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© Anne Mesny, août 2003.
LA PRISE DE DÉCISION ET L’ANALYSE DE CAS EN MANAGEMENT Anne Mesny
Introduction : La prise de décision
I. La méthode des cas comme formation au métier de décideur
1. Qu’est-ce qu’un cas? 2. Les différents types de cas 3. La méthode des cas
II. Les étapes de l’analyse de cas
1. La définition du problème immédiat 2. Le recueil des faits pertinents 3. L’analyse 4. L’identification du problème de fond 5. Le choix d’une option 6. La mise en œuvre
2
INTRODUCTION : LA PRISE DE DÉCISION
La prise de décision est au cœur du management. Gérer, dans une large mesure, c’est
décider. Bien gérer, c’est prendre de bonnes décisions. Mais qu’est-ce qu’une « bonne »
décision? Comment prendre de bonnes décisions? Et peut-on apprendre à prendre de
bonnes décisions? C’est cette dernière question qui constitue le fil directeur de ce texte.
Tenter d’y répondre nous conduira du même coup à s’attaquer aux deux premières
questions.
Il n’existe certainement pas de méthode dite « scientifique » pour prendre de bonnes
décisions de gestion. Il n’y a aucune recette miracle en la matière, et tenter de
convaincre des apprentis gestionnaires du contraire en en appelant à la rationalité, à
l’éthique, à la science ou à l’expérience, relève de l’imposture. Un bon décideur combine
à la fois des capacités analytiques et un sens du jugement et des responsabilités basé
sur l’expérience. L’expérience à elle seule ne suffit pas. Il peut très bien arriver (les
exemples sont malheureusement nombreux) qu’un gestionnaire avec de longues années
d’expérience derrière lui fasse toujours les mêmes erreurs. Sans capacités d’analyse,
l’expérience n’est qu’un magma informe qui ne garantit aucun succès dans les décisions
futures. De même, les capacités d’analyse seules ne suffisent pas. Sans être confrontées
à l’urgence de l’action, à l’infinie variété des problèmes de gestion qui ne se posent
jamais exactement dans les mêmes termes d’une fois à l’autre, au poids d’avoir à
assumer les conséquences de ses décisions, les capacités d’analyse du gestionnaire
tournent dans le vide. Expérience et capacités d’analyse vont donc de pair et se
combinent pour forger ce « sixième sens », ce jugement, ces « réflexes gestionnaires »
qui caractérisent les bons décideurs.
Tenter de développer ces réflexes auprès d’apprentis gestionnaires à l’université n’est
donc pas chose aisée, puisque le terreau de prédilection d’un tel apprentissage ne peut
être que la réalité concrète de situations de gestion. C’est ici qu’intervient la méthode
des cas en tant qu’outil pédagogique-clé pour former les gestionnaires (et tous les
3
professionnels – médecins, avocats, etc.) qui doivent constamment, au cours de leur
pratique, faire la synthèse entre savoir théorique et expérience.
I. LA MÉTHODE DES CAS COMME FORMATION AU MÉTIER DE DÉCIDEUR
Lorsqu’on interroge un professionnel « plein d’expérience » sur ce qui fait son aisance et son coup d’œil dans la complexité des situations actuelles, il invoque une forme d’habitude qui serait le résultat d’une accumulation d’épreuves personnelles toutes différentes qui n’ont produit aucune recette au sens strict, mais qui ont forgé une attitude particulière dans le champ d’action qui est le sien. Si l’on pousse l’investigation sur les conditions de son autoformation, il raconte des cas
1.
L’utilisation de cas et de la « méthode des cas » pour la formation des gestionnaires est
pratiquée dans un grand nombre d’institutions de formation à la gestion. Bien que la
définition même d’un cas, ainsi que la méthode d’analyse de cas, puissent varier d’une
institution à l’autre, les principes, objectifs et étapes essentiels restent les mêmes. D’un
point de vue pédagogique, la méthode des cas a pour objectif, par l’utilisation intensive
de cas de gestion, de construire, en quelque sorte, une « expérience professionnelle
accélérée2 ». Bien qu’un cas ne soit pas un substitut à l’expérience directe, l’utilisation
de la méthode des cas permet néanmoins d’ancrer la formation du gestionnaire dans la
réalité et dans la pratique.
1 Mucchielli, Roger (1987). La méthode des cas, Paris, Les éditions ESF, p. 5.
2 Mucchielli. Ibid., p. 10.
4
QU’EST-CE QU’UN CAS?
Un cas en management est tout simplement la description d’une situation réelle de
gestion. Une telle description peut revêtir une très grande diversité de formes :
- Un cas peut être écrit sous la forme d’un « journal personnel » (écrit à la
première personne du singulier), d’un dialogue, d’une histoire, d’une
description, etc.
- Un cas est généralement sous forme écrite, mais peut également être sous la
forme de documents audiovisuels, ou combiner une variétés de médias (cas
multimédias : enregistrements vidéo, textes, etc.).
- La longueur d’un cas est extrêmement variable (et ne présume pas
nécessairement de sa complexité) : on trouve des cas d’une page et d’autres de
plus d’une cinquantaine de pages.
- Bien que toujours basé sur des faits réels, il se peut que certaines données du
cas (en particulier les noms et les lieux) aient été changés pour des raisons de
confidentialité. Cela ne nuit en rien au réalisme du cas.
Ce qu’un cas n’est PAS :
Un cas n’est pas un simple recueil d’articles de journaux ou d’informations éparses sur
une entreprise ou un gestionnaire. Un cas a toujours été écrit et construit en fonction
d’objectifs pédagogiques liés au domaine dans lequel il s’insère, par exemple le
management, mais aussi le marketing, la finance, etc. Ainsi une même réalité, un même
événement, peut très bien donner lieu à plusieurs cas différents, selon que l’on cherche
à éclairer tel ou tel domaine de la gestion ou telle ou telle problématique.
5
1. LES DIFFÉRENTS TYPES DE CAS
En dehors de la diversité de forme, il existe également des différences plus profondes
d’un cas à l’autre, qui correspondent à des types différents de cas. Chaque type de cas
appelle une analyse et une approche assez différentes, bien que l’objectif pédagogique
global reste le même quel que soit le cas. On peut distinguer deux principaux types de
cas :
1. des cas « décisionnels »
Un cas « décisionnel » est un cas dans lequel il est clair qu’il y a un ou plusieurs
« problèmes » à résoudre, et qui s’achève au moment ou une décision ou une
action doit être prise. Un tel cas invite donc le lecteur à « se mettre dans la peau »
du décideur et à prendre la décision qui lui paraît la plus appropriée pour résoudre
le ou les problèmes qu’il aura identifié(s). La méthode d’analyse de cas concerne
d’abord et avant tout les cas décisionnels. C’est à travers ce type de cas que
l’apprenti gestionnaire peut se frotter à la prise de décision.
2. des cas « analytiques »
Un cas « analytique » est un cas qui ne décrit pas nécessairement une situation
problématique et qui ne débouche pas sur l’identification d’un décideur, ni sur une
situation qui appelle une action ou une prise de décision. Le cas expose une
situation, un épisode, une expérience de la vie d’une entreprise ou de ses
gestionnaires, qui peut être une réussite ou un échec. Dans ce type de cas, il ne
s’agit pas de prendre une décision, mais plutôt d’analyser ce qui est dit, de voir ce
que l’on peut en apprendre, de déterminer les côtés positifs et négatifs de
l’expérience qui est rapportée, etc. Les cas « analytiques » sont donc très utiles pour
développer certaines habiletés-clé, dont celle qui consiste à tirer profit de
l’expérience des autres, ou la capacité à relier théorie et pratique.
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Le tableau suivant reprend les caractéristiques et les objectifs de chacun des deux
types de cas, en donnant des exemples de cas tirés du cours de Management (1-
407-00).
Cas décisionnel Cas analytique
Définition Description d’une situation souvent problématique qui appelle une action ou une décision
Description d’une situation ou d’une expérience en cours ou achevée, desquelles on peut apprendre et « tirer des leçons »
Objectifs Identifier le ou les problème(s) et proposer des solutions
Comprendre ce qui s’est passé, les raisons du succès ou de l’échec, la manière dont on s’y est pris et pourquoi. Déterminer ce qui pourrait éventuellement faire problème dans l’avenir.
Caractéristiques Décideur clairement identifié. Se termine souvent sur une note d’urgence, ou sur une note « dramatique » (ex : « M. G a une semaine pour prendre une décision avant sa rencontre avec les investisseurs. Il y va de la survie de l’entreprise »).
Pas d’acteur identifié clairement comme étant le décideur. Le cas n’est pas centré sur un problème en particulier, mais ouvert sur la globalité d’une expérience ou d’un épisode. Ton généralement plus descriptif.
Exemples Le dilemme du directeur Demers Assurances ABC Diriger des électrons libres Fin de soirée au Baratin
EDS Disney Cruise Line Verifone Parc AquaFun
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2. LA MÉTHODE DES CAS
La méthode des cas a pour fondement la postulat suivant : des participants à des programmes de formation et de perfectionnement au management, tant étudiants que cadres en exercice, peuvent améliorer de manière significative leur compréhension des processus de management et accroître leur compétence par l’étude, l’examen attentif et la discussion de situations réelles.
3
Si vous interrogez un dirigeant chevronné et talentueux sur sa façon de résoudre des
problèmes et de prendre des décisions, il est très peu problable qu’il vous réponde qu’il
suit une méthode rigoureuse qui comprend six étapes, déclenchée par le repérage d’un
problème immédiat, et qui passe par un diagnostic et une analyse afin d’identifier le ou
les problème(s) de fond, pour finir par le choix et la mise-en-œuvre d’une option.
Pourtant, de manière tacite et automatique, il est probable que c’est cela qu’il fait. La
méthode d’analyse de cas est donc une forme d’explicitation et de mise-au-jour de
certains des réflexes à acquérir pour prendre de « bonnes » décisions. Une fois que
vous aurez en quelque sorte « intériorisé » la démarche et les étapes de la méthode,
celle-ci sera devenue de l’ordre du réflexe automatique et vous pourrez alors
l’« oublier ». La seule façon pour en arriver là est de vous frotter dès à présent à une
variété de situations et de problèmes organisationnels, par l’intermédiaire de cas et au
cours de votre expérience professionnelle. L’intérêt de vous former et de vous entraîner
à la prise de décision par l’intermédiaire de cas est que, contrairement à la « vraie vie »,
vous avez pour un temps le droit à l’erreur et n’avez pas à supporter réellement les
conséquences de vos décisions.
La gestion n’est pas une science exacte au sens où chaque problème aurait une solution
unique meilleure que les autres, mais ce n’est pas non plus une discipline où « tout est
bon » et où la subjectivité l’emporte sur toute tentative de rationalité. Il y a des erreurs
en gestion qui sont incontestablement des erreurs, des options dont on peut dire
3 Reynolds, John I. (1985). Méthode des cas et formation au management. Guide pratique, Genève : OIT,
p. 1.
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qu’elles vont échouer à coup sûr, des problèmes dont on peut affirmer avec certitude
qu’ils sont des symptômes de problèmes plus profonds, des « faits » qui ont au bout du
compte la solidité de la vase et qu’il fallait mettre en question, des liens de causalité
boiteux, des gaffes, des bourdes, etc. En vous appropriant la méthode, vous minimiserez
les risques de vous heurter à ces écueils.
Plusieurs objectifs sont donc poursuivis au travers de l’utilisation de la méthode des cas.
Bédard et al. en recensent quatre importants :
Améliorer son jugement : confronter son opinion à celle des autres, évaluer les données, faire la différence entre les faits et les opinions.
Stimuler le sens de l’initiative et de la créativité : se servir de ses propres expériences et connaissances pratiques pour interpréter les faits et juger de leur importance relative.
Développer ses habiletés de raisonnement, de communication et de pensée logique, et préciser l’expression de cette pensée en termes clairs et convaincants.
Développer le sens de la responsabilité : prendre conscience de l’importance des conséquences à long terme de ses recommandations, ainsi que des facteurs humains inhérents à la situation
Voyons maintenant en détail la méthode d’analyse par laquelle on peut atteindre
ces objectifs.
II. LES ÉTAPES DE L’ANALYSE DE CAS
La méthode d’analyse de cas concerne avant tout les cas décisionnels, c’est-à-dire les
cas où il y a clairement une situation (positive ou négative : occasion d’affaire, conflit,
etc.) qui appelle une prise de décision, et où le ou les décideurs sont clairement
identifiés.
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La méthode de prise de décision, et donc d’analyse de cas, se décompose en six étapes
principales :
Reprenons chacune de ces étapes :
1. DÉFINITION DU PROBLÈME IMMÉDIAT
La première étape consiste d’abord à repérer le problème immédiat, c’est-à-dire la
situation qui témoigne que quelque chose ne va pas ou qu’une décision doit être prise.
Le problème immédiat est la réponse aux questions « Pourquoi faut-il prendre une
décision? », « Qu’est-ce qui justifie qu’on s’attarde à la situation décrite et qu’on la
considère ‘problématique’? ». Il faut prendre le mot « problème » au sens large : ce
n’est pas toujours quelque chose de négatif. Par exemple, l’obtention d’une subvention
1. La définition du PROBLÈME IMMÉDIAT
2. Le recueil des FAITS PERTINENTS
3. L’ANALYSE
4. L’identification du PROBLÈME DE FOND
5. Le choix d’une OPTION
6. La MISE EN ŒUVRE
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gouvernementale et la question de l’emploi des fonds peuvent bien être le « problème
immédiat » d’un cas, dans le sens où il va falloir décider comment utiliser la subvention.
Généralement, vous n’aurez aucun mal à repérer le problème immédiat soulevé dans
un cas. C’est l’étape la plus facile, et le problème immédiat « crève souvent les yeux »4.
Voici des exemples de problèmes immédiats :
- Conflit entre le directeur du marketing et les gérants de vente au sujet du
budget de publicité de l’année
- Perte de plusieurs gros clients au cours des derniers mois
- Incertitude de M. X sur la décision de reconduire ou non son contrat
- Surcharge de travail du directeur Y
- Réorganisation d’un service suite à une croissance accélérée
- Grogne des secrétaires et taux de roulement élevé parmi les plus jeunes d’entre
elles
- Etc.
Ces exemples montrent bien que le problème immédiat est toujours le problème de
quelqu’un. Lorsque vous identifiez le problème immédiat, il faut donc toujours du
même coup identifier la ou les personnes à qui le problème « appartient », c’est-à-dire
ceux qui ont la responsabilité et la marge de manœuvre pour agir sur le problème.
Généralement, il s’agit du gestionnaire ou du dirigeant dont il est question dans le cas.
Le plus souvent, vous pouvez faire comme si vous étiez dans la position de ce décideur.
Tout au long des étapes de l’analyse et de la prise de décision, il ne faudra jamais
perdre de vue le problème immédiat. Même si l’analyse conduit à identifier d’autres
problèmes de fond, à minimiser le problème immédiat, à lui donner le statut de
symptôme plutôt que de véritable problème, il n’en reste pas moins qu’au bout du
4 D’ailleurs, comme on le verra plus loin, c’est le défaut des gestionnaires novices de s’en tenir au
problème immédiat, sans voir qu’il est souvent en fait un symptôme d’un problème plus profond.
11
compte, les options que vous prendrez devront aussi répondre au problème immédiat
que vous avez identifié. Par exemple, même si vous avez établi, au cours de votre
analyse, que le conflit entre le directeur du marketing et les gérants de vente n’étaient
que la conséquence d’une mauvaise définition des tâches des gérants de vente, il
faudra vous assurer que les options que vous prendrez permettront de résoudre le
conflit en cours.
2. RECUEIL DES FAITS PERTINENTS
La seconde étape consiste à rassembler tous les éléments dont vous disposez en
relation avec le problème immédiat. Il s’agit donc de faire un recueil des faits
pertinents qui semblent connectés au problème. Pour le décideur, cette étape consiste
à répondre à la question : « Quels sont les éléments dont je dispose à propos de mon
problème? ». Contrairement aux apparences, cette étape est loin d’être facile, pour
trois raisons principales :
1. D’abord, il n’est pas toujours facile de décider si une information est reliée ou
non au problème. Plus vous gagnerez de l’expérience, plus vous serez habile à
décider de la pertinence des informations dont vous disposez. Dans le doute, il
vaut peut-être mieux inclure une information, quitte à se rendre compte au
cours de l’analyse qu’elle n’est finalement pas pertinente. À cet égard, la
situation dans laquelle vous êtes lorsque vous analysez un cas est assez
différente de la « vraie vie » : en effet, bien que certaines informations
contenues dans le cas puissent uniquement servir à brosser le contexte général
(ou même à « brouiller les pistes » afin d’être un reflet plus fidèle de la réalité)
et ne sont pas vraiment pertinentes pour la résolution du problème, il est clair
cependant qu’un cas est déjà une « présélection » de faits pertinents par
rapport à un problème, et il est clair aussi que toutes les informations
essentielles à la résolution du problème sont présentes dans le cas. Il n’en va pas
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toujours de même dans la réalité organisationnelle, où le gestionnaire peut
passer beaucoup de temps à obtenir des informations essentielles pour
résoudre son problème, et où il est constamment « bombardé » d’informations,
dont beaucoup ne seront pas nécessairement utiles pour résoudre le problème.
2. Ensuite, cette étape est difficile dans la mesure où il s’agit de donner du sens à
des informations afin de les transformer en « faits pertinents ». Un recueil des
faits pertinents crée véritablement une valeur ajoutée à la collection
d’informations éparses contenues dans le cas. Autant dire qu’il ne s’agit donc
en aucun cas de faire un résumé du cas, ou de faire une liste sans ordre ni
structure des différentes informations au fur et à mesure que vous prenez
connaissance du cas. Il s’agit de mettre de l’ordre dans les informations et de les
organiser afin de faciliter leur analyse par la suite.
Par exemple, si le problème immédiat est le conflit entre le directeur du
marketing et les gérants de vente au sujet du budget de publicité de l’année, il
est probable que vous aurez de l’information dans le cas :
- sur le directeur du marketing, ses tâches, sa personnalité, etc.
- sur les gérants de vente, leur nombre, leurs tâches,
- sur la façon dont le budget publicité est établi
- sur l’historique du conflit
Ces quatre points peuvent consituer les quatre catégories pour organiser les faits
pertinents du cas.
Il existe une infinité de façons d’organiser les informations afin de faciliter leur
analyse. Voici quelques exemples qui pourront vous être utiles dans certains cas :
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- Tableau forces / faiblesses : Si le cas décrit le fonctionnement d’une entreprise
ou d’un service et que vous constatez au fil de votre lecture que certains
éléments sont positifs et d’autres négatifs, vous pouvez regrouper les
informations dans un tableau forces / faiblesses.
- Entreprise / Division / Service / Personne : Si les informations contenues dans le
cas concernent tantôt l’entreprise dans son ensemble, tantôt un service ou une
division en particulier, tantôt le dirigeant de ce service ou cette division, il peut
être utile de bien distinguer les informations selon ces 3 ou 4 niveaux.
- Tétraèdre stratégique : Si vous constatez que le cas tourne autour de la relation
d’une entreprise à son environnement, de la pertinence de la mission de
l’entreprise, etc., vous pouvez utiliser le tétraèdre stratégique et ses quatre
pôles « Mission », « Philosophie de gestion », « Entreprise », « Environnement »
pour classer les informations contenues dans le cas.
En fait, plus vous aurez accumulé de savoir, y compris de savoir « théorique » en
management, plus vous aurez d’« outils » à votre disposition pour donner du sens
aux informations et pour les organiser.
Donner du sens aux informations signifie également les traduire et les synthétiser
en termes de management. Voici deux exemples qui illustrent cette idée :
Ex : Le cas dit : « L’entreprise est divisée en 5 départements : Finances, Marketing,
Vente, Production, Comptabilité ». Il se peut que cette information ne soit pas
pertinente pour la résolution du cas. Si vous jugez qu’elle l’est, vous pouvez alors
tout simplement retenir « structure par fonctions ».
Ex : Le cas dit : « Le chiffre d’affaires de l’entreprise est de 2 millions de dollars ».
Prise isolément, cette information est presque totalement vide de sens et ne devrait
certainement pas faire partie du recueil des faits pertinents. Pour lui donner du
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sens, il faudrait pouvoir comparer ce chiffre à quelque chose : la moyenne du
secteur, la taille de l’entreprise, du CA de l’entreprise des dernières années, le
profit, etc. On arriverait alors à des faits pertinents comme « L’entreprise a atteint
son chiffre d’affaires le plus bas depuis 10 ans », ou « La rentabilité de l’entreprise
est compromise puisqu’elle a atteint à la fois sont plus haut chiffre d’affaire en 5 ans
et son plus bas profit », etc.
3. Finalement, le principal écueil qui guette l’apprenti gestionnaire lorsqu’il tente
de dresser l’inventaire des faits pertinents au sujet d’un problème consiste à y
importer, intentionnellement ou non, des jugements de valeur et des
interprétations qui biaisent les faits et rendent ensuite l’analyse complètement
inutile. Si, par exemple, après avoir lu le cas, vous écrivez dans votre recueil des
faits pertinents : « M. Y est un très mauvais leader qui devrait quitter son poste
au plus vite », inutile d’aller plus loin. Vous avez déjà le problème (mauvais
leadership de M. Y) et sa solution (le démettre de ses fonctions). En revanche,
un peu de prudence gestionnaire consiste à suspendre tout jugement sur M.Y
dans un premier temps, et d’essayer de noter des faits « objectifs » sur son
comportement, par exemple « M.Y est en conflit avec 3 de ses 8 employés », ou
« le supérieur hiérarchique de M.Y pense que ce dernier est un mauvais
leader ». En matière de jugements de valeur, il faut à la fois se méfier de soi-
même et des autres :
- se méfier de soi-même signifie ne pas sauter aux conclusions trop vite (même et
surtout si vous pensez que vous tenez déjà le vrai problème) et s’obliger à
adopter le regard le plus extérieur et le plus objectif possible sur ce qui est dit
dans le cas.
- se méfier des autres, c’est reconnaître que les informations qui nous sont livrées
le sont très souvent par l’intermédiaire d’autres personnes qui ont leur propre
point de vue sur la question et c’est, surtout, se reconnaître le privilège de
prendre de la distance par rapport aux points de vue des autres. Vous n’êtes
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donc pas obligé d’être d’accord avec le supérieur de M.Y qui pense qu’il est un
mauvais leader. À vous de voir si vous accordez à cette information le statut de
FAIT (« M.Y est un mauvais leader ») ou le statut d’INTERPRÉTATION
(« l’interprétation du supérieur de M.Y est que ce dernier est un mauvais
leader »). C’est votre droit et votre devoir de gestionnaire de savoir à la fois
écouter les autres (c’est une information précieuse de savoir que le supérieur
hiérarchique de M.Y pense que ce dernier est un mauvais leader) sans être
nécessairement d’accord avec eux (il se peut très bien que M.Y soit un très bon
leader et que le problème soit ailleurs). Nous reverrons ce point comme une
« règle d’or » dans la troisième partie du texte.
3. L’ANALYSE
L’étape logique qui suit le recueil des faits pertinents est leur analyse. Vous
connaissez le problème immédiat, vous avez en main un certain nombre de faits
que vous jugez pertinents, reste à comprendre les liens entre ces éléments, leur
importance, le réseau de causes et conséquences dans lequel s’insère le problème.
L’analyse consiste donc à vous forger une explication plausible du problème
immédiat, qui tienne compte de tous les faits importants du cas, et qui leur donne
sens. C’est à cette étape que votre « finesse » de gestionnaire peut faire la
différence : de bonnes capacités d’analyse (ne pas « oublier » de faits importants,
savoir établir des liens de causalité, construire une argumentation qui se tienne,
expliciter les valeurs qui guident l’analyse, etc.), alliées à de l’expérience qui fournit
en somme un éventail de situations déjà vécues ou analysées, permettent de
construire une explication solide du problème rencontré.
Un des « réflexes gestionnaires » les plus précieux à cette étape est la capacité à
voir et à penser à long terme, surtout lorsqu’il s’agit d’évaluer les conséquences de
tel ou tel élément, ou lorsqu’il s’agit de décider de la nature et de l’importance d’un
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problème. Un problème peut très bien apparaître anodin lorsqu’on raisonne à court
terme, mais prendre une dimension beaucoup plus préoccupante lorsqu’on
raisonne à long terme.
Pour mieux saisir la nature des habiletés qui sont nécessaires à cette étape,
Mucchielli5 décrit les différences dans l’approche des problèmes entre un
professionnel novice et un professionnel expérimenté :
- Différence dans l’ampleur de la perception des situations problématiques : le professionnel expérimenté apparaît capable de percevoir la situation totale. Plus il a d’expérience, plus sa perception s’étend à des aspects moins visibles du problème, à des enchaînements de faits, à des éléments sur lesquels on n’a pas encore d’information, etc.
- Différence dans la qualité de conceptualisation : le professionnel expérimenté
repère l’essentiel, saisit le principe organisateur des différentes données, fait preuve de détachement par rapport aux implications affectives.
- Différence dans la compréhension des problèmes : l’expérience accumulée du
professionnel chevronné lui a permis de décanter peu à peu les épreuves déjà rencontrées, qui ont laissé à la fois « un sentiment de familiarité avec les genre de situations problématiques, et une sûreté dans la saisie de l’essentiel de chaque cas particulier ».
La capacité à bien saisir, appréhender et analyser les problèmes comprend donc un
ensemble d’habiletés qui s’acquièrent peu à peu, qu’il faut considérer un peu
comme des muscles qu’il s’agit d’exercer, d’utiliser, d’entraîner, de renforcer au fil
des expériences accumulées.
5 Mucchielli, Roger (1987). La méthode des cas, Paris, Les éditions ESF, pp. 6 et s.
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4. LA DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE FOND
L’analyse aboutit généralement à mettre au jour un ou des problème(s) de fond, dont le
problème immédiat n’était que le sympôme. La conclusion de l’analyse n’est donc pas,
comme on pourrait le croire, la solution au problème immédiat, mais plutôt la
construction d’un nouveau problème!
Ex : Vous avez repéré comme problème immédiat la baisse de performance de plusieurs
des divisions régionales de l’entreprise. Avec les informations dont vous disposez, vous
êtes peu à peu amené à mettre en cause le nouveau système de rémunération mis en
place dans l’entreprise, basé sur la performance individuelle. Ce système de
rémunération a fait en sorte que les vendeurs des différentes divisions étaient
désormais prêts à tout pour augmenter leur performance, donc leur rémunération,
quitte à « voler » des clients aux autres vendeurs, à retenir de l’information, à saboter
la campagne de publicité lancée à l’échelle de l’entreprise, etc. Au bout du compte, la
performance globale des divisions régionales s’en ressent. Dans cet exemple, le
problème de fond touche donc au système de rémunération et, plus précisément, à la
trop grande importance accordée à la performance individuelle au détriment de la
performance collective dans le calcul des primes. On voit donc que le problème de fond
est souvent la cause profonde du problème immédiat. Tout comme un état de fatigue
peut être le symptôme d’un dérèglement hormonal plus profond, la mauvaise
performance des divisions est ici le symptôme d’un mauvais système de rémunération.
En tant que gestionnaire et décideur, votre principale tâche, avant même de chercher
à les résoudre, est de construire des problèmes. Vous aurez souvent l’impression que
les problèmes arrivent « tout cuits » sur votre bureau et que votre rôle est de les régler.
Mais il en est des problèmes comme des faits dont on parlait à l’étape 2 : les problèmes
sont toujours « portés » par quelqu’un et leur formulation est chargée
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d’interprétations, de jugements de valeur et des inévitables biais dus à la position de la
personne qui les formule. Imaginons par exemple que votre directeur des ressources
humaines débarque dans votre bureau en vous disant « On a un problème : il faut
rallonger la formation sur le nouveau système informatique. Les heures prévues
initialement étaient insuffisantes et les opérateurs ne maîtrisent toujours pas le
nouveau système ». Vous venez de récolter à la fois un problème (les opérateurs ne
maîtrisent toujours pas le nouveau système informatique), avec en prime l’analyse (la
formation prévue initialement est insuffisante) et la solution (rallonger la formation)
préconisée par votre directeur des RH. De deux choses l’une : ou vous faites une
confiance aveugle dans la clairvoyance, les sources d’information et les capacités
d’analyse de votre directeur, et vous lui accordez illico une rallonge de budget pour
couvrir la nouvelle formation, ou vous décidez de vous attaquer vous-même à la tâche
de voir dans quelle mesure le fait que les opérateurs ne maîtrisent toujours pas le
système informatique est un problème et, si oui, de quel problème il s’agit précisément.
Vous risquez alors peut-être de découvrir que les heures de formation n’ont
absolument rien à voir dans l’histoire (il se peut qu’il s’agisse plutôt d’un problème de
convivialité du système, ou de motivation des opérateurs, ou de compétences des
formateurs, ou de bien d’autres choses encore) et que les dollars investis pour rallonger
la formation l’auraient été en pure perte.
Bref, votre devoir de gestionnaire est de ne pas prendre pour argent comptant les
problèmes « pré-construits » par d’autres, mais plutôt, lorsque vous pensez que des
enjeux importants se cachent, de chercher vous-même à construire vos problèmes, et
de dégager les problèmes de fond qui se cachent souvent derrière les problèmes
immédiats qui s’accumuleront sur votre bureau. C’est ce même principe qui préside à
l’analyse de cas : l’étape qui consiste à formuler le ou les problèmes de fond est
cruciale. Souvent, les différents acteurs du cas ont leur propre opinion sur le problème
en cause, opinions que vous aurez relevées dans le recueil des faits pertinents en
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prenant soin de faire la part des faits et des interprétations. Suite à l’analyse, vous
dégagerez votre propre définition du problème.
5. LE CHOIX D’UNE OPTION
Il y a un temps pour l’analyse et un temps pour l’action. Au cours des précédentes
étapes, vous en êtes arrivé à vous forger une opinion sur le problème de fond, son
importance, ses causes, ses conséquences, etc. Mais vous n’avez encore rien fait. Il est
donc temps maintenant de penser « action » et de considérer les différentes options
qui s’offrent pour solutionner le problème. Un problème de management n’étant pas
un problème de mathématiques, il y a toujours plus d’une option à un problème. Cette
étape consiste donc à (1) dresser un inventaire de toutes les options qui vous
paraissent a priori valables pour résoudre le problème, à (2) évaluer ces options et
comparer leurs mérites respectifs et, enfin, à (3) choisir celle qui vous paraît finalement
la plus adéquate. Reprenons plus en détail chacun de ces trois volets :
1. Dresser l’inventaire de toutes les options qui vous paraissent a priori valables
Il est inutile à cette étape d’envisager des options que vous savez d’ores et déjà
ne pas retenir. En revanche, vous devez en quelque sorte vous « forcer » à
envisager plusieurs options qui vous paraissent valables. Si vous n’avez qu’une
seule option en tête, c’est le signe que, consciemment ou non, vous êtes déjà
convaincu(e) que vous tenez la solution. Résistez à cette impression! Faites
l’effort d’envisager le plus objectivement possible toutes les options
envisageables. Les maître-mots à cette étape sont réalisme et créativité, et il
n’est pas toujours facile d’allier les deux. Il s’agit en effet d’éviter le piège des
solutions toutes faites, trop timides, peu risquées mais peu efficaces, sans
tomber dans l’utopique et le saugrenu. Faire preuve de créativité signifie aussi
que vous devez essayer de ne pas vous laisser enfermer dans une façon de
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penser du type, « je n’ai pas d’autre choix que de… » ou « de deux choses l’une,
soit on fait ceci, soit on fait cela ».
Tout comme certains des acteurs du cas avaient leur définition du problème,
que vous avez ou non endossée au cours de votre analyse (étape 3), il se peut
également que des solutions soient énoncées dans le cas lui-même. Vous n’êtes
pas tenu de lister ces solutions parmi les options que vous envisagez, si vous
trouvez ces solutions farfelues ou inadéquates. Il vous suffit simplement
d’expliquer brièvement pourquoi vous ne retenez pas ces solutions.
2. Évaluer et comparer les options
Il y a plusieurs critères qui peuvent servir à évaluer chacune des options et à
comparer leurs mérites respectifs. Deux critères fondamentaux sont
évidemment le coût et le temps, qu’il faut pondérer en fonction de l’importance
et de l’urgence du problème. Chaque option doit donc être examinée à la loupe
des avantages et des inconvénients qu’elle présente, ainsi que des ressources
qu’elle nécessite. Vous pouvez dresser le tableau suivant, en utilisant ou non un
système de cotation pour essayer de classer les options :
Description de
l’option
Avantages Inconvénients Ressources
nécessaires
Cote
Option 1
Option 2
Etc.
3. Choisir une option
Au vu du tableau ci-dessus, vous devez finalement vous décider et choisir
l’option qui vous permettra de résoudre votre problème de fond avec le plus de
chance de réussite et d’efficacité. Une fois votre choix fait, et avant de passer à
la mise-en-œuvre, assurez-vous que l’option que vous choisissez permet
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effectivement de résoudre ET le problème de fond que vous avez identifié à
l’étape 4, ET le problème immédiat que vous aviez repéré à l’étape 1. Dans les
entrelacements des causes et des conséquences que l’on essaye de démêler au
cours de l’analyse, il arrive que l’on se « perde » et que l’action qu’on s’apprête
à prendre n’a plus qu’un lointain rapport avec le problème qu’on avait sur les
bras. Si c’est le cas, il est encore temps de redresser la barre et de reprendre
l’analyse. Puisque le problème immédiat n’est en principe qu’un symptôme d’un
problème plus profond, les options choisies pour régler le problème de fond
devraient du même coup supprimer le symptôme qu’était le problème
immédiat.
6. LA MISE EN ŒUVRE
La dernière étape d’une prise de décision est sa mise en œuvre. Dans une analyse de
cas, il s’agit de détailler comment procéder pour mettre en œuvre l’option ou les
options retenue(s) à l’étape 5, en allant aussi loin que possible dans le détail en fonction
des informations qui sont fournies dans le cas. Le cas échéant, on peut préparer un
budget, un échéancier, un cahier des charges, la répartition des tâches parmi les
personnes concernées, le suivi, des scénarios, etc. Si, par exemple, l’option retenue
consiste à « revoir la répartition des portefeuilles-client parmi les courtiers en groupant
les gros clients entre eux et les petits clients entre eux », on s’attend dans la mise en
œuvre, à ce que les questions suivantes soient abordées : Qui va mettre au point la
nouvelle répartition? Comment va-t-on l’apprendre aux courtiers et quelle marge de
maneuvre (choix des clients) va-t-on leur laisser? Comment va t-on gérer la passation
des clients d’un courtier à l’autre? Combien de temps se donne-t-on pour achever la
nouvelle répartition? Que faire avec les clients qui sont attachés à un courtier en
particulier et ne veulent en changer? Que faire si un courtier refuse de se séparer d’un
client? Quels indicateurs se donne-t-on pour mesurer le succès du changement et
quelle échéance pour arriver à ce succès? Etc. L’étape de la mise-en-œuvre répond
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