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1
POUR TOI MON AMOUR
Je suis allé au marché aux oiseauxEt j’ai acheté des oiseauxPour toimon amourJe suis allé au marché aux fleursEt j’ai acheté des fleursPour toimon amourJe suis allé au marché à la ferrailleEt j’ai acheté des chaînesDe lourdes chaînesPour toimon amourEt puis je suis allé au marché aux esclavesEt je t’ai cherchéeMais je ne t’ai pas trouvéemon amour
JACQUES PREVERT
2
L’an est si lentabandonnons nos ancres dans l’encre
mes amis
Robert DESNOS
3
BERCEUSE À L’ENFANT MALADE
Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui finisse.Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,Aujourd’hui, ce vieux long jour,Ce soir durera toujours.
Dors mon petit, pour que demain arrive.Si tu ne dors pas, petite âme vive,Demain, le jour le plus gai,Demain ne viendra jamais.
Dors, mon petit, afin que l’herbe pousse,Ferme les yeux : les herbes et la mousseN’aiment pas, dans le fossé,Qu’on les regarde pousser.
Dors, mon petit, pour que les fleurs fleurissent.Les fleurs qui la nuit se parent, se lissent,Si l’enfant reste éveillé,N’oseront pas s’habiller.
MARIE NOËL
4
BERCEUSE
Dors au profond de ma joieDors, petit chat de mon coeurDors, bébé, comme une fleurLe soleil ne te fait peurNi la nuit aux yeux de soieDors et partageons nos songesEt les mots qui nous prolongent !
GEORGES JEAN
5
LE BONHEUR
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.Le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite.Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite.Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite.Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite.De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite.Saute par-dessus la haie, cours-y vite. Il a filé !
PAUL FORT
6
BRINDILLES DE TEMPS ANCIENS
Les photographes d’autrefois se cachaient sous un grand drap noir pour attraper l’oiseau du temps.
En ce temps-là la boulangèreposait le pain sur la balance et avec un grand couperet coupait un carré de croûte pour ajouter le juste poids.
Les morts à la guerre étaient morts dans une autre guerre. Les poilus sortaient des tranchées.
On chantait les vêpres à l’abbatiale et en latin.
Il y avait des merceries et des marchands de parapluies des fabricantes de corsets et des allumettes soufrées des encriers où l’encre séchait en fines lamelles noires et des plumes sergent-major dans des plumiers en simili-laque et en bas des rues escarpées des chevaux de renfort pour aider les charrettes à monter la côte.
C’était le bon vieux temps Mais était-il si bon que ça? On se demande. On ne sait pas.
CLAUDE ROY
7
CE QUI EST COMIQUE
Savez-vous ce qui est comique ?Une oie qui joue de la musique,Un pou qui parle du Mexique,Un boeuf retournant l’as de pique,Un clown qui n’est pas dans un cirque,Un âne chantant un cantique,Un loir champion olympique.Mais ce qui est le plus comique,C’est d’entendre un petit moustiqueRépéter son arithmétique.
MAURICE CARÊME
8
DANS LES CORBIÈRES
La route tournait sous la pluie.Novembre... les eaux étaient grises.Les enfants cueillaient des alises.Les villages sentaient la suie.
L’église contre la montagneN’était plus qu’une aile lassée.Une bourrasque était passée,Un troupeau regagnait l’Espagne
Sur un tapis de feuilles mortesEt la dernière rose blancheS’ennuyait comme le dimancheDont le vent tourmentait les portes.
JEAN LEBRAU
9
IL Y A DES MOTS...
Il y a des mots qui font vivreEt ce sont des mots innocentsLe mot chaleur le mot confianceAmour justice et le mot libertéLe mot enfant et le mot gentillesseEt certains noms de fleurs et certains noms de fruitsLe mot courage et le mot découvrirEt le mot frère et le mot camaradeEt certains noms de pays de villagesEt certains noms de femmes et d’amis.
PAUL ELUARD
10
LE DIT DU PAUVRE VIEUX
Quand le froid vient me saisir, je me mets à réfléchir.Dans les jours de ma jeunesse, l’été je fauchais le foin, l’automne je battais legrain, l’hiver je chauffais mes mains.Je n’ai pas dans ma vieillesse, même un chien qui me caresse et me chauffeun peu les mains de sa langue de bon chien.Décembre, toujours décembre. Jamais de feu dans la chambre.Las ! tous les boutons des portes me sont de glace. Mais qu’importe !Tous les cœurs me sont de glace. Alors je passe, je passe...Si je rentre ou si je sors, c’est toujours le même sort.Mes yeux sont tournés vers l’ombre et dehors je ne rencontre sur la route quedes chagrins, dans les bois que des tourments même au souffle du printemps.Je rentre et, croisant les mains, je m’assieds, j’attends un brin que je sentecouler mes larmes.Je chauffe mes mains à mes larmes, puis tâtant cherche mon pain.Puis le froid me ressaisit. Je tombe. Je réfléchis.
PAUL FORT
11
LES DOIGTS
Quand on regarde bienLe bout de ses doigtsOn en voit sortirUne souris blanche
Quand on regarde mieuxC’est un petit peuDe feu
Avec les doigts on saitSi on a le nez frais
Avec les doigts on peutParler à son chien.
JEAN ROUSSELOT
12
DOUCEUR
Douceur,Je dis : douceur.
Je dis : douceur des motsQuand tu rentres le soir du travail harassantEt que des mots t’accueillentQui te donnent du temps.
Car on tue dans le mondeEt tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,Pensant aussiA des feuilles en voie de sortir du bourgeon,A des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,A des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,A des moments qui disentle temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,Qui pour durer s’installera.
EUGÈNE GUILLEVIC
13
L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS
Dans une boîte de paille tresséeLe père choisit une petite boule de papier
Et il la jetteDans la cuvette
Devant les enfants intriguésSurgit alorsMulticolore
La grande fleur japonaiseLe nénuphar instantanéEt les enfants se taisent
EmerveillésJamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se fanerCette fleur subite
Faite pour euxA la minuteDevant eux.
JACQUES PRÉVERT
14
L’ÉCOLIER
J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanchequand je n’irai pas à l’école
j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romanset même des paraboles
je parlerai de mon village je parlerai de mes parentsde mes aïeux de mes aïeules
je décrirai les prés je décrirai les champsles broutilles et les bestioles
puis je voyagerai jusqu’en Iranau Tibet ou bien au Népal
et ce qui est beaucoup plus intéressantdu côté de Sirius ou d’Algol
où tout me paraîtra tellement étonnantque revenu dans mon école
je mettrai l’orthographe mélancoliquement
RAYMOND QUENEAU
15
IMAGINONS
Le temps que met l’eau à couler de ta mainLe temps que met le coq à crier le soleilLe temps que l’araignée dévore un peu la moucheLe temps que la rafale arrache quelques tentesLe temps de ramener près de moi tes genouxLe temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on ferade tout ce temps.
EUGÈNE GUILLEVIC
16
J’AI PLANTÉ UN GRAIN DE BLÉ...
J’ai plantéun grain de bléJ’ai récoltédu pain doré
J’ai planté un pépin de raisinJ’ai récoltéun tonneau de vin
J’ai planté un noyau d’olivierJ’ai récoltéun rameau de la Paix
J’ai planté un germe de coeurJ’ai récoltéune forêt d’amour.
ROBERT FABBRI
17
JOIE DU PRINTEMPS
Au printemps, on est un peu fou,Toutes les fenêtres sont claires,Les prés sont pleins de primevères,On voit des nouveautés partout.Oh ! regarde, une branche verte !Ses feuilles sortent de l’étui !Une tulipe s’est ouverte...Ce soir, il ne fera pas nuit,Les oiseaux chantent à tue-tête,Et tous les enfants sont contentsOn dirait que c’est une fête...Ah ! que c’est joli le printemps !
LUCIE DELARUE-MARDRUS
18
A tous les repas pris en commun, nous invitonsla liberté à s’asseoir. La place demeure videmais le couvert est mis.
RENÉ CHAR
19
Un enfant m’a dit :“ La pierre est une grenouille endormie.”Un autre enfant m’a dit :“ Le ciel c’est de la soie très fragile.”Un troisième enfant m’a dit :“ L’océan quand on lui fait peur, il crie.”Je ne dis rien, je souris.Le rêve de l’enfant c’est une loi.Et puis je sais que la pierre,vraiment est une grenouille,mais au lieu de dormirelle me regarde.
ALAIN BOSQUET
20
MARDI GRAS
As-tu vu mon nezTout enluminéAs-tu vu ma bosseMon ami Pierrot ?Ma moustache en crocEt mon air féroceCuic, eh ! oh ! eh ! oh !Monsieur CarnavalQui les mène au balS’élanceEt lanceDe longs serpentinsSur les rires enfantinsEntrez dans la danseMon ami PierrotCuic ! eh ! oh ! eh ! oh !
WILLIAM LEMIT
21
MARDI GRAS NE T’EN VA PAS...
Mardi gras ne t’en va pas,On fera des crêpes,T’en mangeras !Mardi gras s’en est alléOn a sauté des crêpesIl n’en a pas mangé.
CHANT POPULAIRE
22
LE MESSAGE
La porte que quelqu’un a ouverteLa porte que quelqu’un a referméeLa chaise où quelqu’un s’est assisLe chat que quelqu’un a caresséLe fruit que quelqu’un a morduLa lettre que quelqu’un a lueLa chaise que quelqu’un a renverséeLa porte que quelqu’un a ouverteLa route où quelqu’un court encoreLe bois que quelqu’un traverseLa rivière où quelqu’un se jetteL’hôpital où quelqu’un est mort
JACQUES PREVERT
23
A LA MI-CARÊME
A la mi-carême,Margot, mets tes sabots :Prends au verger noirTes plus beaux accessoires.
Le pommier transiTe verra couronnéeDe pommes doréesMordues par la gelée.
Les baies d’églantierTe feront un joli collierCent fois plus joliQu’un collier de rubis.
Quant à la baguette,Si tu veux être fée,Coupe à la serpetteUn rameau d’olivier.
Par-dessus tout ça,Génies des blancs frimas,Tissez un corseletDe givre et de rosée.
MAURICETTE CATILLON
24
MOUILLÉ
La pierre rebondit sur l’eau,La fumée n’y pénètre pas.L’eau, telle une peauQue nul ne peut blesserEst caresséePar l’homme et par le poisson.
Claquant comme corde d’arc,Le poisson, quand l’homme l’attrape,Meurt, ne pouvant avalerCette planète d’air et de lumière.
Et l’homme sombre au fond des eauxPour le poissonOu pour la solitude amèreDe l’eau souple et toujours close.
PAUL ELUARD
25
NOËL
Trois petits sapinsse donnaient la maincar c’était Noëlde la terre au ciel.
Prirent le cheminmenant au villagejusqu’à l’étalaged’un grand magasin.
Là, ils se couvrirentde tout ce qui brille :boules et bougies,guirlandes pour luire,
et s’en retournèrentla main dans la mainpar le beau cheminde l’étoile claire
jusqu’à la forêtoù minuit sonnait,car c’était Noëlde la terre au ciel.
J.-L. VANHAM
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NOËL
Courez à la forêt prochaine,Courez à l’enclos des fermiers ;Coupez le gui sur le grand chêne,Coupez le gui sur les pommiers !
Coupez le gui ! Coupez le houx !Feuillage vert, feuillage roux ;Mariez leurs branches !Perles rouges et perles blanches.Coupez le gui ! Coupez le houx !C’est la Noël ! Fleurissez-vous.
Chassez les grives et les merles,Chassez la mésange au dos bleuDu gui dont les fleurs sont des perles,Du houx dont les fleurs sont du feu !
CHARLES FRÉMINE
27
PAGE D’ÉCRITURE
Deux et deux quatre quatre et quatre huithuit et huit font seizeRépétez ! dit le maîtreDeux et deux quatrequatre et quatre huithuit et huit font seizeMais voilà l’oiseau lyrequi passe dans le ciell’enfant le voitl’enfant l’entendl’enfant l’appelleSauve-moijoue avec moioiseau !Alors l’oiseau descendet joue avec l’enfantDeux et deux quatre...Répétez ! dit le maîtreet l’enfant jouel’oiseau joue avec lui...Quatre et quatre huithuit et huit font seizeet seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?Ils ne font rien seize et seizeet surtout pas trente-deuxde toute façonet ils s’en vont.Et l’enfant a caché l’oiseaudans son pupitre
et tous les enfantsentendent sa chansonet tous les enfantsentendent la musiqueet huit et huit à leur tour s’en vontet quatre et quatre et deux et deuxà leur tour fichent le campet un et un ne font ni une ni deuxun à un s’en vont également.Et l’oiseau lyre joueet l’enfant chanteet le professeur crie:Quand vous aurez fini de faire lepitre !Mais tous les autres enfantsécoutent la musiqueet les murs de la classes’écroulent tranquillementEt les vitres redeviennent sablel’encre redevient eaules pupitres redeviennent arbresla craie redevient falaisele porte-plume redevient oiseau.
JACQUES PRÉVERT
28
JE NE SUIS PAS SEUL
ChargéeDe fruits légers aux lèvresParée De mille fleurs variéesGlorieuseDans les bras du soleilHeureuseD’un oiseau familierRavieD’une goutte de pluiePlus belleQue le ciel du matinFidèle
Je parle d’un jardinJe rêve
Mais j’aime justement.
PAUL ELUARD
29
PAS VU ÇA
Pas vu la comètePas vu la belle étoilePas vu tout ça
Pas vu la mer en flaconPas vu la montagne à l’enversPas vu tant que ça
Mais vu deux beaux yeuxVu une belle bouche éclatanteVu bien mieux que ça.
ROBERT DESNOS
30
Quand le Printemps est dans la rueOn se met à la fenêtreEt l’on regarde passer les poèmesAlors on appelle le plus beauEt hop ! il vous saute au cou
PIERRE ALBERT-BIROT
31
PETIT AIR
La pierre tombe dans l’eauLe ciel tremble sur l’étangUn oiseau crie dans mos dosLe chien Puck flaire le ventEt dit que c’est le printempsQui arrive à grand galop !
Alors, vite, les enfantsRemontons le cours du temps.
GEORGES JEAN
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PETITE BERCEUSE D’ÉTÉ
Allons, redescends du ciel,L’alouette, l’alouette,Allons, redescends du cielVoici l’heure du sommeil.
Viens chanter tout près d’ici,L’alouette, l’alouette,Viens chanter tout près d’iciPour endormir mon petit.
Apporte à mon cher trésor,L’alouette, l’alouette,Apporte à mon cher trésorUne belle lune d’or.
Mets aux pieds de mon enfant,L’alouette, l’alouette,Mets aux pieds de mon enfantUn vol de nuages blancs.
Pose sur ses jolis yeux,L’alouette, l’alouette,Pose sur ses jolis yeuxUn doux ruban de ciel bleu.
Allons, redescends du ciel,L’alouette, l’alouette,Allons, redescends du ciel
Voici l’heure du sommeil.
LOUISA PAULIN
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LA PLACE DE LA CONCORDE
Il n’y avait ce jour làil n’y avait ce jour làque deux personnes dans Parisdans Parisun petit monsieur à Montmartreune petite dame à Montsourisà Montsouris.
Du sud au nord du nord au sudde bon matin ils sont partissont partissur la place de la Concordesur la place de la Concordeils se sont rencontrés à midià midi.
Bonjour Monsieur bonjour Madamebonjour Madame bonjour Monsieuroh je vois bien dit-il dit-ellec’est pour ça que nous étions partisétions partis.
Mais nom de nom dit-il dit-ellemais où sont les habitants ?les habitants ?
Elle lui répond il lui répond :chacun mon bon chacun ma bellechacun croit qu’il n’y a personnesinon l’amour de lui pour ellesinon l’amour d’elle pour luid’elle pour lui.
C’est ainsi mon bon ma bellec’est ainsi ma belle mon bonc’est ainsi qu’il n’y a personne c’est ainsi qu’on est des millionsdes millions.
JEAN TARDIEU
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C’est place de la Concorde à Parisqu’un enfant assis au bord des fontainesentre à pas de rêve au cœur de la nuitfraîche comme l’eau claire des fontaines
Un enfant de nuit de rêve d’espoirqui voudrait pouvoir lutter sans répitcontre son sommeil pour apercevoirses rêves de nuit venir à la vie
Toutes les voitures avec leurs pharestoutes les voitures tracent pour luides lignes de feu flottant dans la nuitcomme de longs fils de vierge où Parisretient son cœur ses rêves ses espoirs
JACQUES CHARPENTREAU
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QUAND...
Quand le lionceau déjeunela lionne rajeunit
Quand le feu réclame sa partla terre rougit
Quand la mort lui parle de l’amourLa vie frémit
Quand la vie lui parle de la mortl’amour sourit.
JACQUES PREVERT
36
J’ai rêvé d’un oiseauMa voisine a rêvé d’une cageJ’ai rêvé d’un bateauTu as rêvé d’un naufrageUn poisson a rêvé d’une îleEt ma mie a rêvé de la mer
ARMAND LANOUX
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EN RÊVE J’AI TROUVÉ...
En rêve j’ai trouvé- Le joli, joli rêve -en rêve j’ai trouvéla clochette enchantéequi dit la vétité.
En rêve j’ai trouvé- Etait-ce bien un rêve ? -en rêve j’ai trouvéles miettes seméespar le Petit Poucet !
En rêve j’ai trouvé- L’étrange, étrange rêve ! -en rêve j’ai trouvéla citrouille si grossequi se change en carosse !
Dans mon plus joli rêve,au pied d’un blanc perron,j’ai trouvé, Cendrillon,ta pantoufle de vair...
MADELEINE LEY
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RIRE
Je risJe risTu risNous rionsPlus rien ne compteSauf ce rire que nous aimonsIl faut savoir être bête et content
BLAISE CENDRARS
39
JE VEUX RIRE !
Les feuilles pourront tomber,La rivière pourra geler !Je veux rire, je veux rire.
La danse pourra cesser,Le violon pourra casser !Je veux rire, je veux rire.
Que le mal se fasse pire!Je veux rire, je veux rire.
JEAN MORÉAS
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LA RONDE DES BERGÈRES
Où courez-vous, bergères,Si fraîches, si légères,Si blondes toutes trois ?Au bois ! Au bois !Et qu’allez-vous donc faireQuand verdit la fougère,Par les sentiers étroits,Au bois ! Au bois !Cueillir la pâqueretteEt les coeurs-de-JeannetteQui poussent quelquefoisAu bois ! Au bois !Cueillir aussi la fraiseQui mûrit à son aiseDans quelques bons endroits,Au bois ! Au bois !Puis après, sous l’ombrage,Ainsi qu’il est d’usage,Nous dansons toutes trois,Au bois ! Au bois !
ANNAÏK LE LEARD
41
CHANSON POUR SAUTER À LA CORDE
La grenouille se marieAvec un alligatorEt tout le monde lui ditGrenouille vous avez tortOui mais la grenouille ritElle rit de plus en plus fortEt dit si je me marieAvec un alligatorC’est pour avoir des enfantsAvec cent quatorze dentsUne grenouille avec des dentsVoilà qui est amusantUne deux trois quatreLa grenouille veut se battreCinq six sept huitAllez vous cacher bien viteNeuf dix onze douzeLa grenouille est très jalouseTreize quatorze quinze seizeDe toutes les grenouilles anglaises.
ANNE SYLVESTRE
42
SIESTE
Un bourdon dans l’étéTraverse le silence
Les volets sont tirésSur notre nonchalance
Le chien gobe les mouchesEt les rate souvent
Le chat se mord la queueDe l’or entre les yeux
Nos livres sont par terreNous regardons en l’air
Le soleil les nuagesEt partons en voyage
Aux pays enchantés.
GEORGES JEAN
43
EN SORTANT DE L’ECOLE
En sortant de l’écolenous avons rencontré
un grand chemin de ferqui nous a emmenéstout autour de la terredans un wagon doré
Tout autour de la terrenous avons rencontré
la mer qui se promenaitavec tous ses coquillages
ses îles parfuméeset puis ses beaux naufrages
et ses saumons fumésAu-dessus de la mernous avons rencontréla lune et les étoiles
sur un bateau à voilespartant pour le Japon
et les trois mousquetaires des cinqdoigts de la main
tournant la manivelle d’un petitsous-marin
plongeant au fond des merspour chercher des oursins
Revenant sur la terrenous avons rencontré
sur la voie de chemin de ferune maison qui fuyait
fuyait tout autour de la terrefuyait tout autour de la mer
fuyait devant l’hiverqui voulait l’attraper
Mais nous sur notre chemin de feron s’est mis à rouler
rouler derrière l’hiveret on l’a écrasé
et la maison s’est arrêtéeet le printemps nous a saluésC’était lui le garde-barrièreet il nous a bien remerciés
et toutes les fleurs de toute la terresoudain se sont mises à pousser
pousser à tort et à traverssur la voie du chemin de ferqui ne voulait plus avancer
de peur de les abîmerAlors on est revenu à pied
à pied tout autour de la terreà pied tout autour de la mer
tout autour du soleilde la lune et des étoiles
A pied à cheval en voiture et enbateau à voiles.
JACQUES PRÉVERT.
44
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automneFaisait voler la givre à travers l'air atone,Et le soleil dardait un rayon monotoneSur le bois jaunissant où la bise détone.
PAUL VERLAINE
45
JARDIN DE FRANCE
Calme jardin,Grave jardinJardin aux yeux baissés au soirPour la nuit,Peines et rumeurs,Toutes les angoisses bruissantes de la VilleArrivent jusqu’à moi, glissant sur les toits lisses,Arrivent à la fenêtrePenchée, tamisée par feuilles menues et tendres et pensives.
Mains blanches,Gestes délicats,Gestes apaisants.Mais l’appel du tam-tam
bondissantpar monts
et continents,
Qui l’apaisera, mon cœur,A l’appel du tam-tam
bondissant,véhément,
lancinant ?
LÉOPOLD SÉDARD SENGHOR
46
TANT DE TEMPS
le temps qui passele temps qui ne passe pasle temps qu’on tuele temps de compter jusqu’à dixle temps qu’on a pasle temps qu’il faitle temps de s’ennuyerle temps de rêver
le temps de l’agoniele temps qu’on perdle temps d’aimerle temps des cerisesle mauvais tempset le bon et le beauet le froid et le temps chaud
PHILIPPE SOUPAULT
47
UN DEUX TROIS...
Un deux trois - j’irai dans les boisQuatre cinq six - cueillir des cerisesSept huit neuf - dans un panier neufDix onze douze - elles sont toutes rougesLes cerises de Toulouse.
COMPTINE
48
QUAND LA VIE EST UN COLLIER...
Quand la vie est un collier...Chaque jour est une perleQuand la vie est une cageChaque jour est une larmeQuand la vie est une forêtChaque jour est un arbreQuand la vie est un arbreChaque jour est une brancheQuand la vie est une brancheChaque jour est une feuille
JACQUES PREVERT
49
LA VOIX
Une voix, une voix qui vient de si loinQu’elle ne fait plus tinter les oreilles.Une voix, comme un tambour, voilée,Parvient pourtant, distinctement jusqu’à nous.
Bien qu’elle semble sortir d’un tombeauElle ne parle que d’été et de printemps.Elle emplit le corps de joie,Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaineQui traverse les fracas de la vie et des batailles,L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? Ne l’entendez-vous pas ?Elle dit : “ La peine sera de courte durée. “Elle dit : “La belle saison est proche. “
Ne l’entendez-vous pas ?
ROBERT DESNOS
50
DES YEUX POUR VOIR
Des yeux pour voirle ciel du soir,la lune rouge,un arbre noir.
Des yeux pour voirl’éléphant blanc,le cygne noiret le chat rose,le singe bleuet bien des choses.
PIERRE GAMARRA
51
DITES-MOI ZOU
Où sont les porteurs d’eau ?Où sont les petits savoyards ?un jour on demandera où sont les mécanosles motards les chauffards
ils seront tous partisdans le passé
RAYMOND QUENEAU
52
LES QUATRE CENTS COUPS
Quand le chat n’est pas là que font les souris ?
Les souris dansent, les souris pensent « On s’amuse bien, le chat est parti! »
Quand le vacher n’est pas là que font les vaches à l’étable ?
Les vaches vont brouter leur lit, les vaches montent sur les tables.
Quand la grande ourse est en vacances les petits ours rient et dansent.
Et quand les parents sont partis que font les enfants si gentils ?
Ils font les fous, les casse-cou. Ils font les quatre cents coups.
CLAUDE ROY
53
UN BON CONSEIL QU’IL EST BONDE NE PAS SUIVRE
« Il ne faut pas être dans la lune »disent les parents aux enfants distraits.
Mais dans la lune il fait bien frais.On se distrait,sans grandes personnes importunes,dans la lune.
CLAUDE ROY
54
LES BONNES MANIÈRES
Si vous voulez qu’un éléphant son amitié jamais ne rompe (si on le trompe son cœur se fend) ne vous moquez pas, mes enfants, de sa trompe.
Si vous voulez qu’une hirondelle à la maison reste fidèle pas de si de mais et de parce que ! ne posez pas de grain de sel sur sa queue.
Si vous voulez qu’un hérisson se mette en boule et à pâlir répondez toujours à ses mots pour rire « Quel esprit piquant a ce hérisson polisson! »
Si vous voulez qu’une baleine vous dise Allô au téléphone ne répondez pas A l’eau quand elle sonne : Les jeux de mots font toujours de la peine aux baleines.
Les animaux ne sont pas bêtes. Ils aiment les bonnes manières,
détestent ceux qui font les fiers et disent des gens sans cœur et sans tête « Ah les sales bêtes ! »
CLAUDE ROY
55
LA CLEF DES CHAMPS
Qui a volé la clef des champs ? La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ? La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ? Le lièvre brun ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ? Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ? La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a touché la clef des champs ? La musaraigne ou le pinson ?
Qui a perdu la clef des champs ? Le porc-épic ? Le renard roux ?
Qui a volé la clef des champs ? Ce n’est pas moi, ce n’est pas vous.
Elle est à personne et partout, la clef des champs, la clef de tout.
CLAUDE ROY
56
COMPLAINTE DU PAUVRERADIATEUR
Le pauvre radiateur raide comme une grille se sent triste et rêveur.
Personne ne s’arrête pour s’occuper de lui ou lui faire la causette.
On le regarde à peine on ne lui parle pas et le chat le dédaigne.
Le pauvre radiateur si loin de sa chaudière en a gros sur le cœur.
Si j’étais le mazout au moins j’aurais du feu comme un grand soleil d’août.
Je suis né radiateur ? Si J’avais pu choisir je serais cheminée.
Si j’étais cheminée avec du feu qui brille et deux bons gros chenets
j’aurais une bouilloire une pince un soufflet et des soirs pleins d’histoires.
On me tendrait les mains Le chat ronronnerait Je grillerais le pain.
Mes flammes danseraient sur la joue des enfants ma fumée monterait.
On dirait « Qu’il est beau». On dirait « Que c’est bon » Je me sentirais chaud.
Je serais à mon aise endormi sous la cendre et veillant sur ma braise.
On me donnerait du chêne ou des grains de lavande et des présences humaines.
Mais je suis radiateur sans bûches qui pétillent sans flamme et sans odeur.
Un pauvre radiateur sans flamme et sans couleur on ne voit pas son cœur.
CLAUDE ROY
57
LES CORRIDORS OÙ DORT ANNEQU’ON ADORE
La petite Anne, quand elle dort, où s’en va-t-elle ?Est-elle dedans, est-elle dehors, et que fait-elle ?
Pendant la récré du sommeil, à pas de loup,entre la terre et le soleil Anne est partout.
Les pieds nus et à tire-d’aile Anne va faireles quatre cents coups dans le ciel. Anne s’affaire.
La petite Anne, quand elle dort, qui donc est-elle ?Qui dort ? Qui court par-dessus bord ? Une autre, et elle.
L’autre dort et l’une a des ailes,Anne dans son lit, Anne dans le ciel.
CLAUDE ROY
58
IL EST DÉFENDU DE DESCENDRE AVANTL’ARRET COMPLET
« Il est défendu de descendre avant l’arrêt complet. » Pour avoir oublié ce précepte fort sage on vit les passagers d’un ballon très peuplé accomplir dans le ciel un rapide passage.
Pour éviter aux gens ces dures gymnastiques les Transports en Commun ont depuis adopté le système appelé portes automatiques qui donne aux passagers plus de sécurité.
CLAUDE ROY
59
LIMERIME DE LA DEMOISELLE AU CŒURFROID
Il était une fois au fin fond de l’Arctique une demoiselle au cœur vraiment froid.
Très bien élevée, mais fort apathique Eulalie restait sur son quant-à-soi.
Eulalie trouvait qu’il n’était pas chic de parler aux gens qu’on ne connaît pas.
Un jour son voisin, hippy sympathique, dit à Eulalie: « L’eau est bonne, hello !
Me prêterez-vous votre thermomètre ? Je voudrais savoir à combien est l’eau. »
« Impudent! M’emprunter mon joli thermomètre » lui répond Eulalie qui jamais ne se lie.
Ah ! que triste est la vie de la froide Eulalie avoir un thermomètre et n’avoir pas d’amis.
CLAUDE ROY
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DEVINE UN PEU LA DEVINETTE
Cent mille chats gris couleur de souris. Ils ont le bout des pattes blanc : pattes de velours posées doucement cent mille chats gris dans le ciel tout gris cent mille chats gris cachés dans la nuit.
La neige neige lentement.
CLAUDE ROY
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DIALOGUE DE SOURDS
Je n’aime pas les autruches, dit le train. Elles ont des tics et des trucs, pas d’entrain.
Je n’aime pas les trains, dit l’autruche. Ce sont des gens restreints, de vraies bûches.
Les gens c’est des saintes nitouches qui ont trop d’esprit critique. Ils font trop la fine bouche, ils n’ont pas le cœur sympathique, pour les autruches, s’ils sont trains, pour les trains, s’ils sont autruches.
Les gens sont fous, les gens sont louches, les gens, les trains et les autrouches.
CLAUDE ROY
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L’ENFANT QUI VA AUX COMMISSIONS
« Un pain, du beurre, un camembert, mais surtout n’oublie pas le sel. Reviens pour mettre le couvert, ne va pas traîner la semelle. »
L’enfant s’en va le nez au vent. Le vent le voit. Le vent le flaire. L’enfant devient un vol-au-vent, l’enfant devient un fils de l’air.
« Reviens, reviens, au nom de Dieu ! Tu fais le malheur de ton père. Ma soupe est déjà sur le feu. Tu devais mettre le couvert ! »
Léger, bien plus léger que l’air, l’enfant est sourd à cet appel. Il est déjà à Saint-Nazaire. Il oublie le pain et le sel.
Parents, de chagrin étouffant d’avoir un fils si égoïste, parents sans sel et sans enfant, que votre dîner sera triste !
CLAUDE ROY
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L’ENFANT QU’ON ENVOIE SE COUCHER
Il faut aller au lit, mais je n’ai pas sommeil. Dans le noir je m’ennuie, tous les soirs c’est pareil.
Si j’avais des ciseaux pour découper le ciel j’en prendrais un morceau pour faire une marelle.
Si j’avais de la craie sur le noir de l’espace je me dessinerais un jeu avec ses cases.
J’irais à cloche-pied jouer sur la Grande Ourse et dans la Voie Lactée me baigner à la source.
Chaque soir c’est pareil : je me rêve dehors. Mais j’ai un peu sommeil. Malgré moi je m’endors.
Je rêve que je dors et quand je me réveille il fait grand jour dehors. Bonjour, Monsieur Soleil !
CLAUDE ROY
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L’ENFANT VRAIMENT DÉSORDONNÉ
Cet enfant perd tout ce qu’il touche. Être désordonné, c’est laid : Il prend sa clef et perd sa clef. Il prend la mouche et perd la mouche. Cet enfant-là perd vraiment tout. Et quand il prend ses jambes à son cou, il perd ses jambes, il perd son cou : il perd tout !
CLAUDE ROY
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L’ENFANT MODESTE
En m’en allant flâner au bois j’en ai rencontré des hâbleurs des raconte-n’importe-quoi, des qui-se-croient, des grandsmenteurs.
En m’en allant courir au bois j’ai rencontré un roseau creux qui se prenait pour un hautbois et jouait des airs de pas-de-deux.
J’ai rencontré un lièvre roux qui se croyait le maillot jaune faisant la course sur deux roues contre les fils du téléphone.
J’ai rencontré un canard vert qui survolait les autoroutes se prenant pour l’hélicoptère de la police de la route.
J’ai vu un pigeon voyageur avec une gorge irisée « Je suis des crayons de couleur » disait ce pigeon déphasé.
En m’en allant courir au bois j’en ai vu de bien des couleurs, des gens bizarres qui se croient, des gens douteux, des gens men-teurs.
Ah, s’ils avaient su qui j’étais ils auraient été moins vantards. Car ça vous rabat le caquet, quand on est pigeon ou canard,
de rencontrer au coin d’un bois un petit garçon laconique qui garde son secret pour soi. (Je suis un jet supersonique.)
CLAUDE ROY
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L’ENFANT SAGE
Un nénuphar blanc jaune et blanc qui s’ouvre sur un feu de braise, un nénuphar plutôt content. - Vous en prenez bien à votre aise
Un hérisson roux-rond et noir qui va dîner au restaurant avec une pie en robe du soir. - Vous avez l’air intelligent
Une mésange qui fait l’ange et faisant l’ange fait la bête parce qu’une puce la démange. - Vous me copierez la recette
Ce qui te passe par la tête, quatre poissons et trois souris, quand dans ta tête c’est la fête. - On ne l’aurait vraiment pas dit
Où va-t-il donc chercher tout ça ? Il a l’air d’un enfant si sage, mais il ne l’est pas tant que ça. - Ça lui passera avec l’âge
Ça lui passera. C’est dommage. A quoi passera-t-il le temps
quand il sera grand, passé l’âge, passé le temps des dépasse-temps ?
CLAUDE ROY
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L’ENFANT QUI A LA TÊTE EN L’AIR
L’enfant qui a la tête en l’air si on se détourne, il s’envole. Il faudrait une main de fer pour le retenir à l’école.
L’enfant qui a la tête en l’air ne le quittez jamais des yeux : car dès qu’il n’a plus rien à faire il caracole dans les cieux.
Il donne beaucoup de soucis à ses parents et à ses maîtres :on le croit là, il est ici, n’apparaît que pour disparaître.
Comme on a des presse-papiers il nous faudrait un presse-enfant pour retenir par les deux pieds l’enfant si léger que volant.
CLAUDE ROY
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LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS
Excusez-moi je vous en prie disait le Monsieur Très Poli tout ourlé de Bonnes Manières quand il croisait un dromadaire
Je suis charmé vraiment ravi disait le Monsieur Si Gentil en rencontrant rue de Lisbonne un pangolin avec sa bonne
Je vous présente mes respects disait le Monsieur Circonspect en dépassant dans l’escalier un I sans point très essoufflé
Veuillez agréer mes hommages disait le Monsieur Tout en Nage en arrivant très en retard au bal masqué des nénuphars
Après vous je n’en ferai rien dira le Monsieur Vraiment Bien lorsque la Mort sonnant chez lui le trouvera toujours poli
L’ennui avec les gens polisc’est qu’ils n’en ont jamais fini
tout en saluts tout en courbettes mais trop polis pour être honnêtes.
CLAUDE ROY
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LES MANIÈRES DU SOLEIL
Le soleil luit pour tout le monde mais un peu plus ou un peu moins. Il en est que son chaud inonde D’autres ne le voient que de loin.
Il luit plus pour le cormoran que pour que la taupe ou le cafard. Il luit bien plus à Perpignan qu’à Lille ou à Hénin-Liétard.
Le soleil luit pour tout le monde mais plutôt plus ou plutôt moins.
CLAUDE ROY
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LES MAUVAISES LANGUES
Edmée de Pati-Patapas et Chantal de Couci-Faupas papi-papotent à petits pas, cassant du sucre à tour de bras.
Elles examinent les faux pas, les impairs et les patatras des Carabas, des Carambas, des Fortabras, des Pancreas.
« Ils ont fait ci, ils ont dit ça, ils ont dit ci, ils ont fait ça, ils font ce qui ne se fait pas, des impairs et des embarras. »
Edmée et Chantal sa commère feraient se battre les montagnes. Elles ont des langues de vipères et la montagne est en colère.
Le volcan lâche son champagne. Il se met dans tous ses états et recouvre les deux compagnes Pati-Patapas et Couci-Faupas.
Dans cette histoire, que voilà, la médisance est bien punie. Mais surtout ne vous y fiez pas : aux méchants souvent la chance sourit.
On connaît mille mauvaises langues que la fortune récompense. Les braves gens tirent la langue les gredins s’emplissent la panse.
Mais le poète, éducateur, enseigne aux enfants la morale.
Pédagogue et un peu menteur il chante le Bien, et punit le Mal.
CLAUDE ROY
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LA MORALE ILLUSTRÉE
Il faut s’entraider dans la vie, tendre la main à ses voisins, de main en main faire la chaîne des amis. La main qui serre une autre main n’a peur de personne et de rien.
ARSÈNE GUILLOT
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OÙ AVEZ-VOUS LA TÊTE ?
- Mais où donc avez-vous la tête ? Mais à quoi donc pensez-vous ?
- J’ai la tête près du bonnet, j’ai /a cervelle à tous les vents.
- Mais où donc avez-vous les jambes ? Mais où donc vous encourez-vous ?
- J’ai pris mes jambes à mon cou,j’ai mis mes jambes au grand air.
- Mais où donc avez-vous les yeux ? Vous me rendez vraiment soucieux.
- Je n’ai pas mes yeux dans ma poche. Je les ai clairs comme eau de roche.
- Mais où donc avez-vous le cœur ? Vous voulez faire mon malheur !
- J’ai le cœur qui chante à tue-tête « Les grandes personnes, c’est bête ! »
CLAUDE ROY
73
LES PAS QUI NE SONT PAS PERDUS POURTOUT LE MONDE
- Où vous mènent vos pas, jeune homme ? - A l’étang, voir si l’eau est bonne.
- OÙ vous mène le pas d’après ? - Courser la sauterelle au pré.
- Où vous mènent vos pas ensuite ? - A courir le chat qui s’enfuite.
- OÙ vous mènent vos pas enfin ? - Là où la route n’a pas de fin.
Et c’est comme ça que ça arrive. un pas, un autre, et on dérive.
On fait la journée buissonnière, à l’étourdie, à la légère.
On n’est nulle part, on est en l’air, enfant volé de l’atmosphère.
Ce sont de mauvaises manières. On fait du chagrin à sa mère.
- Mais comment découvrir le monde ?La route est longue, la terre est ronde.
CLAUDE ROY
74
PASSE-TEMPS
Tous ces gens qui ont tant à faire, qui ont des rendez-vous urgents, un agenda, des tas d’affaires, où vont-ils donc, ces gens bougeant ?
Pourquoi courir, se mettre en nage, pourquoi s’essouffler constamment les gens tranquilles sont plus sages qui regardent passer le temps.
CLAUDE ROY
75
LE PETIT JOUR
Le petit jour bat la semelle. Il guette pour voir si j’allume.
Il fait craquer la gelée blanche, s’amuse à souffler sur la lune.
Son haleine fait de la buée. Le petit jour a froid aux pieds.
Je me réveille dans mon chaud.J’aimerais bien prendre mon temps,
n’ouvrir les yeux que s’il fait beau. Hélas le petit jour m’attend.
- Petit jour qui deviendra grand pourquoi frappes-tu à ma porte ?
- Je m’ennuie tout seul dans le noir. Prépare-nous un bon café.
- Petit jour qu’est-ce que tu apportes ? Va au moins me chercher du bois.
- Je t’apporte le rouge-gorge, l’odeur du brouillard dans les bois.
Je me lève donc avec le jour. Il entre. Il fait entrer le froid.
Le petit jour devenu grand disparaît et me laisse en plan.
Me voilà seul avec le feu, avec le grand jour et le chat.
C’est tous les matins même jeu. Le jour m’éveille et puis s’en va.
Je dis : on ne m’y prendra plus. Petit jour je n’ouvrirai plus.
Mais demain encor je serai content de me réveiller habitant du temps
avec un petit jour qui m’attend à la porte et qui bat la semelle, attendant que je sorte.
CLAUDE ROY
76
AU MOINS TU PLEURERAS POURQUELQUE CHOSE
Comme il faisait mauvais temps Jean qui pleure était morose et Jean qui grogne pleurnichant.
Sa mère qui n’est pas manchote lui envoie une calotte. « Comme ça, si tu es morose, tu Pleureras, pour quelque chose ! »
Jean a pleuré tant et tant, qu’ajouté au mauvais temps, le résultat est grandiose.
C’est Nivôse et c’est Ventôse. Jean qui pleure pleure des cordes et la rivière déborde.
Il pleure une vraie mousson. L’eau recouvre les maisons, elle emporte gens et choses.
Sa maman avait raison d’avoir des démangeaisons. Jean qui rit, le polisson,
a pleuré Pour quelque chose.
CLAUDE ROY
77
RECETTE POUR FAIRE UN ARC-EN-CIEL
Pour faire un très bel arc-en-ciel il faut un arc à songerie et plusieurs flèches au pluriel.
Prends un grand ciel assez mouillé pour que les couleurs y sourient dans la lumière un peu brouillée.
VIOLETAvec une plume de merlette ou des moustaches de souris dilue dans l’eau quatre violettes.
INDIGOLe plus joli des indigos s’obtient à partir d’un chat persan qui sourit et fait le gros dos.
BLEULe bleu c’est les yeux d’une blonde dont la pupille bleue varie quand le soleil danse sa ronde.
VERTL’herbe et le trèfle à quatre feuilles donnent un vert du plus beau vert qu’on mélange à du chèvrefeuille.
JAUNEPour le jaune un petit garçon couleur de taches de rousseur de maïs ou de hérisson.
ORANGEPour faire un orangé orange attrape un grand éclat de rire avec une plume de mésange.
ROUGELe rouge-gorge couleur de forge te prêtera son gentil feu pour le rouge qui brûle et bouge.
Quand tes couleurs sont enfin prêtes tu peux attaquer l’arc-en-ciel déjà dessiné dans ta tête
Tu vises la ligne d’horizon La flèche trace un arc-en-cercle corolle aux couleurs de blason
Quand l’arc-en-ciel est terminé tu te déchausses et les pieds nus tu commences la traversée
Monte droit dans le ciel ouvert. Quelqu’un s’avancera vers toi comme dans un miroir à l’envers un autre marche qui est toi.
CLAUDE ROY
78
REGARDEZ-VOUS UN PEU DANS LA GLACE
Regardez-vous un peu dans la glace dit à Jeanne et Marie leur maman qui se fâche.
Vous avez couru et fait mille bêtises Vous êtes toutes rouges, et vos boucles défrisent.
Pour donner aux poupées leur goûter-biberon Vous avez tout sali mon joli napperon.
Vous avez habillé la chatte Pandora avec mon caraco et mon châle angora.
Pour prendre la température à son mari Albert vous avez fait tomber le thermomètre par terre !
La maman est fâchée et fait la grosse voix.Mais en se regardant dans la glace elle voit
que les gens en colère font de sales grimaces. Regardez-vous un peu dans la glace !
CLAUDE ROY
79
RITOURNELLE DES APPARENCES
Sur le cerisier noir et vert une fleur tombée se repose. Ce n’est pas un film à l’envers : c’est un papillon jaune et rose.
Les étourneaux volant par nuées sans pousser leurs cris monotones, ce n’est pas du cinéma muet mais les feuilles au vent d’automne.
L’assiette blanche que tu pêches c’était la lune dans un seau. La nouvelle étoile au Verseau c’est un avion qui se dépêche.
La jeune fille dans le pré c’était, qui sèche, une chemise. Si tu vas y voir d’un peu près la vie, la vue, que de surprises !
Le vrai n’est pas toujours si vrai. Tu n’as pas vu ce que tu vois.Le cœur distrait trompe l’œil frais
qui n’avait vu que ce qu’il croit.
CLAUDE ROY
80
SUPPOSONS UNE SUPPOSITION
Suppose et supposons une supposition : que le mot ver luisant se prononce escarcelle, que le mot chocolat se prononce violon, que le mot tirelire se prononce hirondelle.
Les dictées tout à coup ont un air bien bizarre. On regarde voler les tirelires en l’air, on regarde briller l’escarcelle très tard, on mange à son goûter du pain et du violon.
Tu me dis baluchon : ça veut dire grosse bête. Fourbi ? C’est un poisson. Lézard? Saule pleureur. Les mots ne savent plus où donner de la tête : friture de fourbis, ou lézard rose en fleurs ?
Est-ce escarcelle ou escargot ? Est-ce cargo ou tire-l’air, ou tire-l’eau, ou tire-d’aile ? Est-ce chacal ou chocolat ? Est-ce hirondelle ? Est-ce rondeau ? Est-ce vole-au-vent ? Est-ce violoncelle ?
Si on commence à faire trop de suppositions tout s’en va de travers et rien ne va plus droit personne ne demande aux mots la permission et je signe Hérisson - qui veut dire : Claude Roy.
CLAUDE ROY
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