geôles d'afrique, droits humains en milieu carcéral au cameroun

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"Déchirer l’épais silence qui couvre les conditions de détention dans le milieu carcéral camerounais, por- ter hors du cachot la voix des det́ enus pour la plu- part présumés innocents car non encore condamneś, rendre compte des efforts d’améliora- tion initieś ici et là par les pouvoirs publics... Tel est le défi que nous avons essayé de relever depuis début 2011, grâce à l’appui professionnel d’Ouest Fraternite,́ et au soutien financier de l’Union européenne. Défi osé car rentrer dans des lieux de det́ention, milieux clos par essence,pour y reáliser des reportages, est loin d’être une sinécure." Etienne Tassé.

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  • 5/20/2018 Geles d'Afrique, droits humains en milieu carcral au Cameroun

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    GelesdAfrique

    Les droits humainsen milieu carcral au Cameroun

  • 5/20/2018 Geles d'Afrique, droits humains en milieu carcral au Cameroun

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    ISBN: 978 - 9956 - 637 - 06 - 8

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    La promotion et la dfense des droits de l'homme,sous toutes leurs formes, constituent l'un des axesmajeurs dvelopps dans les partenariats institus

    par l'Accord de Cotonou entre les Etatsd'Afrique,Ca-rabes et Pacifique (ACP) et l'Union europenne. Dece fait, les droits de l'homme sont l'une des cls devote du travail conjoint entrepris par le Camerounet l'Union europenne.

    Comme ce recueil en tmoigne, les mdias peuventjouer un rle crucial pour une meilleure prise deconscience par nos socits de l'importance de la pro-blmatique des droits de l'homme. Ils peuvent rendrecompte des ralitsvcues,fournirdes analyses despo-litiques menes et, surtout, informer les citoyens afinqu'ils puissent participer au dbat public en connais-sance de cause.

    Les conditions de vie dans les prisons sont le plussouvent soustraites au regard des citoyens.Aussi, cestaux professionnels des mdias quil incombe de rap-porter ce qu'ils y observent et de donner un clairagesur le fonctionnement du systme pnal. Cet ouvragecontribue consacrer cette responsabilit en facilitantla diffusion d'histoires de dtenus, heureuses ou tristes.

    Certaines de ces histoires prsentent des exemplesencourageants, dans lesquels les conditions des dte-nus ont pu tre amliores. Ces rcits font tat de pro-grs qu'il est bon de souligner,d'encourager et dimiter.

    En revanche, bon nombre des rcits prsents dansces pages nous rappellent les situations trs difficiles

    dans de nombreuses prisons.Un desproblmes lesplusgraves est celui de la surpopulation carcrale. En d-coulent dautres maux voqus par les dtenus : leurmanque d'alimentation, leurs difficults pour mainte-nir une hygine adquate et leur accs aux soins mdi-caux. Ces problmes touchentplus particulirement les

    femmes, qui ne sont pas toujours loges sparment,ce qui les expose parfois des violences y compris leviol.

    Pourtant, assurer des conditions de dtentiondignes, y compris une alimentation saine, est une obli-gation de l'Etat Camerounais en vertu des lois natio-nales. LaConstitution duCameroun assure la primautdu droit international et des conventions internatio-nales sur les lois nationales. Parmi celles-ci, le Came-roun a notamment sign en 1984 le Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques qui postule que toute personne prive de sa libert [doit tre] traiteavec humanit et avec le respect de la dignit inhrente la personne humaine .

    Les observations dont fait tat ce livre, et souventleur incompatibilit avec le droit camerounais, soul-vent des interrogations pressantesquant aux politiquesmenes par le gouvernement camerounais pour rem-dieraux situations difficiles constates dansles prisons.Il sagirait notamment de respecter les dlais dans lesprocdures judiciaires, ce qui aurait pour consquencenonseulement uneamlioration de ltat de droit,maisaussi un dsengorgement des prisons. Un changementde politique dans le domaine pnal impliquerait gale-ment la mise disposition denveloppes budgtairesadquatespour la prise en charge des dtenus et l'am-lioration des infrastructures carcrales.

    Je souhaite que ce livre retienne votre attention.J'espre aussi que les histoires de ces femmes et de ceshommes permettront la socit camerounaise deprendre conscience de la situation dans ses prisons et,ensuite, d'agir pour aboutir une meilleure adquationentre ses lois reflet des valeurs du peuple et la ra-lit.

    Des rcits pour agir

    Par son Excellence M. Raul Mateus Paula,ambassadeur de l'Union europenne au Cameroun

    Prfaces

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    Rompre le silence des chanes

    Regards derrire les barreaux

    Dchirer lpaissilence qui couvre les conditions dedtention dansle milieu carcralcamerounais, por-ter hors du cachot la voix des detenus pour la plu-part presumes innocents car non encorecondamns, rendre compte desefforts dameliora-tion initis ici et la parles pouvoirs publics... Tel est

    le defi que nous avons essaye de relever depuisdbut 2011, grce lappui professionnel dOuestFraternit, et au soutien financier de lUnion euro-peenne. Defi ose car rentrer dans des lieux dedtention, milieux clos par essence, pour y raliserdes reportages, est loin dtre une sinecure.

    Aussi, notre premier challenge aura-t-il te decrer des relations de confiance entre les journa-listes et les intervenants de la chane carcrale.Pource faire,en avril 2011,nous avons runi autourdune mme table, lors des ateliers de concertationYaound, Bafoussam et Douala, des journalistes,des regisseurs de prisons, des responsables de lapolice et de la gendarmerie, et des defenseurs desdroits humains. Il en est sorti des recommanda-tions susceptiblesde faire voluer les conditions dedtention, et une meilleure comprehension desuns et des autres.

    Une vingtaine de journalistes ayant participe ces rencontres ont ainsi noue des relations deconfianceavecles diffrents responsables des lieuxdedtention. Au mme moment,ils ont tformsaux droits humains et aux techniques profession-nelles denqute et de reportage. Dsormais mieuxoutills, ils se sont lancs avec courage et dtermi-

    nation sur le chemin fort escarp des reportagesdans le milieu carcral.

    En avril 2012, un atelier dvaluation mi-par-

    cours a permis de mesurer le chemin parcouru etde remobiliser les troupes. Bonne surprise, la mo-bilisation a t inedite, au regardde la qualitet dunombre desparticipants : une quarantaine de jour-nalistes, 14 rgisseursde prison, neuf responsablesde la policeet de la gendarmerie, six magistrats,de

    nombreux defenseurs des droits humains, plu-sieurs avocats, etc. Malgre de chaudes empoi-gnades verbales ponctues de joutes oratoiresentreavocats et magistrats, le consensusduvrerensemble pour faciliter le travail desjournalistes etpour lamelioration des conditions de detention ate reaffirm. Resultat, plus de 115 articles depresse, 50 missionsradio, et des interviews davo-catsonttralissetdiffuss dans une dizaine dejournaux camerounais et sites web, et dans une di-zaine de radios.

    Pour terminer, une derniere rencontre deconcertation qui sest tenue en janvier Yaounde apermis toutes les parties de faire le point de deuxannees de frquentation sur le terrain des droitshumains dans la chane carcrale et des perspec-tives. Alors que les journalistes mettaient sur lesrails un reseau qui va prendre le relais deJadedanslencadrement des journalistes couvrant les ques-tions des droits humains en milieu carcral, lesregisseurs de prison et autres responsables ducorps judicaire envisageaient la cration dunrseau de justice pnaleenvuedesesoutenirdansla promotion des droits des detenus et gardes vue. Lespoir est permis.

    EtienneTASSEJadeCameroun

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    1DES BAVURESET DES TORTURES

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    Comme un oiseau en plein vol

    Ils lont abattu comme un oiseau en plein vol , dit le pre de Hugues, un commerant forcen,

    qui, officiellement, a point son arme sur un policier des quipes spciales. Ne pouvait-il pas tre

    dsarm ? Bavure ou lgitime dfense de la part des forces de lordre de Bafoussam ?

    Un jeune tente de svader de la prison de cette mme ville. Il est aussi abattu. Stphane Ewane tait-

    il un braqueur comme laffirment les policiers de Nkongsamba?

    Parfois la vie ne vaut pas cher dans les rues des villes du Cameroun. La libert non plus, tant sont

    nombreuses les interpellations, les gardes vue abusives et les brutalits policires. Pour avoir

    distribu une poigne de tracts Douala, ou voulu manifester pour dfendre les taximen moto,

    des jeunes sont arrts et mis en garde vue, parfois battus... Georges Endene Endene, le vieux p-

    cheur, est rest trois ans en prison. Des policiers lui ont arrach les ongles. Les forces de lordre

    justifient leurs interventions muscles en invoquant la recrudescence du brigandage et de la vio-

    lence dans les villes et les campagnes. Les gardiens se plaignent des conditions dplorables dans les-

    quelles ils travaillent. Avocats et dfenseurs des droits de lHomme protestent en brandissant les

    textes des Nations Unies (ONU) et le code de procdure pnale du Cameroun dfendant les droits

    des citoyens.

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    Un commerant forcen abattu par la police

    Hugues Nzokou est mort sous les balles des poli-ciers des quipes spciales d'intervention rapide(ESIR). Ce commerant de 31 ans menaait avec unpistolet les clients dune auberge de Bafoussam.La famille du dfunt dnonce une bavure.

    Midi vient de sonner, ce dimanche 23 octobre 2011. Lachaleur se fait de plus en plus lourde. La dpouille

    dHugues Nzokou, abattu dans la nuit du 15 au 16 octo-bre 2011 dans une auberge de la septime rue Nylon Bafoussam, va tre inhume dans quelques heures.Une foule se dirige vers Grand Raphia, dans le quar-tier Kouogou de Bafoussam o auront lieu les ob-sques.

    Latmosphre est lourde. Michael Francis Mb, lepre du dfunt, fait des va et vient autour de la maisonqui abrite le cercueil de son fils. Hugues Nzokou pren-dra dici quelques heures un vol vers une destination in-connue. Les policiers ont tu mon fils ! Ils lont abattucomme un oiseau en plein vol ! , se lamente-t-il.

    Lepoliciera tirDans la soire du samedi 15 octobre autour de 21h30,Hugues Nzokou dbarque dans lauberge o il a retenuune chambre. Le grant lui tend la cl. Peu de tempsaprs, il laisse sa compagne dans la chambre et vientsinstaller au bar , rapportent des tmoins. Une dis-cussion, entre lui et quelques clients, tourne au vinai-gre. Hugues Nzokou sort alors son arme, un pistoletcalibre 12 de marque Beretta. Pris de panique, lesclients et les employs de lauberge senfuient et se ca-chent. Alerts, les policiers bien entrans de lEquipespciale dintervention rapide (Esir) dbarquent. Le for-cen bat en retraite dans sa chambre. De sources offi-cielles, Hugues Nzokou aurait t le premier pointerson arme sur le policier en tte de la patrouille dinter-vention. Celui-ci a tir. Ses balles ont atteint HuguesNzokou lomoplate et aux jambes. Il est mort pendantson transfert lhpital, soutient un tmoin.

    Une version qui ne convient pas la famille du d-funt. Le procureur doit se saisir de cette affaire. Nousinterpellons les autorits afin que les responsabilitsdes uns et des autres soient tablies. Les policiers desquipes spciales de la police sont forms dans lop-

    tique de pouvoir neutraliser des pirates de lair. Je necomprends pas comment ils ont pu abattre mon fils,sans raison valable. Pourquoi la-t-on confondu ? Il fautsinterroger sur le rel niveau de certains lments denotre police. Il faut se poser des questions quant leurmoralit , sindigne notamment le pre de la victime,qui ajoute : Mon fils a reu une bonne ducation.Aprs lavoir form en menuiserie, je lai orient vers le

    commerce lorsque jai vu quil ne sen sortait pas. Ilntait pas violent. Il tait un modrateur. Il a dailleurst lu prsident de son clan dge dans le village. Etdans ce milieu, il faisait tout pour temprer les uns etles autres, affirme-t-il.

    NeutralisersanstuerA la premire rue du march B Bafoussam, les voi-sins dHugues Nzokou partagent cet avis. Walter Nem-bot, le frre cadet du dfunt se veut plus offensif : Mon frre a t assassin pour rien , lche-t-il. Inter-rog, Me Fabien Che, avocat au barreau du Cameroun,

    conclut la bavure policire. Les membres dEsir,quipe dlite de la police camerounaise, ont reu uneformation pointue pour contrer des criminels de grandschemins sans avoir besoin de commettre des exactions.Mme sil est avr que ce jeune homme avait sur luiune arme feu, les policiers ont t forms pour pou-voir le neutraliser sans porter atteinte sa vie , ex-plique lhomme de droit.

    Cette affaire en rappelle une autre : celle de DavidKaleng, ce jeune homme de 24 ans abattu bout por-tant par les policiers du Groupement mobile dinter-vention (GMI) n3 en aout 2006 Bafoussam. Lahirarchie locale de la police stait alors mobilise, nonpas pour sanctionner lexcs de zle de ses subordon-ns, mais pour contrer les manifestations populaires decontestation de la bavure policire

    GuyModesteDzudie

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    Il tente de svader : Carlese tu la prison de Bafoussam

    Des gardiens de prison ont abattu le jeune CarleseTchemi Towo, alors quil tentait de s'vader de laprison de Bafoussam. Les militants des droits del'Homme dnoncent cette bavure, courante au Ca-meroun, et qui reste toujours impunie.

    Condamn en 2011 7 ans demprisonnement fermepar le tribunal militaire de Bafoussam, Carlese TchemiTowo, a t abattu, le 26 avril dernier par ses geliers.

    Il tentait de svader par la toiture du quartier fminin,dont le mur est un peu plus bas. Alerts par des bruits,les geliers ont organis une chasse lhomme. Le fu-gitif na eu aucune chance. Il a t cribl de balles auniveau de labdomen et du thorax , dcrit M. Kengn,pensionnaire du pnitencier, hant par la vision de ladpouille de son codtenu.

    UnejungleLe rgisseur de la prison centrale, Son Ngol, dresseun portrait ngatif du prisonnier abattu. Des coups defeu sont partis dans un premier temps pour le prve-nir Mais il en est mort. Cest un braqueur du tribunalmilitaire qui a t condamn 7 ans. Il avait dj pass3 4 ans, ici, la prison. Il marchait souvent avec deslames pour blesser et provoquer les autres (codtenus,Ndlr) , dnonce-t-il. Et de poursuivre : On avaitmme crit pour son transfrement Mantoum o onse disait quavec la hauteur des murs denceinte ctaitun peu plus scurisant. Mais avec son comportement ilna pas voulu rester en vie et voil comment il est mort,finalement. Cest vraiment malheureux.

    Un prisonnier ayant requis lanonymat estime, lui,que les vasions sont causes par les conditions inhu-maines de dtention. Le rgisseur fait des efforts pour

    nous mettre laise. Mais jusque-l, nous souffronsassez. La ration journalire nest ni consistante ni qui-libre. Nous consommons des aliments faits base defarine 95%. La scurit lintrieur nest pas garantie.Cest une jungle. Les plus forts dominent et briment lesautres. Chaque fois, nous sommes tmoins de bagarreset datrocits diverses. Cest invivable , dclare-t-il.

    PasdoutilsperformantsCharlie Tchikanda, directeur excutif de la Ligue desdroits et liberts (LDL) , active dans la rgion de l'Ouest,

    dnonce le surpeuplement des prisons pour justifier cestentatives d'vasion. Construite en 1952 pour 300 d-tenus, celle de Bafoussam en accueille, aujourd'hui,950.

    Lavocat, Me Che Fabien, dplore, lui, les conditionsde travail dans lenvironnement carcral de la place. Ilfaut reconnatre que les responsables et les agents enservice dans les prisons du Cameroun font beaucoupdefforts. Sil tait soucieux de la prservation des vies

    humaines des personnes, quel que soit leur statut decondamns, lEtat devrait envisager la construction deprisons vraiment modernes et doter les geliers came-rounais doutils performants comme des armes lec-troniques qui permettent dimmobiliser un dtenufugitif sans mettre fin ses jours ,explique-t-il.

    LEtatresponsableInform par Dieudonn Kouamen, dlgu rgional deladministration pnitentiaire de lOuest, le gouverneurde cette mme rgion, Bakari Midjiyawa a ordonnlexamen de la dpouille du fugitif par un mdecin l-giste, afin de dterminer les causes de la mort. SelonMe Fabien Che, le document dlivr par le mdecinpourrait servir la famille du fugitif abattu au cas o elleenvisagerait de poursuivre lEtat du Cameroun dont laresponsabilit civile peut tre retenue devant les ins-tances judicaires spcialises, aussi bien nationalesquinternationales.

    Selon les rgles minima de traitement des dtenusdes Nations unies, les fonctionnaires des tablisse-ments ne doivent, dans leurs rapports avec les dtenus,utiliser la force qu'en cas de lgitime dfense, de ten-tative d'vasion ou de rsistance par la force ou parl'inertie physique un ordre fond sur la loi ou les r-

    glements. Sauf circonstances spciales, les agents quiassurent un service les mettant en contact direct avecles dtenus ne doivent pas tre arms . Tout lecontraire de ce qui se passe au Cameroun o les gar-diens de prison portent des armes et n'hsitent pas tirer balles relles.

    Carlese Tchemi Towo, jeune homme de 25 ans, n Banka dans le dpartement du Haut-Nkam, fait partiede la longue liste des fuyards abattus dans les pniten-ciers du Cameroun.

    GuyModesteDzudie

    Geles dAfrique

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    Des militaires abattent un lve de NkongsambaUne patrouille du rgiment d'artillerie sol-sol deNkongsamba a tir et tu Stphane Ewane, untudiant de 22 ans, le 20 janvier 2011. En violationflagrante de la prsomption d'innocence.

    Elve au Lyce bilingue de Nkongsamba, Stphane Ewanenest plus de ce monde. Il a t abattu le jeudi 20 janvierpar des militaires. En face de la porte d'entre du domicilefamilial au quartier 10, un grand portrait de la victime a tretourn en signe de deuil, comme pour le cacher au re-gard des visiteurs.

    Assis sur un banc, Gabriel Ebenga Essondjo, le grandfrre de la victime, est trs en colre contre les militaires,qu'il accuse d'avoir tir bout portant sur un suspect sansdfense. "Avec des amis, mon petit frre rentrait en motod'une soire. Vers 4h. Une voiture qui avait son bord desmilitaires est venue leur barrer la route et les a renverss.Les autres gars ont fui. tonn, le petit s'est arrt et s'estagenouill. Il les a suppli de ne pas tirer. Mais un militairea plac l'arme au niveau de la clavicule et a tir", expliquet-il avec amertume, se rfrant une version des faits quelui ont rapport les fuyards.

    Tmoin de la scne aprs le coup de feu des militaires,Serges Nana, un jeune homme qui habite moins de dixmtres du lieu du crime, n'a rien oubli: "Tout juste aprsleur forfait, les militaires ont tir la dpouille de Stphanevers le centre de la route, puis ils ont ameut les popula-tions pour leur dire qu'ils viennent de tuer un braqueur".Plus chanceux, ajoute t-il, le conducteur de la moto, ga-lement arrt, a seulement t bastonn. Ensuite, il a tconduit la Brigade territoriale de Nkongsamba. "Dans lamme journe, Bertrand Nana, un autre fuyard, a t ap-prhend et plac en garde vue", confie l'un de sesproches.

    MatriseretnontuerLes yeux rougis et la main pose sur la joue, Louise Ebong,la mre du dfunt est inconsolable. La vieille dame clame

    l'innocence de son fils. "Mon fils n'tait pas un braqueur. Iltait lve en classe de Terminale D au Lyce bilingue deNkongsamba.", affirme t-elle. Ariel Njiki, un camarade declasse de la victime, garde le souvenir d'un garon stu-dieux: "Nous avons prpar ensemble les examens de find'anne. On a travaill ensemble en mathmatiques et enphysique chimie".

    Contacts, les responsables du rgiment d'artillerie sol-sol (Rass) de Nkongsamba ont refus de donner leur ver-sion des faits. "Les enqutes se poursuivent", sestcontent de rpondre un officier.

    En attendant les rsultats des investigations, la famillede Stphane n'a pas encore fait son deuil. "Le corps est re-

    tenu la morgue par les militaires pour les enqutes" ex-

    plique Gabriel Ebenga Essondjo. Quant aux autres sus-pects, ils sont toujours en garde vue, plus d'une dizainede jours aprs leur arrestation. Les dlais de garde vue,qui d'aprs le code de procdure pnal est de 48h, pouvanttre renouvels une fois, ont t largement dpasss.

    Charg de programmes lAction chrtienne contrel'abolition de la torture (Acat Cameroun), Armand Matnacondamne les patrouilles de militaires arms Nkong-samba. Une prrogative qui revient de droit la gendar-merie et la police. "L'arme ne doit intervenir qu'endernier recours, lorsque la police et la gendarmerie sont

    dbordes. Ce qui n'est pas le cas dans cette ville", ex-plique Armand Matna Il dnonce une violation de laconvention des Nations Unies contre la torture et autrespeines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants ra-tifie par le Cameroun le 19 dcembre 1986. "La loi came-rounaise et les traits internationaux n'autorisent pasl'limination d'un tre humain. Le suspect aurait d treapprhend et mis la disposition de la justice", relve t'il.A len croire, mme en cas de lgitime dfense, les mili-taires auraient d tirer non pas dans l'intention de tuer,mais pour matriser les fuyards. "Il fallait viser les zonesmoins sensibles comme les jambes ou les bras pour frei-ner la course des suspects", ajoute t-il.

    LimpunitdesmilitairesCette position est galement partage par Me Ashu Agbor,un avocat. "Avant toutes choses, explique t'il, les militairesauraient d effectuer des tirs de sommation. Si les prsu-ms braqueurs continuaient de fuir, il fallait tirer pour lesparalyser". L'homme de droit dnonce une violation de laprsomption d'innocence. "Une vie humaine a t tesans l'autorisation de la Justice", appuie t-il. Pour l'avocat,il s'agit clairement d'un assassinat qui doit tre puni par la

    justice. "Les soldats responsables de la mort de StphaneEwane doivent rpondre de leur acte devant un tribunalmilitaire."

    Par le pass, dans le cadre de la lutte contre l'impunit,

    des poursuites judicaires ont t engages contre des l-ments des forces de dfense et scurit camerounaises.Depuis 2005, plus d'une centaine de ces agents de la r-pression impliqus dans des affaires relatives aux meur-tres, coups mortels, blessures, tortures, arrestations etsquestrations, ont t condamns des peines d'empri-sonnement par des instances judiciaires ou des sanctionsadministratives, relve un rapport national prsent parl'tat du Cameroun au conseil des Droits de l'Homme desNations Unies Genve, en fvrier 2009.

    AnneMatho

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    Endene Endene, le vieux pcheur de Bonanjoaux ongles arrachs

    Georges Endene Endene, un pcheur, a t interpellet plac en dtention la prison de New Bell pendantprs de 3 ans. Sans preuves de culpabilit ! Plus dunmois aprs son acquittement par la justice, il y estrest. Une situation qui illustre les nombreux abuscommis par les forces de lordre.

    Une garde vue la Brigade territoriale de Bonanjo

    et une dtention prventive de prs de 3 ans la prisonde New Bell nont pas russi ter la bonne humeur deGeorges Endenne Endenne, un pcheur de 64 ans. Ce-pendant, de temps en temps, des mauvais souvenirsviennent assombrir son visage la barbe poivre et sel.Je ne suis quun vieux pcheur. Je ne vis quentour depcheurs. Comment peut-on maccuser dtre le com-plice dun dlinquant?, clame-t-il, en tant son vieuxchapeau, de ses mains calleuses.

    Tortur avec des pincesSes doigts dpourvus dongles, tmoignent du supplicequi lui a t inflig depuis le 04 mars 2009, date la-quelle sa msaventure a commenc. Pendant mon au-

    dition la Brigade territoriale de Bonanjo, lesgendarmes mont arrach entirement les ongles desdoigts avec des pinces parce que je refusais de faire desaveux. Ils voulaient mentendre dire que je connaissaisEssomba. Pourtant je ne lai jamais rencontr, se plaintle vieil homme. Cet acte de torture sest droul deuxmois aprs larrestation du pcheur.

    Daprs lui, sa garde vue dans les cellules de la Bri-gade territoriale de Bonanjo a dur prs de trois mois,en violation de larticle 119 du code de procdure pnalqui stipule : Le dlai de la garde vue ne peut excder48 heures renouvelable une fois. Sur autorisation critedu Procureur de la Rpublique, ce dlai peut, titre ex-

    ceptionnel; tre renouvel deux fois.Les gendarmes interpellent Georges sans lui pr-senter un mandat darrt, comme lexige la loi. Aprsla pche, je rangeais mes outils lorsque deux gen-darmes en civil se sont prsents et mont ordonn deles suivre sans explications. Ils ont dit que leur com-mandant voulait me voir, se souvient le pcheur.Conduit la Brigade territoriale de Bonanjo, il a t jetdans une cellule sans avoir t entendu.

    Au tribunal militaire de Douala, la juge la confront ses co-accuss, puis a ordonn sa relaxe Mais achang ensuite davis. La juge a dit quelle va nous ac-quitter pour faits non tablis. Lun des gendarmes quinous escortait au tribunal la suivie dans son bureau.

    Quand elle est revenue, la sentence est tombe: je de-vais aller en prison pour leur montrer Essomba, ex-plique Georges.

    Finalement crou la prison de New Bell, il ne serajug que trois ans plus tard, aprs de nombreux renvois.Le 16 mars dernier, son co-accus et lui sont acquittspar le tribunal militaire de Douala pour faits non ta-blis. Georges a pourtant t maintenu en dtention,

    en dpit des protestations de son avocate, Ccile Mi-reille Ngo Biga. Toutes les dmarches entreprises au-prs du tribunal pour obtenir lordre de mise en libertqui aurait permis ladministration pnitentiaire de re-laxer Georges et son compagnon, sont demeuresvaines, de mme dailleurs que celles tendant lob-tention dun simple extrait du plumitif, explique lavo-cate de lex dtenu dans une correspondance adresseau tribunal de grande instance du Wouri.

    Le juge sest trompDe son ct, le ministre public au tribunal militaire es-time que le maintien en dtention de Georges est lgal. Le ministre public avait fait appel de la dcision du

    tribunal. Par consquent, la mise en libert ne pouvaitpas tre excute , explique le lieutenant colonel Ana-tole Djouwee, commissaire du gouvernement, prs letribunal militaire de Douala. Faux, sinsurge Me CcileMireille Ngo Biga. Aucun texte ne permet de dire quelappel du Ministre public suspend la dcision de re-mise en libert. Au contraire, lesprit du code de proc-dure pnal fait de la libert le principe , clamelavocate. Fort de cet argument, le conseil a saisi le tri-bunal de grande instance, le 04 avril dernier, pour b-nficier de la procdure dHabeas Corpus, en vuedobtenir la libration immdiate de son client.

    La juridiction de jugement a ordonn que le tribunal

    militaire produise lextrait du plumitif. Ce qui a t faitle 11 avril, mais le rgisseur de la prison de New Bell arefus de librer le dtenu. Il nous a dit que le lieute-nant colonel Anatole Djouwee a demand quon ne li-bre Georges sous aucun prtexte, affirme CcileMireille Ngo Biga. Le commissaire du gouvernementconfirme ces propos. Le juge de lhabeas corpus staittromp et avait mal apprci laffaire. Cest pourquoijavais demand au rgisseur de ne pas librer EndeneEndene Georges, justifie t-il.

    Devant ce fait accompli, le beau-frre de la victimesest rendu au ministre de la Dfense. Le ministre lui aaccord une audience et a saisi le directeur de la justicemilitaire, qui, son tour, a demand lavocate de pro-

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    duire les lments prouvant l'acquittement de sonclient. Ces pices ont permis la libration de Georges, le04 mai dernier.

    Jai tout perdu Secrtaire gnral adjoint du Mouvement de luttecontre la Corruption, limpunit et pour la bonne gou-vernance, une organisation active depuis 2002 en mi-lieu carcral, Frderic Mbappe Ngambi dnonce unabus de pouvoir. Il ya eu trafic dinfluence pour main-tenir Georges en dtention, contre la dcision dacquit-tement ordonne par le tribunal militaire, soutient-il.

    A len croire, ce type dabus est frquent. Ceux quinont pas de proches qui puissent intervenir en leur fa-veur ne peuvent que subir, sinsurge-t-il. Le militantrecommande que Georges saisisse la justice pour obte-nir rparation du prjudice subi en raison dune dten-tion arbitraire.

    Un conseil favorablement accueilli par le pcheur.Jai tout perdu. Mes nasses et ma pirogue ont t vo-les durant mon absence, affirme-t-il. En plus de sesoutils de travail, Georges a galement perdu une pro-prit Bonabri. Si je navais pas t en prison, jau-rais empch la vente du terrain dhabitation que javaisachet, enchane-t-il. Plus que les pertes matrielles,le pcheur qui est pre de 10 enfants, dplore la souf-france endure par sa famille durant sa garde vue etsa dtention prventive. Ma femme a t oblige dequmander pour nourrir nos enfants. Mon fils a dabandonner les tudes 17 ans, faute dargent pour r-

    gler ses frais de scolarit, ressasse Georges.

    AnneMatho

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    Des jeunes de Douala battus pour une poigne de tracts

    Ils ont t jets dans les cellules infectes de la lgionde gendarmerie et de la brigade de Deido-Bonateki Douala, pour avoir distribu des tracts. Battus, cesdix sept jeunes nont t prsents au procureurquaprs plus d'une semaine dincarcration, et remisen libert pour attendre leur jugement

    Il est 18h environ, ce 12 octobre, la nuit commence tomber. Dix sept jeunes sont sortis des cellules du tri-bunal de premire Instance de Douala. A ceux qui sontvenus les chercher, un agent de police dlivre un mes-sage premptoire: "Nous ne voulons pas d'attroupe-ment aux abords du palais. Ils seront librs un un etsi cela n'est pas respect, nous les renverrons en cellule.N'oubliez pas qu'il ne s'agit que d'une libration provi-soire."

    Arrts le 04 octobre, ces dix sept jeunes, dont deuxmineurs, prsentent les marques dune dtentionprouvante : amaigris, les cheveux bouriffs, les dentsjaunies, le regard ple et terne, ils sont vtus de haillonssales, et certains ont les pieds nus."Pendant huit joursd'incarcration dans des mouroirs qualifis de cellules,

    nous n'avons pas pu nous laver, ni nous brosser lesdents, ni manger notre faim. Nous revenons de loin",rsume Tagne, le plus grand du groupe, g d'une tren-taine d'annes.

    Squestration et torturesAlors qu'ils distribuaient des tracts signs de MbouaMassock, homme politique et activiste appelant unmeeting de la Nodyna pour boycotter l'lection prsi-dentielle du 09 octobre, ils ont t pris en chasse pardes gendarmes. "Nous tions sur une route secondaire,loin de la chausse, distribuant notre message qui invi-

    tait les Camerounais un important meeting du com-battant Mboua quand nous avons t interpells",prcise Tagne. Au moment des faits, il a encourag sesamis, dont quelques uns prenaient la fuite, se rendre.Les gendarmes les ont rous de coups et conduits lacompagnie de gendarmerie de Bonabri. Sur ordre, lechef de cette unit les a fait transfrer la lgion degendarmerie du littoral Bonanjo, o ils ont t inter-rogs par des officiers de police. Leurs tracts et leurstee-shirts l'effigie de Mboua Massock ont t retenus.Puis ils ont t jets dans une cellule de 5 mtres carrsavec pour chef d'accusation : troubles l'ordre pu-blic.

    "Les uns couchs sur les autres, nous touffions, lesol tait inond de notre sueur. A 2h du matin l'un d'en-tre nous a commenc suffoquer. Narrivant plus res-pirer, il tait sur le point de mourir. Nous avons cri fort,crant un vacarme assourdissant", explique un mem-bre du groupe.

    Les dix sept ont alors t sortis de leur cellule et,aprs un coup de tlphone du gendarme de service sa hirarchie, treize ont t conduits dans deux cellulesde la brigade de Deido-Bonateki sur les berges duWouri. L aussi, les conditions de dtention sont la-mentables. Les cellules ont certes des toilettes, maispas d'eau. Les dtenus n'en reoivent que quelquesseaux par jour, en fonction de l'humeur des gendarmes,pour chasser leurs excrments. Les gendarmes en fac-tion les insultent et par moment les aspergent d'eau.

    Leurs tlphones ayant t confisqus, ils ne peu-vent pas informer leurs familles. Ils n'auront droit leurpremier repas qu'au deuxime jour de leur incarcra-tion grce un gendarme. "Nous avons suppli ce gen-darme et lui avons pay 700 Fcfa de frais de commissionpour qu'il aille nous acheter de quoi manger ", explique

    Tagne.Au huitime jour de dtention, les dix sept suspects

    ont t prsents au procureur. Un retard que le com-mandant de la brigade de Deido-Bonateki justifie parle droulement de l'lection prsidentielle qui, selon lui,avait mobilis toutes les nergies. Au moment de cetransfert, la brigade de Sodiko, qui na pas particip leur arrestation, est entre dans la danse . Le chefd'accusation a alors chang : ce nest plus troubles lordre public , mais organisation de runion sur laplace publique, obstruction de la voie publique et refusd'obtemprer aux injonctions des forces de l'ordre . Le

    groupe a rejet tout en bloc. Le procureur a dcid derelaxer les deux mineurs et d'inculper les 15 adultes quicomparatront libres.

    Violation des droits des suspectsCette nouvelle affaire constitue une preuve suppl-mentaire de non respect, par les forces de lordre, ducode de procdure pnale camerounais. Celui-ci pros-crit toute atteinte l'intgrit physique ou morale de lapersonne apprhende. Il stipule bien plus en son arti-cle 37 : "Toute personne arrte bnficie de toutes lesfacilits raisonnables en vue d'entrer en contact avec safamille, de constituer un conseil, de rechercher les

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    moyens pour assurer sa dfense, de consulter un m-decin et recevoir des soins mdicaux, et de prendre lesdispositions ncessaires l'effet d'obtenir une cautionou sa mise en libert". Une opportunit qui n'a pas tpermise aux dix sept apprhends qui ont par ailleurst gards vue pendant huit jours avant d'tre pr-sents au procureur.Trs loin des 24 heures, renouvela-bles une seule fois, prvues par la loi.

    "Les violations des droits des citoyens sont devenuesla norme au Cameroun et cela n'meut plus personne",

    regrette Me Ruben Moualal, avocat Douala et conseildes jeunes."Je suis content qu'un procs ait t ouvert

    contre eux, car ce sera pour nous une tribune qui vanous permettre de dnoncer les travers du rgime deYaound et montrer la face du monde le vrai visagede la justice camerounaise", promet l'avocat, qui resteconfiant. Il espre bien que toutes les charges retenuescontre ces jeunes gens seront abandonnes, car infon-des.

    ThodoreTchopaetCharlesNforgang

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    Des tudiants de Yaound battus pour avoir voulu manifester

    Alors quils sapprtaient manifester publiquement,des tudiants ont t violents, arrts et gards vue sans aucune plainte et prsents au procureurqui les a condamns. Or la loi ne punit que les faits,pas les intentions.

    Herv Zouabet, na pas perdu le moral. Cest vrai quemaintenant, je peux tre considr comme un prison-nier en libert, car je risque un an de prison au moindrefaux pas qui me conduirait de nouveau devant les tri-bunaux, mais le combat continue , soutient-il. Prsi-dent de lassociation de dfense des droits destudiants (Addec), il a t condamn, le 31 juillet der-nier, avec trois autres tudiants par le tribunal de pre-mire instance de Mfou un an demprisonnementavec sursis. Il leur tait alors reproch davoir, un moisauparavant, organis une manifestation non-autoriseau nom du collectif Sauvons luniversit de YaoundII . Ces tudiants ont t apprhends avant mme decommencer manifester pour rclamer le dpart durecteur de cette universit reconnu coupable de fautede gestion par le conseil suprieur de lEtat.

    Pas de faitsPour les dfenseurs des droits humains, cest moins leverdict du tribunal que les conditions de larrestation,de la garde vue et de la qualification des faits qui f-chent. Avant que la manifestation projete ait eu lieu,ils ont t kidnapps pour lun et arrts pour les troisautres par le commissaire qui avait t saisi par une let-tre du recteur qui lui demandait de venir assurer la s-curit autour et au sein du campus. Devant leur refusde faire des dclarations,, ce commissaire a maintenuleur garde vue, qui sest prolonge jusqu dimanchesans que le procureur de la Rpublique en soit inform,

    dnonce Me Hyppolite Meli, avocat au barreau du Ca-meroun qui a suivi laffaire de prs.Lhomme de droit soutient que le commissaire est

    un officier de police judiciaire qui agit sous le contrle etsous lautorit du procureur de la Rpublique. Ce der-nier doit tre inform. Ces arrestations sont sans fon-dements car il ny avait pas ni plainte, ni manifestationen cours. Le commissaire sest comport comme si laloi pnale rprimait les intentions : dans son procs ver-bal, il avait qualifi ces faits dincitation la rvolte etatteinte la sret de lEtat pour quau parquet on lesrequalifie en manifestation et runion non dclare. Laloi pnale ne rprime pas les intentions, elle rprime les

    faits concrets, des faits qui peuvent tre rapports par

    une preuve. Or dans ce cas l, il n y en avait pas, ditMe Meli.

    Violences physiquesPar ailleurs, larrestation des tudiants ne sest pas op-re sans heurts. Trois dentre eux seront contraints demonter dans le car de police coups de matraques.Zouankou, lun deux, sera grivement bless au coude. On na tap, ni violent personne. On a demand auxtudiants de nous suivre, deux sont entrs sans pro-blme dans la voiture, cest le troisime qui a opposune rsistance, et puis larticle 30 du code de procdurepnale dans son alina 2 stipule : Lofficier de police ju-diciaire ou lagent de la force de lordre, qui procde larrestation enjoint la personne arrter de le suivre,en cas de refus, fait usage de tout moyen de coercition la rsistance de lintress . Cet article me donnelautorisation de les arrter par la force , justifie loffi-cier de police Akono qui pilotait les arrestations. Lemme code de procdure pnale condamne pourtantla violence au cours des arrestations. Aucune atteintene doit tre porte lintgrit physique ou morale dela personne apprhende , recommande lalina 4 delarticle 30 du code. Rien ne peut justifier la violence,rien du tout. Ils ont t molests. Il sagit dune violencegratuite qui ne peut se justifier par quoi que ce soit ,prcise Me Meli.

    Ramens au commissariat, les tudiants seront en-ferms dans une cellule obscure et puante, couchant mme le sol et devant compter sur leurs proches pourtre nourris. Ils seront prsents au procureur trois joursplus tard et autoriss comparatre libres. Des condi-tions de dtention en contradiction avec les rgles mi-nima pour le traitement des dtenus des Nations Unieset la convention des Nations Unies contre la torture et

    les traitements cruels, inhumains et dgradants rati-fies par le Cameroun. Ce qui fait dire Cyrille RolandeBechon directrice excutive de lONG Nouveaux Droitsde lHomme, quil existe un rel problme dapplica-tion de textes que le Cameroun a lui-mme ratifis .Des sanctions sont rgulirement infliges aux agentsde la police, de la gendarmerie et de ladministrationpnitentiaire responsables de tortures, de violationsdes droits humains et de traitements dgradants surdes citoyens. Ces sanctions (blmes ou rvocations)sont loin de dissuader les forces de lordre qui sont deplus en plus zles .

    BatriceKaze

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    Les agresseurs torturs par les gendarmes de YinguiIls avaient agress des planteurs. Interpells par lesgendarmes, les enfants Yol ont t eux-mmes tor-turs durant 14 jours avant dtre relaxs. Cette es-calade de la violence est courante dans les zonesrurales.

    Les enfants exigeaient que les ouvriers laissent lesplantations de leurs parents et quils rentrent chez eux.Les allognes disaient attendre la fin du contrat signavec le propritaire de la plantation pour lentretien etquil tait trop tt pour leur demander de partir. Il y a eu

    une violente bagarre et des blesss graves. VincentFrancis Bassonog, porte parole des jeunes, na rien ou-bli de la scne qui a mis en moi tout le village deNdogmem, une localit situe 12 Kilomtres de Yinguidans le dpartement du Nkam.

    Ce mercredi du mois de mars 2011, les ouvriersdu dfunt Yol Francis, propritaire de plantations, vien-nent travailler comme d'habitude. Ce ne sera pas pos-sible cette fois. Informs de cette prsence, troisenfants du propritaire accompagns de gros bras met-tent le cap sur la plantation et intiment l'ordre aux ou-vriers de quitter immdiatement les lieux. Surpris, lesouvriers, ressortissants de la rgion du Nord-Ouest,tentent de raisonner leurs vis--vis et mettent en avantle contrat d'entretien sign avec leur pre. Cest lagoutte d'eau qui fait dborder le vase. Les ouvriers sontbastonns devant des villageois impuissants.

    Coups et blessuresAlerts, des lments de la brigade de gendarmerie in-terpellent brutalement les trois enfants pour "coups etblessures". Les gendarmes les frappaient avec desceinturons, des matraques et quand ils taient au sol,les chaussures faisaient le reste. On avait finalementpiti d'eux alors qu'ils avaient tabass des innocents ,se rappelle Vincent Francis Bassonog. Le passage tabac s'est poursuivi dans la cellule o les suspects ont

    pass quatorze jours au mpris du code de proc-dure pnale qui stipule que "le dlai de garde vue nepeut excder quarante huit heures renouvelable unefois." Toutefois, "sur autorisation crite du procureur dela Rpublique, ce dlai peut, titre exceptionnel, trerenouvel deux fois", ajoute le texte. Une garde vueabusive que laquelle la brigade a dcid de mettre fin la place du procureur de la Rpublique.

    Interrog, un officier la brigade se refuse toutcommentaire sur cette affaire quil connat visiblement

    bien. Vous-mme, vous croyez que ce quils ont faittait bien ?, demande t-il, furieux. Selon plusieurs t-moignages, les gendarmes de cette localit torturentquand ils veulent, parfois mme pour le plaisir. JosephModi en a fait l'amre exprience. Accus de complicitde vol dune bouteille de gaz domestique, il y a un an,cet lve a t tortur la brigade de Yingui pendanttrois jours avant d'tre relax pour faits non ta-blis. " Jtais la maison quand je vois arriver un gen-darme moto. Il me demande de monter. Arriv labrigade, il me dit : je te vois calme alors que tu fais des

    coups. Je lui dis que je ne sais pas de quoi il est ques-tion. Il me joint les pieds avant de me taper laidedune machette et des matraques. Javais trs mal. Jene pouvais pas poser la plante du pied au sol. Je mar-chais sur mes orteils. Aprs enqute, il a dit que jentais pas dans le coup , raconte t-il. Avant de le lais-ser partir, le fonctionnaire lui a demand de porterplainte contre son accusateur pour diffamation. Mais,llve a dclin gentiment la suggestion.

    Lenteur des sanctionsSelon Maitre Sterling Minou, avocat au barreau

    du Cameroun, les abus des forces du maintien de lordresont rcurrents dans les zones rurales cause de la len-teur des sanctions. Ces agents agissent par ignoranceet parfois par simple envie de plaire une connaissanceou une amante ou encore en fonction dun probableconflit dintrt. Par dessous, on note une absence desanction rapide et douloureuse pour l'auteur des exac-tions. Si la sanction tombait point, on noterait un netrecul de ces exactions , prcise lavocat. Il ajoute quedu fait de la proximit, "le comportement partial dugendarme l'expose au courroux du suspect". Mais, lesforces du maintien de l'ordre nen ont cure.

    Mues parfois par des intrts gostes, elles profi-tent de cette proximit pour terroriser les populationsrurales et mettre les plus tmraires au pas. Cest ce qui

    est arriv Clment Madjong. En Novembre 2011, cethabitant de Ndoungue, a t tabass par un gendarmeet un militaire alors qu'il rclamait son reliquat uneserveuse de bar. Prsent au procureur de la Rpu-blique aprs cinq jours de garde vue, il a t dclarnon coupable.

    ChristianLocka

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    Achille cumule les peines et les amendes

    Ce dtenu souponne un responsable peniten-tiaire de le retenir pour lobliger rembourser 50000 F, alors que sa contrainte par corps a pris findepuis le 02 mai 2012. Son cas pose aussi la ques-tion du cumul ou du non cumul des peines.

    Voilhuit mois quAchille Nol Kameni, alias Joudjo Vin-cent Marie, court en vain aprs les responsables de laprison de New-Bell pour obtenir son certificat de leve

    dcrou. Le 03 mars 2009, ce pensionnaire de la prisoncentrale de Douala avait tcondamnquatre ans deprison pour vol aggrav. La dcision du tribunal degrande instance du Wouri prcisait que le condamndevrait tre soumis une contrainte par corps de neufmois sil ne payait pas 148. 875 F. Cfa reprsentant lesdpens. Selon Achille, qui affirme avoir tplacsousmandat de dpt le 02 mai 2007, sa peine de quatre ansa expirle 02 mai 2011. Le dtenu a cependant t re-tenu la prison, conformment au code de procdurepnale, pour purger la contrainte par corps de neufmois, qui a expirson tour le 02 fvrier 2012.

    Achille sest alors rendu au greffe du tribunal afin

    dentrer en possession de son certificat de levedcrou. A sa grande surprise, ce document ne lui a past dlivr. Le dtenu est revenu la charge le 21 mars.Mais cest finalement le 28 mars quil apprendra dunagent du greffe que son dossier est bloqucause dunresponsable de la prison. Je me suis aussitt renduchez ce responsable, il ma demandde rdiger une de-mande daudience. Plus de dix fois, jai rempli cette de-mande daudience mais ni ce cadre administratif, ni lergisseur ne mont reu , se plaint-il. Achille Kameni,qui na pas pu soffrir les services dun conseil, a fini parse rsigner et semble dsormais sen remettre la sa-

    gesse de la providence.

    50000F Cfaenplus Achille est maintenu en dtention jusquce jour parun collaborateur du rgisseur, qui estime quil ne va passortir de prison sans lui avoir remboursson argent ,a affirm un dtenu au courant de laffaire. SelonAchille, ce responsable est propritaire dune boutiquedans lenceinte pnitentiaire et il reproche BoscoKamdem, un autre dtenu, davoir orchestr unmanque gagner de 50 000 F Cfa. Le responsable enquestion accuserait Achille, assistant dans la gestion de

    ladite boutique, dtre le complice de Bosco. Si les ac-cusations dAchille venaient tre fondes, cette atti-tude des responsables pnitentiaires serait alorscontraire au code de procdure pnale, qui exige la li-bration immdiate et sans condition de toutcondamndont la peine a expir. Le dtenu reste endtention seulement sil ne peut payer la contrainte parcorps et jusqulexpiration de celle-ci.

    Encore11moisa tirerLe chef du service administratif et financier (Saf) de laprison de New-Bell brandit un extrait du registredcrou qui bat en brche la version du condamn.Daprs lui, Achille Kameni a t condamntrois fois.Ecroupour la premire fois le 29 dcembre 2005 pourfaux document, le prvenu svade le 05 avril 2006, troismois et six jours aprs. Le 23 aot, il est repris, croupour vasion et condamnle mme jour un an de pri-son assortie de la contrainte par corps de 3 mois. Le 17aot 2007, deux mois aprs, Achille est rattrappar laf-faire de faux document, pour laquelle il cope de 3 moisde prison et 3 mois de contrainte par corps. Enfin le 05aot 2007 (et non le 02 mai comme laffirme Achille),moins de deux semaines aprs sa condamnation pourvasion, ce chauffeur gde 35 ans est croupour volaggrav. Cela lui vaut une peine de quatre ans de pri-son.

    Pour le chef Saf, Achille Kameni a omis de prendreen compte toutes ces peines qui, cumules, avoisinent77 mois de prison. Sa libration nest donc pas envisa-geable avant le 17 novembre 2013. Il nen demeure pasmoins que le cas Achille Kameni pose un problme din-terprtation du droit. Pour Me Levi Deffo, avocat aubarreau du Cameroun, les allgations du chef Saf se-

    raient fondes seulement si les peines infliges sont cu-mulatives. Au cas oelles ne le seraient pas (une nou-velle peine annule la prcdente), la raison serait ductdAchille.

    ThodoreTchopa

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    2DETENTIONSET GARDES A VUE ABUSIVES

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    Avez-vous du temps pour mcouter ?

    Cest la question que pose au journaliste Georges Fountong, emprisonn Yabassi. Il crou-

    pit depuis novembre 2009 dans une cellule. Lui, le temps, il le compte : il attend dtre jug

    depuis presque deux ans.

    Les sept inculps de laffaire de dtournement de fonds du Programme international denca-

    drement et dappui aux acteurs du dveloppement (Pid) ont attendu 15 mois avant dtre li-

    brs faute de preuves. Marie Robert Eloundou, le dlgu permanent de cet organisme, y

    laissera sa sant. Son dossier est bloqu la cour dappel, Georges Foutong attend en prison

    dtre jug. Clment Ndoungu, Jacques Dsir Talla Bafoussam, Atangana Mfou crient

    linjustice, dnoncent les mauvais traitements dans les cellules et les lenteurs de la justice.

    Le prolongement des gardes vue et des dtentions provisoires engendrent souvent des

    drames sociaux. Il bafoue les rgles minima concernant la dure des gardes vue et des d-

    tentions provisoires, tablies par les Nations Unies et signes par le gouvernement came-

    rounais.

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    "La libert est le principe, la garde vue lexception"

    Avocat au barreau du Cameroun, Me AntoinePangue explique la notion de garde vue.

    Quest ce que la garde vue ?

    Me Pangue : La garde vue est une mesure de policeen vertu de laquelle une personne est, dans le cas duneenqute prliminaire, en vue de la manifestation de lavrit, retenue dans un local de police judiciaire pourune dure limite et ce, sous la responsabilit dun offi-cier de police judiciaire, la disposition de qui il doit res-ter. On en distingue deux sortes : la garde vueadministrative qui est ordonne par des autorits ad-ministratives dans lexercice de leurs fonctions. Je parleainsi des prfets. Il y a la garde vue judiciaire qui in-tervient dans le cadre des enqutes qui sont ouvertes la suite de la commission dune infraction. Cette garde vue judiciaire est ordonne par les officiers de policejudiciaire.

    Quelles sont les personnes concernes par lagarde vue ?

    Me Pangue : Contrairement ce que lhomme de la ruepense, la garde vue concerne aussi bien les suspects,c'est--dire ceux-l sur qui il y a quelques indices quilaissent croire quils ont particip la commission delinfraction. La garde vue peut galement concernerles tmoins. Lorsquune infraction vient dtre com-mise, il est permis lofficier de police judicaire (Opj) quimne lenqute de donner interdiction ou de faire res-ter sa disposition certaines personnes dont les dcla-rations lui paraissent ncessaires la manifestation de

    la vrit. Donc la garde vue concerne aussi bien lessuspects que les tmoins.

    Tout homme en tenue ne peut ordonner unegarde vue

    Qui est habilit ordonner une garde a vue ?Me Pangue : Ce sont les officiers de police judiciaire quisont comptents pour ordonner des mesures de garde vue. Il est vrai que sur le terrain, nous constatons quecertains hommes en tenue (des policiers, des gen-darmes), qui nont pas la qualit dofficier de police ju-

    diciaire, soctroient le droit, la comptence pour or-donner des gardes vue. Il sagit dans ces cas, de gardes vue abusives, parce que nest pas officier de police ju-dicaire tout homme en tenue. La loi, gnralement, at-tribue la qualit dofficier de police judicaire aux officiersde la gendarmerie, aux gendarmes qui soccupentmme par intrim dune brigade de gendarmerie. Laqualit dofficier de police judicaire appartient gale-ment aux commissaires de police, aux officiers de po-lice, aux gendarmes, certains policiers qui ont subilexamen dofficier de police judicaire et qui ont prtserment. La qualit dofficier de police judicaire appar-tient aussi certains fonctionnaires qui la loi a attribucertaines attributions de police judicaire.

    Quel est le dlai de garde vue?Me Pangue : La libert est le principe, et la garde vueest lexception. La garde vue en principe a une durede 48 heures pouvant tre renouvele une fois. Toute-

    fois, la loi a prvu que le procureur de la Rpublique,peut proroger cette garde deux fois.

    Quelles sont les voies de recours d'une per-sonne victime d'une garde vue abusive?

    Lorsque vous estimez avoir t gard vue abusive-ment, vous avez la possibilit de saisir Monsieur le pro-cureur de la Rpublique parce que tous les officiers depolice judiciaire exercent leurs activits sous la direc-tion de Monsieur le procureur.

    En attendant que la procdure aboutisse, vous

    tes relax ou toujours gard vue?Vous restez en garde vue pour attendre que le Procu-reur de la Rpublique se prononce. Notre code na pasimparti un dlai au procureur pour se prononcer sur unetelle demande. Mais comme cest un fonctionnaireform et qui est allergique la violation des liberts in-dividuelles, quand il est saisi dun cas pareil, il lui ac-corde toute lurgence ncessaire pour solutionner.

    roposrecueillisparChristianLocka

    Entretien avec Me Antoine Pangue :

    2 - Dtentions et gardes vue abusives

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    Les meutiers de 2008 ont purg leur peine Pas EssoboPas de grce prsidentielle pour lui. Arrt etcondamn pour avoir particip aux meutes de lafaim de fvrier 2008, Essobo Andjama purge dixans de prison.

    Pierre Essobo Andjama est encore incarcr la pri-son de Douala pour sa participation aux manifesta-tions dil y a quatre ans, qualifies dmeutes de lafaim. Il avait alors t condamn dix ans de prisonpour pillage en bande, destructions de biens dautrui.

    Entre le 25 et le 28 fvrier 2008, des manifesta-tions contre la vie chre avaient clat au Camerounet staient vite transformes en meutes. Sortispour crier leur ras le bol, de nombreux jeunes avaientsaccag, pill, brl des commerces et des entre-prises, vandalis des difices publics. L'arme taitintervenue farouchement Des milliers de jeunes,dont de nombreux innocents, avaient t interpel-ls. Une centaine, selon la socit civile, tait tom-be sous les balles.

    Seule,uneamnistie

    Interpell prs de trois mois aprs les meutes,Simon-Pierre Essobo Andjama avait t condamn,le 19 janvier 2009, par le tribunal de Grande instancedu Moungo dix ans de prison, et crou la prisonde Nkongsamba. Le 16 dcembre 2009, la Cour dap-pel du Littoral rejetait son appel au motif que sonmmoire navait pas t dpos dans les dlais pres-crits par la loi.

    "Il nexiste pas dalternative pour le cas Essobo, endehors dune amnistie du chef de lEtat. Autrementdit, celui-ci doit blanchir toutes les personnes pour-suivies et condamnes dans le cadre de ces vne-ments qui ne doivent plus tre considrs comme

    des infractions punissables par la loi", plaide, au-jourdhui, Matre Ren Manfo, avocat des coaccussde Essobo qui ont dj tous purg leurs peines danscette affaire. Lavocat stonne cependant de ce quedes Camerounais soient encore crous pour leur im-plication dans ces meutes de fvrier 2008, alors quelles ont t publiquement qualifies de grvede la faim".

    Le prsident Paul Biya avait mme graci, le 20mai 2008, les personnes interpelles. Pour la plupart,elles avaient t condamnes des peines allant detrois mois un an de prison. Cependant, la justiceavait eu la main lourde pour Essobo qui tait par ail-leurs coaccus de Paul Eric Kingue dont le procs atoujours t considr comme "politique".

    LoindesafamilleDans son rapport de 2009 sur le Cameroun, Amnesty

    International avait t tonn par la clrit des pro-cs. "Bien quil faille habituellement des annes lappareil judiciaire camerounais pour traduire lessuspects en justice, au mpris du Code de procdurepnale du pays, des centaines de personnes accu-ses davoir particip aux meutes de fvrier 2008ont t juges dans les quatre semaines qui ont suivileur interpellation pour avoir troubl lordre public etdtruit des biens appartenant des particuliers et ltat."

    Le calvaire de Essobo Andjama, 28 ans et ancienouvrier dans les Plantations du Haut Penja (PHP),

    continue la prison de Douala. Il est log la cellule15 o s'entassent plusieurs dizaines de dtenus.Amaigri, il se remet peu peu d'une tuberculosemais demeure beaucoup moins serein. "Les condi-tions de dtention sont trs difficiles. Ma famille r-side Penja. Elle me rend visite environ une fois partrimestre", affirme-t-il. Ce clibataire souhaite sontransfrement la prison de Mbanga pour y purgerle reste de sa peine. Il sera alors plus proche de sa fa-mille.

    ThodoreTchopa

    Geles dAfrique

  • 5/20/2018 Geles d'Afrique, droits humains en milieu carcral au Cameroun

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    Lancien soldat cumule trente ans de prisonAncien caporal chef de larme camerounaise, Lucien

    Chouna Nguetsin, 37 ans, cumule plus de 30 ans de pri-son. Il demande que sa dtention soit rduite 15 ans,la plus lourde de ses quatre condamnations En vertudu principe de la confusion des peines.

    Je suis encore jeune. Jai envie de rorganiser ma vie. Ilme faut sortir dici. Sjourner trop longtemps en prisonbrise les capacits de vie. Je suis frapp par plusieurscondamnations. Il faut que le principe de la confusion des

    peines soit appliqu afin que je rentre dans mes droits.Lucien Chouna, 37 ans ex caporal chef de larme came-rounaise, multiplie les dmarches pour obtenir la confu-sion des quatre peines prononces contre lui. Dans unpremier jugement du 27 dcembre 2000 rendu par le tri-bunal de premire instance (Tpi) de Foumban, il a tcondamn six mois de prison de ferme pour diffrentesinfractions ; puis il a t dclar coupable de vol par le tri-bunal de grande instance du Noun et a cop de 3 ans deprison ferme ; sa troisime condamnation a t pronon-ce par la Cour dappel de lOuest pour vol aggrav avecport darme , sous (la fausse) identit de Adoum WillAhmed ; enfin, en juillet 2007, le tribunal militaire de Ba-

    foussam la condamn pour vol aggrav, dtentiondeffets militaires et port darmes feu .

    NepascroupirenprisonEn cumulant ses condamnations, Lucien Chouna devraitfaire 30 ans et six mois de prison. Cest inacceptable. Jene saurais passer ma vie en prison. Jai dj introduit plu-sieurs requtes pour confusion des peines. Elles sont res-tes sans suite. Jai crit au procureur de la Rpublique, ilna ni accus rception de ma correspondance, ni ne maappel , se plaint-il. Il me faut les copies des jugementspour faire prvaloir mon droit la confusion des peines,mais les intermdiaires, ici la prison, me demandentbeaucoup dargent pour aller Foumban, la Cour dap-pel et au tribunal militaire de Bafoussam pour les retirer.Tout le monde veut me ranonner, dnonce-t-il.

    Il se plaint, en outre, de la non assistance de sa fa-mille. La majorit des membres de ma famille sont Makary, dans lExtrme-Nord. Mon pouse est dcdeau cours de ma dtention. Jai juste ma grand-mre ma-ternelle qui me porte une assistance limite , se la-mente-t-il. Et les produits de son activit de vannerie,apprise en prison, lui permettent de manger et de sevtir.

    BlocagesprocduriersInterrog sur ce cas, Me Fabien Che explique que le

    mcanisme de la confusion des peines, prvu par le codepnal camerounais, devrait tre dclench une fois leprsident du tribunal saisi de la requte du condamn. Leprocureur de la Rpublique devrait procder aux vrifica-tions ncessaires et veiller ce que cette confusion depeines se fasse conformment la loi. Lorsque la confu-sion des peines est prononce, les peines les moinsgraves sont absorbes par la peine la plus grave. Cette

    possibilit n'existe que pour les crimes et dlits. Ces in-fractions ne doivent pas tre commises en tat de recru-descence ou de rcidive. Si la juridiction saisieultrieurement ne sait pas qu'il y a une condamnation quin'est pas dfinitive, le tribunal va souvent condamnersans ordonner la confusion. L'individu en prison pourraalors prsenter une requte en vue den bnficier. Laconfusion des peines doit tre distingue du cumul pla-fonn des peines , prcise-t-il.

    Quid des blocages et lenteurs administratives ? Seloncertains dtenus se trouvant dans des situations simi-laires, toutes dmarches entreprises en vue de la confu-sion de leurs peines ont t bloques, lpoque, par

    Minkala Minkala, alors greffier de la prison centrale deBafoussam. Le refus de permission aux condamns faitaussi partie des griefs formuls contre les responsablesdu pnitencier. Pour le moindre dossier, on exige devous des frais de taxi et de fouille qui peuvent parfoisslever 10.000 ou 30.000 Fcfa, selon que votre dos-sier se trouve dans un tribunal de la ville ou dans une ju-ridiction extrieure, indique un dtenu ayant requislanonymat. Interrog, Thodore Ngoudjou, le greffier dela prison, rfute les accusations de monnayage . Pourlui, il faut tre suffisamment vigilant et examiner minu-tieusement les demandes de permission formules parles prisonniers. Surtout lorsquils ont un dossier discipli-naire satur. Selon lui, lexigence de scurit doit en toutcas prvaloir.

    Serge Frderic Mboumegne, juriste et militant pour lapromotion des droits de lHomme, rfute cette excuse.On ne saurait permettre des violations aux droits hu-mains par simple souci de scurit. Les exigences de s-curit ne peuvent limiter les droits humains quisimposent tous. Des poursuites peuvent tre engagespour abus de fonction tel que prvu larticle 140 du codepnal.

    GuyModesteDzudie

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    Trois ans de prison sans jugement pour Georges

    Georges Fountong, incarcr la prison principale deYabassi depuis novembre 2009, na toujours pas com-

    paru devant un tribunal. Son dossier est retenu lacour dappel du Littoral.

    Chaque fois quil change avec dautres dtenus, ilse montre serein. Mais le sourire permanent quar-bore Georges Fountong dissimule un chagrin. Cestvrai que cest une bonne prison, mais mon problmeest trs compliqu. Avez-vous du temps pourmcouter ? , demande-t-il dun air soucieux.

    Ce problme qui fait de Georges un dtenu ex-ceptionnel la prison principale de Yabassi remonte courant 2009 : Je travaillais dans une caisse coo-prative. Mon directeur et le conseil dadministrationfaisaient des retraits fictifs de largent des par-gnants. Je navais que quelques mois dexpriencedans lentreprise. Ils ont profit de ma navet pourme faire dposer les signatures des bons et ils de-mandaient de largent de temps en temps. Lorsquela caisse cooprative na pas pu rpondre aux at-tentes des clients, il y a eu un contrle inopin et tout

    a t dmasqu , raconte-t-il.Incarcr la prison principale de Yabassi depuis

    le 18 novembre 2009 pour faux en criture prive,Georges na jamais comparu devant une juridictionde jugement aprs plus de vingt et un mois de d-tention provisoire. Pourtant, dans son article 221, lecode de procdure pnale stipule que la dure de ladtention provisoire ne peut excder six mois. Tou-tefois, elle peut tre proroge par ordonnance moti-ve au plus pour douze mois en cas de crime et sixmois en cas de dlit.

    LesautoritsembarrassesLa situation dans laquelle se trouve ce jeune dtenude 22 ans provoque stupeur et indignation parmi sespairs. Elle embarrasse mme les autorits judiciairesde la localit. Nous avons rcemment reu le subs-titut du procureur de la Rpublique prs les tribunauxde Yabassi qui sest montr proccup du cas de cedtenu. Nous lui avons dit que nous attendons tousque son dossier qui se trouve actuellement la courdappel du Littoral arrive Yabassi pour quil soitjug , explique Romuald Ngalani, rgisseur de la pri-son principale de Yabassi. En attendant, il y a

    quelques mois, ladministration de la prison a fait deGeorges le nouveau chef de camp . Depuis lors, ilgre les problmes entre dtenus adultes et porteles dolances de ces derniers auprs de ladministra-tion. Mais, ces nouvelles fonctions ont peu deffet surle moral de ce dtenu qui, comme les membres desa famille et certains co-dtenus, se pose des tas dequestions sur son sort. Jtais poursuivi avec le Di-recteur de la cooprative mais je ne comprends pas

    comment il a pu schapper, sinterroge-t-il.Dans le cadre de linformation judiciaire, quandle juge dinstruction rend une ordonnance de non lieu lencontre dun ou de tous les coaccuss, le Procu-reur de la Rpublique ou le plaignant peut attaquercette dcision du juge dinstruction devant la cham-bre de contrle et de linstruction de la cour dappel,explique Maitre Antoine Pangue, avocat au barreaudu Cameroun. Si le non lieu concerne un seul desaccuss, cet appel peut retarder lissue de la proc-dure des co-accuss. La chambre pourra renvoyer ledossier devant une juridiction de jugement . Le dos-sier est toujours retenu sans raison valable la cour

    dappel du Littoral. Georges ne dispose de moyensfinanciers suffisants pour sattacher les services dunavocat pour enquter et se dfendre. En attendantcelle des hommes, le chef de camp se remet au quo-tidien la justice divine.

    ChristianLocka

    Geles dAfrique

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    Malgrla grce prsidentielle, ils restent en prison

    Le dcret prsidentiel graciant les dtenus a priseffet un mois aprs sa signature. En outre, des dete-nus, pourtant concerns par cette libration restent

    en prison pour non paiement de la contrainte parcorps.

    La prison centrale de Douala affiche fire allure ce jeudi1er dcembre 2011. Dans la cour de ce pnitencier, deuxtentes sont dresses, des chaises y sont alignes, la fan-

    fare apprte ses instruments de musique. Masss dansun coin de la cour, les dtenus observent. A 12h30, leprocureur prs le tribunal de grande instance du Wou-ri, ceux des tribunaux de premire instance de Bonan-jo et Ndokoti, le dlgu rgional pour le Littoral delAdministration pnitentiaire, le rgisseur et quelquesautorits administratives arrivent. La crmonie de li-bration des condamns dfinitifs peut commencer. Ilsont t gracis par le dcret prsidentiel No 2011/361du 03 novembre 2011, portant commutation et remisedes peines des dtenus. Signdepuis le 03 novembre,ce nest que ce jeudi 1er dcembre 2011, soit 28 joursaprs sa signature, que ce dcret prsidentiel entre en

    application.

    Trois

    qu rts

    restent

    Un seul jour de plus passen dtention est un jourde trop. Pour expliquer les lenteurs administratives, onbrandit largument selon lequel il fallait faire le recen-sement pour tablir ltat du dossier. Mais, cela devraittre ralisau jour le jour. Le Prsident de la Rpubliquene surprend personne. On sait quil accorde des grces,au moment des lections prsidentielles. Il suffit de te-nir une liste des dtenus qui peuvent en bnficier. Desgens peuvent perdre leur vie pour un seul jour de dten-

    tion , fustige Me RenManfo. Je suis en prison depuis 2007. Cest avec joie que je

    quitte ce milieu. Je vais me rinsrer dans la socitetjespre ne pas remettre les pieds en prison , se rjouitTakokMekui Paterson Ll. Lui, il sort, mais certainsparmi les 461 bnficiaires de cette remise de peine nefranchiront pas les portes de la prison. 107 dtenustoute catgorie confondue seront immdiatementremis en libert; 104 autres resteront pour non paie-ment de la contrainte par corps ; 210 seront gale-ment retenus parce quil leur reste encore un quantumde peines excuter en plus de la contrainte par corps

    quils devront payer , explique Engongang Mint-sang, rgisseur de la prison centrale de Douala. Rsul-tat : sur les 461 dtenus gracis, 354 resteront encoreen prison pour non paiement de la contrainte parcorps .

    asdequoipayerCette mesure ne va pas amliorer les conditions de

    dtention des dtenus, ni promouvoir les droits hu-

    mains en milieu carcral , comme devait le regretterle rgisseur. Construite pour une capacitde 800 places,la prison de Douala abrite, aujourdhui, 2 603 dtenusdont 722 dfinitivement condamns, et 1 881 autres enattente de jugement.

    Dans cette affaire de contrainte par corps , MeRenManfo parle de violation de lesprit mme du d-cret et de la loi. Ce dcret est bassur une ancienne loiquil faudrait rexaminer afin de faire bnficier dunelibration immdiate les dtenus condamns par lacontrainte par corps. Comment ceux qui nont pas defamille vont-ils faire pour payer cette contrainte ? ,

    sinterroge lavocat. Il explique par ailleurs que lon aperdu de vue les dispositions lgales du code deprocdure pnale (Cpp) qui font que la contrainte parcorps est devenue automatique lorsquon estcondamnaux dpens. Cest une violation lgale desdroits des liberts parce que le texte rgissant la remisedes peines na pas prvu les dispositions du Cpp qui, audpart, faisaient prvaloir la prsomption dinnocence.Avec lapplication immdiate de la contrainte par corps,on en revient la prsomption de culpabilit, conclutlavocat.

    BlaiseDjouokep

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    Robert et ses amis font quinze mois de prison pour rien

    Les sept inculps dans laffaire du Programme inter-national dencadrement et dappui aux acteurs du d-veloppement (Pid) ont t librs, le 16 aot dernier.Marie Robert Eloundou, ancien reprsentant rsi-dent de ce Pid, et ses co-inculps ont bnfici dunnon-lieu, aprs quinze mois de prison. Le dossiertait vide.

    Cest en homme libre que lancien reprsentant rsi-dent du Pid a franchi les portes de la prison de Kon-

    dengui, le 16 aot 2012, Yaound. Son calvairedbute au lendemain de son interpellation suivie detrois semaines de dtention et de torture dans les cel-lules de la DGRE (Direction gnrale la recherche ex-trieure), une unit des services spciaux.

    Tantt accus de dtournement de lpargne pu-blique dun montant de quatre milliards de Fcfa, tan-tt de complicit de dtournement, il est transfrdans les locaux de la Police judiciaire et du commissa-riat central N1 de Yaound. Au cours de ses multiplespoints de presse, le ministre de la Communication,Issa Tchiroma Bakary, dira que les sept personnes in-

    culpes dans laffaire Pid sont sous le coup de deuxchefs dinculpation : escroquerie et escroquerie ag-grave en coaction.

    ss in peruSans doute clipse par lactualit politico-judiciaireconcernant laffaire de lavion prsidentiel, le fait estquasiment pass inaperu. Cest pourtant le bouclagede quinze mois dinformation judiciaire dun dossierretentissant sur le plan social qui a eu lieu en aot der-nier. Le 10, le juge dinstruction David Donhou a renduune ordonnance de non lieu partiel et de renvoi de-

    vant le tribunal de grande instance du Mfoundi, danscette affaire du Pid, dont lobjectif tait de pourvoir lencadrement et lappui financier des acteurs du sec-teur informel. Le 13, le tribunal de grande instance duMfoundi a prononc le non-lieu en faveur des co-in-culps dont Marie Robert Eloundou et Martin Biwole,lex-prsident du comit de gestion de la restructura-tion du Pid, inculp en dpit de sa relaxe par le jugedinstruction aprs son arrestation par la DGRE, le 22avril 2011.

    Interrog, Etienne Leke Som, de la Ligue camerou-naise des droits de lHomme (LCDH), estime cette si-

    tuation inadmissible. Dautant plus que le code de pro-cdure pnale fait de linterpellation et de la mise endtention provisoire, une exception. Tant que les per-sonnes mises en cause dans les dossiers peuvent trelocalises et identifies, il vaut mieux ne pas les inter-peller, ni les garder vue pendant longtemps. De cepoint de vue, la loi a t gravement viole. Raisonpour laquelle la Ligue camerounaise des droits delhomme envisage dadresser une correspondanceaux autorits judiciaires camerounaises pour les sen-sibiliser sur cette drive.

    Tr itementsdgr d nts Drive aussi dans les traitements infligs aux dtenus.Marie Robert Eloundou raconte son arrestation spec-taculaire un dimanche davril 2011 par un commandodune dizaine dhommes de la DGRE placs sous lecommandement dun colonel. Arme braque surmoi, le colonel a dclar appliquer les ordres du prsi-dent de la Rpublique. Ma garde vue a t marquepar dinterminables heures dauditions, des humilia-tions comme des promenades en petite tenue, des fla-

    gellations et autres voies de faits.Le 13 mai 2011 le dtenu est transfr de la Police

    judiciaire au commissariat central N1, puis la prisoncentrale de Kondengui. Jy ai subi des traitementsdgradants. Jai t dnud par les gardiens de prisonet plac en isolement complet au quartier 13 bis. Pen-dant des semaines, la porte de ma cellule va se fermer 18h pour ne se rouvrir qu 11h le lendemain, ra-conte-t-il. Dans cette prison, seuls les condamns mort sont soumis un tel rgime.

    Ces conditions dincarcration vont affecter lasant du dtenu qui souffre des yeux, au point de n-

    cessiter une intervention chirurgicale ds sa sortie le16 aot 2012. Alors que ma vue se dtriorait et queles responsables de la prison taient au courant, jtaispriv de soins, affirme-t-il. Il attendra six mois avantde voir un ophtalmologue et ne bnficiera daucunsuivi mdical rgulier.

    Au cours de ses derniers moments de dtention,pour se rendre lhpital, Marie Robert Eloundou taitencore soumis aux escortes militarises, avec armesau poing.

    LgerNtiga

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    En conflit avec une ministre, Atangana croupit au cachotLa gendarmerie de Mfou retient Atangana Ndou-bena dans ses cellules, depuis plus de trente jours.Une violation flagrante de la loi, tolre suite un

    conflit de terre entre le prvenu et la ministre dl-gue au ministre de lAgriculture, indiquent dessources concordantes.

    Atangana Ndoubena est assis mme le sol dans lacour de la compagnie de gendarmerie de Mfou, une vingtaine de kilomtres de Yaound. Ce mer-credi 18 juillet est son trentime jour de garde vuedans cette unit de la gendarmerie nationale. Il y estretenu depuis le 18 juin 2012.

    On lui a permis den sortir pour discuter avecquelques membres de sa famille, visiblement proccu-ps. Parmi eux, son pouse, qui a les traits tirs par lafatigue, due aux multiples va et vient quelle fait entreYaound et Mfou, pour lui apporter sa ration alimen-taire ainsi que ses mdicaments. Atangana Ndoubenane profitera pas trs longtemps de ce moment de com-munion avec sa famille, cest dj lheure de retournerdans sa cellule.

    lainteoupas?

    Le nouveau commandant de la compagnie de Mfou,qui nous reoit, vient de prendre le service, la fa-veur des dernires nominations au ministre de laDfense. Ce jeune capitaine est en poste depuis ledbut de la semaine, et avoue son incapacit nousfournir des informations. Tout juste, nous indique-t-il, quil sagit dune garde vue administrative. Cestson prdcesseur, mut dans la rgion de lEst, qui aouvert ce dossier. " On a dit mon pre quuneplainte avait t dpose contre lui. Il a insist pourquon la lui montre. Cela na jamais t fait", regretteLucien Okala, le fils de M. Atangana.

    Mais, selon plusieurs sources concordantes, cette ar-

    restation aurait t excute la demande de la minis-tre dlgue au ministre de lAgriculture, MmeClmentine Ananga Messina, avec qui Atangana Ndou-bena a une brouille dans une transaction de vente deterrain. Ce cas a mu le prsident du Mouvement sansfrontires de dfense des droits de lHomme dont le bu-reau est Mfou. Jean Didier Mbida Ndounda, anciensous-prfet, raconte quil en a t inform par un huis-sier de justice. "Approchez-vous du prfet qui a sign lagarde--vue", nous lche-t-il dans un premier temps.Avant de se rsoudre en dire plus.

    ll raconte alors sa msaventure la compagnie degendarmerie de Mfou. "Informs de lincarcration

    dAtangana Ndoubena, le directeur du personnel, la tr-sorire adjointe du Mouvement et moi-mme sommesalls la compagnie de gendarmerie de Mfou le 16 juil-let. Nous avons obtenu lextraction du gard--vue.Pendant que nous discutions, lex-commandant de lacompagnie a surgi, en colre, soffusquant de ce quungard vue soit extrait de sa cellule. Il nous a ordonnde sortir de la compagnie. La trsorire adjointe, quimaccompagnait, a rappel que la compagnie de gen-darmerie tait un service public. Aussitt, des gen-darmes, qui voulaient rcuprer les notes de notre

    entretien avec Atangana Ndoubena, lont brutalis. aa provoqu un attroupement".

    Furieux, Jean Didier Mbida Ndounda promet de don-ner une suite cet acte de violence contre sa collabo-ratrice. Il a adress au prfet de la Mefou et Afamba unrapport sur cet incident quil juge grave et prpare unecorrespondance similaire pour le commandant de la l-gion de gendarmerie du Centre.

    Lagarde vueenquestionComment savoir si lescroquerie foncire et la dou-ble vente de terrain , motifs qui seraient contenusdans la plainte contre Atangana, peuvent justifier

    une garde--vue administrative ? A la prfecture dela Mefou et Afamba, les services nous indiquent quele prfet, susceptible de rpondre notre question,est en mission Akonolinga, pour une runion r-gionale.

    La garde vue administrative fait justement dbat.Les autorits sappuient sur la loi du 19 dcembre 1990sur le maintien de lordre, qui permet un gouverneurou un prfet dordonner la dtention administrative,pour quinze jours renouvelables, de personnes dans lebut de maintenir ou restaurer lordre public, et dans lecadre de la lutte contre le grand banditisme. Me Ster-ling Minou, dans un article de Jade en novembre 2011,faisait une analyse diffrente : "() Larticle 746 (1) ducode de procdure pnale a tout tranch en stipulantque sont abroges toutes dispositions antrieures [laloi du 19 dcembre 1990 sur le maintien de lordre, ndlr]contraires la prsente loi. Larticle 2 prcisant que ledit code est d'application gnrale sous rserve de cer-taines dispositions prvues par le Code de Justice Mili-taire ou des textes particuliers".

    Mercredi soir, 18 juillet, Atangana Ndoubena a passune nouvelle nuit dans les cellules de la compagnie degendarmerie de Mfou.

    ClaudeTadjon

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    Le calvaire de Jacques Dsir dans une cellule puantede Bafoussam

    Jacques Dsir Talla a pass huit jours de garde vuedans les cellules du commissariat central de Bafous-sam. Deux fois plus que prvu par la loi. Il dnonce lacorruption et les mauvaises conditions de dtention.

    Ce nest pas la premire fois que des citoyens appr-hends dnoncent les conditions de leur garde vuedans certains commissariats du Cameroun. Le 26 d-

    cembre prochain, Jacques Dsir Talla fera sallongerla longue liste des plaintes pour abus devant le tri-bunal de premire instance (Tpi) de Bafoussam. Cetaviculteur comparatra libre aprs avoir pass huitjours dans les cellules puantes du commissariat descurit publique de cette ville pour "une affaire desentiments". Laccus pointe un doigt accusateur surson ancienne compagne et un directeur de socit qui auraient soudoy les policiers pour le torturer . Pendant que jtais en cellule, mes geliers multi-pliaient les rencontres avec mes accusateurs afin deprolonger ma garde vue. Aprs plusieurs auditions,

    jai t finalement inculp pour trouble de jouis-sance, coups et blessures lgres , prcise-t-il.

    RecourspossiblesArrt sans sommation et sans avoir reu auparavantla moindre plainte, laviculteur a d abandonner sonlevage. Dans cette affaire, aucune des rgles concer-nant la garde vue na t respecte, et surtout passon prolongement qui naurait pas d excder les qua-rante huit heures prvues dans larticle 119 du code deprocdure pnale.

    Pour Aim Thodore Nganteu, militant de Actioncitoyenne, une organisation de dfense des droits delHomme et des droits civiques, Jacques Dsir Talla

    a t victime dune garde vue illgale. Il devrait tra-duire devant les tribunaux lofficier de police judiciaireresponsable de ces abus comme le prvoit larticle 236du code de procdure pnale". Il ajoute que lavicul-teur, sil obtient un non-lieu ou sil est acquitt, pourraobtenir une indemnit pour prjudice d'une gravitparticulire .

    CellulessanstoilettesComme un grand nombre de gards vue dans lesprisons du Cameroun, Jacques-Dsira Talla se plaint de la corruption des forces de maintien de l'ordrepar des plaignants argents. Des policiers violentainsi systmatiquement les droits des suspects qu'ilsconservent dans les cellules au-del des dlais pr-vus par les textes, en tronquant leurs procs verbauxd'audition .

    Outre ce prjudice moral, les dtenus subissent desconditions physiques de dtention indignes des droitshumains les plus lmentaires. A Bafoussam, les cel-

    lules du commissariat central nont pas de toi-lettes. "Les urines et les selles collectes sont misesdans un seau et transportes, le matin, vers les toi-lettes externes. On nous autorise faire nos besoinsqu'une seule fois par jour. Lvacuation tardive des ex-crments provoque lempuantissement des cellules",se souvient Jacques Dsir Talla. Les prisonniers dor-ment mme le sol alors que les plus aiss et ceuxsoutenus par des proches corrompent les policierspour sinstaller sous le comptoir de lentre. Un bien-tre prcaire mais qui vaut son pesant de billets demille.

    GuyModesteDzudie

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    Les huit mois denfer de Clmentchez les gendarmes dEbon

    Il est devenu un hros malgr lui. Clment Madjong,35 ans, suscite encore des commentaires dans le petitvillage de Ndoungu, 13 kilomtres de la ville deNkongsamba. Le souvenir de son arrestation, le 16novembre 2011, et son incarcration Ebon lehante encore.

    Cette date est reste grave dans ma mmoire,

    tout comme les dtails des traitements inhumainsinfligs par les gendarmes de la brigade dEbon ,fait-il remarquer. Ce jour-l, en croire des tmoi-gnages concordants, il sest rendu dans un dbit deboissons pour rcuprer le reliquat de la somme de10 000 F quil avait laiss au vendeur. Sensuiventalors des clats de voix avec ce dernier qui linformequune de ses connaissances est passe prendre unebire son compte. Clment refuse de reconnatrecette dette. Un gendarme qui sirotait sa bire lui de-mande de se taire. Face son peu dempressementdobtemprer, il est empoign par ce dernier qui

    tient le mettre hors de la boutique. Le gendarmeest alors rejoint par un militaire. Les deux fonction-naires tiennent lui imposer la dictature de lauto-rit.

    UnevoledecoupsLa situation va trs vite dgnrer sous les yeux denombreux curieux apeurs. Les hommes en tenue luidchirent les vtements. Seul son short chappe enpartie au ravage. Clment est jet terre, le corpscras par les chaussures militaires. Un taximan depassage rappelle lordre les bidasses qui lchentprise et font appel au commandant de la brigadedEbone, leur chef. Arriv sur les lieux, le comman-dant pointe son arme sur la victime, menaant delliminer avant de le menotter et de le jeter dansson vhicule pour lemmener la brigade.

    Arriv sur les lieux, toujours menott, il est jet encellule malgr ses efforts pour expliquer les faits. Ilnest entendu que le lendemain. Aprs avoir lu leprocs verbal, jai refus de signer, car ctait tout le

    contraire de ma version des faits. Il y tait crit quejavais agress un gendarme aprs avoir soutir delargent dans la poche dun certain Tour. Jai tremis en cellule. Jy ai pass les trois premiers joursde dtention sans le moindre repas, interdit de visiteet devais me dbrouiller pour utiliser les toilettes,explique Clment Madjong qui va y demeurer en toutcinq jours, toujours menott, avant son transfert de-

    vant le procureur. En violation des rgles minima dedtention des Nations unies et du code de procdurepnale (CPP) qui interdisent lutilisation de la vio-lence, les traitements inhumains et dgradants. Lecode limite par ailleurs la dure de garde vue auplus 48 heures renouvelables une fois.

    LibrhuitmoisaprsPrsent devant le procureur, Clment Madjong varpter sa version des faits. Un tmoin de la scnedu 16 novembre fera aussi sa dposition dans cesens. Aprs quelques tergiversations, le procureur va

    linculper avec la possibilit de comparatre libre. Lescontradicteurs de Clment ne se prsenteront jamaisau tribunal pour justifier les charges de vol, ivressemanifeste, et outrage fonctionnaire mentionnesdans le procs verbal pendant toute la dure du pro-cs. Aprs de multiples renvois, il est dclar noncoupable le 17 juin 2012.

    Le commandant Ebou, concern, soutient avoirfait son travail et maintient les charges de vol, ivressemanifeste, et outrage fonctionnaire retenues pen-dant lenqute prliminaire dans ses services. Il r-fute par ailleurs les accusations de tortures, detraitements inhumains et dgradants infligs la vic-time. Informs de ce que Clment Madjong a t d-clar non coupable, il dclare : A notre niveau, nousavons fait notre devoir, la justice a fait le sien.

    Clment a eu de la chance, combien de victimesde fonctionnaires zls sen tirent ainsi boncompte ?

    CharlesNforgang

    2 - Dtentions et gardes vue abusives

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  • 5/20/2018 Geles d'Afrique, droits humains en milieu carcral au Cameroun

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    Deux opposants politiques emprisonns dix jours Douala

    Les deux fondateurs de la Nouvelle dynamique na-tionaliste africaine (Nodyna) ont subi dix jours degarde vue Pour avoir distribu des tracts en fa-veur des mototaxis, interdits de circulation danscertains quartiers !

    17h52, ce 21 juin 2012. Chemise et culotte rouges,bonnet tricolore et brassard noir sur le bras gauche,Camille Mboua Massock sort souriant de la cellule du

    Tribunal de Premire Instance de Bonanjo-Douala. Ilest accompagn de Daniel Yon. Les deux camaradessont librs aprs avoir pass dix jours de garde vue la brigade de gendarmerie territoriale de Bonanjodans des conditions inhumaines. On nous a de-mand dentrer en slip dans la cellule. Plus tard, nousavons t autoriss nous habiller. Pendant tous cesjours, nous dormions sur un sol dnud , raconte, lavoix grave, Mboua Massok qui venait de recevoir lesoutien de lartiste musicien Lapiro de Mbanga, undfenseur des droits de lHomme.

    asd'argentpoursedfendreAccuss d avoir empch le respect des lois de laRpublique, le prsident de la Nouvelle dynamiquenationaliste africaine (Nodyna), un parti de lopposi-tion camerounaise, et son camarade vont compara-tre libres pour se dfendre devant le tribunal. Mais,cet autre combat judiciaire pourrait tre de courtedure cause des difficults financires du parti.Nous navons pas assez dargent pour nous attacherles services dun avocat , regrette Aicha Eheg, res-ponsable de la communication. Nous avons mmecontact des avocats qui dfendent les droits de

    lHomme mais aucun n'a encore manifest son int-rt pour notre dossier", ajoute-t-elle.Malgr ce handicap, Camille Mboua Massok qui

    est coutumier des interpellations, se montre tou-jours aussi pugnace. "Vous voyez ma peau, elle estdure cuire. Je ne baisserai pas les bras devant ce r-gime", lance t-il en caressant sa moustache blanch-tre. En fvrier 2011, cet opposant au rgime avaitappel manifester contre les "carences notoires"dans le fonctionnement des institutions. Arrt parles Forces de l'ordre avec un de ses partisans, il avaitt relax aprs dix heures de garde vue.Cette fois encore, toujours en compagnie de ses ca-

    marades, il distribuait, le 11 juin dernier sur les ar-tres de la capitale conomique, des tracts de sou-tien aux conducteurs de mototaxis interdits decirculation dans certains quartiers de la ville comp-ter du 12 juin. Une mesure, prsente par les autori-ts administratives comme un dbut dapplicationdu dcret du Premier ministre portant rglementa-tion de lactivit de motocycles titre onreux.

    Sur ces tracts, on pouvait lire : Aux bendskineurs

    (moto taximen, Ndlr), mon total soutien. Rsistancejusquau but. Ainsi est justifi mon combat sociopo-litique. Pour en faire un camp fort, toujours je meplace ct des faibles et des affaiblis. Voil pour-quoi est total mon soutien pour les plus exposset,en ce moment, en faveur des bendskineurs, ds-ormais prsents comme tant des handicaps lamise en uvre des grandes ambitions par ces vo-leurs de la fortune publique, arrogants fossoyeurs dela justice sociale et de la paix des curs au Came-roun.

    Garde vueabusiveIl nen fallait pas plus pour que Mboua Massok et Da-niel Yon, cofondateur du parti, soient interpells lasalle des ftes d'Akwa par des policiers. Conduitsdans un premier temps la brigade territorialed'Akwa sud, les deux militants seront ensuite trans-frs puis gards vue dans les cellules la brigadeterritoriale de Bonanjo pendant dix jours. Ce qui estcontraire la loi.

    En son arti

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