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Faculteit Letteren & Wijsbegeerte
Sara Santens
La maîtrise de la morphologie verbale
en FL2 à l’écrit et à l’oral
Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van
Master in de Taal- en Letterkunde
2015-2016
Promotor Prof. dr. Pascale Hadermann Vakgroep Franse Taalkunde
Table des matières Liste d’abréviations 1
Liste des tableaux 2
Remerciements 3
Introduction 5
1 Cadre de recherche 7
1.1 L’acquisition de la morphologie verbale en L2 7
1.1.1 La finitude verbale 7
1.1.2 Apprentissage et fréquence 9
1.2 La morphologie verbale française 11
1.3 L’acquisition de la morphologie verbale en FL1 13
1.3.1 Morphologie silencieuse 13
1.3.2 Itinéraire acquisitionnel 14
1.3.3 Apprentissage et fréquence 14
1.4 L’acquisition de la morphologie verbale en FL2 15
1.4.1 Itinéraires acquisitionnels 15
1.4.2 Morphologie silencieuse – accord sujet-verbe – finitude verbale 17
1.4.3 Connaissances explicites et implicites 20
1.4.4 Comparaison de l’acquisition à l’oral et à l’écrit 21
2 Méthodologie 22
2.1 Groupes cibles 22
2.2 Données recueillies 23
2.3 Classification des données et critères d’analyse 24
2.3.1 Classification verbale traditionnelle 24
2.3.2 Classification des verbes à l’oral 24
2.3.3 Classification des verbes à l’écrit 26
2.3.4 Critères d’analyse 27
2.4 Tâches guidées 30
2.5 Questions et hypothèses de recherche 31
3 Analyse : la finitude verbale – l’accord sujet-verbe 35
3.1 La finitude verbale 36
3.1.1 Résultats globaux 37
3.1.2 Résultats par catégorie verbale 38
3.1.3 Les verbes irréguliers 39
3.1.4 Les verbes à une base 40
3.1.5 Les verbes à deux bases 41
3.1.6 Les verbes à trois bases 41
3.1.7 Conclusion 42
3.2 Accord sujet-verbe 45
3.2.1 Résultats globaux 46
3.2.2 Résultats par catégorie verbale 46
3.2.3 Les verbes irréguliers 48
3.2.4 Les verbes à une base 52
3.2.5 Les verbes à deux bases 55
3.2.6 Les verbes à trois bases 57
3.3 Accord sujet-verbe selon les sujets 59
3.3.1 La troisième personne du singulier 59
3.3.2 La troisième personne du pluriel 64
3.3.3 La première et deuxième personne du singulier 71
3.3.4 La première et deuxième personne du pluriel 75
3.3.5 Conclusion 78
Conclusion 80
Références bibliographiques 87
Annexes 92
Analyses des corpus écrits et oraux – Enregistrements 92
Répartition des erreurs de finitude/d’accord 93
Test écrit 95
Test oral 100
Nombre de mots : 29 134
1
Liste d’abréviations
1ps : la première personne du singulier
2ps : la deuxième personne du singulier
3ps : la troisième personne du singulier
1pp : la première personne du pluriel
2pp : la deuxième personne du pluriel
3pp : la troisième personne du pluriel
3p : la troisième personne
V : verbe
V à deux thèmes – VV : verbes à deux thèmes sans variation vocalique
V à deux thèmes + VV : verbes à deux thèmes avec variation vocalique
V irrég. : verbes irréguliers
FNF : forme non finie
FLE : français langue étrangère
FL2 : français langue acquise après la langue maternelle, langue étrangère
L1 : langue maternelle
L2 : langue acquise après la langue maternelle
2
Liste des tableaux
Tableau 3-1 Formes finies et non finies dans des contextes finis à l'écrit 37 Tableau 3-2 Formes finies et non finies dans des contextes finis à l’oral 37 Tableau 3-3 Le taux des formes non finies (FNF) par catégorie verbale à l’oral 38 Tableau 3-4 Le taux des formes non finies (FNF) par catégorie verbale à l’écrit 38 Tableau 3-5 Résumé des stades d'acquisition selon les classes verbales à l'oral (O) et à l'écrit (E) 42 Tableau 3-6 Formes verbales - accord correct et accord fautif à l'écrit 46 Tableau 3-7 Formes verbales - accord correct et accord fautif à l'oral 46 Tableau 3-8 Formes verbales correctes par catégorie verbale à l'oral 47 Tableau 3-9 Formes verbales correctes par catégorie verbale à l'écrit 47 Tableau 3-10 Formes correctes des verbes être et avoir à l'écrit 48 Tableau 3-11 Formes correctes des verbes être et avoir à l'oral 48 Tableau 3-12 Formes correctes des verbes aller et faire à l'écrit 50 Tableau 3-13 Formes correctes des verbes aller et faire à l'oral 50 Tableau 3-14 Les verbes à une base à l'oral 52 Tableau 3-15 Les verbes à une base à l'écrit 52 Tableau 3-16 Les verbes à deux bases à l'oral 55 Tableau 3-17 Les verbes à deux bases à l'écrit 55 Tableau 3-18 Les verbes à trois bases à l'oral 57 Tableau 3-19 Les verbes à trois bases à l'écrit 57 Tableau 3-20 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3ps à l'oral 59 Tableau 3-21 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3ps à l'écrit 59 Tableau 3-22 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3ps à l'oral 60 Tableau 3-23 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3ps à l'écrit 60 Tableau 3-24 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3ps à l'oral 60 Tableau 3-25 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3ps à l'écrit 60 Tableau 3-26 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3pp à l'oral 64 Tableau 3-27 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3pp à l'écrit 65 Tableau 3-28 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3pp à l'oral 65 Tableau 3-29 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3pp à l'écrit 65 Tableau 3-30 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3pp à l'oral 65 Tableau 3-31 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3pp à l'écrit 65 Tableau 3-32 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1ps à l'oral 71 Tableau 3-33 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1ps et à la 2ps à l'écrit 71 Tableau 3-34 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1ps et à la 2ps à l'écrit 71 Tableau 3-35 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 1ps et à la 2ps à l'écrit 72 Tableau 3-36 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1pp à l'oral 75 Tableau 3-37 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1pp et à la 2pp à l'écrit 75 Tableau 3-38 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1pp à l'oral 75 Tableau 3-39 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1pp et à la 2pp à l'écrit 75 Tableau 3-40 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 1pp et à la 2pp à l'écrit 76 Tableau 4-1 L'itinéraire de l'acquisition de la finitude verbale à l'oral et à l'écrit 81 Tableau 4-2 L'itinéraire de l'acquisition de l'accord sujet-verbe à l'oral et à l'écrit 81
3
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice de recherche, Prof. Dr. Pascale Hadermann. Elle
m’a inspirée lors de la quête d’un sujet linguistique satisfaisant, et elle m’a excellemment
guidée et assistée pendant mon travail. J’ai apprécié tous ses remarques et ses compléments,
ainsi que son intérêt pour ma recherche. Je l’en remercie.
Je voudrais également remercier la direction de l’école secondaire De Bron, de m’avoir donné
l’opportunité d’enquêter ses élèves. J’adresse en particulier un merci aux enseignants de
français, Isabel Wemaere, Charlien Ver Eecke et Marieke Coene, d’être prêtes à co-organiser les
séances d’enquêtes et à m’accueillir pendant un de leurs cours. Mes remerciements vont
également à tous les participants aux enquêtes oraux et écrits, de faire de leur mieux pendant
les tests extrascolaires.
Je remercie encore monsieur Thomas Van Damme, qui m’a aidée avec l’enregistrement des
productions orales et qui m’a proposé quelques programmes de transcription, et Stefanie
Callaert : ses tests ont été une source d’inspiration pour rédiger mes propres enquêtes.
Finalement, je tiens à remercier ma famille, qui m’a donné l’opportunité d’effectuer mes études
et qui m’a toujours soutenue lors de ma carrière scolaire.
4
5
Introduction
La présente étude vise à comparer la maîtrise de la morphologie verbale écrite et orale en
français langue étrangère (désormais FL2), chez des apprenants néerlandophones. Comme la
langue française écrite contraste avec celle de l’oral dans plusieurs domaines, et
particulièrement dans celui de la morphologie, il est intéressant de discerner des différences
éventuelles sur le plan de leur acquisition. Le décalage entre les deux registres peut notamment
constituer un défi pour les apprenants de la langue française, dans la mesure où de nombreuses
marques écrites n’ont pas d’équivalent oral (Jaffré & David 1999). En outre, le système verbal
français est riche, avec plusieurs modèles de conjugaison ainsi que différents suffixes pour les
personnes du singulier. Ces aspects rendent la maîtrise de la morphologie verbale française
complexe.
De plus, il est important de comprendre comment le système du syntagme verbal se met en
place en FL1 et en FL2, car le verbe forme le noyau de la phrase et il est par conséquent un
constituant essentiel dans l’acquisition de la langue française maternelle (FL1) et étrangère.
Ainsi, les recherches sur l’acquisition de la morphologie verbale chez des natifs sont
nombreuses : les études de Totereau, Barrouillet & Fayol (1998), Jaffré & David (1999) et Largy
& Fayol (2001) n’en sont que quelques exemples.
Les études en FL2 se concentrent surtout en Suède, où les chercheurs en linguistique
acquisitionnelle s’intéressent aux caractéristiques de l’interlangue et aux différents stades
d’acquisition que parcourent les apprenants suédophones du FL2 (voir Bartning & Schlyter
2004, Schlyter & Bartning 2005, Schlyter 2005, Granfeldt 2005, Ågren 2005, 2008, Hedbor
2005, etc.). Cette prédilection linguistique est également présente dans les pays germaniques,
mais dans une moindre mesure. Granget (2005), par exemple, est spécialiste de la maîtrise de
la morphologie verbale écrite chez des apprenants germanophones. Howard (2006) s’occupe
des productions orales des étudiants anglophones. Finalement, Housen, Kemps & Pierrard
(2008), de même que Michot (2014, 2015), se concentrent sur l’acquisition du syntagme verbal
à l’oral par des apprenants néerlandophones du FL2.
La présente étude s’inscrit dans la même ligne. Pourtant, notre recherche diffère des
précédentes, dans la mesure où elle observe tant la maîtrise de la morphologie verbale écrite
que celle de l’oral, chez des apprenants néerlandophones. Ainsi, nos données nous permettent
de comparer le développement de l’acquisition morphologique dans les deux registres, chez le
même public. De plus, l’analyse du fonctionnement de la morphologie écrite en FL2 chez des
néerlandophones constitue jusqu’à aujourd’hui un domaine de recherche peu exploité. Avec la
6
présente étude, nous espérons apporter une contribution modeste à l’exploration de ce vaste
domaine linguistique.
Notre travail se divise en quatre parties. Le premier chapitre esquissera le cadre de recherche
dans lequel cette étude s’inscrit. Nous y exposerons les résultats des principaux travaux sur
l’acquisition de la morphologie verbale en L1 et en L2, ainsi qu’en FL1 et en FL2. De plus, le
chapitre donne un aperçu de la morphologie verbale française et de ses caractéristiques, tant
à l’oral qu’à l’écrit.
Ensuite, nous présenterons en détail la méthodologie dans le deuxième chapitre. Nous
décrirons les apprenants enquêtés, l’élaboration des tests oraux et écrits, la récolte des
données, la constitution des corpus oraux et écrits ainsi que les critères d’analyse. Le chapitre
comporte également les questions et les hypothèses de recherche qui guideront notre travail.
Elles concernent plus spécifiquement le développement de la finitude verbale et de l’accord
sujet-verbe, à l’oral et à l’écrit.
Puis, le troisième chapitre contient l’analyse de nos données. Premièrement, nous étudierons
la maîtrise de la finitude verbale dans les deux registres, en la comparant avec l’itinéraire
acquisitionnel proposé par Bartning & Schlyter (2004). Deuxièmement, la maîtrise de l’accord
sujet-verbe sera analysée et comparée à l’oral et à l’écrit, de la même manière que la maîtrise
de la finitude verbale. Nous essayerons également de discerner des différences éventuelles
entre les productions orales et écrites, en procédant selon les différentes catégories verbales.
Ensuite, nous étudierons les productions écrites et orales des formes de la 1ps, la 2ps, la 3ps,
la 1pp, la 2pp et de la 3pp séparément.
Finalement, nous synthétiserons les résultats dans le chapitre conclusif.
7
1 Cadre de recherche Le verbe est le noyau de la phrase et constitue ainsi un aspect fondamental dans l’acquisition
d’une langue maternelle ou étrangère. La maîtrise de la morphologie verbale est par
conséquent un thème de recherche précieux pour de nombreuses études, tant en L1 qu’en L2 :
L’appropriation de la morphologie verbale est de loin le domaine le plus étudié en
acquisition de la morphosyntaxe en L2, ce qui s’explique par le rôle central que le verbe
joue dans le processus de grammaticalisation de l’interlangue des apprenants, aussi
bien sur le plan morphologique que syntaxique. (Michot 2015 : 24)
Dans ce qui suit, nous présenterons quelques études pertinentes sur l’acquisition de la
morphologie (verbale) en L2. La plupart se concentrent sur la finitude verbale1 ou sur l’accord
sujet-verbe. Dans la deuxième partie, nous énumérerons les caractéristiques essentielles de la
morphologie verbale française.
1.1 L’acquisition de la morphologie verbale en L2
1.1.1 La finitude verbale
Comme nous venons de le mentionner, le processus d’acquisition d’une langue étrangère est
décrit dans de nombreuses études. Klein & Perdue (1997), par exemple, étudient l’interlangue
des apprenants adultes d’une langue étrangère à un stade précoce : the basic variety (« la
variété de base »). Concernant la morphologie verbale, ils remarquent le phénomène suivant :
There is no inflection in the basic variety, hence no marking of case, number, gender,
tense, aspect, agreement by morphology. Thus, lexical items typically occur in one
invariant form. It corresponds to the stem, the infinitive or the nominative in the target
language […]. (Klein & Perdue 1997 : 322)
En ce qui concerne l’absence de flexion verbale, Prévost & White (2000) l’expliquent par la
théorie de Missing Surface Inflection (MSI) : la non-finitude se trouverait au niveau
morphologique de surface et non au niveau syntaxique2. Ils ont étudié les données produites
par deux apprenants adultes de l’allemand et deux apprenants adultes du français3 pour
1 « un verbe fléchi ou conjugué est dit disposer d’une finitude (finiteness) morphologique. Est finie toute forme verbale conjuguée qui permet un contraste de temps, de mode, etc. à l’aide de sa désinence. Les autres formes verbales (participiales ou infinitives) sont dites non finies. » (Véronique 2009 : 369). 2 La morphologie verbale est défectueuse et non la grammaire des apprenants. Voir aussi infra. 3 Les deux apprenants du français étaient des natifs de l’arabe marocain, les apprenants de l’allemand étaient des natifs de l’espagnol et du portugais.
8
arriver à ce constat. Prévost (2003, 2004) a réitéré cette étude chez des apprenants adultes
FL2 anglophones et a constaté le même phénomène. Il constate que le nombre des formes non
finies est élevé :
[i]n an earlier paper (Prévost 2003a) I reported that for one of the four adult English-
speaking learners of French I investigated over a one-year period, the incidence of
finite forms in nonfinite positions (e.g. following another verb or a negative adverb)
was quite high in most interviews. (Prévost 2004 : 150)
Haznedar & Schwartz (1997) et Herschensohn (2001) sont d’autres chercheurs qui appuient
la thèse de Missing Surface Inflection : l’acquisition des classes fonctionnelles précède
l’acquisition morphologique. Ainsi, les apprenants d’une L2 sont conscients des classes
flexionnelles et les marques d’accord. Pourtant, ils peuvent avoir des problèmes avec la
réalisation de la morphologie superficielle, de sorte qu’ils se servent des formes non finies4
(Prévost & White 2000).
The Impaired Representation Hypothesis (IRH) s’y oppose : la flexion L2 est principalement
dysfonctionnelle, due à l’absence des catégories fonctionnelles. En d’autres mots, la distinction
entre les différentes classes (les noms, les verbes, les adverbes,…) ne serait pas maîtrisée par
les apprenants (Eubank 1993/94, Meisel 1997 ; cité dans Prévost & White 2000 : 103).
La recherche de Parodi (2000), s’inscrit dans le même courant. Elle étudie le lien entre la
finitude et la place du verbe ainsi que de la négation dans la phrase d’une part, et la relation
entre le type de verbe et l’accord sujet-verbe d’autre part. Son corpus est composé par des
apprenants de l’allemand hispanophones et italophones. Parodi conclut qu’il existe un lien
entre la place de la négation par rapport au verbe fini d’une part et l’accord sujet-verbe d’autre
part : la négation est postverbale lorsque le verbe est accordé au sujet. Le non-accord apparaît
dans les contextes où la négation est préverbale (Parodi 2000 : 376). En outre, elle constate
une différence entre l’accord des verbes thématiques et des verbes non thématiques5 : alors
que l’on observe un développement progressif de l’accord avec les verbes thématiques, les
verbes non thématiques semblent s’accorder dès qu’ils se produisent (Parodi 2000 : 370). Par
conséquent, il existe une asymétrie entre les verbes thématiques et non thématiques, qui se
reflète dans l’acquisition des paradigmes réguliers et irréguliers : les apprenants semblent être
capables de mémoriser les paradigmes supplétifs (ou irréguliers), mais incapables de
4 Les formes finies n’apparaissent pas dans les contextes non finis. En conséquence, les apprenants font preuve des réflexes syntaxiques de finitude, et les formes fléchies produites signalent principalement l’accord précis (Prévost & White 2000). 5 Les verbes non thématiques réfèrent aux modaux, aux auxiliaires, à avoir et à être. Les verbes thématiques désignent le reste.
9
construire des paradigmes réguliers, par exemple ceux constitués par affixation. Ainsi, le
paradigme du verbe sein (être), qui est très irrégulier, est acquis précocement. Il en est de
même pour les verbes modaux et le verbe haben (avoir) (Parodi 2000 : 370).
1.1.2 Apprentissage et fréquence
Le constat de Parodi nous mène vers la théorie de Pinker (1999), qui distingue deux types
d’apprentissage : « apprentissage sous formes de règles » et « apprentissage sous formes
d’items ». La conjugaison verbale régulière se maîtriserait selon le premier type : la
connaissance des règles permet de conjuguer chaque verbe du même type. Ainsi, l’apprenant
ne doit pas mémoriser chaque conjugaison d’un verbe individuellement. Les verbes irréguliers,
en revanche, s’acquièrent selon l’apprentissage sous formes d’items : il faut mémoriser chaque
forme verbale du verbe (chaque item). Cette thèse rappelle celle de Bybee (1991) :
We memorize the regular paradigm and then we know how to inflect any regular form;
we memorize the irregular paradigms precisely because they are irregular. (Bybee
1991 : 67)
Bybee ajoute que, en ce qui concerne la morphologie verbale :
[t]he higher frequency of the base form has a lot to do with its role in leveling. Because
the unmarked form is more frequent, it is more available in the input and has a
stronger representation in the mental lexicon. (Bybee 1991 : 73)
Cela signifie que la forme non marquée – en français, par exemple, dans la plupart des cas la
forme de la 3ps – est plus fréquente et plus accessible que les autres : elle s’utilisera par
conséquent aussi dans des contextes où elle n’est pas adéquate. De plus, concernant
l’acquisition des modèles morphologiques, Bybee note que
[a]ll types of morphological patterns can be acquired by the same process - the storage
of items […].The differences among them are due largely to the number of distinct
lexical items involved - a big class is more productive and forms a stronger schema
than a small class [SS, en gras]. A large class has a high type frequency, that is, the
number of different words containing the affix or the pattern is high. Consider the
conjugation classes for French verbs. The First Conjugation is the productive one
for both children and adults, and this is related to the fact that it applies to the
largest number of verbs [SS, en gras]. (Bybee 1991 : 87)
10
Ainsi, plus une classe morphologique apparaît dans l’input des apprenants, plus elle sera
productive.
À ce même égard, Bybee (2008) souligne l’effet de la fréquence d’usage sur l’acquisition
d’une langue étrangère et de la répétition des unités linguistiques sur les représentations
cognitives6 (Bybee 2008 : 218). Cependant, il faut distinguer entre token frequency et type
frequency. Token frequency reflète le nombre d’occurrences d’une unité dans un texte (ou dans
l’input). Chaque unité spécifique, comme une consonne [s], une syllabe [ba], un mot chien ou
même une phrase peuvent avoir une token frequency (Bybee 2008 : 218). Cette fréquence a un
Conserving Effect : la répétition renforce les représentations dans la mémoire et les rend plus
accessibles (Bybee 2008 : 219).
Type frequency, en revanche, est d’une autre sorte. Seuls des patrons ou des modèles de
langage reflètent type frequency, entre autres les modèles morphologiques de la conjugaison,
par exemple les combinaisons de racine + suffixe. Type frequency concerne par conséquent le
nombre d’occurrences d’un modèle linguistique spécifique. En guise d’exemple, token
frequency s’applique au nombre d’apparitions des formes verbales individuelles, comme est,
sont, veut, veulent, etc. (exemples tirés d’Ågren & Van de Weijer 2012 : 313). Type frequency,
par contre, réfère au nombre de fois qu’un modèle de conjugaison apparaît dans l’input. Si un
grand nombre de verbes appartiennent à un modèle de conjugaison spécifique, leur type
frequency sera élevée, par exemple les verbes réguliers. Si peu de verbes suivent un modèle de
conjugaison spécifique, leur type frequency sera basse, comme les verbes irréguliers (Ågren &
Van de Weijer 2012 : 313 ; voir aussi Bybee 1991, supra).
Afin de relier cette théorie avec celle de Pinker (1999), l’on peut dire que l’apprentissage
sous formes de règles ne dépend pas de la token frequency mais de la type frequency : il n’est
pas nécessaire de traiter individuellement les verbes réguliers, qui ne doivent par conséquent
pas être très fréquents dans l’input. Les verbes irréguliers, en revanche, demandent une haute
token frequency : chaque item doit être suffisamment présent dans l’input car il s’acquiert sous
formes d’items.
6 Ellis (2002) a également dédié un article à l’effet de la fréquence dans l’acquisition d’une langue (Frequency effects in language processing).
11
1.2 La morphologie verbale française
Comme nous l’avons déjà indiqué, la morphologie verbale est l’un des aspects le plus difficile à
maîtriser lors de l’acquisition du français, L1 ou L2. Les apprenants se trouvent confrontés à
un système verbal à première vue hétérogène, qui prend des formes différentes à l’oral et à
l’écrit7 :
D’un point de vue morphologique, les marques de genre, de nombre, de personne,
de temps et de mode diffèrent entre l’oral et l’écrit [SS, en gras]. De façon générale,
le code écrit peut être caractérisé par la redondance des marques grammaticales (les
petits enfants jouent). Par contre, l’oral se caractérise par l’économie morphologique
et utilise moins de marques grammaticales que l’écrit. […] Le français écrit se
caractérise par rapport au français oral entre autres par une morphologie
silencieuse qui touche les homophones verbaux et les accords en nombre et en
genre [SS, en gras]. Ces caractéristiques de l’écrit sont considérées par de nombreux
chercheurs comme des zones orthographiques fragiles, difficilement maîtrisées par les
apprenants du français L1 et même les adultes. (Ågren 2005 : 30)
La morphologie silencieuse, dont Ågren parle, est l’une des difficultés lors de l’acquisition de la
morphologie verbale écrite, tant pour les natifs que les non-natifs, et a inspiré un grand nombre
d’autres chercheurs. Jaffré & David (1999) définissent la morphologie silencieuse de manière
suivante :
L'homologie entre les réseaux de correspondances des formes linguistiques de l'oral
et de l'écrit peut être plus ou moins précise. C'est notamment le cas de la morphologie
écrite du français dont le réseau phonographique ne rend compte que de façon
partielle. Ainsi, certaines marques écrites du nombre relèvent d'un fonctionnement
spécifique et n'ont pas d'équivalents oraux. (Jaffré & David 1999 : 7-8)
Ils estiment que la morphologie silencieuse pose des problèmes à l’écrit : « le nombre
graphique du français pourrait bien être l'un des domaines linguistiques les plus longs à
maîtriser » (Jaffré & David 1999 : 7). Les auteurs réfèrent aux morphogrammes8, qui sont
spécifiques de l’écrit : les « s » du français dans les chiens ou dans je vais, tu vas en sont des
7 Blanche-Benveniste note dans son livre Approches de la langue parlée en français (1997 : 117) que la morphologie verbale est le domaine où les différences entre le français parlé et le français écrit sont les plus grandes. 8 Les auteurs opposent la notion de morphogramme à celle de morphonogramme : « quand un morphème écrit a un équivalent oral. C'est par exemple le cas de "s" dans le mot espagnol "patos" » (Jaffré & David 1999 : 8).
12
exemples. Ces morphogrammes entraînent des difficultés lors de la maîtrise du français
puisqu’ils ne se manifestent qu’à l’écrit.
Outre la morphologie silencieuse qui touche les homophones verbaux, la morphologie
verbale écrite compte plusieurs suffixes différents afin de marquer la personne au singulier :
les suffixes varient d’après le groupe du verbe, notamment –e, -es, -e pour les verbes en –ER, -
s, -s, -t ou –s, -s, ø ou encore –x, -x, -t dans les autres groupes de verbes9. Ce n’est que la
morphologie verbale du pluriel qui est très systématique et régulière à l’écrit : -ons, -ez, -nt. Les
marques du singulier et de la 3pp n’ont pas d’équivalent à l’oral, ce qui est un autre défi de la
morphologie écrite française.
En ce qui concerne la conjugaison orale, Pouradier Duteil (1997) estime que
[c]ontrairement à une idée très répandue, le système verbal du français est complexe
certes, mais très régulier. Pendant de longues générations on s’est contenté de décrire
le verbe du seul point de vue de la graphie […]. Cela revenait à décrire la langue sans
tenir compte de son organisation phonique. (Pouradier Duteil 1997 : 7)
Elle remarque que « seules les 4e et 5e personnes (nous et vous) étaient "marquées" par une
terminaison, respectivement les voyelles /ɔ̃/ et /e/. Ces voyelles se retrouvent à tous les temps
du verbe, sauf au passé simple » (Pouradier Duteil 1997 : 40). Les autres personnes ne sont par
conséquent pas « marquées » à l’oral : je, tu, il, ils /vwa/ ; je, tu, il, ils /paʀl/ ; je, tu, il /vø/10.
Cependant, outre cet aspect facilitant à l’oral, les natifs et les non-natifs doivent encore
distinguer entre plusieurs catégories verbales qui se conjuguent de manière différente (voir
Méthodologie).
Ayant esquissé les caractéristiques les plus importantes concernant la morphologie verbale
française, nous présenterons dans ce qui suit les études principales sur l’acquisition de la
morphologie verbale chez des natifs. Par la suite, nous aborderons les recherches qui existent
sur la maîtrise de la morphologie verbale chez des non-natifs.
9 Voir aussi Nouvelle Grammaire Française (1995) de Grevisse & Goosse, pp. 250-253. 10 En ce qui concerne la 3pp, l’accord est marqué par le changement du radical : /il vø/, /il vœl/. Voir aussi Largy & Fayol 2001.
13
1.3 L’acquisition de la morphologie verbale en FL1
1.3.1 Morphologie silencieuse
Largy & Fayol (2001) ont examiné l’influence de la morphologie silencieuse chez des étudiants
adultes francophones. Ils postulent que « la présence d’une marque audible diminue la
fréquence des erreurs et rend l’accord plus facile à gérer » (Largy & Fayol 2001 : 121). Prenons
la forme verbale de la 3pp du verbe finir et celle du verbe parler : ils finissent vs ils parlent.
L’accord de la première forme n’est pas silencieux et est alors plus facile à gérer : il y a un « oral
cue » (clé orale). L’accord silencieux de la deuxième forme, par contre, complexifierait l’accord
à l’écrit. Même pour les natifs, la morphologie silencieuse constitue donc un élément épineux
de l’acquisition de la morphologie verbale.
Thévenin, Totereau, Jarousse & Fayol (1999) s’inscrivent dans le même courant des études
concernant la morphologie silencieuse :
[D]e nombreuses marques morphologiques n’ont pas de correspondant oral. Ceci est
le cas des flexions du nombre : -s pour le pluriel des noms et adjectifs et –nt pour les
verbes à la troisième personne du présent de l’indicatif. (Thévenin, Totereau, Jarousse
& Fayol 1999 : 39)
Ils étudient l’apprentissage et l’enseignement de la morphologie écrite du nombre en français,
ce qui inclut également le nombre des formes verbales (3ps et 3pp). Ils examinent quelle est la
meilleure méthode d’enseignement11 en ce qui concerne l’acquisition de la morphologie écrite
du nombre. Ils concluent que « l’instruction directe assortie d’exercices améliore très
significativement les performances » (Thévenin, Totereau, Jarousse & Fayol 1999 : 50).
Dans la même ligne, Totereau, Barrouillet & Fayol (1998) ont signalé des surgénéralisations
dues à la morphologie silencieuse, chez des élèves francophones. Les marques du pluriel (-s, -
nt) se confondent facilement :
7- to 10-year-old children who are in the course of learning written French (native
language) make overgeneralization errors, first using the nominal –s for verbs and
then using the verbal –nt for nouns. (Totereau, Barrouillet et Fayol 1998 : 452)
11 Housen (2014) a consacré une étude similaire à l’importance de l’enseignement d’une langue étrangère: Difficulty and Complexity of Language Features and Second Language Instruction (2014).
14
1.3.2 Itinéraire acquisitionnel
Fayol, Hupet & Largy (1999) ont étudié le processus d’acquisition de l’accord sujet-verbe au
pluriel chez des élèves francophones. Ils se sont attendus à un développement en trois phases :
dans la première, les erreurs d’accord concernent principalement l’absence de la flexion
plurielle (-nt). Dans le deuxième stade, les marques du pluriel seraient présentes mais dans un
nombre limité. Finalement, dans la dernière phase, les élèves ne commettraient plus de fautes
d’accord au pluriel (Fayol, Hupet & Largy 1999 : 157). Leurs prédictions se sont confirmées
lors de leur étude :
In a first phase, some young children (second graders) systematically failed to agree
the verb in the plural whatever the sentence types […]. Likely, the phonology of the
verb endings being the same, they expected that the same similarity would prevail in
spelling. […] In the second phase, several second graders used the plural inflection
[…].The third phase corresponds to adults’ performance. (Fayol, Hupet & Largy 1999 :
172).
De plus, la flexion du singulier, qui est la plus fréquente, s’acquiert d’abord (Fayol, Hupet &
Largy 1999 : 162).
1.3.3 Apprentissage et fréquence
Ågren & Van de Weijer (2012) se concentrent sur l’impact de la fréquence des formes et des
modèles morphologiques dans l’input chez des enfants francophones. À l’aide de deux corpus
qui reflètent autant que possible l’input quotidien oral des enfants, ils ont constaté que les
formes les plus récurrentes sont des formes singulières, et que la présence des formes au
pluriel est très limitée (Ågren & Van de Weijer 2012 : 320). Être et avoir sont très fréquents,
surtout à la 3ps. Aller et faire sont également plus présents dans l’input que d’autres verbes.
Cet input biaisé se traduit par beaucoup de formes erronées de la 3pp dans la production orale
des enfants. Les verbes réguliers sans changement du radical, nombreux dans l’input, se
produisent généralement de manière correcte. La forme de la 3ps se surgénéralise et être,
avoir, aller et faire se réalisent de manière correcte. À l’écrit, la même tendance s’observe, mais
avec moins d’erreurs d’accord pour la 3pp. En outre, l’absence des clés orales qui indiquent
l’accord (voir aussi Largy & Fayol 2001) a un impact négatif sur la production écrite. En
résumant, la production des enfants à l’écrit et à l’oral est affectée par la fréquence et par la
répétition des formes et des modèles dans l’input.
15
Il est vrai que plusieurs études consacrées à l’acquisition de la morphologie verbale sont
effectuées chez des francophones natifs. Pourtant, au cours de la dernière décennie, les études
sur la maîtrise de la morphologie verbale française chez des non-natifs ont pris un essor.
1.4 L’acquisition de la morphologie verbale en FL2
1.4.1 Itinéraires acquisitionnels
L’une des études significatives sur l’acquisition de la morphologie verbale en FL2 est celle de
Bartning & Schlyter (2004). À partir de deux corpus oraux constitués par des apprenants FL2
suédophones12, elles proposent six stades de développement du français L2. Elles estiment que
cet itinéraire est transposable à l’acquisition FL2 chez des apprenants des pays germaniques
ou chez des locuteurs d’autres langues scandinaves. Bartning & Schlyter constatent que
l’acquisition FL2 suit en général un ordre fixe, divisé en six stades : le stade initial, le stade post-
initial, le stade intermédiaire, le stade avancé bas, le stade avancé moyen et le stade avancé
supérieur. Les caractéristiques de chaque stade seront élaborées dans la partie de l’analyse
(voir infra). Concernant la morphologie verbale, Bartning & Schlyter concluent qu’« [a]quérir
[sic] l’accord sujet-verbe […] est un processus long et lent » (Bartning & Schlyter 2004 : 6).
Dans une étude postérieure, Schlyter & Bartning (2005) examinent, en deux volets, le
développement de l’accord sujet-verbe chez des apprenants adultes suédophones. Dans le
premier volet, elles constatent que « [l]es verbes non thématiques semblent avoir un accord
sujet-verbe plus facile à acquérir » (Schlyter & Bartning 2005 : 56), parallèlement au constat
de Parodi (2000). Les verbes thématiques13, en revanche, se développent plus lentement. Dans
cette classe verbale, les auteures observent « un développement graduel et très lent du taux
des formes finies » (Schlyter & Bartning 2005 : 57).
Le deuxième volet comporte le développement de l’accord sujet-verbe à la 1pp et à la 3pp.
Elles déduisent de leurs données l’ordre d’acquisition suivant :
1. Verbes non thématiques au singulier : je suis - il est ; j’ai - il a etc.
2. Pluriel de la 1ère personne : nous V-ons
(2’. ‘Formes finies’ vs ‘formes non finies’ : je parle vs. je parler)
3. Verbes en -ont à la 3p pluriel : ils ont/sont/vont/font
4. Verbes lexicaux à la 3p pluriel, type ils prennent (Schlyter & Bartning 2005 : 61)
12 Les données sont issues de deux grands corpus : le corpus InterFra (de Stockholm) et celui de Lund. 13 Les verbes non thématiques réfèrent aux modaux, aux auxiliaires, à avoir et à être. Les verbes thématiques désignent le reste.
16
Elles le mettent en relation avec la fréquence de la forme dans l’input. Les combinaisons du
premier stade sont très fréquentes (cf. token frequency) et s’acquièrent par conséquent
précocement (Schlyter & Bartning 2005 : 62). Le suffixe –ons est également très fréquent et
régulier et l’accord se maîtrise également tôt. Le pluriel de la troisième personne « semble être
relativement rare dans l’input, comparé aux mêmes verbes au singulier. On prédit donc une
acquisition assez tardive. » (Schlyter & Bartning 2005 : 63). Finalement, le pluriel des verbes
thématiques est rarement marqué à l’oral et se développera ainsi plus tardivement.
En ce qui concerne l’écrit, Ågren (2005) tente de vérifier si les stades parcourus par les
apprenants FL2 suédophones à l’écrit sont les mêmes que ceux discernés par Bartning &
Schlyter (2004) pour l’oral. Ågren se focalise sur l’expression du nombre et compare son
développement à l’écrit et à l’oral. Elle conclut que
les résultats montrent un développement net entre les apprenants à un stade initial et
ceux à un stade avancé, à l’instar de ce qui a été observé dans les études sur le français
L2 à l’oral. Nous constatons donc que, chez les apprenants L2 qui apprennent le
français dans une salle de classe en Suède, le développement de la morphosyntaxe
orale, tel qu’il a été observé par Bartning et Schlyter, s’accompagne d’un
développement morphologique aussi clair à l’écrit, du moins en ce qui concerne la
morphologie du nombre. […] Un autre résultat important de cette étude, par rapport
au français L2 parlé, est l’observation que la production écrite des apprenants montre
une émergence relativement précoce de l’accord verbal morphologique. (Ågren 2005 :
139-140)
Michot & Pierrard (2014) ont tenté d’affiner le modèle d’acquisition proposé par Bartning &
Schlyter (2004) en ce qui concerne l’acquisition de la finitude verbale. Ils se sont basés sur un
corpus oral composé par des apprenants néerlandophones. Ils incluent la variation au sein du
thème14 comme critère distinctif à côté de la distinction entre verbes lexicaux et non lexicaux
(ou bien les verbes thématiques et non thématiques). À partir des résultats, ils proposent
l’itinéraire suivant :
- Stade intermédiaire : la finitude verbale des verbes sans tronc (être, avoir, aller) est
plus avancée que les autres verbes. Celle des verbes à plusieurs thèmes, en revanche,
rencontre beaucoup plus de difficultés.
- Stade avancé bas : « L’adéquation élevée de l’emploi général des formes finies (90%
de formes correctes) cache une hétérogénéité toujours persistante parmi les classes
14 Ils suivent la classification de Pouradier Duteil, voir partie Méthodologie. Les verbes à un thème n’ont qu’un radical, alors que ceux à plusieurs thèmes ont différents radicaux selon la personne.
17
verbales, en particulier pour ce qui concerne les verbes à plusieurs thèmes sans
variation vocalique. » (Michot & Pierrard 2014 : 137)
- Stade avancé moyen : les formes finies sont rares, mais une hétérogénéité entre les
classes verbales persiste encore, notamment dans la classe des verbes à deux thèmes
sans variation vocalique.
Michot (2014, 2015) a approfondi le fonctionnement de l’accord sujet-verbe chez des
apprenants néerlandophones. Elle propose un modèle affiné de celui de Bartning & Schlyter
(2004) :
- Stade intermédiaire : la 3ps est globalement adéquat au sujet. Concernant la 3pp,
l’adéquation des verbes sans tronc (les verbes irréguliers) est fréquente (60-70%).
Quelques verbes à plusieurs thèmes sans variation vocalique sont accordés.
- Stade avancé bas : l’adéquation de la 3ps stagne, surtout avec les verbes à plusieurs
thèmes sans variation vocalique. Au pluriel, la surgénéralisation de la forme de la 3ps
devient rare avec les verbes irréguliers. L’accord des verbes à plusieurs thèmes sans et
avec variation vocalique se maîtrise (±80%).
- Stade avancé moyen : l’accord à la 3ps ne pose plus de problèmes. L’accord erroné à
la 3ps dans toutes les classes est exceptionnel.
1.4.2 Morphologie silencieuse – accord sujet-verbe – finitude verbale
1.4.2.1 Écrit
Dans l’esprit de la morphologie silencieuse et de son acquisition à l’écrit, Ågren (2008) tourne
son regard vers « l’acquisition de la morphologie écrite en français L2. En mettant l’accord en
nombre du français écrit au centre, [s]on étude propose une analyse d’une catégorie
grammaticale qui, étant essentiellement silencieuse à l’oral, est spécifique à la langue écrite. »
(Ågren 2008 : 19). Elle décrit plus précisément le développement morphologique15 observé
dans la production écrite des apprenants FL2 suédophones. En ce qui concerne le
développement de la morphologie verbale, son étude traite des formes de la 3ps et de la 3pp :
« [l]’accord verbal en nombre montre un effet significatif de taux d’accord correct entre tous
les stades » (Ågren 2008 : 273). Pourtant, parallèlement au constat de Bartning & Schlyter
(2004), « l’accord verbal connaît un développement étendu dans le temps chez les apprenants
de français » (Ågren 2008 : 275).
15 Elle décrit le développement morphologique en s’appuyant sur les itinéraires acquisitionnels proposés par Bartning & Schlyter (2004).
18
De plus, elle note que
[l]’analyse de la production de l’accord verbal a rendu compte de trois groupes de
verbes: les verbes réguliers (ils parlent) ; les verbes avec une alternance du radical +
le morphème -nt (ils savent, ils veulent…) et les verbes irréguliers (formes supplétives
: ils sont/ont/vont/font). (Ågren 2008 : 276)
Le premier type semble se produire de manière légèrement plus correcte que les deux autres
types. En outre, les verbes avec une alternance de radical16 s’accordent en premier lieu de
manière morphologique17, sans que le radical change.
Granget a mené plusieurs études pareilles chez des apprenants FL2 germanophones. Dans son
article Développement de l’accord verbal avec un sujet pluriel dans les récits écrits d’apprenants
germanophones scolarisés du français (2005), elle suppose que les propriétés du sujet et du
verbe lexical18 influencent le développement du marquage de l’accord. De plus, elle relie le
développement du marquage de l’accord verbal à l’enseignement en milieu scolaire
germanique, qui se caractérise par un volume d’input oral réduit et par la priorité accordée à
l’accord graphique. Tout d’abord, elle constate que le taux d’accord est très élevé19 (95% des
verbes fléchis sont accordés avec le sujet), contrairement aux résultats de Bartning & Schlyter
à l’oral (2004) et d’Ågren à l’écrit (2008). En ce qui concerne la première hypothèse, les verbes
s’accordent en moyenne moins avec un syntagme nominal qu’avec un pronom clitique. De plus,
« il est vrai que l’on rencontre parmi les verbes non accordés de nombreux verbes irréguliers
[…] ou rares, voire absents, dans l’input de la classe de langue […] » (Granget 2005 : 118).
Cependant, quelques verbes réguliers ou fréquents dans l’input sont dépourvus de marquage
suffixal. Ainsi, la présupposition selon laquelle les propriétés du verbe influencent l’accord
verbal, n’est pas tout à fait satisfaisante. Finalement, elle a montré que l’enseignement
influence l’usage abondant des marques de l’accord : la conjugaison verbale est enseignée
précocement et intensivement. De plus, le fait que la notion de l’accord est présente dans la
langue allemande rend l’accord sujet-verbe en français accessible et apprenable.
16 Elle appelle l’alternance de radical l’accord lexical. 17 L’accord avec le sujet – c.-à-d. l’ajout au radical du suffixe qui correspond au sujet – est appelé l’accord morphologique. 18 Par les propriétés du sujet, Granget réfère au type de sujet : pronom clitique, syntagme nominal ou sujet élidé. Les propriétés du verbe lexical concernent la régularité et la fréquence dans l’input. 19 L’accord concerne l’accord morphologique (l’ajout d’un suffixe) et non l’accord lexical (le changement du radical). Granget constate que « les apprenants germanophones […] réalisent plus rarement l’accord de façon lexicale, par variation du radical du verbe, dans le cas des verbes pleins irréguliers, comme en témoignent les occurrences de les deux prendent la fuite. » (Granget 2005 : 122).
19
1.4.2.2 Oral
Le travail de Michot est comparable à celui de Granget. Michot a étudié dans plusieurs de ses
publications la maîtrise de la morphologie verbale à l’oral chez les apprenants FL2
néerlandophones. Dans sa thèse de doctorat L’acquisition de la morphologie verbale en français
langue seconde (2015), Michot se focalise également sur la non-transparence de la morphologie
verbale et sur son acquisition :
Plusieurs formes des verbes les plus fréquents se prononcent ainsi de la même
manière, alors qu’elles connaissent plusieurs graphies (p. ex. /paʀl/ pour parle, parles,
parlent ou /paʀle/ pour parler, parlez ou parlé(es)). Ce caractère opaque de certaines
formes verbales est susceptible d’influer le développement de la morphologie verbale
chez les apprenants L2, ce que nous avons, entre autres, examiné par le biais des trois
volets de la morphologie verbale : la finitude verbale, l’accord sujet-verbe et la
morphologie TAM (temps, aspect, mode). (Michot 2015 : ii)
Elle examine l’accord de la 3ps et de la 3pp, et plus spécifiquement des formes discriminantes20.
En ce qui concerne l’itinéraire de développement de la finitude verbale, nous référons à l’article
déjà mentionné ci-dessus (Michot & Pierrard 2014). Pour celui de l’accord sujet-verbe, voir
également supra (Michot 2014)21. Dans sa thèse de doctorat elle constate par ailleurs que les
verbes à thème unique, qui sont très fréquents dans l’input, servent souvent comme modèle de
conjugaison pour les autres classes verbales. La 3ps se surgénéralise également dans tous les
corpus. En outre, le développement de l’accord sujet-verbe d’un verbe donné est déterminé par
sa fréquence dans l’input. Parallèlement à Granget (2005), elle remarque encore que le type de
sujet influence l’accord : « le pronom sujet pluriel est toujours suivi par une forme verbale
plurielle, alors que le marquage du pluriel est le plus difficile quand la forme discriminante suit
des sujets coordonnés. » (Michot 2015 : 222).
Howard (2006) étudie la morphologie verbale orale chez des apprenants anglophones avancés.
Il conclut que
20 Les formes discriminantes prennent une autre forme à l’oral que la forme de la 3ps (voir « oral cue », Fayol & Largy 2001). Les formes comme il parle et ils parlent, par exemple, ne sont pas prises en considération dans son étude. 21 Housen, Kemps & Pierrard ont en 2008, avant Michot, également examiné dans des productions orales des apprenants néerlandophones le développement de la finitude verbale et de l’accord sujet-verbe. Les constats sont comparables à ceux de Michot et de Granget, concernant l’enseignabilité de la morphologie verbale.
20
we have seen that while the expression of person in both singular and plural contexts
is more generally an area of difficulty at an earlier stage of acquisition, third person
plural contexts are a more stubborn area of under-development, continuing late into
the L2 acquisition of French. (Howard 2006 : 17).
Finalement, nous mentionnons ici l’étude de Stabarin & Gerolimich (2014). Elles ont tenté de
cerner l’influence de la langue maternelle – l’italien – sur l’acquisition de la morphologie
verbale en FL2. Premièrement, leur corpus contient plusieurs formes erronées caractéristiques
de l’interlangue des apprenants, en particulier la surgénéralisation du modèle de la
conjugaison régulière. En outre, Stabarin & Gerolimich observent des transferts positifs et
négatifs de la langue maternelle, surtout au niveau des bases verbales. Ainsi, les apprenants
italophones produisent des formes longues (les radicaux des formes plurielles) au singulier,
sous l’influence de leur langue maternelle : l’italien dormo (je dors) entraîne de nombreuses
productions en français telles que dorme, dorm, dormi, dormis, etc. (Stabarin & Gerolimich
2014 : 100-101). Les formes italiennes de la 2pp (voi) fate et (voi) dite, en revanche, exercent
une influence facilitatrice sur les productions françaises vous faites et vous dites.
1.4.3 Connaissances explicites et implicites
1.4.3.1 Écrit
Hedbor (2005) étudie l’acquisition des connaissances implicites et explicites22 chez cinq
apprenants suédois, en ce qui concerne l’accord sujet-verbe à la 3pp à l’écrit. Selon cet auteur,
le marquage de la 3pp suit une règle facile : il faut simplement ajouter –ent ou –nt au radical
(Hedbor 2005 : 154). En s’inspirant de Krashen (1981, 1985, 1994) et de Pica (1985), elle
affirme que « seules les règles faciles à gérer consciemment peuvent être apprises d’une
manière explicite et ensuite être appliquées explicitement dans la production libre de la
langue » (Hedbor 2005 : 158). La règle de l’accord de la 3pp est de ce type et elle constate que,
en effet, « la production explicite semble garantir une réussite dans l’accord au pluriel. […] Une
production plus contrôlée, semble favoriser le marquage du pluriel. » (Hedbor 2005 : 161). Elle
ajoute encore que les suffixes du singulier des verbes irréguliers sont employés fautivement
pendant longtemps par les apprenants, alors que ceux de la 3pp (-ent) sont dans la plupart du
temps corrects.
22 « Pour pouvoir parler, mais aussi écrire, il faut des connaissances implicites. Ces connaissances permettent un traitement automatique de la langue et facilitent une concentration sur ce que l’on dit, plutôt que sur la façon dont on doit le dire. Toutefois, l’enseignement d’une LE guidée privilégie largement les connaissances explicites. » (Hedbor 2005 : 151).
21
1.4.3.2 Oral Une étude qui se rapproche de la précédente, est celle de Schlyter (2005). Elle se demande si
les formes verbales au pluriel à l’oral sont plus marquées chez les apprenants suédophones
guidés (connaissances explicites) que non guidés23 (connaissances implicites). Elle constate
que « les apprenants guidés et non guidés développent un marquage verbal de l’accord au
pluriel très semblable et suivent, qualitativement, le même itinéraire. » (Schlyter 2005 : 129).
1.4.4 Comparaison de l’acquisition à l’oral et à l’écrit
Granfeldt (2005) a analysé le marquage de la finitude verbale chez des apprenants
suédophones à l’écrit. En comparaison avec les données orales de Bartning & Schlyter (2004),
il a constaté que les formes non finies sont plus fréquentes à l’oral qu’à l’écrit dans les mêmes
stades d’acquisition. Dans une étude ultérieure, il compare des productions écrites et orales
d’apprenants adultes FL2 suédophones afin de distinguer des différences concernant la
fluidité, la complexité et l’exactitude (« Number of errors per T-unit », Granfeldt 2007 : 91).
Contrairement à ses attentes, Granfeldt a constaté que ses apprenants ont commis plus
d’erreurs à l’écrit qu’à l’oral, ce qui serait entre autres dû à l’orthographe.
23 Les apprenants non guidés ont appris le français pendant un séjour à Paris. Ils recourent par conséquent à leurs connaissances implicites, qui leur permettent de parler et d’écrire de manière plus automatique (voir Hedbor 2005).
22
2 Méthodologie
2.1 Groupes cibles
La présente étude examine l’évolution de l’acquisition de la conjugaison verbale au présent à
l’oral et à l’écrit, ainsi que les différences d’acquisition entre les deux registres. Nous nous
basons sur deux corpus (oral et écrit) réalisés par trois groupes d’étudiants néerlandophones,
qui suivent des cours de français langue étrangère (FLE) dans l’enseignement secondaire
flamand à De Bron, Tielt (en Flandre-Occidentale). Le corpus écrit a été composé par
- 19 élèves (±12-13 ans) de la première année, filière moderne (1 MOD b), ayant 6 heures
de français par semaine.
- 20 élèves (±13-14 ans) de la deuxième année, filière sciences modernes (2 MOD e) et
provenant de la filière moderne24, ayant 4 heures de français par semaine.
- 16 élèves (±14-15 ans) de la troisième année, filière économie (3 ECO5) ayant suivis de
manière consécutive les filières moderne et sciences modernes, et ayant 4 heures de
français par semaine.
Le corpus oral contient des productions d’une sélection d’élèves25 qui ont également passé les
tests écrits:
- 6 élèves de 1 MOD b
- 10 élèves de 2 MOD e
- 6 élèves de 3 ECO5
Tous les participants à l’enquête vivent dans un milieu majoritairement monolingue et ont
commencé l’apprentissage du FL2 en 5ième année de l’école primaire26. Les apprenants ont
passé les tests pendant le premier semestre de l’année scolaire (mi-novembre).
L’intérêt de nos deux corpus est qu’ils ont été produits par des élèves qui jouissent d’un même
contexte éducatif27, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des études précédentes, pour
lesquelles les corpus oraux et écrits ont été récoltés auprès d’apprenants différents (voir Ågren
2005, 2008, Granfeldt 2005, Ågren & Van de Weijer 2012). La présente étude combine l’analyse
du système de la conjugaison verbale tant à l’écrit qu’à l’oral chez les mêmes élèves. En outre,
24 Les étudiants provenant de la filière Latin ont été exclus de l’étude, puisqu’ils n’avaient suivi que 4 heures de français pendant la première année de leurs études secondaires, ce qui diffère des 6 heures des autres étudiants. 25 Le nombre des étudiants par groupe varie en fonction de leur disponibilité. Pour l’oral, il était impossible d’enregistrer tous les élèves qui avaient passé le test écrit. 26 Le ministère de l’enseignement flamand a fixé des objectifs pédagogiques que chaque école de l’enseignement primaire et secondaire doit atteindre. Ainsi, les cours de français sont obligatoires dans les écoles flamandes et à la fin du primaire, les élèves doivent avoir bénéficié de ±220 heures de cours de français. 27 Voir la note précédente.
23
elle prend en considération toutes les personnes de la conjugaison au lieu de se limiter à la 3ps
et à la 3pp (voir Ågren 2005, 2008, Granget 2005, Hedbor 2005, Largy & Fayol 2001, Michot
2014, 2015).
2.2 Données recueillies
Afin d’obtenir les données nécessaires, quatre tests ont été développés. Nous avons rédigé deux
tâches orales semi-spontanées : la première tâche guidée consiste à répondre à quelques
questions comme « Quand est-ce que vous partez à l’école chaque matin ? » ou « Vous avez soif.
Qu’est-ce que vous faites ? » (voir annexes). La deuxième tâche – non guidée – a pour but de
raconter une histoire, à partir d’images tirées de la bande dessinée L’Île Noire de Tintin28 (pp.
1-3) et à l’aide d’une liste de vocabulaire, car la connaissance du lexique français ne pourrait
pas être suffisante à ce stade de l’acquisition, c.-à-d. aux trois premières années de l’école
secondaire. Sur cette liste figurent entre autres des infinitifs de verbes à conjuguer que les
apprenants ne connaissent sans doute pas. Il est par conséquent intéressant de vérifier
comment ils gèrent la conjugaison de tels verbes. La tâche intégrale se trouve en annexe.
Outre les deux tests oraux, nous avons élaboré deux tests écrits. Le premier est un exercice
à trous, où l’apprenant doit compléter une phrase par la forme verbale correcte du verbe
donné. Pour la deuxième tâche, les apprenants doivent de nouveau rédiger une histoire
d’environ une demi-page, basée sur des images d’une autre bande dessinée de Tintin29, Les
bijoux de la Castafiore (pp. 1-3). Nous avons à nouveau proposé une liste de vocabulaire
supplémentaire. Nous avons veillé à ce que les verbes figurant sur cette liste soient de même
type et de même difficulté que ceux du test oral. Les tests complets se trouvent également en
annexe.
Les apprenants ont passé les tests oraux individuellement dans une salle à l’école secondaire
De Bron, à Tielt, pendant les pauses. Les questions posées lors de l’interview n’étaient pas
visibles pour les étudiants et, le cas échéant, elles ont parfois été traduites en néerlandais. Pour
l’histoire, les apprenants disposaient des images et du vocabulaire, ainsi que d’un petit résumé
en néerlandais, afin de faciliter la compréhension et la narration. Les productions orales des
apprenants ont été enregistrées avec l’approbation des parents et de l’école, et par la suite elles
ont été transcrites de manière phonétique et orthographique.
Les tests écrits se sont déroulés lors de l’heure normale d’un cours de français, pendant
30 à 40 minutes, en présence de l’enseignant de français et de l’enquêteur. La liste de
28 Hergé. (1966). Les aventures de Tintin. L’Île Noire. Tournai : Casterman, pp. 1-3. 29 Hergé. (1963). Les aventures de Tintin. Les bijoux de la Castafiore. Tournai : Casterman, pp. 1-3.
24
vocabulaire qui était mise à la disposition des élèves a été complétée par d’autres mots d’après
leurs questions. La forme verbale donnée était toujours celle de l’infinitif.
2.3 Classification des données et critères d’analyse
Lors de l’analyse, nous avons classifié les données et retenu quelques critères que nous
commenterons dans ce qui suit. Premièrement, nous clarifierons la classification des
différentes catégories verbales. Ensuite, nous préciserons nos critères d’analyse.
2.3.1 Classification verbale traditionnelle
La classification verbale traditionnelle est généralement la plus connue et apparaît dans
plusieurs manuels de la langue française. Elle ne part pas de l’oral mais de la flexion verbale
écrite. Outre être, avoir, aller et faire, elle distingue entre 1) les verbes en –ER (type parler), 2)
les verbes en –IR (type finir), et 3) les autres verbes en –IR (type partir et courir), les verbes en
–RE (type boire et prendre) et les verbes en –OIR (type savoir, apercevoir et vouloir). Comme
elle ne tient pas compte de la variation du thème, elle est moins intéressante pour cette étude
mais elle peut nous donner des informations complémentaires sur l’acquisition de la
conjugaison verbale des apprenants30. Dans cette étude nous optons pour les classifications
commentées ci-dessous (2.3.2 et 2.3.3).
2.3.2 Classification des verbes à l’oral
En ce qui concerne le corpus oral, nous nous inspirons de la classification des verbes de
Pouradier Duteil dans son ouvrage Le verbe français en conjugaison orale (1997), qui a été
reprise dans d’autres études (Michot 2014, 2015, Michot & Pierrard 2014, Stabarin &
Gerolimich 2014). Sa catégorisation tient compte non seulement des terminaisons mais
également du tronc et du thème des verbes.
Pouradier Duteil note que le radical d’un verbe au présent peut avoir deux formes, une
courte et une longue (Pouradier Duteil 1997 : 37), qu’elle appelle d’après Csécsy (1968 : 38)
thème court et thème long. Nous illustrerons ceci à l’aide du verbe mettre : le thème court est
/mɛ/, le thème long est /mɛt/. Les terminaisons se rattachent au thème du verbe, comme /mɛt-
õ/ et /mɛt-e/ à la 1pp et à la 2pp, qui sont les seules personnes « "marquées" par une
terminaison » (Pouradier Duteil 1997 : 40). Le tronc est l’élément que toutes les formes d’un
verbe ont en commun : dans le cas de mettre, c’est /m/.
30 Les enseignants de français à l’école secondaire De Bron se servent de ce modèle pour instruire les élèves. Ainsi, nous le garderons en esprit lors de cette recherche.
25
À partir de ces éléments, nous proposons la classification suivante, qui ne s’applique qu’à la
conjugaison au présent :
1. Les verbes à thème unique :
Ce sont les verbes qui n’ont qu’un thème auquel se rattachent les terminaisons, comme les
verbes courir /kuʀ-/, écouter /ekut-/ et voir /vwa, vwa-j/, ce dernier étant un verbe à thème
unique vocalique31 et les premiers des verbes à thème unique consonantique.
Cette classe comprend également les verbes à variation vocalique /ɛ/ vs /ə/ et /ɛ/ vs /e/,
comme les verbes appeler, céder et acheter.
2. Les verbes à deux thèmes sans variation vocalique :
Cette classe comporte les verbes qui ont deux thèmes, la voyelle des deux thèmes (court et
long) étant la même. C’est le cas avec des verbes comme finir (/fini/, /finis/), entendre (/ɑ̃tɑ̃/,
/ɑ̃tɑ̃d/), dormir (/dɔʀ/, /dɔʀm/), sortir (/sɔʀ/, /sɔʀt/) et écrire (/ekʀi/, /ekʀiv/).
3. Les verbes à deux thèmes avec variation vocalique :
Le thème court et le thème long des verbes de ce groupe se distinguent par la voyelle,
contrairement à la classe précédente. Devoir (/dwa/, /dəv/, /dwav/), boire (/bwa/, /byv/,
/bwav/), tenir (/tjɛ̃/, /tən/, /tjɛn/), prendre (/pʀɑ̃/, /pʀən/, /pʀɛn/), etc. font partie de ce
groupe.
4. Les verbes irréguliers
Cette classe comprend les verbes irréguliers : « [s]ont considérés comme irréguliers les verbes
qui présentent une anomalie morphologique au groupe du présent » (Pouradier Duteil 1997 :
79). Nous parlons, uniquement pour le présent, des verbes être, avoir, aller et faire.
Cette classification nous permet de classer les verbes de notre corpus de façon claire et
univoque, et de tenir compte non seulement des terminaisons mais également de la variation
des thèmes.
31 « Les terminaisons, au groupe morphologique du présent, étant vocaliques (/ɔ̃/, /e/, /ɛ/) ou semi-vocaliques (/j/) il y a un heurt de voyelles à la jonction entre le radical et la terminaison » (Pouradier Duteil 1997 : 74). Soit on observe le hiatus des voyelles (/vu kɔ̃klye/, vous concluez), soit on observe un glide (/vu denwe/, vous dénouez) ou un /j/ intercalaire (/vu plije/, vous pliez ; /nu vwajɔ̃/, nous voyons).
26
2.3.3 Classification des verbes à l’écrit
En ce qui concerne le corpus écrit, nous manions une classification différente, puisqu’il s’agit
d’un registre différent qui dispose d’autres règles et d’autres spécificités. Prenons l’exemple du
verbe entendre : ce verbe a deux thèmes à l’oral, /ɑ̃tɑ̃/ et /ɑ̃tɑ̃d/, alors qu’à l’écrit il n’a qu’un :
entend- (voir infra). Pour le corpus écrit, nous prenons en compte le nombre de thèmes en
partant de la classification des verbes de Dubois (1967), à l’instar d’Ågren (2005, 2008). Bien
qu’il s’agisse d’une classification des verbes à l’oral, nous l’estimons très adéquate pour l’écrit
et plus utile que la classification traditionnelle. Elle nous permet de regrouper les verbes de
façon claire, selon les différentes bases (que Pouradier Duteil appelle « thèmes ») et les
terminaisons à l’écrit. De plus, elle se rapproche de la classification de Pouradier Duteil, ce qui
facilite la comparaison entre les deux corpus.
Ainsi, nous proposons la classification suivante pour les verbes au présent :
1. Les verbes à une base :
Ce sont les verbes qui sont construits sur un seul radical, comme les verbes chanter (chant-),
entendre (entend-), entrer (entr-), etc.
2. Les verbes à deux bases :
Ce groupe de verbes a deux bases différentes auxquelles se rattachent les terminaisons (à
comparer avec les thèmes court et long de Pouradier Duteil) : finir (fini-, finiss-), conduire
(condui-, conduis-), partir (par-, part-), écrire (écri-, écriv-), acheter (achet-, achèt-), voir (voi-,
voy-), etc.
3. Les verbes à trois bases :
Les verbes à trois bases sont comparables avec les verbes à deux thèmes avec variation
vocalique. Les verbes comme venir (vien-, ven-, vienn-), vouloir (veu-, voul-, veul-), boire (boi-,
buv-, boiv-), prendre (prend-, pren-, prenn-) et devoir (doi-, dev-, doiv-) en sont quelques
exemples.
4. Les verbes à 4 bases ou plus :
Être, avoir, aller et faire font partie de cette classe, ayant 4 bases ou plus au présent. Dans cette
étude, nous appelons ces verbes les verbes irréguliers.
Au fil de l’analyse, nous opterons pour la dénomination de base, afin de faciliter la lecture. Le
terme thème sera encore employé, par exemple dans les tableaux qui traitent des données de
l’oral. Les deux termes sont interchangeables.
27
2.3.4 Critères d’analyse
2.3.4.1 Formes retenues
Dans nos corpus, nous incluons - à côté des verbes pleins - également les auxiliaires être, avoir
et aller, contrairement à Bartning & Schlyter (2004), car ces formes sont identiques aux formes
du verbe plein :
o Le petit garçon va dans la forêt (Michot & Pierrard 2015 : 129)
o Le petit garçon va chercher dans la forêt (Michot & Pierrard 2015 : 129)
o Le petit garçon est heureux
o Le petit garçon est tombé
De plus, les séquences telles que « *il est creuser un puits » s’interprètent comme des
structures progressives, « il est en train de creuser un puits », et ont été retenues. Dans ce cas-
ci, l’étudiant aurait voulu dire, selon nous : « il est en train de creuser un puits » plutôt que « il
a creusé un puits ». Il est probable que l’étudiant ne connaît pas encore la structure progressive,
mais qu’il a quand même essayé de la construire. En se basant sur sa langue maternelle, « hij is
een put aan het graven », la structure française « il est creuser un puits », ne s’en écarte pas
beaucoup, seule la traduction française de « aan het » fait défaut. En outre, l’image
correspondante de la bande dessinée nous montre, dans tous les cas où nous rencontrons une
telle structure, une action qui est en train de se dérouler. Les verbes des séquences telles que
« *il est creuser un puits » ont par conséquent été intégrés à notre corpus : nous considérons
les formes verbales employées comme étant correctes. Par contre, les formes verbales des
séquences qui ne correspondent pas à une image où se déroule une action, comme « *elle est
retourner à son camp », sont fautives et n’ont pas été traitées dans notre corpus, puisqu’elles
s’interprètent comme des participes passés.
2.3.4.2 Formes rejetées
La formation du participe passé ne fait pas partie de notre étude, comme nous venons de
mentionner, puisque nous n’examinons que la conjugaison verbale au présent et au futur
proche.
De plus, les formes verbales non attestées en français n’ont pas été incluses à notre corpus,
même s’il s’agit de formes inventées qui suivent les règles de la conjugaison verbale française :
[l]es formes inabouties sont également une expression du processus de
morphologisation chez les apprenants, mais leur interprétation est délicate étant
28
donné qu’il s’agit de formes verbales dont le radical ne correspond pas à un radical
français. (Michot 2015 : 113)
Nous référons ici à des constructions comme /ʒə *kɔm paʀfwa a velo/, basée sur l’équivalent
néerlandais « komen », ou comme /dɑ̃ lavjɔ̃ il *ase dø ɡaʀsɔ̃/.
En outre, ni les formes verbales dans une structure néerlandaise comme « *Waarom ben
je craindre, avoir peur » ni les verbes néerlandais « *Le madame schrikt » n’ont pas été prises
en compte dans notre corpus.
2.3.4.3 Clarification de quelques critères d’analyse
La partie suivante clarifie quelques critères que nous avons retenus au fil de l’analyse de nos
données. Nous n’avons pas rejeté les formes auxquelles nous référons dans cette partie-ci.
2.3.4.3.1 Audibilité Concernant l’audibilité des formes verbales, nous nous sommes concentrée sur les bases et les
suffixes. Si une forme se distingue d’une autre par la base, comme il écrit et ils écrivent, la
deuxième obtient le trait d’audibilité, même si l’on n’entend pas le suffixe -nt. Lorsqu’il y a un
chevauchement avec une autre forme, comme je fais et il fait (/fɛ/), l’audibilité est négative.
L’apprenant n’entend pas s’il doit écrire un –t ou un –s. Nous retrouvons cette audibilité
négative pour écris/écrit (/ekʀi/), as/a (/a/), vois/voit/voient (/vwa/), es/est (/ɛ/), et
parlez/parler/parlé (/paʀle/): le /e/ est un suffixe non discriminant. De plus, le critère
d’audibilité s’applique toujours à la forme verbale correcte sous-jacente et non à celle produite
par l’élève. Si un élève écrit par exemple *il parte (/il paʀt/) pour il part (/il paʀ/), l’audibilité
restera négative même si la graphie pourrait indiquer que l’on entendrait un /t/ dans la
production de l’apprenant.
2.3.4.3.2 Les radicaux En outre, comme nous l’avons déjà mentionné supra (2.3.3) en ce qui concerne les radicaux,
nous nous servons de deux règles distinctes pour l’écrit et pour l’oral. Nous l’illustrerons à
l’aide du verbe partir : le radical du verbe dans la séquence *les bus part ou */le bys paʀ/ sera
correct à l’écrit et fautif à l’oral. À l’écrit, le -t- est présent dans le radical de la forme verbale,
tant pour la 3ps – la forme produite – que pour celle du pluriel. À l’oral, en revanche, il n’est
présent que dans la forme de la 3pp. Puisque la forme produite est celle de la 3ps, avec un -t-
silencieux dans le radical, son radical sera considéré comme fautif pour la 3pp.
29
2.3.4.3.3 L’orthographe
Pour ce qui est de l’orthographe, l’absence d’un signe diacritique dans les formes verbales qui
en exigent un, comme commençons ou achètent, sera considérée comme fautive. L’ajout d’un
accent grave et d’une cédille proviennent les deux d’une règle à l’écrit : « [l]es verbes qui ont
un e muet à l’avant-dernière syllabe de l’infinitif changent cet e en è (avec accent grave) devant
une syllabe contenant un e muet » (Grevisse & Goosse : 260) et « [l]es verbes en –cer prennent
une cédille sous le c devant a et o, afin de conserver au c la même prononciation [s] qu’à
l’infinitif » (Grevisse & Goosse 1995 : 260).
Il en est de même pour l’absence d’une lettre ou d’une adaptation d’une lettre dans la base
d’une forme verbale : nous la considérons également comme fautive. C’est le cas avec des
formes verbales telles que nous mangeons – « [l]es verbes en –ger prennent un e après le g
devant a et o » (Grevisse & Goosse 1995 : 260) – ou ils s’ennuient : « [l]es verbes en –yer [je]
changent y en i quand disparaît le [j]. C’est le cas des verbes en –oyer et en –uyer, qui changent
y en i devant un e muet » (Grevisse & Goosse 1995 : 261).
Il faut encore noter que, pour l’écrit, nous avons classifié le verbe commencer dans le
groupe des verbes à une base et les verbes comme acheter dans celui des verbes à deux bases.
L’ajout de l’accent grave du dernier verbe est plus déterminant que l’ajout de la cédille, parce
qu’il entraîne une variation vocalique de /ɛ/ vs /ə/ à l’oral. La cédille est là pour maintenir la
prononciation du /s/.
2.3.4.3.4 La morphologie
En ce qui concerne les critères morphologiques : dans le corpus écrit, le critère « conjugué
selon le premier modèle (radical + -e -es -e -ons -ez -ent) » concerne les formes verbales qui se
sont construites de manières suivantes : « radical + -e, -es, -e, -ons, -ez, -ent », ou « infinitif +
suffixe correspondant », comme respectivement « *il mette » ou « *je devoire », par analogie
avec les verbes réguliers en –ER de la classification traditionnelle. Nous avons maintenu de
telles formes dans nos corpus, puisqu’elles sont inhérentes à la maîtrise de la conjugaison
verbale.
Pour le corpus oral, ce critère concerne également les formes verbales qui s’alignent sur
la première conjugaison, comme /je *paʀtə/, ou même /il *paʀti e *sɔʀti lɔpital/, par analogie
avec /il paʀlə/. En conséquence, il ne s’agit pas, selon nous, de participes passés dans le
deuxième exemple. Nous estimons que l’étudiant a appliqué la règle suivante : « radical – -r =
30
3ps du présent » par analogie avec « parler – r = 3ps » 32, plutôt que d’avoir choisi la forme du
participe passé, avec laquelle les étudiants ne sont pas encore si familiarisés et qu’ils n’ont pas
encore appris activement.
2.3.4.3.5 Autre
Finalement nous avons encore retenu les critères suivants :
Les séquences obtenues pendant les tests oraux où les étudiants ont été trop aidés, ne font
pas partie du corpus.
Concernant les erreurs de prononciation33 qui ne touchent pas les suffixes ni la forme
verbale intégrale34 comme /lavjɔ̃ dɛskɑ̃ ɛ̃ pø/, /e lə pɛʀsɔ̃ akys tɛ̃tɛ̃/, /lə kɔ̃dyktœʀ sɛsi tɛ̃tɛ̃/
ou /ʀeɡaʀde la tele/ sont considérées comme correctes.
Dans des contextes ambigus à l’oral où il n’y a pas de distinction entre la forme du singulier
et celle du pluriel (morphologie silencieuse), soit les deux options sont examinées, soit nous
avons choisi une forme, si le contexte le rend clair. Par exemple, le sujet de la séquence /e il
mɔ̃tʀə kœyfjə/ (« et il montre Kuifje ») est à la 3ps, parce que sur l’image correspondante, il
figure un homme qui indique Tintin.
Bien que les corpus aient été analysés minutieusement et de manière approfondie, il est
possible qu’il y ait encore quelques fautes ou quelques irrégularités dont nous sommes
responsables. Il devrait s’agir d’un nombre négligeable.
Il faut encore mentionner que cette étude vise une analyse qualitative des données, plutôt que
quantitative. Le volet statistique est beaucoup moins poussé, étant donné l’ampleur des deux
corpus et l’ampleur de la thèse de master. Les chiffres se sont obtenus à l’aide du logiciel Excel.
2.4 Tâches guidées
En ce qui concerne les tâches guidées (les exercices à trous et les questions à l’oral), elles seront
brièvement commentées ici, également en raison d’ampleur. Les tests guidés se sont passés
d’abord pour pouvoir comparer les résultats à ceux des tâches non guidées (les narrations).
Ainsi, nous aurions une vue sur les connaissances implicites (rendues par les tâches non
guidées) et explicites (rendues par les tâches guidées) dont les apprenants disposent. Pourtant,
32 En éliminant le –r de l’infinitif parler, on obtient la forme de la 3ps : il parle. Il est probable que l’apprenant a construit une telle règle et qu’il l’applique aux autres formes verbales, qu’il ne connaît pas, comme partir : « partir moins le r = la forme de la 3ps *il parti » 33 Il s’agit de la prononciation d’un /s/ (p. ex. dans descendre) pour un /k/, par exemple. 34 C.-à-d. ce qui ne rend pas la forme verbale méconnaissable ou complètement différente.
31
nous nous limiterons à un synopsis. Tous les résultats des tâches guidées peuvent être
consultés en annexe sur le DVD, dans les documents Excel (« tâche 1 » dans le corpus oral,
« tâche 2 » dans le corpus écrit).
Nous avons constaté que les formes verbales y sont plus réussies que celles des tâches non
guidées. Le taux des formes non finies est remarquablement plus bas, tant à l’oral qu’à l’écrit.
Les corpus des exercices guidés comportent également plus de formes correctement
accordées.
La raison pour laquelle les tâches guidées sont plus accomplies, est que les apprenants y
font appel à leurs connaissances explicites (voir supra, Hedbor 2005) : ils prennent leur temps
à réfléchir. Hedbor a confirmé que plus la production est contrôlée, plus le marquage sera
réussi (Hedbor 2005 : 161). Lors des tâches non guidées, les apprenants doivent retomber sur
leurs connaissances implicites (voir supra), qui ne se sont pas encore suffisamment
développées.
2.5 Questions et hypothèses de recherche
Le but de cette étude est de comparer et d’analyser la maîtrise de la conjugaison verbale au
présent à l’oral et à l’écrit chez les mêmes élèves néerlandophones. Nos questions et
hypothèses de recherche concernent le développement de la finitude verbale ainsi que de
l’accord35 sujet-verbe, tant à l’oral qu’à l’écrit. Ces deux aspects nous permettent d’analyser et
de comparer clairement les deux registres et en outre, la finitude verbale et l’accord sujet-verbe
sont des points éminents dans l’acquisition de la conjugaison verbale française, comme de
nombreuses études l’ont déjà démontré. Nous partons des questions de recherche suivantes :
Q1 Comment se déroule l’acquisition de la finitude verbale du français et y a-t-il des
différences entre l’oral et l’écrit ?
Q2 Comment se déroule l’acquisition de l’accord sujet-verbe et y a-t-il des différences entre
l’oral et l’écrit ?
Q3 Quelles sont les différences entre les fautes propres de l’oral et de l’écrit ? Où se
trouvent les difficultés ? Sont-elles les mêmes dans les deux corpus, ou y aura-t-il des
différences ?
35 Dans notre étude, l’accord concerne tant l’accord morphologique que lexical (voir supra, Ågren 2008).
32
Q4 La variation de la base/du thème influence-t-elle l’acquisition de l’accord sujet-verbe
et y a-t-il de différences entre l’oral et l’écrit ?
Q5 Est-ce que l’audibilité de l’accord facilite la conjugaison verbale à l’écrit ?
Nous essayerons de répondre aux questions précédentes, en proposant quatre hypothèses :
H1 Il y aura une différence entre l’itinéraire acquisitionnel pour la finitude verbale
et pour l’accord sujet-verbe entre l’oral et l’écrit. À l’oral, nous nous attendons à
plus de formes non finies dans les contextes finis qu’à l’écrit. La finitude verbale sera
par conséquent intégrée plus tôt à l’écrit qu’à l’oral. À l’instar de Michot (2015, corpus
d’apprenants néerlandophones), d’Ågren (2005, 2008, corpus d’apprenants
suédophones), de Paloheimo (2014, corpus d’apprenants finnophones) et de Housen,
Kemps & Pierrard (2008, corpus d’apprenants néerlandophones), nous nous attendons
à un itinéraire acquisitionnel du FL2 des apprenants néerlandophones semblable à
celui des apprenants suédophones, proposé par Bartning & Schlyter (2004) : « [i]l est
probable que ces stades puissent être généralisés aux apprenants d’autres langues
sources semblables, comme les langues scandinaves et germaniques » (Bartning &
Schlyter 2004 : 282). Concernant l’écrit, contrairement à la prévision d’Ågren – « nous
nous attendons à ce que ce développement du stade initial au stade avancé soit aussi
net à l’écrit qu’à l’oral » (Ågren 2005 : 42) – nous estimons que la maîtrise de la finitude
verbale et de l’accord sujet-verbe sera mise en place plus rapidement à l’écrit qu’à l’oral
et que les stades ne se développent par conséquent pas simultanément à l’oral et à
l’écrit36.
H2 Il y aura un décalage entre l’acquisition des verbes avec changement du radical
d’une part, et celle des verbes irréguliers et sans changement du radical d’autre
part, tant à l’oral qu’à l’écrit. Les verbes irréguliers et sans changement du radical
seront maîtrisés plus rapidement et seront plus souvent adéquats à leur sujet que les
verbes avec changement du radical, tant à l’oral qu’à l’écrit. Parodi (2000) a montré que
les apprenants de l’allemand langue étrangère acquièrent les verbes non thématiques
(les modaux et les auxiliaires) avant les verbes thématiques. Schlyter & Bartning
(2005 : 55) confirment que, chez des apprenants adultes suédophones, les verbes
36 Ainsi, il y aura plus de fautes à l’oral qu’à l’écrit concernant la morphologie verbale. Pourtant, Granfeldt (2007) a constaté que les apprenants FL2 suédophones ont produit, en général, plus de fautes à l’écrit qu’à l’oral (Granfeldt 2007 : 96). Il a mené sa recherche chez des apprenants de l’université de Lund, alors que nous nous servons d’un corpus composé par des élèves des premières années de l’école secondaire.
33
thématiques se développent plus lentement que les verbes non thématiques. Ågren
ajoute qu’
il a déjà été constaté qu’à l’oral, les apprenants ont des difficultés avec les
verbes irréguliers modaux et thématiques comme par exemple ils
prennent, ils doivent à cause du changement de radical […]. (Ågren 2005 :
42)
Michot (2014), qui inclut la variation au sein du thème comme critère distinctif, a
démontré que, à l’oral, « l’acquisition de l’accord entre le sujet et le verbe varie en effet
en fonction du type de verbe produit » (Michot 2014 : 73). Nous vérifierons dans quelle
mesure ces conclusions correspondent aux données de notre corpus oral et si elles sont
transférables au corpus écrit.
H3 Les verbes en –ER fonctionnent comme modèle de conjugaison pour les verbes
des autres conjugaisons, tant à l’oral qu’à l’écrit. Bybee (1991) note que « new forms
could be produced by "analogy", that is, by accessing similar forms in the lexicon and
producing a new form that follows the existing pattern » (Bybee 1991 : 86). De plus,
« [w]ith First Conjugation affixes occurring on a large number of different verbs, there
is more chance to compare forms and extract a pattern » (Bybee 1991 : 88). Bartning
(1998) et Bybee (2008) indiquent que les verbes en –ER sont les verbes les plus
nombreux dans l’interlangue des apprenants FL2, et qu’ils servent le plus souvent
comme modèle pour les verbes d’autres classes.
Nous nous attendons également à une surgénéralisation de la forme de la 3ps,
parce qu’elle est non marquée, plus fréquente et plus accessible (Bybee 1991 : 71) et
qu’elle fonctionne comme forme par défaut : « the few errors that were observed can
be argued to systematically involve the use of default (3rd person singular) forms »
(Prévost 2004 : 166)37. Nous vérifierons si cette constatation vaut également pour nos
corpus écrit et oral. Nous nous attendons à une conclusion semblable de celle des autres
chercheurs.
H4 L’audibilité de l’accord facilite la conjugaison verbale à l’écrit. Lorsque la
distinction entre la 3ps et la 3pp est présente (par le changement du radical), la forme
verbale sera plus souvent accordée correctement avec son sujet. En revanche, les
formes non discriminantes à l’oral seront moins souvent accordées au sujet à l’écrit
37 Rasetti (2003 : 35) a rencontré le même phénomène chez des enfants francophones monolingues entre deux et trois ans. Ils ont tendance à surgénéraliser la forme du singulier dans les emplois pluriels (Rasetti 2003 : 35).
34
parce qu’il n’y a pas de « oral cue » (Largy & Fayol 2001, Fayol & Jaffré 2008, Jaffré &
David 1999). L’étude de Largy & Fayol (2001) a démontré que « la présence d’une
marque audible diminue la fréquence des erreurs et rend l’accord plus facile à gérer »
(Largy & Fayol 2001 : 121). La présence d’une marque audible aurait un effet facilitant
et les erreurs d’accord seraient par conséquent moins nombreuses avec les verbes
irréguliers qu’avec les verbes réguliers (Largy & Fayol 2001 : 122).
L’étude de Jaffré & David (1999) a indiqué, antérieurement à celle de Largy & Fayol,
que la morphologie silencieuse pose très souvent des problèmes, même pour les natifs.
Nous nous attendons à une tendance similaire dans notre corpus écrit. Les formes
verbales de la 3pp seront moins souvent accordées à leurs sujets lorsque la
morphologie est silencieuse.
Nous estimons également qu’à l’écrit, il y aura confusion entre les personnes de la 1ps,
la 2ps et de la 3ps, parce que ces formes verbales sont parfois également touchées par
la morphologie silencieuse (je, tu, il /paʀlə/ ; je, tu, il /vwa/). Les formes verbales de la
1pp et de la 2pp, en revanche, seront précocement et conséquemment accordées à leur
sujet, grâce à leurs suffixes audibles (-ons) et réguliers (-ons et -ez).
35
3 Analyse : la finitude verbale – l’accord sujet-verbe Bartning & Schlyter (2004) proposent dans leur article Itinéraires acquisitionnels et stades de
développement en français L2 six stades de développement du français L2. Ces itinéraires
reflètent l’acquisition du français de l’apprenant suédophone, mais les auteures estiment que
les stades pourraient se généraliser aux apprenants d’autres langues sources semblables,
comme les langues germaniques (Bartning & Schlyter 2004 : 282). Nous nous concentrerons
dans cette étude sur les différents stades de l’acquisition de la morphologie verbale.
Nous vérifierons si les données de nos deux corpus correspondent aux stades proposés et
si l’acquisition de la morphologie verbale à l’écrit et à l’oral suit le même parcours38. Nous
incluons également le développement de la finitude verbale par rapport aux catégories
verbales à l’oral et à l’écrit, à l’instar de Michot (2015) et de Michot & Pierrard (2014).
Bartning & Schlyter ont étudié « dans quelle mesure l’apprenant marque formellement, dans
un contexte fini au présent, la distinction entre les formes finies ‘courtes’ (il étudie, je vois, tu
prends, etc.) et les formes non-finies, correspondant à l’infinitif ou au participe passé de l’input
(*il étudier, *je vu, *tu prendre, etc.) » (Bartning & Schlyter 2004 : 285). Contrairement à
Bartning & Schlyter, nous n’avons pas exclu les verbes être et avoir comme auxiliaires modaux
et aller comme auxiliaire du futur de nos deux corpus (voir Méthodologie). Elles ont également
examiné le processus de l’acquisition de l’accord sujet-verbe.
Ainsi, les auteures distinguent cinq stades au niveau de la maîtrise de la conjugaison
verbale (Bartning & Schlyter 2004 : 293-296) :
1. Stade 1 – le stade initial
L’apprenant emploie des formes finies courtes (les formes de la 3ps) et des formes non
finies sans qu’il y ait opposition entre les personnes des formes verbales.
2. Stade 2 – le stade post-initial
Dans ce stade-là, l’apprenant utilise encore des formes verbales non finies dans un
contexte fini, mais le nombre de ‘formes finies courtes’ augmente (environ 65% des
formes verbales sont des formes finies courtes). L’accord sujet-verbe se réalise à la 1ps
et à la 2ps pour les verbes non thématiques être et avoir (je suis, tu es ; j’ai, tu as). En
outre, la 1pp est suivie d’une forme verbale adéquate (en 75% des cas) en alternance
avec *nous + V, sans désinence.
38 Nous nous permettons d’appliquer le modèle oral de Bartning & Schlyter (2004) à l’écrit, afin de faciliter la comparaison entre les deux registres (voir aussi Ågren 2005).
36
3. Stade 3 – le stade intermédiaire
Les formes verbales non finies dans des contextes se raréfient mais elles existent
encore. La forme de la 1pp est marquée (nous V-ons). De plus, l’opposition entre la 3ps
et la 3pp pour ont, sont, etc. commence à se développer dans la moitié des cas, mais on
rencontre encore des formes comme ils *prendre, ils *prend à côté de quelques
apparitions de ils prennent.
4. Stade 4 – le stade avancé bas
L’apprenant ne produit guère des formes verbales non finies dans des contextes finis
(10% des formes verbales) et les formes ils ont, ils sont sont beaucoup plus fréquentes
que les formes fautives *ils a/*ils est. De plus, le pluriel est souvent marqué sur les
verbes lexicaux, comme ils prennent à côté de ils *prend.
5. Stade 5 – le stade avancé moyen
L’apprenant produit les formes verbales ils ont, ont, etc. de manière correcte.
Néanmoins, on retrouve encore quelques formes comme ils *sort. La finitude verbale
est acquise presqu’à la perfection.
6. Stade 6 – le stade avancé supérieur
Ce stade se caractérise par « une morphologie flexionnelle stabilisée » (Bartning &
Schlyter 2004 : 296).
Pour une vue plus exhaustive des différents stades et des corpus analysés, voir Bartning &
Schlyter 2004 : 293-296.
3.1 La finitude verbale
Dans cette partie, nous présenterons d’abord les résultats globaux des trois années concernant
la maîtrise de la finitude verbale à l’oral et à l’écrit. Ensuite, nous prendrons également en
compte les différentes catégories verbales afin d’y distinguer peut-être des différences.
Nous présumons que l’acquisition des apprenants néerlandophones se déroule de la
même façon que pour les apprenants suédophones. Néanmoins, nous nous attendons à ce que
la finitude verbale se développe plus rapidement à l’écrit qu’à l’oral (hypothèse 1). De plus,
nous supposons qu’il existe une différence entre la maîtrise de la finitude verbale des
différentes catégories verbales.
37
3.1.1 Résultats globaux
Les tableaux ci-dessous affichent les résultats globaux de l’acquisition de la finitude verbale
pour les trois années consécutives. Ils nous indiquent le taux des formes finies et non finies
dans des contextes finis à l’écrit (3-1) et à l’oral (3-2), dans les narrations produites par les
apprenants :
Tableau 3-1 Formes finies et non finies dans des contextes finis à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# % # % # %
Formes finies 262 82,9% 507 93,5% 423 95,9%
Formes non finies 54 17,1% 35 6,5% 18 4,1%
Tableau 3-2 Formes finies et non finies dans des contextes finis à l’oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# % # % # %
Formes finies 84 40,2% 236 68,2% 213 89,9%
Formes non finies 125 59,8% 110 31,8% 24 10,1%
Nous déduisons des deux tableaux que le corpus oral compte en effet plus de formes non finies
que le corpus écrit. Surtout les participants de la première année produisent considérablement
plus de formes non finies à l’oral qu’à l’écrit. Cette conclusion confirme déjà partiellement
l’hypothèse 1 (« À l’oral, nous nous attendons à plus de formes non finies dans les contextes
finis qu’à l’écrit »).
À l’oral, les apprenants de la deuxième année ont acquis, suivant les stades de
développement de Bartning & Schlyter (2004), le niveau 2, le stade post-initial, où environ 65%
des formes verbales sont des formes finies. Les apprenants de la première année se trouvent
par contre au stade 1, le stade initial, où les formes non finies dans les contextes finis sont
encore abondamment présentes. Selon le pourcentage des formes finies dans des contextes
finis, les apprenants de la troisième année ont déjà dépassé le stade intermédiaire (3) et ont
atteint le stade avancé bas (4).
Les stades ne se manifestent cependant pas simultanément à l’écrit et à l’oral, comme nous
pouvons déduire des tableaux : la maîtrise de la finitude verbale se développe plus rapidement
à l’écrit. Les trois groupes d’apprenants atteignent à l’écrit respectivement les stades avancé
bas 4 (contre le stade initial (1) à l’oral) et avancé moyen 5 (contre le stade post-initial (2) et
avancé bas (4) à l’oral). La réalisation de la finitude verbale à l’oral reste donc à la traîne, sauf
chez les apprenants de la troisième année.
38
Ainsi, nous concluons qu’il existe une différence entre l’acquisition de la finitude verbale à
l’écrit et à l’oral. Bien que les apprenants passent à travers les mêmes stades dans l’ordre
donné, la maîtrise ne se présente pas de la même manière à l’oral et à l’écrit. À l’oral, nous
retrouvons plus longtemps plus de formes non finies dans des contextes finis qu’à l’écrit.
Dans la partie suivante, nous analyserons la finitude verbale selon les différentes catégories
verbales dans le but d’y distinguer quelques différences d’acquisition. Nous présenterons et
illustrerons la maîtrise de la finitude verbale registre par registre, en dressant à la fin un bilan
complet de toutes nos données.
3.1.2 Résultats par catégorie verbale
Tableau 3-3 Le taux des formes non finies (FNF) par catégorie verbale à l’oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # FNF % # V # FNF % # V # FNF %
1 thème 106 63 59,4% 165 67 40,1% 113 11 9,7%
2 thèmes –
variation voc. 62 40 64,5% 91 30 33% 72 9 12,5%
2 thèmes +
variation voc. 19 14 73,7% 21 9 42 ,9% 21 4 19%
V irrég. 22 8 36,4% 69 4 5,8% 31 0 0%
Tableau 3-4 Le taux des formes non finies (FNF) par catégorie verbale à l’écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # FNF % # V # FNF % # V # FNF %
1 base 110 24 21,8% 224 20 8,9% 202 12 5,9%
2 bases 58 21 36,2% 92 11 12% 86 5 5,8%
3 bases 17 6 35,3% 19 0 0% 35 0 0%
V irrég. 131 3 2,3% 209 4 1,9% 118 1 0,9%
En comparant la finitude verbale des différentes catégories, nous remarquons que les verbes
irréguliers sont le plus précocement et le plus souvent employés dans une forme finie. Dans le
corpus oral de la première année, le taux des formes non finies est encore élevé, mais baisse
remarquablement en deuxième année. Il est également légèrement plus haut à l’oral qu’à l’écrit,
sauf dans les corpus de la troisième année, quoique la différence soit négligeable.
Les verbes à une base sont en général également plus souvent employés de manière finie que
les verbes à plusieurs bases. La finitude verbale est de nouveau plus réussie à l’écrit qu’à l’oral.
39
En outre, nous apercevons que celle des verbes à deux bases est plus accomplie à l’oral par
rapport aux verbes à trois bases. À l’écrit, par contre, les verbes à trois bases comptent plus de
formes finies et ils sont même tous finis dans les corpus écrits des deux dernières années. Les
formes finies sont issues des verbes modaux (voir infra).
Le nombre des formes finies des quatre catégories verbales tend à s’aligner dans le corpus
écrit de la troisième année. À l’oral, l’écart est encore plus grand.
3.1.3 Les verbes irréguliers
Comme nous venons de l’indiquer, les verbes irréguliers apparaissent le plus souvent de
manière finie dans un contexte fini. La finitude verbale pour cette classe de verbe est
pratiquement acquise à la perfection, chez les apprenants des trois années. Les formes qui sont
encore non finies apparaissent le plus souvent dans un syntagme verbal complexe :
A1 – 17 (283)39 : Ce fille *avoir peur de Capitain Haddock
A1 – 3 (51) : et le fille *s’en aller
A2 – 2 (47) : *S'en aller, *partir, je trouve l'effrayer
A3 – 13 (375) : Capitaine elle *s'en aller !
À l’oral, les verbes irréguliers sont également plus souvent employés de manière finie que les
autres, bien que le taux des formes finies soit plus bas par rapport à l’écrit, surtout dans le
corpus oral de la première année. Il faut dire que, parmi ces formes verbales non finies issues
du corpus de la première année, cinq proviennent du verbe faire et trois du verbe aller. Si nous
excluons le verbe faire ici des verbes irréguliers, 86,4% des verbes irréguliers sont finis, ce qui
se rapproche de nouveau du nombre observé dans le corpus écrit. Faire apparaît dans le
syntagme verbal complexe se faire des soucis, ce qui peut influencer le taux d’inexactitude. Les
trois formes non finies du verbe aller apparaissent dans les séquences suivantes, trois fois chez
le même élève :
A1 – 18 (130) : Tintin et Bobby /*aller, allé/ de hélicoptère (/tɛ̃tɛ̃ e bɔbi *ale də elikɔptɛʀ/)
A1 – 18 (136) : le téléphone al- /*aller, allé/ (/lə telefɔn *al- ale/)
A1 – 18 (137) : Dupond /*aller, allé/ - sur le train (/dypɔ̃ *ale - syʀ lə tʀɛ̃/)
La finitude verbale des verbes irréguliers est plus accomplie dans les corpus de la deuxième
année, et même complètement maîtrisée dans le corpus de la troisième année. Les seules
39 Le lettre A + chiffre représente l’année de l’apprenant, le deuxième numéro est le numéro de l’élève et le chiffre entre parenthèses désigne l’endroit où l’on peut retrouver la séquence dans le corpus (voir annexe).
40
formes non finies qui apparaissent encore chez les apprenants de la deuxième année,
proviennent de nouveau du verbe faire dans le syntagme verbal complexe se faire des soucis :
A2 – 13 (263) : la madame - s'a - *se faire des soucis (/la madam - sa - sə *fɛʀ de susi/)
A2 – 20 (297) : il [le policier] *se faire des soucis (/il sə *fɛʀ de susi/)
Donc, la non-finitude ne touche que très peu de verbes irréguliers. Les formes du verbe être
sont toujours finies, ainsi que celles du verbe avoir, à l’exception d’une seule occurrence écrite
non finie. Aller et faire comptent plus de formes non finies, essentiellement quand ils
apparaissent dans un syntagme verbal complexe.
3.1.4 Les verbes à une base
Le taux des formes non finies à une base se différencie à l’oral et à l’écrit : le corpus oral de la
première année compte presque trois fois plus de formes non finies, celui de la deuxième année
presque cinq fois plus. Le nombre se rapproche dans les corpus de la troisième année, quoiqu’il
y ait encore deux fois plus de formes non finies dans le corpus oral.
À l’écrit, les verbes non finis sont issus des verbes en –ER, -RE et –IR (type courir) :
A1 – 6 (100) : La fille crie et *mordre dans Capitaine Haddock
A1 – 11 (215) : Bobby *creuser un puits
A2 – 5 (129) : *J'entendre un bruit
A2 – 19 (542) : Tintin demande pourquoi elle *pleurer
A2 – 14 (410) : Elle *couru
A3 – 3 (73) : Capitaine Haddock *indiquer quelque chose
A3 – 14 (411) : Et elle*mordre dans un armou de capitaine Haddock
Dans le corpus oral des trois années, les formes non finies apparaissent dans les mêmes
contextes que celles à l’écrit, mais elles sont beaucoup plus nombreuses :
A1 – 6 (39) : Il /*montré, montrer/ (/il *mɔ̃tʀe/)
A1 – 18 (146) : Tintin *courir dans le couloir (/tɛ̃tɛ̃ *kuʀiʀ dɑ̃ lə kulwaʀ/)
A2 – 2 (73) : Il accuse – il accuse Tintin et /*montrer, montré/ à Tintin (/il akyzə -
il akyzə tɛ̃tɛ̃ e *mɔ̃tʀe a tɛ̃tɛ̃/)
A2 – 3 (80) : Il *courir (/il *kuʀiʀ/)
A2 – 20 (316) : Et il *vu deux hommes (/e il *vy døz- ɔm/)
A3 – 14 (199) : Tintin *courir dans le couleur – couloir (/tɛ̃tɛ̃ *kuʀiʀ dɑ̃ lə kulœʀ - kulwaʀ/)
A3 – 10 (147) : Tintin */tomber, tombé/ (/tɛ̃tɛ̃ *tɔ̃be/)
41
En conclusion, la seule différence est que la finitude verbale est plus maîtrisée à l’écrit qu’à
l’oral. Les formes non finies apparaissent dans les mêmes contextes dans les deux registres.
3.1.5 Les verbes à deux bases
La catégorie des verbes à deux bases comporte moins de formes finies que les verbes à une
base, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Pourtant, l’écart n’est pas considérable.
De plus, en comparant la finitude des verbes à deux bases dans les deux registres, nous
remarquons à nouveau que la somme des productions non finies est nettement plus élevée à
l’oral. Cependant, ce taux baisse graduellement au fil des années, dans les deux registres. Dans
le corpus écrit de la troisième année, nous ne retrouvons que cinq formes non finies.
Les verbes non finis se terminent en –IR (type partir et saisir), -ER et en –RE, à l’oral et à
l’écrit :
A1 – 6 (28) : en le tram il [Tintin] *dormir (/ɑ̃ lə tʀam il *dɔʀmiʀ/)
A1 – 17 (96) : Dupond et Dupont *rendre visite au Tintin
(/dypɔ̃ e dypɔ̃ *ʀɑ̃dʀə vizit o tɛ̃tɛ̃/)
A2 – 11 (180) : Tintin - - *épanouir (/tɛ̃tɛ̃ - - *epanwiʀ/)
A2 – 13 (252) : il [Tintin] *descendre (/il *desɑ̃dʀə/)
A3 – 4 (2) : il [Tintin] *entendre un bruit (/il *ɑ̃tɑ̃dʀə ɛ̃ bʀwi/)
A3 – 14 (194) : Tintin *partir l'hôpital (/tɛ̃tɛ̃ *paʀtiʀ lɔpital/)
A1 – 5 (82) : *Battre elle !
A1 – 9 (159) : Bobby *sentir quelque chose
A2 – 1 (23) : *Saiser elle !
A2 – 20 (580) : Puis il y a une veille dame qui *vu le main de capitain Haddock
A3 – 8 (213) : Tintin et Capitaine Haddock *se promener dans la forêt
A3 – 15 (438): sa capitane *mort aujourd’hui
3.1.6 Les verbes à trois bases
Les verbes à trois bases sont tous finis dans les corpus écrits des deux dernières années. Les
six formes écrites non finies dans le corpus de la première année sont toutes issues du verbe
apercevoir :
A1 – 17 (281) : Ils *apercevoir une fille
Les formes finies qui figurent dans le corpus écrit de la première année proviennent des verbes
modaux devoir, pouvoir et vouloir, à côté du verbe venir (voir infra). Il en est de même dans les
42
corpus écrits de la deuxième et troisième année et il s’y ajoute encore quelques formes des
verbes prendre, comprendre et dire.
À l’oral, le nombre des formes non finies est à nouveau plus élevé qu’à l’écrit. Dans le
corpus oral de la première année, nous ne retrouvons pas de verbes modaux (voir infra). Les
verbes non finis sont les suivants : apercevoir, (re)prendre, recevoir et s’assoir. Dans les corpus
oraux des années deux et trois, la finitude verbale se maîtrise mieux. Les verbes modaux vouloir
et devoir sont finis, et nous remarquons quelques tentatives pour conjuguer le verbe apercevoir
(voir infra).
3.1.7 Conclusion
Nous constatons que la maîtrise de la finitude verbale est plus précoce à l’écrit qu’à l’oral, pour
toutes les classes verbales. Le tableau ci-dessus résume les stades que les apprenants
néerlandophones franchissent : l’itinéraire acquisitionnel des participants néerlandophones
correspond dans une large mesure avec celui des apprenants suédophones (voir Bartning &
Schlyter 2004). Nous observons également que les stades acquisitionnels varient en fonction
de la classe verbale et, comme nous venons de l’indiquer, en fonction du registre :
Tableau 3-5 Résumé des stades d'acquisition selon les classes verbales à l'oral (O) et à l'écrit (E)
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
V à 1 base (E) Stade intermédiaire
(3) Stade avancé bas (4)
Stade avancé moyen (5)
V à 1 thème (O) Stade initial (1) Stade post-initial (2) Stade avancé bas (4)
V à 2 bases (E) Stade post-initial (2) Stade avancé bas (4) Stade avancé moyen
(5)
V à 2 thèmes – VV40 (O)
Stade initial (1) Stade post-initial (2) Stade avancé bas (4)
V à 3 bases (E) Stade post-initial (2) Stade avancé moyen
(5) Stade avancé moyen
(5)
V à 2 thèmes + VV (O)
Stade initial (1) Stade init./post-init.
(1/2) Stade intermédiaire
(3)
V irréguliers (E) Stade avancé moyen
(5) Stade avancé moyen
(5) Stade avancé sup. (6)
V irréguliers (O) Stade post-initial (2) Stade avancé moyen
(5) Stade avancé sup. (6)
Les apprenants passent généralement à travers les mêmes stades dans les deux registres, la
maîtrise de la finitude verbale à l’oral se déroule pourtant plus lentement. Nos résultats
correspondent à ceux de Granfeldt (2005) : les formes non finies sont plus fréquentes à l’oral
qu’à l’écrit dans les mêmes stades d’acquisition chez des apprenants suédophones.
40 VV = Variation Vocalique
43
Ce n’est que dans la classe des verbes irréguliers que la finitude verbale se maîtrise
précocement, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Les verbes à une base sont également plus finis que
les autres dès la première année à l’écrit : la type frequency dans l’input est élevée. La plupart
de ces verbes appartiennent à la première conjugaison traditionnelle, qui est la plus fréquente
dans l’input des apprenants (voir Bybee 1991 et Ågren & Van de Weijer 2012) et par
conséquent la plus productive.
Nous remarquons en outre que les apprenants de la deuxième année ont déjà atteint le
stade avancé moyen en ce qui concerne les verbes écrits à trois bases : il apparaît que la plupart
de ces verbes utilisés sont des verbes modaux. Ainsi, la finitude verbale de ce type de verbes se
produit également plus rapidement que pour les autres verbes. Parodi (2000, corpus
allemand) l’a également observé dans son étude : les verbes non thématiques – y compris les
verbes modaux – semblent se conjuguer dès qu’ils se produisent. Cela a été confirmé par
Schlyter & Bartning (2005, corpus français). Comme les verbes modaux sont fréquents dans
l’input, ils ont une haute token frequency (Bybee 1991) et s’apprennent sous formes d’items
(Pinker 1999).
Enfin, les corpus de la deuxième et de la troisième année démontrent une stabilisation
concernant la finitude verbale des verbes à une et à plusieurs bases.
En résumant, nous avons constaté que la maîtrise de la finitude verbale se développe plus
rapidement à l’écrit qu’à l’oral, et varie selon la catégorie verbale. À partir de la troisième
année, l’écart entre les classes verbales et entre les deux registres diminue. La maîtrise de la
finitude verbale semble donc s’acquérir relativement rapidement, même si ce rythme ralentit
à l’oral.
La raison pour laquelle l’oral compte plus de formes non finies pourrait être que « l’oral est
immédiat et en situation » et que « l’écrit se caractérise par un délai plus ou moins long entre
l’émission du message et la réception de celui-ci » (Ågren 2005 : 28), ce qui a un impact sur la
production :
Un autre facteur important dans la distinction entre l’écrit et l’oral est le temps. En
écrivant, le scripteur a le temps d’élaborer son message, de s’arrêter pour réfléchir, de
se corriger ou de se compléter. Ainsi, le produit écrit final a un caractère fini et
construit. À l’oral, l’élaboration et l’émission du message se font presque
simultanément, ce qui résulte en reprises, hésitations ou ruptures de construction
laissant des traces dans le message. (Ågren 2005 : 28)
44
Pour notre corpus des apprenants FL2, le délai plus court à l’oral résulte en plus de fautes, car
ils ne disposent pas d’autant de temps pour élaborer leur message.
De plus, dans l’enseignement secondaire flamand, l’accent se met plutôt sur la conjugaison
écrite que sur la conjugaison orale. C’est également la raison pour laquelle les apprenants
néerlandophones de nos deux corpus pourraient avoir plus de difficultés à l’oral, parce qu’ils
se trouvent dans des situations orales avec lesquelles ils ne sont pas vraiment familiarisées.
Granget (2005) a démontré dans son étude que l’enseignement joue en effet un rôle capital.
Parallèlement à l’enseignement allemand, les conjugaisons des verbes sont enseignées
précocement et de façon intensive avec de nombreux exercices de mémorisation et
d’application à l’écrit.
En outre, « [l]e Français est une langue dont, pour des raisons historiques et sociologiques, les
modalités orale et écrite présentent d'importantes différences. […] de nombreuses marques
morphologiques n'ont pas de correspondant oral » (Thévenin, Totereau, Jarousse & Fayol
1999 : 39-40). C’est le cas pour les suffixes verbaux comme –s, –t ou –nt. Ainsi, à l’écrit, ces
signes se manifestent alors qu’à l’oral ils restent sous-entendus. Lorsqu’un apprenant produit
à l’écrit la séquence suivante,
A1 – 19 (336) : Elle *mordret moi,
l’équivalent oral serait : /ɛl mɔʀdʀə mwa/. La forme verbale à l’écrit est une forme finie, car il
y a la marque de la 3ps –t qui s’attache à un radical fautif, qui est ici la forme de l’infinitif. À
l’oral, en revanche, ce –t pourrait être présent virtuellement, sans qu’il se manifeste puisque le
suffixe n’est pas audible. La séquence Ils *conclurent pour s'approcher (A2 – 3 (81)) est du
même type. L’accord se manifeste par conséquent de manière plus transparente et plus
systématique à l’écrit.
On pourrait encore penser que l’absence de la finitude verbale est égale à une absence des
catégories fonctionnelles ou syntaxiques. Pourtant, l’absence de formes finies dans un contexte
fini ne veut pas nécessairement dire que les étudiants ne savent pas distinguer les formes
fléchies des formes non fléchies. Nous appuyons ici la thèse de Prévost & White (2000) de la
Missing Surface Inflection Hypothesis (MSIH), élaborée supra dans le cadre de recherche. Elle
postule que l’absence de flexion se trouve au niveau morphologique de surface et non au niveau
syntaxique : les défauts concernant la morphologie sont issus d’une flexion L2 échouée et non
d’une syntaxe défectueuse (Herschensohn 2001 : 274). Pour plus d’informations, voir supra.
45
3.2 Accord sujet-verbe
Après avoir analysé la finitude verbale, nous étudierons dans ce chapitre la maîtrise de l’accord
sujet-verbe à l’oral et à l’écrit.
Premièrement, nous analyserons les résultats globaux concernant l’acquisition de l’accord
sujet-verbe, à l’oral et à l’écrit, année par année. Deuxièmement, nous inclurons à nouveau les
catégories verbales afin d’y distinguer peut-être des différences. Ensuite, nous subdiviserons
l’analyse selon les différentes formes personnelles de la conjugaison : la question est de savoir
si le verbe s’ajuste à son sujet et quels phénomènes de conjugaison sont attestés. Nous
prendrons en compte tant l’accord lexical que l’accord morphologique41. Finalement, nous
comparerons l’acquisition de l’accord chez les néerlandophones avec l’itinéraire proposé par
Bartning & Schlyter (2004), à l’oral et à l’écrit.
Rappelons d’abord nos hypothèses concernant la maîtrise de l’accord sujet-verbe chez des
apprenants néerlandophones. Nous estimons qu’elle se développera de la même façon que
chez les apprenants suédophones de Bartning & Schlyter (2004). Nous nous attendons à
nouveau à ce que ce processus se déroule plus rapidement à l’écrit qu’à l’oral.
Nous voulons également vérifier s’il existe un décalage entre l’acquisition des verbes à
plusieurs bases d’une part, et celle des verbes irréguliers et à une base d’autre part, tant à l’oral
qu’à l’écrit. De plus, la question est également de savoir si le modèle des verbes en –ER
fonctionne comme base pour la conjugaison d’autres verbes, comme certaines études l’ont déjà
démontré, et si nous pouvons distinguer des différences entre l’oral et l’écrit. Finalement, nous
nous attendons à une surgénéralisation de la 3ps à l’oral et à l’écrit, ainsi qu’à une confusion à
l’écrit des formes de la 1ps, la 2ps et de la 3ps, due à l’homophonie. Concernant les formes
verbales de la 1pp et la 2pp, elles correspondront à leur sujet puisqu’elles sont toujours
marquées par le même suffixe, à l’oral et à l’écrit. En même temps, nous vérifierons également
si l’audibilité de l’accord de la 3pp facilite la conjugaison verbale à l’écrit.
41 Nous rappelons que l’accord lexical est celui de l’alternance de la base, la base qui correspond à la forme de la personne (Ågren 2008 : 139). L’accord morphologique concerne l’ajout du suffixe correct (Ågren 2008 : 139) et « [c]et accord morphologique est censé montrer la volonté des apprenants d’accorder les verbes en nombre à l’écrit bien qu’ils ne soient pas capables de le faire selon les normes de la langue cible […] » (Ågren 2008 : 139).
46
3.2.1 Résultats globaux
Les tableaux 3-6 et 3-7 affichent le taux des formes verbales correctes42 et fautives des trois
années dans les deux corpus des narrations. Pour la répartition des formes fautives en « non
accord » et « formes non finies » en complément de l’analyse, voir annexe43.
Tableau 3-6 Formes verbales - accord correct et accord fautif à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# % # % # %
Accord correct 212 67,1% 426 78,5% 329 74,6%
Accord fautif 104 32,9% 117 21,5% 112 25,4%
Tableau 3-7 Formes verbales - accord correct et accord fautif à l'oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# % # % # %
Accord correct 56 26,8% 204 59% 177 74,7%
Accord fautif 153 73,2% 142 41% 60 25,3%
Nous apercevons que l’accord sujet-verbe est plus réussi à l’écrit qu’à l’oral, comme nous
l’avons prévu. Nos données ne confirment donc pas les constatations de Granfeldt44 (2007).
Pourtant, l’accord à l’oral suit une évolution ascendante au fil des années et se trouve au même
niveau que l’écrit en troisième année. Cela nous fait supposer que l’écart entre le registre oral
et écrit se résout dans les années suivantes de l’école secondaire, et que l’oral comportera
moins de fautes, parallèlement aux productions des apprenants de Granfeldt (2007).
À l’écrit nous apercevons cette même tendance croissante, quoique l’accord soit
légèrement plus adéquat à la deuxième année qu’à la troisième.
3.2.2 Résultats par catégorie verbale
Les tableaux ci-dessus représentent le taux des formes verbales correctes selon les catégories
verbales et dans les deux registres. La première colonne (#) affiche la somme des verbes qui
42 Avec « les formes verbales correctes », nous référons à l’accord sujet-verbe correct (tant l’accord lexical que morphologique). 43 Les erreurs dans les corpus de la première année concernent dans la majorité des cas des formes non finies, surtout à l’oral. Cette tendance continue à se manifester dans le corpus oral de la deuxième année, mais disparaît dans le corpus écrit et dans ceux de la troisième année, où les fautes concernent des formes finies avec un accord fautif. Voir infra. 44 Nous rappelons que les participants à l’enquête de Granfeldt (2007) ont acquis un niveau beaucoup plus avancé que les apprenants de notre étude. Ce sont des adolescents ayant suivi environ 500 heures de cours de français.
47
apparaissent dans la catégorie verbale correspondante. Le « OK » indique combien de formes
produites s’accordent à leur sujet, et le pourcentage représente la valeur relative des formes
correctes :
Tableau 3-8 Formes verbales correctes par catégorie verbale à l'oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# OK % # OK % # OK %
1 thème 106 35 33% 165 93 56,4% 113 99 87,6%
2 thèmes –
variation voc. 62 8 12,9% 91 42 46,1% 72 42 58,3%
2 thèmes +
variation voc. 19 1 5,3% 21 7 33,3% 21 8 38,1%
V irrég. 22 12 54,5% 69 60 87% 31 26 83,9%
Tableau 3-9 Formes verbales correctes par catégorie verbale à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# OK % # OK % # OK %
1 base 110 69 62,7% 224 160 71,4% 202 149 73,8%
2 bases 58 19 32,8% 92 54 58,7% 86 54 62,8%
3 bases 17 8 47,1% 19 16 84,2% 35 22 62,9%
V irrég. 131 116 88,5% 209 197 94,3% 118 104 88,1%
Nous apercevons que les formes des verbes irréguliers et des verbes à une base sont plus
souvent accordées que les autres dans pratiquement tous les corpus des trois années, comme
nous l’avons prévu. La seule exception se trouve dans le corpus écrit de la deuxième année, où
la conjugaison des verbes à trois bases est légèrement plus réussie que celle des verbes à une
base. De plus, le taux des formes accordées dans chaque catégorie verbale est plus haut à l’écrit
qu’à l’oral, dans toutes les années, à l’exception des verbes à une base produits par les
apprenants de la troisième année : ils sont légèrement plus accomplis à l’oral qu’à l’écrit. En
outre, en nous appuyant sur les résultats concernant la finitude verbale (voir supra et en
annexe), la plupart des formes erronées des verbes irréguliers sont en général des erreurs
d’accord et non de finitude. La même tendance se dégage pour les formes erronées des verbes
modaux, dans les corpus des deux dernières années. Pour les verbes à une base, par contre, les
erreurs concernent surtout la finitude verbale dans les corpus des deux premières années.
Hedbor (2005) observe le même phénomène :
48
Il existe aussi une différence qualitative entre les formes erronées des verbes
réguliers et irréguliers [les verbes modaux ou à plusieurs bases, SS]. Dans le cas
des verbes réguliers, les formes erronées […] sont surtout des formes non-finies,
i.e. des infinitifs ou des participes passé. Pour les verbes irréguliers, les formes
erronées consistent surtout en un suffixe muet erroné, ou en une forme erronée
ressemblant à un traitement régulier d’un verbe irrégulier. (Hedbor 2005 : 156)
Nous concluons pour l’instant que le développement de l’accord semble se dérouler plus
lentement à l’oral qu’à l’écrit, pour chaque catégorie verbale, excepté dans la troisième année
pour les verbes à une base. Ce sont également les verbes acquis en premier lieu, après les
verbes irréguliers, ce qui confirme partiellement l’hypothèse 2.
Dans la partie suivante, nous clarifierons les erreurs commises dans chaque catégorie verbale,
dans tous les corpus. Nous commencerons par les verbes irréguliers être, avoir, aller et faire et
puis nous passerons aux autres catégories verbales des verbes à une, à deux et à trois bases.
Pour ces trois classes, nous vérifierons également si les apprenants surgénéralisent le modèle
des verbes réguliers en –ER (hypothèse 3).
3.2.3 Les verbes irréguliers
3.2.3.1 Être et avoir
Tableau 3-10 Formes correctes des verbes être et avoir à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # OK % # V # OK % # V # OK %
ÊTRE 76 72 94,7 127 124 97,6 66 60 90,9
AVOIR 16 15 93,8 31 28 90,3 25 22 88
Tableau 3-11 Formes correctes des verbes être et avoir à l'oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # OK % # V # OK % # V # OK %
ÊTRE 9 9 100 36 35 97,2 14 13 92,9
AVOIR 2 2 100 12 12 100 7 6 85,7
Nous déduisons des tableaux 3-10 et 3-11 que la conjugaison des verbes être et avoir est en
général maîtrisée, déjà dès la première année. Le taux des formes correctes dans tous les
corpus se rapproche à l’oral et à l’écrit. Pourtant, les apprenants ont commis légèrement plus
49
d’erreurs à l’écrit qu’à l’oral, ce qui est dû à l’orthographe (voir aussi les résultats de Granfeldt
2007).
Ainsi, à l’écrit, les erreurs concernent surtout l’accord morphologique et non la finitude
verbale (voir supra). Les formes de la 2ps et de la 3ps se confondent, là où il est question
d’homophonie. En outre, la surgénéralisation de la forme de la 3ps est attestée là où le sujet est
à la 3pp ou à la 2pp :
A1 – 9 (177) : tu n’*est pas gentille
A1 – 10 (204) : Elles *es tombe
A2 – 4 (99) : Les tsiganes *est effrayer
A2 – 4 (117) : Qui *est ton parents? kielekielekiele!
A2 – 5 (133) : Bonjour, tu n'*est pas belle !!!
A2 – 13 (381) : Tu *a mal a la tête
A2 – 17 (489) : Pourquoi [tu] *a peur de qui?
A3 – 2 (48) : Pourquoi tu *est ici
A3 – 13 (373) : Vous *est dangereux
A3 – 15 (431) : Où *est les parents ?
A3 – 1 (15) : Pourquoi tu *a peur ?
A3 – 3 (71) : Des gens *a creusé un puits
A3 – 13 (371) : Capitaine, elle *as peur de vous
À l’oral, les verbes être et avoir se conjuguent de manière correcte dans les corpus oraux de la
première et de la deuxième année, à l’exception d’une seule erreur dans celui de la deuxième
année :
A2 – 20 (287) : le pilon le pilot *sont /parlé, parler/ (/lə pilɔ̃ lə pilo *sɔ̃ paʀle/)
Dans les corpus de la troisième année, nous ne retrouvons que deux erreurs d’accord chez
le même apprenant :
A3 – 5 (49) : il - remarque un avion qui *sont – descendre (/il
- ʀəmaʀk ɛ̃n- avjɔ̃ ki *sɔ̃ - desɑ̃dʀə/)
A3 – 5 (81) : Deux persons *a /li/ le journal (/dø pɛʀsɔ̃ *a li lə ʒuʀnal/)
50
3.2.3.2 Aller et faire
Tableau 3-12 Formes correctes des verbes aller et faire à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # OK % # V # OK % # V # OK %
ALLER 33 25 75,8 45 39 86,7 24 21 87,5
FAIRE 6 4 66,7 6 6 100 3 1 33,3
Tableau 3-13 Formes correctes des verbes aller et faire à l'oral
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
# V # OK % # V # OK % # V # OK %
ALLER 4 1 25 15 12 80 10 7 70
FAIRE 7 0 0 6 1 16,7 / / /
La conjugaison des verbes irréguliers aller et faire est moins accomplie que celle des verbes
être et avoir, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral45. En comparant les deux registres, nous remarquons
que les corpus oraux comportent moins d’occurrences de ces verbes et considérablement
moins de formes correctes. À l’écrit, la plupart des formes ne s’accordent pas avec le sujet
concerné, les autres sont non finies (voir supra) :
A1 – 2 (20) : Ils *va faire un usine pour d'electrique
A1 – 16 (261) : Tintin et Captain *allent plus loin avec Bobbie
A1 – 18 (306) : Oui tu *vais plus loin
A1 – 19 (335) : *Vattent fille !46
A1 – 8 (136) : Mais ils *faitent quoi ?
A1 – 8 (149) : Il *fair mal
A2 – 2 (47) : *S'en aller, partir, je trouve l'effrayer
A2 – 3 (79) : Mais Tintin et Capitaine haddock s'en *viennent
A2 – 19 (536) : et ils *allent
A3 – 8 (218) : Que’est que vous *fait
A3 – 11 (301) : Je peux savoir quoi ils *faisent là !
A3 – 3 (95) : Ils *va retrouner au zigeuners
A3 – 13 (375) : Capitaine elle *s’en aller !
45Les apprenants ont une autre représentation des quatre verbes irréguliers (voir infra, Ågren 2008 : 177-178). 46 La production de l’élève 19 (*Vattent) se base sur l’oral /va tɑ̃/ mais ne se produit pas de manière correcte à l’écrit, à défaut de la connaissance de l’orthographe correcte.
51
Les formes erronées *allent, *faitent et *faisent sont remarquables :
Il existe des différences entre les quatre verbes irréguliers au niveau de leur
représentation chez les apprenants de la L2, surtout pour le verbe aller, mais
également pour le verbe faire, qui apparaissent parfois conjugués avec le morphème –
nt, comme un verbe régulier […]. Ces formes en –nt qui remplacent le vont et le font
n’existent pas pour les formes verbales sont et ont. Par conséquent, des *êtrent et des
*avoirent ne sont pas produit [sic] dans les textes des apprenants, ce qui est
probablement un effet de leur très haute fréquence d’occurrence, notamment dans la
fonction d’auxiliaire. (Ågren 2008 : 177-178)
Nous ne retrouvons en effet pas de formes telles que *êtrent et *avoirent dans nos corpus.
La forme *viennent se base sur le radical du verbe venir, avec lequel aller partage le même tronc
/v/ (voir la classification des verbes de Pouradier Duteil, supra). De plus, la surgénéralisation
de la 3ps après les sujets de la 3pp est attestée, mais elle reste rare.
À l’oral, par contre, cette surgénéralisation est plus répandue47, à côté de quelques occurrences
non finies (voir supra) :
A1 – 19 (166) : Dupond et Dupont - se faire - se *fait des – soucis (/Dypɔ̃ e Dypɔ̃ - sə fɛʀ -
sə *fɛ de – susi/)
A1 – 23 (196) : Dupond et Dupont euh - se *fait des soucis de Kuifje (/Dypɔ̃ e Dypɔ̃ œ-
sə *fɛ de susi də kœyfjə/)
A2 – 1 (9) : Kuifje et le chien euhm *va courir (/kœjfjə e lə ʃjɛ̃ œm *va kuʀiʀ/)
A2 – 3 (90) : un garçon - - Dupond et Dupont *va aller à l'hôpital (/ɛ̃ ɡaʀsɔ̃ - -
dypɔ̃ e dypɔ̃ *va ale a lɔpital/)
A2 – 1 (19) : Dupond et Dupont - se *fait des soucis (/dypɔ̃ e dypɔ̃ sə *fɛ de suzi/)
A3 – 5 (64) : Dupond et Dupont *va rend - - rend visite Tintin
(/dypɔ̃ e dypɔ̃ *va ʀɑ̃ - - ʀɑ̃ vizit tɛ̃tɛ̃/)
A3 – 5 (67) : Tintin - est s'asseoir - Dupond et Dupont *va - s'asseoir (/tɛ̃tɛ̃
- ɛ saswaʀ - dypɔ̃ e dypɔ̃ *va - saswaʀ/)
A3 – 5 (79) : Dupont et Dupond *va partir (/dypɔ̃ e dypɔ̃ *va paʀtiʀ/)
47 Il est évident que nous ne pouvons pas tenir compte de suffixes silencieux qui pourraient être virtuellement présents (voir supra et infra, Ågren 2005).
52
3.2.3.3 Conclusion Les verbes irréguliers, et particulièrement être et avoir, se maîtrisent déjà presqu’à la
perfection dès la première année, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, et pour toutes les personnes de
la conjugaison répertoriées. Les quelques erreurs qui apparaissent encore à l’écrit sont dues à
la morphologie silencieuse : les homophones de la 2ps et de la 3ps se confondent. La
surgénéralisation de la 3ps avec des formes plurielles est aussi présente – surtout à l’oral –
mais est rare.
Les verbes aller et faire se caractérisent par un taux d’erreurs plus haut, tant à l’écrit qu’à
l’oral. Alors que les formes fautives écrites du verbe aller concernent surtout la finitude et
l’accord lexical, les formes à l’oral relèvent d’une surgénéralisation de la 3ps. Les erreurs qui
touchent le verbe faire sont surtout dues à la finitude verbale, à côté de quelques apparitions
de surgénéralisation de la 3ps.
3.2.4 Les verbes à une base
Tableau 3-14 Les verbes à une base à l'oral
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Autre
modèle48
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 106 35 33% 87 82% 38 35,9% 6 5,7%
ANNÉE 2 165 93 56,4% 146 88,5% 94 57% 5 3%
ANNÉE 3 113 99 87,6% 111 98,2% 100 88,5% 1 0,9%
Tableau 3-15 Les verbes à une base à l'écrit
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique Autre modèle
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 110 69 62,7% 104 94,5% 70 63,6% 12 10,9%
ANNÉE 2 224 160 71,4% 216 96,4% 165 73,7% 9 4%
ANNÉE 3 201 149 74,1% 195 97% 155 77,1% 15 7,5%
48 Le critère « autre modèle » concerne les formes verbales conjuguées par analogie avec un autre modèle, ce qui rend la forme fautive. Il s’agit par exemple de *il mette, par analogie avec il parle. Voir Méthodologie.
53
Les tableaux ci-dessus affichent le nombre et le pourcentage des formes correctes des verbes
à une base, ainsi que la réalisation de l’accord lexical et de l’accord morphologique. La somme
des pourcentages n’équivaut pas à 100% : tantôt l’accord lexical est réalisé sans que l’accord
morphologique s’exprime, tantôt cela se passe à l’inverse, ou bien les deux s’accomplissent. Le
taux des formes correctes complémente celui des formes fautives, ce qui n’est pas repris sur le
tableau. La dernière colonne indique si l’apprenant a manié un autre modèle de conjugaison
pour le verbe concerné. Les tableaux suivants (3-16, 17, 18, 19) affichent les mêmes données.
Nous apercevons que le taux des formes correctes monte au fil des années, comme nous
l’avons déjà indiqué supra, en même temps que l’accord lexical49 et morphologique. Les corpus
écrits comptent plus de formes correctes que les corpus oraux, sauf dans les corpus de la
troisième année : les erreurs d’orthographe affectent l’écrit, là où l’oral ne subit aucune
influence (voir les résultats de Granfeldt 2007, supra et infra). Les quelques radicaux fautifs
proviennent surtout d’une erreur de prononciation, d’une erreur orthographique50 ou d’un
radical fautif, auquel s’ajoutent les terminaisons51 :
A1 – 6 (14) : il - /*terré, terrer/ [= tirer] sur avec un pistolet sur (/il - *tɛʀe syʀ avɛk ɛ̃
pistɔlɛ syʀ/)
A1 – 19 (336) : Elle *mordret moi
A2 – 3 (81) : Ils *conclurent pour s'approcher
Nous constatons également qu’au fur et à mesure que les apprenants sont plus âgés, ils
commettent généralement moins d’erreurs de fausse analogie : leur connaissance
morphologique est déjà plus exhaustive. À l’oral, ils n’emploient guère le modèle de la première
conjugaison (type parler) pour les verbes en –IR aux deux premières années de l’école
secondaire. Les exemples en sont rares :
A1 – 16 (46) : /il *kuʀi/
A2 – 13 (254) : /e mwa ʒə *kuʀi/
En outre, le taux des formes qui se conjuguent d’après un autre modèle est plus haut à l’écrit
qu’à l’oral, parce que « de nombreuses marques morphologiques n’ont pas de correspondant
49 Les pourcentages de l’accord lexical sont élevés, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il s’agit des verbes dont le radical est invariable. 50 Les erreurs orthographiques ou de prononciation apparaissent dans cette classe-ci parce que les apprenants ne sont pas familiarisés avec quelques verbes qui figurent dans la liste de vocabulaire. 51 Comme Ågren (2005 : 112) l’a déjà noté dans son corpus, les apprenants sont conscients que chaque personne s’accompagne d’un suffixe correspondant qu’il faut ajouter au radical. Cependant, ils hésitent au niveau du radical. Dans les cas-ci, les apprenants ont pris la forme de l’infinitif et ils ont simplement ajouté les suffixes correspondants.
54
oral » (Thévenin, Totereau, Jarousse & Fayol 1999 : 39, voir aussi supra). Il est par conséquent
plus facile à l’écrit de vérifier si un apprenant suit un autre modèle pour conjuguer une forme
verbale. Le modèle de la première conjugaison en –ER se suremploie, comme prévu, avec les
verbes qui se terminent en –IR ou –RE :
A1 – 3 (50) : Haddock *saise le fille et elle *morde dans sa main
A2 – 6 (165) : Tu *entendes ça? Prudent! Vite lá!
A3 – 16 (450) : Elle *mordes dans la main de capitaine Haddock
Pourtant, ce suremploi à l’écrit est également très modeste : la plupart des verbes se terminent
déjà en –ER, la grande minorité se terminent en –IR ou –RE. Quoique les apprenants ne
semblent pas familiarisés avec quelques formes en –IR ou –RE, ils font preuve d’une créativité
de conjugaison : ils s’inspirent d’autres formes verbales pour produire une forme acceptable,
ce qui se répète tout au long des corpus.
À la deuxième et la troisième année à l’oral, deux apprenants ont produit une forme verbale en
–ER conjugué selon partir/courir :
A2 – 11 (196) : /lə kɔ̃dyktœʀ - *fʀɛ̃/
A3 – 5 (87) : /lə tʀɛ̃ *fʀɛ̃/
La forme verbale peut être transcrite comme *freint. L’accord par analogie avec un verbe type
partir/courir apparaîtra également dans la catégorie verbale des verbes à deux bases (voir
infra, note en bas de page 53).
De plus, il est intéressant à voir que ce même modèle de conjugaison s’applique également à
l’écrit aux verbes en –ER, dans toutes les années et dans une plus grande mesure : cette
observation ne peut pas se passer aussi facilement à l’oral puisque les marques sont
silencieuses. Le modèle en –IR s’emploie pas moins de quatorze fois sur quinze comme modèle
des verbes en –ER dans le corpus écrit de la troisième année, et six sur neuf fois dans celui de
la deuxième année. Dans le corpus de la première année, une telle analogie se limite à deux fois
sur douze :
A1 – 8 (141) : il *pleur
A2 – 14 (403) : La fille *pleur
A2 – 14 (409) : elle *criet dans ma main
A2 – 18 (512) : Pourquoi *pleurs tu ?
A3 – 1 (17) : elle *criet
A3 – 12 (333) : elle *pleurt trop
55
La fréquence dans l’input des verbes en –IR (type frequency) doit être plus élevée dans les deux
dernières années, d’où l’apparition des formes en –ER qui prennent les suffixes des verbes en
–IR.
Nous concluons que l’influence de la classe des verbes en –ER est très modeste, étant donné
que la plupart des verbes à une base se terminent déjà en -ER. Le modèle des verbes en –IR, en
revanche, affecte souvent la conjugaison des verbes en –ER à l’écrit, ce que nous n’avons pas
prévu. De plus, l’accord est généralement plus réussi à l’écrit qu’à l’oral, sauf dans les corpus
des apprenants de la troisième année.
3.2.5 Les verbes à deux bases
Tableau 3-16 Les verbes à deux bases à l'oral
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique Autre modèle
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 62 8 12,9% 22 35,5% 10 16,1% 6 9,7%
ANNÉE 2 91 42 46,1% 57 62,7% 45 49,5% 11 12,1%
ANNÉE 3 72 42 58,3% 49 68,1% 45 62,5% 10 13,9%
Tableau 3-17 Les verbes à deux bases à l'écrit
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique Autre modèle
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 58 19 32,8% 35 60,3% 23 39,7% 11 19%
ANNÉE 2 92 54 58,7% 75 81,5% 67 72,8% 8 8,7%
ANNÉE 3 86 54 62,8% 81 92,2% 59 68,6% 4 4,7%
Parallèlement aux verbes à une base, le nombre des formes correctes s’élève année par année.
Les accords morphologique et lexical se réalisent également de plus en plus, à l’exception de la
réalisation de l’accord morphologique à l’écrit, qui est légèrement plus réussie à la deuxième
année qu’à la troisième. L’accord morphologique est de nouveau la cause principale des formes
fautives, dans les deux registres.
56
En outre, nous remarquons à nouveau une divergence entre les pourcentages du corpus
oral et du corpus écrit : les formes des verbes à deux bases sont plus réussies dans le corpus
écrit52.
Nous constatons également que les apprenants de la première année commettent plus
d’erreurs de fausse analogie à l’écrit que les apprenants des autres années. Presque 20% des
verbes à deux bases se conjuguent selon un modèle de conjugaison différent. Il s’agit des verbes
en –IR (saisir et sentir) et voir. Nous ne leur en voulons pas, puisque ces verbes sont encore
faibles dans l’input : l’application du modèle régulier témoigne d’une créativité par rapport aux
formes qu’ils ne connaissent pas. Les verbes qui se conjuguent selon le faux modèle à l’écrit,
sont dans les trois années presque les mêmes :
A1 – 1 (3) : Capitaine Haddock: je *senti quelque chose
A1 – 3 (49) : Haddock *saise le fille et elle *morde dans sa main
A1 – 5 (74) : Maintenant, je *sente…..
A1 – 12 (243) : Elle *saise
A2 – 1 (23) : *Saiser elle !
A2 – 6 (162) : Tu *sentes ça aussi ? La ça quoi ?
A2 – 11 (308) : Je *saise toi !
A2 – 19 (549) : Et elle *parti..
A3 – 14 (413): La fille *partis
A3 – 16 (442) : Milou se *sentes quelque chose
A3 – 16 (453) : Et Tintin *saise la fille
Soit le radical se construit comme « infinitif moins –R », soit comme « infinitif moins –IR »,
auquel se rattache le suffixe ou non.
À l’oral, nous apercevons le même processus53 :
A1 – 16 (64) : salut madame, je /*paʀti/ - à la maison (/saly madam, ʒə *paʀti -
a la mɛzɔ̃/)
A1 – 14 (103) : Dupond et Dupont - /*sɔʀti/ –/*sɔʀti/ (/dypɔ̃ e dypɔ̃ - *sɔʀti -
*sɔʀti/)
52 L’une des raisons pour laquelle la réalisation de l’accord morphologique est plus prononcée à l’écrit qu’à l’oral, est à nouveau la morphologie silencieuse : les marques à l’écrit sont présentes alors qu’à l’oral elles ne se prononcent pas (voir supra). 53 Deux apprenants de la troisième année ont également produit une forme en –IR (type finir) comme étant un verbe type courir/partir, comme nous l’avons déjà constaté avec les verbes à une base. Pourtant, ce phénomène apparaît ici dans une mesure bien moins importante : A3 – 9 (130) : euh le patron/*sɛ/ tintin (/œ lə patʀɔ̃ *sɛ tɛ̃tɛ̃/ A3 – 10 (168) : un personne - /*sɛ/ Tintin (/ɛ̃ pɛʀsɔn - *sɛ tɛ̃tɛ̃/) La forme verbale peut être transcrite comme *sait, par analogie avec part ou court.
57
A1 – 18 (147) : le contrôleur /*sɛsə/ de Tintin (/lə kɔ̃tʀolœʀ *sɛsə də tɛ̃tɛ̃/)
A2 – 1 (11) : les gens euh /*sɔʀti/ (/le ʒɑ̃ œ *sɔʀti/)
A2 – 8 (151) : il *dorme en train (/il *dɔʀm ɑ̃ tʀɛ̃/)
A2 – 13 (273) : et le contrôleur - /*sɛs/ - /*sɛs/ tintin (/e lə kɔ̃tʀolœʀ - *sɛs -
*sɛs tɛ̃tɛ̃/)
A3 – 9 (120) : il /*paʀti/ (/il *paʀti/)
A3 – 10 (163) : Tintin *dorme dans le train (/tɛ̃tɛ̃ *dɔʀm dɑ̃ lə tʀɛ̃/)
A3 – 14 (201) : le conducteur /*sɛs/ tintin (/lə kɔ̃dyktœʀ *sɛs tɛ̃tɛ̃/)
Nous concluons que le suremploi du modèle des verbes réguliers en –ER est plus significatif
pour la conjugaison des verbes à deux bases que pour celle des verbes à une base. Cette
catégorie-ci compte simplement plus de formes en –IR ou en –RE. La surgénéralisation est
moins importante que nous avons attendu, mais elle est néanmoins présente. De plus, le
suremploi du modèle de la première conjugaison est généralement plus attesté à l’oral qu’à
l’écrit, contrairement au constat pour ce qui concerne la catégorie des verbes à une base.
3.2.6 Les verbes à trois bases
Tableau 3-18 Les verbes à trois bases à l'oral
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique Autre modèle
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 19 1 5,3% 1 5,3% 1 5,3% 1 5,3%
ANNÉE 2 21 7 33,3% 10 47,6% 0 0% / /
ANNÉE 3 21 8 38,1% 8 38,1% 15 71,4% 4 19%
Tableau 3-19 Les verbes à trois bases à l'écrit
V Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique Autre modèle
# # % # OK % # OK % # %
ANNÉE 1 17 8 47,1% 9 52,9% 9 52,9% / /
ANNÉE 2 19 16 84,2% 17 89,5% 17 89,5% / /
ANNÉE 3 35 22 62,9% 29 82,9% 27 77,1% 2 5,6%
58
Nous constatons à partir des tableaux ci-dessus que l’accord sujet-verbe des verbes à trois
bases se maîtrise également mieux à l’écrit qu’à l’oral. À l’écrit, nous observons plus de verbes
modaux, qui sont plus fréquents dans l’input (voir supra). De plus, Ågren (2005) constate que
[l]’emploi des formes verbales sont/ont/vont/font et des verbes irréguliers modaux
et thématiques sous leur forme cible (ils veulent, ils mettent…) se voit plus tôt à l’écrit
qu’à l’oral. Le fait que les apprenants ont un temps suffisant pour élaborer et planifier
leurs textes dans une tâche écrite pourrait effectivement rendre compte d’une partie
de ces différences entre les deux modes de production linguistique. (Ågren 2005 : 140)
Cela correspond avec les données de nos corpus.
Les formes fautives dans le corpus oral de la première année sont dans la plupart des cas
non finies (voir annexe et supra). À l’écrit, en revanche, les apprenants font de leur mieux de
conjuguer les verbes concernés. Les verbes modaux devoir, pouvoir et vouloir sont déjà
corrects, à côté du verbe venir. Une forme de ce même verbe se conjugue sans changement du
radical (*vennent).
Le nombre des formes correctes dans le corpus écrit de la deuxième année prend un essor
énorme. Presque tous les verbes se conjuguent de façon correcte, dont deux verbes modaux
pouvoir et vouloir, et prendre et venir, qui sont tous fréquents dans l’input. Le taux des formes
correctes baisse légèrement à la troisième année. Là, les formes réussies sont issues des verbes
modaux fréquents devoir, pouvoir, vouloir d’une part, et de venir, devenir, dire et comprendre
d’autre part. Les erreurs, en revanche, touchent les verbes qui ne sont pas fréquents dans
l’input, comme apercevoir. L’accord lexical de ce verbe n’est pas réussi, alors que l’accord
morphologique se base sur le schéma de conjugaison du verbe voir (voir infra). Ce processus
est surtout observé dans les corpus de la troisième année, dans les deux registres.
Finalement, l’accord morphologique pose généralement autant de problèmes que l’accord
lexical, contrairement aux constatations pour les autres classes verbales. La conjugaison des
verbes à trois bases doit s’apprendre sous forme d’items (voir supra), ce qui entraîne que la
forme entière (l’accord lexical et morphologique) devrait s’accorder plus précocement au sujet.
C’est également la raison pour laquelle nous retrouvons peu de formes modales correctes dans
les corpus de la première année : ce type de verbe n’est pas encore très fréquent dans l’input.
Pour les verbes à trois bases, nous concluons que l’accord est plus accompli à l’écrit qu’à l’oral,
pour les trois années. La plupart des verbes à trois bases sont des verbes modaux, qui
apparaissent plus souvent et plus précocement accordés à leur sujet (voir Parodi 2000,
Schlyter & Bartning 2005) à l’écrit qu’à l’oral (voir Ågren 2005).
59
Dans le chapitre qui suit, nous traiterons les formes verbales selon leur sujet, toujours en
distinguant les différents types de verbes. En même temps, nous comparerons les productions
orales aux productions écrites. Nous commencerons par la 3ps, suivie par la 3pp. Puis, nous
étudierons les formes verbales de la 1ps et de la 2ps et nous terminerons par les formes au
pluriel.
3.3 Accord sujet-verbe selon les sujets
Cette partie comporte l’analyse des formes verbales correspondant à leur sujet. Nous
aborderons toutes les catégories, à l’exception des verbes irréguliers. L’analyse détaillée se
trouve déjà dans la section 3.2.3, où nous avons clarifié les caractéristiques des erreurs à l’oral
et à l’écrit avec les sujets correspondants.
3.3.1 La troisième personne du singulier
Les tableaux suivants affichent le taux des formes correctes dans les corpus des trois années
(A1, A2 et A3), ainsi que le nombre des formes accordées lexicalement et morphologiquement
au sujet à la 3ps. La dernière colonne indique si la forme verbale a reçu le suffixe d’une autre
personne de la conjugaison.
Tableau 3-20 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3ps à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 74 23 31% 63 85,1% 27 36,5% / /
A2 - 3ps 106 64 60,4% 96 90,1% 65 61,3% / /
A3 – 3ps 85 73 85,9% 84 98,8% 75 88,2% / /
Tableau 3-21 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 43 24 55,8% 40 93% 24 55,8% / /
A2 - 3ps 75 43 57,3% 74 98,7% 44 58,7% 15x
1ps/2ps 20%
A3 - 3ps 113 77 68,1% 108 95,6% 79 69,9% 11x
1ps/2ps 9%
60
Tableau 3-22 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3ps à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 44 7 15,9% 10 22,7% 8 18,2% / /
A2 - 3ps 61 32 52,5% 36 59% 32 52,5% / /
A3 - 3ps 51 35 68,6% 36 70,6% 37 72,5% / /
Tableau 3-23 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 7 2 28,6% 4 57,1% 2 28,6% / /
A2 - 3ps 21 13 61,9% 21 100% 13 61,9% 4x
1ps/2ps 19%
A3 - 3ps 36 20 55,6% 35 97,2% 21 58,3% 13x 36,1%
Tableau 3-24 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3ps à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 15 1 6,7% 1 6,7% 1 6,7% / /
A2 - 3ps 15 6 40% 8 53,3% 9 60% / /
A3 - 3ps 15 5 33,3% 5 33,3% 11 73,3% / /
Tableau 3-25 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3ps 2 0 0% 1 50% 0 0% 1x
1ps/2ps 50%
A2 - 3ps 4 3 75% 3 75% 3 75% / /
A3 - 3ps 17 8 47,1% 14 82,4% 10 58,8% 2ps, 2x
1ps/2ps,
2pp 23,5%
Le taux relativement bas des formes correctes de la 3ps nous étonne, aussi bien à l’écrit qu’à
l’oral et pour les trois années, puisqu’il devrait s’agir de la forme la plus accessible et la plus
maîtrisée dès le début de l’apprentissage (Bybee 1991, Ågren & Van de Weijer 2012, Schlyter
& Bartning 2005, Michot 2014, 2015). Le taux des formes correctement accordées augmente
au fil des années mais reste cependant relativement bas.
Lorsque nous examinons de plus près les formes fautives à l’écrit, nous apercevons
qu’elles comportent tant des verbes en –ER (47 occurrences) et en –IR (type courir, 5
61
occurrences), que ceux en –RE (35 occurrences). Il ne s’agit pourtant pas des verbes qui sont
rares dans l’input : entendre, pleurer, creuser, crier, tomber, chercher, etc. à côté des verbes qui
sont peut-être moins saillants, comme conclure, désigner, prédire, mordre, etc. Le taux bas
pourrait s’expliquer par le fait que quelques verbes ne sont pas fréquents dans l’input, mais
cette raison n’est pas satisfaisante : nous retrouvons également des formes fautives qui sont
certainement nombreuses dans l’apport verbal des apprenants. Le même vaut pour les formes
incorrectement produites à l’oral (accuser, tomber, parler, courir, montrer, etc.). Le critère de la
fréquence n’est par conséquent pas tout à fait satisfaisant (voir aussi les résultats de Granget
2005).
Passons à l’analyse des verbes à une base. Dans la plupart des cas, c’est l’accord morphologique
qui pose le problème : le suffixe ne correspond pas au sujet ou au modèle de conjugaison (voir
supra), ou les formes produites sont celles de l’infinitif :
A1 – 18 (321) : La petite fille *mordre à moi
A1 – 11 (215) : Bobby *creuser un puits
A1 – 3 (57) : et quelqu’un *conclure prédire son avenir à quelqu’un
A2 – 1 (25) : la fille mordes moi!
A2 – 14 (403) : La fille pleur
A3 – 1 (17) : elle criet
A3 – 6 (179) : Elle mords moi
A3 – 12 (333) : elle pleurt trop
Concernant les verbes à deux bases, le problème qui se pose concerne également plutôt
l’accord morphologique, bien que l’accord lexical ne soit pas tellement accompli non plus. Les
apprenants de la première année produisent surtout des formes non finies ou des formes qui
suivent le modèle de la première conjugaison (voir supra) :
A1 – 1 (4) : Le capitain *voir le train
A1 – 3 (49) : Haddock *saise le fille
A1 – 9 (159) : Bobby *sentir quelque chose
Dans les deux dernières années, le suffixe muet – le morphogramme – est la cause principale
du faux accord à l’écrit : les formes de la 3ps se confondent avec celles de la 1ps ou de la 2ps,
comme nous l’avons prévu. Le même phénomène apparaît dans le corpus écrit des verbes à
une base :
A2 – 3 (89) : Milou *cours derière la fille
A2 – 7 (179) : et il *creuses un puits
62
A2 – 15 (436) : Aw elle *mords-moi!
A3 – 5 (144) : et elle *mords dans le main de Capitaine Haddock
A3 – 11 (309) : fille qui *pleurs!
A3 – 15 (436) : il *lis la main le capitaine
A2 – 8 (231) : Milou la *saisis !
A2 – 20 (551) : Bobby *sens un chat
A2 – 20 (554) : Tintin *vois le écureuil
A3 – 5 (145) : Capitaine Haddock *bats la fille et elle part
A3 – 7 (207) : Elle *pars
A3 – 8 (221) : Mais il ne *sais pas quoi
La confusion des formes de la 1ps, la 2ps et de la 3ps à l’écrit est beaucoup plus modeste dans
la catégorie des verbes à trois bases, bien qu’elle soit présente :
A1 – 6 (101) : Zut! Il *veux saiser la fille mais elle est *partir
A3 – 1 (13) : elle ne nous *apercevois pas
A3 – 13 (365) : Oh, non elle *apercevois nos
Un verbe prend la forme de la 2pp :
A3 – 9 (256) : Capitain Haddock *dites tu ne peux pas aller seule dans la forêt
Les autres erreurs des verbes à trois bases ne concernent que l’accord lexical. Les étudiants de
la troisième année s’efforcent de conjuguer les verbes, en ajoutant le suffixe à un radical fautif,
parallèlement aux apprenants suédophones de l’étude d’Ågren (2005) et aux apprenants
germanophones de Granget (2005) : l’accord se réalise d’abord de façon morphologique et non
de façon lexicale, comme le montrent les exemples ci-dessous :
A3 – 5 (133) : Tintin *apercevoit ça aussi
A3 – 10 (273) : Elle n’*apercevoit pas que Tintin et capitaine Haddock s'approcher
A3 – 8 (222): Haddock *aperceve un train
Le corpus écrit des élèves de la deuxième année, en revanche, comporte encore plus de formes
non finies de ce type de verbe.
À l’oral, le taux des formes correctes est de nouveau relativement bas, sauf dans le corpus oral
de la troisième année. La grande majorité des verbes à une base sont des formes non finies, et
il y en a plus que dans le corpus écrit :
63
A1 – 6 (30) : le tram /*freiné, freiner/ (/lə tʀam *fʀɛne/)
A1 – 16 (40) : Tintin - /*promener, promené/ dans la forêt (/tɛ̃tɛ̃ -
*pʀɔməne dɑ̃ la fɔʀɛ/)
A2 – 12 (237) : et quelqu'un /*tirer, tiré/ le signal d'alarme
/e kɛlkɛ̃ *tiʀe lə siɲal dalaʀm/
A3 – 10 (147) : Tintin /*tomber, tombé/ (/tɛ̃tɛ̃ *tɔ̃be/)
A3 – 14 (199) : Tintin *courir dans le couleur couloir
(/tɛ̃tɛ̃ *kuʀiʀ dɑ̃ lə kulœʀ kulwaʀ/)
Les formes erronées des verbes à deux bases à l’oral sont en grande mesure du même type
que celles à l’écrit54 : les causes principales des erreurs sont la finitude verbale et le faux modèle
de conjugaison :
A1 – 16 (43) : un avion – *descendre (/ɛ̃n- avjɔ̃ - *desɑ̃dʀə/)
A1 – 17 (102) : Tintin - *entendre un bru (/tɛ̃tɛ̃ - *ɑ̃tɑ̃dʀə ɛ̃ bʀy/)
A1 – 18 (140) : Tintin - ja nee - Tintin - *parti au l'hôpital (/tɛ̃tɛ̃ - ja ne - tɛ̃tɛ̃ -
*paʀti o lɔpital/)
A1 – 19 (173) : Tintin *dormi dans le train (/tɛ̃tɛ̃ *dɔʀmi dɑ̃ lə tʀɛ̃/)
A2 – 1 (29) : Kuifje *dorme dans le train (/kœyfjə *dɔʀmə dɑ̃ lə tʀɛ̃/)
A2 – 12 (242) : Quelqu'un *saisir tintin (/kɛlkɛ̃ *seziʀ tɛ̃tɛ̃/)
A3 – 4 (2) : Il *entendre un bruit (/il *ɑ̃tɑ̃dʀə ɛ̃ bʀɥi/)
A3 – 9 (120) : Il /*paʀti/ et /*sɔʀti/ l'hôpital (/il *paʀti e *sɔʀti lɔpital/)
La seule forme orale correcte à trois bases produite par un apprenant de la première
année, provient du verbe prendre :
A1 – 23 (192) : et un homme – pr- - prend un pistolet (/e ɛ̃n- ɔm - pʀ- -
pʀɑ̃ ɛ̃ pistɔle/)
Quatre formes fautives sont des formes dont l’accord (lexical et morphologique) n’est pas
réussi. Un élève (23) essaie de conjuguer les verbes selon un autre modèle qu’il connaît déjà
(selon voir et parler) :
A1 – 18 (148) : un homme - réprend- *réprende (/ɛ̃n- ɔm - ʀepʀo- *ʀepʀɑ̃də/)
A1 – 23 (184) : kuifje - *apre- cevoit un bruit (/kœyfjə - *apʀə- səvwa ɛ̃ bʀɥi/)
A1 – 23 (208) : et un homme aprecevoit Kuifje (/e ɛ̃n- ɔm *apʀəsəvwa kœyfjə/)
A1 – 23 (216) : Il euh *reprende conscience (/il œ *ʀəpʀɑ̃də kɔ̃sjɑ̃s/)
54 Pourtant, la confusion entre les formes de la 1ps, la 2ps ou de la 3ps ne peut pas s’observer à l’oral, parce qu’il s’agit des homophones. Cette confusion est par conséquent propre à l’écrit.
64
Les autres formes sont des formes non finies (apercevoir, reprendre, s’assoir, recevoir).
Les tentatives de conjugaison des apprenants des deux dernières années sont plus réussies,
aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Les formes correctes sont issues des verbes modaux ou des
verbes fréquents dans l’input des années 2 et 3 : vouloir, pouvoir, s’assoir, (re)prendre,
comprendre, devenir, dire et venir. Les verbes qui posent encore des problèmes sont apercevoir
et quelques verbes déjà mentionnés.
Les formes orales à trois bases erronées se rapprochent formellement de celles à l’écrit,
bien qu’il y ait légèrement plus de formes non finies (reprendre, apercevoir, s’assoir) à l’oral. En
suivant un autre modèle de conjugaison55, les apprenants produisent des formes verbales telles
que
A2 – 1 (28) : et il *apercevoit les gens de l'avion (/il *apɛʀsəvwa le ʒɑ̃ də lavjɔ̃/)
A2 – 2 (44) : il *apreçoit aprecevoit un avion (/il *apʀeswa apʀəsəvwa ɛ̃n avjɔ̃/)
A2 – 8 (125) : il *aprecevoit (/il apʀəsəvwa/)
A3 – 10 (162) : il *apercevoit Tintin (/il *apɛʀsəvwa tɛ̃tɛ̃/)
A3 – 15 (235) : il *apercevoit quelques personnes qui /lis, lit/ le journal
(/il *apɛʀsəvwa kɛlkə pɛʀsɔn ki li lə ʒuʀnal/).
Nous concluons que la production des formes de la 3ps est plutôt décevante, aussi bien à l’écrit
qu’à l’oral. Étant donné que cette forme est normalement d’abord acquise, nous nous sommes
attendue à plus de formes accordées. Les formes de la 1ps, la 2ps et de la 3ps se confondent à
l’écrit, comme nous l’avons prévu, surtout dans les corpus écrits des dernières années. De plus,
le faux modèle de conjugaison et la finitude sont encore à la base des erreurs, tant à l’écrit qu’à
l’oral. Pourtant, à l’oral nous comptons plus de formes non finies, dans chaque classe verbale.
3.3.2 La troisième personne du pluriel
Tableau 3-26 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3pp à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 20 6 30% 15 75% 6 30% (1pp)
A2 - 3pp 25 10 40% 20 80% 10 40% /
A3 - 3pp 7 4 57,1% 6 85,7% 4 57,1% (1pp)
55 Ici, les apprenants se fient à la conjugaison du verbe fréquent voir. C’est aussi la raison pour laquelle apercevoir s’emploie plus de manière finie que les autres verbes reprendre et s’assoir, qui sont moins fréquents dans l’input.
65
Tableau 3-27 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 3pp à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 10 9 90% 10 100% 9 90% 1x 3ps 10%
A2 - 3pp 15 14 93,3% 15 100% 14 93,3% 1x 3ps 6%
A3 - 3pp 28 20 71,4% 28 100% 21 75%
3x 3ps ;
(3x
1ps/2ps)
10,7%
Tableau 3-28 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3pp à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 16 0 0% 11 68,8% 0 0% 1x 3ps 6,3%
A2 - 3pp 18 2 11,1% 9 50% 2 11,1% 5x 3ps 27,8%
A3 - 3pp 12 0 0% 4 33,3% 0 0% 7x 3ps ;
(2x 1pp) 58,3%
Tableau 3-29 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 3pp à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 10 1 10% 3 30% 5 50% / /
A2 - 3pp 13 1 7,7% 2 15,4% 10 76,9% 1x 3ps 7,7%
A3 - 3pp 27 20 74,1% 25 92,6% 22 81,5% 1x 3ps 3,7%
Tableau 3-30 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3pp à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 2 0 0% 0 0% 0 0% / /
A2 - 3pp 2 1 50% 1 50% 1 50% / /
A3 - 3pp 1 0 0% 0 0% 0 0% / /
Tableau 3-31 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 3pp à l'écrit
# Formes correctes Accord lexical Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 3pp 2 0 0% 0 0% 1 50% / /
A2 - 3pp 2 1 50% 1 50% 2 100% / /
A3 - 3pp 7 4 57,1% 4 57,1% 7 100% (1pp) (14,3%)
66
En comparaison avec l’accord de la 3ps, la 3pp est formellement plus marquée à l’écrit dans
toutes les classes verbales, ce qui est à l’encontre des constatations d’Ågren (2005) mais
conformément à celles de Hedbor (2005). À l’oral, en revanche, le marquage de la 3pp est tardif,
parallèlement aux données de Bartning & Schlyter (2004), de Schlyter & Bartning (2005) et
d’Ågren & Van de Weijer (2012).
Les formes verbales à une base de la 3pp sont presque toutes conjuguées avec succès à l’écrit,
malgré la morphologie silencieuse qui touche la plupart de ces formes verbales. Les apprenants
des trois années ne semblent donc pas avoir de problèmes avec cette morphologie
silencieuse56, conformément aux résultats de Granget (2005) :
A1 – 2 (19) : Et la ils creusent un puits
A1 – 6 (94) : Ils s'approchent chez le bruit
A2 – 3 (92) : Ils entendent un bruit et ils courent derière Milou
A2 – 7 (202) : Les tsiganes remercient Tintin
A3 – 8 (226) : Ils concluent aller au le train
A3 – 12 (323) : Ils montent une montagne
Il n’y a que deux formes à une base dans les deux corpus écrits des deux premières années qui
prennent la forme de la 3ps :
A1 – 3 (55) : Ils *apporte à les tsiganes
A2 – 20 (557) : Soudainement ils *entend quelqu'un
Dans le corpus écrit de la troisième année, nous retrouvons trois de telles formes, deux fois
chez le même apprenant :
A3 – 7 (199) : Ils *montre la forêt et *apercevoient
A3 – 7 (203) : et ils *demande
A3 – 10 (266) : Capitaine Haddock indique les gens qui *creuse un puits
D’ailleurs, l’emploi de la forme de la 3ps n’apparaît que deux fois dans la catégorie des verbes
à deux bases :
A2 – 17 (495) : Ils se *promenent dans la forêt et *voit les tsiganes
A3 – 16 (456) : Ils *voit qui un accident est passé
56 Hedbor (2005) note que le marquage de la 3pp suit une règle facile: il faut simplement ajouter –ent ou –nt au radical, ce qui favorise la production réussie.
67
Quelques formes correctes de la 3pp subissent un changement du radical à l’oral par rapport à
celle du singulier, la morphologie silencieuse ne joue ici par conséquent aucun rôle :
A1 – 3 (52) : Ils entendent un bruit
Ce qui pourrait avoir influencé la production correcte, est le « oral cue » (Largy & Fayol 2001)
qui distingue la forme du pluriel de celle du singulier, et qui faciliterait l’accord à l’écrit (/ɑ̃tɑ̃/,
/ɑ̃tɑ̃d/).
Pourtant, les résultats des verbes à plusieurs bases contredisent cette thèse, qui ne s’applique
qu’aux natifs. Elle n’est donc pas transposable aux apprenants FL2 : ils sont encore insensibles
aux clés orales, et la conjugaison des verbes à plusieurs bases ne se maîtrise pas suffisamment,
ni à l’oral ni à l’écrit. L’input frequency de tels verbes doit être faible (voir Ågren & Van de Weijer
2012). Ainsi, la morphologie écrite ne peut pas bénéficier de la morphologie orale. Les
apprenants semblent déjà appliquer la règle « si pluriel, alors toujours + –(e)nt »
presqu’automatiquement sans tenir compte du type de verbe.
En conséquence, l’accord morphologique se manifeste relativement tôt et
conséquemment à l’écrit, sans que le radical change. Pour les verbes à plusieurs bases, cela
signifie que le marquage de l’accord verbal est prioritairement morphologique et non lexical
(voir aussi Ågren 2005, 2008, Granget 2005, Hedbor 2005, Michot 2015) :
A1 – 11 (211) : Kuifje et Haddock *promenent dans la forêt
A2 – 17 (495) : Ils se *promenent dans la forêt et voit les tsiganes
A3 – 7 (192) : Mais ils ne *reconnaient pas le sent
A3 – 10 (269) : Ils ne *saient pas quoi
A1 – 12 (236) : *Vennent, nous allons
A2 – 3 (80) : Soudainement, ils *apercevoitent un camp des tsiganes
A3 – 3 (80) : Ils *apercevoiient la fille
A3 – 7 (199) : Ils *montre la forêt et *apercevoient
A3 – 14 (402) : Et ils *apercevent que
Les formes reconnaient et saient prennent le radical du singulier comme base, auquel s’ajoute
le suffixe de la 3pp sans que le radical change. Ågren (2005) a observé le même phénomène :
Pour ce qui est des verbes irréguliers avec changement de radical en français L2, il est
parfois question d’une expression de formes non existantes dans la langue française,
souvent à partir d’une forme à la 1ps ou 3ps ou d’une forme provenant de l’infinitif.
(Ågren 2005 : 104)
68
Finalement, nous remarquons encore les séquences écrites suivantes :
A1 – 17 (275) : Ils *sentens quelqe chause
A3 – 14 (394) : Tintin et Capitain Haddock *sents un chose bizzare
A3 – 5 (147) : Ils *entends qu’elle devient saisi de quelqu’un
A3 – 14 (404) : Tintin et capitaine Haddock *s’approches dans cette fille
Ici, « la logique de la pluralité » peut s’appliquer : selon Jaffré & David (1999), quelques
apprenants semblent adopter une règle telle que « si pluriel, alors toujours + s », surgénéralisée
aux formes verbales plurielles (voir aussi Totereau, Barrouillet & Fayol 1998).
En ce qui concerne le taux élevé de l’accord morphologique à l’écrit, Granget (2005) a
également remarqué que les apprenants germanophones en FL2 ont moins de difficultés avec
l’accord de la 3pp à l’écrit que les apprenants suédophones de Bartning & Schlyter (2004) à
l’oral et d’Ågren (2005) à l’écrit. Nous citons Granget (2005 : 123) : « une explication à la
présence précoce de l’accord avec la troisième personne du pluriel dans les récits écrits des
apprenants germanophones scolarisés pourrait […] être que l’accord sujet-verbe est
précocement et durablement enseigné en classe de langue et qu’il est apprenable, sachant la
L1. » Nous estimons que cela vaut également pour les apprenants néerlandophones. En classe
de langue, les enseignants insistent précocement sur la conjugaison écrite, et l’accord sujet-
verbe est un aspect de langue qui existe également en néerlandais. Pour les hypothèses
élaborées, voir Granget 2005 : 122-123.
À l’oral, en revanche, comme le note Ågren (2005),
Seul l’accord lexical étant audible, les études de l’oral ne peuvent pas rendre compte
de cette activité morphologique [la réalisation de l’accord morphologique, SS] précoce
en L2. L’explication de ce phénomène morphologique à l’écrit réside plutôt dans la
relation biunivoque entre la notion sémantique du pluriel et le morphème –nt. La
grande régularité de l’écrit et la haute fréquence type de –nt s’opposent de manière
nette à l’importante irrégularité du français parlé dans ce même domaine. Ce qui, dans
le mode oral, ressemble à une alternance inconséquente de consonnes correspond, à
l’écrit, à une représentation conséquente d’un même suffixe final. (Ågren 2005 : 140)
Lorsque nous analysons les formes orales de la 3pp, nous apercevons que celles-ci sont moins
réussies par rapport aux productions écrites : la plupart des formes sont non finies (voir supra
et en annexe). Nos données correspondent à celles de Hedbor (2005) : elle note que « d’après
nos données […], le pluriel semble être marqué assez conséquemment à un stade plus précoce
69
à l’écrit qu’à l’oral » (Hedbor 2005 : 152). Bartning & Schlyter (2004) et Schlyter & Bartning
(2005) signalent également un marquage assez tardif à l’oral.
En outre, les formes verbales erronées s’accompagnent majoritairement d’un syntagme
nominal en position sujet. Comme le note Granget (2005),
les verbes s’accordent moins en moyenne avec un syntagme nominal qu’avec un
pronom clitique. […] alors que les apprenants font majoritairement référence à
plusieurs personnages au moyen de pronoms clitiques, les cas de non-accord se
rencontrent uniquement avec un syntagme nominal en position sujet. En d’autres
termes, la propension à ne pas accorder le verbe avec le sujet pluriel est d’autant plus
forte que le sujet est un syntagme nominal. (Granget 2005 : 117)
Cette citation vaut pourtant pour l’écrit, mais elle est applicable aux deux registres : Michot
(2015) a constaté le même phénomène dans les productions orales des néerlandophones.
Granfeldt (2005) le corrobore également, à la fois pour l’oral et pour l’écrit :
[N]ous pouvons inférer de ces analyses que le taux de FLCs [Formes Lexicales
Conjuguées] est vraisemblablement plus élevé avec un sujet pronominal qu’avec un
sujet nominal. (Granfeldt 2005 : 77)
De plus, nous apercevons à l’oral considérablement plus de surgénéralisations de la forme de
la 3ps par rapport à l’écrit57, qui ne touchent que les verbes à deux bases58 :
A1 – 23 (207) : Deux hommes *lit le journal (/døz- ɔm *li lə ʒuʀnal/)
A2 – 3 (98) : les deux garçons *dit oui oui (/le dø ɡaʀsɔ̃ *di wi wi/)
A3 – 4 (16) : ses copains *rend euh visite (/se kɔpɛ̃ *ʀɑ̃ œ vizit/)
A3 – 15 (214) : il y a quelques personnes qui - *sort l'avion (/il j-a kɛlkə pɛʀsɔn ki
*sɔʀ lavjɔ̃/)
Ensuite, cinq formes orales erronées de la 3pp sont les suivantes :
A1 – 18 (122) : Tintin et Bobby /*pʀɔmənɔ̃/ (/tɛ̃tɛ̃ e bɔbi - *pʀɔmənɔ̃/)
A3 – 14 (191) : Dupond et Dupont /*ɡlɛs- -sɔ̃/ (/dypɔ̃ e dypɔ̃ - ɡlɛ- *ɡlɛs- -sɔ̃/)
A3 – 9 (113) : Dupond et Dupont euh *rend- - /*ʀɑ̃dɔ̃/ visite (/dypɔ̃ e dypɔ̃ œ ʀɑ̃-
*ʀɑ̃dɔ̃ vizit/)
57 En partie en raison du fait que seul l’accord lexical est audible, voir la citation d’Ågren 2005 : 140 supra. 58 Car les formes des verbes à une base de la 3ps et la 3pp sont des homophones (/il paʀle/ = ils parlent et il parle), les apprenants prennent, par analogie, la forme de la 3ps au lieu de celle de la 3pp pour les verbes à deux bases.
70
A3 – 9 (122) : Ils [les gens] li- - /*lizɔ̃/ le journal (/il – li- *lizɔ̃ lə ʒuʀnal/)
A3 – 9 (123) : Ils [les gens] - /*apɛʀsəvɔ̃/ Tintin (/il - *apɛʀsəvɔ̃ tɛ̃tɛ̃/)
À première vue, il s’agit de la forme de la 1pp promenons, glissons, rendons, lisons ou apercevons:
Un […] phénomène qui souligne l’instabilité de l’emploi des morphèmes verbaux […]
est la production de formes accordées avec le morphème –ons de la 1ère personne du
pluriel dans un contexte de la 3pl […]. (Ågren 2008 : 178)
Le suremploi des suffixes des verbes irréguliers est une autre possibilité :
Une dernière remarque en ce qui concerne ce groupe de verbes concerne une tendance
[…] d’employer le –ont pour accorder les verbes au pluriel […]. À notre avis, ce
suremploi pourrait être lié au modèle des verbes irréguliers fréquents : sont, ont, vont
et font. […] le rôle dominant de ces formes verbales, […] indique une sensibilité de la
part des apprenants non seulement pour la fréquence type (-nt), mais également pour
la fréquence d’occurrence. Le [ɔ̃], transcrit comme -ont/-ons, paraît contagieux […].
(Ågren 2008 : 178-179)
Les suffixes de/pʀɔmənɔ̃/, /ɡlɛsɔ̃/, /ʀɑ̃dɔ̃/, /apɛʀsəvɔ̃/ et /lizɔ̃/ peuvent être transcrits comme -
ons ou -ont, ce qui valide les deux options. Nous préférons cependant le suremploi des suffixes
des verbes irréguliers.
En ce qui concerne les verbes à trois bases, les deux formes produites par les apprenants de la
première année sont non finies. Un apprenant de la deuxième année a tenté de conjuguer le
verbe en suivant un autre modèle, parallèlement au processus à l’écrit :
A2 – 2 (63) : les garçons /*apʀəzwa/ Tintin (/le ɡaʀsɔ̃ *apʀezwa tɛ̃tɛ̃/)
La seule forme à trois bases produite à la troisième année finit par un suffixe supplétif (voir
supra).
En résumant, la 3pp à l’écrit est en général précocement marquée morphologiquement, quelle
que soit la classe verbale. Les « oral cues » dont Largy & Fayol (2001) parlent, n’influencent par
conséquent pas la conjugaison écrite : l’accord lexical ne se maîtrise pas suffisamment pour
profiter des clés orales. Ainsi, l’hypothèse 4 (« l’audibilité de l’accord facilite la conjugaison
verbale à l’écrit ») est partiellement contestée. À l’oral, en revanche, l’accord morphologique se
réalise rarement : le marquage de la 3pp y est tardif. La plupart des erreurs produites
concernent la finitude ou sont des formes de la 3ps, qui apparaissent rarement à l’écrit.
71
Finalement, nous avons constaté que quelques formes orales sont marquées par le suffixe des
verbes irréguliers, –ont. Quoi qu’il en soit, l’accord se manifeste toujours plus précocement à
l’écrit qu’à l’oral.
3.3.3 La première et deuxième personne du singulier
Les tableaux suivants représentent l’accord sujet-verbe de la 1ps et de la 2ps :
Tableau 3-32 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1ps à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1ps 1 1 100% 1 100% 1 100% / /
A2 - 1ps 2 1 50% 2 100% 1 50% / /
Tableau 3-33 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1ps et à la 2ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1ps 16 11 68,8% 16 100% 11 68,8% 2x 3ps 12,5%
A2 - 1ps 36 31 86,1% 36 100% 31 86,1% 5x 3ps ;
2pp 16,7%
A3 - 1ps 14 13 92,9% 14 100% 13 92,9% / /
A1 - 2ps 13 7 53,5% 12 92,3% 7 53,5% 1x 3ps 7,7%
A2 - 2ps 38 25 65,8% 34 89,5% 26 68,4% 4x 3ps 10,5%
A3 - 2ps 11 7 63,3% 10 90 ,9% 8 72,7% / /
Tableau 3-34 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1ps et à la 2ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1ps 15 7 46,7% 8 53,3% 7 46,7% / /
A2 - 1ps 23 19 82,6% 21 91,3% 20 87% 1x 3ps 4,3%
A3 - 1ps 7 4 57,5% 5 71,4% 6 85,7% 1x 3ps 14,3%
A1 - 2ps 11 1 9% 8 72,7% 1 9% 2x 3ps 18,2%
A2 - 2ps 16 8 50% 11 68,8% 9 56,3% / /
A3 - 2ps 4 3 75% 4 100% 3 75% 1x 3ps 25%
72
Tableau 3-35 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 1ps et à la 2ps à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1ps 2 1 50% 1 50% 1 50% / /
A2 - 1ps 7 7 100% 7 100% 7 100% / /
A3 - 1ps 3 3 100% 3 100% 3 100% / /
A1 - 2ps 6 3 50% 3 50% 3 50% 1x 3pp 16,7%
A2 - 2ps 5 4 80% 5 100% 4 80% 1x 3ps 20%
A3 - 2ps 6 5 83,3% 6 100% 5 83,3% 1x 3ps 16,7%
Les formes de la 1ps à une base sont en général presque maîtrisées à l’oral59 et à l’écrit60. Celles
de la 2ps restent encore à la traîne. Concernant les formes à plusieurs bases, elles
n’apparaissent qu’à l’écrit. Le taux des formes correctes à deux bases est plus bas, celui des
verbes à trois bases, par contre, est à nouveau plus élevé grâce à l’apparition des verbes
modaux (voir supra et infra).
Dans tous les corpus écrits, la plupart des formes erronées concernent l’accord
morphologique. Par exemple, les formes verbales de la 1ps, la 2ps, la 3ps et même celles de la
2pp et de la 3pp (*devont, suffixe des verbes irréguliers61) se confondent à l’écrit :
A1 – 8 (129) : Oohn j'*entend quelque chose
A2 – 16 (468) : Je vous *aidez62
A2 – 14 (402) : J'*entend la fille aussi
A3 – 11 (290) : Je *pens que le sens à de la gauche !63
A3 – 2 (28) : Je *sent quelque chose
A3 – 13 (356) : Tintin *sent-toi aussi ?
A1 – 8 (144) : Tu ne *devont pas être lang
A2 – 2 (53) : *Vient !
A3 – 11 (315) : *Dit quel que chose !
59 Nous n’avons répertorié que trois formes orales à une base de la 1ps : le syntagme verbal je pense a été attesté deux fois (A2 – 20.292 ; A1 – 16.63), l’autre forme produite est fautive : /e mwa ʒə *kuʀi/ (A2 – 13.254). 60 Les pourcentages sont moins pertinents que les chiffres absolus, puisque le taux des formes attestées est bas. 61 Il est bizarre que cette forme apparaisse après un sujet de la 2ps et non après un sujet de la 3pp, où nous l’avons déjà rencontrée. 62 Le pronom personnel qui précède immédiatement le verbe est dans la plupart des cas pris comme référence d’accord. Le pronom personnel vous juste avant le verbe est la cause de l’accord fautif. 63 La forme *pens peut être une erreur d’orthographe ou une erreur de fausse analogie : ainsi, la forme prend le suffixe –s de la conjugaison du type partir.
73
Les autres formes fautives sont surtout conjuguées d’après un autre modèle64 ou sont non
finies65. Les erreurs sont dans les trois années du même type :
A1 – 5 (84) : Tu *mordes moi !
A1 – 10 (187) : Tu *entende
A1 – 12 (232) : Chouette, un promenade ! Tu *entendes aussi une fille pleurer ?
A2 – 6 (165) : Tu *entendes ça ?
A2 – 6 (169) : Bête fille, tu ne *mordre pas!
A3 – 1 (10) : *monts le (berg)
A3 – 6 (178) : Pourquoi tu *pleurs?
A1 – 5 (73) : Je sente quelque chose
A1 – 19 (324) : Je sentis quelque chose
A2 – 11 (308) : Je saise toi !
A2 – 13 (357) : Je sentes quelque choses ?
A2 – 18 (505) : Je sents quoi
A3 – 1 (3) : Je ne sents pas les plantes
A1 – 4 (62) : Tintin, *voir quelque chose?
A1 – 6 (113) : Comment tu *t’appelle ?
A1 – 18 (294) : tu *sente aussi quelqe chose
A2 – 11 (315) : *Saise elle !!
A2 – 12 (334) : *Saisi elle !
A2 – 14 (407) : Tu *t’appeles comment
Les apprenants font à nouveau preuve d’une insensibilité aux clés orales. Les formes produites
seront également fautives à l’oral, ce qui confirme que la maîtrise de la conjugaison verbale se
concentre surtout sur l’écrit, et que la morphologie écrite ne bénéficie pas de la morphologie
orale (voir supra, 3pp).
Les formes à trois bases de leur part sont presque toutes correctes à l’écrit : la majorité
provient des verbes modaux. Ce type de verbe s’apprend sous forme d’items, qui doivent être
fréquents dans l’input66. C’est le cas pour les deux dernières années : les formes de la 1ps
produites sont notamment toutes correctes. Des deux formes attestées dans le corpus de la
64 La plupart des suffixes erronés sont issus de la première conjugaison : -E ou –ES. 65 Les formes non finies n’apparaissent qu’après un sujet à la 2ps, et surtout dans le corpus de la première année. 66 Étant donné le taux bas des verbes modaux et des formes correctes dans le corpus écrit de la première année, nous estimons que ce type de verbes n’est pas encore tellement fréquent dans l’input.
74
première année, une en est réussie. La forme fautive est une forme non finie (je *apercevoir),
le reste provient des verbes modaux et du verbe comprendre :
A1 – 12 (242) : je veux
A2 – 9 (243) : Je peux demandé
A2 – 14 (424) : Non je ne veux pas
A3 – 2 (58) : je veux batte on elle maintenant
A3 – 11 (299): je peux savoir quoi
A3 – 6 (165) : je ne comprends pas
La confusion avec la forme verbale de la 3ps apparaît rarement.
Concernant les formes écrites de la 2ps, elles sont moins réussies que celle de la 1ps, bien qu’il
s’agisse d’un écart faible. Les apprenants de la première année produisent encore des formes
non finies (apercevoir). Dans les autres corpus, le suffixe muet erroné est la raison principale
du faux accord (voir supra). Les formes correctes procèdent de nouveau des verbes modaux,
ainsi que du verbe venir :
A1 – 11 (227) : Kuifje tu peux m'aider?
A1 – 19 (326) : Viens
A2 – 8 (212) : Viens, on va regarder
A2 – 16 (473) : Viens ici! têtu fille!
A3 – 5 (139) : Tu ne dois pas avoir peur de moi
A3 – 9 (257) : Tu ne peux pas aller seule dans la forêt
En conclusion, les formes de la 1ps à une et à trois bases sont généralement maîtrisées, la
conjugaison de la 2ps se développe plus lentement. Surtout celle des verbes à trois bases est
réussie, puisque les formes proviennent des verbes modaux qui sont fréquents dans l’input,
sous forme d’items.
De plus, dans tous les corpus écrits, les formes erronées sont essentiellement engendrées
par l’accord morphologique. Quelques cas de confusion entre la 1ps, la 2ps et la 3ps sont
attestés, principalement pour les formes des verbes à une et à deux bases. Les autres erreurs
sont liées au faux modèle de conjugaison ou à la finitude.
75
3.3.4 La première et deuxième personne du pluriel
Les tableaux suivants résument les taux d’accord concernant les formes verbales de la 1pp et
de la 2pp :
Tableau 3-36 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1pp à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
1pp 1 0 0% 1 0% 0 0% (2pp) 100%
Tableau 3-37 La conjugaison verbale des verbes à une base à la 1pp et à la 2pp à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1pp 4 4 100% 4 100% 4 100% / /
A2 - 1pp 10 10 100% 10 100% 10 100% / /
A3 - 1pp 4 4 100% 4 100% 4 80% / /
A1 - 2pp 8 1 12,5% 7 87,5% 1 12,5% / /
A2 - 2pp 4 3 75% 3 75% 4 100% / /
A3 - 2pp 4 3 75% 3 75% 4 100% / /
Tableau 3-38 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1pp à l'oral
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1pp 1 1 100% 1 100% 1 100% / /
Tableau 3-39 La conjugaison verbale des verbes à deux bases à la 1pp et à la 2pp à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 – 1pp 2 0 0% 0 0% 1 50% / /
A2 - 1pp 7 5 71,4% 5 71,4% 7 100% / /
A3 - 1pp 4 2 50% 4 100% 2 50% 2x 2pp 50%
A1 - 2pp 2 0 0% 2 80% 0 60% / /
A2 - 2pp 1 0 0% 1 100% 0 0% / /
76
Tableau 3-40 La conjugaison verbale des verbes à trois bases à la 1pp et à la 2pp à l'écrit
# Formes
correctes Accord lexical
Accord
morphologique
Suffixe autre
personne
A1 - 1pp 2 2 100% 2 100% 2 100% / /
A2 - 1pp 1 1 100% 1 100% 1 100% / /
A3 - 1pp 2 2 100% 2 100% 2 100% / /
A1 - 2pp 2 2 100% 2 100% 2 100% / /
Les formes verbales à une et à trois bases de la 1pp sont toutes correctes à l’écrit : elles se
maîtrisent précocement (voir Schlyter & Bartning 2005). Le suffixe qui marque la 1pp est très
régulier, il a notamment un haut degré de reconnaissance. De plus, le radical est le même que
celui de l’infinitif, ce qui est un aspect facilitant :
A1 – 13 (10) : Nous montons la montagne
A2 – 18 (518) : Nous partons
A3 – 1 (23) : Nous retournons à la camp
A1 – 4 (63) : Nous venons plus moi. Voila un joli train
A1 – 8 (142) : Nous devons aider
A2 – 8 (226) : Peut-être nous pouvons aider?
A3 – 11 (311) : Nous pouvons aider toi ?
Concernant les formes verbales à deux bases de la 1pp, l’accord morphologique se réalise dans
la plupart des cas. Deux formes écrites reçoivent le suffixe de la 2pp, chez le même apprenant.
Les autres formes fautives concernent un faux radical, une erreur d’orthographe ou une forme
non finie :
A3 – 6 (159) : Nous nous *promenez à la forêt,
A3 – 6 (170) : Nous nous *promenez à la maison.
A1 – 19 (337) : Nous *saisiron sa !
A1 – 10 (189) : Nous *s’en aller, *partir
A3 – 2 (38) : Nous nous sommes *promons dans la foret
A3 – 14 (415) : Nous elle *saisons
Contrairement aux verbes à une et à trois bases, l’accord lexical pose plus de problèmes : le
changement du radical n’est pas réalisé.
77
À l’oral, la seule forme à une base de la 1pp est fautive :
A1 – 16 (62) : /o nuz- a- - nu *ɡlise syʀ lə sɔl/
Elle peut être la forme de la 2pp (glissez), ou, plus probablement la forme non finie
(glisser/glissé). La forme à deux bases, émise par le même apprenant, est correcte :
A1 – 16 (59) : Tintin - euh - vertrekken - nous partons à la maison (/tɛ̃tɛ̃ - œ - […] -
nu paʀtɔ̃ a la mɛzɔ̃/)
Puis, les formes écrites de la 2pp à une base ne sont pas accomplies dans le corpus de la
première année. Toutes les formes y sont employées en tant qu’impératif de la 2pp. Il n’est pas
surprenant que ces formes s’écrivent de manière fautive à ce stade-là de l’apprentissage,
puisque les impératifs et les infinitifs des verbes à une base sont des homophones (/kʀije/,
/ʀətuʀne/) :
A1 – 5 (81) : Ne *crier pas !
A1 – 6 (105) : *Retourner !
Les apprenants de la deuxième et de la troisième année maîtrisent la conjugaison des formes
de la 2pp déjà mieux. Les deux formes fautives dans les corpus de la deuxième et de la troisième
année sont des fautes d’orthographe, l’accord morphologique n’y est pas concerné
(*Attandez ;*Arrétez !).
Les formes de la 2pp à deux bases n’apparaissent qu’aux corpus écrits des deux premières
années, sous forme d’infinitif67 ou avec une erreur d’orthographe :
A1 – 5 (82) : *Battre elle !
A1 – 7 (119) : *Voir les tsiganes
A2 – 8 (225) : Mais *dite-moi s’il te plaît
Les deux formes des verbes à trois bases sont correctes :
A1 – 16 (266) : Venez vite !
A1 – 16 (268) : Venez ici !
67 L’apparition des formes à l’infinitif là où l’on attend un impératif, est liée à l’analogie avec les formes à une base. Là, l’impératif de la 2pp et l’infinitif sont des homophones. Ainsi, les apprenants surgénéralisent cette homophonie : les formes de l’impératif doivent alors correspondre à celles de l’infinitif. Le modèle des verbes en –ER se surgénéralise à nouveau.
78
Pour conclure, l’accord de la 1pp se maîtrise précocement, grâce au suffixe régulier. Les
quelques formes fautives qui se produisent encore, concernent surtout l’accord lexical.
Les formes écrites de la 2pp se maîtrisent dès la deuxième année : les apprenants de la
première année confondent encore la forme de l’infinitif des verbes à une base avec celle de
l’impératif, car elles sont des homophones. Les formes de la 2pp à plusieurs bases apparaissent
également encore sous forme de l’infinitif, par analogie avec les verbes à une base, à côté de
quelques formes correctes. Le deuxième volet de la quatrième hypothèse est par conséquent
confirmé (« Les formes verbales de la 1pp et de la 2pp seront précocement et conséquemment
accordées à leur sujet, grâce à leurs suffixes réguliers (-ons et -ez) »).
3.3.5 Conclusion
Il est difficile de vérifier pour chaque catégorie verbale dans quel stade d’acquisition les
apprenants se trouvent, étant donné que les différences sont insuffisamment grandes et que
quelques pourcentages ne sont pas suffisamment pertinents. Pourtant, l’accord sujet-verbe des
verbes à une base et des verbes irréguliers s’acquiert généralement d’abord, comme nous
l’avons prédit (hypothèse 2). L’accord des verbes à trois bases est également acquis
relativement tôt, surtout pour les formes au singulier, grâce à la présence des verbes modaux.
Nous proposons d’ailleurs de distinguer ici entre les registres et entre les années. Ainsi,
les apprenants des trois années évoluent et passent à travers les mêmes stades d’acquisition
dans les deux registres, bien que le rythme soit plus lent à l’oral. À l’écrit, ils suivent
généralement l’ordre suivant : stade intermédiaire (3) – stade avancé bas (4) – stade avancé
bas (4). À l’oral, la maîtrise de l’accord sujet-verbe tarde par rapport à celle de l’écrit. Les
apprenants se trouvent respectivement dans le stade post-initial (2), le stade intermédiaire (3)
et le stade avancé bas (4). Par ailleurs, l’itinéraire des néerlandophones correspond
globalement avec celui des apprenants suédophones, comme attendu.
De plus, les formes écrites plurielles sont acquises plus tôt que celles du singulier, étant
donné la régularité des suffixes : -ons, -ez et –ent. Pourtant, l’accord lexical n’est pas toujours
réussi : les formes s’accordent d’abord morphologiquement et puis lexicalement. Les formes
orales n’ont par conséquent pas d’influence sur les formes écrites : l’hypothèse 4 est réfutée.
En outre, l’accord sujet-verbe de la 3pp se manifeste plus tôt à l’écrit qu’à l’oral, conformément
aux résultats d’études antérieures. Au singulier, la confusion des homophones persiste, ainsi
que celle des suffixes des différents modèles de conjugaison. La surgénéralisation de la 3ps
avec un sujet à la 3pp est présente, surtout à l’oral, mais moins fréquente que nous ne l’avions
prévu. À l’oral, nous apercevons les mêmes phénomènes qu’à l’écrit, quoique le registre oral
compte encore plus de formes non finies et plus de formes non accordées au sujet
correspondant, comme l’emploi de la forme de la 3ps au lieu de celle de la 3pp.
79
La raison pour laquelle les productions écrites sont plus accomplies que celles à l’oral, est
que les apprenants néerlandophones reçoivent un input essentiellement écrit, qui se concentre
sur l’accord sujet-verbe. Granget (2005) a obtenu de résultats comparables chez des
apprenants germanophones et invoque également l’enseignement orienté vers l’écrit.
80
Conclusion
L’objectif de cette recherche était de comparer la maîtrise de la morphologie verbale en FL2,
dans des productions écrites et orales d’apprenants néerlandophones. L’écart entre les deux
registres ainsi que la morphologie verbale riche constituent des points épineux dans
l’acquisition du système verbal français. Ainsi, il est intéressant d’étudier son acquisition et de
discerner des différences éventuelles entre la maîtrise à l’oral et à l’écrit.
Comme les études comparatives de l’oral et de l’écrit chez les mêmes apprenants ainsi que
les travaux sur la maîtrise de la morphologie verbale écrite des néerlandophones ne sont pas
nombreux, voire inexistants, cette recherche a tenté d’apporter une meilleure compréhension
à ce sujet acquisitionnel, de manière descriptive.
Les autres études de FL1 ou FL2 sur l’acquisition du verbe en général et sur la maîtrise de
la morphologie silencieuse en particulier, comme celles de Bybee (1991), de Pinker (1999), de
Jaffré & David (1999), de Largy & Fayol (2001), de Bartning & Schlyter (2004), d’Ågren (2005,
2008), de Granget (2005), de Hedbor (2005) et de Michot (2014, 2015), ont servi comme cadre
et comme point de départ pour cette étude (cf. premier chapitre).
Afin d’avoir accès aux productions écrites et orales d’apprenants néerlandophones, nous avons
développé et fait passer quatre tests écrits et oraux chez des élèves des trois premières années
d’une école secondaire flamande. Faute de temps et d’espace, nous n’avons commenté et
analysé que les narrations écrites et orales récoltées, dans lesquelles les apprenants ont
reconstruit une histoire de Tintin à partir d’images issues d’une bande dessinée. Nous avons
méticuleusement analysé chaque production orale et écrite en retenant plusieurs critères
distinctifs, afin d’être le plus exhaustive que possible.
Au cœur de la recherche se trouvait la question de savoir si la maîtrise de la finitude verbale et
de l’accord sujet-verbe se déroule de manière différente à l’oral et à l’écrit, et quelles seraient
les différences éventuelles entre les productions. Nous avons tenté de répondre aux questions,
en proposant quatre hypothèses, que nous rappellerons brièvement avant de les confirmer ou
de les rejeter.
Premièrement, nous voulions vérifier s’il existe une différence entre l’itinéraire acquisitionnel
pour la finitude verbale et l’accord sujet-verbe entre l’oral et l’écrit. Nous nous sommes
attendue à plus de formes non finies et à plus de formes fautivement accordées à l’oral dans
chaque stade de l’apprentissage. Dans le premier volet de notre travail, nous avons constaté
que la maîtrise de la finitude verbale varie en effet selon le registre : nous avons rencontré plus
81
de formes non finies en contexte fini dans les productions orales et ce dans les corpus des trois
années, conformément aux résultats de Granfeldt (2005). Dans les deux registres, les
apprenants suivent généralement les mêmes stades d’apprentissage proposés par Bartning &
Schlyter (2004). Pourtant, le parcours des stades à l’écrit dépasse celui des stades à l’oral. Le
tableau ci-dessous résume l’itinéraire que nous avons pu dégager :
Tableau 4-1 L'itinéraire de l'acquisition de la finitude verbale à l'oral et à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
Finitude à l’écrit Stade avancé bas (4) Stade avancé moyen
(5) Stade avancé moyen
(5)
Finitude à l’oral Stade initial (1) Stade post-initial (2) Stade avancé bas (4)
Dans le deuxième volet de notre étude, nous avons contrôlé s’il en est de même pour l’accord
sujet-verbe. Nous avons constaté qu’il est plus accompli à l’écrit qu’à l’oral dans les productions
des deux premières années. En troisième année, l’écart entre les deux registres se résout : le
taux des formes non finies et des formes fautivement accordées diminue à l’oral, et les erreurs
à l’écrit sont principalement dues à l’orthographe (voir Granfeldt 2007). Le tableau 4-2 résume
les stades d’acquisition, d’après Bartning & Schlyter (2004) :
Tableau 4-2 L'itinéraire de l'acquisition de l'accord sujet-verbe à l'oral et à l'écrit
ANNÉE 1 ANNÉE 2 ANNÉE 3
Accord à l’écrit Stade intermédiaire (3) Stade avancé bas (4) Stade avancé bas (4)
Accord à l’oral Stade post-initial (2) Stade intermédiaire (3) Stade avancé bas (4)
Nous observons que l’itinéraire acquisitionnel de la finitude diffère légèrement de celui de
l’accord sujet-verbe. Ainsi, les stades proposés par Bartning & Schlyter (2004) ne
correspondraient pas entièrement avec nos données. Pourtant, nos corpus sont moins
élaborés, ce qui peut rendre les résultats légèrement déformés. Des corpus plus étendus
pourraient livrer un autre bilan, qui se rapprocherait peut-être plus des données obtenues sur
la finitude verbale et de l’itinéraire de Bartning & Schlyter (2004).
L’écart entre les deux registres s’explique entre autres par la différence de temps de réaction :
En écrivant, le scripteur a le temps d’élaborer son message, de s’arrêter pour réfléchir,
de se corriger ou de se compléter. Ainsi, le produit écrit final a un caractère fini et
82
construit. À l’oral, l’élaboration et l’émission du message se font presque
simultanément, ce qui résulte en reprises, hésitations ou ruptures de construction
laissant des traces dans le message. (Ågren 2005 : 28)
De plus, l’enseignement du FL2 à l’école De Bron se concentre principalement sur l’écrit et
insiste précocement sur l’accord sujet-verbe. Les apprenants sont moins familiarisés avec la
conjugaison orale, ce qui explique partiellement les résultats plus faibles dans les corpus oraux.
En outre, l’écrit dispose de plus de moyens pour rendre l’accord visible : plusieurs
marques s’écrivent alors qu’elles ne se prononcent pas. Ainsi, il est plus facile de vérifier
l’accord morphologique à l’écrit qu’à l’oral. Pourtant, c’est là que le bât blesse à partir de la
troisième année : les morphogrammes – signes propres à l’écrit et qui n’affectent pas la
production orale – se confondent – pensons aux suffixes de la 1ps, 2ps et de la 3ps – et les fautes
d’orthographe deviennent la raison principale pour les formes erronées. Ainsi, la marge
d’erreur de l’écrit équivaut à celle de l’oral. Il est possible que le taux des formes accordées à
l’oral surpasse celui de l’écrit dans les années scolaires suivantes, conformément aux
constatations de Granfeldt (2007) : les productions écrites compteraient à la fin plus de formes
fautives, ce qui serait dû à la complexité de l’orthographe.
Ensuite, la deuxième hypothèse pose qu’il y aurait un décalage entre l’acquisition des verbes
avec changement du radical d’une part et celle des verbes irréguliers et sans changement du
radical d’autre part, d’après Parodi (2000), Schlyter & Bartning (2005), Ågren (2005) et Michot
(2014, 2015). Les données de nos corpus corroborent cette hypothèse. En général, la finitude
verbale et l’accord sujet-verbe sont en effet d’abord acquis pour les verbes à une base et les
verbes irréguliers, dans les deux registres. Au fil des années, le nombre des formes non finies
et des formes fautivement accordées dans chaque classe verbale diminue, en particulier dans
celle des verbes à trois bases à l’écrit. Cette catégorie comporte les verbes modaux, qui sont
également acquis précocement (voir Schlyter & Bartning 2005, Parodi 2000) : ils s’apprennent,
parallèlement aux verbes irréguliers, sous forme d’items et doivent être mémorisés
séparément. Ainsi, la token frequency est forte et les formes produites seront plus adéquates à
leur sujet. À l’oral, la présence des verbes modaux se fait attendre, conformément aux
constatations d’Ågren (2005) :
[l]’emploi des formes verbales sont/ont/vont/font et des verbes irréguliers modaux
et thématiques sous leur forme cible (ils veulent, ils mettent…) se voit plus tôt à l’écrit
qu’à l’oral. (Ågren 2005 : 140)
83
La finitude et l’accord précocement maîtrisés des verbes à une base s’expliquent par le fait que
ce type de verbe est récurrent dans l’input (voir Bybee 1991). En d’autres mots, il a une haute
type frequency et s’apprend sous forme d’une règle relativement facile, formulée comme suit :
« radical + suffixe = forme verbale ».
Les verbes irréguliers, par contre, ont une token frequency éminente dans l’apport verbal
dès le début de l’apprentissage du FL2. La conjugaison des verbes être et avoir est précocement
acquise, presqu’à la perfection, contrairement aux verbes aller et faire : ces formes sont encore
moins assimilées dans chaque stade d’apprentissage. Pourtant, nous avons observé que les
formes fautives apparaissent principalement dans des syntagmes verbaux complexes, ce qui
peut influencer la conjugaison du verbe-noyau.
Les verbes qui posent le plus de problèmes tout au long des trois années, sont les verbes
qui changent de radical et qui ne sont pas encore mentionnés ci-dessus. Il s’agit des verbes à
deux et à trois bases, à l’exception des verbes modaux. Nous avons observé que ce type de verbe
s’accorde d’abord morphologiquement, sans que le radical change, ce qui est conforme aux
résultats de Granget (2005), d’Ågren (2008) et de Michot (2015). Ces verbes s’apprennent sous
forme d’items mais ne sont pas encore fréquents dans l’input : ils sont par conséquent moins
productifs par rapport aux autres verbes.
Le premier volet de la troisième hypothèse concerne la surgénéralisation du modèle des verbes
en -ER. Les apprenants prendraient ce type de verbe comme modèle pour de nouveaux verbes
(voir Bybee 1991). Étant donné que les verbes en –ER sont les plus nombreux dans
l’interlangue des apprenants FL2, ils sont les plus accessibles et les plus productifs. Ainsi, ce
modèle s’appliquerait également aux verbes nouveaux des autres modèles de conjugaison (voir
aussi Stabarin & Gerolimich 2014 et Michot 2015). Les données dans tous nos corpus
confirment cette thèse, quoique les résultats soient plutôt modérés. Le taux de
surgénéralisation n’approche jamais les vingt pourcents mais tourne généralement autour des
dix pourcents, même si les classes des verbes en –IR (type partir et courir), en –OIR et en –RE,
voire aller et faire, comportent toutes des formes construites d’après le modèle en –ER.
Ce sont surtout les apprenants de la première année qui commettent des erreurs de fausse
analogie à l’écrit : les verbes en –IR, -RE et en –OIR ne sont pas très présents dans leur input et
en conséquence, ils sont moins productifs. Cependant, les apprenants sont créatifs : ils tentent
de créer des formes en suivant le modèle de conjugaison qu’ils connaissent déjà (entendes,
mordes, saise, parti, apercevoient, etc.). Dans les corpus écrits des deux dernières années, nous
n’avons pas retrouvé autant de formes construites par fausse analogie. La construction des
verbes sur le modèle régulier est également attestée à l’oral, dans toutes les années environ
dans la même mesure, mais à nouveau moins que nous ne l’avions attendu. Dans ce domaine-
84
ci, nous n’avons pas discerné de différences entre les deux registres : les formes produites sont
du même type. Pourtant, nous avons noté dans les productions écrites, que plusieurs verbes en
–ER prennent les suffixes des verbes en –IR. Ainsi, les formes verbales se terminent en –ø, -t ou
–s au lieu de –e ou –es (il pleur, elle criet, elle pleurt, tu pleurs). Comme il s’agit de
morphogrammes – signes propres à l’écrit et qui n’affectent pas la production orale –, cette
tendance ne peut pas s’observer dans le registre parlé. De plus, elle n’est présente que dans les
corpus écrits des deux dernières années car les verbes en –IR ne sont pas très fréquents dans
l’apport verbal des apprenants de la première année, comme nous avons noté d’ailleurs, et
l’analogie ne peut pas encore intervenir dans les productions de ces apprenants.
Puis, le deuxième volet de l’hypothèse 3 prédit que la forme de la 3ps se suremploierait,
parce qu’elle est non marquée, plus fréquente dans l’input et la mieux maîtrisée (Bybee 1991,
Ågren & Van de Weijer 2012, Schlyter & Bartning 2005, Michot 2014, 2015). À partir de nos
données, nous avons constaté que la forme de la 3ps ne s’acquiert pas aussi bien que nous ne
l’avions supposé. Nous rencontrons encore beaucoup de formes non finies, surtout à l’oral,
ainsi que des formes qui se terminent par un faux suffixe : soit le modèle de conjugaison est
fautif (à l’oral et à l’écrit), soit la forme reçoit un suffixe d’une autre personne au singulier (à
l’écrit).
Nous avons trouvé quelques surgénéralisations de la forme singulière, principalement à
l’oral et après les sujets à la 3pp (Dupond et Dupont - se faire - se *fait des – soucis (/Dypɔ̃ e Dypɔ̃
- sə fɛʀ - sə *fɛ de – susi/). Elles ne surgissent cependant pas après les autres sujets pluriels.
Ainsi, la forme de la 3ps ne fonctionne que comme forme par défaut après les formes de la 3pp.
À l’écrit, en revanche, le suremploi apparaît rarement. Nous avons détecté au maximum sept
formes singulières après des sujets pluriels dans tous les corpus : la morphologie silencieuse a
par conséquent un impact insignifiant sur les formes écrites de la 3p. Elle affecte surtout les
formes de la 1ps, la 2ps et de la 3ps (voir infra).
Il nous semble que le suremploi de la 3ps n’apparaît que de manière significative dans des
stades d’acquisition antérieurs à ceux de nos apprenants, et qu’il surgit encore principalement
à l’oral, comme Michot (2015) l’avait déjà constaté. Nous concluons que la forme de la 3ps est
effectivement suremployée, mais non de manière pertinente ni conséquente. En outre, la
surutilisation n’apparaît qu’après les sujets de la 3pp et surtout à l’oral.
Finalement, nous avons formulé dans la quatrième hypothèse que l’audibilité de l’accord à la
3pp faciliterait la conjugaison verbale à l’écrit. En outre, nous avons prévu que les formes de la
1ps, la 2ps et de la 3ps se confondraient à l’écrit, car elles sont des homophones touchées par
la morphologie silencieuse. Les formes de la 1pp et de la 2pp, par contre, seraient plus
85
précocement et plus systématiquement accordées à leur sujet, tant à l’écrit qu’à l’oral, grâce à
leurs suffixes réguliers.
Au fil de la recherche (voir aussi le paragraphe précédent), la première partie de
l’hypothèse s’est trouvée infirmée : quel que soit le type de verbe, l’accord morphologique se
réalise dans la grande majorité des cas – peu importe la présence d’une clé orale. Nous avons
d’ailleurs constaté que l’accord des verbes à plusieurs bases se réalise d’abord
morphologiquement : la conjugaison de tels verbes ne se maîtrise pas suffisamment pour
profiter des indices oraux, car le radical reste invariable dans les productions des apprenants
(par exemple, ils *apercevoient).
En outre, la morphologie silencieuse des formes de la 3p non discriminantes (il, ils /paʀlə/)
ne pose généralement pas de problèmes aux apprenants néerlandophones, contrairement aux
constatations de Jaffré & David (1999) et celles d’Ågren (2005), mais conformément à celles de
Granget (2005). Nous avons également remarqué que les formes verbales accompagnées d’un
sujet pronominal (il, ils) sont plus adéquates que celles reliées à un sujet nominal (Tintin ou
Dupond et Dupont) (voir aussi Granget 2005, Ågren 2005, Michot 2015). De plus, les formes
écrites de la 3pp sont plus réussies que celles de l’oral : dans le registre parlé, nous avons
rencontré encore plus de formes non finies ou de formes erronées, parallèlement aux données
de Bartning & Schlyter (2004) et de Hedbor (2005).
Concernant la 1ps, la 2ps et la 3ps à l’écrit, elles sont assurément touchées par la
morphologie silencieuse : nous avons noté que les formes écrites se confondent. Ainsi, la
deuxième partie de l’hypothèse 3 se confirme. La confusion des homophones persiste tout au
long des corpus des trois années, ainsi que celle des suffixes des différents modèles de
conjugaison. Les formes de la 1pp et de la 2pp, en revanche, s’acquièrent tôt et se produisent
de manière correcte à l’écrit. Ce n’est que dans le corpus écrit de la première année que les
formes de l’impératif à la 2pp se confondent encore avec celles de l’infinitif, également en
raison de la morphologie silencieuse (vous /paʀle/, /paʀle/ !).
Bref, l’accord sujet-verbe et la finitude verbale sont plus rapidement maîtrisés à l’écrit qu’à
l’oral. L’enseignement flamand du FL2 met l’accent notamment sur la langue écrite et insiste
précocement et intensivement sur l’accord sujet-verbe. Étant donné les résultats inférieurs
pour l’oral, il serait utile de plus cibler l’acquisition du registre parlé, dès le début de
l’apprentissage.
Pour ce qui est de la morphologie silencieuse, elle n’affecte pas la production des formes
de la 3pp. Les autres formes singulières, en revanche, subissent bien l’influence de la
morphologie non audible : les homophones se confondent facilement à l’écrit.
86
En outre, les erreurs produites ne varient pas forcément selon le registre : les mêmes
phénomènes apparaissent à l’oral et à l’écrit, comme la surgénéralisation du modèle des verbes
en –ER (elle parti, /ʒə paʀti/) ou l’apparition des formes non finies (un tsigane lire la main, /tɛ̃tɛ̃
kuʀiʀ/). Nous avons pourtant observé des phénomènes écrits qui ne peuvent pas apparaître à
l’oral, par exemple la confusion entre les formes de la 1ps, la 2ps et de la 3ps.
À l’issue de ce long travail de constituer, de creuser et d’analyser les corpus, nous pouvons
conclure que la maîtrise de la morphologie verbale française chez nos jeunes apprenants
néerlandophones est déjà relativement avancée. Grâce à l’enseignement du FL2 précoce,
intensif et élaboré, qui met l’accent surtout sur l’acquisition écrite, les élèves progressent
rapidement dans l’acquisition de la morphologie du FL2. La situation multilingue de notre pays
contribue à ce traitement particulier de la langue française, qui devrait néanmoins encore
intensifier l’aspect oral pour atteindre le même niveau avancé dans les deux registres.
Dans des recherches futures consacrées à la morphologie, il serait souhaitable de privilégier
dans un premier temps le registre écrit, puisque les études sur la maîtrise de la morphologie
verbale purement écrite en FL2 sont à ce jour encore inexistantes. Ainsi, on pourrait encore
approfondir l’analyse des données et développer un itinéraire acquisitionnel du FL2, propre à
l’écrit et basé sur des productions d’apprenants néerlandophones. Les apprenants avancés, tels
que ceux de la sixième année de l’école secondaire, pourraient également être enquêtés, afin
de mieux retracer l’évolution dans l’apprentissage. La comparaison entre les productions des
tâches guidées (connaissances explicites) et des tâches non guidées (connaissances implicites)
pourrait être un autre point de départ intéressant.
87
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92
Annexes
Analyses des corpus écrits et oraux – Enregistrements
DVD :
- Fichier avec les enregistrements
- L’analyse du corpus écrit (Excel)
- L’analyse du corpus oral (Excel)
93
Répartition des erreurs de finitude/d’accord
Première année (O) V X Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à thème unique 71 63 88,7 8 11,3
Verbes à 2 thèmes sans
variation vocalique 54 40 74,1 14 25,9
Verbes à 2 thèmes avec
variation vocalique 18 14 77,8 4 22,2
Verbes irréguliers 10 8 80 2 20
Première année (E) V x Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à 1 base 41 24 58,5 17 41,5
Verbes à 2 bases 39 21 53,8 18 46,2
Verbes à 3 bases 9 6 66,7 3 33,3
Verbes irréguliers 15 3 20 12 80
Deuxième année (O) V X Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à thème unique 72 67 93,1 5 6,9
Verbes à 2 thèmes sans
variation vocalique 50 30 60 20 40
Verbes à 2 thèmes avec
variation vocalique 14 9 64,3 5 35,7
Verbes irréguliers 9 4 44,4 5 55,6
Deuxième année (E) V x Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à 1 base 64 20 31,3 44 68,7
Verbes à 2 bases 38 11 28,9 27 71,05
Verbes à 3 bases 3 0 0 3 100
Verbes irréguliers 12 4 33,3 8 66,7
94
Troisième année (O) V X Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à thème unique 14 11 78,6 3 21,4
Verbes à 2 thèmes sans
variation vocalique 30 9 30 21 70
Verbes à 2 thèmes avec
variation vocalique 13 4 30,8 9 69,2
Verbes irréguliers 5 0 0 5 100
Troisième année (E) V x Formes non finies Non-accord
# # % # %
Verbes à 1 base 53 12 22,7 41 77,4
Verbes à 2 bases 32 5 15,6 27 84,4
Verbes à 3 bases 13 0 0 13 100
Verbes irréguliers 14 1 7,1 13 92,9
95
Test écrit
1) Complétez les phrases par la forme correcte du verbe. Il faut toujours utiliser l’indicatif
présent.
Vervolledig de zinnen met de juiste vorm van het werkwoord. Gebruik steeds de
tegenwoordige tijd.
1. Les filles _________________ à vélo. (venir)
2. Les bus _________________ à Bruges. (partir)
3. Nous ________________ une pomme chaque jour. (manger)
4. Jean et Louise ______________ toujours ensemble. (être)
5. Mes grands-parents _______________ une bière chaque soir. (boire)
6. « Vous _____________ d’abord votre travail et puis vous pouvez regarder la télé ». (finir)
7. Marie et Anna ________________ des bonbons. (acheter)
8. Nous ________________ à dessiner. (commencer)
9. Il ________________ le lait dans le frigo. (mettre)
10. Luc et Didier ne ________________ jamais. (s’ennuyer)
11. Je _______________ 10 kilomètres chaque jour ! (courir)
12. Les jumeaux _________________ Bob et Bobette. (s’appeler)
13. Tu ______________ tes devoirs chaque jour. (faire)
14. « Qu’est-ce que vous _______________ de cet exercice ? » (penser)
15. « Ouf, c’est la dernière phrase que je ______________ remplir ! » (devoir)
2) Regardez les aventures de Tintin, Capitaine Haddock et Milou et essayez de raconter une
histoire (à l’indicatif présent) à l’aide des images et de la liste de vocabulaire ci-dessous
(les mots suivent l’ordre de l’histoire et peuvent vous aider). Les verbes ci-dessous ne
sont pas encore conjugués ! Vous pouvez aussi utiliser d’autres mots/verbes. Écrivez un
texte d’à peu près ¾ d’une page. Vous avez une demi-heure afin de compléter votre
histoire. Bonne chance !
Bekijk de avonturen van Kuifje, Kapitein Haddock en Bobby en probeer een verhaal te
vertellen (in de tegenwoordige tijd) aan de hand van de afbeeldingen en van de
woordenschatlijst hieronder (de woorden staan in de volgorde van het verhaal en kunnen
jullie helpen). De onderstaande werkwoorden zijn nog niet vervoegd ! Jullie mogen ook
andere woorden/werkwoorden gebruiken. Schrijf een tekst van ongeveer ¾ van een
pagina. Jullie krijgen een half uur de tijd om jullie verhaal te schrijven. Veel succes !
96
Wandelen Se promener
Het bos La forêt
Ruiken Sentir
Een put graven Creuser un puits
Aanduiden, wijzen Désigner, montrer, indiquer
Zien Voir
Horen Entendre
Beklimmen, omhoog gaan Monter
Wenen Pleurer
Opmerken Apercevoir
Dichterbij komen S’approcher
Vragen Demander
Bang zijn Craindre, avoir peur de
Zich kwaad maken Se fâcher
Roepen, schreeuwen Crier
Bijten Mordre
Weggaan S’en aller, partir
Slaan Battre
Grijpen Saisir
Angst aanjagen Effrayer
Vallen Tomber
Terugkeren Retourner
Zigeuners Les tsiganes
Besluiten conclure
Iemand de toekomst voorspellen Prédire son avenir à quelqu’un
Handlezen Lire la main
97
98
99
100
Test oral
Répondez aux questions en utilisant des verbes dans chaque réponse. Beantwoord de vragen en gebruik telkens een werkwoord in je antwoord. (Les élèves ne reçoivent pas la feuille) 1. Comment est-ce que vous allez à l’école ?
2. Qu’est-ce que vous mangez ce soir à la maison, avec tes parents ?
3. Quand est-ce que vous partez à l’école chaque matin ?
5. Qu’est-ce que vous pensez de cet exercice ?
6. Ce soir, qu’est-ce qu’il faut faire/qu’est-ce que tu fais ?
7. Tes parents s’appellent comment, et comment tu t’appelles ?
8. Qu’est-ce que ta famille fait pendant les vacances ?
9. Sophie et Marie vont au magasin. Elles voudraient acheter quelque chose, mais quoi ?
Elles <achètent> …
10. Vous avez soif. Qu’est-ce que vous faites ? Tes parents ont soif, qu’est-ce qu’ils font ?
<je bois …> - <ils boivent>
11. Quelle langue est-ce que vous parlez ?
12. Vous avez acheté un gâteau. Où est-ce que vous le mettez ?
13. Qu’est-ce que vous devez faire ce soir ?
101
Racontez l’histoire de Tintin à partir des images que vous voyez. Les verbes et les mots sous les
images peuvent vous aider. Vous devez encore conjuguer les verbes ! Vous pouvez aussi utiliser
d’autres verbes. Les personnages principaux s’appellent Tintin, Milou et Dupond & Dupont.
Essayez de raconter l’histoire le plus spontanément possible.
Bonne chance !
Vertel het verhaal van Kuifje aan de hand van de tekeningen. De woorden en werkwoorden onder
de tekeningen kunnen jullie wat helpen. De werkwoorden moeten nog vervoegd worden ! Jullie
mogen ook andere werkwoorden gebruiken. De hoofdpersonages heten Tintin, Milou en Dupond &
Dupont. Probeer zo vlot mogelijk te vertellen.
Veel succes !
Korte samenvatting van wat er ongeveer gebeurt: Tintin ziet een vliegtuig dat aan het
landen is. Hij wordt neergeschoten door de twee inzittenden. Tintin belandt in het
ziekenhuis en krijgt bezoek van Dupond & Dupont. Één van hen krijgt telefoon en ze
moeten vertrekken. Tintin wordt achterdochtig en verlaat het ziekenhuis. In het
treinstation herkennen twee mannen Tintin en ze achtervolgen hem. De trein moet bruusk
stoppen en Tintin wil weten wat er aan de hand is. Hij ziet iemand vluchten en wil de
achtervolging inzetten. Hij wordt tegengehouden door de conducteur. Even later wordt er
een bewusteloze man ontdekt, die opnieuw tot bewustzijn komt en Tintin aanwijst als de
schuldige, degene die de trein deed stoppen.
102
Wandelen Se promener
Horen/opmerken Entendre
Opmerken Apercevoir
Een vliegtuig Un avion
Dalen, landen Descendre, atterrir
Dalen, landen Descendre, atterrir
Dichterbij komen S’approcher
Lopen Courir
Uitstappen Descendre/sortir
Dichterbij komen Approcher
Fluisteren – praten Chuchoter - parler
103
Schieten op Tirer sur
Een revolver Un pistolet
Vallen tomber
Flauwvallen S’épanouir
Het ziekenhuis L’hôpital
Bezoeken Rendre visite
Zitten S’asseoir
Zich zorgen maken S’inquiéter/se faire des soucis
Zich zorgen maken S’inquiéter/se faire des soucis
De telefoon Le téléphone
104
Groeten, uitzwaaien Saluer
Uitglijden Glisser
Een geluid Un bruit
Denken Penser
Vertrekken Partir, sortir
De krant lezen Lire le journal
Opmerken Apercevoir
Slapen Dormir
Aan het alarmsignaal trekken Tirer le signal d’alarme
Remmen Freiner
105
Vallen Tomber
De gang Le couloir
Lopen Courir
Vluchten S’enfuir
Grijpen Saisir
De conducteur Le contrôleur
Zich kwaad maken Se fâcher
Lawaai horen Entendre du bruit
Bewustijn verliezen Perdre conscience
Tot bewustzijn komen Reprendre conscience
Beschuldigen Accuser
Wijzen Montrer, indiquer
106
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