la civilisation musulmane à travers les voyages...
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La civilisation musulmane à travers les
voyages d'Ibn-Battuta
Faïza BELHADJ-EPHREM
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La civilisation musulmane à travers les voyages d'Ibn-Battuta
Par Faïza BELHADJ-EPHREM
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Un proverbe turc dit :" Celui qui voyage en sait plus que
celui qui vit longtemps".
J'en ai fait l'expérience ! Mais qui suis-je ?
On me surnomme " Ibn-Batutta " mais mon véritable
nom est Mohammed ben Abdallah At-Tandji.
Je suis né à Tanger, au Maroc, en 1304.
Je suis issu d'une famille riche et j'ai décidé à l'âge de
21 ans de quitter mon pays et mes proches afin
d'accomplir mon pèlerinage dans la ville sainte de La
Mecque, en Arabie. En effet, ce 5ème pilier de l'islam,
après l'attestation de foi, la prière, le jeûne et
l'aumône, doit s'accomplir si l'on en a les moyens.
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Durant cette expédition, il m'est arrivé des aventures
extraordinaires et j'ai fais des rencontres autant
improbables que mémorables.
Notre bien aimé Prophète (SWS) a dit un jour : " Va
quérir le savoir jusqu'en Chine s'il faut ". Et bien, c'est
ce que j'ai fait. J'ai tellement voyagé que je ne suis
rentré définitivement chez moi que 29 ans après mon
départ.
Les retrouvailles furent émouvantes, et les enfants ne
m'ont plus quitté afin que je leur conte mes péripéties.
Voulez-vous les connaître aussi ?
Je m'assieds près d'eux le soir venu et ils attendent,
impatients, quand je commence enfin l'histoire de mon
premier voyage.
Il faisait très chaud à Tanger en ce mois de juin 1325
et je terminais les derniers préparatifs de mon voyage
quand ma mère m'appela :
- Mohammed, vient me voir s'il te plaît !
- Oui, oummi !
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- Tiens, ouldi, voici pour toi.
Ma mère me tendit un ihram, ses yeux voilés de larmes.
Mon départ la chagrinait autant qu'il la rendait fière.
- C'est quoi un ihram ? me demande un jeune garçon.
- C'est un tissu blanc non cousu que tout pèlerin se doit
de vêtir pour accomplir son pèlerinage.
- Tu tiens toujours à partir seul ? poursuit-elle. La
route n'est pas dépourvue de danger, et mon cœur
serait rassuré si tu partais accompagné.
- Oummi, je ne pars pas seul, Allah est avec moi.
- Alors, vas mon fils, avec ma bénédiction et n'oublie
pas de prier pour nous tout comme nous prierons pour
qu'Allah te protège !
- Je le ferai incha'Allah. Je t'aime oummi.
- Et tu es aimé mon fils.
Je me suis levé le lendemain, un peu fatigué car je
n'avais pas réussi à bien dormir à cause de l'excitation
du départ.
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- Les enfants aussi connaissent cela. N'est-ce pas ?
- Oui, répondent t-ils en chœur.
J'ai chargé mon magnifique cheval, et j'ai fait
l'invocation du voyage.
- Vous la connaissez ?
- Je sais que ceux sont des versets du Coran, répond
une fillette, les joues rougies d'avoir osé prendre la
parole.
- C'est cela en effet. C'est déjà très bien de le savoir.
Les versets 13 et 14 de la Sourate " L'Ornement " :
" Gloire à Celui qui a mis ceci à notre service alors que
nous n’étions pas capables de les dominer. Et c’est vers
notre Seigneur que nous devons retourner. "
J'ai enfin pu partir.
J'ai traversé l'Algérie, la Tunisie et la Lybie sans
encombres. Enfin, si ce n'est les tempêtes de sable et
le ciel de feu.
- Oui, mais le désert avec ses dunes, c'est beau n'est-
ce pas ? m'interrompit un enfant.
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- Oui, mais savez-vous comment elles se forment ?
Ils se regardèrent tous à la fois, étonnés et curieux de
savoir si l'un d'eux détenait la réponse.
- En fait, le vent transporte le sable, et quand il
rencontre un obstacle dans sa course folle, il perd de
son énergie et laisse tomber un peu de sable. Et cela
indéfiniment de sorte que les paysages changent
continuellement.
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Je me suis dirigé ensuite vers la Vallée du Nil, en
Egypte.
Un jour, en me promenant dans les rues, j'ai décidé de
me restaurer et je me suis assis à une table quand un
homme vint à moi. Il me fixa longuement et me demanda
s'il pouvait me tenir compagnie.
J'accepta volontiers, me disant que cela ne me ferai
pas de mal après tant de solitude.
Il me demanda ensuite si je pouvais lui offrir un repas
en échange d'une merveilleuse histoire : celle d'un
savant fou qui vécu en Egypte et qui marqua les esprits.
Je ne pus refuser car il avait piqué ma curiosité.
Il commença alors :
" Cet homme s'appelait Ibn Al-Haytam, dit Al-Hazen. Il
naquit à Bassora ( actuel Irak) et étudia dès son plus
jeune âge les mathématiques, l'astronomie, l'optique et
même la philosophie.
Il dévorait littéralement tous le savoir des grecs, tels
qu'Aristote, qu'il pouvait trouver dans les ouvrages
traduits en arabe.
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Son savoir se fit connaître auprès du gouverneur de la
région qui lui proposa de venir travailler pour lui, mais
Al-Hazen voulait rester seul.
Il était difficile voire dangereux de refuser cette
proposition, aussi, rusé qu'il était, il trouva un
subterfuge afin que le gouverneur se rétracte de son
offre : se faire passer pour un fou.
Le stratagème fonctionna mais il fut de courte durée
car sa renommée avait traversé les mers jusqu'aux
rives du Nil où un calife du nom d'Al Hakim lui envoya
un émissaire pour l'inviter à poursuivre ses études au
Caire. Al-Hazen accepta facilement car il avait eu vent
que cette ville voulait supplanter la renommée de
Bagdad dans le savoir et avait créé la Maison de la
Sagesse, lieu de rencontre des plus érudits.
Mais quelle fut sa déception quand le calife demanda à
le voir un jour afin de lui demander de trouver une
solution aux crues du Nil.
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Al- Hazen partit donc avec une équipe d'ingénieurs vers
le Nil et observa les pyramides pendant le trajet.
Devant le génie des architectes qui ont construit des
édifices si résistants, et dont le savoir s'est perdu, il
en conclut que si eux n'ont pas réussi à endiguer ce
phénomène, ils n’y parviendront pas non plus.
Ainsi, craignant pour sa vie que cette évidence ne
déplaise au calife, il préféra de nouveau simuler la folie
jusqu' à la mort de ce dernier, qui lui , était
véritablement fou. "
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Les enfants se mirent à rire.
- J'ai ri aussi, croyez moi à la chute de ce fabuleux
récit.
Nous avons ensuite mangé en silence, et je déduisis que
mon hôte devait gagner son repas chaque jour de la
même façon avec les étrangers de passage. J'ai eu
pitié de lui et je lui offris de l'argent avant de lui dire
au revoir mais il refusa m'indiquant qu'il ne faisait pas
la charité.
J'insista, et il fini par accepter en me glissant un petit
papier plié dans la main et en me disant qu'il contenait
un secret d'Al-Hazen. Il me pria de l'ouvrir le moment
venu. Je le regardais perplexe quand il ajouta que je le
saurai. Et il disparut comme il était venu.
J'ai voulu en savoir davantage sur les travaux d'Al-
Hazen et j'ai découvert que son obsession était la
lumière.
Toute sa vie, il l'étudia. Et il chercha désespérément à
résoudre le mystère de l'arc-en-ciel et pour faire ses
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expériences, il utilisait des miroirs, des lentilles et des
verres.
Il commandait même des boules de cristal à des
artisans verriers.
Ensuite, j'ai voulu voir les pyramides qu'avait vu Al-
Hazen, et j'alla donc à Gyzeh.
Elles étaient splendides. Le calcaire qui les recouvre et
qui leur donne un aspect très lisse fait refléter les
rayons du soleil et elles semblent scintiller.
Malheureusement, j ai aussi vu un souverain essayer de
créer une brèche dans ses murs avec du vinaigre et j'ai
appris un peu plus tard qu'un homme avait ouvert une
école coranique en vendant ses pierres.
Je vis également le Nil à côté des pyramides.
Ce fleuve me rappela Moussa (AS) car par la Grâce
d'Allah, il avait changé ces eaux en sang pour faire peur
à Pharaon qui refusait de libérer son peuple. A l'époque
les juifs étaient les esclaves des égyptiens.
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Je pris ensuite un bateau, ou plus précisément un
fellouk, pour traverser le Nil et rejoindre la Mer Rouge.
Sur l'embarcation, on me déconseilla d'emprunter ce
trajet car me dit-on : la guerre fait rage là-bas. On me
conseilla de passer par Damas, en Syrie.
Je ne voulais pas car cela me rallongerait le voyage de
près de 1600 kilomètres.
- Tu as dit La mer Rouge. La mer est vraiment rouge là-
bas ? m'interrogea-t-on.
- Non, pas tout à fait.
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En réalité, elle tient son nom des algues bleues qu'elle
contient et qui deviennent rouges quand elles meurent.
Je n'ai malheureusement pas pu monter sur l'un des
vaisseaux marchands comme je l'escomptais pour
rejoindre le port Jeddah en Arabie, d’où Mecca est
proche. En effet, tout n'était que ruines et désolation à
cause du conflit qui opposait les bejas et les égyptiens.
Je me suis senti stupide et j'ai demandé à Dieu de
pardonner ma fierté et mon acharnement.
A cet instant, je me suis rappelé à nouveau Moussa (AS)
qui lui aussi s'était retrouvé devant cette même Mer,
suivi par son peuple, et à qui Allah est venu en aide en
lui ordonnant de frapper son bâton contre un rocher,
puis de toucher la mer. Les eaux se retirèrent pour leur
créer un passage.
Moi, je n’étais pas un prophète et je n'avais aucune
autre solution que de renoncer . C'est à ce moment que
je me suis souvenu du papier contenant un secret que le
vieillard m'avait remis et je le sortis de ma poche. En le
dépliant délicatement, je découvris un schéma :
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Une boule de cristal remplie d'eau avec un bâton plongé
à la verticale. Le bâton est droit mais on dirait qu'il est
plié dans l'eau.
Au point de contact du bâton et de l'eau, il y a une
flèche où il est écrit : Nour. (Lumière en arabe).
Un enfant s'écria :
- Bah dit donc ! il y'a beaucoup de bâtons magiques !
Tous éclatèrent de rire.
- Ce n'est pas magique, mon enfant, c'est scientifique !
Al- Hazen avait en effet compris la réfraction de la
lumière en optique. Mais il n'a pas découvert que cela,
vous pourrez faire des recherches pour découvrir le
reste si vous êtes curieux.
On va s'arrêter là pour ce soir . Demain, vous pourrez
mettre un bâton dans l'eau pour observer ce
phénomène si vous le voulez incha'Allah.
Le lendemain, pas un enfant ne manque à l'appel et je
repris mon récit.
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J'ai donc rebroussé chemin sous un soleil de plomb afin
d'atteindre Al Qods ( Jérusalem ) car je tenais à
visiter l'esplanade des mosquées.
- C'est quoi ? me demandent-ils.
- C'est un lieu où sont érigées de remarquables
mosquées : Al-Aqsa et Qubbat As-Sakhrah (le Dôme du
Rocher).
Qubbat As-Sakhrah est très important pour les
musulmans. Il a la particularité d'avoir un dôme doré
mais aussi celle de na pas avoir de minaret.
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Cette mosquée renferme la pierre sacrée d'où
Mohamed ( SWS) a effectué son voyage nocturne.
Vous connaissez ce voyage sur son cheval ailé ?
- Un peu, me répondent-ils.
- C'est important car c'est lors de cette ascension
nocturne que fut déterminé le nombre de nos prières
quotidiennes.
Le Prophète (SWS) dormait à Masjid al-Haram où il y a
la Kaaba quand il fut réveillé par l'ange Djibril. Il lui
confia Al Bouraq, un cheval ailé, pour se rendre à Al-
Qods. Il attacha sa monture et accompagné de Djibril,
il gravit les sept cieux.
A chaque ciel, il rencontra un prophète qui demanda à
l'ange qui était avec lui et si le moment était venu. A
chaque fois, Djibril répondait par l'affirmative.
Il rencontra d'abord Adam ( AS), au second ciel ce fut
Issa (AS) et Zacharia ( AS), au 3ème Youssef ( AS), au
4ème Idriss (AS), au 5ème Haroun (AS), au 6ème
Moussa ( AS) et au dernier Ibrahim ( AS).
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Puis, il arriva devant un arbre, nommé Sidratou l-
Mountahâ autour duquel il vit un spectacle inouï de
papillons d'or qui virevoltaient.
Il a enfin entendu Dieu lui révéler que le nombre de
prières par jour serait porté au nombre de 50.
En redescendant vers Moussa (AS), ce dernier lui
conseilla de demander un allégement car sa communauté
ne pourrait le supporter. Ce qu'il fit. Allah lui remis le
nombre de prières à 45, et Mohamed (SWS)
redescendit ainsi jusqu'à Moussa (AS) qui trouvait
chaque fois le nombre trop important jusqu'à ce qu'il
atteigne le nombre de 5.
Allah lui dit alors que chaque salat vaudrait pour 10 de
sorte que cela compterait comme les 50 initialement
ordonnées. Mais Moussa (AS) réitéra son conseil auprès
du Prophète (SWS) qui refusa.
En effet, il était tellement retourné à Dieu, gêné de
ses demandes, qu'il en éprouvait de la honte.
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Je poursuivis ensuite ma route vers cette merveille
dont tout le monde parle : Damas. (en Syrie)
J'ai parcouru cette ville dans tous ses recoins et je
peux vous dire qu'elle surpasse toutes les autres en
beauté et qu'il serait trop long de décrire tant de
splendeurs.
Mais je vais vous parler de la Mosquée des
Ommeyyades. Elle tire son nom d'une tribu mecquoise :
les Banu-Umayya qui fondèrent l'empire des
Ommeyades.
C'est l'un des joyaux de l'architecture musulmane. Elle
fut construite en 10 ans à partir de 705 sous le règne
du calife al-Walid sur les fondations de l'ancienne
basilique byzantine Saint Jean-Baptiste.
- C'est qui Saint-Jean… ne parvenait pas à finir l'un
d'eux.
- Baptiste ? l'aidais-je.
Pour les chrétiens, c'est celui qui baptisa Jésus, c'est à
dire Issa (AS). Pour nous c'est surtout le fils inespéré
de Zacharia (AS) car il avait 90 ans quand il s'adressa à
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Allah pour lui demander de lui accorder un fils pieux et
vertueux. Il le fit car Zacharia était le gardien de
Maryam (AS), la mère d' Issa (AS). Maryam ( AS) était
enfermée dans une chambre et recevait chaque jour
des fruits frais alors qu'elle n'avait aucune visite. Elle
priait sans relâche. Et quand Zacharia lui demanda d’où
provenait cette nourriture, elle lui répondit qu'elle
venait d'Allah. Il se dit alors qu'il pouvait lui aussi prier
pour demander à Dieu ce qu'il voulait.
Le Coran le traduit en ces termes : "Ô mon Seigneur,
mes os sont affaiblis et ma tête s'est enflammée de
cheveux blancs. Cependant, je n'ai jamais été déçu en
te priant, ò mon Seigneur. Je crains le comportement
de mes héritiers, après moi. Et ma propre femme est
stérile. Accorde-moi, de Ta part, un descendant qui
hérite de moi et hérite de la famille de Yacoub. Et fais
qu'il te soit agréable, ò mon Seigneur›. » (Sourate
Maryam, versets 2 à 6)
Revenons à Damas. Un soir assis devant la tente, j’ai
rencontré un homme. Je lui ai raconté ma mésaventure
au Caire et l'histoire du vieillard avec Al-Hazen.
L’homme fut pris d'un fou rire.
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Je n'en compris pas la raison. Il est vrai qu'un fou qui
invite quelqu'un qui se passer pour fou c'est drôle, mais
quand même !
Il s'arrêta enfin et j'eu droit à son explication. En
fait, Al Hazen était bien connu à Damas, tant et si bien
que ce chasseur d'arcs-en-ciel les a privé de leur
chasseur d'étoiles..
- Il y a aussi un chasseur d'étoiles ! s'exclamèrent- ils.
- Oui, en la personne d'Ibn Al-Shatir. Nous avons le
même âge mais je ne l'ai malheureusement pas
rencontré. Quand je quittais le Caire pour Damas, lui
quittait Damas pour Le Caire. C'est le destin !
(mektoub)
Comme diraient certains, il n'est pourtant pas né sous
une bonne étoile car à l'instar du Prophète ( SWS), il a
perdu son père très jeune et a été recueilli par son
oncle. Il fut un artisan accompli puisqu'il savait aussi
bien fabriquer des objets d'art avec le bois, qu'avec
l'ivoire ou le nacre.
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J'ai appris quand je revins au Caire après mon premier
pèlerinage qu'il était rentré au pays, et que l'on ne le
surnommait plus le "chasseur d'étoiles" mais le
"compteur du temps".
En effet, en astronome accompli, il fut nommé comme
responsable de l'heure des prières et inventa même un
cadran solaire qu'il fixa sur le minaret de la Mosquée
des Omeyyades.
Je fixa un instant le ciel et les enfants aussi.
- Que d'hommes passionnés par la Création d'Allah !
Que de mystères dans ce ciel étoilé ! Et que de savoir !
En effet, l'étude du ciel permet non seulement se
repérer mais également de voyager, de mesurer le
temps, d'établir des calendriers… grâce à cette
merveilleuse création d'Allah qu'est le système solaire
et grâce à l’invention des hommes qu'est l'astrolabe.
Les grecs l'ont inventé, les arabes l'ont perfectionné.
Et le nom d'astrolabe a été donné en l'honneur de
Mariam Al-Asrolabiya, qui fut la seule femme à en
concevoir.
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- Allez, ce sera tout pour ce soir. Allez vous coucher
avec les étoiles que je vois dans vos yeux. Bonne nuit les
enfants !
Le lendemain, je poursuivi mon histoire.
La caravane partit tôt le lendemain. Imaginez une
rivière à travers le désert de près de 10 000 hommes
qui ont en commun cette quête du hajj.
Je ne me sentais plus seul, car ces hommes et femmes
qui partageaient ma route me rendaient fort et fier
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d'être musulman. Je sentais une chaleur plus grande
encore que celle du soleil sur ma peau : une chaleur
indescriptible dans mon cœur.
Les dromadaires m'ont stupéfait pendant cette longue
traversée.
Une fillette me dit :
- Le dromadaire, le chameau, je les confonds toujours
moi !
- Pour t'en souvenir, je vais te raconter une légende
arabe. Quand Allah a crée l'homme d'argile, Il lui
restait deux mottes de terre.
Il prit la première et créa le dromadaire en mettant la
terre dans sa bosse, avec la seconde Il créa le dattier.
- Donc le dromadaire a une bosse dit la fillette.
Je vous disais donc que les dromadaires sont des
animaux étonnants.
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Ils peuvent boire jusqu'à 100 litres en une seule fois,
rester sans boire plusieurs jours durant et parcourir 40
kms par jour avec une charge pouvant aller jusqu'à
250 kg.
Ce désert est une étendue qui donne le vertige car
l'horizon ne donne aucun repère. Tout n'est que sable,
aucun édifice, aucune végétation, aucune nourriture
sauf quand on trouve enfin un oasis.
Il n'y a que des animaux tels que le scorpion et le
fennec qui peuvent y survivre.
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Une fillette leva la main pour m'interrompre.
- Comment les roses poussent-elles alors ?
Tous éclatèrent de rire.
- Un garçon lui répondit : Mais les roses des sables,
c'est du pipi de dromadaire !
Elle se sentit toute triste que l'on ait ri à sa question.
-Tu es jeune, habiba, tu apprendras des tas de choses
comme je l'ai fais.En fait, on le suppose, mais ce n'est
pas formellement établi.
Il faudrait étudier la chimie pour le découvrir. Qui sait,
tu seras peut être une grande chimiste !
Elle retrouva le sourire à cette simple idée.
Nous avons enfin atteint Médine. Là-bas, j'ai commencé
par la visite du tombeau du Prophète Mohamed (SWS)
et j'en eu le souffle coupé. Pas à cause de la fatigue du
voyage mais parce que tout mon être en a été troublé.
L'émotion était si grande qu'elle déborda à travers mes
yeux.
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Je suis resté à Médine jusqu'au jour tant attendu qui
marque le début du mois dhû al-hijja, c’est-à-dire le
mois du hajj.
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit tellement j'étais
impatient. J'essayais de rien oublier : surtout
prononcer l'intention d'accomplir le pèlerinage (la nya),
puis le déroulement des rites à accomplir.
Nous sommes partis vers celle que l'on nomme " La
Mère des cités". Nous guettions la limite sacrée de
Mecca pour nous mettre en état de sacralisation.
J'ai sorti les deux étoffes de lin d'un blanc immaculé
de mes bagages et j'ai pris le bain rituel (ghus) pour les
vêtir.
La Mecque est le centre du monde pour les musulmans.
Celle vers laquelle toutes les faces se tournent pour
s'adresser à Dieu.
Elle a vu naître le Prophète Mohamed (SWS) mais avant
lui elle accueillit le prophète Ismaïl (AS) qui a
reconstruit la Kaaba avec son père Ibrahim (AS).
- Pourquoi dis-tu reconstruit ? me demanda-t-on.
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- Parce qu'il parait que ses fondations existaient déjà.
Une légende dit que les anges avaient construit la
Maison sacrée et qu'à l'époque de Nouh (SWS), Allah
l'a élevée au ciel pour la préserver du Déluge. D'autres
disent qu'elle y a péri. Allahouahlem.
J' ai accompli les fameux rites : 7 tours autour de la
Ka'Aba ( attawaf) en commençant par l'endroit où se
trouve la pierre noire, et en disant le takbir
(Allahouakbar) à chaque tour. Puis j'ai fais deux
prières à la station d'Ibrahim ( AS). J'ai bu au puits
l'eau de Zemzem avant de faire les circumambulations
entre les collines de Safa et Marwa (Sa'y).
Le lendemain, je me suis dirigé vers le mont Arafat où
j'ai regroupé dhor et asr. Le maghreb et l'isha se font
à Mouzdallifat où l'on doit passer la nuit.
Enfin, le surlendemain après la prière de fajr, j'ai
invoqué Allah à la station de Al Mach’ar al Haram, puis
je suis allé à Mina en ramassant sept petits cailloux
pour les jeter sur les stelles.( ramye al jamarat )
Il faut lapider Satan avant la prière de dhor en disant
chaque fois "Bimillah, Allahouakbar".
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C'est enfin le jour de l’Aïd, la fête du sacrifice.
Mon pèlerinage prenait fin. On m'a rasé la tête et j'ai
prié Allah pour qu' Il l'agrée. J’ai fais des invocations
(duas) pour ma famille et tous les musulmans.
Mais je ne pouvais rentrer. J'avais tant appris pendant
ce voyage que j'ai repris la route ou j'ai découvert
encore des tas de choses.
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Je leur racontais les nuits suivantes mon passage à
Bassora, là où était né Al-Hazen, souvenez vous.
Un jour, en promenant dans un souk, j'ai entendu une
conversation entre un marchand et un client. Ce dernier
recomptait plusieurs fois sa monnaie.
Le vendeur lui dit d'un ton agacé :
- Grâce à Dieu et notre Al-Khwarizmi, moi je sais
compter et le compte y est, fais moi confiance.
Je me suis rapproché et après les avoir salué comme il
est d'usage de le faire entre musulmans, j'interrogea le
marchand en m'excusant de mes oreilles indiscrètes.
- Tu as dis que tu savais compter grâce à Allah et Al-
Khawarizmi lui répétai-je.
- En effet, répondit le marchand, Al-Khwarizmi est l'un
des plus grands savants dont notre pays peut être fier.
Ignores-tu que sans lui, et sa découverte de manuscrit
indien de mathématiques où le rien était représenté par
un point qu'il eut l'idée du zéro de lui donner une
fonction ?
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Il le développa dans des calculs qu'il mit par écrit dans
un ouvrage. Ce fut le premier manuel de mathématiques
de l'histoire de l' Humanité.
Il le rendit célèbre dans le monde entier tant et si bien
qu'on donna son nom à l'algèbre et l'algorithme.
En effet, les latins ont traduit Al-Khwarizmi par
Algoritmi.
Al- Khwarizmi vécut sous le règne d'Haroun Al-Rachid
et il offrit à son fils, Al-Mamun le livre d'algèbre dont
je t'ai parlé car ce dernier était passionné de sciences.
Ce geste contribua grandement à faire sa renommée.
Je le remercia en lui disant que je ne connaissais
Haroun Al-Rachid que pour ses escapades nocturnes
dans les contes des mille et une nuits.
Il me répondit qu'il était à l'origine du premier hôpital
et de la Maison de la sagesse.
En parlant, d'hôpital, cela me fait penser que si ce
marchand du souk a apprit à compter grâce à un savant,
un autre savant, quant à lui, apprit à compter auprès
d'un marchand.
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Ce genre d'opposition m'a fait sourire plusieurs fois
dans ma vie.
Cet homme s'appelle Ibn-Sina (dit "Avicenne" ).
Voici comment je l'ai découvert :
J'étais en Perse, à Ispahan, où les rues sont bondées
de monde. Cette cité est un lieu d'échanges
extraordinaire, un rendez-vous entre l'Orient et
l'Occident. Là-bas, se croisent des hommes de toutes
les origines. Ainsi, le savoir et les trésors des uns sont
apportés aux autres. Tout est précieux : les pierres, les
métaux, les bois, les épices, les parfums…
Mais ce qui est le plus convoité est la soie provenant de
Chine. C'est pour cela que l'on appelle le passage entre
Rome et la Chine : la route de la soie.
- D'ailleurs en parlant de soie, savez-vous comment
elle est fabriquée ?
- Je ne sais pas, me dit l'un d'eux, mais je sais que tout
comme l'or, les hommes n'ont pas le droit d'en porter
mais que cela leur sera permis au paradis incha'Allah
ajouta -t-il.
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- Tu dis vrai. En fait, les chinois ont découvert que la
chenille du mûrier crée un cocon de fil de coton très
doux. Ce fil est récolté avant qu'il ne devienne un
papillon puis il est tissé.
Mais revenons à Ibn- Sina. Une nuit où je dormais dans
une auberge, poursuivis-je, je fus réveillé par des cris
provenant de la rue. Une femme appelait à l'aide car sa
belle-sœur mettait au monde un bébé et la situation se
compliquait.
- Un médecin ! Y'a -t il un médecin pour nous porter
secours ? " hurla t- elle.
Rien ne se passait. Je me suis habillé en toute hâte,
sentant que la situation devenait critique et la rejoignis.
Nous avons déambulé ainsi un petit moment jusqu’à ce
qu'un homme vienne enfin à nous. Il était médecin et
entra dans la maison pour en ressortir quelques heures
plus tard complètement exténué.
Moi, j'étais resté là, devant la maison, adossé à un des
murs et je m'étais endormi.
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Il me réveilla :
- La maman et le bébé se portent bien hamdulillah. Il a
fallu utilisé des instruments comme nous l'a appris Ibn-
Sina.
Vous connaissez la suite. Il m'a appris comment Ibn-
Sina a grandi, en apprenant à compter auprès d' un
marchand, et qu'il surpassa ses maîtres dans bien des
domaines tels que la connaissance du Coran, la
philosophie, la géométrie…et enfin la médecine.
Il a écrit son Canon de la Médecine, l'ouvrage de
référence pour tout médecin qui se respecte.
Le soir suivant je leur raconta que j'ai parcouru bien
d'autres contrées, mais que j aimerai leur parler du
Yémen, Terre de la célèbre reine Balquis ( La reine de
Saba).
Quand j’arriva à Sanaa, sa capitale, je fus émerveillé.
Je vis ce que je n'avais vu nulle part ailleurs.
Les maisons sont construites sur des rochers. Elles sont
faîtes de basalte au sol et d'argile sur les étages
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supérieurs. Les étages sont délimités par des briques
décorées de plâtre blanc.
Elles sont très hautes et ressemblent à des tours. Il y a
des vitraux aux fenêtres et les portes en bois portent
des inscriptions coraniques.
Enfin, les toits forment des terrasses à ciel ouvert.
Chaque étage appartient à une partie de la famille :
hommes, femmes, enfants mais aussi grands-parents.
En les contemplant un moment, un yéménite s'approcha
de moi et me dit :
- Sais-tu qu'on raconte ici que Sem, le fils de Nouh
(AS) s'y est établi parce qu' un oiseau lui avait
commandé.
- Non, je l'ignorais, lui répondis-je. Mais cela ne me
surprendrai pas. N'est-ce pas une huppe qui dévoila à
Soulayman ( AS), que la reine qui vivait ici adorait le
soleil.
- C'est vrai ! Les oiseaux sont bavards !
- Nous rîmes un moment.
37
Les enfants me fixèrent, et je compris qu'ils ne
comprenaient pas.
Le Coran nous conte cette histoire dans la Sourate 27 :
"Les fourmis ".
38
Soulayman ( AS) est un prophète qu'Allah a favorisé en
lui soumettant les hommes, les djinns, le vent et les
oiseaux.
Il se servait de ces derniers pour combattre dès qu'il
le pouvait tous ceux qui ne croyaient pas en un Dieu
Unique. Un jour, convoquant les chefs de ses oiseaux, il
remarqua l'absence de la huppe et se mit en colère.
Quand elle arriva, et craignant pour sa vie, la huppe
raconta à Soulayman (AS) les raisons de son retard. En
effet, elle a vu, une reine de toute beauté, dont le
trône est orné d'or, de pierres précieuses et de perles
dont la magnificence est incomparable. Cette reine,
nommée Balquis, ainsi que son peuple adoraient le soleil.
Soulayman oublia sa colère contre la huppe et se mit en
colère contre cette reine.
Il demanda à la huppe de lui envoyer une lettre dans
laquelle il l'exhorte à adorer Allah.
Quand elle lut la missive, elle décida de tester
Soulayman ( AS) en lui offrant un somptueux cadeau.
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S'il l'accepte, se dit-elle, c'est que nous avons affaire
à un imposteur. La huppe l'entendit et rapporta ses
paroles à son maître. Il ordonna à un djinn de construite
un palais identique au sien et la fit venir.
Elle fut stupéfaite et quand il lui commanda d'entrer.
Elle crut voir un bassin d'eau sous ses pieds et leva son
vêtement pour ne pas le mouiller. Or, ce n'était pas de
l'eau mais du cristal. Elle reconnut s'être fourvoyée et
se soumis à Allah, Unique et sans associés.
Les enfants sourirent de cette fin heureuse.
Le yéménite m'invita chez lui. Les voyageurs sont
toujours les bienvenus me dit-il.
Son épouse nous prépara un festin et mon compagnon
me divertit avec des énigmes avec lesquelles Balquis
tenta de confondre Soulayman (AS) et réciproquement.
Mais on en ignore leur véracité car le Coran ne les
mentionne pas.
- Donne-les nous s'il te plaît ! me supplièrent ils.
- Très bien, une seule alors : " On l'enterre avant sa
mort mais il donne la vie et se multiplie".
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Ils réfléchirent un moment mais personne n'osa tenter
la moindre réponse qui est " le grain de blé ".
En repensant au palais de l'histoire du Coran, je ne pu
m'empêcher de trouver une coïncidence étrange à cette
aventure car j'appris par cet ami yéménite que Sanaa,
qui signifie ville fortifiée, a été entourée de remparts
sur l'ordre d'un roi Sabéen afin de protéger un
somptueux palais.
Mes voyages m'ont conduit dans toute l' Arabie.
Moi, qui croyais avoir vu au Caire et à Sanaa, les plus
étonnants édifices construits par les hommes, je
réalisais que le monde me réservait encore des
surprises quand je vis d'Al-Buthra (Pétra, en Jordanie).
Cette cité antique, fut une halte caravanière entre le
Yémen et l'Arabie à l'époque nabatéenne, non pas sur la
route de la soie, mais sur celle de l'encens provenant
d'Inde. En effet, la résine du boswellia qui permet sa
fabrication était très prisée dans les cultes religieux
polythéistes.
41
Après avoir traversé un interminable couloir creusé
dans les montagnes ( le siq ), quelle fut ma stupéfaction
quand je découvris ces gigantesques façades taillées à
même la roche : du grès dans une palette de couleurs
flamboyantes allant du jaune au violet.
Ce lieu, caché dans des gorges est une merveille mais
l'histoire de son abandon suite à un tremblement de
terre laisse à réfléchir.
En effet, Al-Buthra mais surtout Al-Hijr, autre ville
troglodyte située plus au sud dans la vallée de Madain
Salih, sont citées dans le Coran dans la Sourate " Al-
Hijr" : "Certes, les gens d'Al-Hijr ont traité de
menteurs les messagers. Nous leur avons montré Nos
miracles, mais ils s'en étaient détournés. Et ils
taillaient des maisons dans les montagnes, vivant en
sécurité. Puis, au matin, le Cri les saisit. Ce qu'ils
avaient acquis ne leur a donc point profité." ( versets
80 à 84)
Les prophètes dont il est question ne sont autres que
Chouaïb (AS) et Salih ( AS), d'où le nom de la vallée
Madain Salih.
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Mais ce n'est pas tout puisque mon guide me raconta
ensuite quelque chose d'incroyable à savoir que c'est ici
que Moussa (AS) aurait fait jaillir l'eau pour désaltérer
son peuple.
Le Coran stipule : " Et rappelez-vous quand Moïse
demanda de l’eau pour désaltérer son peuple, c’est alors
que Nous dîmes : « Frappe le rocher avec ton bâton ».
Et tout d’un coup, douze sources en jaillirent, et certes,
chaque tribu sut où s’abreuver ! " (Sourate "Al-Baqara" ,
verset 60 ). Ces lieux sont donc chargés de rappels.
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Durant ces années, j'ai aussi vu des ruines comme celles
de Samarcande, en Khwarezm ( actuel Ouzbékistan)
Elle surpassait en beauté beaucoup d'autres cités mais
les Mongols l'ont détruite.
Samarcande est bordée par la rivière des Foulons où je
découvris d'étonnantes machines hydrauliques. Je me
suis promené dans ses jardins parmi ses habitants.
Assis sur un banc, un homme étudiait ces machines et
des schémas d'un certain Al-Jazari.
Al-Jazari, de son véritable nom Abu Al-Iz Ibn Ismail
ibn Al-Razz, est un savant qui se fit connaître en tant
qu'astronome, inventeur mais surtout en tant qu'
ingénieur en mécanique.
En effet, vivant dans un territoire aride, il s'intéressa
très tôt au problème de la sécheresse. Il accorda une
partie de sa vie à ce domaine en construisant des
machines capables de puiser l'eau sans l'intervention de
l'homme telles que les norias, d'immenses roues à eau
qui servent à irriguer les champs.
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C'est aussi à Samarcande, lors de la bataille de Talas en
751, qu'on découvrit le secret de la fabrication du
papier d'un prisonnier chinois et c'est tout
naturellement qu'elle devint le plus grand centre de
production d'écrits religieux et scientifiques.
Enfin, pour ce qui est du Khwarezm, , j'ai appris enfin
que ce fut le lieu de naissance d'un grand savant : Al-
Biruni" ( de son vrai nom Afzal Muḥammad ibn Aḥmad
Abu al-Reḥan ). Il est célèbre pour avoir démontré que
la Terre était ronde mais surtout mobile, alors qu'on la
croyait fixe depuis Ptolémée.
Mon premier voyage m'a permis de faire plusieurs fois
le pèlerinage et d'atteindre l' Inde et la Chine comme
je vous le disais au début avant de rentrer pour une
courte durée chez moi.
En effet , je suis reparti très vite vers l'Andalousie,
riche de connaissances mais toujours assoiffé de savoir.
Mais cela est une autre histoire !
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Comme vous avez pu le constater à travers mes
pérégrinations, Allah a crée la Terre et les êtres avec
tellement de sagesse et de mystères que jusqu'à la fin
des Temps, on pourrait faire des découvertes.
Quelles seront les vôtres ?
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