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VOIX PAROLE LANGAGE Joana Révis Préface de Laurent Gerra La voix et soi Ce que notre voix dit de nous

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J. R

évis

VOIXPAROLE

LANGAGE

Joana RévisPréface de Laurent Gerra

La voix et soiCe que notre voix dit de nous

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LA VOIX ET SOI

Ce que notre voix dit de nous

Joana Révis

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© De Boeck Supérieur SA

Fond Jean Pâques, 4 – 1348 Louvain-la-Neuve 2e tirage 2015

Relecture et corrections : Didier Delacroix

Mise en pages :

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal : octobre 2013

Bibliothèque nationale, Paris 

ISBN : 978-2-35327-231-0

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés

dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

http://www.deboeck.fr

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V

Sommaire

Préface de Laurent Gerra ..............................................................VII

Avant-propos .................................................................................. IX

Introduction ......................................................................................1

Chapitre 1. Voix et identité ...............................................................9 Diane est une femme (ou la reconnaissance du genre) ..........................10 Diane a 25 ans (ou l’évaluation de l’âge) ...................................................18 Diane vient de nulle part (ou les racines socio-culturelles) ...................22 Et si Diane avait la voix cassée ....................................................................36

Chapitre 2. Voix et imitation ..........................................................41 Tous imitateurs ! (ou les phénomènes de convergence interactionnelle) .41 L’imitateur professionnel (ou le modèle d’excellence) ...........................51 Le cas Laurent Gerra (ou le modèle d’exception) ....................................58

Chapitre 3. Reconnaître la voix ......................................................81 La perception, ou l’intégration des informations sensorielles ...............81 Processus d’identification de l’autre ...........................................................86 Les voix familières .........................................................................................89 Reconnaître sa propre voix ..........................................................................91 Reconnaissance automatique du locuteur ................................................93 Variabilité de la voix .....................................................................................97 Les sosies vocaux .........................................................................................100 Le mythe de l’empreinte vocale .................................................................101

Chapitre 4. La voix et le corps ......................................................105 L’apparence sonore .....................................................................................106 Voix et intégrité physique ..........................................................................109

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VI

La Voix et Soi

Être malade de la voix .................................................................................113 Les mauvaises habitudes ............................................................................119

Chapitre 5. La voix et l’âme ..........................................................125 Voix et personnalité ....................................................................................126 Personnalité et troubles de la voix ............................................................133 Voix et émotions..........................................................................................141 Voix, contexte, tensions psychiques, état mental ...................................161 Voix chantée et émotions ..........................................................................167

Chapitre 6. La voix et l’autre .........................................................179 La voix, les mots, le sens .............................................................................180 Voix, intentions, manipulation .................................................................190 Voix, conviction, assurance .......................................................................201 Voix et politique ..........................................................................................223 Voix et séduction .........................................................................................229 De la beauté au charme, l’esthétique de la voix ......................................264

Conclusion générale ......................................................................279

Épilogue .........................................................................................285

Remerciements ..............................................................................287

Index des encarts ...........................................................................289

Index des tableaux et figures ........................................................293

Glossaire .........................................................................................297

Bibliographie .................................................................................309

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VII

PréfacePar Laurent Gerra

J’ai toujours été fasciné par la voix… par les voix. C’est donc avec plaisir que j’ai accepté de devenir « cobaye », cela grâce à mon ami Jean Abitbol qui s’occupe de mes cordes vocales et dont L’odyssée de la voix reste un ouvrage de référence.

Je me suis donc plié à une série de tests et d’exercices sous la direction de Joana Révis. J’avoue avoir beaucoup appris et je suis fier d’avoir pu contribuer à ces recherches passionnantes.

J’exerce en effet mon métier avec passion et c’est ma voix qui m’a fait trouver ma voie  ! J’avoue ne pas avoir de technique spécifique, il y a une grande part d’inconscient (et surtout de plaisir  !) dans ma façon d’aborder les imitations. Les recherches de Joana Révis et de son équipe m’apportent un regard nouveau sur ce don que la nature m’a donné !

C’est avec un immense intérêt que j’ai pu découvrir à travers ce docu-ment une multitude de facettes, de découvertes autour de la voix, c’est un vaste sujet. Félicitations pour tout ce travail déjà accompli et celui à venir…

En attendant… Méfiez-vous des imitations !

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Avant-propos

Je me souviens de l’enregistrement en public d’un album de Claude Nougaro1 qui introduisait son spectacle par ces mots : « Je suis venu pour vous parler de la chanson. » Eh bien moi, je suis venue pour vous parler de la Voix. Et ça tombe bien, parce que figurez-vous qu’il y a peu de choses qui m’amusent autant dans la vie !

La plupart des orthophonistes, thérapeutes de la communication, viennent à ce métier pour les aspects du langage oral et écrit, et le travail avec les enfants. C’est d’ailleurs la branche la plus connue de la discipline. Moi, je suis entrée par la porte de la voix. J’ai derrière moi une petite culture de musicienne et grande carrière de chanteuse de salle de bain, suivant les traces de ma mère qui n’a de cesse de chanter. D’aussi loin que je me souvienne, la voix a toujours été pour moi un terrain de jeu, inépuisable et fascinant.

Trois rencontres déterminantes au cours de mes études m’ont confortée dans cette voie (ou voix, écrivez-le comme vous voulez). Benoît Amy de la Bretèque2 m’a enseigné les techniques de rééducation vocale, dans une approche alliant, à parts égales, pratique clinique et sensibilité artistique, ce qui a comblé toutes mes espérances. Antoine Giovanni3 a développé ma curiosité scientifique, mon sens critique, et m’a ouvert les portes de la recherche et de l’enseignement en dirigeant mon mémoire d’orthophonie, puis mon DEA4 et ma thèse d’Univer-sité. Il m’a toujours poussée sur le devant de la scène dans les congrès et confé-rences dès ma dernière année d’études d’orthophonie et constitue à lui seul le socle de l’intégralité de ma carrière professionnelle : hospitalière, universitaire

1. « Une voix, dix doigts » Claude Nougaro (1991) Phonogram Philips.2. Phoniatre, attaché aux hôpitaux de Marseille et Montpellier, chargé d’enseignement aux centres de formation en orthophonie de Marseille et Montpellier.3. Chirurgien ORL, professeur des universités, pôle cervico-facial du CHU Timone (Marseille) dirigé par le professeur Dessi.4. Diplôme d’études approfondies, maintenant appelé « Master ».

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La Voix et Soi

et scientifique. Et je peux dire qu’il est largement responsable de la personne que je suis aujourd’hui, dans toutes les dimensions de ma vie. Enfin Alain Ghio5 m’a donné confiance dans ma capacité à écrire, appris à concevoir clairement et simplement les choses, et permis d’accéder à la publication scientifique lorsque, lui-même en pleine rédaction de sa thèse d’Université, il m’a aidée à rédiger mon DEA. Trois personnes clés, pour trois éléments fondamentaux qui m’ont pous-sée à entreprendre la rédaction de cet ouvrage : la voix, la science et l’écriture. J’aimerais aussi au passage, puisqu’il m’est difficile de commencer ce travail sans évoquer ceux qui m’y ont conduite, rendre hommage à Françoise Gauthier6, qui m’a ouverte aux dimensions psycho-affectives de l’être humain et m’a permis de replacer mes connaissances sur la voix au cœur de l’individu et de son fonction-nement relationnel. Enfin, plus récemment, ma rencontre avec Laurent Gerra et le monde captivant de son immense talent, a ouvert des perspectives fascinantes dans ma compréhension de la voix, notre manière de l’utiliser et de la percevoir, et tout ce qu’elle renvoie sur l’identité du locuteur.

L’objectif de ce livre est de faire le point sur tout ce que notre voix dit de nous-même dans notre vie quotidienne, au cours de nos interactions avec les autres. Nous avons, avec Antoine Giovanni, longuement réfléchi au titre. « La Voix et Soi » est ce qui nous a paru le plus juste, et je l’ai défendu bec et ongles malgré les réticences de l’éditeur qui le trouvait « joli, mais un peu nébuleux ». Parce que je crois qu’il est très représentatif du contenu, mais aussi parce que j’aime les diffé-rents niveaux de lecture qu’il suggère de manière subliminale lorsqu’on le pro-nonce à haute voix et qui sont tous inclus dans le propos : la voix et soi, la voix est soie, la voie et soi, la voie est soie. Tous les aspects véhiculés par la voix dans notre personnalité et notre rapport aux autres sont évoqués ici, avec la préoccupation constante d’étayer les propos par des faits avérés, publiés dans les revues scien-tifiques, et de rendre le tout accessible à quiconque s’intéresse à la question  : cliniciens, spécialistes, professionnels de la voix, amateurs ou simples curieux. Cet ouvrage se veut donc à la fois « grand public » et scientifique, et j’espère que chacun y trouvera réponse à ses questionnements. Si vous espérez un manuel de rééducation vocale, une étude du fonctionnement du larynx, ou un coaching de développement personnel, passez votre chemin. Il est question ici de per-ception de la voix, dans tous les sens et dans toutes les dimensions, de l’identité au corps, de la personnalité aux émotions, en passant par l’anthropologie et la

5. Ingénieur de recherche, laboratoire Parole et Langage, CNRS UMR-7309 (Aix en Provence).6. Psychologue clinicienne, pôle cervico-facial du CHU Timone (Marseille) dirigé par le professeur Dessi.

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Avant-propos

linguistique, jusqu’à la séduction. Que dit notre voix de nous-même et quel est l’état d’avancement de la science à ce sujet ? Voilà ce que vous découvrirez au fil des pages.

Pour faciliter la lecture, vous trouverez chemin faisant de nombreuses notes de bas de page, expliquant, complétant ou illustrant par des anecdotes les élé-ments évoqués ; des « encarts » pour aller plus loin si vous le souhaitez mais dont la lecture n’est pas indispensable pour la compréhension du propos ; et un glossaire regroupant, pour les moins avertis, les explications de termes et de concepts qui pourraient sembler un peu complexes.

Maintenant, je crois que vous devez mieux cerner la démarche qui est la mienne et puisque vous avez désormais le mode d’emploi, nous pouvons donc nous lancer ensemble dans l’aventure.

« La voix et soi – ce que notre voix dit de nous ».

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Introduction

La voix est une source d’information incroyablement riche pour qui la perçoit et veut bien l’entendre. Car la voix est un phénomène perceptif par nature. Elle est parce qu’elle est émise et perçue. Pour Herman Parret, « il n’y aurait pas de voix sans qu’il y ait oreille. La voix, en toute sonorité, n’est que dans sa saisie par l’oreille » [Parret, 2002]. La parole prend sa source dans la voix, certes, mais l’interaction entre les individus implique aussi l’audition, simultanément et de manière indissociable. La communication suppose un échange entre un locuteur, émetteur du message, et un tiers, récepteur du message. Phonation7 et perception sont donc intimement liées, inséparables et consubstantielles.

À l’origine, le cri. Si la vocalisation existe dans le monde animal, et même en l’absence d’un langage articulé, c’est – déjà – dans le but de trans-mettre. Un état de soi-même, de l’environnement, une situation. Le cri prévient d’un danger, le rut annonce la reproduction, le ronronnement témoigne d’un bien-être. La voix est un signal, d’alerte, de réconfort, de résilience. Elle participe ainsi à la préservation de la vie, à sa sauvegarde, et sa vocation est de permettre l’interaction des individus de l’espèce. Chez l’être humain, la voix est porteuse d’un message plus complexe, sans doute plus construit, sophistiqué, hiérarchisé, mais véhicule également en dehors du langage les caractéristiques de l’individu, ses émotions, ses intentions ou même sa condition physique. Ces états de nous-mêmes peuvent être décryptés en dehors de tout message langagier par notre interlocuteur, grâce à son oreille qui transmet la sensation sonore à son système cognitif8 qui la traduit à son tour en perception et permet son interprétation.

7. La phonation regroupe l’ensemble des fonctions qui concourent à la production de la voix.8. La cognition est l’ensemble des grandes fonctions qui permettent à l’organisme d’interagir avec le milieu (perception, intelligence, mémoire, psychisme). Les sciences cognitives sont une discipline qui asso-cie principalement la psychologie, la linguistique et les neurosciences. L’anthropologie, la sociologie et la

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Dans ce contexte élaboré où la voix véhicule le langage, le message oral échangé entre les interlocuteurs est transmis par la phonation et implique des activités cognitives qui vont permettre son élaboration et sa compréhension. Classiquement, on distingue dans la communication des activités de « haut niveau », qui intègrent les processus intellectuels, per-ceptifs, la conception du discours, le décodage du message, et des activités de « bas niveau » qui sont les mécanismes physiques de l’articulation des sons, de leur production, ainsi que l’audition. En fait, schématiquement, on peut dire que les activités de haut niveau regroupent les fonctions céré-brales supérieures incluant l’élaboration du message et son interprétation consciente ou inconsciente (versant production  : «  Qu’est ce que je vais dire ? comment vais-je le dire ? » ; versant réception : « Qu’est que ça veut dire ? qu’est-ce que j’en comprends ? »). Les activités de bas niveau quant à elles regroupent les processus physiologiques9 (activités « mécaniques », musculaires, biophysiques) qui vont permettre la réalisation concrète de l’échange. Dans la même logique, on distingue classiquement le langage (qui fait référence à l’élaboration verbale du message, donc un processus de haut niveau) de la parole (qui fait référence à l’articulation des sons, donc un processus de bas niveau). D’ailleurs, pour un orthophoniste, un trouble du langage est plus préoccupant et bien plus difficile à résoudre qu’un trouble de parole, bien qu’en réalité les deux soient le plus souvent liés. La communication implique, à tout instant du message, des allers-retours incessants entre ces activités de haut niveau et de bas niveau.

Si l’on se réfère à ces modèles de communication, la voix est un proces-sus de « bas niveau ». C’est un outil physique, un maillon de la chaîne, un objet parmi d’autres au service de la pensée considérée comme supérieure. En tout cas, la voix n’est pas le discours, elle n’en est qu’un élément. On parle ainsi classiquement de la voix comme d’un support ou d’un vecteur de communication. Cette séparation entre voix et discours est d’ailleurs vieille comme le monde, même si la terminologie est longtemps restée ambiguë.

psychologie sociale tendent à y être intégrées, de même que la neuropsychologie, la psycholinguistique et la psychophysique. La perception, le langage, le raisonnement, l’action sont parmi ses objets d’étude qui peuvent être abordés sous différents aspects (mathématique, psychologique, biologique).9. La physiologie est l’étude du mécanisme d’activité des organes et de l’interaction entre différents organes pour aboutir à la fonction. Par exemple, la physiologie de la marche étudie la transmission des impulsions nerveuses, qui vont conduire à des contractions musculaires, qui vont faire jouer les articula-tions, etc.

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Introduction

Encart 1

Voix ? Discours ?

Dans la civilisation grecque (ive siècle avant J-C), le concept de voix idéale est assimilé à celui de discours idéal et oppose Platon, attaché à la substance du message oral, aux sophistes attachés à sa forme. Platon défend la dialectique, qui est une méthode de discussion, de raisonnement, de questionnement et d’interprétation qui prend racine dans la pratique ordinaire du dialogue entre deux interlocuteurs ayant des points de vue différents et cherchant à se convaincre mutuellement. La dialectique se conçoit comme un moyen de rechercher des connaissances par l’examen successif de positions distinctes voire opposées pour aboutir à la vérité. C’est de là que découle la structure argumentaire « thèse-antithèse-synthèse ».

La rhétorique, elle, est défendue par les sophistes et notamment Gorgias, et consiste d’après Ciceron à « prouver la vérité de ce que l’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs et éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause. » Elle implique trois notions centrales dans la pensée grecque et latine  : le logos (qui désigne à la fois la raison [la logique] et le verbe [la parole]) ; le pathos (qui comporte trois éléments passionnels : la question choc, le plaisir ou déplaisir qui en découle, et la modalité, c’est-à-dire le sentiment suscité par l’orateur [amour ou haine, par exemple]) ; et l’êthos (dimension de l’orateur, image qu’il donne de lui-même, vertus, mœurs). La rhétorique ne s’intéresse donc pas seulement au contenu du discours ou à la raison, mais implique également des aspects émotionnels, transmis notamment par la sonorité de la voix : l’auditoire doit être charmé, séduit.

Platon dénonce les mécanismes de la rhétorique où se confondent selon lui « opinion » et « vérité », et considère qu’il s’agit d’un mouvement verbal fallacieux qui conduit à une manipulation de l’auditoire. Les dialogues de Platon (parmi lesquels le « Protagoras ») sont l’occasion de véritables joutes oratoires, d’une ironie corrosive dirigée contre les sophistes [Russ, 2000].

Plus récemment, dans un ouvrage synthétique sur l’évaluation de la voix, Kent et Ball [Kent & Ball, 1999] rappellent que le débat est toujours d’actualité en évoquant les travaux de Hoffman  : celui-ci attribue la qualité du bon discours à la qualité de la voix et soutient qu’un bon orateur doit être un homme de qualité. Roland Barthes relie l’approche rhétorique aux principes de la linguistique et considère que le logos représente le message lui-même, l’êthos représente l’émetteur du message (le locuteur), et le pathos le récepteur (auditeur).

Dans l’étude de la communication orale, les linguistes distinguent deux types d’information, sur le modèle du «  fond » et de la «  forme »  : les infor-mations verbales qui constituent le corps linguistique du message (vocabulaire,

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La Voix et Soi

syntaxe10, etc.), et les informations non-verbales qui contiennent tous les élé-ments paralinguistiques11 véhiculés en dehors des mots (silences, gestes, posture du corps, expressions faciales, ton de voix, etc.). Les linguistes ne minimisent pas la participation des informations non-verbales à la compréhension du mes-sage et lui confèrent d’ailleurs une importance de premier ordre qui fait l’objet de disciplines à part entière : la pragmatique12, la sémiologie13, la proxémique14, l’étude des gestes (gesture study), plus récemment la synergologie15, et j’en passe. Néanmoins, seule l’étude de la prosodie16, située à la frontière entre le verbal et le non verbal, va entre autres s’intéresser au message véhiculé par la voix : sur un même énoncé, l’intonation permet de déterminer l’intention du message (affir-mation, interrogation, ironie, etc.). Si les inflexions de voix contemporaines de la prosodie demeurent très liées à la structure syntaxique des langues, leur interprétation laisse une large place à une information paralinguistique qui va permettre de comprendre au-delà des mots, le locuteur dans son ensemble : qui est-il ? que veut-il ? comment se sent-il ? [DiCristo, 2013].

Ainsi, la voix est un processus de « bas niveau » qui contribue au langage « non-verbal ». Sans doute un peu à cause de cette définition en creux, la voix est plus souvent considérée comme un moyen d’explorer un phénomène auquel elle participe que comme un objet d’étude en soi. Dans le cadre des sciences du langage, elle concourt à la compréhension de phénomènes phonétiques ou prosodiques, dans le cadre des sciences fondamentales, l’organe « larynx » est étudié comme un objet physique, dans le cadre des sciences médicales la dys-phonie17 est au cœur des préoccupations phoniatriques18, mais peu de place est

10. La syntaxe correspond à la structure du langage, aux règles qui fixent l’ordre des mots dans la phrase.11. Les aspects paralinguistiques regroupent les informations qui ne sont pas des éléments directs du discours (mots, syntaxe,…) mais participent à l’information véhiculée dans la phrase.12. La pragmatique est une discipline de la linguistique qui s’intéresse au message véhiculé en dehors des mots et tient compte du contexte, de l’implicite, des spéculations…13. La sémiologie est la science qui étudie l’utilisation des signes au sein de la vie sociale (code de la route, notation musicale, codes vestimentaires, mais aussi valeurs sociales véhiculées par une activité ou un comportement…).14. La proxémique s’intéresse à l’étude des distances physiques qui s’établissent en situation d’interaction sociale.15. La synergologie est une discipline des sciences de la communication dont l’objet est d’appréhender le fonctionnement de l’esprit humain à partir de la structure de son langage corporel.16. La prosodie, communément appelée aussi l’intonation, correspond à la mélodie d’une phrase, à sa rythmique particulière, à l’accentuation de certains segments (mise en exergue d’une syllabe). La prosodie varie d’une langue à l’autre, dépend des règles syntaxiques, mais aussi des états du locuteur (intention, émotions, etc.).17. La dysphonie est une altération de la voix, conséquence d’un comportement phonatoire défavorable et/ou de lésions sur les cordes vocales. Elle se manifeste par ce que l’on appelle couramment une « voix cassée ».18. La phoniatrie est une discipline médicale qui a pour but de traiter les troubles de la voix, de la parole et de la déglutition.

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Introduction

laissée à la voix dans son fonctionnement normal voire optimal. Pour David LeBreton, « (…) aucune science n’en épuise l’interrogation, même si l’acoustique, la phonétique ou la linguistique essaient de la résorber dans leur savoir. Elle fuit de partout, elle ne se laisse pas circonvenir. » [LeBreton, 2011]. Ainsi la voix est abordée de manière parcellaire et incomplète dans de nombreuses disciplines, et son propre cadre d’étude – la vocologie – reste mal connu en France.

Encart 2

La vocologie, une discipline pour la voix

La vocologie, développée par Ingo Titze au début des années 90 [Titze, 1996], est définie par lui comme la « discipline des sciences et des pratiques d’éducation de la voix (…) avec un accent fort pointé sur les techniques mises en place dans l ’éducation / rééducation vocale  ». En tant que spécialité (para)médicale, la vocologie est pratiquée aux États-Unis par des «  coaches vocaux  » et des orthophonistes spécialisés, et s’adresse plus particulièrement aux professionnels de la voix  : chanteurs, acteurs, orateurs, conférenciers, etc. ou à quiconque souhaite améliorer sa communication. « Plus que de réparer la voix ou de la ramener à un état antérieur, il s’agit de renforcer et d’optimiser les comportements phonatoires dans le cadre de demandes spécifiques. » [Titze, 1996] En tant que science, la vocologie recouvre différents centres d’intérêt autour de la voix  : les aspects issus des sciences fondamentales (modélisation de la vibration des cordes vocales, étude des phénomènes aérodynamiques), des sciences médicales (physiopathologie et remédiation), des approches comportementales (analyse des conduites et du geste vocal), des sciences du langage (caractéristiques acoustiques, phonétique, linguistique) et de la pédagogie vocale (chant, théâtre, parole en public…). Titze entend ainsi faire de la voix un champ d’étude à part entière, en la plaçant au centre d’un dispositif de recherche faisant intervenir physiciens, chercheurs, médecins phoniatres, chirurgiens ORL, orthophonistes, pédagogues de la voix, mais aussi linguistes, phonéticiens, psychologues et artistes.

La discipline connaît un intérêt grandissant dans les années 90 et, en 1996, la revue scientifique scandinave Journal of Logopedics, Phoniatrics and Voice change de nom et devient officiellement Logopedics, Phoniatrics, Vocology [Kjaer, 1996]. De nombreux congrès internationaux récurrents, à l’origine destinés en priorité aux médecins et physiciens, prennent alors une tournure résolument vocologiste. Parmi eux, on peut citer le symposium annuel de la Voice Foundation (Philadelphie) et la Fall Voice Conference (San Francisco New York Atlanta) aux États-Unis, ou le congrès européen itinérant PEVOC (Pan European Voice Conference) qui s’ouvrent de plus en plus aux observations cliniques et aux travaux de recherche développés par les orthophonistes et les pédagogues de la voix.

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La Voix et Soi

La voix n’a donc pas la place qu’elle mérite. Pourtant, plus que jamais, elle est au centre du modèle même de notre société, basée sur la communication. À l’heure où les téléphones portables envahissent les espaces publics, les podcasts se substituent à la presse écrite, et certains renseignements ne sont plus acces-sibles que sur des plateformes d’appel. La voix devient l’individu. Elle se débar-rasse de l’enveloppe corporelle, se désincarne et existe en elle-même. La voix de l’opérateur en télémarketing porte en elle toute l’image de la firme qu’il vante, la voix d’un criminel enregistrée sur une bande permet d’en authentifier l’iden-tité, vous pouvez aujourd’hui avoir une conversation19 avec votre tablette numé-rique ou votre téléphone portable, donner des ordres à votre chaudière, la voix de votre navigateur GPS vous indique la route à suivre, la voix est omniprésente, la voix est partout, elle a une vie autonome ! Les cours de chant, de théâtre, les séances de coaching de prise de parole en public fleurissent sur YouTube, des reportages télévisés s’interrogent sur l’identité vocale avec l’étude des jumeaux ou des imitateurs, la téléréalité propose de faire se rencontrer des célibataires dans le noir le plus complet et, dernière en date, l’émission de télécrochet The Voice propose de juger la qualité d’un chanteur à la seule écoute de sa voix… (N’est-ce pas juste la moindre des choses ?) De nos jours, l’explosion technolo-gique rend vocale la plus manuelle des tâches, banale la plus exceptionnelle des performances. Le 16 décembre 2009, le magazine Télérama propose un numéro spécial consacré à la voix (d’ailleurs proposé en podcast en plus de la version papier). Fabienne Pascaud conclut son éditorial sur ces mots : « Oui, le monde a des voix qu’il nous faut sans cesse apprendre à écouter si l’on accepte de vivre en harmonie avec lui. »20

Le monde a des voix, certes, mais l’être humain aussi, Dieu merci. Malgré cette invasion médiatique et technologique, la voix demeure au quotidien, par sa simplicité, son authenticité, sa flexibilité, un étonnant miroir de l’âme capable d’émouvoir. Car votre voix, c’est vous. Votre voix chante, rit, exige, énonce, convainc, pleure, rassure, reproche, implore, console, prévient. Votre voix exprime à votre place ce qui est indicible, trahit vos émotions, votre personna-lité et ment, manipule, joue. Après des années passées à l’étudier, je reste fasci-née par l’extraordinaire flexibilité de la voix qui, partie de la vibration subtile de deux petits plis muqueux21, finit par revêtir toutes les facettes d’une personna-lité, d’un état psychique, d’un instant de vie. C’est le même organe minuscule

19. Le logiciel Siri développé par Apple comprend les ordres que vous lui formulez oralement et apporte des réponses adaptées à toutes vos questions.20. Télérama (2009), numéro spécial « La Voix » ; n° 3128 : 11-60.21. Les cordes vocales.

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Introduction

qui crie la douleur ou berce un enfant. C’est le même organe minuscule qui murmure une confidence ou remplit un opéra. « La voix s’écrit toujours au plu-riel, comme pourrait s’écrire aussi le visage et comme s’écrit le corps, car si la voix est toujours singulière, elle n’est jamais univoque au fil du jour et du temps pour le même individu. (…) Signe éminent et singulier de la personne, de la naissance à la mort, du premier cri de l’enfant au dernier soupir du vieil homme, la voix aura été un lien essentiel avec les autres, un instrument de notre reconnaissance. » [LeBreton, 2011] Le terme « personnalité » vient du latin per sona : le son qui passe à travers le masque des comédiens22 [Moses, 1954]. À visage couvert, les comédiens n’avaient, pour faire passer intentions, émotions et sentiments, que le son de leur voix. Le mot « personnalité » est donc largement issu de la compo-sante vocale. Ainsi, la voix est, en lien avec la personnalité, au cœur de la com-munication et des interactions sociales. Simul et singulis, « être ensemble et être soi même », telle est la devise de la Comédie française et pourrait bien devenir aussi celle de la vocologie.

« La voix et soi », voilà l’aventure que je vous propose. Loin de l’austérité des modèles développés en sciences du langage (dont je suis une fervente disciple !) mais sans les trahir ni renoncer aux connaissances qui en découlent, l’objectif de cet ouvrage est de proposer une vision générale de la formidable richesse des informations véhiculées par la voix, toutes disciplines confondues, avec pour ambition de rendre accessibles les observations issues de la littérature scienti-fique et de remettre – pourquoi pas – un peu de poésie dans tout ça.

22. Dans le théâtre antique, le comédien devait choisir un seul masque parmi douze qui devait permettre au public de prédire l’action du personnage.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

« Bonjour-Madame-Martin-je-suis-Diane-de-la-société-X-et-je-souhaite-vous-parler-de-notre-nouvelle-game-de-produits-en-vous-proposant-une-offre-exclusive-très-intéressante-que-nous-avons-conçue-spécialement-pour-vous-Madame-Martin(.)-Connaissez-vous-le-Xproduct-(?)-Le-Xproduct-que-je-vous-propose-aujourd’hui-Madame-Martin-à-un-tarif-préférentiel-de-99,90€-fait-partie-de-la-nouvelle-génération-de… »

Combien de fois par semaine recevez-vous ce genre d’appel, généralement entre 19 h et 21 h, débité sur un seul ton de voix à la vitesse de la lumière, ne vous laissant pas le temps de prononcer le moindre mot ? On ne les compte plus, n’est-ce pas ? Comme je le fais moi-même, vous avez sans doute une réponse toute faite, plus ou moins directe, plus ou moins polie, il faut bien l’avouer, un « merci, ça ne m’intéresse pas » que vous désespérez de parvenir à placer dans les premières secondes de l’appel téléphonique. En réalité, au moins une demi-minute sera nécessaire pour que vous puissiez dire un mot, si vous n’avez pas purement et simplement raccroché avant… Parce que tant que vous n’avez pas émis un son, alors Diane peut débiter son argumentaire, et si vous êtes suffisamment poli (ou patient !) pour ne par raccrocher sans prévenir, alors elle aura eu le temps d’en dire suffisamment pour – peut-être – attirer votre attention. C’est donc une technique de vente – certes exaspérante mais de plus en plus répandue. La plupart du temps, vous finissez par trouver le moyen de couper court et vous retournez à vos occu-pations sans vous interroger davantage. La chose n’a pris que quelques secondes, et Diane est aussitôt jetée aux oubliettes, sa société et son produit avec. Mais qui est Diane ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Il y a pourtant de nombreuses choses, si vous y prêtez attention, que vous avez apprises sur elle durant ce court laps de temps. Car la voix « est une matière sonore à la fois sociale, culturelle, sexuée (…), marquée par des ritualités (…) propres à une communauté linguistique à un moment de son histoire » [LeBreton, 2011].

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La plupart du temps, Diane a été recrutée pour ce travail sur sa capacité à débiter son discours de manière très rapide sans bafouiller, sur la neutralité de sa parole (pas d’accent régional marqué), et sur la sonorité de sa voix, claire et anonyme (c’est-à-dire sans particularité repérable). Et probablement sur sa maîtrise d’elle-même tant le travail est ingrat et l’accueil frileux. Diane ne s’ap-pelle vraisemblablement pas Diane, mais son prénom a été choisi en fonction du public cible qu’elle doit toucher. Si Diane vend des sacs pour aspirateurs, elle pourra s’appeler « Martine », si elle vend des forfaits de téléphonie à destination des 15-25 ans, elle s’appellera « Jennifer ». Peu importe qui elle est, la question de fond pour l’entreprise reste : quelle est l’image qui doit être véhiculée ? Ici, c’est encore une question de forme, de stratégie marketing. Mais que savez-vous d’autre ? À l’écoute de sa voix, vous avez la confirmation que Diane est bien une femme, vous savez qu’elle est plutôt jeune : même si vous ne connaissez pas pré-cisément son année de naissance, vous pouvez déterminer une tranche d’âge. Vous savez également qu’elle est issue d’un milieu socio-culturel ni trop bas ni trop élevé (absence d’accent régional, lecture de bonne qualité), mais qu’elle se trouve actuellement dans une situation relativement précaire : cet emploi – très éprouvant – n’est pas une branche dans laquelle on fait carrière, mais plutôt un job de dépannage, pour payer ses études ou dans l’attente de trouver un « vrai » travail. Parmi ces informations, il y a les choses que vous savez parce que les médias parlent régulièrement de ces « nouveaux métiers », et les choses que vous entendez. Eh oui, votre voix donne des informations sur vous, sur votre identité.

1. Diane est une femme (ou la reconnaissance du genre)

De nombreux travaux dans la littérature scientifique s’intéressent à la déter-mination du genre à l’écoute de la voix. De fait, c’est un exercice auquel nous sommes soumis quotidiennement, de manière inconsciente, et qui nous paraît a priori facile. La plupart du temps, notre perception se base essentiellement sur des critères de hauteur de la voix23 – la voix des femmes est plus aiguë que celle des hommes.

23. La hauteur de la voix dépend de la vitesse de vibration des cordes vocales. Cette hauteur est appelée fréquence fondamentale (F0), mesurée en Hertz (Hz). Lors de la production d’un son, les cordes vocales s’ouvrent et se ferment alternativement au passage de l’air qui vient des poumons via la trachée. Plus ce

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

Dans la nature, chez les mammifères, la hauteur de la voix est étroitement liée au volume de l’animal : plus la bête est grosse (et puissante), plus la voix est grave (et forte) [Fitch, 2000]. Prenez le chaton et le tigre, le ouistiti et le gorille, le chevreau et le cerf, et j’en passe, la différence est une évidence. Chez l’être humain, mammifère parmi les mammifères, c’est sensiblement la même chose : la hauteur de la voix évolue avec la taille de l’individu. Un jeune enfant possède une voix plus aiguë qu’un adulte, une femme (généralement plus petite et plus légère) possède une fréquence plus élevée qu’un homme. D’un point de vue ana-tomique, le larynx et les cordes vocales, mais aussi les résonateurs et le volume pulmonaire vont grossir pendant la croissance et donc modifier la hauteur et la puissance (on parle d’intensité) de la voix. En fait, et même si c’est un peu plus compliqué que ça, on peut considérer que ce qui détermine la hauteur de la voix, c’est d’une part le volume de l’organe, et d’autre part la tension des cordes vocale : plus elles sont fines et tendues, plus la voix est aiguë, et plus elles sont épaisses et relâchées, plus la voix est grave.

Poids Taille Cordes vocales F0

Nouveau-né 3,5 kg 50 cm 2 mm 500 Hz

Enfant de 8 ans 30 kg 120 cm 6 mm 300 Hz

Femme 60 kg 165 cm 10 mm 200 Hz

Homme 75 kg 180 cm 16 mm 125 Hz

Tableau 1.1 : Évolution de la fréquence fondamentale (F0) en fonction de la taille du sujet [Baken, 1996].

Le conte pour enfants Boucle d’Or et les trois ours24 illustre parfaitement ce fait anatomique : la grosse voix de papa ours, la voix « moyenne » de maman ours, et la petite voix fluette de bébé ours. Dans un même ordre d’idée, Ingo Titze donne l’image de différents instruments à corde : le violon, l’alto, le vio-loncelle et la contrebasse, qui sont, d’un point de vue architectural, strictement identiques mais de taille différentes (de plus en plus volumineux), induisant des

mouvement est rapide, plus le son est aigu. Chez l’homme, schématiquement, le battement se produit envi-ron 100 fois par seconde (on dit que la fréquence est de 100 Hz), chez la femme environ 200 fois (200 Hz).24. Attribué à tort aux frères Grimm, Boucle d’Or et les trois ours est en fait l’œuvre de l’écrivain anglais Robert Southey, paru en 1837 dans son ouvrage « The Doctor ».

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La Voix et Soi

sonorités progressivement plus graves [Titze, 2000 ; Barone & Tellis, 2008]. Et c’est finalement pareil pour tous les instruments : le basson est plus volumineux que la trompette, les cordes aiguës du piano sont plus fines et plus tendues que les cordes graves, etc.

Encart 3

Quelles ressemblances entre le cri d’un bébé humain et le rugissement d’un lion ?

Lors du 41e symposium de la Voice Foundation (Philadelphie, 2012), Ingo Titze présente une étude comparative de deux modes phonatoires a priori radicalement différents  : le lion et le nouveau-né humain [Titze, 2012]. Pourtant, les similitudes sont frappantes  : les deux vocalisations sont apériodiques (rauques et instables), au maximum de l’intensité autorisée par la structure anatomique des larynx respectifs. Les différentes couches de tissus constitutives des cordes vocales ne sont pas majoritairement constituées de fibres uni-axiales et ont une faible élasticité. Par conséquent, les vocalisations ne sont pas tonales (mélodiques), mais délibérément bruitées, ce qui a pour effet d’attirer l’attention. Chez bébé, le message est «  viens vite, j’ai besoin d’aide », chez le lion ce sera plutôt « dégage, c’est mon territoire ». Mais dans les deux cas, l’ordre intimé est clairement perçu et décodé par son destinataire, qui va immédiatement s’exécuter, pour la sauvegarde de ses nerfs… ou de sa vie !

La principale différence se trouve dans la fréquence fondamentale  : les nourrissons pleurent aux alentours de 500  Hz, alors que le lion rugit à environ 30 Hz. Les cordes vocales du nourrisson ont une longueur de 2 mm et celles du lion mesurent 3 cm. Schématiquement, on peut donc dire que le larynx du lion est environ dix fois plus gros que celui du nourrisson, c’est ce qui explique la différence de fréquence. Dans ce travail, Titze propose une modélisation mathématique du larynx du bébé, en tenant compte des propriétés architecturales et viscoélastiques de ses cordes vocales. Le son produit artificiellement par le modèle est en effet un son à 500  Hz qui ressemble à s’y méprendre au cri du nouveau-né. Il grossit ensuite son modèle 10 fois, et là, le son produit est identique au rugissement du lion ! Titze montre ainsi que la principale différence entre les sons générés par ces deux tyrans, réside dans la dimension de l’organe qui les produit !

Chez l’enfant, il n’existe pas de différence anatomique entre le larynx des filles et celui des garçons. Le larynx est petit, les cordes vocales son fines et ten-dues. La fréquence fondamentale est donc à peu de choses près la même pour les

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

garçons et pour les filles, et proche de celle de la femme. Au téléphone, du moins dans les premiers instants de la conversation, j’ai souvent eu une grande diffi-culté à déterminer qui de mon amie, de son fils de 6 ans ou de sa fille de 8 ans avait décroché le combiné ! Pourtant, il existe de subtiles différences acoustiques dans la production de la parole chez les enfants et chez les adultes, qui sont fil-trées25 par le dispositif particulier du téléphone. Il est vraisemblable que, dans des conditions naturelles, c’est-à-dire en la présence directe des locuteurs mais sans les voir, je pourrais plus facilement distinguer la voix de la mère de celle des enfants. En effet, une étude de Martins [Martins et al., 2009] montre que la voix des enfants possède une plus grande variabilité spectrale, avec des formants26 placés plus haut que dans une voix de femme adulte, pourtant sensiblement de la même fréquence. Par ailleurs, les enfants possèdent une articulation anté-riorisée27 (potentiellement responsable de ces différences spectrales d’ailleurs), avec un débit de parole globalement plus lent mais aussi plus fluctuant d’un seg-ment à l’autre (accélérations et ralentissements plus marqués que chez l’adulte).

Il existe donc des indices dans une voix d’enfant qui nous permettent de le différencier d’une femme adulte. Pour Amir [Amir et al., 2012], il est plus facile avant la puberté de déterminer à l’oreille le genre d’un enfant (81 % de succès) que son âge précis (37 % de succès). Pour Perry [Perry, 2001], la détermination du genre est possible dès 4 ans (son étude n’incluant pas d’enfants plus jeunes) sur la base de différences formantiques, alors qu’à partir de 12 ans la discrimination tient compte également de la fréquence fondamentale. Ces exemples (et nous en verrons beaucoup d’autres) illustrent la nécessité de considérer la voix comme un tout, en intégrant non seulement le son produit, avec ses caractéristiques acoustiques, mais aussi les dimensions linguistiques liées à l’articulation, au débit, à l’intonation et même au choix des mots. L’être humain adore découper

25. Il ne vous a probablement pas échappé que la sonorité de la voix est différente au téléphone. Le principe même du téléphone implique de faire un choix entre la rapidité de la transmission et l’intelligibilité du message. Si l’on favorise l’un, cela se fait nécessairement au détriment de l’autre. Pour parvenir au meilleur compromis possible, seules les fréquences qui transmettent la parole sont conservées, les autres, qui parti-cipent davantage au timbre vocal, sont filtrées. Les filtres acoustiques, à la manière d’un filtre à café, per-mettent de séparer la partie indésirable de la partie utile.26. Tous les sons complexes en général, et les sons de la parole en particulier, peuvent être décomposés en une série de sinusoïdes simples qui sont des multiples entiers de la fréquence fondamentale. Cette décom-position mathématique selon le théorème de Fourrier, permet d’observer des renforcements d’énergie dans certaines zones de fréquence, c’est ce que l’on appelle « les harmoniques ». Dans le cadre de la parole, les voyelles sont caractérisées par des renforcements dans certaines zones de fréquence que l’on appelle les formants qui vont donner au son une couleur particulière lui permettant d’être identifié comme l’une ou l’autre des voyelles. Schématiquement, on considère que F0 reflète la hauteur de la voix, F1 l’ouverture articulatoire, F2 l’antériorisation de l’articulation et F3 l’arrondissement des lèvres.27. Réalisée davantage à l’avant de la bouche, même pour les sons du langage normalement produits plutôt au fond de la gorge.

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La Voix et Soi

la nature en différentes catégories mais ce n’est que dans son esprit modélisa-teur que cette démarche s’impose. Dans la réalité, il n’existe pas d’argument en faveur d’un découpage de la voix en éléments linguistiques et paralinguistiques, verbaux et non-verbaux, sonores et phonétiques. Et la détermination du genre n’échappe pas à cette règle puisque les indices formantiques (a priori plus pho-nétiques que purement vocaux) présents dans la voix des jeunes enfants sont un élément fort de la discrimination garçon / fille.

À la puberté, l’influence des hormones mâles va induire chez le garçon une forte croissance du larynx qui va presque tripler, avec un allongement des cordes vocales mais aussi des structures cartilagineuses (le cartilage thyroïde augmente de volume pour créer la pomme d’Adam) et un abaissement de la position du larynx dans le cou [Harries et al., 1997]. À cette période, l’adolescent va subir des changements brusques et désordonnés de la hauteur de sa voix, c’est ce que l’on appelle la mue. Chez la femme, la mue existe aussi, bien qu’elle demeure plus dis-crète du fait de la croissance plus limitée de l’appareil laryngé. Chez l’un comme chez l’autre, les modifications anatomiques observées à la puberté vont induire l’adaptation progressive du sujet à un mode de fonctionnement sensiblement différent de la vibration des cordes vocales : ils vont passer d’un registre de tête (ou mécanisme 2) à un registre de poitrine (ou mécanisme 1). Pour des raisons diverses (anatomiques, pathologiques, identité sexuelle, ou recherche esthétique délibérée), certains individus vont subir et/ou entretenir une ambiguïté dans l’identité sexuelle de leur voix. Mais, d’une manière générale, la fréquence va largement participer à la possibilité de déterminer le genre du locuteur, même en l’absence d’informations visuelles.

Encart 4

Ambiguïté pathologique

La mue faussée est probablement la pathologie de «  hauteur de la voix  » la plus fréquente dans la population. Il s’agit généralement de jeunes garçons en pleine puberté ou juste après qui, pour des raisons anatomiques quelquefois mais psychologiques le plus souvent, vont avoir des difficultés à acquérir et à s’approprier le nouveau mécanisme phonatoire dicté par la croissance de leur larynx, et conserver leur registre d’enfant. On se retrouve alors face à des sujets qui présentent déjà une apparence d’homme, avec une voix qui demeure aiguë. Dans ce cas, une prise en charge psychothérapeutique peut être proposée, mais le problème peut être résolu en quelques séances auprès d’un orthophoniste ou d’un phoniatre.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

Le syndrome de Kallmann est une maladie génétique rare, qui touche essentiellement les garçons et qui se traduit par une insuffisance hormonale. La conséquence est un blocage de la puberté et de la croissance. Le larynx demeure donc petit et la voix reste « infantile ». Le chanteur de Jazz Jimmy Scott, probablement la personnalité la plus connue atteinte du syndrome de Kallmann, a fondé sa carrière sur cette spécificité  : l’ambiguïté entre son apparence d’homme et sa voix de Diva Soul (cf. encart 8).

La dysphonie est un trouble de la voix consécutif à des lésions apparues sur les cordes vocales et/ou à un dysfonctionnement comportemental (cf. chapitre Être malade de la voix). Entre autres manifestations, la dysphonie montre une tendance à rendre les voix des hommes plus aiguës, et les voix des femmes plus graves. En fait, la dysphonie provoque une réduction des capacités vocales des patients et une sorte d’« uniformisation » de la hauteur de leur voix. Dans le tableau suivant, issu des travaux du Dr Ping Yu réalisés dans notre laboratoire [Yu et al., 2001, 2007], on note l’évolution de la fréquence fondamentale (écart-type donné entre parenthèses) chez les hommes et les femmes en fonction de la gravité de la dysphonie.

Voix normale Dysphonie légère Dysphonie moyenne Dysphonie sévère

Hommes 122 Hz (24) 131 Hz (27) 130 Hz (33) 167 Hz (32)

Femmes 218 Hz (28) 204 Hz (34) 195 Hz (37) 168 Hz (57)

Encart 5

Ambiguïté stylistique

Un castrat est un chanteur de sexe masculin ayant subi la castration avant sa puberté dans le but de conserver le registre aigu de sa voix enfantine tout en bénéficiant du volume sonore produit par la capacité thoracique d’un adulte. Le phénomène musical des castrats apparaît dans la deuxième moitié du xvie siècle en Occident. Le plus connu d’entre eux est sans doute Farinelli dont l’histoire extraordinaire a fait l’objet d’un film réalisé par Gérard Corbiau en 1994.

Les hautes-contre, sopranistes et contre-ténors sont des chanteurs masculins qui utilisent le registre le plus aigu de leur voix, un peu comme un castrat mais de manière naturelle, c’est-à-dire sans modification organique (chirurgicale ou pathologique). Ces techniques de chant sont largement employées dans la musique baroque des xviie et xviiie siècles. Le chanteur lyrique contemporain Andreas Scholl, notamment, en offre une illustration talentueuse.

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La Voix et Soi

Certains chanteurs pop ou de variété comme Jimmy Sommerville, Michel Polnareff ou Pascal Obispo (mais aussi de nombreux autres) utilisent beaucoup voire exclusivement le registre de voix de tête, explorant les notes les plus aiguës du registre masculin, proche du chant féminin. L’émission de télécrochet The Voice, mentionnée dans l’introduction, a d’ailleurs largement exploité cette ambiguïté souvent spectaculaire  : le dos tourné au candidat, le jury a quelquefois plébiscité des chanteuses qui, une fois le fauteuil retourné, se sont avérées des chanteurs !

Cela dit, la détermination du genre ne réside pas dans la seule perception de la fréquence. Pour preuve, le cas particulier des transsexuels (homme vers femme). Un homme qui va utiliser des fréquences féminines aura certes une voix plus aiguë. Pour autant, il ne sera pas forcément identifié comme une femme, mais plutôt comme la caricature d’une femme. Nous avons tous en tête l’interprétation de Michel Serrault dans la Cage aux Folles28, et il est clair qu’aucun transsexuel ne souhaite « sonner » comme le personnage d’Albin, dit Zaza Napoli. Il ne faut pas oublier en effet que les patients transsexuels n’ont pas pour but de simplement ressembler à une femme, ni même d’en devenir une. De leur point de vue, ils entendent réparer une erreur de la nature qui leur a donné une enveloppe anatomique masculine alors qu’ils sont, fondamen-talement, une femme. Les orthophonistes sont de plus en plus sollicités par ces patients pour féminiser leur voix. Les techniques mises en place ont pour objectif certes de gagner quelques Hertz pour obtenir une voix plus aiguë, mais abordent également les aspects plus linguistiques que sont la prosodie et même le choix du vocabulaire ou l’utilisation de la gestuelle. Il est désormais communément reconnu que la seule modification de la fréquence engendre une phonation peu naturelle et qu’il est souvent préférable de n’augmenter que faiblement la hauteur de la voix pour favoriser une intonation plus mélodieuse, une articulation plus précise et un vocabulaire plus choisi [VanBorsel et al., 2009 ; Holmberg et al., 2010 ; Gelfer & Tice, 2012]. Pour ma part, le travail mis en place avec ces patients est très largement basé sur un feed-back audiovisuel qui consiste à filmer le sujet en situation de conversation et de regarder ensuite la vidéo que nous commentons ensemble. Cette approche permet de valider un certain nombre d’attitudes et de comportements vocaux, et d’en critiquer d’autres afin de calibrer les indices féminins qui vont être émergents dans la communication et correspondre à ce que le patient souhaite. Les transsexuels

28. Film franco-italien réalisé par Édouard Molinaro (1978).

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

ont souvent une idée très précise de la femme qu’ils sont, donc de l’image qu’ils souhaitent renvoyer  ! Soit dit en passant, l’utilisation d’un feed-back audio ou vidéo permet une prise de conscience très utile pour le travail théra-peutique, dans la prise en charge des troubles de la voix et/ou de la communi-cation en général.

Encart 6

Féminisation de la voix et chirurgie

L’espoir d’une « chirurgie miraculeuse » permettant d’obtenir une voix plus aiguë existe depuis que la transsexualité existe, c’est-à-dire depuis toujours. Et de fait, de nombreuses tentatives ont été réalisées par les chirurgiens ORL pour répondre à cette demande. Puisque la hauteur de la voix est liée à la tension des cordes vocales, l’objectif est de trouver un moyen de les raccourcir. Les techniques de cricothyroid approximation (rapprocher les cartilages cricoïde et thyroïde pour tendre des cordes vocales) [Isshiki et al., 1983], ou thyrohyoid elevation (remonter le larynx dans le cou pour réduire l’espace résonantiel) ont été progressivement abandonnées  : en effet, si les premiers résultats étaient encourageants en post-opératoire immédiat, la nature reprend vite ses droits et l’élasticité du corps humain fait que les tissus ont tendance à se relâcher relativement rapidement et la fréquence s’abaisse à nouveau, quelquefois même davantage qu’avant l’opération. Une nouvelle technique a été proposée en Europe par le professeur Marc Remacle29 sur la base des travaux de Wendler et tend actuellement à se généraliser  : la Wendler’s glottoplastie [Sataloff et al., 2011]. Son principe est de raccourcir les cordes vocales en les suturant ensemble à leur extrémité antérieure pour créer une synéchie30, diminuant ainsi la masse vibrante. Cette technique montre d’excellents résultats, même si les chirurgiens n’ont à l’heure actuelle que peu de recul pour observer ses effets à (très) long terme.

Par ailleurs, la laryngoplastie est une chirurgie couramment pratiquée afin de diminuer le volume de la pomme d’Adam dont la proéminence est très caractéristique des hommes. Cette technique n’a aucun effet sur la voix elle-même, mais contribue à féminiser l’apparence physique des patients [VanBorsel et al., 2009].

Quoi qu’il en soit et nous en conviendrons tous, la voix d’une femme est différente de celle d’un homme. Plus aiguë, certes, mais aussi plus soigneuse-ment articulée, la phonation féminine possède une prosodie plus mélodieuse,

29. Marc Remacle est chirurgien ORL, professeur académique de l’université de Louvain (Belgique).30. Synéchie : adhérence cicatricielle de deux surfaces ulcérées.

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La Voix et Soi

un débit sensiblement plus lent, et la structure sémantique et syntaxique employée est également plus riche, plus détaillée et plus précise. Une étude américaine proposée par Newman en 2008 [Newman et al., 2008] montre notamment que certains mots, expressions et tournures de phrases sont pré-férentiellement utilisés par les femmes. Cette différence est plus marquée dans certaines langues (japonais) que dans d’autres, mais en anglais, par exemple, on constate fréquemment un langage plus élaboré chez les femmes que chez les hommes qui adoptent un style plus direct : une femme dira « it’s a beautiful day, isn’t it ? » (« c’est une belle journée, n’est-ce pas ? ») alors qu’un homme se contentera d’un simple « it’s a beautiful day » (« c’est une belle journée »). Dans un même ordre d’idée, les femmes utilisent un vocabulaire plus émo-tionnel, relié à des processus psychologiques et sociaux, lorsque les hommes sont davantage axés sur des faits objectifs et impersonnels [Grob et al., 1997]. Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus ! Rien de vérita-blement révolutionnaire dans ces constatations, juste la preuve que la science peut venir expérimentalement corroborer ce que, implicitement, nous perce-vons tous.

Quant à Diane, il est probable que le caractère hyper-formaté de son dis-cours promotionnel débité au kilomètre laisse peu de place à ces indices ver-baux ; néanmoins, d’autres caractéristiques vocales (fréquence fondamentale) et articulatoires (formants), peuvent nous apporter la confirmation perceptive qu’en effet, Diane est très probablement une femme.

2. Diane a 25 ans (ou l’évaluation de l’âge)

La question de l’âge est vraisemblablement moins tranchée, du moins si l’on se rapporte exclusivement aux caractéristiques vocales. En tout cas, dans la littérature scientifique, peu de travaux y sont consacrés. Nous l’avons vu, la détermination de l’âge d’un enfant à la seule écoute de sa voix n’est pas une chose facile. Amir rapporte 37 % de réussite [Amir et al., 2012] chez des enfant âgés de 8, 10, 12, 14, 16 et 18 ans, ce qui suppose donc 63 % d’erreurs. Il est vraisemblable qu’un meilleur score serait obtenu en divisant la population en trois groupes : avant la puberté (8, 10, 12 ans), pendant la puberté (14, 16 ans) et après la puberté (18 ans). Cependant, Amir ne rap-porte pas ces résultats, probablement à cause du fait que la classe « 18 ans »

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

est sous-représentée en effectif par rapport aux deux autres. Quoi qu’il en soit, il est probablement impossible de déterminer l’âge exact d’une per-sonne à la simple écoute de sa voix. D’ailleurs, les différentes publications retrouvées mentionnent des populations d’étude réparties en groupes d’âge franchement distincts (25  ans versus 75  ans, par exemple), ce qui revient finalement à étudier la voix du sujet âgé davantage que l’évolution de la voix en fonction de l’âge.

En 2008, Nishio et Niimi [Nishio & Niimi, 2008] proposent une étude de la fréquence fondamentale de 374 sujets (187 hommes, 187 femmes) depuis l’adolescence jusqu’au troisième âge. Ils montrent ainsi que la fréquence usuelle des hommes reste stable jusqu’à 70  ans environ puis tend à aug-menter ensuite. Les femmes ont une fréquence significativement plus basse aux alentours de 30/40  ans qu’à leurs 20  ans, et elle continue à diminuer avec l’âge31. La voix des hommes devient donc progressivement plus aiguë et celle des femmes progressivement plus grave. Comme si avec le temps, la hauteur de la voix chez les hommes et les femmes se modifiait pour conver-ger vers un point commun au 3e âge. Cette observation rappelle les résultats des travaux de Ping Yu [Yu et al., 2001, 2007] (cf. encart 4) qui montre que les valeurs de fréquence fondamentale des hommes et des femmes tendent à se rejoindre avec la pathologie vocale. En effet, il peut être quelquefois aussi difficile de déterminer le genre d’une personne très âgée que celui d’un jeune enfant, comme il peut être difficile de déterminer le genre d’un sujet atteint de dysphonie sévère.

En fait, si la voix s’altère avec l’âge, c’est parce que le larynx vieillit. Le phénomène de dégénérescence de l’organe est bien connu du grand public en ce qui concerne la vue (presbytie), un peu moins en ce qui concerne l’au-dition (presbyacousie) et franchement pas en ce qui concerne la voix (pres-byphonie). Pourtant, le larynx vieillit comme n’importe quel organe et voit ses performances progressivement diminuer avec l’âge.

31. À l’occasion d’une conférence et pour illustrer ce propos, je me suis lancée dans l’étude de différents extraits de la voix de Brigitte Fossey, dont la carrière est probablement à ce jour la plus longue du cinéma français puisqu’elle a débuté à six ans avec Jeux Interdits (René Clément, 1952) et continue aujourd’hui d’exercer ses talents, en particulier au théâtre. À six ans, la hauteur de sa voix est de 465 Hz, à 11 ans (Happy road - Gene Kelly, 1957) elle est de 362 Hz, à 22 ans (Adieu l’ami - Jean Hermann, 1968) elle est de 252 Hz, à 36 ans (La Boum 2 - Claude Pinoteau, 1982) elle est à 199 Hz, et lors d’une interview effectuée cette année, à 67 ans donc, elle est de 191 Hz. Si la hauteur de la voix diminue très fortement entre l’enfance et l’âge adulte, perdant plus de 200 Hz au passage de la puberté, on voit qu’elle continue de diminuer sensiblement avec l’âge, au fil du temps.

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La Voix et Soi

Encart 7

Le vieillissement de la voix

La presbyphonie est le terme employé pour qualifier le vieillissement naturel de la voix. Débutant généralement après 60 ans chez les hommes et les femmes indifféremment, elle est la conséquence d’altérations morphologiques et fonctionnelles des systèmes pneumo-phono-articulatoires qui résultent d’une modification hormonale (thyroïdienne et sexuelle), d’une altération de l ’état musculaire, vasculaire, nerveux ou respiratoire, ou encore d’un manque d’exercice vocal (le départ à la retraite induit souvent une diminution des activités sociales et de l ’utilisation quotidienne de la voix). Comme n’importe quel effet du vieillissement, la presbyphonie évolue à un rythme propre à chaque individu et dépend de facteurs comme le style de vie, les activités et l ’environnement ainsi que des facteurs comme le bagage génétique et l ’état de santé [Sataloff et al., 1997 ; Torre & Barlow, 2009 ; Remacle et al., 2006].

Au niveau laryngé, on retrouve des modifications anatomiques du larynx dont la structure cartilagineuse tend à se ramollir, avec une atrophie du muscle thyro-arythénoïdien (muscle vocal) qui engendre une perte de volume des cordes vocales et une fuite glottique32. En conséquence, on observe souvent une voix plus aiguë avec un timbre voilé et une perte d’intensité. Quelquefois, un tremblement de la voix peut y être associé sans que la presbyphonie en soit forcément la cause directe.

D’après ces différentes observations, il semble donc relativement aisé de parvenir à différencier à l’écoute de la voix les grands âges de la vie : l’enfance, l’âge adulte et la vieillesse. Cependant, on peut également concevoir que la voix ref lète les caractéristiques générales que la société attribue aux individus en fonction de leur âge. Un sujet jeune devrait de ce fait posséder une voix tonique, spontanée, qui pourrait être carac-térisée par un débit rapide, une large étendue vocale, un timbre clair, alors qu’un adulte plus mûr pourrait avoir une voix posée, plus réf léchie, avec un débit plus lent, une prosodie plus neutre. Par ailleurs, il n’est pas impossible d’imaginer que la voix connaisse des modifications chemin faisant, ref létant l’histoire de chacun. Pour Jean Abitbol [Abitbol, 2005], « La voix est une alchimie entre le corps et l’esprit. Elle révèle, dans nos silences, nos respirations et notre musicalité, les cicatrices de l’histoire de notre vie. Elle est donc l’image non seulement de notre personnalité, mais aussi de notre évolution. » Avec le temps, notre visage se ride et ref lète les

32. Déperdition d’air entre les cordes vocales, responsable d’un timbre soufflé, voilé.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

évènements majeurs – heureux ou malheureux – de notre vie ; notre voix aussi. De fait, plus on avance en âge plus on a de vécu, plus les stigmates de notre vie vont transparaître dans la voix. Sans compter le mode de vie, la situation socio-professionnelle et la consommation de produits toxiques pour les cordes vocales (tabac ou d’alcool) dont les conséquences sur la qualité de la voix sont bien connues et se manifestent en proportion du nombre d’années d’exposition. Si l’on prend tous ces facteurs en compte, il devient alors potentiellement possible de déterminer l’âge approxima-tif d’un individu en compilant les différents indices qui vont affecter sa voix. D’ailleurs, avec plus ou moins de succès, nous nous faisons tous une idée de l’âge d’un interlocuteur inconnu au téléphone et c’est vraisembla-blement sur ces aspects-là, en toute subjectivité, que nous fondons notre jugement.

Encart 8

L’affaire Jimmy Scott

Lors du cours que je donne aux étudiants de première année d’orthophonie à Marseille («  La voix et l ’identité  »), j’ai pour habitude de diffuser un extrait de la chanson d’Elton John : « Sorry seems to be the hardest word »33 interprétée par Jimmy Scott (cf. encart  4). C’est en effet un excellent exemple de la manière dont la voix peut quelquefois tromper notre capacité à déterminer le genre et l ’âge d’un individu. J’ai choisi ce morceau parce que je l ’aime, mais n’importe quel autre ferait l ’affaire, pourvu qu’il soit du même interprète. Sur les premières mesures, je laisse l ’écran du vidéoprojecteur vide, et au bout de quelques secondes, le temps que les étudiants soient persuadés qu’ils vont découvrir l ’image d’une chanteuse afro-américaine d’une quarantaine d’année toute de paillettes moulée, j’affiche la photo du vieil homme34. Et là, stupeur générale  ! C’est donc l ’occasion pour moi d’évoquer le syndrome de Kallmann qui se conclut par « … et conservation de sa voix d’enfant. »

Presque chaque année, une main se lève : « C’est une voix de femme, ce n’est pas une voix d’enfant ». En effet. Si Jimmy Scott a gardé anatomiquement les proportions dimensionnelles d’un appareil phonatoire d’enfant, sa voix «  sonne  » adulte. Sur cette morphologie infantile se sont greffés le vécu

33. Album Holding back the years, Jimmy Scott (Artist Only, 1998).34. Né le 17 juillet 1925 à Cleveland, Ohio (USA).

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La Voix et Soi

d’un homme peu épargné par la vie35, ses joies et ses peines, l ’alcool, le tabac et toute une vie de bohème, de fêtes en concerts, de nuits blanches en dépressions. La voix a vieilli. Certes le larynx, dans son architecture, est demeuré petit, mais la voix avec l ’homme, inexorablement, a muri.

Évidemment, le « vécu » est une chose impossible à généraliser, et même la manière dont un individu potentialisera sa trajectoire de vie va être éminem-ment dépendante de son tempérament propre (donc variable), rendant impos-sible toute approche expérimentale. Cette idée-là reste donc du domaine de l’intuition, et ne sera probablement jamais démontrée, mais il n’est pas déplai-sant de constater que dans la voix demeure la part de mystère immesurable qui existe d’ailleurs dans la plupart des fonctions physiologiques de l’être humain. Alors, si l’on tient compte du fait que Diane a une voix aiguë et claire, un débit rapide (même s’il est en partie dicté par la tâche) et que l’on ajoute à cela qu’elle pratique une activité lucrative très essentiellement exercée par les jeunes en « job d’appoint », alors oui, probablement, Diane doit avoir environ 25 ans. En tout cas, ce qui est certain – ça, vous l’avez clairement entendu – c’est qu’elle n’est plus une enfant, et pas encore une personne âgée.

3. Diane vient de « nulle part » (ou l’identification des origines)

Parce qu’elle doit refléter l’image de l’entreprise  X, et pour être accueillie de la même manière par les consommateurs marseillais ou parisiens, Diane a

35. Troisième de six enfants, Jimmy Scott souffre durant son enfance de l’absence d’un père alcoolique, joueur et infidèle. Il apprend le chant auprès de sa mère qu’il aide comme il peut à nourrir sa famille de petit boulot en petit boulot. À 12 ans déjà, il est connu comme chanteur à Cleveland. En 1938, sa mère meurt dans un accident de la route et son père abandonne la fratrie. Peu de temps après, le diagnostic du syndrome de Kallmann est posé. À 20 ans il part pour New York où il démarre une carrière de chanteur notamment au sein de l’orchestre de Lionel Hampton puis auprès de Ray Charles pour Savoy Records. Le propriétaire de la maison de disques ruine sa carrière en l’empêchant d’enregistrer pour d’autres labels. En 1969, il enre-gistre un album chez Atlantic Records qui ne restera dans les bacs que quelques semaines du fait du contrat encore en vigueur chez Savoy Records. Comble de l’humiliation, la couverture de l’album représentait le visage d’une femme noire, pas le sien. D’une manière générale et durant toute la première partie de sa carrière, Jimmy Scott sera considéré comme une bête de foire. Il a alors 44 ans et sombre dans l’oubli. Il retourne à Cleveland où il sera successivement aide-soignant dans un hôpital et bagagiste dans un hôtel. Il lui faudra attendre 22 ans supplémentaires, pour qu’en 1991 sa carrière connaisse un second souffle, grâce au décès de Doc Pomus. Trois semaines auparavant, ce grand compositeur de blues américain avait mur-muré à l’oreille de sa fille : « Pour mes funérailles, je veux que Jimmy Scott chante ‘Someone to watch over me’ ». Des producteurs sont présents dans la salle, la carrière de Jimmy Scott est relancée.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

été recrutée sur la neutralité de son accent. Diane n’a donc pas d’origine géo-graphique. Bon, il faut aussi reconnaître que si Diane vendait des herbes de Provence ou de la choucroute, il serait de bon ton qu’elle possède (ou adopte) un accent méridional ou alsacien… Mais peu importe, Diane est une jeune femme volontaire et flexible, elle aura l’accent que l’on veut, pour peu que cela paye ses études.

L’origine géographique fait partie des dimensions de l’identité que notre voix va révéler (voire trahir si l’on en croit la citation de l’encart 9).

Encart 9

Mon accent, mes racines

« Deux syllabes suffisent – même une – et la prononciation d’un seul mot, pour révéler, derrière la langue parlée, la présence plus ou moins cachée, plus ou moins masquée, plus ou moins refoulée, ou au contraire plus ou moins assumée et même plus ou moins exhibée, d’une autre langue, derniers échos d’une langue fantôme dès les premiers sons d’une parole, le spectre d’une langue – morte ou vivante, on ne sait – superposée à celle que l’on entend au premier plan et qui satisfait au besoin immédiat de la communication, convoquée comme témoin à décharge ou visiteuse indiscrète, presque indésirable, qui s’est invitée elle-même, qui s’est glissée là – et désormais indélogeable, au fond de la salle –, contaminant les sonorités comme un rhume affecte la voix, insinuée parmi les contours phonétiques et les modifiant assez pour créer un dessin qui se distingue des formes standard sans pour autant affecter la structure pathologique : dans une langue parlée, cela s’appelle l’accent. »

L’accent – une langue fantôme, Alain Fleischer36

La question de l’accent est un terrain sensible. Cultivé voire vénéré par les uns qui y voient l’empreinte de leurs racines et un moyen de reven-diquer leurs origines, l’accent est quelquefois dissimulé par d’autres, le considérant comme l’aveu d’une faiblesse, d’une déviance à la norme. Dans notre société, nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas se distinguer des autres. Dans une interview publié sur le site l’ indépendant.fr, Nicolas Pagnol (petit fils de Marcel) regrette la discrimination de l’accent qui sévit en France : « La série Plus belle la vie se passe à Marseille, pas un seul des comédiens n’a l’accent marseillais. Voilà. Malheureusement aujourd’hui,

36. Alain Fleischer (2005) L’accent – une langue fantôme. Paris : Le Seuil.

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La Voix et Soi

les acteurs à accent sont cantonnés dans des tournées régionales, jamais dans des théâtres nationaux. C’est dû à l’histoire de la France, la centra-lisation, tout le monde a le même langage… On en paye aujourd’hui le prix. Dès que vous avez un accent, vous êtes suspect de marcher en sabot avec de la paille dedans. Alors que l’accent, c’est la richesse du Pays, la richesse de la Langue. » (cf. encart 10). De fait, un accent régional marqué est souvent assimilé dans notre société comme un manque d’éducation et de culture, et, au-delà du problème des comédiens évoqué par Nicolas Pagnol, la plupart des notables actuels font leur possible pour adopter une parole neutre. En 1996, Williams et Dietrich ont mis en évidence que la situation géographique est un facteur significatif de l’ajustement social, de la possibilité d’embauche et de l’ambition [Williams & Dietrich, 1996]. La perception d’un accent régional aurait donc un impact socialement négatif voire discriminatoire dans l’accès à l’emploi. Cependant, dans leur étude de 2001, ils n’ont pas retrouvé cette tendance et n’observent pas de diffé-rences significatives dans le jugement porté sur autrui selon son lieu d’ori-gine (rural ou urbain) [Williams & Dietrich, 2001]. Peut-on y voir un signe de l’évolution des mentalités ?

Encart 10

Théâtre en direct : échec d’un Pagnol joué sans l’accent du midi

Coup dur pour la politique de «  Théâtre en direct  » initiée, jusqu’ici avec bonheur, par France 2 : Fanny , la pièce de Marcel Pagnol, n’a réuni que 10,4 % de parts d’audience (…)

La contre-performance du théâtre en direct n’est pas très étonnante. D’une part, le choix de porter Fanny à la scène n’est pas très original. Pagnol a été surexploité par le cinéma. Et puis, enfin, que dire du choix du metteur en scène de faire jouer Pagnol sans l’accent du Midi ? De quoi désarçonner le grand public amoureux des pagnolades... La Comédie-Française, qui abritait cette pièce (donnée au théâtre du Vieux Colombier), devrait être le temple du respect des auteurs. Jouer Pagnol sans l’accent, c’est jouer Mozart sans les violons ou Molière en amputant les alexandrins ou Bergman sans les silences... Drôle de parti pris, vraiment.

LePoint.fr (2008)

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

La France est un pays dont l’idéologie et les politiques linguistiques reposent sur une certaine norme prescriptive, héritée du français classique et acadé-mique du xviie siècle. Cependant, aucune langue ne peut se présenter comme un ensemble unique de règles. Chacune est sujette à des variations qui rendent compte de la diversité linguistique. Évidemment, qui dit «  variation  » dit « norme » et les différents accents régionaux vont être opposés à un français dit « standard », considéré comme la référence. Il s’agit du français véhiculé par les médias et l’institution scolaire et universitaire (quoique), plus généralement parlé à Paris dans les milieux dits « bourgeois » ou intellectuels (à voir) [Roquel, 2012]. Cette manière de présenter les choses est un peu stigmatisante et pour-rait peut-être choquer certains, néanmoins il faut ici faire le constat qu’il s’agit d’une définition linguistique, sans jugement de valeur. Certains fervents défen-seurs de la diversité des dialectes régionaux se sentent d’ailleurs blessés d’être ainsi confrontés à un standard auquel ils n’accordent ni légitimité ni valeur. Pour autant, dans la démarche de recherche qui est celle des linguistes, difficile d’étudier des variations sans confrontation à un modèle de référence. On parle de français « standard » donc, d’aucuns auraient sans doute préféré « français de base » pour son côté péjoratif. Néanmoins, la diversité de points de vue illustrée par ce débat rend bien compte de la richesse du français et de ses spécificités régionales, qui, quoi qu’on en dise, ont la peau dure. Français « pluriel », français « universel » diront les plus fervents militants en faveur de l’accent. Bref. Qu’on le veuille ou non, le pays ou la région de notre enfance imprime dans notre voix des caractéristiques linguistiques propres à la langue maternelle.

Boula de Mareuil [Boula de Mareuil, 2010] définit l’accent comme « l’effet d’un ensemble de traits de prononciation qui permet d’identifier l’origine d’une personne ». Cependant, cette définition revêt un caractère différent selon que l’on se place du côté du phonéticien ou de celui du locuteur. Pour le phonéti-cien, l’accent se définit en effet par ses particularités phonético-phonologiques, alors que pour le locuteur, l’accent prend toute son importance dans la dimen-sion sociale et identitaire qu’il implique [Gasquet-Cyrus, 2010]. La notion d’ac-cent s’inscrit donc dans une relation d’altérité linguistique  : «  On a toujours un accent pour quelqu’un issu d’un autre groupe linguistique » [Léon, 2007]. Pour ma part, je prétends avoir un accent neutre. Pourtant, un phoniatre de mes amis, fervent défenseur de la langue d’Oc, me reproche souvent de dissimu-ler mes origines provençales derrière un accent pointu (!), alors que mes amis parisiens se réjouissent du soleil qu’ils perçoivent dans ma voix ! On est donc toujours un peu l’étranger de quelqu’un…

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La Voix et Soi

Les accents régionaux du français ont fait l’objet de nombreuses études et c’est la variation diatopique37 qui a été la plus observée, devant les variations diastratiques38. En effet, « aux premier mots qu’il prononce, on reconnaît un habitant de Toulouse d’un parisien, sans pouvoir toujours identifier le milieu social auquel il appartient  » [Walter, 2000]. Même si le propos d’Henriette Walter serait à nuancer du fait des origines multiculturelles et de la mobilité de la population contemporaine, les accents régionaux sont encore pertinents voire discriminants dans la francophonie. Alors, qu’est-ce qui change ? La structure particulière d’une langue, sa phonétique, sa phonologie, sa syntaxe, imposent un certain nombre de règles. Et il existe autant de règles que de langues, il va donc être un peu difficile ici de présenter un modèle universel ! Quitte à être réducteur, contentons-nous d’observer ici les différences de base entre le fran-çais « standard » et le français méridional, autrement appelé le Marseillé (avé l’assent !), bien connu de tous. Alors partons de là : le Marseillé, avé l’assent !

La transcription donnée ici montre déjà un certain nombre de modifica-tions induites par l’accent : la réduction de l’opposition entre les voyelles semi-ouvertes et semi-fermées (globalement tous les /ê, è, ei, ai/ sont donnés en /é/) et la réduction des groupes consonantiques complexes (le /ks/ de accent est réduit au simple /s/). On observe également en général des nasalisations de voyelles, la célèbre réalisation du schwa (/e/ muet), ainsi qu’une prosodie significativement plus marquée avec une étendue plus large qu’en français standard [Simon, 2011 ; Valente & Vignale, 2012]. Passons sous silence, afin de ne pas compliquer le pro-blème, la question de l’accent tonique39 (eh oui, il y a « accent » et « accent »…) qui selon sa position va aussi être déterminant dans l'identification de la région d’origine. Voilà en gros ce qui se passe pour le français méridional, d’autres différences sont observées dans d’autres régions de France, mais aussi chaque langue étrangère qui va conserver l’empreinte de sa sonorité propre.

Encart 11

Pourquoi Céline Dion n’a-t-elle pas d’accent quand elle chante ?

Voilà une question de fond et d’importance, qui véhicule pas mal d’idées absurdes. De « ce ne sont pas les même structures cérébrales » à « c’est parce qu’ils apprennent le texte en phonétique  », nombreuses sont les réponses

37. Diatopique : lié à l’origine géographique des locuteurs.38. Diastratique : lié à l’origine sociale ou démographique.39. L’accent tonique met en relief une syllabe dans un mot par l’augmentation conjointe de l’intensité et la hauteur de la voix.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

farfelues qui fleurissent sur le net. En réalité, la réponse implique conjointement deux aspects : la linguistique et le style de chant.

Commençons par les aspects linguistiques. Nous l’avons vu, une large part de l’accent dépend de la prosodie particulière de la langue qui va fixer une ligne mélodique, mais aussi un débit de parole (c’est ce qu’on appelle le phrasé). Dans le chant, la prosodie va être «  neutralisée  » par la partition musicale qui accompagne le texte. La mélodie va remplacer l’intonation, et le rythme va imposer le débit. De plus, le respect du texte et de sa forme poétique, et notamment le nombre de pieds présents dans le vers lui même calqué sur le rythme, va empêcher les contractions (« t’sais » au lieu de « tu sais ») et les adjonctions (« la tsimbale » au lieu de la « timbale »), caractéristiques du français canadien. Voilà déjà de nombreux aspects typiques de l’accent qui volent en éclat.

Par ailleurs, le style de chant de Céline Dion, le belting40 (cf. chapitre Voix chantée et émotions), impose à la voix une qualité de timbre riche en harmoniques, avec une tessiture plutôt aiguë tout en conservant un registre de poitrine. Le timbre, d’une part, et l’aigu, d’autre part, vont engendrer une unique possibilité de prononcer les voyelles qui vont de ce fait se débarrasser des sonorités particulières du québécois. Le même phénomène se retrouve d’ailleurs chez de nombreuses chanteuses canadiennes pratiquant le belting : Natasha Saint Pier, Diane Tell, ou encore Cœur de pirate perdent toutes leur accent quand elles chantent.

D’accord, mais alors pourquoi Francis Cabrel a-t-il un accent quand il chante  ? (Lynda Lemay aussi d’ailleurs…) Francis Cabrel et Lynda Lemay ne pratiquent pas le belting mais la « chanson à texte ». Dans ce style de voix chantée et comme son nom l’indique, une place primordiale est donnée au texte (cf. à nouveau le chapitre Voix chantée et émotions). Cela ne signifie pas que les mélodies ne soient pas plaisantes ou riches (un autre chanteur à accent, Georges Brassens, excellait tant dans la mélodie que dans la poésie), mais l’articulation des mots, dédiée toute entière à mettre le texte en valeur, est plus proche de la voix parlée que de la voix chantée. Ainsi, la mélodie et le rythme, plus flexibles que dans le belting, laissent au chanteur le loisir d’imposer son phrasé propre et donc, de respecter son accent.

La question de l’accent diatopique dans les langues du monde est souvent très amusante. Par exemple, les locuteurs espagnols ou japonais donnent souvent l’impression d’être perpétuellement en colère ! Parce que, en fait, la prosodie «  standard  » de ces langues-là ressemble au ton que l’on emploie en français pour manifester la colère. En chinois cantonais, langue à tons, une même structure phonétique prononcée à

40. Le belting est une technique moderne de chant occidental dont le principe est de chanter fort, dans le registre médium-aigu de la tessiture. Typiquement, le belting est la technique employée par les chanteurs de comédies musicales du style Broadway.

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La Voix et Soi

différentes hauteurs va prendre un sens tout à fait distinct, alors que la nuance est imperceptible pour un Français ! La hauteur de la voix (et sa variation) est donc un trait sémantiquement discriminant dans cette langue. 1-0 pour la Chine. Mais le français tient sa revanche : en chinois, la distinction entre le /l/ et le /n/ n’existe pas. Je me souviendrai toujours du stage de recherche effectué par le docteur Ping Yu dans notre service hospitalier qui, pour son malheur, faisait sa thèse d’Université sur les mathématiques non-linéaires41, qu’elle n’a – en 5 ans – jamais pu prononcer correctement  ! «  Les mathématiques lon-linélaires  ?  – non Ping, Non-LiNéaires  ! »… et la France égalise  ! Dans un même ordre d’idées, en catalan il n’y a pas de distinction entre le /b/ et le /v/. La confusion entre ces deux phonèmes est donc fréquente chez les catalans francophones. (Pour l’anecdote, un orthophoniste catalan de mes amis, il se reconnaîtra, a commis un jour cette confusion sur le mot « vite », déclenchant – vous vous en doutez – l’hilarité générale !) Enfin, sur un plan purement vocal, la hauteur de la voix d’un même individu peut être différente selon qu’il parle une langue ou une autre. Pape notamment [Pape, 2006] a montré que la voix est plus aiguë en anglais que dans les langues latines.

Encart 12

La hauteur de la langue

Afin d’illustrer la différence de hauteur de la voix en fonction de la langue pour mes étudiants de 1re année d’orthophonie, j’ai récupéré sur internet deux enregistrements de la voix de Monica Bellucci réalisés durant la même période, en anglais dans le premier extrait (en haut) et en français dans le second (en bas). Grâce au gratuiciel Praat (bien connu des linguistes, phonéticiens et vocologistes) [Boersma & Weennink, 2001], j’ai calculé sa fréquence moyenne sur chaque échantillon.

41. Appliquées à l’analyse de la voix en tant qu’outil de mesure (coefficient de Lyapunov).

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

Les résultats donnés dans le tableau ci-après montrent que sa fréquence fondamentale est significativement plus élevés en anglais qu’en français.

Monica Bellucci Anglais Français

F0 213 Hz 174 Hz

Dans une démarche expérimentale, et si cette chose-là devait faire l’objet d’une publication scientifique, on me reprocherait sans doute de m’être contentée de la fréquence moyenne calculée sur l’ensemble du signal de parole. En effet, l’intégration perceptive de la fréquence usuelle, c’est-à-dire la manière dont on perçoit la hauteur globale de la voix d’un individu, fonctionne davantage selon le mode (fréquence la plus souvent utilisée dans le discours) que selon la moyenne (qui est fortement influencée par les contours intonatifs). Néanmoins, à simple titre d’illustration, l’exemple reste valable (et le calcul de la moyenne est bien plus rapide !)

Ainsi, la langue maternelle marque son territoire dans notre voix. Diane est-elle d’origine étrangère ? Sans doute pas. À moins qu’elle soit bilingue depuis l’enfance ou qu’elle ait quitté son pays d’origine dans les toutes premières années de sa vie, il en resterait trace dans sa voix. Est-elle Lilloise, Montpelliéraine, Toulousaine ou Corse  ? Lyonnaise  ? Parisienne ? Difficile à dire ! De nos jours, avec la disparition progressive des dialectes régionaux ou du moins leur raréfaction, les accents tendent à s’uniformiser. Lorsque j’étais enfant, mon grand-père passait en perma-nence du français au provençal qu’il maîtrisait tous deux parfaitement. Ma mère déjà, comprend le provençal et en connaît quelques bases, mais ne le parle plus. Moi je n’en comprends que quelques mots ou expressions. Et la plupart de mes étudiants ont à peine connaissance de son existence. À l’époque du français standard généralisé, où l’éducation bien souvent cherche la neutralité, les accents régionaux sont de moins en moins pro-noncés et on apprend très vite à s’en défaire. Diane vient forcément de quelque part. En présence d’un accent régional, sa voix révèlerait son origine. Mais l’absence d’accent n’est pas pour autant la preuve de son parisianisme. Diane peut venir de n’importe où. L’accent de sa région ne lui a pas été transmis ou elle l’a étouffé, et le mystère de ses origines géo-graphiques reste ainsi entier.

Aujourd’hui, il est fréquent que les variations diastratiques, qui cor-respondent aux différences transparaissant dans la langue en fonction du

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La Voix et Soi

milieu social, prennent le pas sur l’accent régional. Les éléments verbaux, dont nous avons parlé plus haut, qui nous permettent de différencier un homme d’une femme, ou un jeune adulte d’une personne âgée, font partie des variations diastratiques. De même, le jargon particulier d’une profes-sion, ou le désormais célèbre « parler des cités ». On parle alors de socio-lectes qui vont être autant d’indices de la position sociale d’un individu, déterminée par les sociologues d’après trois éléments  : niveau d’étude, profession (plutôt manuelle ou intellectuelle) et type d’habitat (rural ou urbain). En cela, l’approche diastratique va participer, au même titre que l’approche diatopique, à répondre à la question : mais d’où vient Diane ? Diane vient d’une région certes restée indéterminée, mais Diane est aussi issue d’un groupe social, partie intégrante de son identité. Considérant le caractère hyper-formaté de son discours, il y a fort à parier que nous ferons à nouveau chou blanc… Néanmoins, l’étude des variations diastra-tiques est riche d’enseignement dans l’étude de la voix en général, mais aussi lors de la rencontre téléphonique avec d’autres individus. Je ne lais-serai donc pas en suspend les questions posées par ceux d’entre vous qui lient connaissance via les réseaux sociaux !

Encart 13

Envie de plus d’informations sur les variations linguistiques ?

Médéric Gasquet-Cyrus est un linguiste marseillais, mais si vous voulez lui faire plaisir, vous direz de lui qu’il est un marseillais linguiste. Et là, le personnage est posé. Chercheur au laboratoire Parole et Langage d’Aix-en-Provence, auteur de nombreuses publications scientifiques et de quelques savoureux ouvrages, dont le célèbre Marseillais pour les nuls (Gasquet-Cyrus, 2012), Médéric pratique la sociolinguistique de terrain : micro à la main, il part dans les quartiers de Marseille, enregistre les locuteurs les plus typiques et les plus spontanés, et s’en retourne au laboratoire passer le tout à la moulinette scientifique. Et si, par hasard, vous faites un détour en Provence, branchez votre radio sur France Bleue Provence : « Dites-le en marseillais ! » est le nom de la chronique matinale qu’il anime quotidiennement, avec une verve bien à lui !

Plébiscité par les linguistes, adoubé par les jeunes (ou fustigé, ce qui revient au même), le site http  ://www.dictionnairedelazone.fr/ est une véritable fenêtre ouverte sur les variations diastratiques du parler des cités, versant verbal. Vous y trouverez force vocabulaire et expressions ainsi que leurs traductions en français standard, et vous pourrez constater par vous-même l’humour et les qualités métaphoriques du « parler des cités ».

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

La variation sociale est importante pour plusieurs raisons. D’abord, elle favorise l’appartenance du locuteur à sa communauté propre et lui permet de s’identifier au groupe, ensuite elle permet aux sujets de créer un code commun qui va leur permettre de tenir à l’écart des individus étrangers au groupe, et enfin elle permet l’évolution du dialecte et de la langue elle-même. En plus de l’aspect verbal, la variation diastratique peut se manifester au niveau d’un accent «  social » de la même manière que l’accent régional. Évidemment, l’étude des différentes variantes – diastratiques mais aussi dia-topiques d’ailleurs – devrait faire à elle seule l’objet d’un ouvrage à part entière (et de fait, de nombreux livres y sont consacrés) et représentent chacune la thé-matique de recherche d’une vie. Dans l’approche qui est la nôtre, impossible de présenter tous les aspects, alors quitte, une fois encore, à être très (trop) succinct, contentons nous d’un exemple linguistiquement passionnant et très à la mode : le parler des cités.

Première chose : vous êtes dans le bus, un homme à l’arrière s’exprime avec l’accent des cités. Inutile de vous retourner : il n’a pas 30 ans ou à peine. Le « parler des cités » est essentiellement pratiqué par les jeunes. Passé la tren-taine, la loi du marché du travail pousse ses plus fervents adeptes à le mettre en veilleuse… C’est à l’origine une manière de mettre les adultes à l’écart. Les parents, mais aussi les professeurs, les policiers, en fait toute forme d’auto-rité, résumée sous le terme «  adultes  ». En créant un code verbal, avec son vocabulaire et sa syntaxe particulière, ils font en sorte de ne pas être compris par les autres et surtout de créer une forme d’humour, basée sur des images, avec un vocabulaire académique détourné, sans forcément dire de grossière-tés, ce qui pourrait leur être reproché. Les grossièretés existent aussi, bien sûr, dans le langage des cités, mais ce n’est pas la base formelle du dialecte qui, au contraire, se veut plutôt respectueux des mots. Le linguiste Alain Rey en donne une illustration évocatrice lorsqu’il étudie l’expression : « Ah lui, il est grave ! » Ce que le locuteur entend ici par « grave », c’est « il est pénible », « il est lourd », sens qui est finalement plus proche du latin gravis, origine étymo-logique du mot, que du sens courant employé en général : « susceptible de suite fâcheuses, dangereuses » (des ennuis graves, une maladie grave) [Le Lexik des cités, 2007]. Le langage des cités est donc, malgré ce que l’on peut croire, plutôt respectueux de la langue française, et même assez poétique quelquefois par son sens de la métaphore. Il est d’ailleurs à l’origine de la nouvelle forme de poésie urbaine apparue ces dernières années, le slam.

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La Voix et Soi

Encart 14

Le parler des cités, roi du langage imagé (Le Lexik des cités)

Un groupe de jeunes, rassemblé devant une chaîne bien connue de restauration rapide, voit passer une fourgonnette de policiers : « eh vas-y, une boîte de six ! »

En argot français classique  (si j’ose dire), les policiers sont appelés les « poulets ». Dans ces fast-foods, les ailerons de poulet panés se vendent par boîte de 6 (ou 9). Dans la fourgonnette, six policiers… CQFD !

Le jeune auteur de l’anecdote insiste sur l’idée suivante : « c’est une image forte qui est arrivée comme ça mais on l’a pas écrit, on n’a pas réfléchi, parce qu’on est dans l’image, on s’inspire de l’environnement dans lequel on vit. »

Le Lexik des cités, ouvrage collectif duquel cette anecdote est extraite, est précédé de la transcription d’une conversation entre Alain Rey (linguiste) et Diziz la Peste (rappeur).

D’un point de vue verbal, le langage des cités se met en place en suivant dif-férentes règles [Goudaillier, 1999] (cf. encart 15) :

▶ les métaphores liées à la publicité contemporaine ou à des faits récents d’actualité ;

▶ les métonymies pour désigner les personnes à partir des objets qui les caractérisent ;

▶ le verlan monosyllabique en inversant l’ordre des lettres des mots ; ▶ le verlan orthographique en changeant l’ordre des lettres ; ▶ le verlan polymorphe, c’est-à-dire plusieurs versions « mélangées » d’un même mot ;

▶ la reverlanisation, c’est-à-dire une double inversion ; ▶ les apocopes pour raccourcir les mots en usage ; ▶ les aphérèses qui effacent les syllabes initiales des mots ; ▶ les redoublements hypocoristiques après aphérèse ; ▶ les resuffixations après troncation des mots ; ▶ les absences de marques désinentielles verbales avec une tendance à uti-liser plutôt des verbes du premier groupe de conjugaison, et des verbes d’origine tzigane qui ne se conjuguent pas ;

▶ les emprunts de mots d’origine arabe, berbère, tzigane, africaine, antil-laise, anglo-américaine ou les emprunts aux parlers locaux et au vieil argot français.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

Encart 15

Oui, mais en pratique ? [Goudaillier, 1999]

> Métaphore :  « airbags » (seins, poitrine de femme) ; « bounty » (noir voulant ressembler à tout prix à un blanc) ; « cagoule » (préservatif).

> Métonymie :  « bleu » (policier) ; « casquette » (contrôleur) ; « képi » (policier).

> Verlan monosyllabique : « aç » (ça) ; « ienb » (bien); « iench » (chien) ; « ouam » (moi) ; « ouf » (fou).

> Verlan orthographique :  « à donf » (à fond) ; « ulc » (cul); « zen » (nez).

> Verlan polymorphe  : « le-luice » ou « la-çui » (celui-là) ; « noiche » ou « oinich » (chinois) ; « askeum » ou « asmeuk » ou « comme aç » (comme ça).

> Reverlanisation  : «  meuf  » donne «  feumeu  » (femme) ; «  reum  » donne « meureu » (mère) ; « peucho » donne « peuoch » (choper).

> Apocope : « assoc’ » (association) ;  « basks » (baskets, chaussures de sport) ; « biz » (« bisness » de l’anglais business : trafic, affaires plus ou moins illicites).

> Aphérèse : « blème » (problème) ; « dic » (indicateur de police) ;  « dwich » (sandwich) ; « zic » (musique).

> Redoublement hypocoristique après aphérèse   : «  cain  » donne «  caincain  » (africain)  ; « dic » donne « dicdic » (indicateur de police) ;  « fan » donne « fanfan » (enfant) ;  « zon » donne « zonzon » (prison).

> Resuffixation après troncation : « bombax » (bombe ; très belle fille) ; « clandos » (clandestin) ;  « pourrav » (pourri).

> Absence de marques désinentielles verbales : « bédav » (fumer); « marav » (battre, tuer) ;  « pécho » ou « peucho », « peuoch » (choper > attraper, voler, draguer, frapper) ; « tèj » (jeter).

> Mots d’origine arabe (arabe littéraire, arabe maghrébin) ou berbère :  « arhnouch » (policier) ; « casbah » (maison).

> Mots d’origine tzigane  : « chourav » (dérober, voler) ; « craillav » (manger) ; « gadji » (fille, femme) ; « gadjo » (gars, homme).

> Mots empruntés à l’argot anglo-américain : « boss » (chef de gang, de bande) ; « dealer » (revendeur de drogue) ; « destroy » (frapper, détruire si c’est un verbe, ou négligé, abimé, si c’est un adjectif) ; « dope » (drogue).

> Mots empruntés aux parler locaux   (marseillais  !) : «  engatse  » (problème, ennui) ; « mia » (beau gars, dragueur).

> Mots issus du vieil argot français  : « artiche(s) » (argent) ; « baston » (bagarre) ; « baveux » (avocat) ; « caisse » (voiture) ; « clope » (cigarette) ; « condé » (policier).

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En dehors de ces aspects verbaux, il existe également une prosodie spé-cifique du langage des cités, largement alimentée – ou reprise ? – par le rap. Qui est la poule et qui est l’œuf ? Difficile à dire. La prosodie est ici carac-térisée par un débit rapide, un phrasé scandé, et – très vite perceptible – un accent tonique marqué non pas sur la dernière syllabe comme en français standard, mais sur l’avant-dernière syllabe, la dernière syllabe étant pro-noncée avec une fréquence un peu plus élevée, comme si toutes les phrases étaient des interrogatives. C’est ce que l’on appelle des «  saillances sylla-biques » [Lehka-Lemarchand, 2007].

Bref ! Vaste (et passionnant) monde que celui-là, simple illustration des variations diastratiques proposées par un groupe social. Les différences les plus f lagrantes entre les sociolectes se trouvent dans l’opposition entre les langages utilisés par les groupes dits « de bas niveau » socio-culturel et les groupes dits de « haut niveau » [Jones & McMillan, 1973]. J’espère qu’il est clair ici qu’il n’existe aucun jugement de valeur mais une simple observa-tion linguistique. Et de fait, ces styles de parole s’opposent terme à terme (tableau 1.2)42.

« Bas » niveau socioculturel « Haut » niveau socioculturel

▶ articulation relâchée ▶ débit rapide ▶ prosodie étendue ▶ accent marqué ▶ vocabulaire « dévoyé », argot

▶ diction soignée ▶ débit lent ▶ prosodie modérée ▶ accent « standard » à « pointu » ▶ vocabulaire académique, soutenu

Tableau 1.2 : Opposition des style de parole en fonction du niveau socioculturel [Jones & McMillan, 1973].

Par ailleurs, nombreux sont également les domaines culturels ou profes-sionnels qui possèdent leur jargon. Lisez par exemple un livre de philoso-phie : tous les mots employés appartiennent au français courant, pourtant leur sens spécifique rend la lecture quelque peu hermétique 43. De même, un

42. Et si malgré tout vous avez un doute, faites référence au style de parole de deux personnalités bien connues du grand public français : Djamel Debbouze et Arielle Dombasle. C’est caricatural ? Oui, peut-être un peu, mais ça marche… D’autant que tous deux entretiennent bien volontairement leur style.43. J’ai lu pour ma thèse la Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty… trois fois. Pourtant je n’ai jamais repris cet ouvrage de A à Z pour m’en imprégner. En fait, j’ai lu chaque phrase trois fois au fur et à mesure, pour comprendre le sens !

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

acte de vente établi par un notaire, les documents fournis par les organismes sociaux, sans compter le monde de la publicité, le monde médical, et j’en passe…

Encart 16

« Oh ! La nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor ! » (Paul Verlaine)

Tous les métiers développent un langage spécifique partagé par les professionnels et opaque pour les autres, avec quelquefois même des ambiguïtés dans des domaines pourtant limitrophes. Par exemple, le mot registre prend un sens différent pour le linguiste (étendue comprise entre la note la plus grave et la note la plus aigue dans la prosodie d’une phrase) et pour le vocologiste (mécanisme laryngé utilisé par le chanteur  : registre de tête, registre de poitrine). De même, le mot significatif est employé différemment dans le langage courant (« évocateur » : un sourire significatif ) et pour un statisticien (un résultat est dit « significatif » lorsqu’il est improbable qu’il puisse être obtenu par le simple fait du hasard). Les exemples sont infinis mais, si je cite ces deux-là, c’est parce qu’ils sont souvent source d’ambiguïté dans deux domaines qui me préoccupent : l’orthophonie et la recherche scientifique. Cela fait d’ailleurs partie des points que je suis annuellement amenée à développer explicitement lors des cours de méthodologie de la recherche réalisés auprès des étudiants en orthophonie de 3e année : « Attention à ne pas dévoyer un terme du sens technique spécialisé qu’il prend dans sa discipline ! » Utiliser un même terme dans ses différents sens possibles peut être désastreux sur le plan de la lisibilité du message !

La prochaine fois que vous rencontrez un professionnel, et quel que soit son domaine, prêtez attention à son vocabulaire et vous verrez. Sa manière de s’exprimer revêt quelque chose de l’ordre du code, son lexique prend un sens spécifique que vous comprendrez souvent (mais pas toujours) même si le mot est connu de vous dans son sens courant. C’est une chose que l’on perçoit bien souvent, de manière plus ou moins consciente et même s’il nous est difficile de le formuler clairement. Et si vous jouez à ça régulièrement, vous serez bien-tôt capable de vous faire une idée globale de la position socio-professionnelle de votre interlocuteur. Si Diane est résistante à cette forme d’analyse, c’est que le caractère hyper-formaté du discours qu’elle débite lisse les aspérités de ses origines géographiques et socioculturelles. Peut-être que, si vous la rencontriez devant l’école de vos enfants, dans le bus ou dans la salle d’attente de votre

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La Voix et Soi

médecin, vous découvririez de nombreuses choses passées sous silence lors de votre entretien téléphonique. Mais ça, vous ne le saurez jamais : vous ne la reconnaîtriez pas.

4. Et si Diane avait la voix « cassée »?

J’ai commencé ce chapitre sur l’idée que la voix de Diane véhicule à elle seule toute l’image de l’entreprise qui l’emploie. Je voudrais le clôturer en détaillant un travail mené par des étudiantes en orthophonie au sein de notre équipe [Privat, 2009 ; Raymond, 2010] puisque l’hypothèse de leurs recherches était née justement de ce constat-là  : dans notre société de communication, des sujets, de plus en plus nombreux, viennent consulter ORL, phoniatres et orthophonistes pour des problèmes de voix. Voix cassée, fatigable, aphonie… Les agents de télémarketing font partie des populations à risque pour le déve-loppement de troubles de la voix.44 Comment imaginer l’avenir profession-nel d’un sujet dysphonique au sein d’un centre d’appel ? Comment envisager de trouver du travail dans cette branche si votre voix vous fait défaut  ? Ne peut-on pas imaginer que la dysphonie devienne source de discrimination professionnelle dans ces métiers-là ? L’objectif de ce travail – très politique-ment incorrect, je l’avoue – était d’explorer l’image sociale véhiculée par la dysphonie, avec l’idée sous-jacente qu’un problème de voix était péjoratif pour l’image renvoyée par le sujet en général, donc pour l’image de l’entreprise dans le cadre particulier des centre d’appel.

Pour explorer cette hypothèse, nous avons enregistré la voix de 30 sujets dysphoniques et de 10  sujets contrôle (voix normale), tous adultes, que nous avons diffusées dans un ordre aléatoire à un jury d’écoute consti-tué de 62 auditeurs naïfs 45 [Raymond, 2010]. Au moyen d’une grille établie pour l’étude et validée dans la première partie de ce travail [Privat, 2009], nous leur avons demandé de décrire le locuteur dont ils entendaient la voix.

44 En 2012, l’équipe de Mara Behlau rapporte une large enquête réalisée auprès de 598 professionnels de télémarketing. Les résultats montrent que 25 % d’entre eux considèrent avoir une mauvaise hygiène vocale, 25 % ressentent des tensions musculaires au niveau du larynx, 11 % ont fait l’objet d’un diagnostic confirmé de dysphonie et 10 % d’entre eux reconnaissent que leurs problèmes de voix impactent leur travail [Gomes de Oliveira et al., 2012].45 On dit d’un auditeur qu’il est naïf lorsqu’il n’a aucune expérience particulière ou connaissance spé-cifique dans la tâche qui lui est demandée. Un jury naïf est donc constitué de la population « tout-venant ».

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

Pour cela, ils devaient évaluer différents aspects comme le genre et l’âge, le niveau socioculturel, mais aussi des critères physionomiques, intellectuels et psycho-comportementaux. Nous reviendrons sur ces trois derniers points dans le détail plus tard. Les résultats ont montré que le genre est facilement déterminé à l’écoute de la voix, quelle que soit sa qualité. Sur les 2 480 obser-vations réalisées (40 voix X 62 auditeurs), nous n’avons relevé que 4 erreurs, ce qui correspond à 0,16 % d’erreurs pour les voix d’hommes (identifiées comme féminines) et 0,05 % d’erreurs pour les voix de femmes (identifiées comme masculines). Ces valeurs peuvent être considérées comme négligeables et nous ont permis de conclure que le genre était correctement déterminé par notre jury d’écoute. Concernant la détermination de l’âge, nous avons étudié la concordance entre l’âge réel et l’âge estimé et nous avons obtenu un indice de 0,6, témoin d’une corrélation présente mais peu marquée. Il est vraisemblable que si nous avions demandé au jury de déterminer une tranche d’âge et pas une valeur absolue, nos résultats auraient été bien meilleurs. D’autant que les différences observées entre l’âge supposé par le jury et l’âge réel n’étaient la plupart du temps que de quelques années (< 12 ans).

Par ailleurs, nous avons observé que l’évaluation de l’âge par le jury dépend de la qualité de la voix du locuteur (figure 1.1) : les voix normales et dyspho-nies légères ont tendance à être rajeunies de 7 ans et 6 ans par rapport à l’âge réel, et les dysphonies moyennes et sévères sont plutôt vieillies respectivement de 3 ans à 10 ans ! Ce qui semble suggérer que plus votre voix est claire plus vous paraissez jeune, et plus elle est abîmée, plus vous êtes perçu comme âgé !

Figure 1.1 : Estimation de l’âge du locuteur en fonction de la qualité de sa voix.

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Mais ce n’est pas tout ! Voyons maintenant les résultats obtenus sur l’estima-tion du niveau d’études des locuteurs (figure 1.2). Si plus de la moitié des sujets sains (voix normale) sont perçus comme ayant fait des études supérieures (à gauche), c’est le cas de seulement 15 % des sujets dysphoniques (à droite) !

Figure 1.2 : Niveau d’études estimé par le jury en fonction de la qualité de la voix du locuteur.

En d’autres termes, si votre voix est abîmée, le jugement porté sur vous par autrui à la seule écoute de votre voix peut être défavorable d’un point de vue socio-culturel. J’insiste ici sur le fait que les observations réalisées portent bien sur l’estimation par un jury, pas sur la réalité des niveaux d’études des partici-pants (renseignements que nous n’avions pas). Loin de moi l’idée de dire que les sujets dysphoniques ont statistiquement un niveau d’étude plus bas que les sujets euphoniques 46, non ! Ils sont juste perçus comme tels… ce qui est encore pire ! Il n’existe aucun argument favorable à l’idée que les sujets dysphoniques ont un petit bagage éducatif, pourtant c’est l’image qu’ils renvoient ! L’être humain porte des jugements impitoyables !

Mais allons encore plus loin. Nous avons demandé ensuite à notre jury d’éva-luer de nouveaux critères – toujours aussi subjectifs – pour rentrer davantage dans le détail de cette idée de perception du niveau culturel (ce locuteur vous semble-t-il instruit ? cultivé ?) et même pour observer leur impression quant à des qualités primordiales dans le monde du travail (ce locuteur vous semble-t-il fiable ? compétent ?). Là encore, les résultats sont sans appel (figure 1.3)  : la perception du jury d’écoute, son estimation de ces différents critères, sont

46 Qui possèdent une voix normale.

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Chapitre 1. VOIX ET IDENTITÉ

directement liées à la qualité de la voix. Plus la voix est dégradée, plus le sujet est perçu comme peu instruit, peu cultivé, peu fiable et incompétent. Les résultats que nous avons obtenus étaient statistiquement très significatifs (p ≤ 0,001), cela signifie que le risque que ces valeurs aient été retrouvées par hasard est extrê-mement faible. Donc, non seulement le jury a une vision péjorative du niveau scolaire des sujets dysphoniques, mais en plus il les considère comme moins cultivés et moins compétents. Édifiant, n’est-ce pas ?

Figure 1.3 : Estimation du niveau d’instruction et de compétence du locuteur en fonction de la qualité de sa voix.

Avez-vous déjà été confronté à une Diane dysphonique ? Ne vous êtes-vous pas alors dit « qu’est-ce qui se passe avec sa voix ? » ou « elle a un problème » ou « elle est malade » ? Le caractère non « standard » de sa voix (on y revient tou-jours) n’a-t-il pas détourné votre attention du message qu’elle délivre ? Si, sans doute… Probablement pas très productif pour l’entreprise qui l’emploie. Si Diane a souffert d’une petite laryngite, tout a dû rentrer très vite dans l’ordre pour elle. Mais si sa dysphonie s’est chronicisée, a-t-elle pu conserver son emploi ?

Conclusion

La voix porte en elle des informations sur l’identité du locuteur. Est-ce un homme, une femme, quel est son âge et d’où vient-il(elle) ? Autant de questions qui demeurent inconscientes mais que notre perception est capable de décrypter. De nombreux aspects participent à ce décodage. Des aspects purement vocaux,

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mais aussi des aspects phonétiques et linguistiques. La voix est un tout. Eh oui, de mon point de vue les informations verbales et prosodiques doivent être incluses dans l’étude de la voix, parce qu’elles en sont indissociables ! Comment percevoir une voix en faisant abstraction du reste  ? Sur une voyelle tenue  ? Peut-être mais même sur une voyelle tenue, les aspects formantiques et articu-latoires vont transparaître et influencer la perception. La seule solution, en fait, pour évaluer la voix de manière pure et isolée, c’est d’écouter le résultat sonore d’un larynx excisé branché sur une soufflerie. C’est un peu radical... Et dénué d’intérêt. Un peu comme si vous décidiez d’acheter une voiture d’après la seule photographie du moteur. Est-elle petite, grosse, confortable, jolie ? Impossible à savoir. Donc la voix, c’est un peu comme une voiture, si on n’a pas vu sa cou-leur, difficile de se décider (point de vue féminin !). La voix doit donc être prise dans son ensemble et c’est dans son ensemble qu’elle pourra exprimer toute la richesse des informations qu’elle nous donne. Des informations sur l’identité du locuteur ? Oui, nous l’avons vu.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises…

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VOIXPAROLE

LANGAGE

Parlez... et je vous dirai qui vous êtes. Notre voix dit beaucoup sur nous : âge et sexe, origines géographiques et socioculturelles, mais aussi physionomie, état de santé, ou émotions…Notre voix est, au quotidien, le véhicule privilégié de nos interactions sociales. Elle permet à nos interlocuteurs de percevoir notre personnalité et même nos intentions. Veut-on séduire ? son timbre se fera velours. Est-on en colère ? son rythme s’accélérera. Veut-on convaincre ? sa prosodie sera accentuée.Dans cet ouvrage, Joana Révis met à la portée du lecteur l’ensemble des connaissances scientifiques sur ce que l’on perçoit d’un individu à la simple écoute de sa voix. Pourquoi le mensonge est-il perceptible ? Quelle importance a le contrôle de notre voix à l’ère du tout-communication ? Pourquoi Céline Dion n’a-t-elle pas d’accent quand elle chante ? Autant de questions auxquelles l’auteur répond dans cet ouvrage, sérieux sur le fond, ludique dans la forme, nous ouvrant les secrets de la voix, véritable « visage sonore ».Joana Révis répond dans un langage simple à toutes vos interrogations sur la voix, son extraordinaire flexibilité communicationnelle et son pouvoir sur autrui.

Ce livre s’adresse à la fois aux professionnels scientifiques (enseignants-chercheurs en sciences du langage, psychologie, sciences fondamentales), médicaux ou paramédicaux (ORL, phoniatres, orthophonistes, psychologues), pédagogues de la voix (métiers du chant, du théâtre, coaches vocaux), et aux curieux désireux d’en apprendre plus sur la voix et ce qu’elle reflète.

Joana Révis est orthophoniste au CHU de la Timone à Marseille. Docteur en sciences du langage et chercheur en linguistique, elle est maître de conférences à la faculté de médecine et directrice pédagogique de l’école d’orthophonie de Marseille.

J. R

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VOISOIISBN 978-2-35327-231-0

www.deboeck.fr