFESSION
On voit très bien aujourd’hui qu’il existe
un consensus dans le milieu architectural,
touristique et urbanistique autour des
problématiques de ces villes dotées d’un
patrimoine architectural impressionnant et
tournées vers le tourisme culturel.
En effet on peut pour cela s’appuyer sur
plusieurs enquêtes menées par des chercheurs
mais aussi par des étudiants. Dans ce cas là,
nous allons tirer profi t d’une enquête menée
par Amélie MARTIN, une étudiante de Paris 1
– Panthéon Sorbonne en Master professionnel
Tourisme. Elle a effectué un sondage en 60
étudiants, chercheurs et professionnels issus
du monde du tourisme sur la question de la
ville muséifi ée.
Il est nécessaire de s’intéresser à ses
résultats. Elle arrive à classifi er les réponses
des personnes suivant quatre critères :
fonctionnels, esthétiques, historiques, et
aménagement et réglementation.
Chaque critère donne un nombre de réponses
variables et nuancées mais pour comprendre
globalement le regard de ces personnes sur le
sujet, une simplifi cation a été opérée.
On note alors ces réponses possibles :
> Critères esthétique :
Cohérence spatiale / Caractère fi gé
> Critères historique :
Historicité / Manque d’authenticité
> Critère réglementaire et d’aménagement :
Mise en valeur spatiale / Contraintes
réglementaires
> Critères fonctionnel :
Manque de vitalité / Monofonctionnalité
touristique / Dynamique touristique
Ces réponses ont été dénombrées et classifi ées
pour donner le graphique de répartition suivant
de ces critères et leur redondance :
Fig : Répartition des critères de muséifi cation
40
On note alors que pour les personnes de la
profession (étudiants, chercheurs ou encore
professionnels) les principaux critères restent
la mise en valeur spatiale, la dynamique
touristique et la qualité historique du site, avant
d’autres critères comme le caractère fi gé ou
encore le manque de vitalité.
On note alors que les personnes soulèvent
avant tout les qualités apportées aux espaces
muséifi és avant les défauts possibles. En
effet, en tant que principaux usagers de ces
sites touristiques nous avons tendance à nous
pencher sur le caractère « apparents » de ces
espaces et non sur la vie au quotidien que l’on
peut retrouver. Mais à force de se préoccuper
des qualités de ces espaces, nous avons
tendances à en oublier que ces espaces ne
sont pas des simples musées, mais le lieu de
vie de nombreuses personnes.
Le défi de ce siècle sera de concilier notre
attente vis-à-vis de la ville-musée en temps
que touriste et celles des habitants de ces
dernières.
Et qu’en pensent les touristes ?
2 / DU COTÉ DES USAGERS
Chaque année le nombre de touristes
augmente en Italie comme de partout en
Europe. Fort de leur patrimoine et de leur
reconnaissance internationale, les villes
italiennes attirent des touristes à la recherche
de l’authenticité patrimoniale des villes
italiennes. Afi n de comprendre le point de vue
des touristes sur le sujet, un sondage à été
mené auprès de touristes de ces villes. Il a
été repris la même trame que celle adoptée
pour les critères tiré du questionnaire présenté
précédemment. En effet, les personnes ont
été soumises à 4 questions sur chacun des
sujets (fonctionnalité, esthétique, historique
et réglementation et aménagement) à laquelle
il ne pouvait répondre des réponses précises
pré-défi nies indiquant qualités et défauts de la
muséifi cation . Ces personnes ont été choisies
dans des agences de voyages, offi ces de
tourisme principalement et dans l’entourage.
Le questionnaire a été simplifi é car l’initial
était assez complexe et long à remplir pour
des personnes n’étant pas quotidiennement
confronté au milieu architectural.
Le but était de voir de quels critères ils
étaient conscients quant à la muséifi cation
en se basant sur les 4 critères de bases cités
précédemment.
On a donc obtenu les résultats suivants :
Fig : Répartition des critères de muséifi cation,selon des touristes
41
Ce questionnaire a donc permis de
comprendre que malgré les conséquences
et les problèmes assez complexes que peut
apporter la muséifi cation, les touristes sont
demandeurs d’authenticité, de patrimoine et
de sa mise en valeur. Mais s’ils valident le fait
que la ville-musée est fi gée, ils reconnaissent
la cohérence que peut avoir cet espace. Il ne
perçoivent que très peu le manque de vitalité
de ces espaces et l’impact qu’a le processus
de muséifi cation sur la vie en place :
gentrifi cation, disparition des commerces, des
artisans... Et c’est sur ce point précis qu’il est
essentiel de travailler. Comment maintenir la
vie au sein de la ville-musée sans toutefois
compromettre l’exploitation du patrimoine à
des fi ns touristiques et pour doper l’économie
de la ville ?
Cette enquête nous montre aussi que dans
l’idéal des touristes, la ville-musée italienne est
avant tout une ville qui fonctionne, authentique
et dynamique. Est-ce un a priori ? Ou le
résultat de politiques qui fonctionne ? Où ce
qu’ils recherchent ?
A nous de comprendre la recette qu’elles ont
pu mettre en œuvre.
Une enquête n’a pas été menée auprès des
habitants car trop complexe à mettre en œuvre
si l’on veut un maximum de personnes de
villes italiennes différentes. Mais la suite de ce
mémoire permettra de mettre en lumière les
problèmes possibles afi n de la confronter aux
attentes des touristes
3 / MYTHE OU RÉALITÉ ?
Le questionnaire a donc permis de
distinguer deux regards. Celui-ci soulève de
possibles problèmes pour la ville-musée dûs
à son exploitation touristique, sa protection...
et une vision plus relative des touristes qui
semble assez confi ante dans l’avenir de ces
ville-musées.
Pour cela nous allons nous intéresser à
plusieurs villes pour voir s’il est judicieux de
se reposer sur notre confi ance dans l’évolution
et le futur de ces villes ou s’il faut au contraire
surveiller ces sites devenus touristiques.
En effet, pourquoi se retourner vers le centre-
ville s’il est impossible d’y vivre ? Ce qui était
important de comprendre c’était de voir ce que
recherchait le touriste, ce qui l’intéresse et ce
dont il prend conscience en visitant une ville-
musée (réglementation stricte, disparition de
commerces de proximité, embourgeoisement
des populations, rigidité de l’urbanisme...)
Pour voir qu’elle différence il peut y avoir
entre visiter et vivre avec le patrimoine. Nous
essayerons d’analyser les actions qu’ont pu
avoir les municipalités au XXIème siècle pour
assurer l’avenir du tourisme et de la vie dans
la ville-musée.
Si certaines villes ont joué le périlleux jeu
du tout-tourisme, de l’immobilisme, du tout-
patrimoine, qu’en est-il aujourd’hui ?
42
Fig. 15 : Place Saint Marc Venise
43
0202B - DU DANGER DE LA MUSÉIFICATION « PASSIVE » DES VILLES ITALIENNES, VENISE, MANIFESTE D’UN ÉCHEC ?
Les atouts de la muséifi cation semblent
être évidents et nécessaires à certaines villes
italiennes qui à l’heure de la mondialisation se
vident de leurs industries, de leur artisanat...
au profi t d’un tourisme tourné autour d’une
ressource patrimoniale inépuisable.
Si cependant la tentation d’une course
à la patrimonialisation et d’une politique
patrimoniale du « tout-préservé » se met en
place sans prise de conscience collective des
conséquences sur l’urbanité d’un site, d’un
quartier ou d’une ville, les résultats peuvent
parfois être plus destructeurs pour la ville.
Les mots choisis sont assez forts mais il faut
bien être conscient de ce que la muséifi cation
entraîne obligatoirement dans son sillage.
L’enjeu de ce mémoire ne réside pas dans
le blâme de la politique de muséifi cation
entreprises par les villes car celle-ci est une
voie patrimoniale aux enjeux économiques
souvent nécessaire au maintien de la
population en place, mais il s’agit de pointer
les aspects négatifs de la muséifi cation pour
attirer l’attention sur les erreurs à ne pas
commettre.
Toutes les villes d’Italie n’ont pas connues le
même destin, riches d’un patrimoine et d’une
activité touristique et économique variée. Il
n’est donc pas possible de classifi er ces villes
selon leurs réponses à la valorisation de leur
patrimoine. Cependant on peut trouver des
éléments de réponses à la muséifi cation dans
l’analyse de certaines villes.
Venise, la ville insulaire, la légendaire cité
des Doges, semble être l’exemple adéquat
pour surligner les points qui peuvent poser
question dans la ville ancienne, et qui par
conséquent est soumise au tourisme culturel
et patrimonial. Cette ville qui fait le bonheur
des agences de tourisme du monde entier
et des touristes, et la fi erté des italiens nous
permettra de comprendre les limites du modèle
de protection et de valorisation du patrimoine
architectural et urbain.
La ville vénitienne présente de nombreuses
caractéristiques qui refl ètent les points critiques
de la muséifi cation que nous aborderons dans
une étude de cas assez succincte. L’enjeu
de cette partie est avant tout de surligner
le paradoxe qu’entretient la ville entre une
renaissance touristique et un délaissé des
questions urbaines. On critique essentiellement
la ville-musée, sur ses conséquences au
niveau de la population autochtone, sur sa
rigidité, sur sa surprotection… Est-ce vraiment
cela ? Peut-on tout imputer à la muséifi cation ?
De même qu’apporte réellement le processus
de muséifi cation à la ville ? Pour et contre
seront mis face à face pour proposer un portrait
critique de la ville muséifi ée.
L’analyse d’anecdotes sur la ville insulaire et les
points critiques mis en avant par les spécialistes
de la muséifi cation nous permettront d’élaborer
un portrait des pathologies engendrées.
44
Fig. 17 : Le Pont Rialto depuis la Riva del VinVenise
Michele Marieschi
Fig. 16 : Venise,La cité insulaire, la lagune et le continent
1 / VENISE, DU PORT AU TOURISME,
A LA RECHERCHE D’UN IDÉAL FIGÉ ?
« Venezia che muore, Venezia appoggiata
sul mare, la dolce ossessione degli ultimi suoi
giorni tristi, Venezia, la vende ai turisti »
[ « Venise qui se meurt, Venise appuyée à la
mer, la douce obsession de ses derniers jours
tristes, Venise la vend aux touristes » ]
Francesco Guccini, Venezia.
L’histoire de Venise n’est un secret
pour personne. Il est cependant nécessaire
de la rappeler, afi n de comprendre quel fut le
visage de la ville auparavant et pourquoi il est
celui que l’on connaît aujourd’hui.
Edifi ée au Vème siècle elle devient rapidement
une ville très infl uente de l’Italie du Nord
avec Gênes. La puissance de Venise résidait
dans deux points précis : sa fl otte navale
ainsi que son commerce (fi g.17). Elle restera
pendant plusieurs siècles un port marchand
très infl uent en Méditerranée. Sa renommée
fut aussi forgée grâce à une infl uence en
matière d’art, d’architecture, de littérature, de
poésie qui faisait de Venise une des seules
villes capables de rivaliser avec Florence
sur de nombreux domaines artistiques. La
grandeur de la ville insulaire se trouvait donc
renforcée par une renommée artistique mais
aussi économique et politique. Ce n’est qu’au
XIXème siècle que Venise s’est trouvée obligée
de se séparer de ses activités portuaires face
à l’industrialisation des ports et l’importance
des ports de Méditerranée comme Gênes. Elle
s’est donc tournée vers le tourisme orienté
autour de son patrimoine exceptionnel sur l’île.
Aujourd’hui l’ensemble de l’économie de la ville
est tournée vers le tourisme et les services. En
effet, en 2011, la ville de Venise a accueilli plus
45
Fig. 18 : Ecole d’architecture de Venise, un travail de couture urbaine,
Carlo Scarpa
de 23 millions de touristes, générant ainsi plus
d’un milliard et demi de chiffre d’affaire.
Aujourd’hui la ville a tout misé sur le tourisme,
devenu un tourisme de masse. Ces derniers
sont en quête de « la ville romantique ».
Et c’est avant tout ce que recherchent les
touristes : une ville comme sur les cartes
postales. Ils espèrent pouvoir repartir avec la
photo de Saint-Marc, du campanile, faire un
tour de gondole sur le Grand Canal en passant
sous les multiples ponts de la Cité des Doges.
C’est un idéal qu’ils recherchent car ils sont
friands de l’authentique, c’est-à-dire du comme
avant. Alors pourquoi changer quelque chose
lorsque l’on peut profi ter d’un patrimoine
impressionnant qui se suffi t à lui même ?
La ville de Venise se transforme peu à peu
en une île isolée du monde et qui tend à être
dépendante du continent. La ville portuaire
qui savait vivre de son commerce et de son
artisanat perd aujourd’hui cette qualité qui lui
était reconnue par tous au profi t d’une industrie
touristique qui semble plutôt bien fonctionner.
Cependant la ville semble fi gée dans un idéal
esthétique et urbain qu’il semble aujourd’hui
diffi cile de combattre. Le tissu urbain n’est
plus du tout adapté aux ambitions du XXIème
siècle et le centre-ville (qui représente en
fait l’ensemble de la cité) est classé pour
son patrimoine architectural et urbain. Alors
que faire lorsque sur une si petite zone (800
hectares) lorsque rien ne peut être modifi é et
tout doit être repensé pour attirer encore plus
de touristes.
Venise s’est laissée piéger dans un idéal
qu’elle a su préserver des modifi cations mais
qu’elle souhaiterait volontiers adapter au
nouveau siècle qui vient de débuter.
Alors que peut Venise face à son ambition
touristique?
2 / QUELLE AVENIR POUR LA VILLE
HISTORIQUE ?
La ville a depuis plusieurs décennies
essayé de sortir de cet idéal de la vieille pierre
dans son « contexte adéquat ». Plusieurs
architectes s’y sont confrontés. Venise est
assez hostile par nature à toute intervention
moderne.
LA DISCRÉTION, L’ÉPHÉMÈRE OU RIEN
En particulier Carlo Scarpa. L’architecte
d’origine vénitienne à réussi à intégrer son
architecture à la rigidité patrimoniale de
Venise. Intégrer est un mot assez fort, il a
plutôt réussi à tisser avec le contexte pour
créer une architecture qui vient se glisser dans
la ville. L’école d’architecture par sa sobriété
se glisse dans le tissu urbain. (fi g.18)
46
« Paradoxalement, j’ai envie de dire que
Venise pourrait accepter les choses les
plus modernes » confi e l’architecte lors d’un
entretien en 1979. Cependant il s’agit ici plus
d’un art de la couture urbaine plus que de
la planifi cation, de la rénovation ou encore
de l’adaptation urbaine. Scarpa propose
de mettre en scène la ville et le patrimoine
au lieu de venir jouer avec le contemporain
comme une affi rmation de l’ère actuelle. Ces
interventions de Scarpa affi rment certainement
le fait qu’il est aujourd’hui diffi cile de produire
du contemporaine dans la ville de Venise. Car
elle ne peut l’accepter en son sein.
D’autres architectes ont tenté l’aventure
vénitienne comme Tadao Ando en 2011 avec
la reconversion de la douane de mer en
centre d’art contemporain (fi g.19) qui vient
comme une intervention sous-marine se
loger dans un bâtiment existant, ou encore
Santiago Calatrava en 2008 avec le Ponte
della Costituzione (fi g.20). Si l’intervention
du premier fut peu critiquée, la posture
contemporaine radicalement affi rmée de
Calatrava associant acier et béton fut vivement
remise en question. Le pont fut rapidement
tagué (Qui é morta la cultura [Ici est morte
la culture]) et l’inauguration retardée par des
contestations nombreuses.
Continuons notre survol des interventions
architecturales dans la ville de Venise, ou
plutôt de ces non-interventions, projets
architecturaux avortés. L’un d’entre eux est
un projet de Frank Lloyd Wright en 1952
pour Paolo Masieri qui souhaite édifi er un
palazzino à la mémoire de son défunt fi ls.
Dès lors l’architecte propose sur une parcelle
triangulaire, en lieu et place d’une ancienne
construction appartenant à la famille Masieri,
Fig. 19 : Centre d’art contemporain, Douane maritime,
Tadao Ando,Venise
Fig : Ponte delle Costituzione,Santiago Calatrava,
Venise
47
Fig. 21 : Memorial Masieri, FL Wright, 1953,Modélisation par Dionisio Gonzalez, 2011,
Venise
Fig. 22 : Hopital de Venise, Le Corbusier, 1965,Modélisation par Dionisio Gonzalez, 2011,
Venise
Fig. 23 : Hopital de Venise, Le Corbusier, 1965
Venise
une construction répondant à l’ensemble
des principes de l’architecture organique si
chère à ses yeux. Le projet est d’une fi nesse
époustoufl ante (fi g.21). Il vient se glisser dans
le tissu urbain avec aisance. Les gabarits
proposés par l’architecte assurent une relation
équilibrée avec la ville vénitienne. Si sur le
papier, l’aventure vénitienne de Wright semble
être un succès, il en est pas de même sur le
plan politique et de l’opinion publique.
La ville de Venise est une des rares cités
où l’ensemble de l’espace urbain est
scénographié et existe par et presque
uniquement grâce à l’architecture. Modifi er
une façade (ou un bâtiment) revient à modifi er
un espace urbain. On présente alors Wright
par un caractère fi ctif de novateur méprisant la
culture et le classicisme. On fait de son origine
(les Etats-Unis dont l’histoire est récente) un
motif de mépris de l’architecture historique et
du patrimoine. Alors qu’il se veut en dialogue
d’une grande fi nesse avec l’existant, l’opinion
publique s’oppose farouchement à l’architecte.
Et pourtant l’architecte s’adapte mais au fait
qu’il construit une partie du « mur » du Grand
Canal. Mais rien n’y fait et le projet sera
fi nalement abandonné devant l’opposition de
l’opinion publique.
A cet exemple s’ajoute d’autre projet comme
celui de Le Corbusier pour l’hôpital de Venise
(fi g.22 & fi g.23) qui contrairement au projet
de Wright assume totalement sa modernité
(pilotis, béton brut, volumes simples…).
Mais rien n’est à faire, Venise a décidé de
rester dans un idéal classique et conservateur.
Cependant si à certains siècles la ville a su
ouvrir ses bras à des architectes qui ont donné
à Venise un air de nouveauté et d’inscription
dans son siècle avec des projets comme le
Palais des Doges, la Place Saint-Marc et sa
48
Cathédrale… elle semblent aujourd’hui dans
une inertie conservatoire dont elle semble ne
pas pouvoir se débarasser.
La ville trouve aussi son attraction touristique
dans les différents festivals organisés chaque
année et en particulier la désormais célèbre
Biennale d’architecture.
Des interventions contemporaines ont su
se glisser dans la ville de Venise lors cette
manifestation. Ces réalisations ponctuelles
ne reçoivent qu’une très faible opposition
des vénitiens qui comprennent leur caractère
éphémère et qu’ils perçoivent plus comme
de l’art urbain que comme une intervention
architecturale ou urbaine.
Les frères Aires Mateus ont réalisé une
sculpture en acier corten sur les quais de
Venise en 2012 (fi g.24), Inter National Design
propose une mosquée fl ottante faite de ballon
pour la biennale 2010 de Venise fl ottant dans
la lagune (fi g.25).
Globalement les vénitiens sont plutôt hostiles à
toute intervention contemporaine dans la ville
historique de peur de confronter les « styles ».
Va-t-on alors arriver à ce que certains
décrivent comme un Disneyland architectural
et urbain où toute évolution ne serait qu’une
oeuvre d’art et où la fonctionnalité de l’espace
serait avant tout une composante secondaire.
« Venice is the fi rst urban theme park. Like any
other theme park, it is full of attractions. » [9]
La ville de Venise est-elle en train de devenir
un véritable musée urbain ? Y a-t-il une vie en
dehors du tourisme ?
L’AVENIR HORS LES MURS
Dans une exposition organisée par
Moleskine et Julien de Smedt Architects,
Détour Mapping Contemporary Venice,
Fig. 25 : Mosquée fl ottante en ballon, Biennale 2010,Inter National Design,
Venise
Fig. 24 : Radix, Biennale de 2012Aires Mateus,
Venise
[9] KAY John, 2008, “Welcome to Venice, the theme
park”, in The Times, 01/03/2008, Londres.
49
l’architecte propose un projet pour inscrire la
ville dans l’ensemble des villes et métropoles
contemporaines rayonnantes. La proposition
semble être une non-solution pour la ville
historique. Les constructions contemporaines
ne viennent pas se greffer à la ville ancienne
mais créer une ceinture sur la mer (fi g.26). Les
nouveaux bâtiments ne sont pas soumis à la
contrainte urbaine.
Est-ce une façon de faire passer un message
à la ville ? L’hyper densité patrimoniale est
par ailleurs un frein à toute intervention
architecturale contemporaine ou à toute
modifi cation urbaine car le moindre projet
remet en question la présence d’un édifi ce
digne d’être conservé.
De même les projets d’envergure pour Venise
ne se trouvent plus sur la mer mais bien sur le
littoral. Pierre Cardin souhaite réaliser une tour
haute de 245 mètres à quelques kilomètres
seulement du centre historique. Ce « Palais
lumière » (fi g.27) accueillera un complexe
composé de logements, de bureaux mais
aussi de commerces et de centres de congrès.
Ce projet a immédiatement fait débat alors
qu’il ne touche même pas le centre historique
de Venise.
L’avenir de Venise se trouve-t-il encore entre
ses propres murs ou faut-il penser à réfl échir
la ville extra-muros, sur la lagune elle-même ?
IL FAUT SAUVER... LE TOURISME
Aujourd’hui le patrimoine est largement
conservé mais ce qui semble en péril c’est
avant tout le tourisme.
Chaque année la ville connaît des
phénomènes d’inondations, les Acqua Alta. Et
ces inondations conséquentes paralysent une
Fig. 26 : Exposition DétourMapping Contemporary Venice
Julien de Smedt
Fig. 27 : Palais Lumière,une tour de 245 mètre de haut,
Venise
50
Fig. 30 : Les pigeons, patrimoine de Venise, aujourd’hui renié
Fig. 29 : Projet MOSE
Fig. 28 : Touristes sur des circulations survélevésVenise
partie de la ville. Tout est alors mis en place
pour assurer les déplacements des touristes
avec des circulations sur pilotis (fi g.28).
Le projet Mose (fi g.29), mis en place pour
limiter ces phénomènes, ne trouve que très peu
d’intérêt dans la protection des édifi ces mais
avant tout dans la possibilité d’accueillir des
touristes sur l’île même pendant les épisodes
de montées des eaux. Venise veut-elle
protéger son patrimoine ou juste s’assurer que
les touristes, friands d’un idéal architectural et
urbain que tout le monde vante, trouve la ville
de Venise comme on leur présente.
« Je connais un pays étrange où les lions volent
et marchent les pigeons » Jean COCTEAU
Anecdote ou simple point appuyant la théorie
selon laquelle le tourisme est l’ultime joker
de Venise : il y a encore 20 ans les touristes
se ruaient sur la place Saint-Marc pour
photographier les pigeons, partiellement
apprivoisés par les touristes et les grainetiers
de la ville, qui occupaient une place majeure
dans le paysage de Venise (fi g.30). Face aux
dégâts occasionnés par ces derniers sur les
édifi ces patrimoniaux, l’autorité municipale
prend la décision d’interdire de nourrir ces
volatiles en 1997, sauf pour la place Saint-
Marc souhaitant garder cette tradition avant
d’étendre ce décret à la place reine de la ville
en 2008.
Après les hommes ce sont les pigeons,
tradition pittoresque vénitienne, qui, sous le
désir de la culture patrimoniale et touristique
de masse, subissent le joug du tout-patrimoine
car la protection n’est autre que la seule arme
dont dispose Venise pour un jour peut être
sortir de l’endormissement.
51
3 / OÙ EST PASSÉE LA VIE ?
La ville de Venise tend à devenir
un véritable musée, accueillant une
collection impressionnante de constructions
patrimoniales et atypiques. Mais par
défi nition un musée est un lieu qui accueille
temporairement du public, un lieu qui ouvre
ses portes le matin, accueille les visiteurs en
journée et se vide le soir. Et c’est à peu près
ce qu’il se passe à Venise.
La population résidante annuelle, qui
représentait environ 200.000 personnes
environ au XVème siècle et qui vivaient
essentiellement de l’industrie portuaire et de
l’artisanat, n’est plus que de 58.000 personnes
aujourd’hui dont la grande majorité vit du
tourisme de masse.
Le prix du foncier a augmenté à une vitesse
fulgurante pour dépasser des plafonds
jamais atteints autour de 35.000 à 40.000
euros du mètre carré dans la ville historique
pour des constructions qui sont parfois
vétustes ou en mauvais état. Les travaux de
réhabilitation peuvent parfois coûter très chers
pour des personnes dont les revenus sont
essentiellement basés sur le tourisme. La ville
se dote donc d’une collection de constructions
patrimonialement intéressantes mais qui ne
répondent pas aux ambitions du XXIème siècle
car trop vétustes, trop petites, mal éclairées et
au confort inexistant. Seules les constructions
situées dans les zones touristiques, le Grand
Canal, autour des quartiers de San Marco et
de Dorsoduro semblent encore en bon état.
C’est pourquoi les agences de locations et
les complexes hôteliers se ruent sur des
constructions de ce types car elles ont les
moyens d’investir pour accueillir les touristes
qui sont près à dépenser une fortune pour
rester quelques jours dans la ville la plus
romantique au monde.
« A tout miser sur le tourisme, on fi nira par
transformer les vénitiens en pandas à placer
sous la protection de WWF. » [10] analyse
l’ancien magistrat Felice Casson. L’habitant
vénitien devient une exception dans le fl ot
quotidien des touristes qui arpentent la
Sérénissime, une espèce qui semble en voie de
disparition. Peu à peu face au nombre toujours
croissant de visiteurs la ville voit l’artisanat
disparaître pour être remplacé par les produits
chinois qui envahissent progressivement les
commerces.
« Selon un enquête, les 20 millions de touristes
(source 2009) dépensent, en moyenne, ici, 15
euros ! C’est évident qu’ils achètent chinois ! »
[11] soulève Gianni De Cecchi directeur de
l’association pour l’artisanat Confartigianato. A
Venise le tourisme de masse a tué l’artisanat
alors qu’il aurait pu l’encourager et promouvoir
le savoir-faire vénitien dans bien de domaines.
Alors aujourd’hui, Venise est-elle le manifeste
de l’échec de la muséifi cation ?
Fig. 31 : Evolution de la population vénitienne insulaire entre le XVème siècle et 2012
[10-11] Témoignages extraits de l’article de LUKSIC Vanja, SAUBABER Delphine, 2009. « La Moribonde est immortelle », L’Express, 30 avril 2009
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030303
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0303LE XXIÈME SIECLE
ET LA VILLE ITALIENNE :
UNE POSSIBLE ÉVOLUTION ?
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0303A - PEUT-ON ENVISAGER UN AVENIR POUR LA VILLE-MUSEE ?
L’analyse précédente nous a montré
qu’il existe une ambivalence entre la volonté
de vitaliser le tourisme par la patrimonialisation
et la muséifi cation, cependant cela peut
facilement entraîner une multitude de
problèmes (gentrifi cation, sur-protection,
destruction d’emplois...) si cette volonté n’est
pas gérée correctement dès sa mise en place.
Alors est-ce une fatalité que d’orienter la ville
vers le tourisme, d’exploiter le patrimoine et
de développer une économie tournée vers la
politique culturelle ? Il semble que Venise soit
l’archétype d’un échec annoncé dès le début et
soulevé très tôt par des architectes tels Sergio
BETTINI lors du refus populaire du projet de
Wright.
Alors quel avenir pour ce qui serait considéré
comme une échec inné ? Faut-il céder à la
volonté du touriste qui ne souhaite que voir
de « l’authentique » refl et d’une histoire,
cristallisation d’un passé resplendissant ?
Peut-on sous le dictât du tourisme oublié que
la vie se trouve aussi entre les murs de la cité ?
CONSERVER, PROTÉGER, PLUS QU’UNE
VOLONTÉ, UNE NÉCESSITÉ
Aujourd’hui il n’est pas question
de détruire le patrimoine, il est même
inenvisageable de se poser la question.
Comme évoqué dans la première partie de ce
mémoire de recherche, le patrimoine n’est plus
à protéger mais à valoriser comme certains
l’ont compris depuis bien longtemps.
Le patrimoine est vecteur d’une économie à
développer certes, mais elle est avant tout le
témoins d’une histoire, d’un héritage, véritable
sens du patrimoine, comme bien hérité du
passé et d’une personne (ici d’une ville, d’une
nation...).
La question à se poser n’est pas «comment
faire pour éviter de devenir comme Venise,
fi gée, cristallisée (à jamais?) ?», mais bien
«que peut-on faire de ce patrimoine, de cet
urbanisme hérité des générations précédentes
tout en les combinant avec les volontés
contemporaines du XXIème siècle ?».
« Nous avons en effet une tradition artistique,
un patrimoine d’histoire et de beauté
monumentale que nous voulons et que nous
devons conserver, car le sentiment de notre
peuple doit se refléter dans une organisation
et un style qui nous soient propres. » [12]
LA MUSEIFICATION SE RESUME-T-ELLE A
LA SURPROTECTION DU PATRIMOINE ?
Avant de parler de fatalité il serait
intéressant de se pencher plus en détail sur la
question de la muséifi cation, terme de plus en
plus péjoratif dans le vocabulaire urbanistique
et architectural.
Pour cela l’étude de Nicolas NAVARRO sur
la ville et le tourisme nous sera une source
majeure. Dans son article La muséalisation de
l’urbain, interprétation du patrimoine, recréation
d’une urbanité, Nicolas NAVARRO met en
exergue la différence entre muséifi cation et
muséalisation des villes historiques et en
particulier de leurs centres historiques.
[12] GIOVANNONI Gustavo, 1998, L’Urbanisme face aux villes anciennes, Paris, Editions du Seuil.
56
En effet on a souvent tendance à parler de
muséifi cation des villes dites historiques, les
laisser dans un idéal fi gé dans le temps, «
des « pétrifi cations » muséales où l’urbanité
ne serait plus à même de s’exprimer ». Ce
terme de muséifi cation utilisé par bon nombre
d’urbanistes et architectes donne une vision
quelque peu négative de la ville, vue comme
endormie et qui n’est plus en phase avec son
siècle.
Ce terme fait appel à deux notions : celle du
« musée » et celle du « muséal ». Le musée
défi nit plus un côté fi gé, alors que muséal
renvoi à la notion de mise en exposition de
scénographie, d’exposition.
L’avenir se trouve-t-il autant dans l’espace
urbain, espace de scénographie, que dans le
patrimoine et le bâti ?
Si le patrimoine a pendant des années été
considéré comme le monument, sa défi nition
s’est complexifi é au fi l des années et intègre
aujourd’hui une collection de constructions qui
n’ont pas été pensées comme tels (patrimoine
urbain, industriel, militaire…).
Une quantité de réglementation a ainsi
permis au patrimoine d’exister hors d’une
reconnaissance comme tel, en particulier
en Italie qui a vu le développement de la
notion de patrimoine urbain au fi l des siècles
grâce à des architectes et urbanistes comme
Giovanonni. Le patrimoine affecte en effet
des zones alentours qui sont dépendantes
de l’image du cet élément patrimonial. Ces
reconnaissances réglementaires et théoriques
donnent au patrimoine une qualité d’existence
dans le monde contemporain.
Prenons la défi nition du musée donnée par
l’ICOFOM en 2007 : « Le musée est une
institution permanente sans but lucratif, au
service de la société et de son développement,
ouverte au public, qui acquiert, conserve,
étudie, expose et transmet le patrimoine
matériel et immatériel de l’humanité et de son
environnement à des fi ns d’études, d’éducation
et de délectation ».
Le patrimoine doit donc dialoguer avec son site,
et la population pour tenter d’exister dans l’ère
du XXIème siècle. Tout patrimoine doit trouver
une fonction. La nécessité d’interprétation de
ce patrimoine lui donne une légitimité dans la
ville d’aujourd’hui. Il ne peut être une pièce
de décor de la ville pour le bon vouloir des
touristes friands authenticité labellisée.
« La patrimonialisation et la muséalisation
conduisent à la création d’un espace singulier
au cœur de la ville. En voulant conserver
les caractéristiques anciennes de la ville, en
réintroduisant des fragments d’historicité, cet
espace semble représente un conservatoire,
un musée de l’urbanité ancienne. »
On assiste à une redéfi nition de l’espace
public : la muséalisation ne vise pas à fi ger
l’espace dans un temps donné mais à faire
évoluer cet espace pour l’adapter aux attentes
touristiques et urbaines contemporaines. Il
s’agit réellement d’un musée : la scénographie
évolue alors que les objets exposés restent les
mêmes, même s’il peuvent être restaurés et
présentés différemment.
« La muséalisation serait alors un processus
global qui touche à tous les aspects urbains
(habitations, économie, populations,
aménagement urbain…) en conduisant, non
pas à conserver tel quel un lieu patrimonial,
mais en offrant les conditions adéquates à une
bonne appréhension de la valeur patrimonial
de celui-ci. »
Il est donc essentiel de comprendre que la
muséifi cation n’est qu’un a priori de la question
57
de la protection du patrimoine, car il est plus
juste de parler de muséalisation pour mieux
cerner l’attitude à avoir sur le patrimoine et
l’espace urbain : le musée est donc une image
juste, il faut savoir composer un parcours, une
nouvelle scénographie, de nouveaux usages
pour des pièces de collections qu’elles soient
aussi impressionnantes qu’un Delacroix de
2,5 m par 3 m, ou de la simplicité d’un vase
antique.
QUEL FUTUR POUR LES VILLES
ITALIENNES ?
Heureusement pour l’Italie, qui
représente un des pays les plus complexes
en matière de législation et de reconnaissance
patrimoniale et de qualité architecturale, il
semblerait que les villes et communes aient
intégré l’échec de Venise afi n de ne pas copier
un modèle trop souvent critiqué par le corps
des architectes, urbanistes mais désormais
aussi par les personnes externes à la pratique
architecturale.
Afi n de comprendre comment ces villes ont pu
s’émanciper du modèle vénitien qui semble
la référence en matière d’exploitation du
patrimoine à vocation touristique, nous allons
nous intéresser à deux villes : Gênes et Rome.
Gênes nous éclairera sur la façon dont une
ville peut faire du patrimoine une valeur de
rénovation urbaine alors que celle-ci ne l’avait
jamais exploité auparavant.
Quand à Rome, nous nous intéresseront
plus à des projets contemporains particuliers
pour comprendre qu’est ce que représente
la construction contemporaine dans la «ville-
musée».
Ces deux villes vont nous aider à prendre
conscience que la patrimonialisation et la
muséifi cation (ou muséalisation pour être plus
précis selon les termes de Olivier Navarro)
ne sont pas nécessairement synonyme
d’endormissement et de pétrifi cation
temporelle mais qu’un travail fi n de réfl exion
urbaine et architecturale peuvent amener la
ville-musée dans une perspective d’adaptation
au XXIème siècle qu’elle n’aurait su envisager
auparavant. Cela demande certes un travail et
un investissement de réfl exion plus poussés,
mais au XXIème siècle il est aujourd’hui
évident qu’une cohabitation est possible
entre l’ambition initiale de Venise de trouver
dans le tourisme une nouvelle renaissance
et les composantes sociales, économiques et
politiques du siècle actuel.
58
Fig. 32 : Porto Antico, Gênes, la ville palimpsesteAu premier plan , Bigo et l’espace evenementiel de Renzo Piano
Au second plan, la Sopraelevata, le Teatro Carlo Felice d’Aldo Rossi et la Cathédrale
Fig. 33 : Plan satellite de Gênes,Entouré, le centre historique à proximité du port
59
0303B - GÊNES : UN EXEMPLE DE MUSÉALISATION ÉQUILIBREE ?
1 / VILLE ATYPIQUE OU REFLET DES
VILLES ITALIENNES ?
APOGEE ET RAYONNEMENT
Il s’agit ici d’approcher la ville et sa
typologie atypique par certaines anecdotes.
Gênes est adossée au pied de montagnes et
construite sur cette frange de terre entre mer
et montagne. Elle profi te d’un golfe assez
profond ce qui l’a immédiatement tournée vers
le commerce maritime dès le XIème siècle
pour devenir une place forte du commerce
méditerranéen au Moyen-Age et fi nalement le
port le plus infl uent de l’Italie à la Renaissance.
Le visage de la ville est assez atypique. Auprès
des palais des familles génoises se trouvent
des quartiers d’habitat populaire.
Tournée essentiellement vers le commerce
portuaire, la ville a longtemps été cloisonnée
entre ses murailles dont la dernière datant du
XVIIème siècle a défi nit le visage de la ville
jusqu’au XIXème siècle. Des lors la ville a du
composer dans un centre étroit, dense (fi g.33).
La ville s’est reconstruite sur elle-même,
exemple même de la ville palimpseste (fi g.32).
On y trouve de riches palais embellis au fi l
des siècles, peu d’espaces publics... Cette
contrainte d’emprise au sol fait du centre-ville
de Gênes, le centre historique le plus dense
d’Europe.
Seulement au XXème siècle après l’annexion
des communes alentours, et de développement
de l’urbanisme hors des murs, la ville a pu
respirer et se tourner vers les collines alentours
pour s’étendre et accueillir plus d’habitants.
Des lors des travaux d’embellissement de la
ville ont pu être entrepris comme ceux de la via
XX Settembre ou sur le port avec la Ripa Maris
avec ses espaces de commerces en arcades.
L’industrie portuaire a donc fait la fortune de la
ville jusqu’au début du XXème siècle.
DECLIN DE LA PUISSANCE DE LA VILLE
Mais très vite les composantes
industrielles, économiques et sociales du
XXème siècle ont perturbé le rêve et l’idéal
génois. Au milieu du XXème siècle, la ville
a souhaité asseoir sa puissance portuaire
en développant un port et une industrie
performante. Le port industriel a été construit
modifi ant pour toujours le visage de la ville.
La Sopraelevata, autoroute urbaine passe le
long du port et sépare le vieux port du centre
historique de Gênes. Les quartiers anciens
deviennent trop étroits, mal éclairés, insalubres
et malfamés. La ville connaît ensuite dans la
deuxième moitié du XXème siècle un déclin
industriel et la ville connaît la perte de plus
de 70000 emplois et de 200000 habitants. La
population est de plus en plus vieillissante,
les friches industrielles se multiplient dans la
périphérie génoise.
Gênes semble sur le déclin, que de nombreuses
villes portuaires et industrielles connaissent au
XXème siècle en particulier en Italie.
Cependant la ville, confronté à la désindustri-
alisation, fl éau du siècle, ne pourra pas
sombrer longtemps dans la marasme qui a
façonné le visage de la ville à la fi n du XXème
siècle.
60
2 / LE RENOUVEAU DE LA VILLE :
QUELLES OPTIONS ?
Pour sortir de cette impasse Gênes a
pris plusieurs décisions :
> Se tourner tout d’abord vers une richesse
gratuite : la patrimoine et l’exploiter pour que
le tourisme redynamise la ville, son centre
historique et son port.
> Assurer la mutation du port en port de
containers et en port de passagers (fi g.34).
> Remplacer les industries lourdes (sidérurgie,
raffi neries) par des industries propres.
> Accueillir des étudiants dans le centre-ville
pour retrouver la vie.
Notre analyse ne portera pas sur les
reconversions portuaires et industrielles mais
sur celle du centre-ville. Cependant il est
intéressant de noter que la ville ne s’est pas
tournée uniquement vers le centre-ville et son
patrimoine pour assurer à celle-ci un avenir
dans le siècle actuel. Elle a mis en œuvre une
multitude d’outils pour parvenir à sortir la ville
de son déclin. Les résultats ont été surprenant
cependant. L’activité du port à été multipliée
par cinq, l’industrie de haute technologie
se développe considérablement, le nombre
d’entreprises est croissant, le chômage a
baissé de plus de 5% (avant la crise de
2008)... En quelques mots Gênes a réussi sa
reconversion et son adaptation.
Le tourisme trouve donc une nouvelle place
de choix dans la redéfi nition du visage de
Gênes. Auparavant, les touristes se tournaient
vers Gênes pour son cimetière marin, dont
les impressionnants mausolées jalonnent un
parc arboré d’un qualité paysagère inégalable.
Gênes n’était qu’une étape dans les voyages
Fig. 34 : Nouveau port de Gênes,Port industriel et de passagers
Fig. 36 : Place de la CathedraleUn centre ville ancien
d’une grande qualité architetcurale
Fig. 35 : Porto AnticoPremier jalon de la reconversion de la ville
61
vers le sud de l’Italie pour les touristes français,
allemands, suisses... Désormais Gênes est
une destination touristique à part entière.
Cela est dû en parti à deux opérations qui ont
donner à la ville un visage qu’elle n’avait jamais
eu et que peu de gens aurait pu déceler. Ces
deux opérations sont celles de Porto Antico
qui a permis la redécouverte du port antique
(fi g.35) en 1992 par l’opération menée par
Renzo Piano, et celle du centre historique
(fi g.36) entre 1992 et 2004 (plusieurs secteurs
successifs).
Gênes a retrouvé la vie en se tournant vers
son port et vers la mer, puis vers son centre
historique. Ci après nous allons parcourir
ces opérations qui ont remis Gênes sur les
chemins d’un avenir ambitieux et assumé.
3 / RETROUVER SON PORT :
UN PROJET INITIATEUR
UN PROJET AMBITIEUX
Il est important de noter que le projet
de Porto Antico n’est pas un projet de tourisme
pur comme pourrait l’être un projet lambda
dans une ville italienne touristique tel Venise.
Il est un projet pour les touristes et pour les
génois. Pour assurer sa métamorphose la ville
s’est d’abord tournée vers le cœur historique
de la création de la ville à savoir son port.
L’idée même de Porto Antico réside dans la
proposition de Renzo Piano. Il souhaite allier
la ville de Gênes et de Séville (exposition
universelle de 1992 dont le thème est « l’Ère
des Découvertes ») dans la célébration du
5000ème anniversaire de la découverte de
l’Amérique par Christophe Colomb, d’origine
génoise. Ce projet prend racine et devient un
véritable projet urbain pour la ville.
L’équipe d’architecte, menée par Renzo Piano,
a souhaité créer à Porto Antico un véritable
« morceau de ville », assurer une grande
porosité et une fl uidité entre la ville et la mer et
entre les espaces du port.
UN PROJET PAS À PAS
Dans un premier temps, en 1992 sont
réalisés les travaux de reconversions des
entrepôts du port. Ils accueillent alors le centre
des congrès, des restaurants, des galeries
marchandes...
Une promenade est réalisée le long du port
de plaisance et des constructions nouvelles
sont réalisées : la capitainerie, un multiplex,
la place des fêtes, et l’aquarium (un des plus
grand d’Europe) constitue la pièce maîtresse
du projet, même s’il a vivement été critiqué
à sa réalisation car trop représentatif des
activités que l’on peut trouver en bord de
mer. Certains édifi ces dont l’entrepôt du
café à largement été remanié pour accueillir
ses nouvelles fonctions, ainsi l’architecte de
l’agence RPBW n’a pas hésité à supprimer
plusieurs niveaux pour ramener l’édifi ce dans
la taille des constructions du centre de Gênes
et pour libérer la vue sur la mer depuis la ville.
Il est important de noter que les constructions
existantes ont été mises à profi t,, autant que les
nouvelles, pour assurer un usage de l’édifi ce
et une continuité avec son histoire passée.
Les espaces publiques sont peu travaillés
compte tenu de la rigueur fi nancière du projet
et le minimum est mis en œuvre pour assurer
la pérennité et la fonctionnalité de l’espace.
Le port fait parti de l’histoire de la ville et de son
62
Fig. 38 : Aquarium de Gênes1992, agrandi en 1998
Fig. 37 : Centre des congrès de GênesPort de plaisance
Fig. 39 : Vue aérienne du Porto Antico, les différentes opérations réaliséesA droite, la vieille ville, séparée du port par la Sopraelevata
A - Aquarium (1992 - agrandi en 198)
B - La sphère abritant une collection de fougères
(2001)
C - Place des fêtes (1997)
D - Le Millo & Bigo (1992)
E - Musée Emanuel Luzzati (2001)
F - Piscine transformable en théatre (1998)
G - Pavillon de la Mer et de la Navigation (1996),
Multiplex (1997), Cité des enfants (1997)
Médiathèque (1999) Music Store (2000)
H - Centre des congrès (1992)
A
B
C
D
E
G
H
F
63
patrimoine. Elle a réussi avec cette première
phase du chantier de Porto Antico à concilier
les activités touristiques et les activités
manquantes à la ville telle que le centre des
congrès (fi g.37), ou les activités relatives au
port de plaisance comme la capitainerie.
La deuxième partie de l’opération lancée en
1996 vient encore plus lier le Porto Antico à
la ville et à son centre. Cette seconde tranche
est essentiellement tournée vers un public
génois. Ainsi la ville ne souhaite pas rendre
la vie sur le port uniquement tournée vers les
touristes (avec par exemple l’aquarium (fi g.38)
ou encore les restaurants et commerces) mais
souhaite installer un programme original : la
Cité des Enfants qui accueille la plus grande
médiathèque pour enfants d’Italie, mais
aussi des musées d’arts et de sciences,
des équipements sportifs avec entre autre
un gymnase et une piscine... Cette nouvelle
tranche accueille des fonctions qui viennent
compléter l’offre de la ville de Gênes quant
à son attractivité pour les résidents et les
potentiels nouveaux habitants.
LES RAISONS DU SUCCÈS
L’élément clé qui a assurer la réussite
à long terme reste peut être le fait que la ville
a décidé, en 1995, de confi er intégralement la
gestion du port à la société Porto Antico SPA
ce qui libère la ville du poids de l’opération et
laisse à la société la liberté d’intervenir plus
librement et rapidement alors que la législation
italienne reste très complexe.
Aujourd’hui, après 20 ans d’exploitation, le
projet est un véritable succès auprès des
touristes de plus en plus nombreux et auprès
des génois qui ont intégré ce quartier dans
leur quotidien. Ci-après on peut voir un compte
rendu des chiffres que représente Porto Antico.
Ici se mêlent donc culture, loisirs, sports... La
ville a fait aussi confi ance aux entrepreneurs
pour proposer une nouvelle vie à se site. Ainsi
le projet d’avoir un immense Music store à
commencé avec l’installation d’une petite
boutique de disque qui s’est agrandie petit à
petit consciente de son succès pour obtenir la
licence Virgin. Il faut non seulement que les
pouvoirs publics contrôlent le projet mais les
entrepreneurs doivent pouvoir être force de
proposition et assumer les résultats.
Cette opération urbaine est donc le témoignage
qu’une orientation touristique n’est pas
uniquement tournée vers le touriste mais peut
amener un dynamique à tout un site.
Cet exemple est particulier certes car il
n’est pas réellement une muséalisation car
le patrimoine portuaire atypique se prête
facilement à la reconversion, mais l’agence
aurait pu jouer le jeu de la neutralité.
Si Porto Antico a initié le projet de
renouvellement urbain de Gênes, il est
initiateur principalement de la redécouverte
du centre ancien. La ville ne s’est pas reposée
sur son patrimoine pour attirer le public, elle a
su provoquer son dynamisme.
Chiffre d’affaire : 10,8 millions d’eurosInvestissement : 60,7 millions d’euros (sur 8 ans)900 emplois crées (sans transferts d’emplois
depuis le centre-ville)
3,5 millions de visiteurs (dont 1,2 millions pour
l’aquarium)
130000m² crées (dont 70000 d’espace public)
> 28% culture et science
> 21 % congrès
> 18 % loisirs et éducation
> 14% services et parkings
> 12% commerces et restauration
> 7% bureaux
Fig. 40 : Porto Antico en chiffres(source Porto Antico SPA 2003)
64
4 / RETROUVER SON CENTRE-VILLE :
LA FINALITÉ DU PROJET
UN LIEU IMPOSSIBLE A VIVRE ?
« Le centre-ville [de Gênes] était la
la fois le trésor de la ville et son handicap ; il
fallait transformer le handicap en potentialités,
ouvrir la boîte à bijoux » [13]
Tel était le problème le problème de Gênes :
jouir d’un centre-ville exceptionnel, d’un
patrimoine varié et de qualité sans avoir les
moyens de le remettre à la place qui lui est
dues.
Comme expliqué auparavant Gênes n’est sorti
de ses remparts qu’au XIXème siècle. Les
rues étroites, les bâtiments très hauts de 5 à
6 étages en moyenne dans le centre-ville lui
donne un visage tout particulier mais en fait
aussi un handicap notable. Le centre ancien
se vidait alors peu à peu de ses habitants,
l’insécurité explosait, les diffi cultés d’accès
compliquait la vie dans le centre, le manque
de lumière et l’insalubrité repoussait de
nombreuses personnes à s’installer ici. Peu
à peu le centre-ville ancien a accueilli des
activités de recel de drogue, a servi de refuge
aux immigrés et SDF...
Comment pouvait-on sacrifi er un centre
exceptionnel comme celui de Gênes car il
n’était pas « compatible » naturellement avec
les activités du siècle actuel ?
Pendant des années, cette ville a laissé son
patrimoine architectural d’exception de côté
pour s’intéresser plus à l’expansion de la ville
hors les murs. Elle n’avait alors pas conscience
de la valeur de son centre ancien.[13] GABRIELLI Bruno, ancien adjoint à la qualité urbaine de la ville de Gênes dans MASBOUNGI Ariella (sous la direction de), 2001. Gênes : penser la ville par les grands évènements, Parenthèses. pp 91
Fig. 41 : Faculté d’architecture de Gênes
Fig. 42 : Teatro Carlo Felice
65
En 1960, la municipalité lance une série
de réfl exion sur le centre-ville et la ville en
générale mais ces réfl exions n’aboutissent sur
aucun projet urbain ou de renouvellement du
centre.
Dès les années 80-90, la ville met en place
un projet de transformation urbain. Il est
alors question d’investir massivement pour
le centre ancien afi n de doper l’économie
et le renouvellement de l’ensemble de
l’agglomération génoise.
L’objectif est simple : Gênes sait qu’elle ne
peut pas exister que par le tourisme. Alors il lui
faut concilier la vie quotidienne des habitants
avec celle des touristes.
QUELQUES PROJETS INITIATEURS ET
UNE MAIN TENDUE VERS LE PORT...
Le projet de Porto Antico trouve son
écho dans le centre de Gênes. Alors que tout
l’ancien port est en effervescence, quelques
zones de la vieille ville tente de sortir de
l’endormissement. Ainsi dès 1972 la faculté
d’architecture (fi g.41) s’installe en plein cœur
de l’ancien quartier dans l’ancien palais de
l’Evêque, le Teatro Carlo Felice (fi g.42) se
voit reconverti par Aldo Rossi, endommagé
durant la seconde guerre mondiale et dont
les précédents projets de reconstruction avait
été avorté, il ouvre en 1991. De même de
musée Sant’Agostino, est lui aussi installé
dans les anciens cloîtres attenants à l’Église
Sant’Agostino dans les années 70. Ces
exemples ponctuels se sont trouvés assez
isolés mais peu à peu la ville a accueilli les
nouveaux étudiants de la faculté et des génois
tentés par l’expérience du renouvellement
urbain.
Par ces quelques projets et par la dynamique
apportée par le renouveau du port, des axes
de la ville sont rénovés, assainis, pavés... afi n
de redonner aux différents quartiers un visage
de ville « vivable ». Ces projets ont par la
même occasion permit le développement de
commerces de proximité, de boutiques et de
bars à cause et surtout grâce à cette nouvelle
population qui s’installe et redécouvre le
centre-ville.
Sont donc mêlées les ambitions pour les
touristes ainsi que pour les habitants.
Les projets d’espaces publics de 1992 sont
donc les premiers jalons de la reconversion et
de la redécouverte du centre-ville de Gênes
par ses habitants et ses touristes.
Cependant si les ambitions de renouveau
prennent forme à la fi n du XXème siècle dans
le centre de Gênes, Il manque une cohésion
de l’espace public pour assurer un avenir au
projet.
En 2001, la municipalité fait l’un des projets
les plus bénéfi ques pour la ville de Gênes : la
piétonisation et la requalifi cation urbaine de
via San Lorenzo qui relie le Palazzo Ducale
au Porto Antico en passant par la Cathédrale.
Dès lors la vieille ville autrefois inhospitalière
tend la main vers le projet le plus novateur du
siècle pour Gênes à savoir la requalifi cation du
port. Les façades des bâtiments sont ravalées,
les espaces publics réaménagés le plus
simplement possible. A noter qu’il s’agit avant
tout d’un projet d’espace public reliant des
monuments ensemble ou des pôles attractifs
déjà reconvertis. Le projet de la via San
Lorenzo est aussi un projet visant à assainir la
ville, polluée et mal-entretenue.
Dès lors la ville semble sortit de
66
Fig. 43 : Palazzo Rosso,depuis la cour du Palazzo Bianco
Fig. 44 : Via San Lorenzo,Au second plan, la Cathédrale de Gênes
E
CD
A
B
Fig. 45 : Vue aérienne du Porto Antico et du centre ancien, Les différents projets réalisés
A - Musées de la Via Garibaldi
B - Cathédrale de Gênes
C - Palazzo Ducale
D - Teatro Carlo Felice
E - Faculté d’Architecture
Axe d’équipement à la personne
Axe alimentaire
Axe ameublement
Axe de vie nocturne et loisirs
67
l’endormissement. En 2004, ce sont les palais
de la ville qui sont réhabilités en musée,
et restaurés. En particulier le long de la Via
Garibaldi avec en particulier les Palazzo
Rosso (fi g.43) et Bianco.
Les espaces publics sont à leur tour
réaménagés tout comme la Via Garibaldi ou
encore la Via Lomellini.
La force de ces projets réside dans le fait que
les habitants, les autochtones génois, ont
accepté cette redéfi nition de l’espace et les
interventions réalisés sur les bâtiments anciens.
Là où le projet de Wright fut rejeté à Venise
tout comme celui de Calatrava largement
contesté, à Gênes l’école d’architecture s’est
faite se place dans un centre ville qui n’est pas
sur-classé, auprès d’une population acceptant
l’évolution, et sans règles rigides.
UN PROJET POUR LES TOURISTES ET
LES HABITANTS
Ce qui fait la différence entre Gênes et
une ville lambda c’est cette aptitude à toujours
savoir jongler entre le touriste et l’habitant. Là
où l’un profi te d’un équipement, l’autre jouit
de la possibilité de visiter un musée. Là où un
espace public est aménagé, il est réfl échi pour
les deux usages.
Les espaces publics se sont vivifi és, les
monuments et bâtiments sont réinvestis. Il ne
restait plus qu’aux commerces à trouver une
nouvelle vie. Et ce ne fut pas le plus simple.
En effet, les commerces ont mis relativement
de temps à se mettre en place dans la ville
compte tenu de l’évolution de la population
dont personne ne pouvait assurer l’installation
permanente dans la vieille ville. De plus,
certains artisans, vendeurs avaient pris
l’habitude de ne pas ouvrir leurs commerces
habitués à ne pas les ouvrir quotidiennement.
Cependant le tourisme et ses retombés
économiques ne peuvent pas se passer de
boutiques ouvertes les week-end ou les jours
fériés. Il a donc fallu un certain temps avant de
sortir la ville et ses commerçants d’habitudes
prises pendant plusieurs années.
Cependant la municipalité s’est très vite rendue
compte de la potentialité des commerces en
centre-ville et comment concilier attentes des
habitants et des touristes. Ainsi sont mis en
place des axes commerçants regroupant les
boutiques de même typologie. Ainsi autour de la
Via San Lorenzo (fi g.44) sont mis en place des
commerces essentiellement d’équipements
de la personne et de restauration rapide ou à
emporter (fast-food, cafétéria, boulangerie...).
Ce sont les premiers commerces « nouveaux »
lancés dans le centre ancien. Dès lors et par
peur d’être oublié, d’autres commerces se
sont regroupés, rouverts ou affi rmés, et de
nouveaux axes se sont développés autour
de l’ameublement, de l’alimentaire, de la vie
nocturne, des loisirs...
Ainsi le centre-ville est ponctué de commerces
destinés aux usages de habitants et aux
attentes des touristes .
De nombreux bâtiments sont réappropriés afi n
d’y installer tous ces nouveaux commerces.
De nombreux voir tous les bâtiments
possibles. Ainsi les plus petits rez-de-
chaussées sont réappropriés, tout comme
les plus impressionnants. Une supérette de
quartier est même installée dans un ancien
bâtiment voûté, dont deux cariatides gardent
l’entrée. Certains diront qu’il est dommage de
sacrifi er de tels volumes pour un supermarché,
68
d’autres diront que la ville a fait avec ce qu’elle
possédait comme constructions disponibles
dans le centre-ville. Car on ne peut pas relayer
tous les commerces volumineux hors de la ville
sous couvert de protéger des constructions.
Si l’on veut accueillir étudiants, couples ou
encore personnes âgées dans le centre, il faut
s’en donner les moyens au prix de quelques
sacrifi ces. Et Gênes a aujourd’hui intégré ces
sacrifi ces nécessaires pour savoir évoluer.
Plusieurs programmes ont même été mis en
place à Gênes pour les commerces dont les
CIV (Centre commerciaux Intégrés de Rue).
Ces programme visent à gérer l’espace urbain
et les commerces comme dans un centre
commercial. Une association de commerçants
prennent en charge l’animation de la rue,
et une partie de l’entretien de l’espace
public. Si à certains endroits de la vieille
ville ces centres ont fonctionné comme à la
Maddalena, d’autres à proximité de la Via San
Lorenzo n’ont pas trouvé de pérennité. Il faut
alors faire confi ance à tous les commerçants
pour leur investissement dans ce projet
car l’individualisme de chacun, l’entente, le
partage des tâches peuvent être diffi ciles à
gérer. Cependant il s’agit d’initiatives qui ont
permis de relancer des commerces en perte
de fréquentation ou d’en ouvrir de nouveaux.
On voit alors que compte tenu des activités
proposées, des services assurés, et même si la
vieille ville complique encore les déplacement
en véhicules, le stationnement... les habitants
prennent place dans le quartier, les étudiants
et les jeunes couples rejoignant les personnes
âgées n’ayant jamais quitté leur foyer. Il faudra
donc à l’avenir assurer aux véhicules (surtout
aux deux-roues) un stationnement à proximité
des logements possible et une circulation
possible pour ceux-ci. C’est souvent le
problème des centres-villes anciens. On
souhaite piétonniser un maximum pour le bien-
être des touristes (et à Gênes pour celui des
habitants aussi) mais a trop vouloir piétonniser
on repousse toujours plus les zones de
stationnement. Le stationnement, tout comme
les services, reste donc à surveiller pour
s’assurer que les habitants ne se compliquent
pas plus la vie en habitant le centre-ville qu’en
habitant sur les hauteurs de la ville.
Même si la mixité sociale du quartier est
inédite comparée à d’autres villes et d’autres
centres-villes historiques en Italie, les prix
de l’immobilier ont tendance ces dernières
années à s’envoler, suivant la courbe logique
de l’immobilier en centre ancien réinvesti.
Heureusement aujourd’hui de nombreux
habitants possédaient leur logement avant
le réaménagement du centre et au début du
programme. De même chaque année, la
ville réalise une part de logements sociaux
pour loger des personnes ayant des revenus
variés, afi n que le centre ancien ne devienne
pas la propriété des familles les plus aisées,
alors qu’on voit depuis plusieurs années
l’installation de cabinet d’avocat, de médecins,
d’architectes... et le développement d’activités
économiques de type bancaires toujours plus
nombreuses avec par exemple l’installation
récente de la Deutsch Bank sur la Via Garibaldi.
Aujourd’hui, les habitants, comme les touristes,
semblent satisfaits de ce travail sur la ville
ancienne qui a été réalisé. Sans pastiche,
sans travail trop poussé sur l’espace public
qui aurait pu compromettre le résultat visible
aujourd’hui.
69
Fig. 46 : Les Grands évènements à Gênes,1992 : Exposition colombienne
2001 : Sommet du G82004 : Capitale Européenne de la Culture
5 / LES GRANDS PROJETS ET LES
OUTILS MIS À CONTRIBUTION
Afi n de réaliser l’ensemble de ces
projets et pour renouer avec ses ambitions la
ville de Gênes a fait appel à l’ensemble des
outils fi nanciers qui lui étaient disponibles.
Mais avant tout certains projets ont provoqué
la chance pour que Gênes profi te de tout pour
s’émanciper et se distinguer alors qu’elle se
trouvait dans une période économique trouble.
Comme expliqué auparavant, le projet de
Porto Antico n’aurait certainement pas trouvé
de poursuite si Renzo Piano n’avait pas
souhaité organiser l’exposition colombienne
pour le 500ème anniversaire de la découverte
de l’Amérique par le génois Christophe
Colomb. Dès lors l’idée de l’exposition donne
naissance au projet urbain du Vieux Port
que l’on peut voir aujourd’hui réalisé. La ville
avait alors un véritable objectif : attirer des
touristes pour l’exposition et pouvoir exploiter
le vieux port une fois réalisé comme levier de
développement du tourisme et un nouveau
morceau de ville.
L’expérience est fructueuse. Et comme
expliqué précédemment, le projet enchaîne le
renouveau de tout l’ancien centre.
Par la suite, le G8 en 2001 accueillit les hommes
politiques des différents pays à se réunir dans
le Palazzo Ducale. La via San Lorenzo reliant
le port au palais est alors réaménagée. Il s’agit
avant tout d’une évidence. Comment accueillir
dans la ville les hommes politiques les plus
éminents en ayant une voie reliant l’ensemble
des monuments majeurs de la ville au port si
polluée et congestionnée ?
Enfi n en 2004, Gênes devient capitale
européenne de la culture. Les palais de la via
Garibaldi sont reconvertis pour accueillir de
nouveaux musées. Leur classement UNESCO
est proposé.
Ces grands événements ont servi de support
de communication pour la ville de Gênes qui
a profi té aussi des retombés économiques et
médiatiques.
Gênes est aussi concernée par des aides
fi nancières en matière de reconversion. Le Plan
de Rénovation Urbaine a permis de conserver
et de protéger des activités traditionnelles
(reluire, typographie, ébénisterie...) dans le
centre ancien.
Le programme européen URBAN a aussi
permis de bénéfi cier de fi nancement européen
pour la rénovation du centre-ville.
Enfi n la région et la ville ont participé à
la rénovation des édifi ces détenus par
les particuliers à hauteur d’environ 45%
respectivement pour la via San Lorenzo et
pour la Via Garibaldi. Le Ministère des Biens
Publics a aussi participé au fi nancement de
ces rénovations ou reconversions.
70
6 / UNE VILLE AMBITIEUSE
Les projets pour Gênes se suivent et
se succèdent dans le centre comme dans le
port. Il est raisonnable de se dire que l’avenir
dans le centre sera beaucoup moins riche en
rebondissement à l’avenir que pendant ces dix
dernières années. Aujourd’hui le plus gros du
projet est amorcé pour le centre ancien et si la
ville continue sur ses pas, il y a peu de risques
qu’elle échoue dans sa redécouverte du centre
ancien. Aujourd’hui des projets contemporains
comme celui d’une école située près de la
cathédrale (fi g.47) font apparition même si la
crise a freiné les projets. Certaines rues restent
à réaménager, améliorer (stationnement,
sécurité, salubrité...) mais il est évident que la
ville ne peut pas changer des années d’oubli
du centre ancien en 10 ans. Il faut à la ville le
temps de s’intégrer elle même.
Sur le port les projets sont nombreux et tous aussi
ambitieux les uns que les autres. Ponte Parodi
s’apprête a accueillir une immense structure
architecturale et paysagère, belvédère sur la
mer réalisé par UN Studio (fi g.48) accueillant
loisirs, hôtellerie/restauration, commerces...
La Darsena, quant à elle, dans l’élan de la
faculté d’architecture souhaite accueillir un
nouveau pôle étudiant.
Gênes ne manque pas de projet. Le centre-
ville aura été l’intermédiaire entre le vieux port
et les parties annexes. Le projet se veut donc
total aujourd’hui, et trouve une cohérence
globale. En espérant que les grands noms
de l’architectures choisis pour les futures
réalisations (Piano, UN Studio...) ne joueront
pas le jeu lyonnais de Confl uence pour réaliser
une collection d’objets architecturaux.
Fig. 47 : Projet d’école près de la CathédraleJorg Friedrich / Roberto Melai
Fig. 48 : Ponte Parodi,UN Studio
71
Aujourd’hui Gênes peut être fi ère du pari
qu’elle s’était lancée. Arriver à retrouver son
centre-cille, qu’il devienne un centre de la
ville, pour les touristes, les habitants, et qu’il
participe au rayonnement de toute la ville.
Alors que retenir de Gênes. Peut-être ce que
Bernardo Secchi, appelle la leçon de Gênes.
Oui il est possible de contenir l’expansion de la
ville, même dans un centre-ville ancien aussi
dense que celui de Gênes. Et oui il est possible
de faire de ce qui semblait un handicap hier,
un atout pour demain.
Gênes a réussi à se transformer totalement
en moins de 30 ans. Redécouvrir son centre
ancien, le valoriser, tout en gardant une identité
profonde et une activité que certains envient
aujourd’hui. Alors quelle en fut la recette ?
Tout d’abord Gênes n’a pas eu peur de
se tourner vers son port pour amorcer le
renouveau, autour des activités culturelles,
touristiques, ludiques et même quotidiennes.
Ensuite petit à petit les projets se sont
développés dans la ville ancienne et historiques
par intentions souvent isolées. Les différents
événements ont donné une cohérence au
centre de Gênes, pour le relier au nouveau
centre, le port.
Alors là où Venise fait l’erreur de se tourner
uniquement vers sa ville historique, elle
aurait certainement meilleur compte de faire
confi ance aux projets qui pourraient se réaliser
sur la partie de la ville située sur le continent.
Le projet de Pierre Cardin est certes d’une
architecture critiquable mais il faut lui accorder
son côté novateur qui pourrait certainement
sauver Venise de l’endormissement. La ville
tient peut être une des dernières chances de
sortir de ce cercle vicieux.
Gênes prouve que rien n’est peut-être
possible tout seul. La vieille ville ne se serait
certainement pas développée si le projet du
vieux port n’avait pas été mis en place. Revient-
on vers un idéal giovanonnien ? L’architecte
italien évoquait il y a près d’un siècle l’avenir
des villes italiennes et européennes. Il
proposait de créer des centres parallèles en
dialogue étroit avec le centre ancien. Certains
l’ont vivement critiqué. Mais il avait en quelque
sorte raison. Rien n’est vraiment possible en
solitaire. Les deux projets du port et du centre
sont complémentaires au niveau touristique,
économique, culturel, commercial, et pour la
vie quotidienne en général.
Gênes a aussi très bien compris les raisons
de l’échec vénitien. La vie doit rester dans le
centre ancien. Tout a été mis en œuvre à cet
effet.
Ce que Nicolas Navarro défi nissait comme
muséalisation trouve ici un écho modéré.
L’espace n’est pas fi gé, l’espace urbain joue
avec le patrimoine de la ville, les constructions
atypiques, les monuments, sans rajouter du
spectaculaire au spectacle du patrimoine.
Il est simple, facilement appropriable, sans
travail exagéré. La ville doit être vécue. Le
patrimoine est suffi samment imposant pour ne
pas rajouter de la complexité. La scénographie
est alors réduite au plus simple aménagement.
Gênes est donc un exemple de muséifi cation
équilibrée, où la ville arrive à composer entre
authenticité et simplicité, entre touristes et
habitants, entre tourismes et activités diverses,
entre protection, reconversion et innovations.
Si l’on semblait inquiet pour l’avenir de
ces villes-musées, l’exemple génois peut
réellement nous faire relativiser et nous
rassurer.
Oui, pour la ville-musée, un avenir est possible.
72
Fig. 50 : Musée de l’Ara Pacis,Richard Meier
Fig. 49 : Le Colisée Carré,EUR
73
0303C - ROME : CONSTRUIRE, RÉNOVER, RECONVERTIR DANS LA VILLE-MUSÉE
1 / FAIRE LA VILLE SUR LA VILLE,
UN PERPÉTUEL DÉFI
Alors que Gênes a produit un
programme urbain de qualité, les rénovations,
restructurations et reconversions se sont assez
bien passées. Cependant la cité génoise est
encore novice dans toutes ces questions de
travail sur l’existant même si elle a mis en
place une politique urbaine de grande qualité.
A une autre échelle Rome est elle aussi sortie
de son endormissement à partir de la fi n du
XXème siècle.
La ville n’a que très peu évolué depuis le début
du XXème siècle et jusqu’à la première guerre
mondiale ou alors au prix de concessions
diffi ciles. Mussolini fera raser une partie
des immeubles à proximité de la Basilique
Saint-Pierre-de-Rome pour créer la Via
della Conciliazione. Dans le même temps,
il lancera le projet de l’EUR (fi g.49) en 1937
pour accueillir l’exposition universelle de 1942.
Mais le projet ne fut pas abouti car la guerre
empêchera cette exposition. Si aujourd’hui
l’EUR est un quartier vraiment particulier
par son architecture, il faut reconnaître qu’il
est un point de développement des activités
tertiaires essentielles pour le fonctionnement
et le rayonnement de Rome. On retrouve
en quelque sorte les ambitions génoises et
giovanonniennes dans ce projet de « centre
parallèle » vivant pour vivifi er l’ancien.
Après la guerre, le boom économique mis
en place pour réinstaller l’Italie à sa place
européenne impose la construction de
nombreux logements (comme en France) qui
vont peu à peu miter le territoire.
Nous ne rentrerons pas dans le détail des
projets urbains lancés tel que le plan de
régulation urbaine, dotant au centre ville d’une
protection suffi samment solide pour appuyer
de nombreux projets.
Peu à peu les grands projets (moteurs de
projets) se succèdent à Rome. Les Jeux
olympiques de 1960 permettent entre autre à
Nervi de signer le Pallazzo dello Sport.
A la fi n du XXème siècle, le maire de Rome,
Franceso Rutelli, lance le projet du Jubilé de
l’an 2000, ainsi que la candidature de Rome
pour les Jeux olympiques de 2004 qui vont
vivifi er le centre historique, attirer de nouveaux
touristes et imposer des travaux considérables.
Dès lors la ville s’est lancée dans le renouveau
de tout son centre ancien. La ville éternelle
s’inscrit alors peu à peu dans la dimension
contemporaine du XXIème siècle. Riche
de constructions antiques, moyenâgeuses,
renaissances, baroques, fascistes,
néoclassiques... la ville ne pouvait pas
aujourd’hui tourner le dos à son histoire et à son
éclectisme architectural. La ville palimpseste
et musée se doit d’être éternellement ainsi,
musée et palimpseste.
Nous nous intéresserons donc ici aux projets
qui ont redessiné le visage de la ville. A la
manière dont ces projets contemporains (ex
: Ara Pacis de Meier (fi g.50)), s’inscrivent
74
dans le paysage urbain de Rome. Comment
les populations résidentes ont accepté cette
architecture radicalement novatrice ? Quel a
été le combat pour pouvoir construire dans
Rome ?
Là où Guiseppe Sacconi édifi e le monument
à Victor-Emmanuel II sans se soucier des
vestiges archéologiques, des perspectives
paysagères, des édifi ces alentours, comment
à la fi n du XXème siècle et aujourd’hui au
XXIème siècle, peut-on construire en site si
contraint ?
Aujourd’hui quelle place peut-on donner
à l’architecture contemporaine en site
historique, protégé, muséifi é (?) comme
les centres anciens italiens ? Et la capitale
italienne semble l’exemple le plus à même de
répondre à cette problématique compte tenu
de son expérience aujourd’hui confi rmée en la
matière avec la réalisation de projets tels que
le MAXXI de Zaha Hadid (fi g.51), le MACRO
de Odile Decq et Benoit Cornette (fi g.52), le
Parco Della Musica de Renzo Piano ou encore
des projets en chantier comme le centre des
congrès de Massimiliano Fuksas (fi g.53).
Nous répondrons à plusieurs de ces questions
par thématiques et utilisant plusieurs de ces
projets contemporains réalisés ces dernières
années.
Fig. 51 : Le MAXXI,Musée d’Art du XXIème siècle,
Zaha Hadid
Fig. 52 : Le MACRO,Musée d’Art Contemporain de Rome
Odile Decq et Benoit Cornette
Fig. 53 : Le Nouveau Centre des Congrès,Massimiliano Fuksas
75
2 / CONSTRUIRE DANS LA VILLE
ITALIENNE HISTORIQUE
Il ne s’agit pas ici de faire un exposé des
pratiques de réhabilitations et de reconversions
en Italie, mais de comprendre ses spécifi cités,
sa complexité ou sa simplicité, de pointer
les problèmes redondants. Construire en
Italie, construire en ville historique peut
impressionner de nombreux architectes.
DE LA PRÉCONISATION AU DIALOGUE
Construire dans la ville historique et en
particulier Rome n’est pas une mince affaire.
Dans une conférence à l’ENSAL, Odile
Decq introduit le projet du MACRO par cette
phrase pour présenter Rome : « Ils sont
extrêmement sympathique, la nourriture
est bonne, il fait toujours beau, la ville est
magnifi que, la lumière est belle... y travailler
c’est une autre affaire ! » L’architecte française
pose les bases du projet qu’elle livre en 2010 à
la ville de Rome.
Et il est vrai que les contraintes imposées
par la ville sont nombreuses : installée dans
l’ancienne brasserie Perroni, la Surintendance
en charge du projet (équivalent italien de notre
commission des monuments historiques) a
demandé à ce que l’ensemble de la façade de
l’ancienne usine soit conservées sur rue et que
le projet se déroule essentiellement à l’intérieur
des murs de l’ancienne usine. Peter Baalman,
chargé du projet chez ODBC, a refusé de faire
de ce projet un simili-facadisme. Pourquoi
créer du contemporain pour le masquer
par la suite ? Dès lors l’agence a décidé de
transgresser cette directive pour évider l’angle
de la façade sur rue pour y installer l’entrée
du nouveau musée et le café de ce dernier,
nouveau contact avec la ville pour faire de
ce complexe culturel un nouvel élément de la
ville. En même temps conserver les façades
permettait de créer un nouveau monde
contemporain derrières des murs.
Ensuite cette même commission a souhaité
que le projet proposé ne dépasse pas la façade
d’origine. Cependant deux composantes
imposaient une dérogation à cette directive :
les salles d’expositions réalisées s’installent
dans des volumes entre 11 et 12 mètres de
hauteurs afi n d’accueillir des fonctions variées ;
et la toiture accueille un restaurant, souhaitant
exploiter la toiture comme sur l’ensemble
des bâtiments romains. La commission a
alors accepté cette écart pour assurer une
cohérence au projet. Le dialogue entre les
architectes et la commission des monuments
historiques a donc permis de proposer un
projet viable et équilibré. Peter Baalman défi nit
à la fois la Surintendance comme l’équivalent
italien de nos ABF (Architectes des Bâtiments
de France) et comme une alternative, car si
la législation est complexe en Italie et que le
débat législatif fait toujours débat, elle permet
un dialogue pour aboutir à un projet juste.
Certains diront que l’agence ODBC ne s’est
confrontée qu’à de minimes problématiques
mais il est intéressant de comprendre que
c’est avant tout le dialogue possible avec la
Surintendance qui a permis de créer un projet
innovant. Certes les monuments historiques
italiens font preuve d’un inertie importante pour
accepter des solutions mais un étroit dialogue
entre réglementations, recommandations et
ambitions architecturales.
76
Et il en est de même avec les commissions
techniques. En particulier les pompiers
très réticents aux structures métalliques
apparentes. A force de combats, de
persévérance et de contournements des
réglementations, l’agence française a obtenu
l’accord de la commission incendie. En Italie,
tout ce négocie, du moment où l’on est près
à des concessions. Ce qu’Odile Decq défi nit
comme l’escamotage : savoir trouver la faille
dans la réglementation, ce qui aujourd’hui est
devenu très complexe en France. (Elle en fera
largement usage à Florence avec un projet de
logement (Red Lace) (fi g.54) en site historique :
les contraintes du site imposaient des fenêtres
en hauteur, elle créera des séries verticales de
fenêtres horizontales ; les toitures en pentes
sont devenues des couvertures plissées, les
arcades laissent place à des porte-à-faux, les
balcons et loggias interdits prennent place
derrière une résille contemporaine qui devient
alors façade principale...).
L’Italie permet aujourd’hui encore cette fl exibilité
des réglementations, possible il y a peut être
encore 10 ans en France mais elle s’est vite
retrouvée bloquée par les réglementations
redéfi nissant les réglementations précédentes,
etc...
LES VESTIGES, UN PROBLÈME ?
Si en France les architectes ont la
hantise de se voir confronté aux vestiges
archéologiques, en Italie et surtout à Rome,
cela fait parti intégrante de la phase de
chantier.
« La ruine fait partie de la vie quotidienne »
explique Odile Decq dans sa conférence à
propos du visage de Rome. Son collaborateur
Fig. 54 : Projet Red Lace, immeuble de logements Odile Decq
Florence
Fig. 55 : Parco Della Musica, Renzo PianoEn bas, les vestiges de la villa romaine,Au centre, l’espace muséographique,
En haut, les salles de concert
77
Peter Baalman explique que, comme
habituellement en Italie, ils sont tombés sur
des vestiges antiques sur le site du projet.
Cependant il ne s’agissait pas de vestiges
ayant une valeur historique remarquable. La
découverte à donc imposé une modifi cation
légère de la structure pour éviter de détériorer
la ruine mais le choix a été fait de reboucher
ces dernières. « Si on décide de préférer les
vestiges au musée, on peut démolir le musée
et retrouver les vestiges… » déclare-t-il. Le
choix de la réversibilité est possible dans
un soucis de respect de l’antique. Ici on voit
très bien que même si des ruines antiques
sont présentent sur le terrain, elles n’ont
pas handicapé le projet et l’adaptation de se
dernier pour revitaliser le quartier.
Dans une autre mesure, pour le projet du
Parco Della Musica (fi g.55), Renzo Piano a
aussi été confronté aux ruines antiques d’une
villa romaine. « À Rome, ils sont habitués.
Chaque fois que l’on fait un trou, on trouve
des choses. » commente Paulo Colonna,
un chef de projet de l’agence Renzo Piano
Building Workshop (RPBW) en charge du
chantier. Compte tenu du volume occupé par
la villa et ne sachant pas encore l’étendu de
la zone de vestiges, le chantier a été arrêté
pendant plus de 6 mois. L’ensemble du projet
a du être remanié. Les salles de concert
ont du être déplacées, et l’ensemble du
projet recomposé. Mais ici, la villa romaine,
ancien poste frontalier, a attiré l’intérêt de la
Surintendance qui a souhaité connaître le
maximum de choses sur cet édifi ce. Alors que
l’agence RPBW aurait pu se désintéresser de
cette découverte et uniquement attendre le
feu vert de la Surintendance pour poursuivre
le projet et le chantier, les chargés du projet
ont décidé d’intégrer ce vestige comme une
composante du projet. Ainsi entre deux salles
de concert se trouve cette ruine dont une partie
des objets trouvés sont intégrés à l’Auditorium
dans un musée de taille modeste. Ainsi ce
projet d’Auditorium qui aurait pu être destiné
aux élites romains renforce son visage de
salles de concert populaire avec son théâtre à
ciel ouvert et aujourd’hui ce musée.
(De même pour le projet de Porto Antico à
Gênes, Renzo Piano a été confronté aux traces
antiques du vieux port. Il devait ainsi faire
le choix de les masquer ou de les assumer.
Aujourd’hui l’espace du vieux port est jalonné
de vestiges antiques qui deviennent des
éléments de décor urbain à part entière.)
Ainsi la ruine, le vestige est très souvent
une composante à intégrer dans les projets
contemporain romain et même italiens. Ainsi
les architectes peuvent faire le choix de
simplement respecter sans exposer, ou alors
de faire de cet élément une nouvelle donnée à
prendre en compte dans la défi nition du projet.
DES PROJETS POLÉMIQUES
Construire en centre-ville historique en
Italie, et en particulier à Rome, c’est avant tout
proposer un projet qui sera scruté, décortiqué,
analysé, le plus fi nement possible pour voir
s’il est ou non un affront à l’architecture
typique du centre, s’il est trop atypique, trop
contemporain, trop sage, trop expressif...
Construire à Rome est une expérience
enrichissante, mais c’est aussi un défi pour
un architecte. Car faire accepter son projet à
tous peut s’avérer être un challenge parfois
insurmontable.
78
Fig. 56 : Ancien musée de l’Ara Pacis, construit en 1938,
démolit en 2001
Fig. 58 : Nouveau musée de l’Ara Pacis Richard Meier
Fig. 57 : Non Fatelo, «Ne le Faites Pas»Arnold Roth Art,
Originellement publié dans le New Yorker, 2005.
Richard Meier en a fait les frais pour son
projet du nouveau musée de l’Ara Pacis à
Rome. En 1995 est lancé le projet pour un
nouveau musée pour accueillir l’Autel de la
Paix de Auguste et les expositions relatives.
Ce nouveau projet vient en remplacement
de l’ancienne structure du musée réalisée
pendant la période mussolinienne en 1938
(fi g.56). Après plusieurs phases de concours
Meier remporte le concours.
Cependant, même avant la phase fi nale du
concours, le projet de Richard Meier ne fait pas
l’unanimité. Il faut bien comprendre qu’aucune
réalisation contemporaine n’avait été réalisée
dans le centre de Rome depuis les années 30.
C’était donc un exercice assez complexe et
qui s’attirait nécessairement les foudres des
médias, politiques ou simples intéressés par
l’avenir de la ville romaine.
Les journaux se sont très vite mêlés à la
polémique (fi g.57) en demandant le retrait du
projet, en caricaturant le projet contemporain
et assumé de Meier. Même le monde
professionnel de l’architecture, du patrimoine
et de l’aménagement urbain est divisé par ce
projet. « Le projet est vulgaire » juge Gorgio
Muratore sur son site en 2006, « Meier
connaît la Rome antique aussi bien que je
connais le Tibet, où je ne suis jamais allé ! »,
commente Federico Zeri dans La Stampa en
1998, « prothèse stupide » selon Massimiliano
Fuksas en 2003 dans un entretien accordé au
site Exibart.com en 2003.
Face à la polémique et suite à son accession
au pouvoir, Silvio Berlunsconi, par son délégué
aux affaires culturelles, fait cesser le chantier
du musée, déjà entamé. Meier est contraint de
proposer un projet plus léger, aérien, évoquant
79
l’ancienne structure des années 30.
Offi ciellement le projet est arrêté car il touche
les vestiges de l’ancien port de Ripetta, port du
XVIIIème siècle aujourd’hui disparu.
Après modifi cations, le projet reprend en 2003,
même si les protestations ne cessent. Aucun
compromis n’est trouvé, et le projet continu à
être édifi é et inauguré en 2005 (fi g.58).
Face à la grogne, le candidat de la droite
Alleanza Nazionale aux élections municipales
de la ville de Rome, prend l’engagement que
s’il est élu, le bâtiment de Meier sera démonté
pour être installé dans la périphérie.
L’association Italia Nostra demandait par
exemple l’annulation du projet et après des
pétitions a écrit au ministre des Biens Culturels
de stopper le chantier en 2003.
Même à l’heure du XXIème, certains critiquent
encore une possible évolution des centres
anciens. D’autres s’exaspèrent. « Assez
du tabou dans les centres historiques,
construisez ! » s’indigne Jean Nouvel dans
le entretien accordé au journal Corriere della
Sera (6 mai 2003).
Le projet de Meier a réveillé les passions et
l’éternel débat : Peut-on faire du contemporain
avec l’ancien ? Modernité et passé peuvent-ils
se conjuguer ? Heureusement tous n’étaient
pas ligué contre lui. Certains ont reconnu une
véritable qualité à l’édifi ce, qualifi ant le projet
de « symbole de l’union entre l’antique et le
moderne » pour Lilli Garrone, pour le Corriere
della Sera (24 Septembre 2005).
Le débat pour l’Ara Pacis fut rude, long,
parfois engagé et violent, et surtout toujours
d’actualité. Il est un exemple radical de ce que
peut donner le débat de l’intervention en zone
historique mais soulève toutes les questions
que l’on peu se poser sur le sujet.
Cependant tous les projets contemporains en
centre historique n’ont pas eu le complexe
destin du musée de l’Ara Pacis, nombreux
sont ceux qui font consensus pour ou contre
dans les centres anciens aujourd’hui. Certains
disent que le modernité est réservée à la
banlieue, aux périphéries.
Mais à quoi bon vouloir dissocier passé et
modernité lorsque tout s’offre à nous pour
inscrire un quartier dans le XXIème siècle ?
80
81
CONCLUSION
CONCLUSION SUR LE MEMOIRE
Le constat et l’analyse proposés
dans ce mémoire semblent plutôt apaiser les
peurs des anti-vénitiens, criant haut et fort
que la fi n de la ville-musée est proche, que
la muséifi cation est l’arme ultime avant que
les centres anciens perdent toute chance
de s’inscrire dans l’optique contemporain du
siècle actuel.
Il y a près d’un siècle, Gustavo Giovannoni
abordait déjà ces problèmes de la ville
ancienne confrontée aux caractéristiques
de l’urbanisme moderne. Dans son ouvrage
l’Urbanisme face aux villes anciennes, il
développe longuement les caractéristiques et
les problèmes qui accompagnent les centres
anciens, et décrit précisément les attentes en
matière de ville moderne. Les deux semblent
insolubles, d’une hétérogénéité absolue.
Venise semblait avoir uniquement compris
cela. Il est impossible d’apporter la modernité
à la ville ancienne, celle-ci devra se sortir de
l’endormissement par elle-même, par ses
ressources patrimoniales, par ses habitants
(si habitants il y a encore dans ces centres
anciens) par le tourisme essentiellement à
l’heure où la politique culturelle des pays
développés essentiellement devient une
donnée économique primordiale.
Cependant Giovannoni apporte un élément
de réponse à la problématique qui guide
tout ce mémoire. La ville ancienne semble
pouvoir trouver un avenir. Tout d’abord, elle
doit se poser naturellement la question de
son centre historique car il est le cœur de la
ville chronologiquement, psychologiquement,
humainement... et la ville ne peut pas
oublier son patrimoine. Au-delà de toutes les
caractéristiques à améliorer, à modifi er ou à
amplifi er, on peut être plutôt d’accord avec
Giovannoni : un avenir peut être proposé à
la ville. Mais seule, la ville ancienne ne peut
rien ou presque, et ce qui pour lui semblait une
évidence, nous l’avons rapidement oublié à la
fi n du XXème siècle. Le centre-ville n’existe
pas seul, il existe avec, par et pour les autres
quartiers de la ville. Le centre-ville ancien ne
peut pas être une ville à part entière, il est
nécessairement un quartier comme un autre
et il faut donc penser aussi aux autres entités
de la ville pour espérer retrouver une vitalité
oubliée. Ce que Giovannoni défi nit comme la
greffe des quartiers anciens dans son ouvrage
trouve plus son écho dans la rénovation
urbain au XXIème siècle. S’il y a un siècle, on
s’intéressait plus à comment étendre la ville,
82
aujourd’hui la question est comment densifi er
la ville, comment construire dans la ville. Même
si certaines problématiques diffèrents, le texte
de Giovannoni trouve tout son écho et semble
toujours d’actualité près de 100 ans plus tard.
Gênes par exemple, a intégré cette question
et aujourd’hui la vieille ville a trouvé sa voie
pour exister au côté du vieux port reconverti.
Certains à Venise diraient que rien n’est
vraiment possible lorsque tout est protégé, si
dense, si atypique, mais ce mémoire prouve
que l’évolution de la ville ancienne dans
l’ère contemporaine n’est pas le résultat de
législation, de réglementation, de protection,
ni d’impossibilités spatiales, fi nancières... Tout
est une question humaine.
A Gênes qu’est ce qui aurait été possible si
Piano n’avait pas proposé de réaliser un
programme innovant et attracteur pour attirer
les touristes pour l’exposition colombienne de
1992 ? Si l’école d’architecture n’avait pas pris
le pari de s’installer dans le quartier le plus
rejeté de la vieille ville, aurait-on aujourd’hui
la possibilité de visiter la cité génoise aussi
agréablement que cela et aurait-il été pensable
d’y acheter un logement ? L’évolution est aussi
le résultat d’ambitions humaines assumées,
le résultat de la volonté de certains de croire
en une adaptation possible et une intégration
dans la ville moderne.
A Rome, les projets pris en exemple démontre
que l’Italie, par sa fl exibilité, son regard sur
le patrimoine... permet de créer non pas un
projet isolé, inutile ou dégradant, mais bien des
projets conscients et justes, car comme on peut
souvent l’entendre, c’est dans la complexité
(et ici dans une complexité patrimoniale,
architecturale, urbaine... atypique) que l’on
propose les solutions les plus ambitieuses, les
solutions les plus équilibrées...
Il est alors facile de répondre que oui un avenir
est possible pour la ville italienne, souvent
dépeinte comme une ville-musée. Il est plus
exact de dire que chacune des villes italiennes
qui, à la fi n du XXIème siècle, redoutait de
voir leur centre ancien sombrer dans l’oubli,
peuvent se donner les moyens possibles pour
assurer l’avenir de leur centre historique car le
pari s’avère une franche réussite.
Mais on peut au moins avancer ces exemples
pour prouver que le visage facile de parc
d’attraction, d’immobilisme assumé, et
protectionnisme inébranlable porté par Venise
n’est pas celui de la ville italienne. Celle-ci
serait alors plus à représenter par Gênes, ville
si complexe, ville patrimoine, ville ambitieuse,
mais aussi ville consciente de ses problèmes,
de ses handicaps et de sa richesse. Gênes
a su mettre tous les outils à disposition pour
se relever des problèmes économiques et
démographiques de la fi n du XXème siècle.
L’ambition de la municipalité, des architectes
et l’acceptation des projets par les habitants
a fait de la ville un exemple équilibré de
muséifi cation, de dynamique touristique, de
renouveau urbain associé au développement
de la vie des habitants, des travailleurs qui,
ne l’oublions pas, font que la ville trouve une
véritable raison d’exister.
Aujourd’hui nous sommes aussi dans une
société qui a intégré le fait que la ville puisse
évoluer, changer de visage, accepter qu’elle
perde certains détails de son portait pour
plus tard le parfaire. Aujourd’hui un projet
contemporain comme l’Ara Pacis fait encore
polémique dans le centre de Rome, mais
partout les ambitions architecturales en
83
centre historique démontrent qu’il est juste et
conseillé d’espérer une évolution équilibrée
de ces derniers. Les projets du centre-ville de
Gênes sont aujourd’hui plutôt acceptés par la
population et montrent qu’une expérience telle
que celle de proposer une nouvelle voie pour
les centre anciens peut être un succès. Chacun
participe aujourd’hui à assurer à ces centres
un avenir équilibré loin du protectionnisme
vénitien.
Il faut cependant faire bien attention de ne
pas construire pour l’acte unique de faire
de l’architecture en centre historique. Ces
interventions ne sont pas anodines et beaucoup
moins qu’une construction en périphérie de
ville. Elles portent un message, une ambition,
défi nissent une voie à suivre, sont vecteurs
de renouveau... L’avenir de la ville se trouve
aussi bien dans le détail de la construction
contemporaine et du mobilier urbain que dans
la programmation à l’échelle urbain du plan de
renouvellement.
La ville ancienne, et en particulier la ville
italienne est aujourd’hui au tournant de son
avenir et se devra de faire le choix équilibré de
sa transformation pour espérer répondre aux
problématiques du siècle actuel.
Il est possible de concilier avenir et modernité
dans la ville italienne, il faut simplement veiller
à ce que cela fonctionne comme Gênes a veillé
à cela. Demain la ville italienne sera peut être
fi ère d’être devenue modèle de renouveau
reconnu. « la leçon de Gênes « trouvera peut-
être son écho dans de nombreuses villes
d’Europe pour les années à venir.
L’ambition de ce mémoire était de montrer que
la ville-musée italienne est bien plus complexe
que le décrié modèle vénitien. Ici se trouve
donc l’ensemble des pièces pour comprendre
quel avenir la ville italienne ancienne peut
embrasser, quelles sont les raisons du succès
du renouveau de Gênes en particulier, pour
permettre au lecteur, qui peut être se serait
inquiété au fi l du mémoire, d’esquisser les
traits de la ville italienne de demain.
CONCLUSION OUVERTE
Il est essentiel de se poser la question
des limites de ce mémoire et des interrogations
qu’il soulève.
Ce mémoire concerne-t-il uniquement les villes
italiennes ? Nous nous sommes ici restreints
au cas d’étude de l’Italie par son atypisme et
sa complexité.
Peut-on généraliser à l’Europe ?
Le mémoire trouve ses limites dans la défi nition
même du domaine d’étude et permet d’avoir
un regard critique à l’avenir sur la ville musée,
sans forcement comprendre l’ensemble du
processus dans les autres villes européennes.
Mené de manière itérative, cette recherche
permet de comprendre par des exemples la
nature des problèmes possibles. A chacun
aujourd’hui d’exercer ce regard sur la ville-
musée sans nécessairement connaitre tout
des complexités patrimoniales et des travers
de la législation du pays.
Aujourd’hui toutes les villes présentent un
visage inédit, propre à son histoire, sa situation
politique, géographique, son économie... Mais
toutes les villes ne sont pas des villes musées.
Qu’adviendra-t-il des villes contemporaines,
où l’architecture s’érige aujourd’hui
sans contraintes patrimoniales, sans
84
confrontation avec le passé ? Qu’adviendra-
t-il des constructions contemporaines et de
l’urbanisme moderne ? Pourra-t-on dans
quelques années, dans quelques siècles
poser un regard critique et patrimonial sur nos
constructions contemporaines ?
Il semble aujourd’hui assez diffi cile d’imaginer
l’avenir de nos villes contemporaines, de ces
nouveaux centres urbains. Mais il semblait
aussi diffi cile de se poser cette question
au XVème siècle lorque l’on édifi ait une
construction lambda. Il est impossible de
prédire l’évolution à long terme de la ville au
sens patrimonial. Ce caractère met parfois
plusieurs siècle à émerger.
Si la ville musée au XXIème siècle semble en
mesure de trouver son chemin pour l’avenir, il
est beaucoup plus diffi cile d’esquiser le visage
de cette ville-musée du XXVème siècle par
exemple.
Nombreuses sont les questions que peuvent
soulever une telle étude. La ville, son avenir,
son visage sont toujours sources de doutes,
de questions et aussi de fantasmes.
Si chacun arrive aujourd’hui à se poser la
question de la ville ancienne dans un futur
proche, alors ce mémoire aura trouvé sa
vocation : guider chacun de nous vers une
compréhension de l’urbanisme moderne
confronter à la ville ancienne.
85
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier l’ensemble des personnes
qui ont contribué à la rédaction de ce mémoire,
en particulier :
> Antonella MASTRORILLI, professeur
référant et directrice de mémoire, pour avoir
suivi l’évolution de ce mémoire depuis le
début des recherches jusqu’à sa fi nalisation
et m’avoir guidé sur les pas de l’Italie, de son
patrimoine et de ses villes
> L’ensemble des professeurs du Domaine
d’Etudes de Master Histoire et Patrimoines (en
particulier Antonella MASTRORILLI, William
HAYET et Benjamin CHAVARDES) pour
m’avoir permis de découvrir Gênes lors d’un
voyage d’étude, peut-être la raison même de
tout ce mémoire.
86
ANNEXES
Mickael CUILLERAT Étudiant à l’ENSAL (École Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon)
Mémoire de Master LA VILLE-MUSÉE A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ? REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT GARDE OU ÉCHEC DE LA CONCILIATION ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ
Ville-musée : [ nf ] Ville qui possède de très nombreux monuments, constructions anciennes et musées et devient un centre touristique important.
Sondage auprès des touristes de villes-musées italiennes (ex : Venise, Rome, Florence, Gênes, Naples...) Veuillez entourer les réponses qui semblent les plus représentatives des villes-musées pour vous. Si vous n'avez pas d'avis, n'hésitez pas à rayer les réponses, ou même à rajouter des commentaires.
Pour vous...
1 / La ville-musée est > Un espace mis en valeur (aménagé, rehabilité...) > Le résultat de contraintes réglementaires (de conservation, de protection...)
2 / La ville-musée est > Un espace doté d'une cohérence architecturale et urbaine (esthétisme...) > Un espace fi gé (immobilisme, décor...)
3 / La ville-musée est > Un espace en manque d’authenticité (faussement vieux, pastiche...) > Un espace doté de constructions remarquables (monuments, pittoresque...)
4 / La ville-musée est > Un espace en manque de vitalité (disparition de commerces, d’artisans, d’habitants...) > Un espace uniquement tourné vers le tourisme (ne vit que du tourisme) > Un espace mis en valeur par le tourisme (le tourisme amène d’autres activités)
Merci pour votre aide à ce mémoire, car votre avis est la source de ce travail.
Commentaires supplémentaires :
QUESTIONNAIRE TOURISTES
87
RÉSULTATS OBTENUS :
REMARQUES OBSERVÉES PAR LES PERSONNES AYANT RÉPONDU :
« Une ville musée incite a être visitée par la splendeur qu’elle inspire »
« Choquée par l’interdiction de manger et boire dans le centre historique des villes italiennes. La ville impose aux touristes les mêmes règles que dans un musée ! »
« Le tourisme peut tuer les commerces de proximité si les habitants partent »
« Je ne sais pas si c’est à cause du tourisme que les habitants quittent les centres historiques. Peut-être que les habitants n’arrivent pas à s’approprier des tels espaces »
« Ces villes sont parfois très différentes : on peut trouver des rues avec des commerces très typiques, et d’autres beaucoup plus touristiques »
« Comme dans tous les centres anciens on trouve toujours des commerces et surtout des restos qui se disent typiques, mais en fait ce sont des attrapes-touristes, le touriste est une veritable source de revenu à exploiter »
2 / REGLEMENTAIRE & AMÉNAGEMENT
1 / FONCTIONNEL
3 / HISTORIQUE
4 / ESTHÉTIQUE
88
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES :
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MÉMOIRE :
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89
CONFÉRENCES :
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SITES INTERNET :
http://www.aedon.mulino.it/archivio/2001/2/sanapo.htm
http://www.slate.fr/story/42881/venise-enfonce-23-millions-de-touristes
90
CREDITS PHOTOGRAPHIQUESCOUVERTURE : Capitole, Rome - Photographie personnelle Venise - meridianes.fi les.wordpress.com/2011/06/venise.jpg?w=610 Gênes - progettazioneurbanistica.fi les.wordpress.com/2011/05/immagine111.jpg Parco Della Musica, Rome - 4.bp.blogspot.com/_Kg01lrtaqRI/S9hOrUeg5VI/AAAAAAAAABA/JxcOGmcfKHU/s1600/bachero zzi_1.jpg Ara Pacis, Rome - Photographie personnelle
PAGE 4 Porto Antico, Gênes - Photographie personnelle
PAGE 16 Le Capitole, Rome - Photographie personnelle Santa Maria Del Fiore, Florence - www.caas.by/sites/caas.by/fi les/Cathedral.jpg
PAGE 18 Le Laocoon, Musée du Vatican - images-mediawiki-sites.thefullwikiorg/05/4/0/6/00573852057432 496.jpg L’Ecole d’Athènes, Rafael, Musée du Vatican - www.potomitan.info/images/socrate.jpg La Villa Adriana, Tripoli - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a9/Th%C3%A9%C3%A2tre_maritime1.JPG
PAGE 20 Basilique Saint Pierre de Rome : Différentes constructions sur le site : le cirque de Néron, l’ancienne basilique et la nouvelle - lh6.googleusercontent.com/-AG8Rq-yORIU/UOhe3xxGBpI/AAAAAAAACN4/zkXgzry0G5k/s800/Plan_of_Circus_Neronis_and_St._Peters.gif L’Intérieur du Colisée, Abraham-Louis-Rodolphe Ducros, vers 1790 - www.old.latinistes.ch/Textes-recreations/Colisee/colisee-ducros
PAGE 26 Maquette du Plan Voisin pour Paris, Le Corbusier, 1925 - markitectsworld.fi les.wordpress.com/2012/11/plan-voisin-corb-model.jpg Piazza del Campo, Sienne - wallpapersus.com/wallpapers/2012/01/piazza-del-campo-siena-tuscany-italy-2048x2560.jpg
PAGE 28 Ponte Vecchio sur l’Arno, Florence - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e3/Arno_River_and_Ponte_Vecchio %2C_Florence.jpg
PAGE 30 Teatro Di Marcello, Rome - zefmldotcom.fi les.wordpress.com/2012/08/dsc00237-1600x1200.jpg Via Della Conciliazione avant travaux, Rome - bi.gazeta.pl/im/4/8070/z8070404Q,Projektantem-zalozen ia-byl-wspomniany-wczesniej-Marcello.jpg Palimpseste - http://3.bp.blogspot.com/-J449Wg9ECMQ/TgScyKfQb8I/AAAAAAAAAFo/Ll3SzfjxZoU/s1600/Palimpseste.jpg
PAGE 34 Arsenal, la Manddalena - www.stefanoboeriarchitetti.net/wp-content/uploads/2010/03/104-maddalena.jpg Palazzo Rosso, Gênes - media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/01/a5/4e/ca/palazzo-rosso-with-excell ent.jpg Village olypique, Turin - www.a-i-a.fr/fr/archi/projet/idProjet/108?symfony=ca76102741cf25adeef8e5d9f347877a
PAGE 42 Le Campanile de la place Saint-Marc, Venise - 3.bp.blogspot.com/-xZqfAbyn1jQ/UKkhHkW1o9I/AAAAAAAAAJE/lpHE ACOQaEU/s1600/P1060162.jpg
PAGE 44 La lagune, Venise - 4.bp.blogspot.com/_oZnMPZulGZM/TNAYWZIwakI/AAAAAAAAAII/kajDCilbaCw/s16 00/satellite.jpg Le Pont Rialto depuis la Riva del Vin, Michele Marieschi - img532.imageshack.us/img532/96/marieschimicheletherial.jpg
PAGE 45 Ecole d’architecture de Venise - archiguide.free.fr/PH/ITA/Ven/VeniseIAUVSca.JPG www.lecourrierdelarchitecte.com/upload/article/article_422/02(@JPhH)_B.jpg
PAGE 46 Musée Fondation Pinault, Douane - www.veraclasse.it-old.s3.amazonaws.com/www.veraclasse.it/5224 1_big.jpg www.lemoniteur.fr/media/IMAGE/2011/02/16/625x418xIMAGE_2011_02_16_13572109-625x600.jpg.pagespeed.ic.a_zs6CfME2.jpg Ponte della Costituzione - www.archimagazine.com/apontecalatra3_max.jpg farm6.staticfl ickr.com/5203/5227281652_b97487ae02_z.jpg
PAGE 47 Memorial Masieri - www.artribune.com/wp-content/uploads/2011/12/1-Dioniso-Gonzalez-Memorial-Masieri.-F.L.-Wright.-1953..jpg
91
Hopital de Venise - glocal.mx/wp-content/uploads/2012/07/Dioniso-Gonzalez-Venice-Hospital.-Le-Corbusier.-1965-2011-c-print-diasec-mounted-60-x-300-cm-ed.-of-7.jpg www.fondationlecorbusier.fr/CorbuCache/900x720_2049_1328.jpg
PAGE 48 Radix, Aires Mateus - ad009cdnb.archdaily.net/wp-content/uploads/2012/08/1346101212-bnl-aima-12-528 x352.jpg Mosquée fl ottante, Inter National Design - images.derstandard.at/2012/01/13/1326466626186.jpg
PAGE 49 Venice 2.0, Julien de Smedt - skynet.jdsa.eu/wp-content/uploads/Venice.jpg Palais Lumière - www.jetsetmagazine.net/images/galerie/gr/2012/09/69074.jpg
PAGE 50 Touristes sur des circulations surélevées pendant les Alta Acqua à Venise - cdn-lejdd.ladmedia.fr/var/lejdd/storage/images/media/images/international/europe/venise-innondations/1097623-1-fre-FR/Venise-innondations_pics_809.jpg Projet Mose - www.salve.it/wiki/images/x%20schiera.jpg Les pigeons de la Place Saint-Marc - www.mackoo.com/venise/images/IMGP5681.jpg
PAGE 58 Porto Antico, Gênes - genova.erasuperba.it/wp-content/uploads/2011/03/genova-porto-300x224.jpg Plan de Gênes - maps.google.fr
PAGE 60 Nouveau port de Gênes - photographie personelle Porto Antico, Gênes - photographie personelle Place de la Cathédrale - photographie personelle
PAGE 62 Centre des congrès, Gênes - farm5.staticfl ickr.com/4076/4789747454_f8d762dbfa_o.jpg Acquarium, Gênes - photographie personelle Plan de Porto Antico - maps.google.fr
PAGE 64 Faculté d’Architecture, Gênes - www.fl ickr.com/photos/13749049@N04/4695616416/ Teatro Carlo Felice, Gênes - www.sdo-vl.ru/editor/uploads/images/journal/02_13/57_8.jpg
PAGE 66 Palazzo Rosso, Gênes - tonkosti.ru/images/5/5b/Palazzo_Rosso,_%D0%93%D0%B5%D0%BD%D1%83%D1%8F.jpg Via San Lorenzo, Gênes - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1f/Via_San_Lorenzo_Genova.jpg/1145px-Via_San_Lorenzo_Genova.jpg Plan du centre ancien de Gênes - maps.google.fr
PAGE 69 Palazzo Rosso, Gênes - upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/b/b4/Logo_Expo_’92_Genova.png G8 de Gênes, 2001 - www.g8.utoronto.ca/g8online/summit-logo-2001.gif Genova 2004, capitale européenne de la culture - www.studiobuffoni.it/userfi les/image/giustiniani/images.jpg
PAGE 70 Ecole, Jorg Friedrich / Roberto Melai , Gênes - www.contempoproject.eu/works/barcelona/Roberto%20Melai.pdf Ponte Parodi, UN studio, Gênes - www.unstudio.com/uploads/project/89d4d266-1267-41bf-afad-d840b616f4f3
PAGE 72 Colisée Carré, EUR, Rome - sphotos-a.xx.fbcdn.net/hphotos-ash3/545537_4636236072748_1888141393_n.jpg Ara Pacis, Richard Meier, Rome - mimoa.eu/images/1378_l.jpg
PAGE 74 MAXXI, Zaha Hadid, Rome - www.omniaconcorsi.it/public/progetti/prog254/MR01.jpg MACRO, Odile Decq, Rome - www.archinfo.it/glry/Nuova_Ala_MACRO/01.jpg Centre des congrès, Massimiliano Fuksas, Rome - www.bta.it/img/a0/03/bta00324.jpg
PAGE 76 Red Lace, Odile Decq, Florence - www.rdh.ru/images/stories/editors/elladochka/Odil-Dek/Red_Lace_2.jpg Parco Della Musica, Renzo Piano, Rome - farm5.staticfl ickr.com/4078/4768930569_9b6ca7cb90_o.jpg
PAGE 78 Ancien musée de l’Ara Pacis - rometour.org/data/ara_pacis_augustae.jpg « Non Fatelo » , Dessin du journal New Yorker - www.archipel.uqam.ca/1775/1/M10710.pdf Nouveau musée de l’Ara Pacis, Richard Meier, Rome - photographie personelle
92
LA « VILLE-MUSÉE » A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ?REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT-GARDE OU ÉCHEC D’UNE CONCILIATION ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ ?
La ville italienne semble fi gée dans un idéal passéiste, muséifi ée pour sembler éternelle. Mais
l’éternité n’est-elle pas un gage d’échec si l’on souhaite intégrer la ville dans les composantes de
l’urbanité du XXIème siècle ?
Venise semble être l’exemple parfait de cette mort progressive de la ville idéalement protegée. La
protection du patrimoine, si complexe en Italie, n’est pourtant pas un gage de cristallisation de la
ville ancienne. Cependant comment concilier modernité et patrimoine dans ces villes italiennes si
atypiques ?
D’autres villes italiennes comme Rome ou encore Gênes ont su adapter leur centre-ville historique
aux ambitions de la ville contemporaine, tout en assurant une pérénnité au patrimoine ancien.
Ce mémoire se veut être un portait de la ville ancienne au XXIème, à l’heure où le futur de celle-ci
reste incertain mais pour laquelle il va falloir trouver des solutions viables pour reconstruire la ville
sur elle-même.
Mots-clés : [VILLE-MUSÉE] [PATRIMOINE] [AVENIR] [ITALIE] [URBANISME]
DO THE « CITY-MUSEUM » HAVE A FUTURE IN THE XXIST CENTURY ?A LOOK ON ITALIAN CITY, AVANT GARDE OR FAILURE OF A MEDIATIONBETWEEN PAST ET MODERNITY ?
The italian city looks like frozen in a ideal of the past, museumized in order to be eternal. But the
eternity isn’t it the garanty of a failure if we want to introduce the old city in the components of the
urbanity of the XXIst century ?
Venice might be the right example of this progressiv death that include the overprotected city.
The protection of the heritage, really intricate in Italia, isn’t a guarantee of crystallization of the old
downtown. But how is it possible to marry modernity and heritage in this so typical italian cities ?
Others cities like Rome or Genoa knew how to get used their historic downtown to the ambition of
the comtemporary town, taking care of their heritage and their durability.
This essay is a portrait of the old citiy in the XXIst century, when the future of this one is uncertain
but for which we have to fi nd sustainable solutions to building the city over her.
Key words : [CITY-MUSEUM] [HERITAGE] [FUTUR] [ITALY] [TOWN PLANNING]
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