journal d’un sans voix
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Journal d’un sans voix
MARCUS DA WRITER
Journal d’un sans voixNouvelle
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« Celui qui passe à côté de la plus belle histoire de sa vie n'aura que l'âge de ses regrets et tous les soupirs
du monde ne sauraient bercer son âme... »
Yasmina KHADRA
Je me nomme Alpha Thiam, j’ai 20 ans, et je suis muet. Pas sourd, juste muet. Ne vous
empressez pas d’être accablés de ma condition, car je ne l’ai pas toujours été. D’ailleurs, je ne
mérite pas votre empathie. Ce qui est drôle, c’est que ça m’est arrivé sans crier gare, il y a quelques
mois de cela, après un traumatisme subi au niveau de la tête. C’est la tête qui a été touchée, mais
ma voix qui en a pâti. Sacré Dieu ! On n’a pas eu à me le dire, je l’ai découvert, tout seul, comme
un grand : j’étais muet.
J’écris parce que je n’ai pas eu d’autre choix. L’usage de la parole m’ayant été ôté, j’ai été contraint
de me rabattre sur l’écriture pour communiquer avec les autres. Au début, je détestais cela.
D’ailleurs, écrire n’a jamais été mon fort. J’aurais préféré que l’on m’installât une machine qui pût
traduire à l’écrit ou à l’oral tout ce que je pensais. Cela aurait été génialissime. Mais mes parents
m’ont fait comprendre que ce n’était pas possible ; non pas qu’ils n’eussent pas suffisamment
d’argent pour me l’offrir – ils auraient remué ciel et terre pour moi -, mais un tel appareil
n’existait tout simplement pas. A la longue, j’ai dû m’acclimater à la feuille et au stylo : c’est donc
la raison pour laquelle j’écris.
Le docteur, après maintes analyses que je ne saurais expliquer, a confié à mes parents qu’il ne
pouvait rien faire de plus pour moi, car, suivez-bien, les fonctions motrices de mon larynx avaient
été altérées à cause d’une lésion des voies nerveuses au niveau des centres de mon encéphale. Je
sais, je sais. Moi aussi je n’avais rien compris à son charabia. Et c’est précisément à ce moment que
j’ai compris une chose essentielle, voire vitale : j’aurais dû écouter mon prof de SVT lorsqu’il
dispensait ses cours, et qu’il m’implorait presque d’arrêter de faire rire la classe, et de suivre. Ce
jour-là, j’ai vu et compris l’utilité de ces cours que je jugeais merdiques autrefois. Pour ne pas
mourir plus bête, j’ai voulu demander une explication prosaïque au docteur, mais mon père, qui
était aussi ignare que moi, m’a marché sur la langue. Le toubib lui a alors expliqué que j’avais
perdu la voix, et que la seule chose qu’il restait à faire était de prier pour qu’un miracle se
produise. Autrement, il y avait de fortes chances que je sois muet durant le restant de mes jours.
Ça, par contre, ce n’était pas génialissime. En fait, toute cette explication alambiquée qu’il avait
faite au départ, était juste pour dire que j’étais devenu muet. Pas étonnant que les docteurs soient
si asociaux !
Je ne pouvais me résoudre à l’idée d’avoir perdu l’usage de la parole. Parler était sans conteste ce
que je savais faire de mieux. J’avais commencé à parler avant même de savoir marcher – je n’avais
même pas encore un an d’existence. Depuis lors, je ne m’étais plus arrêté. Les mots se déversaient
de mes lèvres avec une fluidité et une facilité déconcertante, à tel enseigne que ceux qui
m’écoutaient se gardaient de me poser des questions. Avec les mots et ma voix, je pouvais
convertir un puritain à la débauche, et une catin à la dévotion. Dans mon entourage, l’on
m’appelait « le beau parleur », et je portais ce titre avec une fierté que vous ne trouverez pas sur le
marché. Qu’allais-je devenir sans ma voix ?
Je n’avais plus droit à la parole. Elle m’était ôtée, juste comme ça, sans raison apparente. Les
spécialistes ont donné différents noms à cette pathologie : mutité, aphonie, laryngite, aphasie et
j’en passe. Moi, tout ce que j’en savais, c’était qu’à chaque fois que j’ouvrais la bouche pour dire
un mot, je n’entendais absolument rien. Aucun son ne s’échappait de mes cordes vocales. J’avais
beau me forcer, articuler du mieux que je pouvais, rien n’y faisait. C’était comme dans ces rêves
desquels l’on essaye de s’échapper en criant sans que notre voix se fasse entendre ; sauf que cette
fois, ce n’était pas un rêve : j’étais muet.
C’est aussi à cause de cette pathologie que mes parents ont découvert ma pseudo-dépendance à la
cigarette. L’orthophoniste – ce rapporteur – leur a dit que le tabagisme pouvait aussi être l’une des
causes de cette mutité, si l’on écartait les causes liées au traumatisme crânien que j’avais subi. Mais
après deux semaines et quelques jours de rééducation, il s’est rendu compte que la cigarette n’avait
rien à voir dans cette histoire.
J’avais commencé à fumer à l’âge de quatorze ans. Mes parents ne s’en était jamais aperçu grâce
aux bonbons à la menthe et au chewing-gum Hollywood que j’ingurgitais pour chasser l’odeur
mièvre du tabac. Au début, je fumais pour imiter mes potes, et pour me faire accepter d’eux.
Fumer était alors une preuve de virilité, de courage, et d’indépendance. En ce temps-là, je croyais
que seuls les fumeurs étaient de vrais hommes, parce qu’ils savaient affronter l’interdit, et ce qu’il y
avait de plus dangereux : la mort. Ainsi, je fumais pour montrer aux autres que moi aussi j’étais
courageux, viril, et indépendant. Mais puisque l’appétit vient en mangeant, à force de fumer, j’ai
fini par y prendre goût, et je n’ai plus arrêté.
Amsatou, mon ex-petite amie, a été la première à essayer de me faire arrêter. Toutes ses tentatives
se sont cependant soldées par des échecs car, même si je voulais lui faire plaisir, l’envie de fumer de
temps à autre était toujours là. Je ne fumais plus en sa présence, certes, mais cela ne m’empêchait
pas de tirer quelques taffes lorsque j’en sentais le besoin. Ensuite, El Hadj, un ami du lycée, a pris
le relais. D’ailleurs, je le soupçonnais de travailler de concert avec Amsatou, qui avait
soudainement semblé avoir lâché l’affaire. Le problème était qu’Amsatou ne lâchait jamais
l’affaire, alors vraiment jamais. El Hadj m’avait exposé une litanie de raisons pour lesquelles je
devais arrêter de fumer. Je l’avais écouté d’une oreille distraite, et lui avais promis d’arrêter. Je
savais qu’il rapporterait mes dires à Amsatou ; et c’était ce qu’il avait fait – le traite.
Même si j’appréciais ces conversations entre ma cigarette et moi, il me fallait définitivement
arrêter. Mes parents avaient été on ne peut plus clair là-dessus. Vous savez, on ne fait pas de
cadeaux aux gens qui ont échappé à la mort. Avoir approché l’autre côté de si près, et être revenu
sans information, c’est assez énervant pour les vivants. C’était peut-être la véritable raison de la
colère de mes parents, de mon père surtout. Apprendre que je fumais avait fait l’effet de l’huile sur
le feu. J’étais peut-être muet, mais pas sourd, et ils le savaient parfaitement. Ma mère, après El
Hadj, m’a fait tout un exposé sur la cigarette et ses dangers, avant de laisser mon père conclure sur
cette note d’une violence douce, mais combien efficace : « Si je te prends à fumer, a-t-il commencé,
si j’apprends que tu as fumé, si je sens seulement l’odeur de la cigarette émaner de ta bouche, je ne te
poserai pas de question, je te tue. Tu m’entends ? Je te tue de mes propres mains.»
Quelle différence ? me suis-je demandé sur le moment. Que ce soit de ses propres mains ou par
celles d’un autre, la finalité restait la même : j’allais me faire tuer ! J’en rigole aujourd’hui, mais
pour dire vrai, les mots de mon père m’avaient fait plus d’effet que les mises en garde d’Amsatou,
l’appel à la prudence d’El Hadj, et les conseils prévenants de ma mère. Ce n’étaient pas les mots
en eux-mêmes qui m’avaient fait de l’effet, mais son visage, la mine qu’il arborait, le petit sourire
au coin qui se dessinait, et ses yeux de furie qui me foudroyaient, lorsqu’il les avait dits. Cette
phrase : « je vais te tuer », je n’étais pas prêt de l’oublier. Ah ça, non !
J’avais pu voir de la colère et de la déception poindre dans les yeux de mon pater en prononçant
ces mots. N’eut été m’ont état pathologique, il m’aurait certainement fait passer un sale moment.
Mon père n’était pas du genre à seriner. Pour lui, il n’y avait pas d’âge qui interdisait une belle
bastonnade. C’est pourquoi, lorsqu’il demandait par exemple de sauter, la seule réponse qu’il
admettait, à défaut d’exécution, était : « à quelle hauteur ? ». C’était un véritable dictateur. Et
encore que c’est un euphémisme. A la maison, quand il se mettait en colère, et qu’il disait par
exemple : « TAIS-TOI ! », avec toute la colère qu’il était capable de rassembler, je vous jure que
même les voisins se taisaient. Heureusement qu’il n’était pas président ; cela aurait été un malheur
pour son pays.
Toutefois, il avait raison, et je le savais. D’ailleurs, ils avaient tous raison. Je devais arrêter de
fumer, d’autant que j’avais découvert que fumer ne prouvait en rien que l’on fût viril, courageux,
ou même indépendant. J’avais aussi découvert que nombre de mes amis, et d’autres adultes,
fumaient pour échapper à la rudesse de la réalité, ou pour se donner du courage, parce qu’ils se
sentaient faibles et incapables, et la cigarette leur donnait cette illusion d’assurance. En fait, fumer
ne servait juste qu’à cacher leurs peurs, leurs angoisses, leur dépendance, et leur manque de
courage. Cependant, même si j’arrêtais de fumer, cela ne réglait pas mon véritable problème, car
j’étais toujours muet.
*
* *
Avant d’accepter mon état – le fait d’être devenu muet – je me suis posé de nombreuses
questions. Pourquoi cela m’était arrivé à moi ? Pourquoi n’avais-je pas perdu un bras, un pied, ou
un autre membre de mon corps avec moins d’importance que la parole ? Et surtout, pourquoi
maintenant, et pas avant ou après ? Lorsqu’en classe, jadis, surpris en train de perturber le cours,
le professeur m’interrogeait, les autres élèves s’émerveillaient de mon élocution et de mon
éloquence, ce, même lorsque je n’avais aucune idée de la réponse exacte, et que je racontais des
âneries. Cette même éloquence m’aidait à me départir des autres garçons de mon âge, lorsque
j’étais, avec l’un d’eux, en compétition pour une fille. C’était aussi grâce à cette éloquence que
j’arrivais à convaincre mes parents de se plier à mes choix, ce, même lorsque mon père, éternel
acariâtre, menaçait de sortir de ses gonds. Tout cela, je le faisais grâce à la parole, grâce à ma voix.
J’étais un beau parleur et un excellent orateur. Qu’allais-je devenir dans ce monde régi par la
communication, orale avant tout, écrite ensuite ?
Tout cela m’avait mis hors de moi, et je n’avais eu qu’une seule envie : mourir, disparaître, ou
remonter le temps. C’était tout simplement injuste ce qui m’était arrivé. Je n’avais que 20 ans, et
n’avais encore rien fait de ma vie. Je venais à peine de décrocher mon baccalauréat, et n’avais
même pas encore totalisé deux mois de cours. Qu’allais-je faire du restant de mes jours ?
Pour la petite histoire, j’étais en prépa Économique et Commerciale à Rennes. J’étais arrivé en
France au mois de Septembre afin d’y poursuivre mes études. La France n’était pas mon premier
choix, mais j’y avais beaucoup plus d’amis qu’ailleurs. Ma mère m’avait poussé à y aller car sa sœur
résidait à Rennes, et elle estimait que le mieux pour moi était de me trouver dans un milieu où il y
avait de la famille. Mon père, lui, n’avait qu’un seul avis : rester au Sénégal, au moins jusqu’à la
Licence. Il disait que j’avais besoin de bases solides avant d’aller affronter le monde extérieur, mais
moi, je n’avais aucune envie de rester, alors que la majorité de mes amis s’envolaient pour
l’étranger. Puisque j’avais obtenu une pré-inscription à Rennes – sans qu’il ne le sache, bien
entendu – j’ai sauté sur l’occasion. Il ne pouvait pas dire non, vu que tout était déjà prêt. J’avais
monté le coup avec ma mère, qui était parvenue à le convaincre. J’allais donc retrouver mes deux
meilleurs potes dont l’un se trouvait à Paris, et l’autre à Montpellier. A dire vrai, j’avais opté pour
la France pour nombre de mauvaises raisons : la vie nocturne, la culture, les animations, l’idée
exaltante de rencontrer des filles, blanches surtout, et de découvrir un nouveau milieu. Je voulais
faire de ma première année d’étude une année de découverte et de divertissement. Peut-être était-
ce, tout bien réfléchi, la véritable cause de ce qui m’était arrivé !
Avant de quitter le Sénégal pour la France, j’avais pris le soin de rompre avec Amsatou, ma petite-
amie d’alors. Elle n’avait pu obtenir la pré-inscription, et moi, je m’étais promis de ne jamais
entretenir de relation à distance. Je l’aimais bien, certes, mais pas au point de me coltiner une
relation à distance de dix mois. J’allais sans doute trouver d’autres filles une fois en France, et
sûrement plus belles qu’elle. J’allais être au milieu de magnifiques créatures féminines, des naïades
dont je rêvais déjà un mois avant mon départ ; je n’allais quand même pas accepter d’avoir ma
petite amie tous les jours dans mes pattes ! A mon sens, ceux qui s’engageaient dans des relations à
distance étaient soit naïfs, soit des salauds de premier ordre. Tôt ou tard, ils allaient être tentés par
une autre fille – pour des raisons diverses – et ils auraient vite fait d’oublier leur petite-copine qui,
peut-être, aurait été en train d’espérer les revoir, ou de se languir d’eux dans les bras d’un autre. La
tentation est parfois plus forte qu’on ne le pense, surtout pour des jeunes à la fleur de l’âge. Tant
qu’on n’est pas marié, rien ne nous empêche d’aller voir ailleurs, et c’est là le problème. Enfin,
c’est un problème pour ceux qui le voient comme tel, bien sûr. Ne sommes-nous pas censés
chercher et trouver la perle rare ? Comment la trouverions-nous en étant attachés à une seule fille,
qui plus est lorsque la nature toute entière conspire pour qu’on aille voir d’autres horizons ? Ainsi,
pour ne pas avoir à mentir et à tricher, ce qui était assez difficile pour moi, j’avais préféré mettre
fin à ma relation avec Amsatou. Oui, je sais, la grosse bêtise.
J’avoue tout de même que cela avait été une décision difficile à prendre, vu que nous avions passé
plus de deux ans ensemble. Nous allions dans notre troisième année, lorsque j’avais décidé de
redevenir célibataire et, bien sûr, de nouveau sur le marché. Amsatou et moi nous étions
rencontrés lors des festivités culturelles de son école, alors que nous étions tous les deux en classe
de seconde. Elle était l’animatrice principale de ces festivités. Ce jour-là, elle portait une robe
traditionnelle en pagne africain, laquelle embrassait, avec une subtilité singulière, les contours de
sa magnifique silhouette. Elle avait un sourire éclatant, un sourire vrai, que je pouvais contempler
sans jamais m’en lasser. Sa voix, dans le micro, était suave et nette ; une voix féminine qui laissait
deviner des talents de chanteuse – et elle chantait souvent. Lorsqu’elle parlait, on avait
l’impression qu’elle donnait vie à ses mots, comme si ces derniers suivaient un rythme qu’elle leur
intimait. Et quand son rire se faisait entendre, c’était comme si l’on écoutait, le volume à fond, un
concerto de l’éminent Ludwig Van Beethoven. Ce jour-là, je n’avais eu d’yeux que pour elle, que
pour cette fille sur l’estrade, qui respirait, à sa stature, une confiance manifeste en sa personne.
Malgré toutes ces qualités, Amsatou n’était pas très belle ; vous savez, le genre à vous faire tomber
des nues, rien qu’à sa vue. Plus belle qu’elle, j’en avais déjà vu, et je savais que j’en verrai encore
dans le futur. Mais ce jour-là, il m’avait semblé qu’il n’y avait nulle part, dans cette grande cour
d’école qui avait accueillies une centaine – et peut-être même plus – de filles, une seule fille qui
fût plus belle qu’Amsatou. Amsatou avait ce je-ne-sais-quoi qui la rendait singulière. Tout au long
de la présentation, j’avais eu les yeux rivés sur elle. J’étudiais sa démarche, sa stature, ses rires et
sourires, ses regards, et tout ce qui constituait sa personne. Et lorsqu’elle avait quitté l’estrade, je
m’étais hâté à sa rencontre, et m’étais présenté à elle – encore l’éloquence. Nous avions fait
connaissance, mais elle avait refusé de me donner son numéro de téléphone, arguant être déjà avec
quelqu’un – ce qui était vrai, du reste. J’étais revenu la voir, et m’étais montré si opiniâtre, qu’elle
avait fini par craquer. Nous étions devenus amis, enfin, selon elle, et un mois plus tard, lorsqu’elle
avait largué son petit-ami – ce connard avait osé la tromper avec une autre fille de sa classe –,
j’avais aussitôt posé ma candidature. Elle m’avait promis de l’étudier, et avait laissé entendre que
j’avais mes chances.
Amsatou était tout ce que je pouvais espérer de mieux d’une petite-amie. Elle était brillante,
mûre, ambitieuse, drôle, sympathique, gentille, humble, généreuse, et tout cela sans être
matérialiste, pas dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce mot, mais dans le vrai sens. Elle n’était
pas du genre à faire toute une histoire pour un Smartphone dernier cri, ou parce qu’elle n’avait pas
de haut-talons à la mode. Je savais combien c’était rare de trouver une fille comme elle.
Cependant, outre ses qualités, les bonnes je veux dire, Amsatou était têtue, fière, sédentaire, et
incroyablement chaste. Bien que j’aie joué de tous les artifices possibles pour lui faire baisser sa
garde, jamais elle n’a accepté de s’offrir entièrement ; une histoire de principes : le mariage avant
tout. Même si j’insistais souvent pour qu’elle le fasse, je la respectais de s’en tenir à ses principes.
C’était assez rare de trouver des filles de ce genre-là. Non pas que je sois contre les filles qui n’y
voient aucun problème, bien au contraire ; seulement, la plupart de celles que j’avais connues ne
voyait pas l’utilité de garder une chose aussi banale que la virginité. Pour Amsatou, au contraire,
sa candeur était avait de la valeur. C’était ce qu’elle protégeait le plus. Ainsi, je devais le
reconnaître, elle inspirait le respect.
Même si je respectais Amsatou pour ses principes, je restais toutefois un homme, c’est-à-dire
friand des relations sexuelles. Je savais qu’une fois en France, j’allais trouver des filles avec d’autres
mentalités. Des filles pour lesquelles avoir des rapports sexuels était aussi banal qu’aller en boite de
nuit ou faire toute autre chose. Mes amis qui avaient étudié en France me l’avaient dit, et il n’y
avait qu’à discuter avec certaines de ces filles pour s’en rendre compte soi-même. Amsatou était le
genre de fille avec lesquelles l’on se marie, non pas celles avec lesquelles l’on s’amuse. J’étais jeune,
et absolument pas encore prêt pour le mariage. Ce que je voulais, c’était profiter pleinement de la
vie : faire des bêtises, commettre des erreurs, tomber et me relever, jusqu’à ce que je sois fin prêt à
faire le grand saut – pas avant des années, en tout cas. Vu que je ne pouvais faire tout cela tout en
étant en couple avec elle, le mieux était alors que je mette fin à notre relation ; d’abord pour elle,
et ensuite pour moi-même. J’emmerdais les puristes et les romantiques. J’étais jeune, je voulais
m’amuser, qu’y avait-il de mal à cela ?
Ainsi, lorsque j’ai obtenu mon visa et la confirmation de mon vol pour la France, j’ai demandé à
Amsatou de m’accorder un dernier rendez-vous avant que je ne m’envole pour l’Hexagone. Une
dernière journée que nous allions passer ensemble. Bien entendu, elle a accepté avec joie, car elle
ignorait que c’était également le dernier rendez-vous amoureux que nous aurions. J’avais de la
peine pour elle, mais je n’avais pas le choix. Je voulais toutefois lui faire passer une magnifique
dernière journée. Alors, pour commencer, j’ai emprunté la voiture de ma mère, et nous sommes
allés faire le tour de la ville. En premier lieu, nous sommes allés jouer au billard, au bowling, et à
d’autres jeux du Red Bowl, puis nous sommes allés à la plage de Sunugal, où nous nous sommes
baignés et nous sommes amusés comme deux gamins euphoriques. Ensuite, nous sommes allés
faire les boutiques, et je lui ai offert une robe pour le dîner que j’avais prévu dans la soirée.
Romantique, n’est-ce pas ?
Je l’ai ensuite ramenée chez elle pour lui permettre de se préparer pour le moment le plus
important de la journée, et je suis rentré chez moi pour en faire autant. Dans la soirée, aux
environs de vingt heures, je suis revenu la prendre – elle était éblouissante dans cette robe – et
nous sommes allés au restaurant Alkimia pour un dernier dîner. Nous avons parlé de tout, ressassé
les merveilleux souvenirs que nous gardons enfouis dans nos mémoires, mais nous n’avons pas
abordé le sujet de la distance qui allait bientôt nous séparer. J’avais sciemment évité ce sujet, et elle
avait sûrement dû penser que c’était parce que cela me faisait de la peine de devoir partir sans elle.
En partie, c’était vrai, mais seulement en partie.
En fin de soirée, aux environs de vingt-trois heures, je l’ai raccompagnée chez elle. C’étaient les
vacances, et elle avait trouvé une bonne excuse afin que ses parents ne se posent pas de questions.
Je savais que je ne devais pas espérer qu’elle s’offre à moi ce soir-là, juste parce que je m’en allais à
des kilomètres d’elle. Je n’ai donc fait aucune allusion à cela. La journée avait été superbe, et la
soirée, encore meilleure. Nous avions tous les deux adoré ; elle certainement plus que moi, vu que
j’étais trop préoccupé par ce que j’allais bientôt faire pour en profiter.
Lorsque nous sommes arrivés chez elle, avant qu’elle ne quitte la voiture, je me suis tourné pour
lui faire face. Il y avait un moment déjà que j’avais arrêté le moteur. Elle avait surement cru que
nous allions échanger un langoureux baiser d’au-revoir, alors elle me regardait droit dans les yeux,
avec ce magnifique sourire qui me séduisait jour après jour. Elle attendait que je me lance. Ses
yeux scintillaient de tout leur éclat, et elle était plus belle que jamais. Je me demandais si le sort
n’était pas en train de me narguer. Amsatou n’était pas de ces filles à la beauté extraordinaire, mais
elle avait un charme que je n’avais trouvé nulle part ailleurs. Et ce soir-là, à son charme de dame
exquise était venue se mêler une beauté que je ne lui avais jamais connue. J’en étais troublé au
plus haut point, alors que je la regardais d’un air pitoyable. Mais ma décision avait été prise, et ce
n’était pas le moment de faire machine arrière. Le lendemain, à cette heure-là, j’allais être dans
l’avion en partance pour la France. Il fallait que je le lui dise pendant qu’il était encore temps. Elle
me regardait à présent d’un air curieux, s’étonnant sûrement de ce silence qui s’était subtilement
installé. Étant au pied du mur, je me suis raclé la gorge, et lui ai dit :
- Bébé, j’ai quelque chose d’important à te dire.
- Ah oui ? a-t-elle fait d’un air surpris. Et qu’est-ce que c’est ?
- Tu sais que je t’aime, ai-je commencé, et je sais que tu m’aimes autant. Mais tu vois, il
arrive parfois que les événements de la vie viennent chambouler tout ce que l’on avait
projeté
- Où veux-tu en venir, Al ? m’a-t-elle interrompu. Je ne comprends pas.
- Laisse-moi poursuivre, lui ai-je calmement demandé. Si tu te souviens de ce qu’on se disait
lorsqu’on parlait de notre avenir, tu dois aussi te souvenir qu’on avait prévu d’aller tous les
deux étudier en France, après notre baccalauréat.
- Oui, je m’en souviens très bien !
- Et tu te souviens sûrement aussi que c’est parce que tu me l’avais demandé que j’ai fait les
démarches pour trouver une pré-inscription en France, juste pour être avec toi, n’est-ce
pas ?
- Oui ! De cela aussi je m’en souviens, Al, a-t-elle répondu sur un ton désolé. Et
malheureusement, je n’ai pas pu avoir la pré-inscription, et tu sais très bien pourquoi.
Mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir.
- J’y arrive, lui ai-je dit d’un air serein. Laisse-moi poursuivre.
- Ok, vas-y !
- Ce que je veux dire, c’est que, tu vois, finalement, rien ne s’est passé comme nous l’avions
prévu. Je vais bientôt m’envoler pour la France, alors que toi, tu seras ici, à Dakar. Nous
allons être loin l’un de l’autre, séparés par des kilomètres et des kilomètres de distance. Je
dois t’avouer que ce n’est pas une situation qui me réjouit.
- Moi non plus, a-t-elle balbutié.
- Je sais. Mais, il ne faut pas se voiler la face, Amsa, ce sera difficile pour chacun de nous de
tenir la distance.
- Bien entendu ! a-t-elle admis. Mais difficile ne veut pas dire impossible, Al. Et puis, tu
reviendras bien pour les vacances d’été, n’est-ce pas ?
- Bien sûr que je reviendrais. Mais n’empêche qu’on ne se verra assurément pas pendant dix
longs mois.
- Oui, je sais. Moi aussi je déteste cela. Mais que veux-tu ? C’est la vie ! Elle est ainsi faite.
Heureusement qu’il y a les appels, Facebook, Skype, et les e-mails ! On sera toujours en
contact !
- Peut-être ! Mais tu sais bien que les appels ne font pas de câlins, de même que Facebook et
Skype. Ils ne peuvent pas remplacer la présence physique, Amsa, et tu le sais autant que
moi. Et puis, nous sommes appelés à faire de nouvelles rencontres, toi dans ta nouvelle
école, et moi dans la mienne. Qui sait ce qui peut arriver ? Il y a des choses que l’on ne
contrôle pas.
- Attends, Al, a-t-elle dit d’un air penaud, en s’asseyant plus confortablement. Serais-tu en
train de dire que l’on devrait rompre à cause de la distance ?
- J’estime que ce serait la décision la plus sage à prendre.
- Se séparer ? s’est-elle écriée. Tu penses que la décision la plus sage serait de mettre fin à
notre relation ?
- Écoute, Amsa, ai-je essayé de la raisonner, je suis un mec, et il y a des choses que je ne
peux hélas gérer. J’aurais forcément certains attraits, et je risque de me laisser aller pour les
assouvir. Tu n’accepteras certainement pas que je flirte avec une autre fille que toi, alors
que nous sommes ensemble ! De même, je n’accepterais pas que tu en fasses autant avec
un autre à mon absence. C’est pour cette raison que je pense, afin que chacun de nous ait
la conscience tranquille, qu’il est préférable de se séparer pendant le temps que va durer
cette absence. Si l’on était fait l’un pour l’autre, on reviendra certainement ensemble. Mais
si ce n’était pas le cas, au moins, là nous serons fixés.
Amsatou m’a regardé pendant un long moment d’un air surpris. Elle ne m’avait jamais regardé de
la sorte. On aurait dit qu’elle n’arrivait pas à décider si son regard serait empli de peine ou de
haine. Il y avait un peu des deux dans ses yeux. Je ne pouvais même plus la fixer. J’ai essayé
délicatement de détourner la tête pour fuir son regard, mais elle a baissé les yeux. Nous sommes
restés ainsi pendant quelques secondes, qui m’ont semblé durer des heures. Elle a remué ensuite la
tête en laissant s’échapper un petit sourire, puis l’a relevée pour se remettre à me fixer.
- Il n’y a qu’un mec pour penser comme ça, a-t-elle marmonné. Mais tu sais quoi, fais un
bon voyage, Alpha, et je te souhaite de trouver la fille qui saura faire ton bonheur.
Puis, elle a ouvert la portière avec virulence, et est sortie, avant de la refermer avec autant de
hargne. Je n’ai pas voulu la rappeler, sachant qu’elle était déjà hors de ses gonds. Je l’ai regardée
monter les marches du perron dans sa magnifique robe en dentelle de couleur blanche que je lui
avais offerte plus tôt dans la journée. Avant d’ouvrir la porte de sa maison, elle s’est retournée
pour regarder dans ma direction. Elle avait encore le visage étiré par la colère, et les yeux humides
qui essayaient de contenir ses larmes. Je voyais qu’elle essayait tant bien que mal de se retenir, et je
me disais, pour me donner bonne contenance, que ce que j’avais fait était aussi pour son propre
bien, et qu’elle en comprendrait l’importance plus tard. Elle m’a regardé, a essayé de contenir sa
colère, et m’a dit, d’une voix calme et posée :
- Au fait, merci pour la journée d’aujourd’hui, et particulièrement pour ce dîner. Je me suis
vraiment bien amusée, et j’ai beaucoup aimé la passer avec toi. Passe une bonne nuit, et
fais un excellent voyage.
Puis, sans attendre que je ne dise un mot, elle a tourné les talons, a poussé la porte, et a disparu
derrière elle. Je n’en revenais toujours pas. Comment avait-elle pu me dire cela, après que j’aie
rompu d’avec elle ? Comment pouvait-elle trouver le courage de me remercier après ce que je
venais de lui faire ? J’ai donc commencé à douter du choix que je venais de faire. Avais-je pris la
bonne décision ? N’allais-je pas le regretter ? Peut-être qu’après tout j’aurais pu supporter la
distance ! Peut-être qu’après tout Amsatou valait la peine que je fasse ce sacrifice ! Mais il était
trop tard pour faire machine-arrière. Ma décision avait été prise, il fallait que je l’assume comme
un homme.
Puisqu’elle n’était plus là, j’ai sorti mon téléphone portable, et lui ai envoyé ce message : « Moi
aussi j’ai adoré cette journée, et elle sera à jamais gravé dans ma mémoire. Je suis vraiment désolé que
les choses se terminent ainsi entre nous ; mais comprends que je n’ai pas le choix. Passe aussi une bonne
soirée, et merci pour tout. ». J’ai attendu de recevoir l’accusé de réception, puis j’ai démarré la
voiture, et ai pris le chemin de la maison.
Depuis ce jour, je n’ai plus revue Amsatou. Je ne l’ai plus entendue, ni même lue. Elle n’est pas
venue me dire au revoir lors de mon départ, et ne m’a même pas envoyé un SMS pour le faire.
Après ce que je lui avais fait, je savais que je ne devais pas m’attendre à une telle attention de sa
part. Après tout, c’était quand même à une relation de plus de deux ans que je venais de mettre
un point. Je ne devais donc pas m’attendre à un traitement de faveur.
Durant tout le vol, je n’ai fait que penser à elle, et à la décision que j’avais prise. Mes souvenirs se
sont mis à me torturer. J’avais l’impression de voir ses yeux, son sourire, chaque fois qu’une fille
me regardait. Je n’avais pas encore totalement quitté le sol sénégalais, qu’elle me manquait déjà.
Était-ce trop tard pour rectifier le tir ? Non, il n’est jamais trop tard pour se racheter, ai-je
naïvement pensé. Il me fallait tenter de changer les choses. Je venais de réaliser que je l’aimais, et
pas juste un peu. Je ressentais un pincement au cœur qui ne pouvait se traduire que par l’amour
que je lui portais. Ce que j’avais cru être de la passion était en fait de l’amour. Et si c’était bien le
cas, alors j’avais tout foutu en l’air.
*
* *
Lorsque je suis arrivé à Paris, chez le frère cadet de mon père, j’ai essayé de la contacter par
téléphone, pour lui dire que j’avais commis une erreur, et que j’étais prêt à faire l’effort de rester
fidèle pour elle. Chaque tentative s’est soldée par un échec. Je suis allé la chercher sur le net, mais
elle m’avait supprimé de ses amis Facebook et de ses contacts Skype. J’ai essayé de contacter les
amis que nous avions en commun pour savoir ce qui se passait, et ils m’ont tous dit qu’Amsatou
n’avait plus envie d’entendre parler de moi, et qu’elle refusait catégoriquement de me parler. J’ai
envoyé sa meilleure amie lui demander son amitié, rien que cela, en lui disant que je m’en
contenterais ; mais cela aussi, elle l’a refusé. Cette fois, c’était plus qu’évident : entre Amsatou et
moi, c’était fini, et pour de bon. Nous n’allions même pas faire semblant d’être amis, comme le
faisaient les autres avec leur ex. Amsatou était passée de ma merveilleuse petite amie à mon ex, à
cause d’une toute petite connerie de ma part.
Je suis ensuite allé à Rennes, et j’ai commencé ma prépa. Je m’en voulais toujours pour ce que
j’avais fait, et je culpabilisais au point de ne pas vouloir sortir et faire de nouvelles rencontres.
Toutes mes résolutions étaient tombées à l’eau : mes envies de découverte, de nouvelles
rencontres, de divertissement, j’avais tout oublié. Je ne faisais plus qu’étudier, rien qu’étudier. Je
sentais que je me fermais peu à peu au monde extérieur. Cependant, grâce aux nouveaux potes de
la prépa, j’ai pu tourner la page, et m’ouvrir à d’autres rencontres, et à d’autres filles. J’ai compris
que les blessures du cœur peuvent aussi cicatriser, et que les nouvelles rencontres les oblitèrent –
parfois seulement. Au bout d’un mois, je me suis trouvé une fille, une haïtienne, et nous avons
commencé à sortir ensemble. Avec elle, c’était facile et différent, et j’aimais bien cela. J’avais enfin
réussi à oublier Amsatou, enfin, jusqu’à ce que cet incident ait lieu.
C’était un Samedi de Décembre, dans une boite de nuit de Rennes, deux mois après le début des
cours. Quelques nouveaux potes avec lesquels je traînais avaient réussi à m’entraîner avec eux pour
aller se défouler un peu, et oublier les cahiers. Puisque j’étais un fêtard-né, j’y suis allé sans hésiter.
La soirée était chaude, et il y avait un fou monde : différentes personnes, différentes cultures. Et ça
fumait, et ça buvait, et ça dansait, et ça hurlait. L’ambiance était propice au délassement. Pas une
seule fois j’avais pensé à Amsatou. Bien au contraire, je m’étais mêlé aux autres, et m’étais mis à
danser et à me défouler tout comme eux. Cette boite de nuit était magique par le fait qu’elle
permettait, pendant un laps de temps, d’oublier la réalité. C’était un genre de Hakuna Matata
moderne, un lieu où l’on oubliait tous nos soucis.
L’un des gars avec qui nous étions venus a cependant mis fin à notre parfait dérivatif en allant
traîner là où il ne devait pas. D’après ce que l’on m’avait rapporté, quelques minutes avant
l’incident, il aurait été surpris en train de faire la cour à la petite-amie d’un autre gars. Cet autre
gars, se sentant certainement blessé dans son amour-propre, n’a vu d’autres solutions que de
s’attaquer au gars qui draguait sa copine, et les choses ont très vite dégénéré en bagarre. Les amis
de l’autre gars se sont joints à lui pour tabasser notre pote, et ceux avec lesquels j’étais venu ont
très vite rappliqué. Pour ne pas passer pour un pleutre, je suis venu porter main à mes nouveaux
amis, en me battant avec eux. Nous étions en nombre inférieur, mais nous ne voulions pas que
notre ami se fasse bastonner.
Alors que j’étais en plein face à face avec l’un des gars de l’autre camp, l’un de ses amis, que je
n’avais même pas senti venir derrière moi, m’a assommé avec une bouteille sur l’occiput. J’ai
entendu l’éclatement de la bouteille, et j’ai senti son contact avec ma nuque meurtri. Le temps
que je me retourne pour voir l’auteur de ce coup-bas, je ne voyais déjà plus rien, et je perdais mes
forces. En tombant, ma tête s’est violemment cognée contre le rebord de la table du barman, sous
les regards hagards des deux camps antagonistes. Je me suis écroulé sur le sol, et ai aussitôt perdu
connaissance. Lorsque j’ai rouvert la première fois les yeux, j’étais dans une pièce, qui ressemblait
plus à une chambre d’hôpital qu’à autre chose. Je me souvenais clairement de ce qui s’était passé,
et du coup que j’avais reçu à la tête. D’ailleurs, j’avais encore mal à la tête. J’ai voulu me redresser
afin de voir ce qui se passait autour de moi, mais j’étais beaucoup trop faible. Alors, j’ai refermé
les yeux, et me suis rendormi. Lorsque j’ai à nouveau ouvert les yeux, ma tante, la sœur cadette à
ma mère, était là. Elle me regardait d’un air accablé, et moi, je ne comprenais pas ce qui se passait.
Ma bouche était trop lourde pour que je puisse dire un mot. De plus, elle parlait avec un homme
qui semblait être un docteur. Alors, j’ai refermé les yeux, et me suis rendormi.
Le lendemain de la visite de ma tante, ma mère et mon père étaient à l’hôpital, dans ma chambre.
J’étais surpris de voir à quelle vitesse ils avaient rappliqué. Ils tenaient vraiment à moi, me suis-je
dit. Ma mère était venue du Sénégal, et mon père de la Suisse. Ma mère avait les yeux bouffis
d’une personne qui avait passé un temps fou à pleurer, mais mon père semblait imperturbable,
comme toujours, dans son magnifique costume gris. Il discutait avec le docteur chargé de mon
cas. Celui-ci lui expliquait qu’il avait essayé de minimiser les dégâts qu’avait causés le traumatisme
crânien, et que mon état s’était stabilisé. Pendant tout ce temps, je n’avais parlé à personne, et
personne ne s’était adressé à moi. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Tout ce que je faisais
était dormir et regarder à travers la fenêtre ou la porte lorsqu’une infirmière l’ouvrait ou la fermait.
Ce n’est que lorsque j’ai entendu ma mère demander au docteur si le coma dans lequel j’avais été
plongé n’aurait pas de répercussions néfastes, que j’ai découvert mon incapacité à parler. Je m’étais
exclamé en émettant un cri d’étonnement, mais personne ne l’avait entendu. J’avais ensuite essayé
d’appeler ma mère, mais je n’avais pas entendu ma propre voix. J’ai d’abord pensé que je rêvais, et
que tout cela disparaîtrait à mon réveil. Alors, j’ai essayé de me rendormir, et j’ai à nouveau
dormi. Lorsque je me suis réveillé, il faisait nuit, et j’étais tout seul dans cette chambre d’hôpital.
J’ai encore essayé de parler, de crier, mais je n’avais plus de voix. J’ai voulu me lever, mais j’avais
encore mal à la tête ; je me suis donc rendormi.
Le temps que j’avais passé à l’hôpital avait beaucoup impacté sur mes études. La prépa n’était déjà
pas facile ; si en plus je devais me mettre à jour dans tous les cours, j’allais être dans un fâcheux
pétrin. Lorsque j’ai commencé à me sentir beaucoup mieux, mes parents m’ont fait sortir de
l’hôpital pour m’emmener chez ma tante, là où je résidais à Rennes. Deux semaines plus tard, ne
pouvant pas reprendre les cours à cause de ma nouvelle pathologie, mes parents et ma tante ont
décidé, sans me consulter, que le mieux pour moi était que je rentre avec eux au Sénégal, arguant
que mes études ne pouvaient être plus importantes que ma santé. Je me suis demandé si le fait que
je fusse incapable de parler, signifiait qu’ils devaient prendre toutes les décisions me concernant
sans au préalable me consulter. J’avais 20 ans, et j’estimais avoir mon mot à dire. De plus, j’étais
peut-être muet, mais pas sourd, ni idiot ! Mais puisque j’étais incapable de le dire, l’unanimité
était faite. Ainsi, je suis rentré au Sénégal avec mes parents, après seulement deux mois et quelques
jours de cours.
*
* *
La première semaine a été difficile. J’avais retrouvé mon pays, ma ville, mon quartier, et ma
famille, dont mes deux sœurs, mais je me sentais incroyablement malheureux. J’avais terriblement
honte, et avais l’impression d’avoir raté ma vie, comme si c’en était fini pour moi. De nombreuses
personnes sont venues me rendre visite. Parmi elles, la famille éloignée que je n’avais pas revue
depuis belle lurette ; mes amis du quartier, ainsi que tous ceux qui avaient été mis au courant de
mon retour ; et des amis à mon père, pour lesquels j’étais une curiosité qu’un être humain. Bien
qu’ils sussent que j’étais incapable de parler, ils se permettaient tout de même cette question
embarrassante, et de surcroît en ma présence :
- Il ne peut vraiment pas parler ?
- Pas pour le moment, répondait ma mère, visiblement gênée.
- Il est donc muet, c’est ça !
- Euh… pour le moment, oui. Mais ce n’est pas définitif.
- C’est vraiment très triste ! Il a toujours été un bon garçon.
Je voyais ma mère feindre un sourire, et j’étais encore plus en colère que jamais. Mon père était là,
alors je ne pouvais le manifester, ou me lever et m’en aller comme je voulais le faire. Mon père
n’était pas une personne à défier, quand bien même on aurait un avantage. J’essayais donc tant
bien que mal de me contenir, tout en jetant à cette femme, qui n’arrêtait pas de poser ces
questions idiotes et dérangeantes, des regards de furie. Voulant m’échapper de ce moment
d’embarras, je me suis mis à penser à toutes ces choses que j’avais perdues : mes nouveaux amis,
mes cours, la fille avec laquelle je sortais, quand, soudain, mes pensées sont allées vers Amsatou. Je
n’avais toujours pas reçu de nouvelle d’elle, depuis ce dernier message qu’elle m’avait envoyé.
Savait-elle que j’étais rentré, et que j’étais malade ? Apparemment non. Autrement, il est clair
qu’elle serait venue me voir, peu importait le problème que nous avions. Enfin, c’était ce que
j’avais voulu croire.
Lorsque la vilaine dame est partie, j’ai écrit une note pour demander à ma mère d’appeler El
Hadj. C’était ça l’inconvénient d’être muet : finis les appels téléphoniques, retour à la très vieille
école.
El Hadj est arrivé près de deux heures après que ma mère l’ait appelé. Je n’avais rien d’autre à faire,
alors je ne pouvais m’empêcher de faire cette fixette sur le temps qui passait, comme si j’avais un
rendez-vous, ou que j’allais être en retard à un cours important. Je regardais l’horloge du salon, et
me demandais ce que mes amis de la prépa étaient en train de faire à ce moment-là. Je n’avais pas
eu de leurs nouvelles depuis l’accident. Ce n’était pas vraiment un accident, mais il était préférable
de l’appeler ainsi. S’en étaient-ils sortis, ou avaient-ils eu de sérieux problèmes par ma faute ? Où
étaient-ils à présent ? Avaient-ils repris les cours ? C’étaient les questions qui emplissaient mon
esprit, lorsque El Hadj est apparu. L’idiot confondait le fait d’être muet avec celui d’être sourd. Au
lieu de me parler comme l’aurait fait toute personne normale, il a pris le bloc note sur lequel
j’écrivais, et a écrit :
« Bonjour, comment vas-tu aujourd’hui ? Ta mère a dit que tu voulais me voir. Je suis là »
Je l’ai regardé d’un air interdit, puis ai pris le bloc note de ses mains pour lui répondre :
« Je suis muet, pas sourd. Alors, je peux t’entendre. Pas besoin de remplir mon carnet. Hormis le
fait que j’ai perdu ma voix, et que ma vie soit une véritable merde, je vais bien. Je t’ai demandé de
venir parce que je voulais avoir des nouvelles d’Amsatou. Comment va-t-elle ? Est-ce qu’elle sait
que je suis de retour ? »
Je lui ai tendu le bloc-notes. Il a lu et n’a pu s’empêcher de sourire, avant de réaliser qu’il avait en
face de lui un malade. J’ai cru qu’il allait s’excuser d’avoir souri. Cela m’aurait donné une bonne
raison de lui flanquer mon poing dans la figure. Pourquoi ne pouvaient-ils pas tous comprendre
que j’étais le même, que rien, hormis ma voix perdue, n’avait changé ? Ils me regardaient tous
comme une personne qui allait mourir le lendemain. Ma mère était au petit soin, et mon père
m’évitait du mieux qu’il pouvait. Et comme si ce n’était pas déjà assez énervant de supporter la
peur que mes sœurs avaient de moi, il fallait qu’El Hadj s’y mette également. Heureusement, il ne
s’est pas excusé, et a compris qu’on pouvait converser, lui en parlant, moi en écrivant.
- Amsatou va bien, m’a-t-il dit. Mais je ne sais pas si elle est au courant de ton retour. Et si
elle l’est, ce n’est pas étonnant qu’elle ait décidé de ne pas passer te voir. Tu ne peux pas
t’attendre à ce qu’elle coure vers toi, juste parce que tu es rentré, ou que tu es malade ! Tu
lui as brisé le cœur, man, et ce n’était vraiment pas cool de ta part. Elle t’aimait vraiment,
tu sais.
Comme réponse, j’ai écrit :
« Je sais, crois-moi. Mais je pensais qu’elle mettrait nos différends de côté, le temps d’une visite.
Après tout, j’ai quand même échappé à la mort. Et puis, je regrette vraiment ce que je lui ai fait. Je
sais que je ne peux plus espérer l’avoir à nouveau, mais cela me ferait vraiment un grand plaisir de
la revoir, ne serait-ce que pour quelques secondes. Toutes ces personnes qui entrent et sortent
d’ici, sans te vexer, ne me sont d’aucune importance. Penses-tu pouvoir parler avec elle ? Je veux
au moins qu’elle te dise qu’elle ne viendra pas. Au moins, là, je serai fixé. »
J’ai voulu lui tendre le bloc note, lorsqu’une idée m’est venu à l’esprit. Je l’ai aussitôt écrite.
« Pourquoi ne pas l’appeler là, maintenant, et mettre le haut-parleur ? »
- Je sais que ce n’est pas une bonne idée, m’a dit El Hadj, mais je sais aussi que tu es une
tête de mule. Je vais donc l’appeler, et mettre le haut-parleur, mais je ne peux te donner
son nouveau numéro, alors, ne me le demande pas. On est d’accord ?
J’ai opiné du bonnet, comme aurait fait un enfant de la maternelle.
El Hadj a appelé Amsatou. J’ai senti mon corps être pris de frissons, mon cœur se mettre à battre,
lorsque ça s’est mis à sonner chez elle. Après trois sonneries, Amsatou a enfin décroché.
- Allô ! a-t-elle dit.
J’entendais enfin sa magnifique voix, après deux mois. C’était comme le jour où je l’avais vue
pour la première fois. C’était précisément cette voix qui m’avait attiré, et c’était l’une des choses
qui faisaient d’elle une fille pas comme les autres. Je l’entendais et j’avais envie de sourire. Que
c’était bon de l’entendre ! Mais cela aurait été mieux si je pouvais lui parler. Hélas !
- Allô, Amsa, a dit El Hadj. Comment tu vas ?
- Bien, et toi ?
- Cool ! Au fait, tu sais qu’Al est rentré ?
- Oui, j’ai entendu ça quelque part.
- Je reviens de chez lui là. Il va bien mais, je ne sais pas si t’es au courant, il a un petit souci.
J’ai regardé El Hadj d’un air assassin. Je ne voulais pas que cet appel ait l’air d’une demande en
pitié. J’avais ma fierté à conserver tout de même. Mais El Hadj n’a eu cure de mon regard, et a
poursuivi sa conversation.
- Qu’est-ce qu’il a ? a demandé Amsatou, visiblement intéressée.
- Tu n’es pas au courant ?
- Non ! Qu’est-ce qu’il a ?
- A ce qu’il parait, il s’est retrouvé au milieu d’une bagarre qui a mal tourné, et a reçu un
coup à la tête. Il a passé vingt-deux jours dans le coma, et lorsqu’il s’est réveillé, il était
muet.
- Quoi ? s’est-elle exclamée. Muet, tu dis ?
- Oui, muet. Il ne plus parler… enfin, pour le moment.
- J’espère que tu n’es pas en train de me faire une mauvaise blague pour que j’aille le voir,
parce que…
- Je ne ferai jamais une chose pareille, Amsa, et tu le sais, l’a-t-il interrompue. Tu sais bien
que je suis contre ce qu’il t’a fait. Je le lui ai d’ailleurs dit à maintes reprises lorsqu’il était
encore en France. Mais je pense que tu devrais au moins passer le voir. Aujourd’hui, il est
seul. Le grand Alpha a perdu de sa grandeur, et tu es la seule personne qui puisse lui
redonner envie de sourire.
- Que veux-tu que je fasse ? Ce n’est pas comme si je pouvais revenir et me jeter dans ses
bras pour qu’il obtienne sa rédemption ! J’ai été blessée au plus profond de moi, et tu le
sais. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps par sa faute. Je ne sais même pas ce que je
pourrais lui dire si je me trouvais en face de lui. J’ai mal pour lui, sincèrement, et je prierai
pour qu’il se rétablisse, mais je ne peux pas passer le voir. Je suis désolée. Ne le lui dis pas ;
mais s’il te demande, dis-lui que je ne suis pas au courant de son retour.
El Hadj a levé les yeux sur moi d’un air désolé. Je me suis senti comme une personne sur laquelle
l’on venait de renverser un seau d’eau froide. J’étais assis dans mon lit, je me suis couché. J’avais le
visage triste, et El Hadj pouvait le voir. Je n’étais pas triste parce qu’Amsa n’allait pas passer me
voir, ok, juste un peu, mais j’étais plutôt triste car je réalisais pour la première fois tout le mal que
je lui avais fait avec cette rupture. Je n’avais pas cru qu’elle le prendrait avec autant de gravité. Ce
n’était que justice si elle ne voulait pas me revoir. Elle avait parfaitement raison, et je devais
accepter cela. Je ne méritais même pas son empathie.
- Ok, je lui dirai ça, a dit El Hadj. Prends soin de toi.
- Merci, a-t-elle répliqué. Toi aussi. Tu me donnes de ses nouvelles quand même s’il y a du
mieux.
- Je n’y manquerai pas.
- Au revoir.
Il a raccroché, et m’a dit, d’un ton pitoyable :
- Je suis désolé, Al. Mais je crois qu’elle t’aime encore. Autrement, elle ne t’en voudrait pas à
ce point. Ce dont je ne suis pas sûr, cependant, c’est qu’elle te pardonne ce que tu lui as
fait. Tu as vraiment merdé sur ce coup, vieux.
Je n’ai pas répondu. D’ailleurs, je ne pouvais pas répondre. Que pensait-il, que c’était facile pour
moi ? Que je ne regrettais pas ce que j’avais fait ? Il n’avait cessé de me répéter, depuis que j’étais
en France, à quel point j’avais merdé sur ce coup. Je lui avais dit que j’avais compris, et que je
regrettais tout ce qui s’était passé, mais il fallait qu’il revienne encore avec cela. A croire qu’il
voulait vraiment me faire culpabiliser plus que je ne le faisais déjà.
J’ai repris mon bloc note, et lui ai écrit que je voulais rester seul. Il a compris, m’a souhaité un bon
rétablissement, et est parti. Je suis resté ainsi, tout seul dans ma chambre, perdu dans mes pensées.
Je pensais à Amsa, à tout ce que nous avions vécu, et à ce qu’elle devait ressentir à ce moment-là.
Je me sentais mal, et j’avais mal. Penser à elle me faisait mal. Et le traumatisme que j’avais subi
n’arrangeait pas les choses. J’ai commencé à sentir de fortes migraines. Je devais prendre des
cachets pour les calmer, mais j’ai choisi de ne pas les prendre. Pas cette fois. Puisque Amsa
souffrait, je devais souffrir autant qu’elle, voire plus qu’elle. Je me suis donc auto-puni : pas de
calmants, qu’importe la douleur. Cela a été difficile à supporter, car ma tête me faisait atrocement
souffrir. Je me tournais et me retournais sans cesse dans mon lit, espérant que cela calmerait un
tant soit peu la douleur, mais rien n’y faisait. Amsa avait mal au cœur, j’avais mal à la tête. Si
l’amour ne nous avait pas réuni, peut-être que la douleur allait y parvenir. C’est ainsi que, dans
une douleur atroce, je me suis endormi, ou m’étais-je peut-être évanoui.
Ma nuit a été très agitée. J’avais une forte fièvre, et je transpirais comme si on m’avait installé dans
un sauna. Je me souviens juste que ma mère est passée s’enquérir de mon état à un moment, et
m’a obligé à prendre mes médicaments. Étant inconscient, j’ai dû les prendre, car je me suis
réveillé aux environs de quinze heure, le lendemain. Ils m’ont tous laissé dormir, parce qu’ils se
disaient que j’en avais besoin, que je devais me reposer. Or, moi, je n’avais qu’une seule envie,
c’était souffrir.
Lorsque je me suis réveillé, et que j’ai réalisé l’heure qu’il faisait, je me suis mis en colère. J’ai
quitté mon lit, et suis sorti de ma chambre aussi vite que mes forces me le permettaient. J’ai
d’abord voulu gueuler, puis je me suis souvenu que j’étais muet. Alors, je suis retourné dans ma
chambre, et ai claqué la porte si fort que j’en ai été moi-même effrayé. C’est alors que ma mère est
arrivée. Je pensais qu’elle allait me crier dessus, mais elle n’a rien fait de la sorte. Elle s’est enquise
de mon état. Je me demandais, en l’écoutant, ce que cela devait faire de parler à une personne
incapable de vous répondre dans l’immédiat. Ça devait être vraiment chiant, même s’ils ne me le
disaient jamais. Je savais à quel point il était difficile de converser avec un bègue, à combien plus
forte raison un muet ?
- J’espère que tu as bien dormi, m’a-t-elle dit.
Je l’ai regardée, l’air de dire : « tu sais bien que je ne peux pas te répondre ». Elle a dû le
comprendre, car elle a poursuivi.
- Tu as de la visite, a-t-elle dit avec un sourire malin. Une jeune fille qui, je crois, te
remontera le moral.
Ma mère ne savait rien de ma rupture avec Amsatou. Je n’étais pas le genre à mélanger relation
amoureuse et famille, je ne lui avais donc rien dit à ce sujet. Par contre, elle savait que je sortais
avec Amsa. Je n’avais pas eu besoin de le lui dire. Le nombre de fois qu’elle nous avais vus entrer
dans ma chambre était suffisant pour en déduire que nous étions ensemble. La grande question,
celle qui devait, à ce moment-là, triturer son esprit, était de savoir ce que nous faisions dans ma
chambre, enfermés à double tours. Les parents sont toujours inquiets à ce sujet, même s’ils savent
que c’est une chose qui doit arriver, et qui arrivera tôt ou tard. On dirait que leur propre
expérience ne leur a rien appris sur le sujet. Mais ce n’était pas le plus important. Ma mère disait
qu’une jeune fille était venue me voir. Se pouvait-il que ce soit Amsatou ? Je le lui ai demandé sur
ma feuille, mais elle a choisi de garder le secret, arborant ce même air malin qu’elle prenait
lorsqu’elle voulait me faire une blague, qui, du reste, était toujours foireuse. A croire que mes
migraines n’étaient pas suffisantes, elle voulait en plus me faire avoir un infarctus.
- Tu ferais mieux de prendre une douche et te préparer, a-t-elle dit. Ce ne serait pas à ton
avantage qu’elle te voit ainsi. Tu as l’air… comment dire, malade !
Lorsque ma mère est sortie, je me suis précipité dans la salle de bain. Heureusement que j’en avais
une dans ma chambre, ai-je pensé. J’ai pris rapidement une douche, et me suis fait le plus beau
possible, avant de décider de descendre. La jeune fille devait m’attendre dans le salon. Je ne savais
toujours pas si c’était Amsatou ou pas. Je connaissais des tas de filles, et cela n’aurait pas été
étonnant que ce fût l’une d’elles, ou au pire, l’une de mes ex.
J’ai hésité un moment avant de descendre les escaliers. Je ne savais pas ce que j’allais faire si c’était
Amsatou. Cela faisait tellement longtemps que je ne l’avais pas vue ! Certes, ce n’étaient que deux
mois, mais pour nous qui avions pris l’habitude de se voir tous les jours, ces deux mois
représentaient toute une vie. J’ai fini par me décider à descendre. Avant de franchir le seuil de la
porte, j’ai encore hésité. Aucune de mes sœurs n’était là pour que je l’envoie en repérage. Et puis,
qu’allais-je pouvoir leur dire ? J’étais muet.
Je suis finalement rentré au salon. J’ai marché jusqu’à l’endroit où était assise la jeune fille.
Surprise ! C’était Amsatou. Mon cœur a failli quitter ma cage thoracique. Mon sang n’a fait qu’un
seul tour. Amsa a levé ses yeux sur moi : c’étaient les plus beaux yeux que je n’avais jamais vus. J’ai
feint un sourire, et elle a également souri, parce que ma mère était là, assise dans le divan, nous
regardant comme si nous étions dans une sitcom. Ne sachant pas si je devais lui faire la bise ou lui
tendre la main, je lui ai fait « salut » d’un geste de la main. Elle a eu l’air embarrassé, mais a
répondu avec le même geste. Je suis allé prendre place dans un fauteuil, et ai jeté à ma mère un
regard bavard, espérant qu’elle comprendrait que nous voulions être seuls. Amsatou, comme à son
habitude, semblait gênée par la présence de ma mère. Je la comprenais, car elle devait se demander
ce que cette dernière pensait d’elle. Après tout, elle nous avait vus plus d’une fois grimper les
marches des escaliers, pour s’enfermer dans ma chambre !
Ma mère a compris le message il me semble, car elle a dit :
- Bon, je vais vous laisser. Vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire.
Puis, comme si elle s’était rendu compte de la gaffe qu’elle venait de faire, elle est partie sans
rectifier. Il était vrai que nous avions des tas de choses à nous dire, mais c’était plutôt Amsatou qui
allait les dire, et moi l’écouter. J’espérais qu’elle ferait cela. J’espérais qu’elle me montrerait à quel
point elle m’en voulait, ce qui m’aurait beaucoup soulagé. Mais vous ai-je dit qu’Amsatou était
têtue et surtout très fière ? Si non, sachez-le !
- Comment vas-tu ? m’a-t-elle demandé, lorsque ma mère est partie.
Je regardais à quel point elle avait embellie, même si elle avait un peu perdu du poids. Je n’ai donc
pas prêté attention à sa question.
- J’espère que tu n’es pas sourd au moins, a-t-elle plaisanté.
J’ai souri, et elle a souri par courtoisie. Je voyais qu’elle n’avait vraiment pas envie d’être là. Il
fallait que je lui réponde, avant qu’elle ne pense que j’étais également sourd en plus d’être muet.
J’ai donc pris mon bloc note, et ai écrit :
« Non, je ne suis pas sourd. Et non, je ne vais pas bien. »
Je lui ai tendu le bloc note.
- C’est ce que m’a dit El Hadj, a-t-elle dit après avoir lu ce que j’avais écrit. A ce qu’il parait,
tu te serais retrouvé au milieu d’une bagarre. Je ne te savais pas bagarreur ! Est-ce une face
cachée de toi ?
Je voyais bien qu’elle voulait me faire rire, me mettre à l’aise. Malheureusement, ça ne marchait
pas. Bien au contraire ! Plus elle essayait de plaisanter, plus je me sentais mal, parce que je voyais
qu’elle forçait les choses. Je voulais qu’elle me crie dessus, qu’elle se mette en colère à cause du mal
que je lui avais fait, qu’elle me montre son vrai visage, pas celui-là qui faisait des sourires idiots,
celui-là qui avait souffert, et qui m’en voulait au plus haut point. Mais cela aurait été une défaite
pour elle. Cela aurait signifié qu’elle se sentait mal au point de me le cracher au visage, malgré
mon état. Je savais qu’elle ne le ferait pas. Comme je l’ai dit, Amsatou était quelqu’un de très fier.
Il n’y avait qu’une seule chose à faire : la bousculer.
« Je suis désolé, ai-je écrit.
- Tu n’as pas à être désolé, Al ! a-t-elle dit. C’est du passé, et c’est oublié. Le plus important,
c’est ton état et l’avenir.
- Je regrette vraiment tout le mal que je t’ai fait, ai-je écrit. J’en ai pris conscience dans
l’avion, mais c’était trop tard. J’aimerais juste t’entendre me dire que tu me pardonnes, et
que ça vienne du fond du cœur.
- Écoute Al, a-t-elle dit. Je suis venue te voir parce que j’ai appris ce qui s’est passé, et l’état
dans lequel tu es. Je ne te demande qu’une seule chose en retour, c’est de ne pas me parler
du passé. Peux-tu faire cela ?
- Non, ai-je écrit.
- Dans ce cas, je n’ai plus rien à faire ici.
Elle s’est levée, mais je l’ai retenue par le bras, le temps de griffonner quelque chose.
- Je ne peux pas le faire, ai-je écrit, mais puisque tu me le demandes, je vais le faire.
Elle s’est rassise, et a feint un sourire. Elle n’était pas très douée pour ce qui était de jouer la
comédie. Moi, je n’étais pas très doué pour ce qui était de se taire. Cette histoire aurait pu se
régler si j’avais été capable de parler. Je lui aurais dit, en moins de cinq minutes, tout ce que j’avais
dans la tête et sur le cœur. J’étais doué pour les résumés dans le genre. Amsatou savait à quel point
j’étais doué lorsqu’il s’agissait de me faire pardonner pour quelque chose de mal que j’avais
commis. Seulement, sans mes mots habituels, sans ma voix, je n’étais qu’une moitié de personne.
Je n’avais donc aucune chance de la convaincre de ma bonne foi.
« Peux-tu me passer ton nouveau numéro de téléphone, pour qu’on échange par texto ? »
- Non, a-t-elle dit catégoriquement. Je ne veux pas avoir de contact avec toi. Ne te sens pas
mal par rapport à cela. C’est un choix que j’ai dû faire.
- C’est du passé ça, ai-je écrit, et tu m’as demandé de ne pas en parler.
- Je sais, mais n’empêche, je ne te donnerai pas mon numéro de téléphone. Tu n’en as pas
besoin.
- Es-tu mon amie ? ai-je demandé. Parce qu’avant qu’il y ait toute cette histoire entre nous,
tu étais mon amie. L’es-tu toujours ?
- Non.
- Alors, qui es-tu pour moi ?
- Rien du tout. Une connaissance, peut-être.
- Veux-tu savoir ce que tu es pour moi ?
- Non, ça ne m’intéresse pas. Et je préférerais qu’on change de sujet.
- Je suis muet, je te signale. Changer de sujet n’est pas aussi facile que tu le penses. De quoi
veux-tu parler ?
- De ton état. Qu’est-ce que les docteurs ont dit ?
- Ils ont dit que, sauf un miracle, je ne pourrai plus jamais reparler.
- Je suis vraiment désolée. Sinon, t’y crois, toi, au miracle ?
- J’y crois. Mais recouvrer la voix n’est pas le miracle que j’aimerais qu’il se produise.
- Tu recommences, dit-elle en me menaçant des yeux.
- Je n’ai jamais arrêté, ai-je écrit.
Elle s’est levée, a pris son sac à main, et s’est éloignée suffisamment de moi, pour ne pas que je sois
en mesure de la retenir à nouveau par le bras.
- Je dois m’en aller, a-t-elle dit. J’ai encore des choses à faire.
J’ai voulu écrire, mais elle m’a arrêté.
- Pas la peine de me répondre. Je te souhaite un bon rétablissement. Je prierai pour que tu
recouvres la voix. Cela m’a fait plaisir de te revoir. Prends soin de toi. Au revoir.
Elle a tourné les talons, et est partie, alors que je me levais pour au moins la raccompagner. J’étais
encore plus mal, mais j’allais en même temps un peu mieux. C’était difficile à comprendre. J’étais
mal parce que je voyais bien que j’avais perdu, non pas seulement une petite-amie ou la femme de
ma vie, mais également une amie, la meilleure de toute. Par contre, j’allais mieux car je l’avais
revue, et c’était bien de la revoir après tout ce temps. Le fait qu’elle ait consenti à faire ce
déplacement pour me voir signifiait qu’elle tenait encore à moi. Mais comment briser cette glace
qui nous séparait ? Comment le faire sans ma voix ?
Je n’avais envie de rien. Je suis donc retourné dans ma chambre, et me suis recouché. Mes pensées
ont encore voyagé jusqu’à elle, et je n’ai pu contenir la larme qui s’apprêtait à tomber. Elle est
finalement tombée, après avoir roulé sur mes tempes. Je me demandais comment j’allais faire pour
regagner l’amitié d’Amsatou. C’était la seule chose qui importait. Même si je ne recouvrais jamais
la voix, sa présence, le fait de savoir qu’elle m’avait pardonné, allait compenser ce manque. Toute
la vie, c’était long, mais je savais que les miracles existaient. Ce que je ne savais pas, c’était si moi,
j’en méritais un. Sans savoir pourquoi, j’ai eu une envie de coucher mes pensées sur une feuille.
Puisque je ne pouvais pas parler, c’était le seul moyen d’extérioriser mes sentiments. J’ai
commencé par écrire tout ce que je pensais de ma propre personne ; puis, tout ce que je pensais de
l’amour qui, à mon sens, n’était qu’une connerie, des foutaises, une illusion ; et enfin, j’ai écrit le
miracle que je voulais qu’il se produise. Lorsque j’ai relevé la tête, le soleil s’était déjà couché.
J’étais surpris de constater tout le temps que j’avais passé en face de ce bloc note. Et aussi
étonnant que cela puisse paraître, écrire toutes ces choses m’a fait énormément de bien. C’est alors
que j’ai décidé d’écrire une lettre à Amsatou.
Cette même nuit, je me suis mis au travail, en commençant par la chose la plus facile :
« Chère Amsatou, »
J’ai essayé de poursuivre, mais ne l’ai pas pu. Les mots se bousculaient dans mon esprit, mais je ne
savais pas lesquels étaient les plus adéquats pour une telle lettre. Un mot mal placé pouvait
changer le sens d’une phrase, ou même d’une pensée. Il fallait donc bien les choisir, et je n’étais
malheureusement pas très doué pour cela, du moins, lorsqu’il s’agissait d’écriture. Pour trouver de
l’inspiration, je suis allé fouiner parmi les bouquins de ma mère, et en ai tiré un roman. C’était un
livre de Daniel Steel, intitulé Disparu. Je suis retourné dans ma chambre, et me suis mis à le lire.
Je n’ai plus décroché jusqu’à ce que je tombe de sommeil. J’avais refusé de descendre pour prendre
le repas. On me l’avait donc apporté dans ma chambre, ce qui m’avait permis de continuer ma
lecture. Le lendemain, à mon réveil, je l’avais poursuivie et avais terminé le bouquin qui, en
passant, était génial. Estimant n’avoir pas assez puisé de ce livre, je suis allé en prendre un autre.
Cette fois, c’était un livre de Mary Higgins Clark. Comme le premier, je l’ai dévoré le même jour.
Comme si je ne pouvais plus m’arrêter, les jours qui ont suivi, j’ai repris un autre livre, encore un
autre, jusqu’à ce que je devienne totalement accro aux livres. Je lisais tout ce que je trouvais, pour
peu que ce soit un roman, et de préférence une histoire triste, comme la mienne. Je découvrais
ainsi des histoires extraordinaires dans lesquelles je me retrouvais parfois. La lecture était devenue
une compensation au fait que j’aie perdu ma voix. A défaut de parler aux gens, même aux
membres de ma famille, je dévorais les romans, les histoires d’autres personnes. En constatant ce
nouvel attrait pour les livres, ma mère, qui était une grande lectrice, est allée m’en rapporter
d’autres. C’est ainsi qu’après un mois, alors que j’avais prévu d’écrire une lettre à Amsatou, je n’ai
jamais pu le faire.
Une nuit, pourtant, après avoir glané çà et là sur le net, j’ai eu envie d’écrire, de faire comme ces
auteurs que j’avais lus. Je ne saurais dire pourquoi, j’ai juste voulu faire comme eux, raconter une
histoire. Même si je n’avais pas leur inspiration, ou leur don pour l’écriture, j’avais tout de même
des choses à dire. On a tous des choses à dire. Malheureusement, le monde s’en fout parfois de ce
qu’on a à dire. Alors, on se contente de notre feuille qui, elle au moins, accepte tout,
silencieusement, sans jamais nous interrompre. Je venais de trouver une amie : la feuille blanche
de mon logiciel de traitement de texte. Je ne savais pas quel titre donner à cette histoire que j’allais
écrire, encore moins de quoi elle allait parler. Je me suis donc mis à réfléchir. Quel était le sujet
que je maîtrisais le mieux ?
Moi, sans aucun doute.
Et quelle partie de ma vie avais-je envie de raconter ?
Pour sûr, celle que je vivais à ce moment-là.
J’avais perdu la parole alors que j’avais encore des tas de choses à dire. Si l’écriture pouvait me
permettre de reparler, mais d’une autre manière, pourquoi ne pas le faire ? C’est ainsi que j’ai
entamé ma première histoire, que j’ai intitulée : JOURNAL D’UN SANS-VOIX, et que vous êtes
en train de lire. Je n’ai pas de but véritable en l’écrivant, sinon celui de me faire entendre
autrement que par des oreilles. J’ai eu un jour la chance d’avoir la plus belle et la plus
extraordinaire des filles du monde entier, et je l’ai laissée s’en aller, parce que j’étais trop obnubilé
par la belle vie, par les belles filles, pour apprécier la vie que j’avais, et la fille que j’avais. J’espère
seulement que vous ne commettriez pas la même erreur, car ce serait vraiment dommage pour
vous. Aujourd’hui, je regrette ce choix, mais je ne peux plus le changer. Ce qui est fait est fait : j’ai
perdu ma Amsatou, peut-être pour toujours. Ne faites pas comme moi : si vous avez la chance
d’avoir votre Amsatou, donnez-lui ce qu’elle mérite ; donnez-lui le bonheur, et soyez heureux.
Deux autres mois sont passés depuis que j’ai commencé à écrire cette histoire. Je n’ai toujours pas
recouvré la voix. Peut-être même que je ne la recouvrirai jamais. Mais j’ai finalement écrit cette
fameuse lettre à Amsatou, après près de deux mois passé à atermoyer. Vous voulez la lire ? Je sais
que vous voudriez la lire. La voici :
« Cher Amsatou,
Je sais que j’ai été un idiot, et c’est un euphémisme de le dire. Je sais que je ne mérite pas que tu
m’adresse à nouveau la parole, encore moins que tu me pardonnes. Je sais que je t’ai fait souffert en
prenant cette décision idiote, sans penser au mal que cela aurait pu te faire. Je sais aussi que tu aurais
raison de rayer mon nom de la liste de toutes les personnes que tu as rencontrées, et qui ont une
quelconque importance à tes yeux. Mais par-dessus tout, ce que je sais, ce dont je suis sûr, c’est que je
t’aime.
Je ne l’ai pas su du premier coup, et aujourd’hui encore, je me demande pourquoi. Lorsque je t’ai
rencontrée – j’ignore si je peux dire que ça a été le coup de foudre, car je ne crois pas vraiment en ces
choses –, j’ai su, dès le premier regard que j’ai posé sur toi, que tu étais celle qu’il me fallait. C’était une
chose que je ne pouvais me l’expliquer. Or, il est impossible d’expliquer à autrui ce qu’on ne peut
s’expliquer à soi-même. Cependant, dès cet instant, aucune autre fille sur terre n’existait à part toi.
J’aurais tout fait pour que tu acceptes de me donner ma chance, quitte à pousser ton petit ami de ce
temps-là à s’éloigner de toi. Je te l’avoue aujourd’hui : c’est moi qui l’ai convaincu qu’il avait sa chance
avec cette autre fille pour laquelle je savais qu’il craquait secrètement. Tu sais que j’ai toujours été doué
pour voir ce genre de choses. Et parce qu’il ne te méritait pas, il a sauté sur l’occasion, ce qui était tant
mieux pour moi. J’avais enfin une chance d’avoir ma chance – je ne sais pas si ça veut dire quelque
chose.
Après avoir longtemps tergiversé, tu m’as donné cette chance, ma chance. Et pendant deux années, je t’ai
prouvée que tu avais fait le bon choix. Tu n’avais aucune raison d’avoir peur de me perdre, car ce que
nous vivions était unique, et aucun de nous ne pouvait trouver mieux ailleurs. Je pouvais avoir
l’audace, la prétention de dire que nous étions faits l’un pour l’autre, que c’était écrit que nous finirions
ensemble. Le monde était si parfait à tes côtés ! Nous aurions pu vivre ainsi jusqu’à la mort, voire au-
delà, si le vampirisme existe réellement. Mais il a fallu que je commette cette erreur, que je choisisse de
courir après les belles filles du monde, en ignorant que j’avais avec moi la plus belle fille du monde. A
ce moment-là, je ne savais pas encore à quel point j’étais amoureux de toi, ni à quel point tu m’étais
indispensable. Aujourd’hui, je le sais ; mais un peu trop tard.
Comme on le dit, le vrai bonheur, on le reconnaît lorsqu’on l’a perdu. Ainsi, c’est après t’avoir perdue,
après t’avoir laissée t’en aller, après t’avoir brisé le cœur, que je me suis rendu compte que je venais de
laisser passer mon bonheur. Depuis lors, ma vie est une ombre. Je respire, certes, mais j’ai arrêté de
vivre. Et comme si te perdre n’était pas une souffrance déjà importante, j’ai également perdu la voix, la
seule chose qui faisait de moi une personne à part. Je me dis que c’est certainement le ciel qui me
condamne pour tout le mal que je t’ai fait. Et si c’est le cas, alors je le mérite. Je mérite cette condition.
Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
Je voulais te demander ton pardon, mais je sais à présent que ce n’est pas une demande que je suis en
droit de faire. Si un jour tu veux me pardonner, si un jour tu arrives à oublier, tu le feras de toi-même.
En attendant, je suis à ta merci, attendant que ce miracle se produise, que tu puisses enfin pardonner
cette stupide erreur de jeunesse. Je ne suis qu’un être humain, appelé à tomber parfois, à se relever
souvent. Les erreurs sont mon quotidien, et je ne peux garantir que je n’en commettrais plus.
Cependant, s’il y a bien une chose que m’a apprise cette expérience, c’est l’importance de l’amour. Je crois
que c’est de l’amour, même si je pense qu’un sentiment comme celui que je ressens mérite un titre plus
élevé. La langue française a choisi ce mot, je n’en ai pas d’autre à proposer. Sache que je t’aime. Pour
une fois, je pèse bien mes mots. Je sais aujourd’hui ce que les mots valent, et combien importants ils
sont. Je sais ce que cela signifie que d’aimer une personne pour de vrai, car je t’aime au point que
j’accepterais que tu me haïsses, si c’est le seul sentiment que tu peux avoir pour moi.
Si un jour j’avais la chance de recouvrer la voix, j’aimerais que ce soit la première chose qui sorte de ma
bouche : te dire je t’aime, comme je ne jamais pu le faire tout au long de notre relation. Même si je sais
que pour toi cela n’a plus aucune importance, je veux tout de même pouvoir te le dire, pour compenser
toutes ces autres fois où je l’ai dit, sans en peser tout le poids, toute l’importance. Lorsque je repense à
tout le mal que j’ai pu te causer, je ne m’imagine pas te voir me pardonner. Mais, aujourd’hui plus que
jamais, je crois aux miracles.
Je ne suis pas très fortiche pour la correspondance, alors je ne sais pas si cette lettre est écrite comme il le
faut. Je l’ai voulue sincère, et je crois qu’elle l’est. La différence entre les mots dits et les mots écrits, c’est
que lorsqu’on écrit, on a encore l’occasion de rectifier le tir, d’effacer, de peser le sens des mots qu’on
emploie, et de choisir ceux qui sont les plus adéquats. Or, lorsqu’on parle, on le fait parfois sous le feu de
l’action, sans penser à la valeur des mots qu’on débite. On dit des bêtises, que l’on regrette plus tard,
mais parfois trop tard. Voilà pourquoi je pense que le choix de l’écriture de cette lettre est plus judicieux
qu’une explication de vive voix, même si, à dire vrai, écrire est la seule alternative que j’aie.
Je ne veux pas gaspiller davantage de mots. J’en ai déjà trop dit. L’essentiel de cette longue lettre se
résume en deux mots : pardonne-moi.
Sincèrement,
Al.
FIN
ANNONCE
JE PROFITE DE CETTE OCCASION POUR VOUS ANNONCER LA PROCHAINE SORTIE DE MON LIVRE DANS LES SEMAINES À VENIR, AU SÉNÉGAL D’ABORD, EN CÔTE D’IVOIRE
ENSUITE. VOUS POUVEZ D’ORES ET DÉJÀ RÉSERVER VOTRE EXEMPLAIRE DÉDICACÉ, EN ENVOYANT VOTRE NOM ET PRÉNOM À : LESLITTERATEURS@GMAIL.COM
PRÉCISEZ-LE, SI LE NOM DU BÉNÉFICIAIRE DE LA DÉDICACE EST DIFFÉRENT DU VÔTRE. UN EXTRAIT DU LIVRE SERA BIENTÔT PUBLIÉ SUR MON BLOG :
DAWRITER.OVERBLOG.COM
MARCUS DA WRITER.
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