creation d’une marque sportive · 2015-10-14 · » (jean-noel kapferer, 2014) c’est le constat...
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LES APPORTS DU CULTURAL
BRANDING DANS LA
CREATION D’UNE MARQUE
SPORTIVE Le cas de l’aviron
Marc-Antoine LAJUS marcantoine-lajus@edu.em-lyon.com
Sujet du PFE Développer une stratégie de marque basée sur une approche culturelle dans le cas d’une
marque sportive d’aviron
1
Table des matières Abstract ................................................................................................................................................... 3
Introduction ............................................................................................................................................ 4
Partie 1 : Revue de littérature ................................................................................................................ 8
Vers une « maturité » de marque : de la marque-produit au capital-marque (Michon, 2000) .......... 8
Les limites du concept de l’identité de marque .................................................................................. 9
Nos souvenirs sont des histoires (Zaltman, 2003) ............................................................................ 10
Le processus de construction identitaire .......................................................................................... 12
La marque comme narrateur culturel qui délivre de la valeur identitaire en adressant une tension
collective (Holt, 2004) ....................................................................................................................... 14
Comment les consommateurs utilisent les mythes délivrés par les marques ? ............................... 18
Intérêt et limite des travaux de Holt sur le Cultural Branding .......................................................... 19
La quête d’authenticité ..................................................................................................................... 20
L’authenticité est le résultat d’un jugement porté par l’individu (Beverland, Farrelly 2010) .......... 20
Comment les marques peuvent-elles développer une voix authentique ? (Gilmore & Pine, 2007) 22
Les marques doivent permettre aux individus de se réenraciner dans leurs milieux ....................... 23
Conclusion de la revue de littérature ................................................................................................ 24
Partie 2 : Objet, problématique de recherche et intérêt .................................................................... 25
Partie 3 : Méthodologie de l’étude terrain .......................................................................................... 26
Partie 4 : Analyses de la culture sportive aviron et interprétations sur la manière de communiquer
une culture sportive.............................................................................................................................. 27
1° Précisions notionnelles ................................................................................................................. 27
2° Quelques mots sur l’aviron ........................................................................................................... 28
3° Déterminer la culture sportive de l’aviron : analyse du discours des rameurs du club de Melun 29
4° Communiquer une culture sportive, le cas de The North Face et Salomon ................................. 39
Partie 5 : Implications pour la marque Crew Line et pour les marques de manière plus générale ... 41
La double complexité du produit sportif (Clark et Fujimoto, 1991) .................................................. 41
Rapide panorama de la consommation des produits sportifs .......................................................... 42
2 modèles de diffusion des biens sportifs : marketing de la distinction et marketing des cultures
authentiques du sport (Ohl, Taks, 2008) ........................................................................................... 43
Nike vs Adidas : 2 stratégies de marque radicalement opposées ..................................................... 43
Le contexte de l’entreprise Crew Line ............................................................................................... 45
Composer le mythe identitaire de la marque Crew Line .................................................................. 45
1° Déterminer le myth market de Crew Line ............................................................................... 46
2° Le mythe de l’intérêt collectif surpassant les différences individuelles ................................. 48
3° Les codes culturels de Crew Line reprennent ceux de la culture aviron ................................ 50
2
4° Développer une narration authentique de marque ................................................................ 51
4bis° Le style de vie Crew Line...................................................................................................... 53
5° Les segments « technique » et « lifestyle » ............................................................................. 54
6° Mediums de communication pour exprimer le mythe identitaire de Crew Line ................... 55
Intérêt et limites de ces recommandations ...................................................................................... 56
Plus largement, implications pour les marques ................................................................................ 57
Conclusion ............................................................................................................................................. 58
Bibliographie.......................................................................................................................................... 61
Annexe 1 : Profils des personnes interrogées ....................................................................................... 63
Annexe 2 : Transcrit des entretiens réalisés ......................................................................................... 64
Annexe 3 : Liste des principaux sites internet et vidéos en ligne consultées ....................................... 80
Annexe 4 : Observations photographiques lors de la phase terrain au Cercle Nautique de Melun ..... 81
3
Abstract Dans la lignée des études menées par les chercheurs en socialcultural branding, les récents travaux de
Douglas Holt sur l’approche culturelle des marques viennent questionner les grands principes
marketing inventés durant les années 70 et théorisés par David Aaker. Dans nos sociétés post-
modernes, la consommation est devenue un levier incontournable dans le processus de construction
identitaire des individus. Les consommateurs sont des « bricoleurs » créatifs qui s’inspirent des
histoires racontées par les marques pour construire leur propre personnalité. Dans le domaine sportif,
Nike s’est distingué de son rival Adidas en développant une histoire de marque centrée autour d’une
idéologie porteuse (la force de la volonté individuelle) et racontée avec des codes culturels pertinents
(la communauté noire-américaine en lutte contre les discriminations). Raconté de manière
authentique, cette histoire est devenue un mythe identitaire pour de nombreux consommateurs qui y
ont vu une métaphore de leurs difficultés personnelles vécues dans leur vie quotidienne. A travers ce
Projet de Fin d’Etude (PFE), nous montrons comment une marque sportive peut réussir à s’imposer
sur son marché en développant un mythe identitaire dont l’authenticité repose sur son ancrage à une
culture sportive existante. Nous montrons, dans le cas de l’aviron, les étapes nécessaires dans la
constitution d’un mythe identitaire de marque et notamment l’importance de la phase d’analyse de la
culture sportive aviron afin d’identifier les codes culturels pertinents qui donneront un caractère
authentique aux éléments narratifs développés par la marque. L’intérêt de ce PFE est de faire le pont
entre les principes théoriques du Cultural Branding (Holt, 2004) et la réalité pratique des brand
manageurs. Nous révélons également certaines limites du travail de Holt, notamment concernant la
communication du mythe identitaire de marque et les différences nationales qui existent entre les
cultures sportives.
4
Introduction « Le modèle traditionnel de la marque a failli, même si les entreprises continuent à utiliser des concepts
et outils méthodologiques nés dans les années 1970 pendant l’âge d’or de ces marques-là, car ils
rassurent et qu’elles ne savent pas par quoi les remplacer. » (Jean-Noel Kapferer, 2014)
C’est le constat d’impuissance qui semble dominer notre époque. Lorsque les modèles existants
échouent, il faut savoir les remplacer. Le titre du dernier ouvrage de Jean-Noel Kapferer, l’expert
français des marques, est à ce sujet très explicite : il faut « ré-inventer les marques » ! Cet appel cinglant
est motivé par un double constat d’échec et d’une évolution structurelle de notre société. Comme
l’explique J-N Kapferer, les marques de grande consommation n’ont pas réussi à endiguer la montée
des marques de distributeurs (MDD), et cela malgré des parts de marché historiquement supérieures
et un taux de notoriété élevé. Lorsqu’on se souvient que la raison d’être d’une marque est précisément
de justifier un prix élevé et de faciliter l’acte d’achat en rassurant le consommateur sur la qualité du
produit, on mesure l’ampleur de l’échec. Les MDD, en simplifiant leur offre au maximum et en jouant
sur un prix attractif, ont envahis les rayons de nos hypermarchés et déstabilisés de nombreuses
marques nationales autrefois leader. A ce constat d’échec est venu s’ajouter une évolution structurelle
de notre société. J-N Kapferer explique ainsi que sous l’effet du repli des institutions publiques, la
logique de marque a investi des territoires autrefois exempt des logiques marchandes : écoles,
administrations, théâtres, transports, collectivités territoriales mettent en place des stratégies de
marque pour se distinguer de leurs pairs et communiquer de la valeur ajoutée par rapport à leurs
concurrents. Bien que l’on retrouve toujours les deux logiques fondamentales de marque (distinguer
et valoriser), la nature du « produit » a radicalement changé. A l’échelle de l’individu, le changement
est également conséquent. Selon Kapferer, le repli des institutions religieuses et politiques conjugué à
la mondialisation a entrainé une perte de repères pour les individus, et notamment pour la jeune
génération. Une fraction toujours plus grande d’individus se retrouve déracinée de son lieu de
naissance, changeant de localisation plusieurs fois dans sa vie. Cette mobilité croissante peut se
traduire par des comportements d’achats nostalgiques, de retour à la terre ancestrale (comme
l’atteste le succès des marques régionales1) ou à des logiques d’achat identitaires. La valeur
symbolique de la consommation n’est pas nouvelle puisque Jean Baudrillard et Roland Barthes
l’avaient déjà mis au jour dans les années 702. Cependant, le processus de construction identitaire des
individus est un sujet bien plus complexe, qu’il conviendra d’analyser en détail pour en déceler les
implications pour les marques. Pour l’heure, ce qu’il nous faut retenir c’est ce double constat d’échec
et d’évolution structurelle qui doit nous faire changer notre regard sur les marques.
L’approche traditionnelle de la marque remonte aux années 1970, âge d’or de la publicité et du fameux
adage de « l’unique selling proposition » qui recommandait aux marques de concentrer leur
communication sur un unique bénéfice produit. Selon Douglas Holt, c’est la parution du célèbre livre
Positioning : The battle for your mind (1980) de Al Ries et Jack Trout qui a propagé l’idée que la force
d’une marque réside dans l’association mentale qu’elle arrive à bâtir entre son nom et un bénéfice
produit clairement identifié. Ce paradigme est partagé par les grands penseurs Américains du
marketing comme Philip Kotler, Kevin Lane Keller, David Aaker qui expliquent que « le pouvoir d’une
marque réside dans ses associations mentales qu’elle parvient à bâtir, en s’élevant au-dessus des
propriétés purement fonctionnelles du produit pour lier à la marque des valeurs et des émotions ». Ce
modèle a fait ses preuves, en témoigne le succès des groupes Procter & Gamble, Unilever, Nestlé,
L’Oréal, Mondelez, etc, qui ont su construire des marques fortes en associant un bénéfice clairement
identifié (ex : la brillance des cheveux) à une émotion particulière (ex : se sentir belle et désirable), le
1 Voir à ce sujet l’article Le sentiment régional comme levier d’action marketing (Dion, Remy, Sitz, 2010) 2 BAUDRILLARD Jean (1970). La société de consommation. Gallimard
5
tout répété dans un slogan facilement mémorisable (ex : parce que je le vaux bien). Cette approche,
que D. Holt qualifie de mind-share branding, repose sur une vision très statique de la marque. Le
marketeur doit, tel un architecte, bâtir sa marque brique après brique en ajoutant différents éléments
(logo, signe, symboles, design, slogan, packaging…) qui renvoient à des associations mentales. Cette
vision architecturale de la marque explique les différents concepts élaborés au cours du temps (ADN
de marque, identité de marque, essence de marque) et destinés à mieux cerner les éléments
caractéristiques de chaque marque pour en trouver les points forts et les points faibles.
Les développements plus récents de cette approche tendent à insister sur la connexion émotionnelle
et expérientielle de la marque avec le consommateur : il faut donner à la marque une personnalité,
délivrer du contenu émotionnel à chaque point de contact avec le consommateur et communiquer sur
le bénéfice émotionnel du produit. Selon J-N Kapferer, c’est cette stratégie qu’a mis en place la célèbre
marque de café Nespresso : des machines à café et des capsules au design et aux couleurs savamment
réfléchies, des boutiques à l’architecture intérieure soignée et avec un accueil personnalisé, un site de
vente en ligne sous forme de club exclusif, une campagne TV très complice avec le séducteur George
Clooney. Le cas de Nespresso est une réussite mais plus que le caractère émotionnel ou expérientiel,
c’est l’histoire racontée par Nespresso qui a eu du succès. Bien souvent, les marques se limitent à
vouloir communiquer coûte que coûte une émotion ou une expérience quand bien même cela suppose
de reproduire à l’identique ce que fait déjà son concurrent. On observe ainsi sur de nombreux marchés
un gaspillage de ressources de la part des marques pour tenter de s’octroyer les mêmes associations
mentales : Coca-Cola veut être le champion du ‘‘bonheur’’, Pepsi de la ‘‘joie’’, Fanta du ‘‘fun’’, Orangina
du ‘‘plaisir’’. Comme l’explique Douglas Holt dans son deuxième ouvrage Cultural Strategy (2010),
cette approche se révèle être inefficace car elle conduit des marques concurrentes à s’affronter sur le
même terrain de jeu. Cela entraine la création « d’océans rouges » où les marques se battent à coups
de millions d’euros de dépenses publicitaires en essayant de s’approprier une dimension émotionnelle.
Comme l’écrit D. Holt, le problème vient du fait que « concevoir une marque comme un phénomène
mental plutôt que sociétal, culturel ou politique, fait que les opportunités d’innovation résultant de
changement dans la société sont totalement ignorés » (Holt, p.11).
Abandonnant l’approche classique présentant la marque comme un outil de positionnement de l’offre
permettant de verrouiller une place sur le marché et de garantir un prix de vente plus élevé, le récent
courant du socialcultural branding dont Douglas Holt est la figure de proue, est en train de
révolutionner la manière de penser les marques. En adoptant une posture centrée sur l’individu et en
croisant les apports de différentes disciplines autrefois exclues de la sphère marchande, les chercheurs
du socialcultural branding ont découvert que les individus utilisent les marques pour construire leur
propre identité. En réalité ce n’est pas tout à fait une découverte puisque Baudrillard, dans La Société
de Consommation (1970), avait déjà remarqué qu’en matière de consommation les logiques
d’apparence et de différenciation avaient pris le pas sur la logique des besoins. De même, Roland
Barthes dans Mythologies (1957), s’était penché sur la signification de divers objets ou programmes
du quotidien, et en avait révélé la signification cachée. Mais c’est sous l’impulsion des cultural studies
que le caractère identitaire de la consommation a été révélé comme le rappelle Benoit Heilbrunn dans
La Consommation et ses sociologies (2010). Cette découverte a des implications énormes pour les
professionnels du marketing : les marques fortes ne sont plus celles capables de délivrer un bénéfice
produit, ni celles capables de délivrer de l’émotion, mais celles qui délivrent de la valeur identitaire aux
consommateurs. Désormais, les marques sont traitées comme des acteurs de la société à part entière
qui engagent les individus dans un dialogue permanent dans lequel le marketeur n’est plus l’unique
maitre.
6
Dans le domaine du sport, le cas de Nike est un exemple phare, repris par de nombreux universitaires
et professionnels du marketing pour illustrer le nouveau paradigme vers lequel les marques devraient
tendre. Fondé en 1971 par Phil Knight et Bill Bowerman, Nike a réussi à surpasser son concurrent leader
Adidas en identifiant avant tout le monde un changement sociétal de grande ampleur (une opportunité
idéologique pour Holt) et en développant un discours métaphorique sur le dépassement de soi – ce
que Holt appelle le combative solo willpower – basé sur les codes culturelles de la communauté noire
Américaine. Comme le rappelle le publicitaire Elie Ohayon, Nike a été précurseur en anticipant la fin
du sport dans les stades, le développement des pratiques sportives individuelles, l’attractivité du
« sport spectacle » au détriment du « sport discipline », et l’émergence de stars mondiales du sport3.
Bien sûr le produit était technologiquement bon et le design était novateur mais sans un sens aigu de
l’anticipation et une excellente campagne de communication, la marque n’aurait pas connu un tel
succès. Identifiant ce changement sociétal, Nike a élaboré un discours d’optimisme et de
détermination radicalement différent dans sa forme par rapport aux communications de l’époque. En
préférant montrer des gens ordinaires dans leur pratique sportive quotidienne plutôt que les
vainqueurs célébrés par le public, Nike est devenue une marque iconique, symbole de la supériorité
de la volonté individuelle sur les épreuves de la vie. Quoi de mieux pour illustrer cet esprit de lutte que
l’histoire des noirs américains victimes des discriminations raciales. Ainsi Nike s’est emparé des codes
culturels de la communauté noire à travers ses lieux (la rue), son sport favori (le basket), sa musique
(hip-hop), ses figures, pour délivrer son Just Do It mythe. Comme l’a très justement remarqué Holt,
« l’imagerie du ghetto noir offre une analogie frappante avec le marché du travail aux Etats-Unis. (…)
Les Afro-Américains qui s’en sortent miraculeusement grâce à leurs succès sportifs incarnent
profondément le nouveau Rêve Américain : malgré les difficultés énormes posées par la nouvelle
économie, on peut toujours réussir si on s’en donne les moyens » (Holt, pp. 35-36). Avec son
concurrent Adidas, Nike domine désormais le marché de l’équipement sportif grand public en étant
présent à la fois sur le segment du « technique » et sur le « lifestyle ». Le segment du lifestyle est
d’ailleurs un pilier du business model de Nike puisque 80% des ventes réalisées par l’entreprise aux
Etats-Unis porte sur des articles de mode4. A côté de ces géants existe une multitude d’autres marques,
plus spécialisées, qui ont bâti leur légitimité sur une pratique sportive particulière. Parmi elles, on peut
citer Le Coq Sportif (Tennis & Cyclisme), Salomon (Alpinisme), Rossignol (Ski Alpin), Quechua
(Randonnée), et bien d’autres, qui sont chacune associées à une discipline sportive particulière –
même si cela ne les empêche pas de se diversifier vers d’autres sports.
L’entreprise Crew Line fait partie de ces acteurs de l’équipement sportif spécialisé qui opèrent sur des
marchés restreint et délaissés par les grandes marques comme Nike, Adidas ou Puma. Basée en Savoie,
Crew Line a développé une gamme d’articles vêtements sportifs pour l’aviron et le canoë-kayak.
L’aviron est une pratique sportive ancienne, faisant partie des sports fondateurs des Jeux Olympiques
à leur création en 1896, mais elle n’a jamais connu le succès médiatique de l’athlétisme, du tennis ou
du golf. Pourtant la culture sportive de l’aviron est extrêmement riche : ce sport a une longue histoire,
des événements mythiques comme la course entre Cambridge et Oxford à Londres sur la Tamise, une
large communauté de pratiquants (notamment dans les pays anglo-saxons), un cadre de pratique
magnifique, autant d’éléments qui pourraient servir de base à la création d’une marque de vêtement
technique d’aviron. Jusqu’à présent, l’entreprise se limite à la fabrication et au « marquage » des
vêtements (nom + logo). Il n’y a pas de « système complexe de signes distinguant et créant de la valeur
pour les différentes parties-prenantes » (Lionel SITZ). Le but de ce rapport est de montrer comment, à
3 http://www.ionisbrandculture.com/nike-just-do-it--21
4 Chiffre cité par Elie Ohayon dans son interview visible sur http://www.ionisbrandculture.com/nike-just-do-it--21
7
partir d’une culture sportive existante, on peut créer une marque qui devienne attractive pour un large
public. En effet, les vêtements Crew Line peuvent très bien être utilisés dans d’autres disciplines
sportives comme la course à pieds, le ski, le vélo, etc. La difficulté pour l’entreprise est de parvenir à
développer une marque capable de parler à une cible bien plus large que le premier cercle d’initiés
sans pour autant perdre son authenticité et sa légitimité.
L’approche classique voudrait que l’on insiste sur le bénéfice produit (ex : les propriétés exceptionnelle
du tissu) et que l’on communique sur une émotion partageable (ex : la glisse sur l’eau). Mais cette
approche est-elle suffisamment efficace alors que la communauté aviron est restreinte (105 000
pratiquants en France) et que les contraintes inhérentes au sport (bateaux onéreux) limitent le
développement de la pratique hors club ? C’est là que les apports du socialcultural branding peuvent
être utiles.
Notre première partie consistera en une revue de littérature détaillée qui s’attachera à expliciter
l’approche du cultural branding théorisé par Douglas HOLT en 2004, tout en gardant un regard critique
afin d’enrichir le propos notamment sur les questions d’identité et d’authenticité. Dans un deuxième
temps, nous formulerons notre problématique de recherche et la méthodologie retenue pour tenter
d’y répondre. Pour des raisons pratiques, nous avons choisi de restreindre notre étude à une marque
d’aviron, un sport encore largement à l’écart du monde médiatique et du marketing sportif. L’objet de
ce PFE est de confronter les principes théoriques du cultural branding à la réalité d’une création d’une
marque de vêtements d’aviron. Notre recherche entend faire le pont entre la théorique et la pratique
avec comme double objectif de valider les principes théoriques abordés dans la revue de littérature et
d’élaborer une méthode opérationnelle pour créer une marque « iconique ». Ainsi nous terminerons
ce PFE par des recommandations détaillées pour la création d’une marque d’aviron, comme si nous
devions conseiller l’entreprise Crew Line. Les enseignements de cette étude seront également mis en
perspective pour servir de méthode applicable à d’autres marques opérant sur d’autres marchés.
8
Partie 1 : Revue de littérature
“During the twenty years before the latest Wall Street crash, as the economy went the way of
Starbucks, buying become more than ever not just a way for people to fulfill basic needs but an
expression of longing, a source of entertainment, a strategy for mood management, and a form of
symbolic communication about class and social standing.” (Bryant Simon, 2009)5
Vers une « maturité » de marque : de la marque-produit au capital-marque (Michon,
2000) Le succès de la chaine de boisson et de restauration rapide Starbucks est symptomatique de l’évolution
de notre économie. Comme l’explique Bryant Simon dans son livre Everything but the Coffee (2009),
Starbucks ne doit pas sa réussite à la qualité de ses produits mais à celle de sa marque. Simon montre
à quel point le succès de Starbucks n’a rien à voir avec la qualité de son café mais plutôt avec le style,
le statut social, les aspirations identitaires, et les attentes environnementales des consommateurs.
« Starbucks a créé un produit qui permet aux médecins et avocats, aux architectes et web designers,
aux professeurs et aux étudiants, et à leur nombreux admirateurs de se mettre en scène comme ils
voulaient être perçus ». Il s’est opéré ce que Christian Michon (2000) appelle un « découplage » entre
la marque et son produit. Mais cette autonomisation de la marque ne s’est pas faite en un jour.
Historiquement, la marque a d’abord été un élément distinctif servant à marquer l’origine de
fabrication d’un produit. Durant l’antiquité, les marchands marquaient leur produit d’un sceau qui
formalisait d’une certaine manière la confiance entre l’acheteur et le vendeur. Bien plus tard, le
développement industriel du XIXème entraine la mise sur le marché d’une myriade de produits qu’il
faut non seulement nommer mais également protéger contre les copieurs. C’est là que nait le
deuxième rôle de la marque, celui de la protection juridique de l’innovation. En effet, la garantie de la
propriété individuelle impose le dépôt de brevet et donc d’un nom pour désigner le produit concerné.
Par la suite, et sous la pression du nombre grandissant d’innovations comme le tube de dentifrice
(1890), la bouteille de soda (1892), la boite de conserve (1898), la marque va également servir à
communiquer auprès du client final. La notion de valeur portée par la marque apparait avec l’ère
industrielle des grands entrepreneurs qui donnent leur nom à leur produit. Ainsi Michelin, Renault,
Channel, Vuitton, en donnant leur nom à leur entreprise, personnalisent les produits qu’ils
commercialisent. On associe à telle voiture la robustesse de son inventeur, à telle robe la délicatesse
de son inventrice, à telle maison la créativité de sa fondatrice, etc. Dans la seconde moitié du XXème
siècle, le nombre de marques augmente de pair avec celui du nombre de produits. La marque doit être
différenciatrice. Elle devient un vecteur de communication à part entière : en utilisant les medias de
masse comme la radio et la télé, les marques créent des slogans entêtant qui sont répétés
inlassablement aux yeux et aux oreilles des consommateurs. C’est l’âge d’or des publicitaires et du
célèbre adage de l’unique selling proposition. Au début des années 90, les habitudes de consommation
changent et de nouvelles préoccupations apparaissent. Le consommateur, mieux informé et plus
sensibles aux sujets sociétaux par des actions très médiatiques comme les « Restaus du Cœur »,
réclame plus d’engagement de la part des marques. Plus généralement, la banalisation de la
consommation entraine des attentes toujours plus grandes. La marque n’est plus uniquement un
5 « Durant les vingt années précédant le dernier crash de Wall Street, alors que l’économie suivait comme jamais la voie tracée par Starbucks, la consommation est devenue bien plus qu’une simple façon de satisfaire des besoins basiques ; acheter est devenu une expression d’appartenance, une source de divertissement, une stratégie de gestion d’humeur, et une forme de communication symbolique sur son statut et sa classe sociale »
9
badge social, elle doit devenir pourvoyeuse d’émotions tout ayant un discours authentique et
transparent.
L’intérêt de ce rappel historique est de souligner le caractère dynamique et évolutif de la marque. Une
marque ne devient pas du jour au lendemain aussi puissante que Nike ou Adidas. Il y a un processus
plus ou moins long de « maturité de marque » (Michon, 2000). La marque nait associée à un produit
puis s’en détache progressivement pour acquérir une identité propre. Ce « découplage » progressif
s’opère en 4 étapes selon Christian Michon :
- Période fondatrice : le produit alimente exclusivement la marque par un bénéfice fonctionnel
ou symbolique (ex : Apple est la marque d’ordinateur au design épuré)
- Période de découplage : la marque ne se résume plus à un produit, elle acquiert une certaine
autonomie en portant des valeurs (ex : Apple est une marque créative)
- Période d’enracinement : la marque s’insère dans une dynamique historique, dans un système
de représentations à moyen et long terme (ex : Apple c’est la marque de Steeve Job, inventeur
de génie qui révolutionne nos modes de vie)
- Période d’essaimage : la marque est devenue tellement forte qu’elle peut investir d’autres
catégories de produits (ex : Apple commercialise des pc, des tablettes, des smartphones, des
ipod)
L’étape la plus délicate est bien entendu celle de l’enracinement. Libérée de son attache produit, la
marque doit s’insérer dans une dynamique historique et dans un système de valeurs.
Les limites du concept de l’identité de marque Afin de cerner la marque détachée de son produit, des spécialistes ont inventé le concept d’identité de
marque. Ce concept se différencie nettement de celui d’image puisqu’il ne se limite pas aux
perceptions de la marque. Il intègre également des éléments définis par le marketeur. Ainsi, Jean-Noel
Kapferer a développé un prisme d’identité (1988) à 6 facettes qui traite la marque comme un individu :
- physique : caractéristiques saillantes (formes,
couleurs…)
- relation : type de relation (séduction,
domination…)
- reflet : l’utilisateur habituel de la marque
- personnalité : le caractère de la marque
(bienveillant, généreux…)
- culture : système de valeur
- mentalisation : représentation intérieure de la
marque
Ce modèle a le mérite de proposer une vision assez large de la marque qui est considérée bien au-delà
de son produit. Le but est ici de cerner le « capital-marque » (Aaker, 1991) en analysant de manière
quasi-psychologique la marque.
Cependant, ce modèle a de nombreuses limites. La première d’entre elles a été identifiée par Christian
Michon qui a remarqué que le prisme d’identité de Kapferer n’intégrait pas les dimensions historiques
et motivationnelle. En fait, c’est plus généralement la facette culture qui est explicitée dans le nouveau
modèle proposé par Christian Michon. Ainsi l’identité-source se propose de faire le lien entre
l’entreprise et son histoire en découpant la marque en 7 éléments caractéristiques :
10
- raison d’être : c’est l’expression de la volonté d’existence de la marque qui peut se traduire
par des missions ;
- métier : désigne le savoir-faire de la marque ;
- valeurs : ce sont les valeurs qui caractérisent la marque ;
- légende : c’est le mythe fondateur de la marque qui peut être réel ou imaginaire ;
- caractère : c’est le résultat de la perception de la marque par les consommateurs et des
logiques internes à l’entreprise ;
- partenaires : les parties-prenantes sans lesquelles la marque ne pourrait pas exister ;
- relationnel : désigne le type de relation qu’entretient la marque avec ses consommateurs ;
Avec la raison d’être, Christian Michon insiste sur la motivation de la marque, sur sa mission, qui
dépasse le stricte cadre fonctionnel ou émotionnel. La marque a un but, une ambition plus grande que
ses seules préoccupations commerciales. L’autre facette intéressante est la légende. On retrouve ici
une dimension narrative et historique qui était absente du modèle de Kapferer. La marque puise dans
ses racines pour délivrer un mythe autour d’un personnage réel ou imaginaire. Pour avoir une bonne
compréhension des marques, il est donc nécessaire de se pencher sur la dimension narrative et sur la
manière avec laquelle le consommateur perçoit les histoires des marques.
Nos souvenirs sont des histoires (Zaltman, 2003) Les avancées scientifiques dans le domaine des neurosciences ont permis de mieux comprendre le
fonctionnement du cerveau humain et notamment de révéler les liens entre souvenirs, métaphores et
histoires. Comme l’explique Gérald Zaltman dans son livre How Customers Think (2003), les souvenirs
que nous avons sont mémorisés sous la forme d’histoires, intégrant des éléments à la fois vrais et
fictifs. « Le storytelling n’est pas quelque chose que nous faisons par plaisir ; c’est quasiment une
obligation s’il on veut pouvoir se souvenir de quoique ce soit (…) ; les histoires que nous créons sont
les souvenirs que nous avons »6. Ces histoires servent à l’individu pour se penser lui-même. C’est ainsi
que nous donnons sens à notre vie, en nous rappelant et en interprétant nos expériences passées. Des
études menées par le chercheur en sociologie Jeffrey Prager de l’Université de Caroline du Sud ont
révélé que la mémoire des consommateurs est influencée par le contexte social et culturel dans lequel
ils vivent et dans lequel ils cherchent à se définir. « Les souvenirs que les consommateurs créent sont
des fragments narratifs destinés à expliquer un sentiment ou un stimuli corporel »7. Ainsi la mémoire
est sollicitée à la suite de stimuli générés par l’environnement extérieur comme par exemple une
publicité. Les chercheurs ont identifiés trois types de mémoires :
- Mémoire sémantique : elle nous rappelle la signification d’un mot ou d’un symbole – par
exemple, une virgule blanche allongée évoque la marque Nike
- Mémoire épisodique : elle nous rappelle des moments de vie (temps, lieu, aspects
situationnels) – par exemple, la première visite à Disneyland
- Mémoire procédurale : elle nous rappelle les comportements à avoir dans telle ou telle
situation – par exemple, conduire une voiture
Ces trois types de mémoires sont complémentaires puisqu’elles portent sur trois types de contenus
indispensables à la vie quotidienne (signification, moment, comportement). Pourtant, derrière ces
différences se cachent un mode fonctionnement identique. Notre mémoire encode des informations
(encoding process), la plus part du temps à un niveau inconscient, d’abord dans un stockage de court-
6 Schank & Abelson (1995). Knowledge and Memory : The real story 7 Jeffrey Prager (1998). Presenting the Past : Psychoanalysis and the sociology of misremembering
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terme, puis à la suite d’un processus de consolidation, un très petit nombre de souvenirs sont stockés
à long-terme. Ces informations sont ensuite régénérer lorsqu’on est soumis à un stimulus (image, son,
odeur, etc) : c’est le process de rappel (retrieval process). On se rappelle un moment passé d’autant
plus facilement que le contexte dans lequel on est soumis à un stimulus ressemble au contexte original.
Mes souvenirs de baignades ressurgiront bien plus facilement si je suis dans à un environnement
aquatique. C’est lors de ce processus de rappel que des changements significatifs peuvent se produire,
c’est-à-dire qu’une différence importante peut se produire entre l’expérience réellement vécue et le
souvenir régénéré par notre mémoire. En effet, le processus de rappel d’un souvenir est fortement
influencé par l’humeur et par l’intention de l’individu. Ainsi, s’il faut chaud, que vous avez envie de
vous détendre et qu’on vous présente une image d’une personne heureuse dans une piscine, votre
mémoire va générer un souvenir heureux d’un moment passé dans l’eau, quitte à embellir les choses.
La mémoire se révèle donc beaucoup plus malléable que ce qu’on imagine.
A travers l’utilisation de métaphores, les marketeurs peuvent influer sur les souvenirs des
consommateurs et créer de nouvelles histoires autour de leur marque. Le meilleur moyen pour ce faire
est de bâtir une histoire fondée sur des archétypes. « Un archétype est une idée, un personnage, un
objet, une situation, un événement contenant des caractéristiques essentielles qui sont primitives,
générales et universelles plutôt que sophistiquées et uniques » (Zaltman, p.215). Des travaux menés
par le Dr Canan Habib, spécialiste en littérature, et Olson Zaltman Associates, ont identifiés 5
catégories d’archétypes :
- Sujets : la naissance, le passage à l’âge adulte, l’amour, la culpabilité, la rédemption, la mort
- Thèmes : le conflit entre la raison et l’imagination, la volonté et la destinée, l’apparence et la
réalité, l’individu et la société
- Situations : tensions entre parents et enfants, rivalités entre frères, les problèmes liés au désir
incestueux, la quête de son père, l’ambivalence de la relation homme-femme, l’arrivée de
l’homme rural dans la ville
- Personnages : fanfaron, bouffon, héro, méchant, rebelle, vagabond, femme fatale, jeune fille
vierge, sorcière, etc
- Images :
o Up/Down : la loi de la gravité implique que l’ascension est plus difficile que la
descente. Ainsi les images associées à l’ascension comme les oiseaux dans le ciel, une
flèche, une étoile, une montagne, un arbre qui pousse ou une tour, représentent ce
que l’on veut atteindre. A l’inverse, un abysse symbolise la chute, le vide, le chaos.
o Le sang : il représente la vie, la force, la dignité de l’héritage, la magie, la mort
o Terre/Ciel : Le ciel (l’homme) fait tomber la pluie pour nourrir le sol. La terre (la
femme) reçoit la semence et donne naissance à des récoltes et des enfants.
o Lumière/Noir : Symbolise certaines qualités mentales et spirituelles. Par exemple, la
lumière sert de métaphore pour illustrer : l’illumination, la clarté, l’intelligence, le
soulagement émotionnel. La noirceur est associée aux cadavres, aux fantômes, au
malheur, à l’inconnu, au diable, etc.
o Feu : Le feu change constamment de forme. Il est lié aux idées d’ascension, du soleil,
du ciel, des dieux et de l’homme.
o Femme : historiquement les femmes étaient présentaient comme des mères
nourricières, des sorcières ou des prostituées. La littérature moderne a fait évoluer
cet archétype vers de plus larges significations.
o Le deuxième soi : son double peut prendre différentes formes (un amis, un frère
jumeau, un journal de bord, une tentatrice, un être cher, un fragment d’esprit…) mais
il reflète toujours à la fois la dualité et l’unité.
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L’utilisation d’archétypes va faciliter l’identification du consommateur à l’histoire en lui permettant
d’intégrer des souvenirs personnels. Comme la mémoire du consommateur est sujette à l’intention et
à l’humeur, il sera enclin à remodifier inconsciemment ses souvenirs en y incorporant par exemple des
fragments narratifs proposés par le storytelling de la marque, renforçant ainsi le lien entre lui et la
marque. Maintenant que nous avons décryptés les mécanismes internes à l’œuvre dans la tête du
consommateur, adoptons une approche plus large pour comprendre dans quel but ces recompositions
de souvenirs d’opèrent.
Le processus de construction identitaire Les travaux de Gille Marion, professeur à EMLYON, ont permis de mettre en évidence de manière
concrète le processus de co-construction dans la consommation et les « bricolages » opérés par les
consommateurs pour construire leur apparence et leur identité. En effectuant 14 entretiens avec des
adolescentes à propos de la mode, Gilles Marion a mis au jour un modèle de construction identitaire
qui confirme que les pratiques vestimentaires des adolescentes correspondent à des tentatives
d’identifications dans lesquelles les marques jouent un rôle. « Les objets et les marques de mode sont
des ressources sémiotiques malléables que différents sujets (individuels ou collectifs) utilisent et
bricolent ».
En se basant sur les travaux de Erikson (1968), Gille Marion explique que l’identité est une construction
dynamique et permanente au cours de la vie. Dans son livre Identity : Youth and Crisis, Erikson identifie
8 crises identitaires majeures qui ponctuent notre existence, dont celle de l’adolescence fait partie.
Durant ces crises, l’individu doit faire face à un grand nombre de contradictions comme par exemple
la nécessité de s’engager dans une carrière longue mais sans être capable de se projeter dans le futur.
C’est confronté à ces contradictions que l’individu va faire évoluer son regard sur lui-même. Loin d’être
figée, l’identité est donc évolutive et se réajuste régulièrement au grès des relations personnelles et
des échanges que nous avons avec ce que Gille Marion appelle les systèmes discursifs (stéréotypes
diffusés par les moyens de communication dans une société à un moment donné). L’étude de G.
Marion est fondée sur une deuxième hypothèse qui considère la construction de l’apparence comme
un « processus intersubjectif et créatif de production de l’identité ». Les vêtements que nous portons,
la coupe de cheveux que nous avons, les tatouages ou accessoires que nous montrons, sont autant
d’éléments destinés à exprimer ce que nous sommes. Ce faisant, nous espérons que l’image que nous
avons voulu dégager par le port de tel ou tel vêtement, est effectivement perçue comme tel par l’autre.
En effet, les travaux de Goffman (1972) ont montré l’importance du regard de l’autre dans le maintien
de sa propre identité. Sans altérité, sans miroir, comme savoir si notre perception propre de nous-
même est bien réelle. D’où l’importance d’avoir une consommation d’objets qui soient socialement
reconnus. Inutile de porter des baskets Nike si personne ne connait ce que signifie Nike. L’identité se
construit donc au sein d’un groupe, dans lequel l’individu cherche à la fois à s’identifier et à garder une
certaine distance pour ne pas perdre son autonomie.
Avant de présenter le modèle de construction de l’identité de Gille Marion, il est utile de rappeler les
5 piliers théoriques sur lesquels ce modèle est construit : la consommation est un moyen de se situer
dans le monde ; les consommateurs peuvent détourner le sens des objets pour se les approprier ;
l’identité est le résultat de relations intersubjectives vécues ; l’héritage culturel influe sur les relations
intersubjectives ; l’identité personnelle se lit comme un modèle narratif.
En confrontant les 5 piliers théoriques énoncés ci-dessus avec les entretiens réalisés auprès de 14
adolescentes, Gille Marion a défini un modèle illustrant le processus de construction identitaire.
Premièrement, l’identité se définit par position : position vis-à-vis d’un groupe d’appartenance (famille,
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amis) et position vis-à-vis des systèmes discursifs (stéréotypes, lieux communs à un moment donné
dans une société). Dans cette logique de position, l’individu va marquer son affiliation au
groupe/stéréotype ou à l’inverse sa démarcation. En fonction de l’intensité de cette affiliation ou de
cette démarcation, on parlera d’alignement de l’individu ou de singularité lorsque le refus des normes
en place est clairement affirmé. Ainsi, derrière des positions fixes se cache en réalité des stratégies ou
trajectoires par lesquelles l’individu construit sa personnalité. Ce dernier met en place des stratégies
d’affiliation ou de démarcation en choisissant un vêtement plutôt qu’un autre ou en adhérant à une
idée de la beauté plutôt qu’une autre. Enfin, ces stratégies (ou trajectoires) sont définies dans une
échelle temps. Les choix de look prennent en considération le cadre de vie actuel, les projets de vie
futurs, tout en mettant en récit les choix passés. Par exemple, les adolescentes interrogées par G.
Marion se déclaraient moins « petite fille sage » qu’avant, ce qui sous-entend un regard rétrospectif
sur les choix passés.
Ainsi, la construction d’un look est un savoir-faire créatif, fruit de l’expérience acquise, qui participe de
l’affirmation de l’identité en permettant à l’individu de se « distinguer » dans la société mais également
qui lui permet de donner du sens à sa propre vie (certains choix vestimentaires correspondent à un
choix intime qui ne relève pas d’une affirmation sociale). Ainsi, un collier ou un bracelet peut être porté
en souvenir d’un être cher sans qu’aucune préoccupation sur le regard des autres n’entre en ligne de
compte. La production et la reconnaissance d’une apparence est guidée par des stratégies
antagonistes d’affiliation/démarcation vis-à-vis des groupes d’appartenances (famille, amis…) et vis-à-
vis des systèmes discursifs qui fournissent des stéréotypes d’apparence (sur la beauté, sur le corps, sur
les femmes…) réutilisables ou opposables. Il s’opère un véritable « dialogue » entre l’individu et les
systèmes discursifs, dialogue dans lequel l’individu va puiser des éléments lui permettant d’interpréter
sa propre apparence et celle des autres. Les magazines, les publicités, les débats autour de la beauté
vont alimenter la réflexion de l’individu sur sa propre conception de la beauté et ce qu’il veut ensuite
en exprimer.
Les implications de cette étude sont nombreuses et se révèlent être d’une extrême importance pour
les marketeurs. En effet, l’analyse du discours des adolescentes révèle que la construction de leur
apparence correspond à un ensemble de tactiques visant à contrer l’insatisfaction. Comme le
soulignait Erikson, l’adolescence est une période de confrontations et donc d’insatisfactions. Les
adolescentes vont naviguer à travers ces insatisfactions en cherchant à s’affilier à certains groupes
(réels ou imaginaires) en puisant dans les stéréotypes de la société, tout en tenant compte de leur
cadre de vie et leur projet de vie. D’où l’apparition de sous-cultures comme par exemple le grunge,
mouvement rebelle d’opposition à la culture ostentatoire, qui offrent une panoplie d’objets et
d’attitudes pour exprimer un rejet.
Du point de vue du marketeur, la dimension dynamique de la construction identitaire et des pratiques
de consommation qui en découlent, indique que toute segmentation de marché n’est que provisoire.
Plus les années passes et plus ce constat semble se confirmer. Avec le développement exponentiel
d’internet et des réseaux sociaux, les modes et les idées se propagent toujours plus rapidement,
rendant la traditionnelle approche du branding de plus en plus caduque. Ainsi, plutôt que se
positionner par rapport aux autres, une marque doit développer sa propre trajectoire, sa propre vision
(une vision « fixe et singulière » nous dit G. Marion). Pour ce faire nous dit G. Marion, il faut que les
marketeurs parviennent à « comprendre les tensions au sein des discours culturellement disponibles »,
à « anticiper les contradictions culturelles qui affectent leur marché » et à « prendre appui sur celles
qui sont le plus en phase avec leur marque pour construire un discours et des offres crédibles et
évocatrices ». C’est l’approche que Douglas Holt détaille dans How Brands Become Icons (2003) et qu’il
résume sous le terme de Cultural Branding.
14
La marque comme narrateur culturel qui délivre de la valeur identitaire en adressant
une tension collective (Holt, 2004)
Le marché ne se segmente pas par critères sociodémographiques mais par tensions culturelles
L’approche de Douglas Holt est extrêmement intéressante puisqu’elle s’intègre totalement avec le
travail de Gille Marion sur le processus de construction identitaire. Selon Holt, le capital (equity) d’une
marque ne provient pas de la richesse de ses associations mentales comme le pensait David Aaker
mais du mythe qu’elle délivre pour résoudre les contradictions culturelles au sein de la société. Il existe
ce que Holt appelle des myth markets qui naissent des contradictions entre une idéologie dominante8
et les projets identitaires des individus. Bien souvent, ces contradictions culturelles sont déjà adressées
par l’industrie culturelle (films, magazines, livres, politiques, jeux vidéo, etc). Ainsi, l’observation de la
culture populaire permet d’identifier les mythes à l’œuvre et de reconstituer les tensions et les désirs
des individus sur un certain nombre de thématiques. Une marque raconte, un peu comme un film, une
histoire avec des personnages et une intrigue. Bien sûr, la marque n’a pas la même influence sur la
société que peut avoir un film ou un discours politique. En revanche, la force d’une marque réside dans
sa capacité à rendre son histoire accessible à travers le rituel de consommation. Le rôle du marketeur
est d’identifier le myth market le plus approprié pour sa marque et d’inventer un mythe adressant une
contradiction culturelle en empruntant et en enrichissant les histoires déjà véhiculées par d’autres
acteurs culturels plus puissants. « Une marque devient iconique lorsqu’elle délivre un mythe
identitaire : une histoire simple qui répond à une tension culturelle en puisant dans un monde
imaginaire plutôt que dans le quotidien des consommateurs. Les aspirations exprimées dans ce mythe
sont les expressions imaginaires du désir identitaire des individus » (Holt, p.8).
S’il on reprend l’exemple de Nike évoqué en introduction, le mythe utilisé est celui du héros anonyme
et solitaire qui parvient à réussir par la seule force de sa détermination. Cette histoire racontée par
Nike s’adresse à tous ceux qui voient dans la nouvelle économie des années 80, un monde où la
compétition entre individus est devenue la règle. Le modèle Fordiste est définitivement enterré avec
le triomphe de Wall Street et des actionnaires. Dans le domaine du sport, cette évolution est
également visible avec le développement de pratiques sportives individuelles et l’abandon des stades
au profit de la rue. Nike a identifié ce myth market avant ses concurrents et a composé un mythe
identitaire inspiré de la lutte des noirs-américains pour l’égalité. De nombreux films, discours
politiques, magazines, traitaient déjà de cette lutte mais Nike a su réutiliser les codes culturels de la
communauté noire pour les associer avec le sport et leur donner une dimension narrative du combat
pour le dépassement de soi.
L’exemple de Nike : origine et force du « Just Do It » mythe
Dans son second livre Cultural Strategy, Douglas Holt étudie avec précision
la marque Nike et révèle que le succès de cette marque n’est pas lié à une
meilleure technologie de ses produits mais à une approche culturelle de la
marque. « Nike a proposé un mythe sportif sur le dépassement de soi qui a
servi de puissante métaphore motivationnelle pour les anxiétés
idéologiques des Américains frappés par la mondialisation et ses
8 « Un système d’idées qui forge des liens entre les aspirations quotidiennes (individus, familles, communautés) et ceux de la nation » (Holt, p.57)
15
conséquences sur le marché du travail aux Etats-Unis » (Holt, p.20). Holt explique que Nike a bâti son
succès sur une opportunité idéologique, celle de la « volonté individuelle combative ». Dans les années
70, toutes les marques de sports communiquaient de la même manière en mettant en avant les
qualités surhumaines des grands champions. Mais cette « orthodoxie culturelle » a été mis à mal par
la crise économique sévère qui a frappé les Etats-Unis à la fin des années 70. La facilité avec laquelle
ces sportifs étaient montrés en train de gagner ne correspondait plus aux préoccupations des individus.
Désormais, c’est la rigueur et la force, mentale et physique, qui étaient les valeurs essentielles. C’est
dans ce contexte social que la pratique du jogging se développe : le sport sort des stades et envahis
notre quotidien, il devient une nécessité pour tenir le rythme de la vie professionnelle en assurant un
équilibre dans nos vies. La course à pieds incarne les nouvelles valeurs de la société Américaine. « Les
grands coureurs ont une extraordinaire détermination et une force intérieure, une volonté de fer pour
endurer des programmes d’entrainements éreintant et de fréquentes blessures, le tout dans un style
de vie qui offre peut de gratifications extérieures » (Holt, p.26). Pour adresser cette nouvelle idéologie
naissante et incarner le « Just Do It » mythe, Nike s’est tourné vers la communauté noire-américaine
pour construire son histoire de marque. En effet, les conditions de vie de la communauté noire aux
Etats-Unis sont difficiles. Les noirs-américains vivent souvent à l’écart des autres, regroupés dans des
ghettos communautaires comme Harlem à New-York. Ce référentiel offre une analogie puissante avec
le marché du travail Américain : la vie est une lutte permanente et violente pour réussir à s’en sortir.
« Les Afro-Américains qui réussissaient miraculeusement à s’en sortir grâce au sport incarnaient le
nouveau rêve Américain » (Holt, p.35). Ainsi, Nike a détourné les codes culturels de la communauté
noire-américaine pour raconter son histoire de marque sur la force de la volonté individuelle dans le
sport. L’angle culturel choisi par Nike pour sa communication a été celui de la discrimination sociale.
Toutes les prises de parole de la marque sont faites sous l’angle de la lutte pour vaincre les
discriminations sociales par l’effort individuel.
La 1ère campagne TV Nike montre Michael Jordan entouré de Spike Lee sur un terrain de basketball.
« Spike and Mike » met en avant l’histoire du succès de Michael Jordan raconté par Spike Lee, celui qui
incarne le gars du ghetto. La mise en miroir des 2 personnages met en exergue le succès de Michael
qui a vaincu les discriminations sociales.
La 2ème campagne TV reste encore dans l’univers du basket mais sans star cette fois. « Hardrock Miner »
montre des jeunes noirs en train de perfectionner leur technique de tir sur un terrain de rue de
basketball. L’univers est sombre, le ton est messianique et la musique explicite. Le tout incarne la lutte
pour battre les inégalités sociales.
La 3ème campagne TV s’adresse à la cible féminine de Nike, encore peu séduite par la marque à
l’époque. Une fois de plus, c’est l’angle de la discrimination qui est utilisé dans un spot intitulé « If you
let me play sports… ».
La 4ème campagne TV de Nike est construite autour de Tiger Woods,
star planétaire du Golf, un sport aux antipodes du basketball et de son
art de rue. Pourtant Nike va utiliser les codes culturels précédents et
appliquer la même tactique pour donner une image de Tiger Woods
qui soit celle du noir américain opprimé qui a réussi à s’élever au
sommet de l’échelle sociale, par un travail acharné et un
perfectionnisme sans égal. Grâce à ce traitement audacieux, Nike a pu
étendre son mythe aux sports autres que le basket.
Pour étendre la marque à d’autres pays et rentrer sur le marché si convoité du football, Nike adapte
son mythe en remplaçant le ghetto noir américain par les favelas brésiliennes.
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La marque comme système narratif ou « brand gestalt » (Diamond, 2009)
Le deuxième apport de D. Holt, et plus généralement du courant du socialcultural branding, concerne
la nature collective d’une marque. « Les marketeurs aiment à penser les marques comme des
phénomènes psychologiques qui cadrent les perceptions de chaque consommateur alors que ce qui
confère à la marque sa puissance, c’est la nature collective de ces perceptions » (Holt, p.3). Ainsi Holt
nous encourage à avoir une vision quasi systémique de la marque : cette dernière ne se résume pas à
un dialogue marketeur-consommateur mais elle inclut de nombreux auteurs différents qui participent
à l’émergence et au rayonnement de la marque. Holt identifie 4 principaux types d’auteurs : les
entreprises, l’industrie culturelle (films, magazine, media…), les intermédiaires (critiques,
distributeurs, vendeurs…) et les clients (surtout lorsqu’ils forment des communautés). Cette approche
plus globale de la marque est résumée dans le terme de « brand gestalt » (Diamond, 2009) qui désigne
l’ensemble des interactions entre les différents composants de la marque. « Les marques puissantes
sont le produit de multiples sources qui délivrent de multiples histoires dans des lieux multiples. Une
marque est le produit des interactions dynamiques entre tous ces éléments – un phénomène évolutif
et émergent qui s’appréhende mieux dans sa totalité » (Diamond, p.130). Pour Diamond et Holt, il ne
faut pas concevoir une marque comme une somme d’éléments mais comme une « symphonie » où ce
sont les interactions qui confèrent à la marque sa force.
S’il on prend l’exemple de la marque de poupées American Girl,
l’étude de Nina Diamond révèle plusieurs sources narratives : la
culture de manière générale, le mythe de la création de la
marque, les membres de l’entreprises, les femmes adultes et les
petites filles. Chacune de ces sources raconte une histoire
différente de l’autre mais toutes se rattachent à la marque
American Girl pour former le « brand gestalt » de la marque.
Ainsi, du côté des marketeurs de l’entreprise, l’histoire qui est
délivrée cherche à promouvoir des valeurs morales à travers les poupées, les livres de contes, les
magazines bimensuels, etc. Chaque poupée est insérée dans une histoire spécifique qui est racontée
par le livre de conte correspondant. Ces histoires traitent de moments importants dans la vie d’une
petite fille (anniversaires, aventures de l’été, discussions avec des amies…) et de sujets importants
(amour des parents, déception, confiance…) qui servent de scripts pour les petites filles et pour leurs
mamans dans la compréhension et la transmission de pratiques sociales. A condition que les histoires
racontées par la marque soient authentiques et légitimes, les mamans les utilisent comme outils dans
la socialisation de leurs petites filles. Ces histoires peuvent également être recomposées et enrichies
d’éléments personnels pour améliorer les relations au sein de la famille. A l’inverse, les petites filles
ne perçoivent pas ces significations morales. Elles valorisent plutôt les détails de chaque histoire en
construisant des similitudes avec des poupées dont l’histoire est parfois bien éloignée de la leur.
L’enseignement principale de cette étude, c’est que l’histoire définie par le marketeur n’est pas reprise
telle quel par les consommateurs. Les mamans y voient une histoire porteuse de valeurs morales,
histoire qu’elles ne vont pas hésiter à remodeler en intégrant des éléments personnels dans le but
d’éduquer leurs petites filles. A l’inverse, les petites filles n’interprètent pas les valeurs de l’histoire
mais elles s’en tiennent à l’histoire même, à ses détails sur les accessoires des robes, sur les situations
dans lesquelles se retrouve le personnage de l’histoire, etc.
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Une marque peut acquérir deux formes d’autorité : culturelle et politique (Holt, 2004)
Avec le temps, le système narratif de la marque devient une référence collective. Selon Douglas Holt,
la marque acquiert alors une double autorité portant à la fois sur la forme de son histoire (autorité
culturelle) et sur le fond (autorité politique). Aux yeux du public, chaque marque possède une
légitimité à raconter un certain type d’histoire. Par exemple, Nike a autorité sur les histoires de
motivations personnelles des sportifs dans leurs entrainements quotidiens. Toutes les publicités Nike
ont un même style de narration et une même construction : elles démarrent avec le sportif en situation
d’effort, une répétition d’entrainements comme des épreuves, et un succès modeste mais qui a une
grande valeur pour le sportif. La voix off est souvent discrète et représente la voix intérieure du sportif.
Cette unité dans le style de l’histoire, la forme, confère une autorité à la marque en lui donnant un
droit exclusif de propriété sur ces codes culturels. De la même façon, une marque peut acquérir une
autorité politique en adressant toujours le même sujet. Dans le cas de Nike, c’est la défense de la
liberté face aux discriminations sociales. Les publicités de Nike montrent toujours des individus
défavorisés qui s’entrainement durement pour réussir. Les marques doivent prendre conscience de
ces deux formes d’autorité pour apprendre à en faire bon usage. Si ces deux formes d’autorité sont
clairement identifiées, cela confère un avantage concurrentiel inviolable à la marque.
Une marque se construit sur le modèle d’un réseau social (Holt, 2004)
L’approche systémique de la marque implique d’avoir un nouveau regard sur la loyauté à la marque,
un sujet qui a toujours été primordial pour les marques. En effet, une marque ne doit pas se contenter
de séduire le consommateur, elle doit réussir à le garder le plus longtemps possible. Là où Susan
Fournier expliquait la loyauté par la qualité de la relation établie entre la marque et le consommateur9,
Holt y voit le principe d’un réseau social. Le mythe identitaire que délivre la marque va séduire des
followers, des consommateurs qui vont s’identifier fortement à l’histoire racontée par la marque et
qui vont développer une certaine forme de dépendance vis-à-vis d’elle. Holt donne l’exemple des fans
de la marque sportive ESPN qui trouvent, dans la manière dont est traitée l’actualité sportive sur cette
chaine, des mythes sur la masculinité. Le mythe tire sa légitimité d’insiders, membres actifs de l’univers
dans lequel le mythe puise ses codes culturels. Dans l’exemple de la marque ESPN, les insiders sont
des anciens sportifs qui ont une excellente connaissance des pratiques sportives. Ils ne sont pas
particulièrement attachés à la chaine mais il là regarde pour la qualité des informations qu’elle donne.
Ce faisant les insiders confèrent de la crédibilité à la chaine ESPN, notamment aux yeux des followers
qui y trouvent une raison de plus d’aimer cette chaine. C’est cette dynamique entre d’un côté les
insiders et de l’autre les followers qui donne à la marque son attractivité. Le reste des consommateurs,
la plus grande majorité, va consommer la marque pour le statut qu’elle a acquis dans cet espace social.
Les feeders vont utiliser la marque pour tisser des liens sociaux avec des amis ou pour exprimer un
statut social. Dans le cas de ESPN, le fait de montrer que l’on regarde cette chaine indique aux autres
que l’on est un homme, un vrai.
Ainsi, Holt distingue clairement 3 types de publics aux visées différentes : les followers qui vont
s’identifier profondément au mythe de la marque ; les insiders qui cherchent du pragmatisme mais
confèrent de la légitimité à la marque ; les feeders qui veulent du statut social en s’affiliant à la marque.
9 Fournier Susan (1998). Consumers and their brands: developing relationship theory in consumer research. Journal of Consumer Research, Vol 24
18
La notion de mythe
Douglas Holt utilise le terme de mythe plutôt que celui d’histoire ; il convient donc de creuser la
différence notionnelle entre ces deux termes. Dans son célèbre livre Mythologies (1957), Roland
Barthes analyse et décrypte ce qu’il appelle le langage mythique.
Le mythe, explique-t-il, est un langage qui utilise des formes ayant un sens déjà existant mais qui en
déforme le sens pour leur donner une signification différente. Par exemple, la publicité pour la lessive
Omo montre un agent nettoyant entrain de chasser une tâche de saleté mais on peut également y voir
un combat entre le bien et le mal : le gentil agent nettoyant vient chasser la méchante saleté noire. La
différence entre le sens et la signification est que le premier est immédiat alors que le second est
construit. La signification du mythe est motivée, c’est-à-dire qu’elle repose sur l’intention du receveur.
Comme le dit Barthes, « c’est le mobile qui fait proférer le mythe ». Dans notre exemple sur la lessive
Omo, la saleté est associée au concept du mal, donnant ainsi sa signification à ce qui n’était au départ
qu’une simple tâche. Cette déformation du sens fonctionne sur le principe de l’analogie qui puise ses
sources dans l’histoire. Barthes donne l’exemple d’un soldat noir qui fait le salut militaire français. La
signification de cette image est la colonisation française. Mais cette signification n’est rendue possible
que parce que l’histoire de la France a réellement été marquée par la colonisation. Il y a signification
car il y a similitude entre ce passé colonisateur et l’image d’un soldat noir faisant le salut militaire
français. La force du mythe vient de sa capacité à « transformer l’histoire en nature », c’est-à-dire à
transformer l’intention en cause. Dans l’exemple du soldat noir faisant le salut militaire français, on a
l’impression que la cause de cette image (et derrière sa signification) est l’impérialisme français alors
qu’en réalité c’est l’intention de départ ! Autrement dit, le mythe est une histoire dont les
composantes sont issues de l’Histoire (éléments réels donc) et qui intègre l’intentionnalité du receveur
(ses motivations). Par conséquent, un mythe est toujours une histoire pensée pour un contexte
culturel donné. On retrouve ici le lien avec les myth markets mentionnés au début : ces marchés
désignent en fait des intentionnalités partagées par un certain nombre d’individus.
Comment les consommateurs utilisent les mythes délivrés par les marques ? L’une des reproches formulée par Nina Diamond à propos des principes du cultural branding de Holt
portait sur l’absence de détail sur la manière dont les mythes identitaires délivrés par les marques
étaient utilisés par les consommateurs. Cette critique trouve partiellement réponse avec le travail
mené par Holt et Thompson sur la quête de masculinité par la consommation.
L’étude menée par Holt & Thompson révèle que les Américains agissent comme des « bricoleurs » qui
utilisent des éléments des 3 modèles de masculinité présents dans la culture Américaine pour
construire leur propre identité. C’est historiquement le modèle du breadwinner, littéralement celui qui
« gagne le pain », qui prévalait. Selon ce modèle, les hommes sont de férus travailleurs, animés d’un
esprit carriériste (montrant la réussite sociale) et motivés par le gain matériel (argent, maison,
voiture…). Son modèle concurrent est celui du rebelle. Le rebelle c’est celui qui vit hors des institutions,
il est indépendant, fort, aventureux, séducteur et joueur. Le problème c’est que chacun de ces 2
modèles a ses avantages et ses défauts, ce qui ne rend satisfaisant ni l’un ni l’autre : le breadwinner
est un conformiste bureaucrate qui manque d’esprit d’initiative et de courage alors que le rebelle est
antisociable, déconnecté des réalités et condamné à rester en marge de la société pour le restant de
ses jours. Holt & Thompson ont identifié un 3ème modèle, le Man-Of-Action Hero, qui résout les
contradictions des 2 précédents. Ce modèle valorise les hommes qui ont « une vision, du cran et un
esprit d’entrepreneur pour transformer les organisations vieillissantes et bâtir de nouveaux marchés »
(Holt & Thompson, p.428). Holt démontre que les hommes ont une lecture permanente de leur
identité qui refuse de faire un compromis. Plutôt que de choisir un modèle insatisfaisant, ils préfèrent
19
en inventer un nouveau qui intègre les avantages de l’un et de l’autre sans en avoir les défauts. Bien
qu’ici, le mythe du Man-Of-Action Hero ne soit pas délivré par une marque en particulier (c’est plutôt
une production de la culture populaire), les principes restent les mêmes. Un mythe identitaire délivre
une solution à une contradiction culturelle. Sa valeur identitaire réside précisément dans sa capacité à
résoudre cette contradiction.
Le deuxième enseignement est plus surprenant. En analysant le discours de différents hommes sur
leurs pratiques de consommation, Holt & Thompson se sont aperçus que la signification donnée à une
marque varie en fonction du statut social de l’individu. Ainsi, la grille de lecture du mythe change en
fonction de l’éducation, du métier, des relations sociales, des expériences passées de l’individu. Holt
& Thompson donnent l’exemple de Robert, un homme qui s’est élevé socialement en haut de la classe
moyenne et qui interprète le modèle du breadwinner comme celui d’un homme qui a une belle
carrière, une famille, etc, alors que Donny, issu de la classe ouvrière, n’y voit que routine et
conformisme. Les choix de consommation de Robert (collectionneur de cartes de hockey et course
automobile) sont guidés par le désir d’affirmer sa masculinité en évitant la confrontation avec les
pratiques bourgeoises (golf, tennis…) dans lesquelles il se sent moins à l’aise. Ainsi, Holt & Thompson
montrent que chaque individu a une lecture personnelle du mythe, en fonction de ses objectifs
sociaux.
Le dernier grand enseignement de cette étude concerne le caractère narratif de la consommation. Holt
& Thompson ont découvert que « lorsque la consommation est construite comme une histoire
dramatique, les expériences sont intensifiées ». Dans le cas de Robert, ses pratiques de consommation
sont mises en récit comme des actes de rébellion contre un modèle dominant. De la même manière,
Donny transforme un intérêt pour la couture en un affrontement homme/femme dans lequel il prend
parti contre l’homophobie en se voyant comme un designer de vêtement pour femmes.
Intérêt et limite des travaux de Holt sur le Cultural Branding L’approche novatrice des marques que propose Holt est résolument moderne. Les marques ne doivent
plus être considérées comme des agrégats d’associations mentales mais comme des narrateurs
culturels qui engagent diverses partie-prenante dans un dialogue permanent et où les dynamiques de
co-construction viennent enrichir la marque. Pour réussir, les marques doivent avoir une bonne
compréhension de la société et des tensions qu’elle abrite, afin de pouvoir proposer la bonne histoire.
Plus qu’une simple histoire, c’est un discours mythique que la marque doit établir, en adressant une
tension sociétale identifiée avec une histoire suffisamment suggestive pour permettre aux
consommateurs d’y projeter leurs propres préoccupations. En effet, il est inutile de vouloir imposer
une histoire unique aux consommateurs puisque ces derniers bricolent leur identité en empruntant le
discours de cette marque dans un but spécifique, en fonction de leur place dans l’espace social. Plutôt
que de vouloir construire une relation forte et personnelle entre la marque et le consommateur, il vaut
mieux se concentrer sur le mythe identitaire et laisser les dynamiques de co-construction opérer.
Aussi pertinente soit elle, l’approche de Douglas Holt présente deux limites majeures. La première
concerne le medium d’expression de la marque. Holt parle quasi exclusivement de publicité comme
moyen d’expression pour la marque alors qu’il existe bien d’autres moyens de communications comme
le packaging, le merchandising, le bouche –à-oreille, le sponsoring, les applications mobiles, etc. La
deuxième limite porte sur la composition du mythe identitaire. Holt expédie la question de la
composition du mythe en trois étapes : écrire un synopsis du mythe détaillant l’anxiété identitaire
visée et la manière d’y répondre ; « décrire le populist world auquel la marque va être rattachée et la
stratégie pour établir une voix authentique » ; « développer une esthétique charismatique pour la
20
marque ». Le point le plus important nous semble ici avoir été survolé. Holt insiste pour que le mythe
soit inséré dans un univers où « les actions des individus sont perçues comme étant guidées par des
valeurs intrinsèques, et non par l’argent ou le pouvoir ». Pour être légitime, le mythe délivré par la
marque doit séduire une partie des individus faisant partie de ce populist world. Le problème, c’est
que Holt ne donne pas d’explications sur la manière de développer cette authenticité avec un monde
qui par définition est éloigné des préoccupations commerciales. L’exigence d’authenticité nous semble
être la roue manquante du carrosse de Holt.
La quête d’authenticité
“Hero stories are fundamental human archetypes that resonate across all cultures. And, of course, one
of the classic approaches in advertising is to create hero advertising. The challenge, of course, is to do
it in a fresh way, not in a cliché way. Authenticity and voice are keys to successful brand storytelling.”
(Larry Huston, VP & Lead Creative Director at Procter & Gamble)
Avant de définir l’authenticité et les moyens pour l’exprimer, il convient de s’attacher aux raisons qui
font que la recherche de l’authenticité est aujourd’hui devenue la pierre angulaire de nombreuses
stratégies de marque. Selon Arnould et Price (2000), la demande croissante d’authenticité de la part
des consommateurs s’explique par une perte de repères des individus associée à l’évolution des
marchés. Ces derniers ont vu leur nature fortement évoluer sous les effets de la mondialisation, d’une
déterritorialisation et du croisement toujours plus grand entre monde réel et monde virtuel10.
Paradoxalement, la mondialisation des échanges entraine des réactions de résistance de la part des
consommateurs. Refusant l’homogénéisation du monde, les consommateurs se tournent vers des
marques qui valorisent un ancrage local. Le sentiment régional peut être utilisé comme un levier
marketing pour vendre des produits issus du savoir-faire d’une région (Dion, Remy, Sitz, 2010). Les
relancements de la Citroën DS ou de la Volkswagen Bettle illustrent la fibre nostalgique des
consommateurs qui cherchent, à travers l’achat de ces marques, une connexion temporelle et
historique avec un passé qui leur parait plus familier. Enfin, le développement exponentiel d’internet
et des objets connectés, tend à brouiller les frontières entre monde réel et monde virtuel et à donner
naissance à ce que Brigitte Jordan (2009) appelle des espaces hybrides. Bien que les implications de
cette évolution en marche semblent difficiles à établir avec certitude, il est clair que la généralisation
des smartphones connectés à Internet bouleverse d’ores et déjà nos modes de consommation. La
question de l’authenticité a fait l’objet de nombreux travaux de recherches pour comprendre
comment le consommateur évalue l’authenticité d’une marque et comment l’entreprise peut
exprimer l’authenticité de sa marque aux consommateurs.
L’authenticité est le résultat d’un jugement porté par l’individu (Beverland, Farrelly
2010) Comme le relèvent Michael B. Beverland et Francis J. Farrelly au début de leurs recherches,
l’authenticité a été défini de diverses manières : pour certains chercheurs l’authenticité est de nature
artificielle (mise en scène, fabriqué), pour d’autres elle résulte d’une interprétation subjective
(sincérité, moralité, légitimité). La nature des objets portant l’authenticité fait également débat. Aussi
surprenant que cela puisse paraître, des objets non-originaux et destinés à être vendu en masse
10 Voir Arnould and Price (2000). Authenticating acts and authoritative performances: questing for self and community, The Why of consumption: contemporary perspectives on consumer motives, goals, and desires
21
peuvent être authentiques (Miller, 2008). Les travaux de Beverland et Farrelly ont permis de dépasser
ces contradictions apparentes en révélant le lien étroit entre authenticité et motivations personnelles
de l’individu. L’authenticité, expliquent-ils, « est une interprétation construite socialement, de
l’essence de ce qui est observé plutôt que des propriétés inhérentes à un objet (…) ; la signification
donnée à l’authenticité dépend du contexte et de l’intention de l’individu » (Beverland, Farrelly, p.838).
Lorsqu’ils analysent l’authenticité d’un objet, d’une marque ou d’une expérience, les individus sont à
la recherche de 3 bénéfices qu’ils déterminent en appliquant des critères de jugements qui s’insèrent
dans des stratégies plus larges.
Ce que recherche un individu en authentifiant un objet, une marque ou une expérience, c’est à obtenir
3 bénéfices identitaires :
- Être en situation de contrôle : une marque authentique doit pouvoir donner des arguments
tangibles pour que l’individu puisse sentir qu’on ne se moque pas de lui
- Être connecté : une marque authentique doit être connecté à un lieu, une communauté, une
culture ou à la société ; c’est-à-dire qu’elle doit exister
- Être vertueux : une marque authentique doit affirmer des valeurs morales en ligne avec celles
de l’individu
Pour déterminer si un objet, une marque ou une expérience contient ces 3 bénéfices recherchés,
l’individu va appliquer des critères de jugement :
- Pragmatisme : cette marque est authentique parce qu’elle fait bien ce qu’elle prétend ; c’est
un jugement pragmatique qui est fondé sur un test, sur un jugement indépendant, sur une
vérification ou sur la certitude de pouvoir l’utiliser.
- Participation : cette marque est authentique parce qu’elle existe bien (liée à un lieu, une
communauté, une culture…) ; c’est un jugement fondé sur la proximité, les normes
communautaires et l’omniprésence.
- Moralité : cette marque est authentique parce qu’elle a des valeurs morales ; c’est un
jugement fondé sur la pureté et l’universalité.
Les travaux de Beverland et Farrelly révèlent également que les individus sont proactifs dans le
processus d’authentification. L’authenticité est bien une quête activement menée par les
consommateurs. Quatre stratégies d’authentification ont été mises au jour par Beverland et Farrelly :
- Placement : les consommateurs vont se placer dans des lieux ou des situations propices à
l’authenticité. Cela inclut le fait de rester loyal à une marque par exemple.
- Interprétation : les consommateurs vont trier les messages véhiculés par une marque pour ne
garder que les éléments qui correspondent aux bénéfices attendus.
- Réduction : les consommateurs réduisent le contenu d’une marque, d’un objet ou d’une
expérience à une infinité d’éléments sur lesquels ils vont porter leur jugement.
- Projection : les consommateurs projettent leurs propres désirs identitaires dans les marques,
les objets et les événements pour renforcer leur propre histoire et ainsi obtenir les bénéfices
identitaires recherchés
Les conclusions de l’étude de Beverland et Farrelly sont précieuses pour comprendre l’authenticité du
point de vue du consommateur. Toutefois, peu d’éléments ont été donnés pour aider les marques à
développer une voix authentique.
22
Comment les marques peuvent-elles développer une voix authentique ? (Gilmore &
Pine, 2007) Attiré par le succès de la marque L’Occitane en Provence, Luca Massimiliano Visconti (2010) a mené
une étude terrain pour comprendre comment cette marque diffusée mondialement est parvenue à
exprimer son authenticité. Son étude s’appuie sur les travaux de Gilmore & Pine (2007) qui donnaient
5 dimensions par lesquelles une marque pouvait exprimer son authenticité :
- Naturalité : la marque doit apparaitre éloignée de toute contamination liée aux actions
humaines ;
Dans le cas de l’Occitane, la naturalité est exprimée par les ingrédients naturels qui évoque
un lien direct à la Provence et qui sont interprétés par les consommateurs comme des
symboles d’écologie, de simplicité, de rusticité, etc.
- Originalité : le caractère unique du produit (design, fonctionnalité, packaging…) ;
Dans le cas de l’Occitane, l’originalité s’exprime à travers le caractère unique du design des
boutiques et des produits.
- Exceptionnalité : la marque est liée au travail minutieux d’artisans et d’ouvriers au savoir-faire
rare ;
Dans le cas de l’Occitane, l’illusion du travail artisanal est assuré par le choix du mobilier
dans les boutiques, l’aspect ancien des étiquettes et la localisation du site de production à
Manosque.
- Référentiel : la marque est ancrée dans un cadre spatio-temporel en lien avec une histoire, un
lieu, des traditions, des rituels ;
Dans le cas de l’Occitane, le référentiel utilisé est bien évidemment la Provence et sa
culture méditerranéenne.
- Influence : la marque est capable de mobiliser les individus pour une cause juste ;
Dans le cas de l’Occitane, l’influence positive de la marque sur le développement durable
a été reconnue par les consommateurs.
Vous noterez que ces 5 dimensions ne sont pas sans rappeler les bénéfices identitaires évoqués
précédemment (moralité, connexion, pragmatisme). Pour exprimer leur authenticité, les marques
n’ont pas nécessairement besoin de remplir ces 5 dimensions. « Chaque marque peut construire ses
histoires en adaptant ces dimensions à ses ressources, son passé et ses objectifs de marché » (Visconti,
p.239).
Le travail de Visconti sur L’Occitane va bien plus loin qu’une simple mis en application des principes de
Gilmore & Pine. Visconti définit ce qu’il nomme des authentic brand narratives, que l’on peut traduire
par des histoires authentiques de marque, et démontre qu’un processus de co-contruction de ces
histoires entre l’entreprise et les consommateurs est à l’œuvre. En incorporant les conclusions de
Gilmore & Pine dans une vision symphonique de la marque (Diamond, 2009), Visconti propose une
modélisation de ce processus dans laquelle les 5 dimensions de l’authenticité sont des cordes d’un
instrument de musique. Chaque corde peut émettre le son de l’authenticité mais le plus intéressant
advient lorsque plusieurs cordes sont utilisées en même temps. Dans ce cas, on se produit des accords
qui correspondent en réalité à des stratégies de marque.
Dans l’exemple de L’Occitane, Visconti identifie 3 accords ou stratégies de marque :
23
- sincérité et fiabilité : ceci est atteint par le choix minutieux des éléments via lesquels la marque
communique ;
- exhaustivité : ceci est atteint par la quantité et la qualité de l’information donnée au
consommateur ;
- sélectivité : ceci est atteint par le choix de se restreindre à une histoire simple et sur laquelle
les consommateurs peuvent s’immerger ;
Côté audience, Visconti propose une modélisation des consommateurs en fonction de leur sensibilité
aux 3 accords mentionnés ci-dessus :
- Metropolitan listeners: ils sont sensibles aux racines historiques, géographiques et culturelles
des produits et de la marque ;
- Nostalgic listeners: ils valorisent la production artisanale, la persistance des traditions, la
consommation de produits désuets, et plus généralement de tout ce qui rappelle l’époque
préindustrielle ;
- Relational listeners: ils valorisent les liens sociaux entre individus alors que la vie moderne en
manque cruellement ;
- Ethical listeners: ils sont sensibles aux engagements sociétaux de l’entreprise ;
- Elitist listeners: ils sont sensibles au côté rare et éphémère de l’authenticité car cela leur
permet de montrer leur richesse et leur raffinement ;
Ainsi, une même histoire de marque peut séduire un large public qui va y trouver une signification
particulière lui permettant de construire sa propre identité.
“By founding the notion of authentic brand narratives, branding can be read as a powerful conveyer of
meanings to the market, which involves consumers in the representation of the brand by active
dialogues, personal and even conflictual confrontations, ethical tensions, and connections with
imaginary places, times, and traditions” (Visconti)11
Les marques doivent permettre aux individus de se réenraciner dans leurs milieux « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est
un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle
à l’existence d’une collectivité qui conserve certains trésors du passé et certains pressentiments
d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la
profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de
recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire de ces milieux
dont il fait naturellement partie. (…) Le pouvoir de l’argent et la domination économique peuvent
imposer une influence étrangère au point de provoquer la maladie du déracinement » (Simone WEIL,
1949)
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces lignes écrites en 1942 durant les pires heures de notre
histoire, rappellent étrangement les principes du marketing tribal (Cova, Cova, 2001). Pour Bernard
Cova et Véronique Cova, l’ère post-moderne se caractérise par une dissolution sociale et un
individualisme extrême qui entrainent une recomposition sociale dans laquelle on assiste à la
11 « En créant la notion de récit authentique de marque, le branding peut être vu comme un puissant convoyeur de sens sur le marché, ce qui implique les consommateurs dans la représentation de la marque via des dialogues actifs, des confrontations personnelles et parfois conflictuelles, des tensions éthiques, et des connections avec des lieux, des temps et des traditions imaginaires »
24
formation de « groupes multiples et éphémères qui ont plus d’influence sur le comportement des gens
qu’aucune autre institution moderne ». Alors que le développement technologique (transports,
ordinateurs, téléphones, machines…) nous éloignent de nos attaches naturelles (lieu de vie familial,
savoir-faire familial, etc), les individus cherchent désespérément à se réenraciner. On retrouve ici le
lien avec la quête d’authenticité dont nous parlions un peu plus haut. Les lignes écrites par Simone
Weil expriment parfaitement le besoin de réenracinement des individus. Avec une impressionnante
lucidité, Simone Weil identifie deux autres causes du déracinement des individus, une « maladie » qui
frappe toujours de nos jours : « l’argent », c’est-à-dire le matérialisme, et la « domination
économique », c’est-à-dire la mondialisation et le salariat, qui tendent à déposséder l’individu de son
ancrage historique et culturel. Le marketing traditionnel, tel qu’il a été pratiqué depuis les années 70,
a lui aussi sa part de responsabilité. En faisant du bénéfice produit la pierre angulaire des stratégies de
marque, le marketing a contribué à déraciner les individus en leur vendant toujours plus d’objets dans
une pure logique matérialiste d’accumulation : des rasoirs toujours plus performants, des lessives
toujours plus efficaces, des crèmes toujours plus hydratantes… La combine a duré un moment, près
de 30 ans, mais aujourd’hui les consommateurs ne s’en satisfont plus. L’intuition géniale de Simone
Weil, c’est de définir l’enracinement comme « la participation réelle, active et naturelle à l’existence
d’une collectivité ». On peut lire cette phrase comme un conseil adressé aux marques : ne cherchez
pas à vendre un bénéfice fonctionnel, vendez plutôt du lien social. La marque doit devenir la porte
d’entrée d’une collectivité. Par exemple, Nike est devenue la porte d’entrée du groupe des
« battants populaires », ceux qui viennent de milieux défavorisés mais qui réussissent à monter les
échelons de la société grâce à la force de leur volonté individuelle. Le choix des mots est intéressant :
on parle ici de collectivité et non de communauté. La collectivité renvoie à un groupe social plus ouvert
sur l’extérieur, qui partage un cadre de vie commun mais qui ne cherche pas à avoir de « membres ».
Si une marque veut bâtir une collectivité autour d’elle, elle doit prendre en compte les liens naturels
des individus : cadre de vie, lieu de naissance, profession ou l’entourage de l’individu. Il est donc très
important pour une marque de soigner les codes culturels utilisés dans toutes ses prises de
communication. Ces codes culturels doivent permettre de bâtir des ponts entre la marque et les
consommateurs en jouant sur le référentiel, l’histoire (les origines de la marque), les actions menées
et les liens amicaux ou familiaux. En plus des liens, la marque doit s’assurer de la participation active
du consommateur. On est donc bien ici dans une logique d’échange, de dialogue entre le
consommateur et la marque. Ce que l’individu va chercher dans ces communautés, ce sont des sources
d’inspiration pour sa vie morale et intellectuelle. Les marques doivent donc développer des histoires
authentiques capables de délivrer des bénéfices identitaires aux consommateurs.
Conclusion de la revue de littérature Il faut adopter une vision dynamique et narrative des marques. Les consommateurs modèlent leur
identité tout au long de leur vie, avec des phases de plus ou moins grandes stabilité. Les individus n’ont
pas une mais plusieurs identités : ce sont des acteurs capables de jouer des rôles différents en fonction
du contexte dans lequel ils se trouvent, des objectifs visés et de leur apprentissage social. Lorsque je
vais chez des amis un samedi soir, je ne cherche pas à montrer la même personnalité que lorsque je
me rends en réunion un lundi matin. Mes choix de vêtements vont être radicalement différents : dans
un cas je veux apparaitre comme une personne détendue alors que dans l’autre je veux au contre
paraitre sérieux. Mes objectifs sont différents, tout comme les attentes du groupe dans lequel je suis
sont différentes. Les individus effectuent donc des jonglages identitaires permanents et empruntent
au discours ambiant des éléments leur permettant de « bricoler » leur identité en fonction des
situations, des objectifs, de leurs propres expériences personnelles passées. C’est là que les marques
ont un rôle à jouer. Une marque capable d’offrir des ressources narratives au consommateur pour lui
25
permettre de mettre en récit sa propre vie sera perçue comme ayant de la valeur identitaire. Le
consommateur est attiré par les marques qui lui proposent une trajectoire de vie dans laquelle il va
pouvoir s’identifier, un élément de récit qu’il va pouvoir se raconter à lui-même et aux autres pour
supporter sa construction identitaire. Nous avons tous des désirs, des choses que l’on aimerait faire,
des personnes à qui l’on aimerait ressembler, des vies que l’on aimerait avoir… mais bien souvent ces
désirs se heurtent aux réalités. Pire, ils sont souvent contradictoires. Holt l’a montré avec la quête de
masculinité aux Etats-Unis et l’insatisfaction des deux modèles dominants de masculinité (breadwinner
et rebel). Les consommateurs sont à la recherche de solutions leur permettant de résoudre ces
contradictions (dissonances cognitives) et les marques qui parviennent à leur offrir ces solutions se
voient récompensées par une loyauté sans pareil. C’est de cette « solution » dont parle Holt quand il
utilise le terme de « mythe identitaire ». En réalité le terme est piégeur car il sous-entend que le
consommateur va accepter le mythe tel quel alors qu’en réalité, différents niveaux de lectures sont
appliqués par les individus en fonction de leur niveau social notamment et de leur capital culturel. Nina
Diamond a ainsi montré les différences d’interprétations faites par les mères et leurs filles à propos
des histoires des poupées American Girl. Chacune d’entre elles contribuent à enrichir la marque en y
ajoutant sa propre interprétation, d’où le constat de dialogue symphonique entre la marque et ses
consommateurs. La consommation est avant tout une histoire collective où les interactions jouent un
rôle essentiel. Plutôt que de chercher à écrire un mythe, une marque doit développer des éléments
narratifs authentiques (Visconti) qui vont permettre au consommateur de se réenraciner, c’est-à-dire
de se sentir « participer à l’existence d’une collectivité conservant certains trésors du passé et certains
pressentiments d’avenir » (Simone Weil). Ce que Nike a si bien réussi à faire, c’est à créer une
collectivité humaine imaginaire (celle des noirs américains qui luttent pour vaincre les barrières
sociales) dans laquelle des milliers de consommateurs (de toutes les couleurs de peau) se sont
identifiés. Pourquoi se sont-ils identifiés ? Parce qu’ils y ont vu une métaphore de leur lutte
quotidienne et parce qu’ils ont perçu l’histoire de Nike comme authentique. L’authenticité est un
jugement qui repose sur 3 normes socioculturelles : le pragmatisme du propos, le sentiment de
connexion (au lieu, à la communauté, etc…), et la moralité (est-ce un message pure et universel).
Chacune de ces normes repose sur des critères de jugement. Ces critères sont appliqués en fonction
des intentions de l’individu, comme par exemple la recherche de masculinité. Dans ce cas, une marque
sera perçue comme authentique par le consommateur si elle offre un support dans la construction de
sa masculinité au travers d’un discours pragmatique, moral et où l’on se sent connecté. Les éléments
narratifs de marque doivent donc s’inscrire comme une réponse aux tensions et aux désirs culturels
des individus.
Partie 2 : Objet, problématique de recherche et intérêt L’objet de ce PFE est de combler le vide entre la théorie du cultural branding (Holt, 2004) dont les
principes, l’intérêt et les limites ont été présentés en partie 1, et la réalité managériale. Concrètement,
ce PFE entend montrer comment bâtir un mythe identitaire de marque à partir d’une culture-sportive.
Le cadre ici retenu est donc celui du sport à travers ses marques et ses différentes cultures-sportives
(Pociello, 1995). Plus précisément, c’est l’aviron qui va faire l’objet de notre recherche. La longue et
riche histoire de ce sport, la dispersion de la pratique en France et dans le monde, ainsi que la quasi
absence de commercialisation du sport, nous ont convaincu de l’intérêt de ce sport comme objet
d’étude. L’étude que nous avons mené porte sur la compréhension de la culture sportive de l’aviron
afin d’en révéler les éléments caractéristiques susceptibles d’être utilisés par une marque sportive
voulant suivre le modèle du cultural branding.
26
En effet, les principes du cultural branding (Holt, 2004) indiquent qu’une marque doit délivrer un
mythe identitaire adressant une contradiction culturelle si elle veut dominer son marché. En d’autres
termes, la marque doit raconter une histoire particulière dont les codes (narratifs, musicaux, visuels,
etc) et le message soient à même d’aider les consommateurs à construire leur identité. Comme
expliqué dans la revue de littérature, cette histoire doit être authentique. Son authenticité repose sur
son ancrage à une culture existante, un univers où « les actions des individus sont perçus comme étant
guidées par des valeurs intrinsèques, et non par l’argent ou le pouvoir » (populist world). La culture
sportive de l’aviron tombe dans le cadre de cette définition puisque les actions des pratiquants de ce
sport ne sont motivées ni par le pouvoir ni par l’argent. Pour une marque, l’enjeu consiste à exprimer
cette culture sportive à un large public tout en étant légitime auprès des membres de cette culture.
Avec Visconti, nous avons vu comment une marque peut exprimer ses histoires de manières
authentiques (authentic brand narratives) à travers l’utilisation symphonique des 5 dimensions de
l’authenticité (naturalité, originalité, exceptionnalité, référentiel, influence). Cependant, rien n’a
encore été fait sur la composition de ces histoires authentiques de marque. C’est d’ailleurs une limite
qu’avait souligné Nina Diamond sans pour autant la résoudre : « Holt n’explore ni ne décrit les
processus par lesquels les marketeurs créent des mythes culturels (…) » (Diamond, p.120).
Afin de lever cette zone d’ombre, nous avons mené une étude terrain dont les modalités sont précisées
dans la partie suivante, ainsi qu’une étude de la littérature et des contenus vidéos liées à l’aviron.
L’intérêt de cette recherche est de montrer comment analyser une culture sportive (ici celle de
l’aviron) et comment articuler cette culture à une marque. Contrairement à d’autres sports plus
médiatisés, l’aviron offre l’avantage d’être une terra inconita vierge de tout travail marketing qui
auraient pu polluer notre démarche quasi entrepreneuriale.
Partie 3 : Méthodologie de l’étude terrain Notre étude est fondée sur des données primaires recueillies auprès de pratiquants d’aviron du Club
de Melun, et sur des données secondaires issues des forums de discussion relatifs à l’aviron, des
contenus vidéo et des ressources littéraires.
Pour les données primaires, nous avons réalisé 8 entretiens semi-directifs d’environ une heure chacun
auprès des pratiquants d’aviron du Cercle Nautique de Melun (club d’aviron). Les personnes
interrogées ont toutes des profils sociodémographiques différents et une expérience sportive de
l’aviron plus ou moins longue. Un tableau récapitulatif de ces personnes est fourni en annexe. Durant
ces entretiens, une série de thème a été proposé à l’interviewé mais toujours avec une grande marge
de liberté dans les réponses. Ainsi, les questions n’étaient pas toujours posées dans le même ordre aux
personnes interrogées, l’enquêteur préférant privilégier l’ordre naturel imposé par le discours de la
personne. Un transcrit de ces entretiens est également fourni en annexe. L’objectif de ces entretiens
était d’expliciter au maximum la culture-aviron. Dans ce but, nous avons utilisé les travaux de Christian
Pociello sur les Cultures sportives (1991) afin d’établir des thèmes à aborder durant les entretiens.
Parmi les thèmes abordés, on retrouvait la description des pratiques techniques, la sensation de glisse,
le rapport au corps, le rapport à l’eau, la relation au club, et la relation au coach. A la fin de chaque
entretien était également abordé la perception de la marque Crew Line.
Pour les données secondaires, une liste des sites internet et des vidéos utilisées dans le cadre de
l’étude est fournie en annexe. En ce qui concerne les ressources littéraires, le livre de Ginny Gilder
Course Correction (2015) a très largement retenu notre attention.
27
Les analyses et les interprétations qui vont être présentées en partie 4 sont le résultat d’une
triangulation de données entre les entretiens réalisés auprès des rameurs du club de Melun, des vidéos
d’aviron trouvées sur Internet et du livre de Ginny Gilder, Course Correction (2015). Cette méthode
nous a permis de confirmer ou d’éliminer les éléments que nous avions fait émerger lors de l’analyse
des entretiens.
Partie 4 : Analyses de la culture sportive aviron et interprétations sur la
manière de communiquer une culture sportive Dans cette partie, nous allons analyser le discours des pratiquants d’aviron (rameurs) du club de Melun
afin de faire émerger les pratiques, les techniques et les symboles qui constituent la culture-aviron
(Pociello, p.21).
1° Précisions notionnelles Avant de passer à l’analyse du discours des 8 pratiquants d’aviron que nous avons interrogés durant
notre phase terrain, il convient de définir avec plus de précision les notions de culture et de sport. Pour
cela, nous prenons appuis sur le livre de Christian Pociello, les Cultures sportives (1991).
La culture comme marqueur social, régional ou générationnel
Parmi les différentes définitions existantes, celle qui nous semble être la plus appropriée pour définir
la culture consiste à qualifier une culture comme l’ensemble des pratiques et les produits symboliques
propres à un groupe social contribuant à produire un sentiment d’appartenance et une différenciation
sociale. « Cette culture sert d’étayage à la représentation que le groupe se fait de lui-même, constitue
son identité et contribue à son intégration communautaire (…) ; elle fonctionne comme marqueur
social, régional ou générationnel » (Pociello, p23). La culture qualifie la cohérence, l’organisation, la
transmission et la reproduction de ces pratiques et produits symboliques.
Le sport, « un combat contrôlé sur un champ de bataille imaginaire » (Elias)
Historiquement, le sport est le résultat d’un long processus de pacification des affrontements
populaires par l’édiction de règles strictes fixant les limites de la pratique (Elias, Dunning, 1994). Ainsi,
l’avènement du sport semble répondre à un besoin moral de réussir à normer les rapports conflictuels
dans une société. Le développement de la pratique sportive correspond également au triomphe de
l’idéologie affirmant que le progrès de l’Homme se mesure à l’aune de ses performances. G. Hébert
définit ainsi le sport comme « tout genre d’exercice ou activité physique ayant pour but la réalisation
d’une performance et dont l’exécution repose sur l’idée de lutte contre un élément défini (…) ».
La notion de lutte est une constante dans le sport, mais là où G. Hébert la voyait uniquement comme
un moyen d’exprimer une performance, N. Elias lui donne une place beaucoup plus centrale. « Dans
toutes ces situations, que l’adversaire soit une montagne, une mer, un renard ou un être humain, le
sport consiste toujours à livrer un combat contrôlé sur un champ de bataille imaginaire » (Elias). Un
sport, c’est avant tout un combat normé par des règles destinées à contrôler la violence et qui
renferme une symbolique propre. Ce « combat » peut prendre différentes formes (courses,
affrontement individuel ou collectif) mais il oppose toujours des êtres humains contre des obstacles
définis (une piste de ski par exemple) ou des difficultés à vaincre (une montagne, un océan…).
L’introduction d’instruments dans certaines pratiques sportives a contribué à une hiérarchisation
sociale des sports avec d’un côté les sports populaires où le combat s’exerce quasiment au corps à
28
corps (boxe, football, rugby…), et de l’autre les sports bourgeois où il existe une plus grande distance
vis-à-vis de l’adversaire (tennis, golf, ski…). La médiation de la pratique sportive par des instruments
(raquettes, clubs de golf, skis…) ou des machines (voilier, bateau d’aviron…) introduit non seulement
une distance sociale par le besoin d’apprentissage préalable à la pratique, mais elle ouvre en plus sur
la notion de maitrise technique. Dans certains sports comme le tennis, cette maitrise technique va
permettre à des joueurs d’exprimer leur « style de jeu » et offrir aux spectateurs une source
supplémentaire de plaisir. Non seulement il faut gagner mais en plus avec la manière.
Derrière les propriétés physiques et techniques de chaque sport, se cache également des propriétés
symboliques que leur attribuent les pratiquants et les spectateurs. C’est ainsi que le rugby est associé
à la virilité, aux traditions de sud-ouest, à la solidarité, etc. Ces produits symboliques constituent
l’imagerie et les valeurs d’un sport.
2° Quelques mots sur l’aviron En tant que phénomène sportif, l’aviron est né en Angleterre durant
la seconde moitié du XVIIIème siècle sous l’impulsion des rameurs
professionnels qui opéraient en tant que taxis sur la Tamise à
Londres. Parmi les plus anciennes courses d’aviron connues, la
Doggett's Coat and Badge fait figure de pionnière puisqu’elle existe
depuis 1715 et continue encore chaque année à se courir sur la
Tamise à Londres, entre le London Bridge et Chelsea. Mais il faut
attendre le XIXème siècle pour que la pratique se développe sous
l’impulsion du sport universitaire et du célèbre match entre Oxford
et Cambridge (The Boat Race) qui a lieu chaque année sur la Tamise depuis 1829. Cette course
mythique entre les deux universités les plus prestigieuses du Royaume-Uni est un succès populaire
avec environ 250 000 spectateurs sur les berges et près de 15 millions de téléspectateurs12 suivant la
course en direct depuis chez eux. L’équivalent Américain est la course Harvard-Yale qui se court depuis
1852 sur la Tamise mais à New London, Connecticut. Une autre régate mythique, considérée par de
nombreux rameurs comme le temple de l’aviron, est la Henley Royal Regatta qui se déroule, encore
aujourd’hui, sur le modèle d’un duel entre deux bateaux sur un parcours atypique de 1 mile et 550
yard (2112 mètres) alors que les courses d’aviron sont habituellement courues sur 2000 mètres et avec
6 bateaux alignés côtes à côtes. Depuis 1839, date de sa création, cette régate attire les meilleurs
rameurs du monde entier qui viennent vivre à Henley une expérience unique. Plus récemment, la Head
of the Charles Regatta est devenue une institution en regroupant chaque année près de 11 000
rameurs réunis pour s’affronter au chronomètre sur un
parcours de 3 miles (4,8 kilomètres) à Boston.
En France, c’est historiquement le canotage qui a précédé
l’aviron. En 1823 apparaissent les premiers canots en bois sur
la Seine. Cette pratique rencontre un franc succès et très vite
différents types de pratique émergent : la balade, les flambeurs
et les sérieux. C’est ce dernier mouvement qui donnera lieu à
la pratique sportive de l’aviron. La première régate d’aviron se
déroule en 1867 à Paris lors de l’exposition universelle. Progressivement des sociétés nautiques se
12 Smith, Oliver (25 March 2014). "University Boat Race 2014: spectators' guide". The Daily Telegraph. Retrieved 7 April 2014
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créent, d’abord à Rouen, puis Lyon, Bergerac et Boulogne-sur-
Mer, et plus tard dans le reste de la France.
Bien entendu, depuis sa création le sport et surtout le matériel à
grandement évolué. Le carbone et les matériaux composites ont
remplacé le bois, jugé trop lourd et pas assez efficace pour
convertir la force du rameur en vitesse de coque. Le mot aviron
désigne aussi bien le sport que les rames (souvent appelées
pelles) utilisées pour propulser le bateau. En réalité il existe deux
sortes d’aviron suivant le nombre de pelles utilisées par chaque
rameur : la « couple » (sculling) et la « pointe » (rowing). Un
bateau monté en « couple » signifie que chaque rameur a deux pelles pour ramer. Un bateau monté
en « pointe » signifie que chaque rameur possède une seule pelle qui est plus volumineuse que celles
de couples. Chaque embarcation peut être montée en couple ou en pointe à l’exception du skiff (1 seul
rameur). L’aviron peut se pratiquer seul (skiff), à deux, à quatre ou à huit. Les bateaux dit longs (quatre
ou huit) ont souvent un barreur qui donne la direction au bateau et encourage les rameurs pendant
les courses.
Le geste d’aviron se découpe en 4 phases successives : la prise
d’eau (catch), la poussée (drive), la sortie de pelle (release) et le
retour (recovery). Le rameur, bras tendus et jambes pliés,
prépare ses pelles pour les mettre perpendiculaires à l’eau et immerger le bout rectangulaire (la
palette) dans l’eau. Une fois la prise d’eau effectuée, le rameur pousse sur les jambes puis tire avec les
bras tout en ouvrant légèrement son buste sur l’arrière. Après avoir poussé, le rameur doit libérer ses
pelles de l’eau rapidement afin de ne pas casser l’impulsion qu’il vient de donner à son bateau. Une
fois les pelles hors de l’eau, il vient se replacer en position initiale pendant que le bateau glisse sur
l’eau. Non seulement le geste demande de la précision mais il doit en plus être effectué en parfaite
synchronisation avec le reste de l’équipage.
3° Déterminer la culture sportive de l’aviron : analyse du discours des rameurs du club
de Melun
La singularité des sports exprimée dans leur rapport au corps et à l’espace
L’analyse du discours des pratiquants d’aviron du club de Melun révèle deux grandes clés de lecture
du sport par les individus : le rapport au corps et à l’espace. Pour exprimer la singularité de l’aviron par
rapport aux autres sports, les répondants font références à d’autres sports en leur attribuant un
rapport particulier au corps ou à l’espace.
Ainsi certains sports sont représentés dans leur rapport au corps : le rugby pour le contact physique ;
le judo pour le combat ; la boxe pour la force musculaire.
« Par rapport au rugby, il n’y a pas de contact physique entre chacun, chacun fait sa course de
son côté, et c’est celui qui personnellement ira le plus vite qui va gagner. » (Louis)
« Avant de commencer l’aviron, je faisais un sport d’eau, la natation, et un sport de combat, le
judo. » (Idir)
« Si tu prends un boxeur qui a des gros bras ou un gars qui fait de la musculation de manière
intensive, tu le mets en bateau, il va juste chercher à pousser comme une mule. » (Françoise)
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D’autres sports sont représentés dans leur rapport à l’espace : le football comme un espace libre et
sans danger ; l’athlétisme comme un espace restreint ; le tennis comme un espace monotone.
« Autant sur un terrain de foot, les gars ils peuvent être lâchés à faire un peu ce qu’ils veulent
chacun dans son coin, autant là ils ne peuvent pas. » (Christophe)
« C’est un espace qui n’a pas les mêmes limites que, pour prendre l’exemple d’un autre sport,
l’athlétisme où la piste c’est 400 mètres. » (Philippe)
« C’est un cadre sympathique, ce n’est pas comme au tennis où il y a des courts en plein air
mais où on va toujours au même endroit, alors qu’ici à Melun par exemple, on a 15 kilomètres
de bassin entre les 2 écluses (…). » (Louis)
Structuration sociale des pratiques
L’analyse des déclarations des pratiquants d’aviron du club de Melun corroborent les conclusions de
l’enquête réalisée par A. Lapierre en 1982 et dont les conclusions sont présentées dans le livre de
Christian Pociello (p.56). A. Lapierre était parvenu à identifier 3 groupes sociaux distincts (les
compétiteurs, les touristes et les puristes) en étudiant le champ des sports de plein air (canoë-kayak,
planche à voile, vol libre) qui est similaire à celui de l’aviron (se pratique également en extérieur). C’est
en mettant en relation les différentes variantes de l’activité avec les variables sociodémographiques
et socioculturelles qu’A. Lapierre a fait émerger ces 3 groupes distincts aux caractéristiques propres.
Dans notre cas, nous avons également identifié la présence de trois groupes qui ressemblent beaucoup
à ceux d’A. Lapierre (1982) : les « compétiteurs », les « anciens » et les « loisirs ». Il est intéressant de
constater que cette segmentation vient se superposer à celle des catégories sportives déterminées par
l’âge des pratiquants. En aviron, il existe 5 catégories sportives : minimes (13-14 ans) ; cadets (15-16
ans) ; juniors (17-18 ans) ; séniors (19-40 ans) ; vétérans (>40 ans). Dans notre cas, ces catégories
sportives ne sont pas effacées mais les interviewés viennent y superposer une autre segmentation
basée sur la recherche de performance, l’exigence technique, le lien social et le plaisir.
A° Les « compétiteurs » : jeunes (13-25 ans), aiment la compétition pour les liens sociaux qu’elle
génère (émulation, dynamique de groupe…), l’engagement physique requis pour atteindre les objectifs
de la saison ; ils valorisent la technique du geste d’aviron ;
« Dans le tennis, il n’y avait pas trop d’objectif, c’était juste de venir taper la balle de temps en
temps. Là [à l’aviron] il y a un groupe, des compétitions, on travaille pour des résultats, il y a
une stimulation, il y a toujours les coachs derrière pour nous pousser. Je le sens beaucoup
comme un sport d’équipe. » (Gisselin, 16 ans)
« Ce qui m’a motivé à m’inscrire, c’est vraiment cette dynamique de groupe et on voit que c’est
un club prestigieux qui marque ses objectifs, il y a juste à voir le mur [des médailles et
trophées]. » (Idir, 17 ans)
« Au bout de quelques années, on commence à trouver quelques sensations assez inédites de
glisse et aussi une émulation au sein d’un même équipage. Tout le monde a le même objectif
de faire glisser la coque. Je n’ai pas réussi à trouver un autre sport où on a vraiment ce même
esprit-là. » (Louis, 17 ans)
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« Tu l’as connu, tu vois bien, entre les gamins, chez les jeunes, quand il y a un bateau qui fait
une médaille, je ne vais pas dire que les autres sont envieux mais bon ils se disent : il est à
côté de moi, il a 2 bras et 2 jambes comme moi, pourquoi je n’y arriverais pas moi ! » (Manu,
47 ans)
B° Les « anciens » : anciens compétiteurs, ils ont gardé l’exigence technique mais sont moins portés
sur les performances physiques qu’avant ; ils sont plus sensibles à l’environnement extérieur que les
compétiteurs ; ce sont aussi les gardiens d’une certaine morale de l’aviron qu’ils ont à cœur de
transmettre ; ils bénéficient d’un grand respect de la part des autres groupes ;
« Après nous ici on est plus exigeant ; on se le dit souvent mais je pense que il y a des loisirs,
nous on se fait une sortie à chier, eux ils se feraient super plaisir mais ça c’est parce qu’on a
connu des sensations particulières. » (Manu, 47 ans)
« Moi j’ai un peu plus bourlingué que Christophe sur des bassins d’entrainement et il y a des
sites où j’allais parce que je devais faire de la compet. Ici [à Melun] le site, il y a la forêt, c’est
joli. Quand tu te retrouves à ramer entre 2 berges avec des bords en acier et l’usine derrière et
que tu fais ça sur 2 kilomètres, tu le fais mais… Y a ça aussi, tu te retrouves dans un espace,
c’est comme la différence entre aller faire du vélo en ville et aller faire du vélo dans un col dans
les Alpes pénard. C’est ça qui a fait que je continue. » (Manu, 47 ans)
Interviewer : On dit souvent que chaque sport a ses règles, ses codes, pour l’aviron c’est quoi ?
Manu : Comme m’avait défini un copain, l’aviron c’est un sport individuel pratiqué en équipe.
T’es dans un bateau, si t’es dans un 4 et que t’en as un qui vient jamais s’entrainer, souvent ça
met pas la bonne ambiance. Donc voilà la règle de base c’est que le moins fort s’entraine le
plus. T’acceptes tout, même quand t’es le plus fort, du moment que celui qui a le moins de
facilité il y mette l’investissement. C’est la règle de base, des fois y en a qui la comprenne pas,
il faut leur rappeler. (Manu, 47 ans)
Interviewer : La salle d’honneur, quand vous voyez toutes ces coupes et ces drapeaux, qu’est-
ce qu’elle vous inspire ?
Christophe : On a commencé la même année [que Manu], en 1980/82 ; tu regardes le nombre
de fanions qu’il y avait avant, il n’y en avait vraiment pas beaucoup donc a vu et on a participé
grandir tout ça. Ouais, l’impression d’être chez soi, c’est un peu ça. (Christophe, 46 ans)
Interviewer : Pourquoi être restée toutes ces années ?
Françoise : Parce que j’ai la passion ! Parce que petit à petit j’ai réussi à transmettre ça à mes
enfants qui sont tous passés par là, ils ont tous aimé, ça a duré plus ou moins longtemps. Je ne
voulais pas les forcer parce qu’on ramait souvent donc ils auraient pu avoir un rejet (Françoise,
53 ans)
« Et il y avait aussi les anciens qui tenaient la baraque, avec un grand respect pour eux. »
(Françoise)
C° Les « loisirs » : plus âgés (30-60 ans) ; valorisent surtout le plaisir de la pratique, l’environnement
extérieur, les histoires de victoires des membres du club ; ils ne cherchent pas l’engagement physique ;
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« Pour moi, il y a 2 catégories de personnes dans l’aviron : ceux qui veulent juste se promener
et qui ne font donc pas trop attention à la technique (…) mais moi j’avais envie d’avoir tout de
suite le bon geste technique pour pouvoir en profiter et aussi être autonome, ne pas dépendre
d’une yolette. » (Françoise, 53 ans)
Interviewer : Plus spécifiquement, que représente le Club de Melun ?
Philippe : Avec les années, je me sens mieux là que dans un autre club, je ne me verrai pas
changer de club tous les ans. Et puis bon c’est un club qui a eu des champions, encore
récemment avec l’époque de JD, en plus cette période-là, ça faisait écho à Laure Manaudou
dans la piscine d’à côté, tu te dis que tu fréquentes les mêmes installations de des champions
de niveau mondial. C’est un club qui n’est pas ridicule. Chaque année, le club amène des gens
à un bon niveau, voire dans une catégorie ou l’autre, ya souvent un champion de France ou
finaliste, c’est quand même un club de bon niveau. (…)
Interviewer : C’est ce que tu recherches quand tu fais des sorties ?
Philippe : Ah oui, quand il y a un plan d’eau lisse, pas de vent, pas de vague, c’est comme un
miroir, lorsque les conditions sont réunies, je cherche à faire ce mouvement qui perturbe le
moins possible le plan d’eau, c’est le summum. Ce sont de grands moments ! (Philippe, 55 ans)
Le combat contre soi-même
Comme le rappelait N. Elias, chaque sport se définit avant tout par la nature du « combat » qui est livré
par l’athlète. Pour tous les compétiteurs ou anciens compétiteurs d’aviron, ce combat est d’abord et
essentiellement contre soi-même. C’est un combat livré à l’entrainement, pour accepter de s’infliger
parfois près de 12 séances d’entrainements par semaine et pour accepter de tenir ce rythme dans la
durée sans avoir aucunes certitudes sur le résultat à l’issue d’une saison.
Interviewer : Qui est l’adversaire en aviron ? Soi-même ou l’autre bateau ?
Manu : Ça commence par être soi-même, c’est d’abord soi-même à l’entrainement et après si
tu as bien travaillé ça fini par être celui qui est à côté. Si t’es pas préparé, tu te bats déjà contre
toi-même. Sinon tu ne peux pas te concentrer sur l’autre.
Christophe : Mais c’est soi-même pendant des mois et des mois. En sénior, si t’es pas
international, tu fais 4 compétitions à l’année, donc t’en fait très très peu, 2 têtes de rivières,
les tests nationaux, et puis les championnats, aller 5 si tu fais les 2 championnats, et puis
voilà…donc ça fait vraiment très peu de compet et à côté de ça tu t’es bouffé je ne sais pas
combien de kilomètres et d’heures d’entrainements.
L’aviron est reconnu comme un sport où « il faut s’entrainer beaucoup », qui est « dur » physiquement
et techniquement, mais aussi mentalement car il se pratique « dehors » ce qui implique de subir les
conditions météo parfois défavorables (froid, pluie, vent…) et parce qu’il se pratique en « équipage »
ce qui suppose une solidarité entre ses membres.
Interviewer : Pourquoi l’aviron est un sport très exigeant ?
Françoise : Oui c’est exigeant parce que si tu veux être bon il faut s’entrainer beaucoup, c’est
dur, c’est dehors, c’est très technique, il y a des jours t’es fatigué et si t’es en équipage tu ne
peux pas dire à non je ne viens pas. Ça demande de la rigueur, c’est dur, en hiver, quand il fait
froid, tu prends la pluie sur la tête, et tu sais que si tu veux faire tes compets au mois de juin,
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t’as pas le choix, tu dois t’entrainer en hiver. Et puis en équipage, tu ne peux pas dire « bon moi
je m’entraine 2 fois par semaine » alors que les autres s’entrainent 5 fois et monter dans leur
bateau, ce n’est pas possible vis-à-vis d’eux.
Au-delà du rythme d’entrainement soutenu et des conditions climatiques, le combat est aussi (et
surtout) contre la douleur. Lors d’une course ou lors des séances d’entrainements, il faut repousser
ses limites, oublier la douleur et continuer encore plus. Le combat est ici entre le corps en souffrance
et la tête (le mental) qui doit imposer au corps de continuer.
Interviewer : On dit souvent que l’aviron est un des sports où l’on atteint des niveaux de douleur
les plus élevés. Comment appréhende-t-on cette douleur ? Pourquoi est-ce une nécessité de
continuer, de se dépasser, de ne pas lâcher ?
Manu : ça ne s’apprend pas, c’est l’adversaire qui te fait te faire repousser tes limites. Si t’as
envie, t’y va et c’est la tête qui prend le dessus. Mais ça je dirai que c’est une qualité qui se
travaille un peu mais faut l’avoir quoi. Y a un moment, t’oublies que tu as mal et faut juste
décider d’y aller et puis tu t’aperçois que ça passe, ou pas, mais il faut avoir envie d’essayer.
T’es mort, faut avoir envie d’essayer d’en rajouter. Après c’est des histoires de chimie, la
douleur crée certaines hormones, le corps se défend.
Ce combat contre soi-même n’est pas pris comme un sacrifice par les rameurs mais plutôt comme un
bénéfice, une force qui leur servira dans la vie.
Interviewer : L’aviron a changé ta personnalité ?
Louis : Je n’avais jamais fait quelque chose qui me demandait autant de temps et autant
d’engagement, de temps de travail, c’est formateur de consacrer beaucoup de temps à quelque
chose. Avant il y avait des trucs par-ci par-là mais jamais Il n’y avait pas de projet autour duquel
on s’articulait. Maintenant on sait qu’on ne fait pas ça pour rien, si on vient 5 fois c’est pour
s’entrainer, bosser et aller taper une demi-finale aux championnats.
Les sensations de glisse
L’aviron est un sport de glisse puisque le bateau glisse sur l’eau pendant la phase dite de retour, lorsque
le rameur a fini sa poussée et vient se replacer pour effectuer le coup d’aviron suivant. Cependant
cette glisse n’est pas de même nature que celle du surf, du ski ou de la voile, des disciplines sportives
où l’on cherche à utiliser la force naturelle de la vague, de la pente ou du vent pour avancer plus vite.
A l’aviron, le bateau ne sert pas à tirer profit d’une force extérieure de la nature, il est uniquement là
pour permettre de glisser sur l’eau. La seule force qui fait avancer le bateau c’est celle développée par
le rameur. Chaque coup d’aviron, chaque poussée doit engendrer la glisse du bateau pour atteindre la
vitesse la plus élevée possible. Ce moment de glisse est crucial pour la vitesse du bateau mais c’est un
moment fragile, difficile à atteindre et surtout difficile à percevoir pour le rameur.
Lorsqu’on demande à Louis (compétiteur) de décrire cette sensation de glisse, il évoque la cohésion
entre les rameurs (« la force de tout le monde »), le timing (« en même temps »), l’avancée physique
de la coque (qui fait « un bond en avant ») et une sensation de glissement sur l’eau.
Interviewer : Décrivez-moi cette sensation de glisse ?
Louis : C’est très compliqué. En même temps y a la sensation de la force de tout le monde dans
le bateau qui se met exactement en même temps et dans le même objectif de faire un bond en
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avant avec la coque et en même temps de sentir l’eau autour, de glisser dessus, de sentir les
déplacements ensemble et de sentir tout le monde se donner à fond.
Françoise offre une description plus poussée de ce glissement sur l’eau dont parlait Louis. Elle parle de
« vibrations » de la coque, de « petites bulles d’eau » avec un bruit caractéristique. Ces sensations ne
sont pas uniquement les signes de la vitesse d’avancée du bateau, ce sont également des sources de
plaisir pour le rameur.
Interviewer : Décrit moi cette sensation
Françoise : C’est quand tu fais tout comme il faut, qu’il n’y a pas beaucoup de vagues, tu sens
ton bateau qui vibre, ça fait des petites bulles, il y a un petit bruit. Même après 25 ans
d’expérience, toute seule dans mon skiff avec mes petits moyens, c’est le même plaisir
d’entendre ce bruit-là que quand je faisais des compétitions, que j’étais en équipage et
t’attendait que ça, d’entendre ce bruit. Parfois tu pouvais passer des sorties entières à chercher
les bonnes sensations et sur les 10 derniers coups t’as les bonnes sensations et là c’est bon, t’as
réussi ta sortie.
Cette recherche de plaisir est confirmée par Philippe, pratiquant loisir, qui évoque de « grands
moments » lorsque cela ce produit. Il décrit la glisse comme un moment de calme (« silence parfait »)
où l’homme et son bateau ne font qu’un avec l’eau.
Interviewer : Décrivez-moi les sensations de glisse
Philippe : C’est le fait qu’avec l’effort qu’on déploie, on fait filer le bateau. Quand il y a le
moins…ce que cherche à faire quand je suis en skiff ou comme ça… c’est d’avoir le moins de
perturbations possibles sur l’eau, faire le moins de vagues, le moins de traces, de pas plumer,
de pas… pour qu’il y est juste le contact minimum du bateau et que ce soit juste l’appui des
pelles dans l’eau…de pas faire de vagues, de pas faire d’écumes…le silence parfait quoi. Le
glissement, le frottement de l’eau qu’on perçoit un petit peu.
Interviewer : C’est ce que tu recherches quand tu fais des sorties ?
Philippe : Ah oui, quand il y a un plan d’eau lisse, pas de vent, pas de vague, c’est comme un
miroir, lorsque les conditions sont réunies, je cherche à faire ce mouvement qui perturbe le
moins possible le plan d’eau, c’est le summum. Ce sont de grands moments !
Cette glisse n’est pas le résultat du hasard ; c’est le fruit d’un geste technique précis qui permet
d’engendrer la glisse du bateau. Ainsi, et c’est là l’intérêt de ce sport, la sensation de légèreté est liée
à celle pourtant antonymique de technique. C’est un peu comme si l’artiste et le mathématicien ne
faisaient plus qu’un. Une exécution parfaite du geste d’aviron permet la production et la reproduction
à l’infini de cette sensation de glisse.
Interviewer : L’aviron est aussi un sport très technique, la glisse est conditionnée à un geste
techniquement précis
Philippe : C’est ça aussi que je trouve intéressant dans ce sport, c’est qu’à un moment il faut
déployer des efforts – tirer sur les avirons, pousser sur la barre de pieds, etc – mais tout ça doit
être fait dans un contrôle total, à la fois dans l’enchaînement du geste, dans la transmission de
l’énergie entre le corps et le bateau pour que le bateau glisse avec le moins de frottements, de
perturbations possible. C’est ce contrôle global que je trouve intéressant. Il nécessite de rester
concentrer sur tous ces gestes en permanence, d’un bout à l’autre de la sortie si on veut être
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au maximum d’efficacité, de glisse ; il faut rester concentrer sur tous ces gestes, sans se
crisper…c’est tout cet ensemble à qui n’est pas facile à atteindre mais c’est motivant.
Il est intéressant de noter que les sensations de glisse sont interprétées de manières différentes
suivant les catégories de pratiquants. Ainsi, les représentations différentes d’un moment unique (la
sensation de glisse) révèlent en réalité les différentes motivations des pratiquants. Philippe se
représente l’aviron comme un moment de paix, de « silence », loin des préoccupations quotidiennes
et de leurs difficultés. Pour Louis, l’aviron c’est avant tout un groupe de rameurs qui cherchent la
performance pour gagner les championnats. Françoise et Manu ont désormais mis de côté les
préoccupations de courses et se concentrent plutôt sur la technique pure, « le bruit de la coque », en
essayant de retrouver les sensations qu’ils avaient quand ils étaient plus jeunes.
Significations symboliques de l’espace de pratique et du geste d’aviron
Christian Pociello suggère, en se basant sur les travaux de Bachelard et Durand, qu’une analyse des
dimensions symboliques des postures et des espaces sportifs est possible. « Cette réflexologie
(Durand) qu’il faudrait entreprendre pour les jeux sportifs du corps, se déploie dans des espaces variés
(larges ou étroits, extérieurs ou confinés, naturels ou urbains…), par rapport à des matières (dures ou
molles, résistantes ou fluides) et des éléments (eaux, airs, terres, roches, feux...) qui peuvent être eux-
mêmes paisibles ou instables, lisses ou rugueux, clames ou déchainés » (Pociello, p.90).
A° L’espace de pratique
L’analyse du discours des pratiquants d’aviron révèle une symbolique de l’espace considéré dans ses
dimensions (grand, « aéré »), son paysage (industriel vs naturel) et ses éléments (l’eau, le ciel).
Dans le cas du Club d’aviron de Melun, l’espace de pratique est la Seine, sur une portion d’environ 15
kilomètres entre les 2 écluses régulant le niveau du fleuve. Ce grand espace, « très aéré » et « assez
large », représente un espace de liberté, quasi sans limites.
Interviewer : Pourquoi est-ce que ça te plait d’être sur l’eau ?
Françoise : D’abord parce que t’es libre, tu fais ce que tu veux, bien sûr quand tu es tout seul
mais aussi en équipage, c’est une sensation de liberté.
Interviewer : En termes d’image, quelles images te viennent en tête ?
Philippe : Plutôt le plan d’eau. Sur le parcours qu’on emprunte habituellement, c’est le côté très
nature. Si on prend des photos on peut ne pas voir de maisons sur une bonne partie du parcours.
Très aéré, la Seine est assez large à cet endroit-là. Ça renforce le sentiment de liberté, pas trop
de limite, de nature.
On retrouve dans la phrase de Philippe la dimension de liberté doublement associée à celle
d’immensité et à celle de nature. Le fleuve évoque un sentiment de liberté confirmé par la dominance
de la nature sur le monde industriel. Cette opposition nature/industrie est encore plus évidente dans
le discours de Manu. Ancien compétiteur, Manu valorise désormais plus le plaisir de l’aviron. Pour lui
la nature symbolise sa nouvelle vie après la compétition, une vie plus douce, plus paisible.
Interviewer : Le fait d’accrocher avec l’eau et l’extérieur ?
Manu : Moi j’ai un peu plus bourlingué que Christophe sur des bassins d’entrainement et ya
des sites où j’y allais parce que je devais faire de la compet. Ici le site, il y a la foret, c’est joli.
Quand tu te retrouves à ramer entre 2 berges avec des bords en acier et l’usine derrière et
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que tu fais ça sur 2 kilomètres, tu le fais mais… Y a ça aussi, tu te retrouves dans un espace,
c’est comme la différence entre aller faire du vélo en ville et aller faire du vélo dans un col
dans les Alpes pénard. C’est ça qui a fait que je continue.
Nous avons également remarqué une attirance marquée pour l’eau, pour « les bords de l’eau », chez
l’ensemble des personnes interrogées. Il existe bien souvent un lien personnel et extérieur au sport,
avec cet élément. Louis nous confiait ainsi : « je passais pas mal de temps au bord de l’eau et je voyais
les bateaux passer donc un jour je suis venu à une porte ouverte, je suis monté sur une planche à ramer
et j’ai bien aimé cette proximité avec l’eau ». Françoise évoque également un lien personnel avec
l’eau : « je pense que c’est aussi le fait (…) d’avoir habité au bord de l’eau, une fois que tu arrives en
région parisienne pour faire tes études, il n’y a plus l’eau…et là tu redécouvres l’eau ». Pour Philippe,
le rapport à l’eau est moins personnel mais la symbolique est encore plus forte puisque cet élément
est associé à la vie.
Interviewer : Ce qui te fait rêver dans le bord de l’eau ?
Philippe : Le côté naturel, la rivière c’est un milieu de nature. L’eau c’est la vie, les villes se sont
faites au bord de l’eau et puis indépendamment du sport d'ailleurs, j’ai jamais pensé qu’on
puisse habiter dans une ville qui ne soit pas au bord de l’eau. Du coup ici en Seine-et-Marne, il
y a des endroits comme Nangy qui sont nul parts parce qu’il n’y a pas d’eau. Ça me semble
quelque chose de naturel. Dans le temps, l’eau était la principale voie de communication donc
c’est autour des ports que ce sont fait les villes, le commerce s’est d’abord établi à ces endroits
là, sur des lieux de passage, donc je pense qu’inconsciemment il y a ce rapport.
Les éléments naturels sont comme des adversaires contre lesquels on ne peut pas gagner ; il est
inutile de vouloir lutter pour les dominer.
Interviewer : En aviron, qui est l’adversaire : soi-même ou l’autre ?
Françoise : Tu en as plusieurs des adversaires ! T’as le temps, le courant, toi-même, mais c’est
surtout toi-même. (…)
Interviewer : Les éléments naturels ?
Françoise : Quand tu rames longtemps, t’as connu pas mal de phénomènes. Avant je ramais la
nuit, je partais sur l’eau à 17h en hiver, tu revenais il faisait nuit ! Et puis des éclairs, j’en ai pris.
Je me souviens d’une fois j’étais sur l’eau en plein milieu d’un orage et là j’ai eu peur parce que
mon aile était en métal. Je me suis recroquevillée et j’ai attendu que ça passe parce que de
toute façon on ne voyait plus rien.
B° Le geste d’aviron
En plus de l’espace, nous avons identifié des productions symboliques relatives au geste d’aviron. Ainsi,
Françoise donne quasiment vie à l’eau et au bateau lorsqu’elle décrit le geste d’aviron : « savoir faire
le bon geste pour attraper l’eau et faire vivre ton bateau autant que possible ». L’expression « faire
vivre le bateau » est particulièrement intéressante puisqu’elle suggère un rapport personnel et global
au bateau. Ce dernier n’est pas considéré comme une coque mais comme un ensemble de rameurs
qui sont en interactions constantes avec la coque, elle-même en interaction constante avec l’eau. Le
geste d’aviron doit optimiser ces interactions pour atteindre un stade de symbiose éphémère qui ne
dure que quelques secondes, durant la phase de glisse du bateau. Françoise parle « d’un geste continu,
souple, léger et dynamique », on retrouve ici le vocabulaire propre aux sports de glisse comme l’avait
37
noté Christian Pociello. Françoise recherche à retrouver la fluidité de l’eau, la souplesse de l’air pour
faire un geste qui se fonde dans les éléments naturels et atteindre le stade de symbiose.
Philippe a une vision plus mesurée du geste, en utilisant l’expression de « contrôle global ». Le geste
d’aviron doit minimiser l’impact du bateau sur l’eau (« le moins de frottements possibles ») en
optimisant « la transmission d’énergie entre le corps et le bateau ». Les valeurs de concentration et de
rigueur technique sont mises en avant. L’aviron est un sport de géomètre dans l’esprit de Philippe.
Manu et Christophe ne donnent pas une description précise du geste car pour eux un bon geste est lié
avant tout à un bon mental. Manu résume d’ailleurs l’aviron à 3 éléments : « l’effort, l’équipe, le fait
d’être dehors ». Il n’est pas explicitement mention de geste technique. Le geste est inclus dans ce
moment de l’effort. Pour eux, cet effort c’est un état d’esprit : c’est une exigence forte envers soi-
même, avec beaucoup d’entrainements, sans avoir aucune garantie de succès.
L’importance du lien social : émulation de groupe, respect et notion de club
Pour les compétiteurs ou anciens compétiteurs, les liens sociaux créés à l’aviron, dans le bateau
(l’équipage) et hors du bateau (le club), sont essentiels. C’est ce qui explique la longévité dans la
pratique, ce qui fait que les compétiteurs s’engagent autant et que les anciens compétiteurs
continuent l’aviron, quand bien même ils n’ont plus d’objectifs de courses.
Interviewer : Pourquoi avoir continué l’aviron ?
Christophe : Parce que j’avais les copains ici en fait, d’abord c’était pour retrouver une bande
de copains, le sport me plaisait, je ne faisais pas de sport avant, j’étais vraiment un gringalet.
C’était d’abord l’ambiance et le plaisir de faire un sport dehors. Et après le plaisir vraiment de
l’aviron, il est venu progressivement (…).
Le terme « d’émulation » est revenu de nombreuses fois dans la bouche des personnes interrogées
pour désigner une dynamique de groupe entre les rameurs de plusieurs catégories sportives (donc
indépendamment de leur âge). On pourrait traduire cette « émulation » par une compétition interne
et respectueuse où chaque rameur est prêt à repousser ses limites personnelles pour faire encore
mieux. Ce terme confirme l’une des singularités de l’aviron : la nature personnelle du combat livré à
l’adversaire. Louis explique qu’à l’aviron, « chacun fait sa course de son côté et c’est celui qui
personnellement va le plus vite qui gagne ». Manu résume cela en utilisant l’expression de « sport
individuel pratiqué en équipe ».
Manu : Comme m’avait défini un copain, l’aviron est un sport individuel pratiqué en équipe.
Il n’y a donc pas de haine entre les équipages mais au contraire un profond respect car chacun a donné
le meilleur de soi-même et au final, celui qui gagne est celui qui a fait mieux que les autres.
Louis : Chaque bateau se bat d’abord contre lui-même et après contre les autres équipages.
Donc à la fin d’une course, il n’y a pas d’adversité mais de l’empathie envers les autres
équipages parce qu’on l’a fait, on a tous souffert. Il ne peut pas y avoir de mauvaise ambiance.
Christophe : Il y a un respect des rameurs par les rameurs (…) parce qu’il y a une vraie exigence
physique et mentale, ton 1er adversaire c’est toi-même comme on disait tout à l’heure.
Gisselin : Pour moi l’aviron c’est un sport de fair-play, il n’y a que des gens biens. On ne
rencontre pas de personnes qui nous dégoutent, que ce soit au club ou en compétitions.
38
Ce respect ne s’applique pas uniquement envers les autres bateaux, il s’applique également au sein
d’un même équipage. Lorsque la fatigue augmente et que la douleur devient insoutenable, la
motivation pour tenir vient du lien social entre les rameurs. Il existe à l’aviron une règle d’or
mentionnée par Manu qui veut que le bateau avance à la vitesse du plus faible.
Interviewer : La douleur pendant la course, motivation pour ne pas lâcher ?
Jean : Il faut puiser dans ses réserves, aller chercher le courage là où il se cache. Je ne peux pas
lâcher pour les copains (…).
Manu : (…) Donc voilà, la règle de base c’est que le moins fort s’entraine le plus. T’acceptes
tout, même quand t’es le plus fort, du moment que celui qui a le moins de facilité y mette de
l’investissement.
La dynamique de groupe à l’aviron doit être comprise comme une compétition personnelle où chacun
s’affronte de manière indirecte en essayant de produire la meilleure performance possible sur un
exercice identique. Cette émulation génère de manière naturelle une hiérarchisation sociale des
athlètes en fonction de leurs performances.
Cette dynamique de groupe ne concerne pas uniquement l’équipage du bateau, cela englobe toutes
les interactions sociales au sein du « club ». La description faite par Françoise de l’ambiance au club
d’aviron de Corbeil permet de mieux saisir la richesse de cette expression. Elle explique qu’au club de
Corbeil, il y avait « une émulation très forte » grâce à « un esprit de famille », « un entraineur super
compétent » et une « émulation de groupe » (comprendre ici le groupe fille de compétition).
L’émulation est donc le résultat d’interactions rameurs-rameurs, rameurs-entraineur qui sont jugées
bénéfiques parce qu’elles produisent des résultats sportifs (médailles) dans une ambiance détendue
où des moments de partage sont organisés, ce qui permet de tisser des relations de confiance et
parvenir à cet esprit de famille.
Interviewer : Pourquoi est-ce que l’ambiance du club de Corbeil t’a plu ?
Françoise : Moi c’était vraiment comme une famille, il y avait déjà un bon groupe de jeunes
filles et de jeunes garçons qui étaient assez performant. A l’époque, le club était 5ème au
national alors que c’était un tout petit club ! En fait, il y avait une dizaine de personnes mais
qui doublaient leurs courses aux championnats : elles faisaient 2 courses et elles gagnaient des
titres ou des médailles aux 2 courses donc tu récoltais pas mal de points. Et très sincèrement
l’entraineur contribuait aussi à ce bon esprit ; on allait tous les dimanches chez l’entraineur, il
y avait tout le temps des bouffes d’organisées. Il y avait aussi d’autres clubs qui venaient les
week-ends parce qu’il était entraineur en ligue. Moi je faisais parfois la bouffe, par exemple. Ce
qui fait que tu passais des heures au club ! Arthur il était tout petit à l’époque, il avait 3 mois,
et n’importe quand en semaine, si j’avais personne pour le garder, j’arrivais au club, je le
mettais dans un lit et il y avait toujours quelqu’un pour le surveiller ; donc lui il a fait ses
premières nuits au club. Il y avait aussi un super Président qui est très connu dans le monde de
l’aviron, Marcel Salé. Et il y avait aussi les anciens qui tenaient la baraque, avec un grand
respect pour eux. C’était 5/6 années géniales qui se sont arrêtées quand l’entraineur a été muté
à Toulouse et du coup il y a plein de gens qui sont repartis à droite, à gauche.
Le lien social au sein du club est une valeur très recherchée par les pratiquants. La réponse de Manu
ci-dessous, illustre bien l’importance du lien social qui existe au sein des clubs d’aviron.
Manu : (…) c’est la notion de club ça, quand t’es là, tu croises les gens, ou alors tu viens et tu
dis bonjour à personnes ou tu t’intéresses un peu aux gens, ça tu vois t’arrives tu viens, tu te
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casses, c’est du tennis (…). Là, t’as des gens, tu finis un peu pas voir toujours les mêmes têtes,
même les loisirs, ton père je le vois, je lui dis bonjour, enfin voilà, ça c’est la notion de club. Moi
je me suis aperçu en faisant faire des activités sportives avec mes enfants que ce n’est pas si
répandu que ça. J’ai fait de l’escalade, j’ai été dans des clubs d’escalade, des clubs de tennis,
de natation, enfin, t’arrives sur comme des clubs de sport type Pacific Club ou ces truc-là. Tu y
vas et tu consommes du sport. Enfin, si je suis encore là au bout de 30 ans, c’est que voilà, ya
des gens, tu connais les entraineurs, tu t’invites pas forcément, mais ya une notion de club que
ya pas, et pour en avoir discuté, c’est assez répandu dans les clubs français [d’aviron]. On a des
potes vétérans, s’ils sont encore là, c’est qu’ils sont attachés aux gens qui sont encore dans la
structure.
La perception de la marque Crew Line
Chacune des personnes a été interrogée sur son rapport avec la marque Crew Line. L’analyse des
réponses révèle que la marque est entièrement liée à ses produits. Il n’y a pas de « système de
signes créant de la valeur ». Même dans son rôle distinctif, la marque récolte des critiques à cause du
manque « d’identification visuelle » (Manu). Le design des vêtements est également jugé insatisfaisant
(moche et peu de choix). En l’absence de travail de marque, le choix des vêtements pour la pratique
de l’aviron se fait essentiellement sur le prix. Ainsi Philippe va dans le rayon cyclisme de Décathlon
pour s’équiper en vêtements d’hiver. Pourtant la légitimité de Crew Line en tant qu’équipementier
pour l’aviron est reconnue par tous. Les pratiquants lui reconnaissent une véritable expertise
notamment sur le choix des tissus et sur la coupe des vêtements (proche du corps et couvrant les
reins). Malheureusement, l’absence de magasin pour voir et tester les vêtements limite les actes
d’achat au strict nécessaire. En effet, l’entreprise ne dispose que d’une seule boutique en propre située
au lac d’Aiguebelette en Savoie. Le canal de distribution principal est la vente en ligne via un site dédié
et la vente éphémère lors de compétitions d’aviron.
4° Communiquer une culture sportive, le cas de The North Face et Salomon Dans notre recherche sur les cultures sportives et la manière avec laquelle les marques communiquent
dessus, deux exemples ont retenu notre attention. Il s’agit des marques de montagne The North Face
et Salomon qui commercialisent des articles de sport pour l’alpinisme, la randonnée, le trail running,
le snowboarding, le ski alpin, et le ski nordique.
Le cas Salomon : donner vie à l’esprit de la montagne et de la course à pied dans une série de courtes
vidéos exprimant l’authenticité des montagnes et des cultures locales
L’entreprise Salomon est un fabricant de matériels de sport pour la montagne basé dans les Alpes
Françaises à Annecy depuis 1947. L’entreprise commercialise sous une marque unique, Salomon, des
équipements de sport pour la course, le ski alpin, la randonnée, l’alpinisme, le snowboard et le ski
nordique. Jusqu’en 2011, la stratégie marketing de Salomon
était exclusivement axée sur l’innovation technologique et la
performance produit. Cette année-là, Salomon décide de
prendre contact avec une agence indépendante de production
de film, The African Attachment, pour réaliser une mini-série
vidéo sur le champion de trail running, Killian Jornet. Le projet
se révèle être un succès et Salomon décide en 2013 de créer
40
une chaine YouTube, Solomon Running TV, qui diffuse chaque année de Février à Septembre des
épisodes d’environ 6 à 7 minutes dont l’objectif est « d’inspirer les gens à courir et de contribuer à
faire grandir la discipline du trail running ». La marque Salomon devient ainsi un narrateur culturel qui
cherche à ouvrir un dialogue avec les consommateurs sur une base nouvelle. Il n’est plus ici question
d’innovation ou de performance mais de cultures, de communautés, d’ancrage local. C’est une
approche quasi ethnographique où la marque va à la rencontre de passionnés de la montagne qui
vivent dans des communautés avec des traditions fortes et qui trouvent dans la montagne une source
d’épanouissement dans leur vie. La marque Salomon délivre ainsi son mythe identitaire : la montagne
est l’antidote de la ville, c’est un territoire d’exploration sans limites pour des sportifs passionnés qui
ont trouvé dans les montagnes une source inépuisable de liberté. Les montagnes apportent sérénité,
connexion entre les gens et contemplation. Qui n’a pas déjà rêvé de vivre dans un village de montagne
pour se admirer tous les matins le formidable spectacle de la nature, se sentir exister loin des
préoccupations superficielles des grandes villes. Mais qui n’a pas chassé ce rêve en se rappelant la
solitude et la dureté de la vie en montagne. Salomon offre une résolution à cette contradiction
culturelle en donnant une vision philosophique et humaine de la montagne : c’est une communauté
d’hommes et de femmes libres et passionnées qui aiment la nature et le dépassement de soi.
La saison 2015 compte 8 épisodes : the Forest, the Teacher, of Fells and Hills, Fast and Light, To the
Sea, Krogers Canteen, the Ultimate Fan, a Week in Berlin. Le tournage s’est déroulé aux Etats-Unis, en
Afrique du Sud, en Ecosse, à Berlin et dans les Alpes françaises et italiennes. Chaque épisode se déroule
dans un cadre différent, avec des personnages différents mais toujours avec un ton et un style
cohérent. Ces 8 épisodes abordent des thématiques différentes : certaines sont plutôt tournées vers
les traditions anciennes (Of Fells and Hills), d’autres sur un aspect particulier de la montagne (The
Forest), d’autres sur les relations entre vie de famille et passion (The Teacher), etc.
Nous avons analysé l’épisode « Of Fells and Hills » pour
déterminer avec plus de précision les sujets abordés et le
style adopté13. On retrouve dans cette vidéo d’environ 7
minutes, de nombreux éléments caractéristiques de
l’authenticité (Gilmore & Pine, 2007). L’action se déroule au
Lake District, en Ecosse, décrit comme « l’épicentre du fell
running depuis plus d’un siècle ». Le « fell » est une
expression du Nord de l’Angleterre pour dire une montagne
ou une colline. La nature est omniprésente du début à la fin de la vidéo, la beauté de ses paysages, de
ses lumières, de ses couleurs offrent une source de méditation. Les gens se disent « fascinés par la
manière avec laquelle le vent joue avec les chutes d’eau (…), il y a quelque chose de méditatif autour
de ça ». Les imposantes montagnes qui peuplent cette région servent de test aux hommes vivant dans
les villages alentours pour prouver leur valeur et préserver la tradition de leurs ancêtres. Les courses
de « fell » sont uniques en leur genre avec des héros et leurs exploits datant de plusieurs décennies et
qui n’ont jamais été battus depuis. Ce qui est frappant, rappelle la voix-off du film, « c’est l’absence
total de commercialisation » de ces courses mythiques. On retrouve ici la caractéristique essentielle
d’un populist world (Holt, 2003). La communauté des passionnés de ces courses est également mise
en valeur dans la vidéo : « l’histoire est là et les gens qui sont attachés à ce sport et qui l’ont toujours
été sont d’ici ». Alors que la vidéo démarrait sur la perte d’identité et l’égarement, la vision de cette
petite communauté de passionnés offre un moyen de se reconnecter, de retrouver un sens à sa vie.
Enfin, l’épisode se conclut sur une morale qui sonne comme un guide pour une vie meilleure : « il y a
13 https://www.youtube.com/watch?v=QXPtJ5rRM-M
41
un moment dans nos vies où l’on essaie de voir toujours plus de choses et je pense qu’au final, on se
perd ; une montagne est un territoire d’exploration suffisamment vaste pour une vie entière ».
Le cas The North Face: « The Power in Me »
The North Face est également une marque sportive
pour les activités liées à la montagne. Comme Salomon,
la marque The North Face cherche à développer une
histoire autour de l’authenticité de la montagne à
travers le récit des exploits accomplis par ces
explorateurs du XXIème siècle. L’exploration est décrite
comme un style de vie pour ceux qui veulent avoir une vie rythmée par de nouvelles découvertes et
ainsi révéler le pouvoir qui est en eux. L’exploration est comme un désir enfoui qu’il n’appartient qu’à
nous de réveiller. Ce mythe de l’exploration est communiqué à travers des vidéos diffusées sur la
chaine YouTube de la marque et à travers l’organisation d’événements et d’expéditions comme par
exemple la « Riding Wild Alaska », une aventure extrême de 3 spécialistes de la montagne qui se
lancent à l’assaut des terres hostiles de l’Alaska. Par rapport à Salomon, The North Face insiste plus sur
la dimension extrême, sur la performance physique des expéditions. Une des vidéos mise en avant par
la marque raconte l’histoire de David, un alpiniste très expérimenté qui est passé près de la mort lors
qu’il s’est retrouvé bloqué avec un collègue à lui dans une ascension. Le pilote de l’hélicoptère venu
les secourir s’est crashé à cause du mauvais temps et a été tué dans l’accident. Au-delà du défi,
l’exploration est également traitée comme un état d’esprit. Ainsi, une vidéo montre l’histoire d’un
professeur qui décide chaque semaine de fuir la ville avec quelques amis pour partir à l’aventure dans
les montagnes et passer la nuit à la belle étoile. L’aventure est, dit-il, un antidote à la ville. L’esprit
aventure est également au programme de l’événement The North Face nightray outdoor fest organisé
le 12 et 13 septembre 2015.
Partie 5 : Implications pour la marque Crew Line et pour les marques de
manière plus générale Dans cette cinquième et dernière partie, nous allons montrer comment bâtir un mythe identitaire de
marque qui puise son authenticité dans la culture sportive de l’aviron. Grâce à l’étude terrain
présentée dans la partie précédente, nous avons désormais les éléments en mains pour composer le
mythe identitaire et développer une narration authentique de marque. Dans un premier temps, nous
allons évoquer les spécificités du marketing des produits sportifs et prendre l’exemple des deux géants
Nike et Adidas pour illustrer les deux stratégies à l’œuvre aujourd’hui. Ensuite, nous détaillerons nos
recommandations à destination de la marque Crew Line afin de développer une narration authentique
de marque (Visconti, 2010) et bâtir un mythe identitaire. Nous suggérerons également des mediums
de communication qui nous paraissent pertinent afin d’établir un dialogue ouvert avec les
consommateurs (Diamond, 2009). Enfin, nous tirerons les implications de ce travail pour d’autres
secteurs et sur le rôle des marketeurs dans le futur.
La double complexité du produit sportif (Clark et Fujimoto, 1991) Michel Desbordes s’est intéressé de près aux « sports instrumentés de pleine nature » dont il a révélé
l’importance de la dimension symbolique du matériel (Desbordes, 1999) et auxquels il a appliqué le
42
concept de double complexité du produit (Clark, Fujimoto, 1991). Les produits sportifs revêtent à la
fois une complexité technologique et une complexité du produit vis-à-vis du consommateur. Pour
qu’un produit rencontre le succès, il faut gérer les deux composantes du produit ou ce qu’on appelle
aussi l’intégrité du produit (Clark, Fujimoto, 1991). Malheureusement, l’innovation technologique et
la performance ont tendance à monopoliser l’attention des marques de sport au détriment de l’aspect
consommateur. En effet, les entreprises du marché du sport ont bien souvent une organisation qui
tend à opposer les fonctions Recherche & Développement (R&D) et marketing, avec d’un côté des
ingénieurs tournés vers la performance du produit et de l’autre des marketeurs préoccupés par les
désirs des consommateurs. Loin de s’opposer, ces deux fonctions sont extrêmement
complémentaires : « la complexification technologique entraine des investissements de plus en plus
lourds en biens et capitaux de même qu’en recherche et développement, ce qui implique un
élargissement des marchés pour pouvoir les amortir » (Desbordes, 2001). Grâce à notre revue de
littérature (partie 1), nous savons déjà que la consommation ne répond pas simplement à une logique
utilitaire. Dans une étude menée durant 2 ans sur les spectateurs de baseball14, Holt a identifié 4
dimensions explicatives à la consommation de sport : l’expérience (pour les émotions procurées),
l’intégration (à un groupe), la classification (rôle statutaire, pour se distinguer) et le jeu. Les marques
sportives ne doivent donc pas négliger les dimensions immatérielles de la consommation.
Rapide panorama de la consommation des produits sportifs On estime à 235 milliards de dollars le chiffre d’affaires du marché des biens sportifs dans le monde
en 2005 (WFSGI, 2007). C’est un marché en croissance et dominé par les Etats-Unis (45%), l’Europe
(30%) et l’Asie (19%). En terme de distribution, le magasin reste le canal principal de vente avec un
effort des professionnels pour mettre en scène le produit et les athlètes (Ohl, Tribou, 2004). Sans lui
correspondre totalement, la consommation des biens sportifs reste fortement liée à celle des
pratiques sportives. Plus les gens pratiquent le cyclisme, que ce soit en club ou hors fédération, plus le
rayon cyclisme se développe. Les travaux menés par Pociello dans les années 80 semblaient indiquer
une forte corrélation entre catégories sociales et pratiques sportives (Pociello, 1987). Ainsi la
consommation sportive (pratiques et objets) servirait à produire et maintenir la différenciation de
classe. En matière sportive, on peut opérer une distinction entre les sports bourgeois (tennis, ski, golf…)
qui nécessitent un investissement financier important, un long apprentissage technique et où le style
de jeu entre en ligne de compte, et les sports populaires (boxe, football, lutte, cyclisme…) où le rapport
au corps est beaucoup plus direct et prépondérant. C’est ainsi que le faire du golf et acheter des
produits associés au golf montre son appartenance à la classe supérieure. Cependant, des travaux plus
récents ont montré les limites de cette vision distinctive de la consommation (Lefevre, Ohl, 2007). Le
développement de la multi-pratique sportive (ou omnivorité) montre le caractère de moins en moins
cohérent de la culture sportive. « Des différences liées aux catégories sociales demeurent, mais elles
se jouent d’avantage dans le choix des lieux de pratique, des styles et des tenues que dans celui des
pratiques elles-mêmes » (Ohl, Taks, p.36). Ainsi, on voit l’apparition de nouveaux segments au sein de
pratique existante : Outdoor, College, Sport Culture chez Nike par exemple. Cette conclusion est en
ligne avec les travaux de Gille Marion sur la construction identitaire : nos choix s’individualisent et la
consommation devient un moyen d’affirmation de soi. C’est particulièrement le cas des 15-25 ans, gros
consommateurs de pratiques sportives et de biens sportifs (Desbordes, Ohl, Tribou, 2005), qui ont « un
usage identitaire des objets et de leurs marques » (Ohl, Taks, p.40).
14 HOLT (1995). How consumers consume : a typology of consumption practices
43
2 modèles de diffusion des biens sportifs : marketing de la distinction et marketing des
cultures authentiques du sport (Ohl, Taks, 2008) Historiquement, c’est le modèle du marketing de la distinction, héritage de la pensée de Bourdieu, qui
s’est imposé sur le marché du sport. Pendant longtemps, la stratégie marketing des marques de sports
s’est exclusivement résumée au sponsoring de grands champions qui devenaient les prescripteurs de
la marque. Les consommateurs achetaient la marque parce qu’ils voulaient être comme les grands
champions qu’ils voyaient à la télé et surtout le montrer aux autres. De la même façon, le succès des
marques Lacoste et Tommy Hilfiger a reposé sur le modèle de la distinction : en s’associant aux sports
bourgeois, ces marques ont offert un moyen aux classes populaires et aux minorités de s’élever
socialement. Les classes supérieures (ayant un fort capital économique et culturel) produisent de la
distinction sociale par les pratiques sportives qu’elles adoptent et les produits sportifs qu’elles
consomment, et en retour les individus des classes populaires cherchent à imiter par la consommation,
les goûts des classes supérieures pour montrer leur différence. Ce modèle de diffusion des biens
sportifs n’est pas sans poser de problèmes, en témoigne le cas de Lacoste qui était devenu l’emblème
des jeunes de banlieues15. La stratégie marketing de la distinction présente donc deux limites
majeures : premièrement elle repose sur l’hypothèse d’une cohérence entre goûts sportifs et classes
sociales, ce qui est de moins en moins vrai, et deuxièmement elle ne permet pas un contrôle optimal
de la diffusion vers une cible définie.
Sous l’impulsion des cultural studies dont nous avons présenté les principales conclusions en partie 1,
une nouvelle stratégie marketing émerge. Les travaux de Gille Marion sur la construction identitaire
des individus a permis de montrer que nos choix ne se font pas sur des logiques de positions mais sur
des logiques de trajectoires de vie. Nos choix sont influencés par nos interactions avec nos groupes
d’appartenances, avec les systèmes discursifs, par notre cadre de vie et par nos projets de vie. La
consommation est un bricolage où l’individu prend et détourne à son compte des objets, des discours
et des marques pour construire le propre récit de sa vie. Le marketing des cultures authentiques du
sport (Ohl, Taks, 2008) vise justement à travailler sur les cultures sportives pour en faire des ressources
identitaires pour les individus. Le rôle du marketeur ne se résume plus à sponsoriser un grand
champion pour qu’il devienne prescripteur mais à exprimer l’authenticité d’une culture sportive. Les
produits sportifs sont des moyens pour le consommateur de se connecter à une communauté sportive
ayant des pratiques, des techniques et une symbolique propres. Ces cultures sportives vont incarner
des trajectoires de vie dont vont pouvoir s’inspirer les consommateurs.
Nike vs Adidas : 2 stratégies de marque radicalement opposées A l’image des avionneurs Airbus et Boeing, Nike et Adidas se livrent une bataille sans merci depuis plus
de 30 ans pour la domination du marché des produits sportifs. Les deux marques commercialisent des
vêtements, chaussures et accessoires de sport, en concurrence directe sur de nombreux segments
sportifs : football, bakset, running, golf, tennis, training, outdoor, sportswear. Cependant les stratégies
de marque mises en place par Nike et Adidas pour vendre leurs produits sont radicalement différentes.
Adidas reste fortement attaché au marketing de la distinction et axe donc sa communication sur le
sponsoring de grands champions qui deviennent prescripteurs de la marque. Ainsi on retrouve
fréquemment les grandes stars du football comme Lionel Messi ou Thomas Müller, dans les spots TV
Adidas. Toutefois, la dernière campagne de communication en date pour le segment Football de la
marque, semble marquer un tournant avec l’adoption d’un ton différent : les grands champions ont
disparu pour laisser place à de simples joueurs filmés à l’entrainement, dans l’effort quotidien et
15 COLOMBE Pringle (2000). Lacoste victime de sa popularité. L’Express, article publié le 01/06/2000
44
solitaire, sans public et sans gloire. On croirait presque
voir une publicité pour Nike ! Sauf que l’histoire
racontée par Adidas reste uniquement ancrée dans le
jeu de compétition. La tagline « Unlock the game » invite
les joueurs de football amateurs à s’entrainer, à
développer leur « vision », pour « trouver la clé de la
défense adverse ». Seuls les meilleurs, ceux qui
s’entrainent le plus (et qui portent des produits Adidas), parviendront à remporter la victoire et
l’admiration des autres joueurs. Mais dans cette publicité, il n’y a aucun bénéfice identitaire pour
l’individu : aucun style de vie n’est développé, aucune contradiction sociétale n’est adressée, aucune
connexion à un groupe humain n’est mise en valeur et aucune morale n’est donnée. L’histoire délivrée
par Adidas reste une histoire de compétition sportive où l’unique objectif est de gagner la partie.
Nike, entreprise américaine, a construit son succès sur une approche radicalement différente. Comme
évoqué dans l’introduction, Nike a développé une communication qui cherche à délivrer de la valeur
identitaire en racontant des histoires différentes d’individus qui ont réussi à accomplir leur rêve malgré
les difficultés en apparence insurmontables. Depuis le premier spot TV montrant le coureur de San
Francisco franchissant le Golden Gate, de nombreuses histoires ont été racontées par Nike. Mais aussi
nombreuses soient elles, ces histoires ont toute en commun la même signification : seul la volonté
individuelle vous permettra de réussir dans la vie. C’est ce que Holt appelle le combative solo willpower
(Holt, 2010) résumé dans la tagline « Just Do It » qui
apparait à la fin de chaque publicité Nike. La marque ne
limite pas l’intérêt du sport au strict plan de la
compétition, elle lui donne un sens bien plus large et plus
profond en révélant le caractère quotidien et personnel
qui nous lie au sport. Dans la dernière campagne TV Nike
Women, on assiste à des scènes de la vie sportive
quotidienne de femmes durant leurs séances
d’entrainement, sur un vélo en salle de fitness ou allongée sur le tapis de leur salon, en train de lutter
avec leur voix intérieure. On y entend les doutes, les brimades faites à soi-même en se comparant aux
autres, on sent la lutte intérieure, le combat entre la volonté et la douleur inhérente à tout effort
sportif. Mais au final, malgré la difficulté, ces femmes parviennent à leur fin et c’est là la chose la plus
importante. Gagner, c’est avant tout gagner contre soi-même, c’est une source de fierté et
d’accomplissement sans pareil. On retrouve dans cette publicité beaucoup de pragmatisme dans les
situations (les brimades intérieures que l’on se fait à soi-même), une morale exprimée clairement et
simplement (la volonté l’emporte sur la difficulté) et une source de connexion avec d’autres sportives
qui partagent une existence comparable à la nôtre.
Dans une autre publicité diffusée en 2015, Nike met en scène l’histoire du golfeur Rory Mcllroy qui
s’est hissé n°1 sur le circuit. On y voit le joueur enfant, en train d’essayer de taper la balle avec des
clubs de golf en plastique dans le salon. Petit à petit le jeune Rory grandit et son désir de jouer au golf
avec. Fasciné par les exploits de Tiger Wood qu’il regarde à
la télé, depuis le bar de son père, Rory Mcllroy décide de
passer à la vitesse supérieure et de s’entrainer pour un jour
peut-être avoir l’occasion d’affronter son idole Tiger
Woods sur un parcours de golf. La publicité met en avant
cette longue ascension, dans l’ombre, ce désir qui nait
devant les exploits du héros Tiger Wood, les entrainements
menés tambour battant par tous les temps, pour réussir à
45
accomplir son rêve, celui de pouvoir affronter Tiger Wood sur un parcours de golf. Le résultat de cette
partie importe peu, ce qui compte c’est que la volonté ait guidé la jeunesse de ce petit garçon, qu’elle
lui ait permis de grandir et de se hisser parmi les plus grands. Ce que Nike met en avant, c’est cette
trajectoire de vie. Le sport est ici montré comme une philosophie de vie, un état d’esprit, intimement
lié à notre vie quotidienne, c’est une culture de l’effort, du dépassement de soi, non pas pour gagner
une médaille ou pour affirmer son statut social, mais simplement pour soi, pour le défi que cela
représente, pour réussir son rêve.
Le contexte de l’entreprise Crew Line La société Crew Line fabrique et commerciale des vêtements
techniques d’aviron et de canoë-kayak depuis 1997. L’entreprise
est basée en Savoie, près du lac d’Aiguebelette qui accueille en
2015 les Championnats du Monde d’ Aviron. La stratégie de
marque se résume essentiellement à du marquage de produit et
à la valorisation des performances thermiques des tissus des
vêtements. Les produits Crew Line sont segmentés en 3
catégories :
- Vêtements techniques : combinaisons, collants, t-shirt manches longues, t-shirt manches
courtes, gilets, vestes, shorts, débardeurs
- Sportswear : polaires, doudounes, shorts, jogging, sweat-shirts, t-shirts, polos, débardeurs…
- Accessoires : coussins (à utiliser en bateau), lunettes, chaussettes, moufles…
On a remarqué récemment une volonté de communiquer sur une
dimension plus émotionnelle avec le lancement d’une gamme de
vêtements et d’accessoires « I love Rowing ». Cependant cette
ligne de produit se résume encore une fois au simple marquage.
La distribution des articles se fait majoritairement par vente en
ligne et sur les bassins lors des compétitions officielles. Toutefois,
il existe une boutique située au siège de l’entreprise à
Aiguebelette.
Nous somme dans le cas typique d’une marque de sport tournée quasi-exclusivement vers la technique
et la performance des produits, et dont la stratégie marketing se résume au sponsoring d’athlètes
d’aviron. Crew Line n’a pas d’ancrage solide dans la communauté des rameurs, sa légitimité repose
uniquement sur la qualité technique de ses vêtements. Si la marque veut se développer, elle doit
devenir un acteur culturel légitime de l’aviron.
Composer le mythe identitaire de la marque Crew Line Notre revue de littérature en partie 1, nous a permis de mieux comprendre la notion de mythe
identitaire et les principes du cultural branding (Holt, 2004). La marque, émancipée de son produit,
doit devenir un narrateur culturel en racontant une histoire qui adresse des tensions au sein de la
société. Cette histoire doit avoir deux niveaux de lecture : elle doit être emprunte de « pragmatisme »
et offrir une richesse « symbolique ». Grâce à l’étude terrain menée en partie 2, nous avons déterminé
les éléments constitutifs de la culture sportive de l’aviron et nous avons vu à travers l’exemple des
marques Salomon et The North Face, comment une marque peut réussir à exprimer une culture
46
sportive. Nous avons désormais tous les éléments en main pour composer le mythe identitaire de la
marque d’aviron Crew Line.
1° Déterminer le myth market de Crew Line
Identifier les contradictions culturelles
Comme nous l’avons vu en partie 1, les myth market naissent d’une insatisfaction, d’un écart entre les
désirs et les anxiétés des individus au sein de la société à un moment historique donné. Il nous faut
donc d’abord identifier les tensions au sein du discours sportif actuel afin de pouvoir, dans un second,
temps, créer un mythe capable d’y répondre.
Toutes les marques sportives adressent plus ou moins les mêmes thématiques : liberté,
masculinité/féminité, estime de soi, etc. Mais ces thématiques sont traitées de manière différente en
fonction des marques et de la culture sportive à laquelle elles se rattachent. Par exemple, la
masculinité dans la culture rugby est associée à la virilité qui s’exprime dans la violence des contacts,
les blessures apparentes, la corpulence des joueurs, etc, alors que la masculinité au basket repose sur
des regards, sur une rapidité et une légèreté lors des phases offensives, et des paniers spectaculaires.
Il en est de même pour la liberté. Nike a rencontré le succès avec son mythe du « Just Do It » en vantant
les vertus de la volonté individuelle que rien ni personne ne peut arrêter. La marque est devenue le
symbole de la liberté individuelle au sens le plus communément accepté du « je fais ce que je veux ».
Racontée avec les codes culturels de la communauté noire-américaine – celle du basket de rue, du hip-
hop, celle qui lutte contre les discriminations raciales – cette histoire de marque a parfaitement
répondu aux désirs et aux tensions d’une large frange de la population dans les années 80/90. D’autres
marques ont une approche différente de la liberté. C’est le cas des marques Salomon et The North
Face qui ont une histoire de marque sur la montagne et sur la symbolique de l’exploration. Un peu à
la manière de Nike, ces marques communiquent sur le quotidien de sportifs de la montagne mais le
message est différent. Là où Nike mettait en avant la force de la volonté individuelle, Salomon et The
North Face vantent le sentiment de liberté que procure la montagne. Ici la liberté n’est pas entendu
comme « je fais ce que je veux » mais comme « je vais où aussi loin que je puisse aller ». L’exploration
de la montagne est un défi qui permet de grandir et de mieux se connaitre. Les explorateurs fuient la
ville, sa routine et son anonymat, pour partir à l’aventure dans les montagnes reculées à la rencontre
de la nature et des habitants des vallées.
Mais tous les individus n’ont pas en permanence le désir de montrer leur virilité, de vouloir affronter
toutes les difficultés du monde dans l’espoir de réussir à s’élever en société, ou d’explorer les
montagnes en espérant découvrir qui ils sont. Les marques Nike, Adidas, Salomon, The North Face
couvrent déjà un certain nombre de tensions culturelles mais de nombreuses autres restent
insatisfaites. Les verbatim collectés durant notre étude terrain ont permis de mettre au jour d’autres
contradictions culturelles. Nous avons relevé 5 couples d’opposition : force/violence, beauté/combat
physique, corps/esprit, collectif/liberté, consommation/partage.
Le premier couple d’opposition (force/violence) traduit un malaise au sujet de l’acceptation de la force
aujourd’hui comme expression de violence. Les hommes forts sont ceux qui savent se battre, ceux qui
sont agressifs. On retrouve cette corrélation dans la culture rugby, avec des contacts violents, des
bagarres sur le terrain. La virilité s’exprime par la violence des contacts. Mais les pratiquants d’aviron
ne se reconnaissent pas dans cette conception de la force. Pour eux la force n’est pas synonyme
d’agressivité. Être fort, c’est avant tout la capacité à endurer des efforts prolongés et intense. C’est
réussir à aller plus vite que les autres, à pousser plus fort que les autres. L’agressivité, la violence du
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contact physique, c’est une propriété des animaux. Toute force engagée doit servir une cause. A
l’aviron chaque effort est fourni dans le but de faire glisser le bateau le plus loin possible sur l’eau.
Le deuxième couple d’opposition (beauté/combat physique) révèle la séparation qui est faite dans le
discours ambient entre sensibilité et masculinité. Habituellement, la sensibilité est une qualité
réservée aux femmes. Ainsi, on a observé par le passé une surreprésentation de femmes dans certaines
disciplines sportives comme la natation synchronisée ou la gymnastique où les mouvements doivent
être harmonieux et fluides (Pociello, 1995). Mais les rameurs n’acceptent pas cette conception. Dans
leur sport, l’harmonie des mouvements va de pair avec l’intensité physique.
Le troisième couple (corps/esprit) désigne le refus de la loi du plus fort. A l’aviron, les plus forts ne sont
pas forcément ceux qui vont le plus vite. Il faut savoir maitriser son bateau, sentir la glisse et maitriser
parfaitement la technique. C’est un équilibre nécessaire entre corps et esprit, que la société a tendance
à oublier. La professionnalisation du sport a eu pour effet d’éloigner sport et étude, comme s’il fallait
choisir entre l’un des deux.
Le quatrième couple d’opposition (collectif/liberté) est peut-être le plus intéressant car il est spécifique
à la culture aviron. En effet, la quasi-totalité des sports se divisent en pratique individuelle (natation,
tennis, ski…) ou collective (football, rugby, handball…). Hors l’aviron est « un sport individuel pratiqué
en équipe » (Manu). Ce faisant, il occupe une place unique sur le marché du sport. On peut l’interpréter
comme la volonté de s’inscrire dans un cadre collectif mais sans renier sa liberté individuelle. A notre
avis, nous touchons ici l’une des limites du mythe identitaire de Nike qui repose exclusivement sur la
volonté individuelle. Le combat individuel n’a de sens que s’il permet de s’inscrire dans un collectif,
dans un groupe avec lequel on peut partager des émotions et un destin commun.
Enfin, le dernier couple d’opposition (consommation/partage) traduit la notion de club dont le sens a
été explicité en partie 4. Le sport n’est pas un produit de consommation, c’est un engagement dans un
groupe qui partage un patrimoine commun. Le club désigne cet ensemble à la fois matériel et
immatériel, où les rameurs partagent quelque chose en commun. Il y a une structuration sociale avec
des anciens qui sont les garants des trésors du passé et des compétiteurs dont l’émulation fait ressortir
le meilleur de chacun.
Prendre en compte l’évolution des idéologies dominantes
Les contradictions culturelles dans le discours ambient d’une société ne sont pas figées dans le temps,
elles évoluent en fonction des événements qui rythment la vie en société. Il nous faut donc prendre
du recul sur le discours actuel pour essayer de déterminer son évolution future. C’est grâce à sa
capacité d’anticipation que Nike a construit son succès. La marque a détecté avant ses concurrents un
changement de paradigme de la société et ses conséquences en matière sportives. Douglas Holt
explique qu’au début des années 70, c’est l’idéologie du « Wall Street Frontier » qui domine. Cette
idéologie se caractérisait par une réussite sociale au prix d’une dévotion totale à l’entreprise. Mais à
la fin des années 80, le marché du travail se durcit, l’économie stagne, les politiques ont un discours
de fermeté et d’exigence. C’est alors le modèle du « Free Agent Frontier » qui prend le relais.
Désormais, chacun ne peut compter que sur soi-même pour réussir. Il faut être plus fort, plus
déterminé que les autres s’il on veut réussir. En matière sportive, ce changement d’idéologie se traduit
par l’essor des pratiques sportives individuelles comme le jogging. C’est la fin du « sport dans les
stades ». Le sport se diffuse dans notre vie quotidienne et devient un moyen pour équilibrer sa vie
personnelle et professionnelle. Nike a développé le « Just Do It » mythe – la force de la volonté
individuelle – qui correspondait parfaitement à la nouvelle idéologie du Free Agent Frontier. En
l’espace d’une vingtaine d’années, Nike est devenu la référence des marques sportives en imposant
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ses codes culturels au marché (environnement urbain, histoire sur la détermination individuelle, ton
personnel voire intime dans la communication, figures de la communauté noire-américaine, lutte
contre les discriminations…).
Cependant la société évolue et le paradigme à l’œuvre dans une société peut changer en fonction des
événements. Nous pensons que tel est le cas aujourd’hui. C’est un changement long, progressif, mais
de grande ampleur. Il n’est pas limité au domaine du sport, il concerne l’ensemble de la société. Ce
changement est lié au développement d’internet et à l’avènement des objets connectés qui rendent
tout objet ou toute personne membre d’un système global. Ce changement de paradigme a été
identifié par Jérémy Rifkin dans son dernier livre sorti en Septembre 2014 et dans lequel il explique les
raisons de la disparition lente mais certaine du capitalisme au profit d’une économie collaborative –
ce qu’il appelle les communaux collaboratifs16. Sans rentrer dans le détail de la mécanique économique
qui sous-tend ces deux paradigmes opposés, nous insistons sur les différences de valeur. En effet,
chaque idéologie économique repose sur des valeurs qui justifient son fonctionnement. Pour le
capitalisme, ces valeurs sont l’intérêt personnel, le gain matériel, le droit de propriété et la quête
d’autonomie. A l’opposé, les valeurs portées par le nouveau paradigme sont l’intérêt collaboratif, le
désir de relations et de partage, l’innovation ouverte, la transparence et la recherche de communauté.
Si le mythe identitaire de Nike s’adapte parfaitement avec le paradigme capitalistique, il ne correspond
pas du tout au second. Ce changement économique et social décrit par Jérémy Rifkin représente une
opportunité idéologique pour proposer une nouvelle idéologie sportive dont Crew Line serait le
narrateur.
2° Le mythe de l’intérêt collectif surpassant les différences individuelles
Les tensions résolues dans la culture aviron
La marque Crew Line va développer des éléments narratifs de marque offrant une solution aux
tensions culturelles évoquées précédemment. On peut être calme et fort, livrer un combat physique
intense mais avec une incroyable beauté, un combat où la force pure ne l’emporte pas toujours et où
le plaisir né de l’unité du groupe.
L’aviron est un sport qui nécessite des capacités physiques exceptionnelles mais où la force doit être
maitrisée et délivrée dans un objectif de glisse. Cette force s’exerce lors de la phase de poussée,
pendant un laps de temps déterminé, sur une surface restreinte et dans le but de faire avancer le
bateau le plus loin possible. C’est une force fluide, souple et harmonieuse.
La beauté est un spectacle dont nul ne peut se passer. Mais la beauté est le fruit d’un combat, d’une
lutte acharnée et silencieuse dont on ne perçoit que le jaillissement final. Un bateau d’aviron se
déplaçant sur l’eau est un spectacle magnifique dont l’harmonie n’a d’égal que le silence. La
synchronisation parfaite des rameurs dans leur geste souple et fluide, propulse la coque de manière
quasi aérienne au-dessus de l’eau qui s’élance avec détermination vers l’avenir en fendant les eaux
troubles du fleuve.
Corps et esprit sont complémentaires : le corps va où l’esprit veut aller mais sans le corps l’esprit ne
peut s’exprimer. A l’aviron, corps et esprit se livrent une lutte acharnée pour savoir qui va abandonner
en premier. Le corps est engagé dans une bataille physique pour repousser ses limites alors que l’esprit
16 Rifkin (2014). La nouvelle société du coût marginal zéro. Edition Les Liens qui Libèrent (LLL). Lonrai
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doit se concentrer sur la technique du geste et analyser les sensations ressentie en bateau pour
améliorer son geste.
Ne compter que sur soi-même présente des limites que le groupe permet de dépasser. La force du
collectif est plus grande que la somme des forces individuelles. En bateau, chacun est libre de ses
mouvements mais ils doivent s’opérer en parfaite synchronisation avec les autres rameurs pour
atteindre l’unité parfaite qui caractérise le moment de glisse. A ce moment-là, le bateau fait un bond
en avant en glissant au-dessus de l’eau.
Le sport ne se consomme pas, il se vit. On fait partie d’une collectivité humaine qui a traversé des
épreuves, accomplis des exploits et qui continue à préparer l’avenir. C’est le partage de ce patrimoine
commun qui donne toute la saveur du sport. Chaque club d’aviron a ses anciens qu’on respecte pour
les exploits qu’ils ont accomplis. Chaque club a ses compétiteurs qui se livrent une compétition saine
et respectueuse où chacun tente de montrer le meilleur de lui-même à l’autre pour montrer qu’il
mérite sa place dans le bateau.
Le mythe énoncé
Notre recommandation est de développer une histoire de marque à l’opposé de celle de Nike. En effet,
notre réflexion part d’un constat de forte différente entre les cultures sportives individualistes et
urbaines revendiquées par Nike (basket et running) et la culture aviron où la pratique se fait dans un
cadre collectif et sur une surface naturelle (l’eau). La marque Crew Line doit construire sa narration
autour de la supériorité de la force collective sur la seule volonté individuelle. En puisant dans les codes
de la culture aviron, Crew Line va raconter une histoire sportive où l’engagement de plusieurs individus
dans une aventure collective se révèle être un formidable moteur de performance et d’harmonie. Les
clubs d’aviron sont des collectivités où chacun a choisi de s’engager dans le même style de vie, celui
de la quête d’harmonie et de puissance dans un cadre collectif. En retrait du tumulte de la ville, les
rameurs viennent chercher le calme du fleuve pour livrer leur combat. C’est un combat contre eux-
mêmes, contre la facilité que la vie quotidienne tend à les faire tomber. Repousser ses limites, accepter
la douleur comme faisant partie d’un processus nécessaire pour se sentir vivre. Ce combat
terriblement intense n’a de sens que parce qu’il répond à une nécessité, celle de faire avancer le
bateau. En acceptant de s’asseoir dans ce bateau, chacun fait allégeance au groupe, au club et à tous
ceux qui sont passés par là avant eux. C’est un pacte, un contrat implicite qui les engage à donner toute
leur énergie et leur concentration au service du groupe. Ce faisant, il acquiert une force, une puissance
et un sentiment d’harmonie qu’ils n’auraient jamais pu atteindre par eux-mêmes.
L’aviron est le sport de ceux qui cherchent une paix intérieure par l’effort éreintant et le
perfectionnement technique permanent de soi-même dans un cadre collectif où l’objectif dépasse sa
propre existence. C’est une culture du sacrifice et de la perfection, empreinte d’histoire et d’honneur,
dans laquelle chacun trouve une forme de plénitude et de satisfaction en développant une
connaissance et une maitrise de soi-même inégalée dans aucun autre sport.
L’idéologie ainsi communiquée par la marque Crew Line répond non seulement aux tensions
culturelles présentes dans le discours des pratiquants d’aviron, mais au-delà, nous pensons qu’il peut
adresser des anxiétés sociétales partagées par un plus grand nombre d’individus.
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3° Les codes culturels de Crew Line reprennent ceux de la culture aviron
Grâce à l’étude terrain présentée en partie 4, nous avons pu identifier les quatre principaux codes
culturels de l’aviron qui sont selon nous la tranquillité, la technique, la force mentale, et l’amitié. Ces
codes doivent servir à raconter le mythe identitaire de marque sur l’intérêt collectif surpassant les
différences individuelles.
La tranquillité est une dimension essentielle dans l’aviron mais
elle doit être bien comprise. Par tranquillité on entend la
recherche d’une distance par rapport à la société. La
concentration totale lorsque les rameurs sont en bateau leur
permet de retrouver une certaine unité avec soi-même. La
sensation de glisse que tous les rameurs cherchent à produire
et à ressentir a été définie comme un moment de silence et
d’unité par les pratiquants interviewés. Le cadre de pratique,
avec ses grands espaces et sa dimension naturelle, contribue également à la tranquillité qui est
ressentie comme libératrice. Les observations ont confirmé cette analyse puisque les rameurs sont
silencieux en bateau, concentrés sur leurs gestes et sur la glisse du bateau.
Le deuxième code culturel identifié est celui de la technique. L’aviron est un sport qui fait mentir
l’adage sportif selon lequel le vainqueur est toujours celui qui est le plus fort physiquement. La maitrise
technique est essentielle si le rameur veut pouvoir tirer profit de sa force physique. Cette maitrise
technique est une quête permanente du mieux faire, de
l’optimisation des mouvements pour qu’ils viennent s’effectuer
en parfaite harmonie avec l’eau et avec le reste du bateau. Nous
avons retrouvé la trace de cette préoccupation technique dans
la revue Ramer d’octobre 2010 avec un article faisant un
parallèle entre la technique du geste d’aviron et celle des
tatouages17. Ce parallèle nous parait intéressant car il montre
que la culture du tatouage pourrait exprimer symboliquement
l’exigence technique propre à la culture aviron.
Le troisième code de la culture aviron est celui de la force mentale. L’aviron est un « sport individuel
pratiqué en équipe » comme l’expliquait Manu, un ancien compétiteur du club. Les rameurs sont
capables de repousser leurs limites pour le bien du groupe, pour le bateau. « Il y a un moment, tu
oublies que tu as mal et faut juste décider d’y aller » (Manu). Corps et esprit se livrent une lutte
acharnée pour savoir qui va lâcher le premier. C’est l’interdépendance entre l’individu libre et le
groupe qui confère une force mentale supplémentaire, et qui donne à l’aviron son caractère unique et
magique. C’est un engagement total qui structure sa vie
quotidienne et un projet de vie autour du perfectionnement
permanent de soi-même.
Enfin, le dernier code culturel concerne l’amitié. L’aviron est un
sport où chacun doit apprendre à calquer son rythme sur celui de
l’autre, à reproduire les mouvements des autres, à faire
confiance aux autres car on ne peut pas mesurer la force
appliquée dans l’eau ni observer ce que font les autres. Toutes
17 Ramer, le magazine de la fédération française des sociétés d’aviron, n°672, Octobre 2010
51
ces contraintes ont comme conséquence de développer une amitié très forte entre rameurs d’un
même bateau.
Le mythe identitaire de Crew Line est destiné à s’adresser en priorité aux pratiquants d’aviron quel que
soit leur nationalité. Cependant, il existe des différences importantes entre la culture sportive française
et celle anglo-saxonne. En Angleterre et aux Etats-Unis, l’aviron est un sport très renommé dans les
grandes universités. La pratique universitaire est bien plus développée qu’en France et l’histoire du
sport est intimement liée à celle des grandes institutions
académiques. De grandes courses sont organisées depuis plus
d’un siècle entre Cambridge et Oxford en Grande-Bretagne et
entre Harvard et Yale aux Etats-Unis. L’exigence de résultats
dans ces grandes institutions, l’équilibre entre performance
académique et sportive, la beauté des campus et le sentiment
d’unité au sein de chaque université sont autant d’évocations
de la culture aviron. Nous pensons que cet héritage culturel
anglo-saxon devrait être utilisé par la marque Crew Line pour
renforcer son autorité culturelle (Holt, 2004). La marque de vêtement Ralph Lauren a d’ailleurs déjà
utilisés les codes visuels de la culture aviron pour présenter certaines de ses collections (Lookbook Fall
Semester 2012), montrant ainsi le lien entre la culture de ce sport et l’aristocratie de la société
britannique. Un livre publié récemment analyse et documente l’histoire des Rowing Blazers, ces vestes
chaudes et aux couleurs volontairement reconnaissable qui sont devenues des symboles de l’héritage
aristocratique de la culture aviron au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Chaque blazer représente un
club avec son histoire, ses rituels et ses rameurs.
4° Développer une narration authentique de marque
Maintenant que nous avons les grandes lignes de notre histoire, il faut la raconter de façon à ce que
les consommateurs la jugent authentique. Rappelons-nous les travaux de Beverland et Farrelly sur
l’authenticité et ceux de Visconti sur les authentic brand narratives : l’authenticité n’est pas une
propriété intrinsèque de l’objet mais un jugement personnel reposant sur 3 normes socioculturelles :
le pragmatisme, la connexion et la morale. Pour exprimer l’authenticité, une marque peut jouer sur 5
cordes : la naturalité, l’originalité, l’exceptionnalité, le référentiel et l’influence.
La nature exprime la distance, la liberté, la tranquillité et parfois l’hostilité lorsque les éléments de
déchainent
Crew Line doit montrer sa distance avec l’univers du sport de rue dont Nike est la marque
emblématique. Cette distance nécessaire peut s’exprimer par la prédominance d’une nature sauvage
qui tranche avec le monde bétonné et industriel de la ville. Le bitume de la ville est remplacé par l’eau
du fleuve, souple et vivante. Les poteaux électriques et les façades d’immeubles deviennent des arbres
cachant des maisons anciennes où le temps semble s’être arrêté. La nature est pourvoyeuse de
liberté à travers les grands espaces d’eau qui indique une absence de limite et inspire donc un
sentiment de liberté. On peut se déplacer partout à la surface de l’eau sans avoir de contraintes et
sans être observé. La beauté de la nature, l’harmonie et le calme qui y règnent, sont une source infinie
de tranquillité. Cette tranquillité extérieure est le reflet de la paix intérieure que le rameur éprouve
lorsqu’il est sur l’eau. Mais lorsque les éléments se déchainent, que le vent se lève, que la pluie tombe,
que l’orage gronde, alors la nature devient représentation de l’hostilité, une nature qui vient tenter de
déstabiliser le rameur et l’équipage. Ce sont des menaces naturelles à l’unité et la stabilité du bateau.
Par mauvais temps, les vêtements Crew Line protègent le corps des agressions naturelles menaçant la
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tranquillité du rameur. Par beau temps, les vêtements cherchent à s’effacer pour permettre au rameur
de capter la tranquillité naturelle du fleuve.
Référentiels : le fleuve, le club d’aviron et le bateau
Parmi ces trois référentiels, le fleuve est le plus important car il est celui qui parle au plus grand nombre
de personnes. L’histoire de Crew Line est indissociablement liée à celle du fleuve. Les fleuves sont des
espaces calmes, reposant où l’on vient se ressourcer. Leurs mouvements permanents leur en font des
sources inépuisables de contemplation. Ce sont des havres de nature et de paix par opposition au bruit
et à la pollution de la ville. Il y règne une harmonie qui se caractérise par la fluidité et la lenteur des
mouvements de l’eau.
Le club et le bassin sont indissociables l’un de l’autre. Le club représente l’interface entre la terre (la
vie quotidienne) et l’eau (le monde de l’aviron). Le club est le lieu de vie de la communauté des
rameurs : on y discute avec les anciens dans la salle d’honneur, à côté des médailles et trophées
accumulés années après années, on y verse des litres de sueurs sur les ergomètres (machine pour
ramer) et dans la salle de musculation. Chaque club a une histoire particulière, des courses mythiques,
des héros, un bassin spécifique, une émulation de groupe propre à lui. C’est une seconde famille, un
lieu et un groupe en dehors de la vraie famille et du monde professionnel.
Dernier des trois référentiels, le bateau est l’endroit où tout se joue. La coque est comme une bête
vivante qu’on essaie de dominer collectivement, en écoutant les bruits et les mouvements qu’elle fait.
On y veille précieusement sur et en dehors de l’eau. Les bateaux sont manipulés avec précaution et
sont régulièrement bichonnés pour garder toute leur splendeur.
Exceptionnalité : la synchronisation parfaite des mouvements
C’est ce qui donne son caractère exceptionnel à l’aviron, la beauté d’un mouvement harmonieux et
puissant, des corps et du bateau qui glisse délicatement sur l’eau. Lorsque tous les rameurs unissent
parfaitement leurs mouvements, il se produit un plaisir palpable, un sentiment d’unité et de force
collective. Le bateau devient comme invincible. Mais cette unité est douloureuse, elle requiert une
grande concentration de la part de chacun et un énorme engagement physique à chaque coup. C’est
une lutte silencieuse, un combat contre soi-même engagé par chacun pour préserver le plus longtemps
possible l’unité du groupe.
Originalité : avancer à l’aveugle
L’aviron est le seul sport où l’avancée se fait à reculons. C’est pour une plus grande efficacité vous
dirons les rameurs mais c’est peut-être aussi un moyen d’augmenter la confiance. Chacun doit
apprendre à se faire confiance et à faire confiance aux autres pour avancer.
Influence : maitrise de soi
L’aviron est un sport qui apprend à observer et sentir ce qu’il se passe autour de soi et en soi-même :
mieux se connaitre et apprendre à faire confiance aux autres membres de son équipage.
Pragmatisme
La marque Crew Line bénéficie déjà d’une forte légitimité au sein de la communauté aviron
notamment en ce qui concerne la qualité de ses vêtements techniques. Cependant, s’il on veut que les
éléments narratifs développés par la marque soient acceptés par les consommateurs, il faut s’assurer
que les éléments soient vrais. Ainsi, nous recommandons de faire appel à quelques figures reconnues
du monde de l’aviron. Des anciens rameurs ainsi que des compétiteurs actuels devraient être intégrés
à l’histoire racontée par la marque. Ces personnes bénéficient d’une aura auprès des pratiquants
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d’aviron et peuvent servir de gage de caution – si tel champion porte ces vêtements et participe aux
actions de la marque, alors c’est que l’histoire doit être vraie. Une autre façon de rendre l’histoire plus
crédible est de la placer dans des référentiels bien connus : des clubs d’aviron mythiques (Joinville sur
la Marne, ou Eton au Royaume-Uni par exemple), ou des bassins connus de tous (Lucerne en Suisse, la
Tamise à Londres, ou Aiguebelette en Savoie). Enfin, le vocabulaire utilisé par la marque dans ses
communications peut également renforcer la crédibilité de l’histoire.
Connexion
Deuxièmement, l’histoire de marque doit permettre au consommateur de se connecter aux lieux et à
la collectivité des rameurs. Il faut donc ménager des points de connexion ou d’identification à
différents moments du récit. La connexion la plus évidente se fait par le fleuve. La majorité des villes
sont construites autour des fleuves. Les gens vont courir le long des fleuves, se promener avec leurs
enfants, pêcher, parfois s’y baigner, etc. Toutes ces personnes peuvent donc se connecter à Crew Line
par le fleuve, un référentiel qu’ils partagent même s’ils ne pratiquent pas d’aviron. Une autre
connexion possible est la nature. Le cadre de pratique est propice à la contemplation avec les reflets
de lumière sur l’eau, les effets du changement des saisons sur le paysage, la faune aquatique qui habite
le fleuve, etc. Les consommateurs peuvent aussi se connecter à la dynamique de club tel que défini
par Manu et Françoise dans les entretiens en partie 4. La structuration sociale des pratiquants avec les
anciens, les compétiteurs et les loisirs offrent une base assez complète d’identification.
Morale
Enfin, l’histoire de Crew Line a une morale que l’on peut qualifier de pure et universelle puisqu’elle
montre la force et la beauté d’un collectif lorsque chacun des membres parvient à trouver sa place
dans le bateau et à s’insérer parfaitement dans le mouvement général du groupe. Dans cette histoire,
ce ne sont pas les individus les plus forts ou les plus déterminés qui triomphent mais un groupe
d’individus (avec ses différences, ses forces et faiblesses) qui atteint une harmonie et un sentiment
collectif de liberté par l’implication de chacun de ses membres pour une cause collective.
4bis° Le style de vie Crew Line
La marque Crew Line, c’est celle de ceux qui aiment la nature, les grands espaces d’eau, la liberté qu’ils
procurent, la beauté qu’ils donnent à contempler, la tranquillité qu’ils confèrent. Crew Line c’est aussi
ceux qui valorisent la technique, que ce soit le savoir-faire manuel de fabrication des bateaux et des
vêtements ou la gestuelle du sportif qui cherche en permanence à atteindre la fluidité de ses
mouvements. Enfin, Crew Line c’est la marque de ceux qui savent repousser leurs limites quand il le
faut, ceux qui connaissent la force qu’un groupe soudé peut conférer à ses membres. Cette histoire
c’est l’histoire d’une culture sportive, celle de l’aviron, dont l’histoire longue remonte à l’Angleterre
du XVIIIème siècle et des courses sur la Tamise. C’est un sport à l’héritage aristocratique où l’honneur
et la tradition ont conservé une place importante. La connexion avec les grandes universités
Américaines et Anglaises a donné à l’aviron universitaire ses lettres de noblesses avec des courses
mythiques comme Oxford/Cambridge ou Yale/Harvard. L’exigence, mentale et physique du sport, fait
écho avec l’exigence académique de ces institutions où seuls les meilleurs parviennent à se hisser au
sommet.
54
5° Les segments « technique » et « lifestyle »
La plupart des marques sportives sont présentes sur 2 segments : le « technique » pour les produits
directement liés à la pratique sportive et le « lifestyle » pour des produits du quotidien. C’est le cas de
Crew Line qui a une gamme de vêtements techniques et une gamme sportswear. Voyons comment les
éléments narratifs de Crew Line peuvent s’adapter aux spécificités des deux segments.
Gamme technique
La particularité des vêtements techniques Crew Line réside dans leur coupe proche du corps et qui
descend jusqu’en bas des reins, ainsi que dans le choix des matériaux qui permettent au corps de
respirer durant l’effort. Sur cette gamme de produits, les propriétés techniques ont une grande
importance comme nous l’avons vu avec la notion de double complexité du produit sportif (Clark et
Fujimoto, 1991). Les bénéfices fonctionnels doivent être clairement mis en avant comme par exemple
un t-shirt qui améliore le maintien du dos. Cependant le travail de marque va consister à mettre en
contexte ces bénéfices fonctionnels, à les inscrire dans une histoire plus large. Les produits Crew Line
épousent les formes du corps pour que les mouvements du sportif soient fluides et harmonieux. Le
choix délicat des tissus est fait pour préserver le corps des agressions extérieures et lui permettre de
respirer durant l’effort pour développer le maximum de ses capacités. La technicité du vêtement
s’inscrit dans une philosophie plus globale qui confère à la maitrise technique une importance aussi
grande que la force physique. La volonté seule ne peut rien si le geste n’est pas correctement exécuté.
Les vêtements techniques peuvent être segmentés en fonction de l’attitude des rameurs : certains
recherchent en priorité la liberté, d’autres l’unité du groupe, d’autres la précision technique, etc. On
peut ainsi imaginer une sous-gamme destinée aux pratiquants « loisirs » en quête de légèreté afin
d’approcher le plus facilement possible le sentiment de liberté sur l’eau. Le choix des couleurs se
portera plus sur des teintes de bleu, une couleur apaisante et qui rappelle l’immensité du fleuve. Les
tissus privilégieront le confort et la légèreté plutôt que la performance thermique. A l’inverse, la sous-
gamme technique insistera sur les finitions du vêtement, sur la souplesse des tissus permettant d’avoir
un geste très précis en bateau et adoptera un design « tranchant » évoquant les pointes affutées des
bateaux. Enfin, la sous-gamme sur l’unité du groupe fera la part belle à la puissance collective. Les
tissus sélectionnés faciliteront la ventilation du corps par l’évacuation de la transpiration. C’est la
solidité du vêtement, qui résiste entrainement après entrainement, aux efforts extrêmes qui lui sont
imposés par les rameurs d’un équipage. Cette solidité fait écho à la force collective du groupe qui
accomplit des efforts colossaux grâce à l’unité collective.
Ce travail de marque va permettre également d’étendre le cercle des consommateurs à d’autres
disciplines sportives. En effet, les coureurs à pieds, les cyclistes ou les skieurs peuvent très bien utiliser
ces vêtements notamment durant l’hiver. Tous ceux qui se reconnaissent dans le mythe identitaire de
Crew Line sont susceptibles de consommer les vêtements techniques de la marque. Tous ceux qui
sentent une connexion à cette histoire de force et d’harmonie, qui sentent un attachement à la nature
pour la liberté et la tranquillité qu’elle procure, et qui aiment inscrire leur pratique dans un cadre
collectif sont susceptibles d’acheter les vêtements techniques Crew Line.
Gamme lifestyle
La gamme lifestyle désigne l’ensemble des vêtements et accessoires qui ne servent pas à faire de sport
mais à prolonger l’expérience sportive jusque dans le quotidien. En termes de produits, cette gamme
est très large : t-shirt, pantalons, veste, blousons, casquettes, lunettes, sweat, etc. L’important c’est
55
que chacun de ces articles évoque la culture aviron. Chacun d’entre eux doit donc exprimer à la fois
force et harmonie, attachement à une nature reposante et libératrice, inscription dans un cadre
collectif.
On peut imaginer plusieurs collections destinées à capter les différents types de publics. En effet, les
travaux de Holt et Thompson, ainsi que ceux de Visconti ont démontré que les éléments narratifs
racontés par une marque sont interprétés différemment en fonction des intentions des personnes.
Ainsi, on peut envisager une collection pour les nostalgiques avec des vêtements évoquant le style des
grandes universités anglo-saxonnes ou encore les canotiers de la Marne au XIXème siècle. Pour ceux
qui aiment la nature et le fleuve, une collection avec des vêtements aux propriétés résistantes contre
la pluie ou le froid pourrait être développée. Par exemple, on peut imaginer un blouson molletonné
utilisé par les entraineurs d’aviron par temps sec et froid pour suivre les bateaux sur l’eau. Le design
du vêtement doit exprimer force et harmonie. Le rembourrage intérieur doit être en matière naturelle.
Le vêtement doit être présenté dans un cadre naturel (en bateau sur le fleuve) et dans le cadre d’une
action collective (suivre des bateaux d’aviron pour les coacher). Ceci est un exemple pour montrer
comment on peut faire usage des éléments de marque pour vendre un produit.
6° Mediums de communication pour exprimer le mythe identitaire de Crew Line
Une fois que les éléments narratifs authentiques de marque sont définis et que les codes culturels
sont identifiés, il faut les communiquer à travers différents mediums.
Le magasin
Sur le marché des produits sportifs, le magasin reste le principal canal de distribution (Ohl, 2008). Les
consommateurs aiment venir voir les vêtements et se plonger dans l’univers de marque. Crew Line
devrait donc concevoir son magasin comme une reproduction d’un boathouse (ou club d’aviron) dans
lequel on retrouverait les différents espaces comme par exemple le garage à bateaux pour tous les
accessoires techniques, un ponton d’aviron pour les vêtements techniques destinés à la pratique, ou
encore une salle d’honneur pour célébrer l’histoire de ce sport et où l’on retrouverait la gamme
sportswear. L’intérieur du magasin doit contenir du bois pour rappeler les bateaux et le ponton, de
l’eau pour le lien au fleuve et on doit retrouver les codes culturels de l’aviron : le magasin doit être un
havre de tranquillité, où le sport est traité sous l’angle technique et où les relations se veulent amicales.
Les vidéos sur la chaine Youtube
Un peu sur le même modèle que Salomon, Crew Line devrait créer des mini-films pour montrer la
culture sportive de l’aviron dans différents contextes. La vidéo est un puissant vecteur pour
communiquer une culture. On peut imaginer une série de courts reportages dans des lieux
symboliques de l’aviron comme le club d’Eton, la Henley Royal Regatta ou encore la Head of the Charles
à Boston. Ces reportages permettraient de donner une consistance aux différentes communautés de
rameurs dans le monde, d’en montrer les traditions spécifiques, des paysages magnifiques et de
creuser un point précis de la culture aviron. Par exemple, on peut imaginer une vidéo sur l’équilibre
entre force et technique en se plaçant dans le cadre de la régate royale de Henley (UK) qui est
considéré comme le temple de l’aviron. Une autre vidéo pourrait insister sur l’unité du groupe en se
plaçant dans le cadre de la course entre Oxford et Cambridge. Ces vidéos contribueraient à renforcer
la légitimité de Crew Line en tant que porte-parole de la culture aviron et à diffuser cette culture au-
delà du cercle des initiés.
56
Les pontons éphémères
L’origine de l’aviron remonte au canotage, cette pratique de détente sur les bords de Marne et les
bords de Seine à la fin du XIXème siècle. On en a gardé le souvenir des tenues des canotiers, ces rayures
horizontales dont Jean-Paul Gautier s’est inspiré pour son parfum « Le Male ». C’est cette tradition de
détente au bord de l’eau que nous proposons de remettre au goût du jour avec l’installation de bars
éphémères sur l’eau avec une terrasse évoquant un ponton d’aviron. Cette opération événementielle
serait destinée à promouvoir la gamme lifestyle de Crew Line auprès d’une cible non sportive mais
susceptible de se sentir connecter à l’histoire de marque via le lien au fleuve.
Application mobile spécialement conçue pour l’aviron
Il s’agirait d’une application permettant de mesurer les performances réalisées en bateau. Distance
parcourue, vitesse du bateau, trajectoires empruntées, autant de paramètres susceptibles d’intéresser
les rameurs pour les aider à améliorer leurs performances. Un programme d’entrainement pourrait
également être rentré sur l’application en début de sortie pour lancer des accélérations sur l’eau ou
alerter en cas de perte de vitesse sur plusieurs coups. Le lancement de cette application serait destiné
à consolider la légitimité de Crew Line auprès des pratiquants d’aviron et de donner du pragmatisme
à la démarche de performance des vêtements Crew Line.
Exposition photographique
Afin de communiquer la beauté de l’aviron, quoi de mieux que la photographie ! Crew Line pourrait
s’impliquer en tant qu’acteur artistique mettant en valeur le patrimoine des grands fleuves ou lacs sur
lesquels l’on peut pratiquer l’aviron.
Intérêt et limites de ces recommandations Notre étude révèle que l’analyse du discours des pratiquants d’aviron est cruciale pour bâtir une
marque sportive. En effet, c’est grâce à cette analyse que nous avons identifié des tensions ou
insatisfactions culturelles chez les individus. C’est en réponse à ces tensions que nous avons construit
l’histoire de marque. A travers l’aviron, Crew Line raconte une histoire sur la puissance et l’harmonie
de la force collective. Cette histoire sert de métaphore aux individus qui cherchent à inscrire leur vie
et leurs actions dans un cadre plus collectif. Au-delà de l’idéologie, la compréhension de la culture
aviron est essentielle pour donner de l’authenticité à cette histoire. Pour être jugée comme
authentique par les consommateurs, il faut que l’histoire intègre des éléments pragmatiques,
permette au consommateur de se connecter à l’intrigue et offre une morale. Dans le cas de Crew Line,
nous avons identifié les 4 codes culturels de l’aviron (tranquillité, technique, force mentale, amitié) qui
devront être exprimés à travers 5 dimensions (référentiel, naturalité, exceptionnalité, originalité,
influence). Nous donnons dans nos recommandations quelques exemples pour réussir à communiquer
le mythe identitaire de marque : aménagement intérieur des magasins, réalisations de vidéos,
organisation d’événements photographiques, lancement d’application mobile, etc. Le but n’est pas de
faire une liste exhaustive des moyens de communication pour la marque mais de montrer comment
le mythe identitaire permet d’utiliser les outils à disposition de la marque pour garder une cohérence
dans la communication. Les prises de paroles de la marque doivent être pensées dans une double
logique de cohérence et de diversité afin d’ouvrir un véritable dialogue entre la marque et les
57
consommateurs. En effet, ces derniers contribuent à enrichir la marque en ajoutant des significations
aux éléments narratifs développés par les marketeurs.
Les recommandations que nous avons formulées se limitent à la conception des éléments narratifs
authentiques de marque. Nous n’évoquons que rapidement des pistes d’action possible afin de
transposer cette histoire de marque en réalité tangible. Ce que met au jour notre travail, c’est le
caractère très stratégique du cultural branding tel que théorisé par Douglas Holt. Le mythe identitaire
de marque est une ligne de conduite à suivre dans toutes les prises de paroles ou actions de la marque
mais en aucun cas il ne constitue une fin en lui-même. L’histoire la plus belle du monde ne vaut rien si
elle n’est pas racontée de la bonne manière. Ainsi, c’est un travail de communication qui doit ensuite
s’engager afin de trouver les bons codes (visuels, musicaux, narratifs…) pour donner vie à l’histoire.
Pour Crew Line, nous pensons que les codes visuels devraient être ceux des grandes universités anglo-
saxonnes et que les codes musicaux devraient être modernes et « planant » pour retranscrire le
sentiment de liberté et de confiance des rameurs sur l’eau. Bien entendu ce travail mériterait d’être
grandement approfondi mais notre propos s’inscrit dans une vision globale qui nous empêche de trop
rentrer dans le détail. Le travail réalisé par The African Attachment pour le compte de la marque
Salomon est un exemple très inspirant qui montre comment une marque peut raconter une histoire
authentique sur la montagne. Enfin, une fois les codes culturels définis, il reste à trouver les bons
canaux de communication pour exprimer le mythe identitaire de marque. Ces canaux doivent être
adaptés au marché sur lequel la marque opère. Par exemple, dans le cas d’une marque sportive, le
magasin est un passage obligatoire qu’il convient de soigner. Nous adressons ici une des limites de
l’approche de Holt sur le cultural branding : la communication d’une marque ne se résume pas à un
spot TV. Tout doit évoquer le mythe identitaire : le design des produits, le magasin, les événements
organisés, les applications mobiles, les vidéos, etc.
Plus largement, implications pour les marques L’exemple retenu pour ce PFE est celui d’une marque sportive de vêtements et d’accessoires qui puise
ses codes culturels dans une culture sportive existante afin d’exprimer une histoire authentique de
marque. On pourrait penser que le modèle du cultural branding est uniquement valable dans le cas
des marques sportives qui ont un lien direct avec une culture sportive existante. Mais en réalité, les
principes sont applicables à toutes les marques de tous les secteurs. Le fondement de l’approche
culturelle de marque, c’est de reconnaitre la supériorité de la dimension narrative sur les
fonctionnalités. Une marque forte, c’est une marque qui raconte une histoire avec une idéologie et
des codes culturels exprimant de manière authentique cette idéologie afin qu’elle puise être utilisée
par les consommateurs dans le cadre de leur construction identitaire. L’authenticité seule ne suffit pas.
Il faut une histoire avec une idéologie forte qui réponde à des tensions culturelles présentes au sein
de la société. Par exemple, prenons le cas de la FNAC qui commercialise une large palette de produits
culturels (livres, dvd, musique, ordinateurs, appareil photos, etc…) dans ses magasins. L’entreprise est
aujourd’hui en difficulté car elle n’arrive pas à endiguer la concurrence d’internet. En effet, pourquoi
aller se déplacer dans un magasin quand on peut acheter son livre depuis son ordinateur à un prix plus
compétitif ! Jusqu’à présent, la stratégie de la FNAC a consisté principalement à jouer sur de meilleures
fonctionnalités (conseils des vendeurs, ouverture de magasin de proximité, lancement de produits,
opérations promotionnelles…) et sur l’émotion (« Fnac, agitateur de curiosité »). Mais les résultats ne
sont pas au rendez-vous18. L’approche du cultural branding suggère d’adopter une autre stratégie.
18 Voir le rapport des résultats annuels du Groupe en 2014 avec une baisse de -1,8% du CA en 2014 vs 2013 au total groupe
58
Dans le discours ambient, l’une des craintes des Français concerne la disparition des librairies au profit
du tout Amazon. Cette peur révèle l’anxiété d’une partie de la population vis-à-vis de la mondialisation
qui se traduit par des fermetures de magasins, des pertes d’emplois et une disparition du patrimoine
culturel français. La librairie est devenue le symbole d’un lieu à contre-courant du modèle économique
actuel : endroit à taille humaine, importance du lien social, lieu avec une histoire, découvertes
possibles, groupe de passionnés fréquentant régulièrement les lieux. Il existe une culture de la librairie
qui offre une alternative au modèle dominant de l’économie de marché. La FNAC pourrait puiser dans
les ressources culturelles de la librairie pour construire une histoire authentique autour de l’homme
cultivé. Face à une société Française qui oublie progressivement son patrimoine culturel, la FNAC
raconte une histoire autour du besoin de cultiver son esprit pour avoir une vie plus heureuse. Cette
histoire reprend les codes culturels de la librairie (taille humaine, lien social, passé historique,
découverte, groupe de passionnés…) à travers le choix du mobilier du magasin, la tenue des vendeurs,
l’aménagement intérieur des lieux, la communication, etc. On peut ainsi imaginer le retour d’un
éclairage avec des lampes à abat-jour, un aménagement intérieur qui invite à la découverte avec des
coins en retrait du passage principal, un espace d’exposition pour de jeunes artistes, la mise en valeur
du patrimoine historique du lieu dans lequel est installé le magasin, etc.
Conclusion Notre société évolue et nos pratiques de consommation avec elle. La logique fonctionnelle n’est plus
l’adage sur lequel repose nos choix de consommation. Les techniques inventées dans les années 60/70
pour positionner sur le marché des produits toujours plus nombreux ont perdu en efficacité. A
l’exception du secteur des télécoms, l’innovation technologique se fait plus rare et quand bien même
une entreprise parvient à innover, elle est rapidement copiée par ses concurrents. La « unique selling
proposition » qui a longtemps dicté les campagnes de communication semble avoir vécu. Les marques
se sont tournées vers des dimensions intangibles. La course vers l’émotion est lancée, de grandes
marques comme Coca-Cola cherchent à consolider leur place de vendeur de bonheur mais la lutte est
rude. Face aux difficultés grandissantes des marques pour résister à la dictature du prix, les modèles
traditionnels de branding ont montré leurs limites. Une étude approfondie des grandes marques
dominatrice sur leurs marchés respectifs a révélé l’importance de la dimension culturelle. C’est dans
son livre How Brands Become Icons (2004) que Douglas HOLT a théorisé l’approche du cultural
branding. Selon lui, une marque peut surpasser durablement ses concurrents si elle parvient à délivrer
un mythe identitaire, c’est-à-dire une histoire reposant sur une idéologie répondant à des tensions
dans le discours culturel de la société, et s’appuyant sur des codes culturels puisés dans une sous-
culture existante. En effet, des études menées par différents chercheurs et dont les principaux
résultats ont été synthétisés par Gille Marion (2003) ont révélé les mécanismes de construction
identitaire des individus. Loin d’être statique, l’identité est un processus évolutif dans le temps. Nous
remodelons en permanence notre identité en fonction des groupes avec lesquels nous sommes, du
cadre de vie dans lequel nous sommes, de nos projets de vie futurs, de notre bagage social et
expérientiel, et en fonction des stéréotypes de la société dans laquelle nous vivons. Ainsi, les marques
peuvent fournir des modèles de pensées ou style de vie, sur lesquels nous pouvons bricoler en
incorporant nos éléments personnels. Ce faisant, nous donnons un sens dramatique et évolutif à notre
propre existence. Le succès de la marque sportive Nike illustre la puissance identitaire du mythe de la
force de la volonté individuelle (Just Do It myth) qui, raconté avec les codes de la communauté noire-
américaine luttant contre les discriminations, a servi de modèle de pensée pour de nombreux
consommateurs. L’authenticité de l’histoire est essentielle. Il ne faut pas que le consommateur ait
l’impression d’être manipulé. Pour être jugée authentique par le consommateur, la marque doit
59
raconter une histoire pragmatique, qui permette de se connecter aux lieux et aux personnages de
l’histoire et qui délivre une morale pure et universelle. Ainsi, l’histoire racontée par la marque doit être
ancrée dans une collectivité humaine qui valorise des « trésors du passé » et partage des
« pressentiments d’avenir ». On retrouve ici la pensée du marketing tribal (Cova, Cova, 2001) qui
explique que l’ère post-moderne se caractérise par une dissolution sociale et un individualisme
extrême entrainant une recomposition sociale et un retour à des valeurs « quasi-archaïques »
(localisme, religiosité, narcissisme du groupe…). Enrichie par des apports d’autres auteurs sur les
thématiques de l’identité et de l’authenticité, les principes du cultural branding de Douglas Holt sont
extrêmement intéressants. Cependant ils présentent deux limites majeures : les moyens d’expression
d’une marque ne se résument pas à la publicité et la composition du mythe identitaire de marque n’est
pas explicitée. A travers l’étude de la culture sportive de l’aviron, nous avons montré les articulations
et interprétations nécessaires afin de construire un discours authentique de marque à partir d’une
sous-culture existante. Nous avons révélé les pratiques et les produits symboliques qui unissent et
distinguent les pratiquants d’aviron par rapport aux autres sportifs. En prenant l’exemple des marques
de montagne Salomon et The North Face, nous avons vu comment il est possible pour une marque
d’exprimer une culture sportive via la réalisation de vidéos et l’organisation d’événements.
Dans le cas de la marque de vêtements d’aviron Crew Line, notre recommandation est de construire
une histoire autour de la supériorité de la force collective face à la seule volonté individuelle. Ce que
les pratiquants d’aviron valorisent, c’est avant tout le groupe de copains, l’ambiance de club, le partage
générationnel entre anciens et nouveaux, l’émulation entre les rameurs, où la structuration sociale se
fait sur l’engagement, sur le « jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? ». Nous pensons que notre société vit
aujourd’hui une crise de l’engagement dans laquelle les individus contournent la peur de l’avenir en
privilégiant l’instant présent et en se repliant sur eux-mêmes. Mais cette idéologie se révèle être de
plus en plus contestée : en matière politique, les électeurs se détournent des grands partis au profit
des extrêmes qui proposent des idéologies tranchées ; en matière économique, la récente crise
financière de 2008 a montré les aberrations provoquées par la logique court-termiste imposée par les
actionnaires aux entreprises. L’essor des pratiques collaboratives, particulièrement visible dans les
secteurs des transports (bla-bla car, Uber…), de l’hôtellerie (Air B&B), semblent confirmer un désir de
partage de la part des individus. La culture aviron représente une ressource culturelle pour incarner
une idéologie différente qui vante la supériorité de la force collaborative en matière sportive. A
l’aviron, chacun reste maitre de son destin mais se met au service du collectif dans un intérêt commun.
L’aviron repose sur une règle implicite mais essentielle qui a été révélé lors de l’étude terrain : « la
règle de base, c’est que le moins fort s’entraine le plus ». Autrement dit, la valeur de chacun est
déterminée non pas par sa force physique ou sa maitrise technique mais d’abord par son niveau
d’engagement pour le collectif. La force d’un équipage repose sur l’engagement maximal de chacun.
Pour exprimer cette idéologie, la marque Crew Line doit utiliser les codes culturels de la culture aviron.
Nous en avons identifié quatre principaux : la tranquillité, la technique, la force mentale et l’amitié.
Chaque rameur cherche à atteindre un sentiment de plénitude lorsque son bateau glisse (ou vole) sur
l’eau par une exécution technique parfaite et une force mentale énorme qui est capable de repousser
les limites de son corps. Cet effort individuel s’applique dans un cadre collectif ou chacun œuvre dans
l’intérêt de l’équipage du bateau, créant ainsi de forts liens d’amitiés. Ces codes culturels devraient
ensuite être déclinés en images, sons, textes, design produit, etc. Par exemple, le design choisi devrait
faire la place belle aux courbes fluides, à la souplesse du tracé afin de rappeler les mouvements
harmonieux des rameurs et de l’avancée de la coque dans l’eau. Les textes et dessins devraient
contenir de nombreux éléments techniques à travers l’utilisation d’un vocabulaire scientifique précis
et des dessins d’architectes. Comme l’a montré Nina Diamond (2009), les marques fortes sont celles
qui parviennent à établir un « dialogue symphonique » où différents consommateurs viennent enrichir
60
l’histoire initiale de la marque. Crew Line a donc tout intérêt à communiquer son histoire de marque
sur des canaux multiples : magasin, vidéos Youtube, expositions, événements, application mobile, etc.
Les idées que nous évoquons dans ce PFE ne sont que des pistes. Le propos est ici avant tout de donner
un axe stratégique suffisamment clair et puissant pour guider l’ensemble des développements de
marque qui sont traditionnellement fait de manière incohérente par différentes agences de branding.
Bien entendu, les recommandations faites dans ce PFE pour la marque Crew Line sont incomplètes.
Elles mériteraient d’être consolidées par une analyse plus large du discours sportif dans la société
française afin d’affiner la compréhension des tensions culturelles et proposer des éléments narratifs
de marque les plus adéquats possibles. Nous pensons qu’il serait intéressant d’étudier les pratiques
des scénaristes de cinéma ou de série TV pour en tirer des enseignements utiles pour les brand
manager. En effet, ces derniers vont devoir à l’avenir développer des compétences de scénaristes pour
raconter et imaginer des histoires de marque. Les ressorts du storytelling sont encore largement
méconnus. C’est là une piste intéressante de recherche pour des travaux futurs. A mi-chemin entre un
studio de cinéma et un cabinet de conseil en marque, l’entreprise The African Attachment est un
exemple de ces nouveaux métiers qui vont fleurir dans les prochaines années.
61
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63
Annexe 1 : Profils des personnes interrogées
Prénom Âge Nb d’années d’aviron
Catégorie Commentaires
Gisselin 16 ans 3 Junior (compétition) Physique imposant mais personnalité discrète, insiste sur la dimension extérieure du sport et le respect entre rameurs
Jean 18 ans 3 Junior (compétition) Insiste sur l’engagement dans le sport, le groupe, les objectifs
Idir 17 ans 6 Junior (compétition) Insiste sur la chance qui est donnée à chacun de réussir avec de l’entrainement et de l’engagement, considère le club comme un lieu où il se sent bien
Louis 17 ans 6 Junior (compétition) A l’aise à l’oral, il confie une attirance pour l’environnement fluvial. Il insiste sur l’unité du bateau et l’émulation de groupe
Manu 47 ans 34 Vétérans (compétiteur)
Passionné d’aviron, il a le goût de l’effort, le sens de l’équipe et une attirance pour le milieu naturel
Christophe 46 ans 34 Vétérans (compétiteur)
Passionné également, il valorise principalement le groupe, se sent partie intégrante du club et de ses résultats.
Françoise 50 ans 25 Vétérans / Loisir Ancienne compétitrice, elle insiste sur la notion de club, la technique, et les sensations de glisse et de liberté sur l’eau
Philippe 56 ans 25 Loisir Pratique en loisir, il valorise le sport dans sa dimension historique et il cherche la sensation de liberté et de maitrise
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Annexe 2 : Transcrit des entretiens réalisés Entretien avec le bateau Junior du club (4 rameurs)
Gisselin – 3 ans d’aviron (16 ans) Mère Dentiste/ Père fonctionnaire Assemblée Nationale
Comment es-tu devenu rameur ?
Je faisais du tennis, je voulais changer de sport. J’ai démarré un peu par hasard…j’aimais bien les
sports d’eau et je voulais me muscler un peu. J’avais essayé du ski nautique l’été avec des amis. C’est
ma mère qui m’a dit « j’ai vu des avirons passer le matin, tu devrais essayer » et puis voilà j’ai essayé
et ça m’a plu.
Qu’est ce qui t’a plu dans l’aviron ?
Le fait d’être un sport en extérieur.
Jean – 3 ans d’aviron (18 ans) Mère au foyer/ Père ingénieur brevet
Comment es-tu devenu rameur ?
Avant je faisais de l’escrime, j’ai pas pu trop continuer bien ; j’ai fait un peu de tennis 1 année pour
faire un peu de sport tranquillement. J’avais un pote qui faisait de l’aviron et puis un autre qui était
au tennis et qui voulait passer à l’aviron.
Qu’est ce qui t’a plu ?
Dans le tennis, il n’y avait pas trop d’objectif. C’était venir taper la balle de temps en temps. Là il y a
un groupe, des compétitions, on travaille pour des résultats, il y a une stimulation, il y a toujours les
coachs derrières pour nous pousser. Je le sens beaucoup plus comme un sport d’équipe.
Le coach qu’est ce qu’il t’a apporté ?
Le coach est beaucoup plus présent. Au tennis j’avais un prof qui me disait quoi faire. Le coach me
pousse pour progresser.
Idir – 6 ans d’aviron (17 ans) Mère et Père médecins
Avant de commencer l’aviron, je faisais un sport d’eau, la natation, et un sport de combat, le judo.
Pareil, c’est mon père qui m’a proposé de faire un stage d’été, j’ai essayé et ça m’a beaucoup plu et
puis à la fin du stage il y a les coachs qui m’ont proposé de m’inscrire pour l’année prochaine au club.
Ce qui m’a motivé à m’inscrire c’est vraiment cette dynamique de groupe et on voit que c’est un club
prestigieux, qui marque ses objectifs, il y a juste à voir le mur. Ce qui m’a encouragé à continuer,
c’est que par rapport aux autres sports on nous donner toutes les chances. Par exemple, pour battre
un bateau concurrent ça sera pas juste déterminer par notre force, on peut venir s’entrainer tous les
jours quand on veut pour progresser. On peut s’entrainer vraiment comme on veut ; nous on
s’entraine 5 fois par semaine, et y a aucun soucis pour ça. Y a aussi le fait de ramer avec des gens qui
ont aussi une certaine expérience, ça motive aussi. La proximité avec des rameurs de haut niveau ça
nous oblige à progresser.
Quand j’ai commencé, y avait des équipages qui faisait des médailles comme Jean-david bernard.
Quand je compare avec mon club de judo, je sens que y a plus ici. En plus on nous offre tous les
moyens pour y arriver.
Tu sens qu’il y a des équipages qui ont bien réussi les années précédentes et donc ça t’entraine à toi
aussi réussir. Oui exactement.
65
Par rapport à d’autres sports où il y a une approche plus disciplinaire, là c’est une ambiance
beaucoup plus familiale.
Louis – 6 ans d’aviron (17 ans) Concertiste et Professeur (musiciens)
Pareil j’ai commencé l’aviron après avoir fait du tennis, on dirait que c’est un sport dont on se lasse
vite (rires), et c’est un peu par hasard aussi. Je passais pas mal de temps au bord de l’eau et je voyais
des bateaux passés donc un jour je suis venu à une porte ouverte et je suis monté sur une planche à
ramer et j’ai bien aimé cette proximité avec l’eau. Bon bien sûr au début on a pas le geste donc on a
pas de super sensations mais j’ai bien aimé le côté de l’aviron et le lieu aussi. La Seine, c’est assez
vert, plus haut c’est très sympathique. Et puis même au sein du club, on voyait des gens plus vieux ya
de tous les âges, ya une bonne ambiance en général, c’est pas un club ou c’est tendu entre chaque
catégories, ya pas mal d’échanges entre tout le monde donc c’est très sympathique.
Le tennis, un sport plus élitiste ?
Au tennis, il y avait les grands qui étaient sponsorisés avec toutes leurs marques et moi j’étais là, je
dirais pas que c’était malsain mais pas sympathique.
J’habite à côté et je pêche aussi, j’ai vu les bateaux, ça avait l’air sympa.
Au bout de quelques années, on commence à trouver quelques sensations assez inédites, de glisse et
aussi une émulation au sein d’un même équipage. Tout le monde a le même objectif de faire glisser
la coque. J’ai pas réussi à trouver un autre sport où on a vraiment ce même esprit là.
Sensations de glisse ?
C’est très compliqué. En même temps y a la sensation de la force de tout le monde dans le bateau
qui se met exactement en même temps et dans le même objectif de faire un bond en avant avec la
coque et en même temps de sentir l’eau autour, de glisser dessus, de sentir les déplacements
ensemble et de sentir tout le monde se donner à fond.
Le lien avec le fleuve ? Vous aimez être en extérieur
C’est un cadre sympathique, c’est pas comme au tennis, ya des cours en plein air mais on va toujours
au même endroit, alors qu’ici à Melun par exemple, on a 15 kilomètres de bassin entre les 2 écluses,
c’est toujours pareil mais au fil des saisons les arbres changent de couleurs, c’est un espace naturel
qui change, et voilà, on est pas coincé dans une salle de sport.
Quelles sont vos relations avec le club ?
Idir : C’est un peu comme si j’étais chez moi, Je n’irai pas jusqu’à dire que le club c’est ma seconde
maison parce que à la maison on dort, le côté familial, ici ya pas les parents mais c’est comme la
maison sans les parents.
La place du coach dans le groupe ? Son importance ?
Jean : Le coach n’est pas vraiment dans le groupe mais il est très proche. Il guide le groupe, il stimule.
En dehors de tout ce qui est technique, il apporte beaucoup de motivation. Plein de fois où je ne
serai pas venu, ou je me serai moins appliqué. Le fait de savoir qu’il est là, ça donne envie de se
dépasser, on ne rame pas pour le coach mais… C’est un échange, il nous apprend un truc et on essaie
de valoriser le temps qu’il passe avec nous.
L’aviron a changé ta personnalité ?
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Jean : Je n’avais jamais fait quelque chose qui me demande autant de temps et autant
d’engagement, de temps de travail, c’est formateur de consacrer beaucoup de temps à quelque
chose. Avant il y avait des trucs par-ci par-là mais jamais Il n’y avait pas de projet autour duquel on
s’articulait. Maintenant on sait qu’on ne fait pas ça pour rien, si on vient 5 fois c’est pour s’entrainer,
bosser et aller taper une demi-finale aux championnats.
Ton ressenti lors du compétition ? Comment tu approches une compétition ?
Gisselin : Avant de monter sur le bassin, à l’échauffement on essaie de ne pas trop se mettre la
pression, on y arrive. Après lorsqu’on monte sur l’eau à l’échauffement, ça commence à venir, toujours
un peu de stresse. Après le 1er coup du départ, tout retombe parce qu’on pense plus. Le plus gros du
stress c’est 10 secondes avant le départ. Les compétitions, quand on y repense après, ça donne des
frissons. Ma plus forte émotion c’est lorsqu’on a fait 2ème des championnats de France en 4 barré cadet.
C’est magique, on a du mal à réaliser. On était surpris, on a été super content. C‘était pas gagné
d’avance.
Chaque sport a ses règles, ses codes, quels sont les codes de l’aviron ? Ce qui fait que l’aviron est
différent des autres sports.
Louis : L’aviron est un sport un peu particulier car on n’est pas directement confronté aux autres dans
le sens où pendant une course on est chacun dans notre ligne d’eau. Par rapport au rugby, ya pas de
contact physique entre chacun, chacun fait sa course de son côté, et c’est celui qui personnellement
ira le plus vite qui va gagner. A la fin d’une course, en général ya une assez bonne ambiance entre
bateaux, on se retrouve à la fin sur les pontons. Personnellement je n’ai jamais eu la haine contre un
autre équipage, qu’ils aient gagner ou qu’on soient arrivé devant eux. Une poignée de main et puis
voilà, on fera mieux la prochaine. Chacun donne son maximum, et il faut juste être le plus rapide. C’est
un peu comme en athlétisme, j’en ai jamais fait mais ça ressemble.
Quand on fait une course, que ce soit sur 2000m mais c’est plus prononcé sur 6000m. Chaque bateau
se bat d’abord contre lui-même et après contre les autres équipages. Donc à la fin de chaque course,
il n’y a pas d’adversité mais de l’empathie envers les autres équipages parce qu’on l’a fait. On a tous
souffert, il peut pas y avoir de mauvaise ambiance.
La douleur pendant la course, motivation pour ne pas lâcher ?
Louis : Il faut puiser dans ses réserves, aller chercher le courage là où il se cache. Je ne peux pas lâcher
pour les copains déjà on ne peut pas lâcher, et puis pareil comme dans tous les ports. Pour les petites
convictions qu’on a. C’est dur mentalement de ne pas lâcher. Quand le physique commence à aller
mal, on est tenté d’abandonner.
Gisselin : Pour moi l’aviron c’est un sport de fair-play, il y a que des gens bien. On ne rencontre pas de
personnes qui nous dégoutent, que ce soit au club ou sur les compétitions.
La marque Crew Line, c’est quoi pour vous ?
Louis : C’est la marque qui fait tout ce qu’on a. T-shirt, combi, les strochs, c’est la marque qui est
associée à l’aviron. Pour les constructeurs de bateau, il y a Empacher, Filippi, Vega, Wind Tech, Hudson,
Swift, Concept 2 (ergo et pelle). Le problème du Crew Line c’est que ça ne se trouve pas partout, c’est
que sur internet ou par des clubs qui vendent leurs propres vêtements. Par exemple, Melun ils osnt
fait toute une gamme de vêtement pour le club avec Crew Line : gilets techniques, T-shirt long, manche
courte, visiaire…
Vous portez quels vêtements ?
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Les T-shirts du club pour l’entrainement et pour les compétitions. En hiver, on met plusieurs T-Shirts
par-dessus.
Entretiens avec Séniors
Manu : 47 ans, dont 34 ans d’aviron (commencé en 82), diplôme d’ingénieur et agrégation, Père cadre
et Mère Instit
Christophe : 46 ans, dont 34 ans, BAC +2, Mère Secrétaire et Père Routier
Comment êtes-vous devenu rameur ?
Manu : Moi je suis devenu rameur parce qu’on m’avait imposé de perdre du poids. Mes parents
m’avaient donné un ultimatum de choisir un sport.
Pourquoi ce sport ?
Christophe : Par ce que je trouvais ça joli quand il y en avait à la télé, c’est l’esthétique en fait. J’ai
commencé parce que mon frère en faisait et ils avaient besoin d’un barreur. Il était junior et moi j’étais
minime 1ère année et voilà, j’ai essayé et 2 ans après il arrêtait et moi 30 ans après je suis encore là
(rires).
Pourquoi avoir continué ?
Christophe : Parce que j’avais les copains ici en fait, d’abord c’était pour retrouver une bande de
copains, le sport me plaisait, je ne faisais pas de sport avant, j’étais vraiment un gringalet. C’était
d’abord l’ambiance et le plaisir de faire un sport dehors. Et après le plaisir vraiment de l’aviron, il est
venu progressivement mais comme mon frère en faisait déjà avant, je connaissais déjà un peu
d’extérieur mais j’étais trop petit avant. Après avec le plaisir de l’entrainement, et du bateau et de
retrouver les copains.
Le plaisir du bateau, tu penses à quoi ?
Christophe : L’effort, l’équipe et le fait d’être dehors. Aujourd’hui ya que les sports d’eau qui me
plairait.
Le fait d’accrocher avec l’eau et l’extérieur ?
Manu : Moi j’ai un peu plus bourlingué que Christophe sur des bassins d’entrainement et ya des sites
où j’y allais parce que je devais faire de la compet. Ici le site, ya la foret, c’est joli. Quand tu te retrouves
à ramer entre 2 berges avec des bords en acier et l’usine derrière et que tu fais ça sur 2 kilomètres, tu
le fais mais… Y a ça aussi, tu te retrouves dans un espace, c’est comme la différence entre aller faire
du vélo en ville et aller faire du vélo dans un col dans les Alpes pénard. C’est ça qui a fait que je
continue. Je me suis déjà retrouvé dans un site où il n’y avait pas d’aviron et ben j’allais courir. Il y a
plusieurs éléments quoi. Après c’est un sport d’eau, j’aime bien être en contact avec l’eau.
Tu as déjà fait d’autres sports d’eau ?
Manu : Ouais, j’ai plus le temps mais j’ai fait de la planche à voile. J’en ai fait un peu, pas en compet
mais j’ai fait des voyages pour faire un peu de planche à voile. C’est vrai que t’as une sensation de
glisse que tu n’as pas dans les autres sports. Après nous ici on est plus exigeant, on se le dit souvent,
mais, je pense que ya des loisirs, on se fait une sortie à chier, ils se feraient super plaisir mais ça c’est
parce que on a connu des sensations donc après tu es toujours à la recherche des mêmes sensations.
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L’impression de vitesse, de glisse ? Des bruits ?
Manu : Oui, en bateau tu as toujours des bruits de coque sous l’eau ou autre. Après quand tu as le
clapot, tu as forcément un peu plus de bruit mais même par bassin plat, tu entends l’eau couler sous
la coque.
Votre meilleur souvenir sur l’eau, à d’aviron ?
Manu : C’est un peu compliqué, des souvenirs d’entrainement, j’en ai quelque uns, après des souvenirs
de courses, celles qu’on a gagné dans l’adversité, elles laissent plus de souvenirs que les autres et puis
des entrainements ou on c’est bien mis sur la gueule. J’ai le souvenir d’une série ou on avait fait un
250, un 500, un 1000 pour préparer un championnat, ça allait tout seul mais ça avait fait mal. La finale
en 1992, elle est pas mal aussi. Y en a plusieurs mais en choisir une c’est difficile. C’est-à-dire que quand
t’es sénior et que tu fais un résultat, t’as le niveau pour en faire sur plusieurs années, c’est pas comme
les jeunes ou après il faut continuer à augmenter ton niveau, quand t’atteint un niveau, si tu le
maintiens les mecs, ils vont essayer t’atteindre ton niveau mais ils vont jamais franchement te
dépasser.
Christophe : Et nous on n’a jamais dépassé le nôtre non plus. On n’a jamais été de grands
internationaux. On a eu un très bon niveau national, qui a duré très longtemps mais on s’est limité à
ça. Après ya quelques mauvais souvenirs et des bons souvenirs y en a plein. Les bons souvenirs ça reste
des souvenirs de compet et de cohésion de groupe qu’on a encore aujourd’hui avec Manu et tout. Le
groupe est resté depuis 20 ans. Le titre en 4- en 1992, parce qu’ il y avait tous les internationaux en
finale et y avait pas grand monde qui misait sur nous, et on a gagné facilement (rires). Et puis une tête
de rivière à Cazaubon avec JD où le bateau, on a vraiment senti quelque chose.
Comment t’as senti que ça allait bien ?
Christophe : C’est ce que disait Manu, c’est que tu sens que le bateau va vite mais t’as l’impression de
ne pas forcer. Tu sens la vitesse de la coque, et puis t’as l’impression, en plus c’est en pérore c’est assez
spécifique techniquement, que tu es uni, que ya un tout : les 2 rameurs, la coque, les pelles, y a
vraiment une vitesse particulière.
Votre rythme d’entrainement ?
Manu : Les semaines où on y arrivait pas, on descendait à 5 et les semaines où j’avais le temps, je
montias à 10/11 quand j’avais le temps, ça c’est du niveau international mais j’avais pas le temsp pour
ça. Les emaines d’exam, j’avais des emplois du temps tr-s libre. Des fois on arrivait à faire 2 sorties le
samedi. Les semaines normales c’était 7.
Tu passes t’as vie au club ?
Christophe : Non, non, on travaillait à côté, on faisait des études ou, tu t’entrainais le matin, le midi ou
le soir, t’aménage ton emploi du temps. Mais effectivement t’as vie elle est centrée sur le club. Si le
samedi, c’était ça, quand on ramait 2 fois le samedi. Si quand j’ai fait le BJ (Baton Joinville), quand
j’étais militaire, j’ai eu la chance d’être repêché la bas, on s’entrainait 2 fois et après quand on préparait
le championnat, on reramait le sir ici. Donc là on faisait 3 sorties par jour, et là je en faisais que ça. A
force, physqiueemnt, ça pasait s’en problème.
Des problèmes avec amis ou famille, le fait de passer autant de temps au club ?
Manu : Moi famille, moi non
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Christophe : Moi non, mais quand j’ai arrêtais de ramer c’était aussi parce que je voulais passer à autre
chose, je voulais arrêter le haut niveau. Parce que ça prenait un peu trop de place, mais c’est mon
choix, ce n’est pas ma femme qui a dicté mon choix ou autre.
Qui est l’adversaire en aviron ? Soi-même ou l’autre bateau ?
Manu : Ça commence par être soi-même, c’est d’abord soi-même à l’entrainement et après si tu as
bien travaillé ça fini par être celui qui est à côté. SI t’es pas préparé, tu te bats déjà contre toi-même.
Sinon tu ne peux pas te concentrer sur l’autre.
Christophe : Mais c’est soi-même pendant des mois et des mois. En sénior, si t’es pas international, tu
fais 4 compétitions à l’année, donc t’en fait très très peu, 2 têtes de rivières, les tests nationaux, et
puis les championnats, aller 5 si tu fais els 2 championnats, et puis voilà…donc ça fait vraiment très peu
de compet et à côté de ça tu t’es bouffé je ne sais pas combien de kilomètres et d’heures
d’entrainements.
Manu : ça c’est ce que les gens n’arrivent pas à comprendre, si tu veux faire des résultats nationaux, il
faut quasiment t’entrainer comme un international. A l’aviron en tout cas c’est comme ça. Sauf que
t’es moins doué que les mecs. La seule différence c’est ça.
Christophe : On faisait le programme fédéral de toute façon
Manu : Pas tout à fait parce que aujourd’hui les mecs ils en vivent donc ils ont plus de temps
Christophe : A l’époque, on ramait avec un gars en équipe, du coup on faisait les mêmes programmes
que lui et nous le but c’était que quand il ramait avec nous, notre idée à nous c’était profiter de son
niveau pour hisser notre niveau et pas faire de la merde.
Cette pièce, quand vous voyez toutes les coupes, les drapeaux, qu’est ce qu’elle vous inspire ?
Manu : Qu’on est vieux (rires). Je ne sais pas, j’y réfléchis pas moi. Je suis habitué à la pièce maintenant,
j’ai commencé l’aviron en 82 donc ça fait plus de 30 ans que j’en fais. J’ai mes repères comme on dit.
Christophe : On a commencé la même année, en 80/82, tu regardes le nombre de fanions qu’il y avait
avant, y en avait vraiment pas beaucoup donc on a vu et on a participé, grandir tout ça. Ouais,
l’impression d’être chez soi, c’est un peu ça.
Manu : Le club il appartient à ceux qui en font, c’est pas à moi et c’est pas à…
Vous suivez encore les résultats du club ?
Manu : Oui, oui, moi j’ai mon fils qui rame donc c’est facile. Si, si, là il y a les championnats de France
Sénior, on est pas forcément lié mais bon, c’est la notion de club ça, quand t’es là, tu croises les gens,
ou alors tu viens et tu dis bonjour à personnes ou tu t’intéresses un peu aux gens, ça tu vois t’arrives
tu viens, tu te casses, c’est du tennis, moi j’en ai fait un peu, t’arrives avec ton pote, tu dis bonjour, tu
demandes sur quel terrain tu vas, tu fais ton truc, tu te casses ; à la limite ya personne qui va au
vestiaire. Là, t’as des gens, tu finis un peu pas voir toujours les mêmes têtes, même les loisirs, ton père
je le vois, je lui dis bonjour, enfin voilà, ça c’est la notion de club. Moi je me suis aperçu en faisant faire
des activités sportives avec mes enfants que c’est pas si répandu que ça. J’ai fait de l’escalade, j’ai été
dans des clubs d’escalade, des clubs de tennis, de natation, enfin, t’arrives sur comme des clubs de
sport type Pacific Club ou ces truc-là. Tu y vas et tu consommes du sport. Enfin, si je suis encore là au
bout de 30 ans, c’est que voilà, ya des gens, tu connais les entraineurs, tu t’invites pas forcément, mais
ya une notion de club que ya pas, et pour en avoir discuté, c’est assez répandu dans les clubs français
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[d’aviron]. On a des potes vétérans, s’ils sont encore là, c’est qu’ils sont attachés aux gens qui sont
encore dans la structure.
Christophe : Pareil, on suit tous les résultats tous les ans ; quand ya un bateau de jeunes, même si tu
les as vu 3 ou 4 fois, qui font des résultats, moi je suis hyper content même si je les connais pas. Et
même plus loin, je sui aussi les internationaux, même si je sais que ce sont de grosses têtes de con, je
sui content parce que c’est un sport que j’aime et que voilà. Voir que la France réussie.
Des courses plus importantes que d’autres ?
Manu : Moi pour l’aviron, c’est les JO, moi le reste…
Christophe : Pour le Club, la course la plus importante ça reste les championnats de France ; le club ne
vit que par ça et pour ç ; il faut qu’il y ait des résultats pour que les gens viennent et pour que les
subventions tombent, c’est aussi une nécessité économique qu’il y ait des résultats. Je pense que c’est
aussi ce qui soude un club, qu’il y ait des résultats et qu’il y ait des références…
Manu : Tu l’as connu, tu vois bien, entre les gamins, chez les jeunes, quand il y a un bateau qui fait une
médaille, je vais pas dire que les autres sont envieux mais bon ils se disent il est à côté de moi, il a 2
bras, 2 jambes comme moi, pourquoi il y arriverait pas. C’est l’émulation quoi. C’est normal. C’est la
proximité qui fait que y en a qui arrive à s’élever. JD chez les jeunes, je pense qu’il n’avait même pas
l’idée de faire une carrière sportive. En plus il était plus petit et gringalet chez les minimes lui.
On dit souvent que chaque sport a ses règles, ses codes, pour l’aviron c’est quoi ?
Manu : Comme m’avait défini un copain, l’aviron c’est un sport individuel pratiqué en équipe. T’es dans
un bateau, si t’es dans un 4 et que t’en as un qui vient jamais s’entrainer, souvent ça met pas la bonne
ambiance. Donc voilà la règle de base c’est que le moins fort s’entraine le plus. T’acceptes tout, même
quand t’es le plus fort, du moment que celui qui a le moins de facilité il y mette l’investissement. C’est
la règle de base, des fois y en a qui la comprenne pas, il faut leur rappeler.
Christophe : Après si, globalement sur les bassins, il y a un respect des rameurs par les rameurs, enfin
dans le haut niveau en tout cas, où tu sais que c’est difficile quoi. Quand tu te retrouves sur une ligne
de départ, tout le monde en a chier pareil tout l’hiver pour arriver au niveau donc même des gens qui
sont tes adversaires, qui a priori ce sont pas des gens avec qui tu t’entends très bien, y a toujours du
respect parce que on a tous chier pour en arriver là…parce que ya une vraie exigence physique et
mentale aussi, ton 1er adversaire c’est toi-même comme on disait tout à l’heure. T’as une vraie rigueur
sur l’eau, au niveau des entrainements, mais même sans s’entrainer beaucoup, juste quand tu viens
t’entrainer de pas faire n’importe quoi, chez les jeunes qui commencent, et on se rend compte que
c’est un sport exigeant pour ça et que ya du déchet chez les jeunes, que ya pas n’importe quel type de
population qui vient faire de l’aviron parce que c’est exigeant de ce point de vue-là. Au temps sur un
terrain de foot, les gars ils peuvent être lâché à faire un peu ce qu’ils veulent chacun dans son coin, au
temps là ils ne peuvent pas, que ça convient pas à tout le monde. Ya des règles de sécurité mais même
en étant en bateau, quand t’es dans un 4 et t’es obligé de ramer. Que t’es envie de ramer ou pas, t’as
pas le choix. Le respect des gens avec qui tu rames.
On dit souvent que l’aviron est un des sports où l’on atteint des niveaux de douleur les plus élevés.
Comment appréhende-t-on cette douleur ? Pourquoi est-ce une nécessité de continuer, de se dépasser,
de ne pas lâcher ?
Manu : ça ne s’apprend pas, c’est l’adversaire qui te fait te faire repousser tes limites. Si t’as envi, t’y
va et c’est la tête qui prend le dessus. Mais ça je dirai que c’est une qualité qui se travaille un peu mais
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faut l’avoir quoi. Y a un moment, t’oublies que tu as mal et faut juste décider d’y aller et puis tu
t’aperçois que ça passe, ou pas, mais il faut avoir envie d’essayer. T’es mort, faut avoir envie d’essayer
d’en rajouter. Après c’est des histoires de chimie, la douleur crée certaines hormones, le corps se
défend.
Christophe : Oui et puis c’est inhérent à tous les sports de compétition de toute façon.
La recherche de sa limite personnelle ?
Christophe : Moi non, moi personnellement jamais, absolument pas. Moi c’est vraiment que le plaisir
de me battre contre les autres et de vouloir battre les autres, pas contre moi-même. Mais je pense
que chacun vit ça différemment, si y en a qui ont besoin de se prouver des choses, moi je m’en foutais
complétement.
Le coach, sa place dans le groupe et pour vous ?
Manu : Nous c’est devenu un ami mais…après c’est un peu particulier ici, nous on est resté en contact
tout le groupe en fait mais c’est assez rare. Y a plein de gens qui font des résultats et qui se connaissent
plus trop après donc… Ici t’es dans un club familial, c’est lié au fait que ce soit une petite structure.
Après t’as des gens qui changent de club pour faire des résultats, voilà ça crée pas la même ambiance,
ni vis-à-vis du coach ni des coéquipiers.
Et durant vos années de compet ?
Christophe : Chez les jeunes, on avait un vrai entraineur, avec un rapport rameur-entraineur, vous
faites ci, faites ça, nous on s’écrasait. Et après qu’en on est devenu senior, on avait un entraineur qui
nous suivait que qu’en on préparait les championnats, mais sinon toute l’année on était tout seul quoi,
on s’entrainait nous-mêmes, on se suivait nous-mêmes, des fois on se suivait les uns les autres un petit
peu. On suivait le programme de la Fédé. C’était assez empirique comme entrainement.
L’entraineur venait apporter la dernière touche avant les championnats ?
Manu : C’est ça, il venait apporter l’œil extérieur, y en faut un.
Christophe : Et probablement qu’en 92, en 4 on n’aurait pas gagné sans entraineur. En 91 on aurait
gagné tout seul, il était là mais on aurait gagné tout seul de toute façon. En pérore, on a gagné tout
seul mais en 4 sans en 92 on n’aurait pas gagné sans entraineur, c’est sûr.
Qu’est ce qu’il vous a apporté au final ?
Christophe : L’œil extérieur, le bateau allait moins bien…
Manu : La remise en question aussi…
Christophe : voilà, on s’est pas rendu compte que le bateau allait moins bien.
Il a joué un rôle sur la motivation ou ça n’était que du technique ?
Christophe / Manu : Les deux !
Christophe : Les deux parce qu’après coup on s’est rendu compte qu’on se regardait un petit peu, on
se regardait ramer parce qu’on avait facilement gagné l’année d’avant. On était a priori plus fort et
tout, et on s’était pas trop remis en question. Et du coup techniquement on était moins bien, dans la
tête on n’était pas assez exigeant.
Qu’est ce qu’évoque Crew Line ?
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Manu : Moi je trouve que la marque est pas trop connue, même dans le milieu de l’aviron, enfin…elle
est connue mais il y a plein de vêtements qui trainent et on ne sait pas que ce sont des Crew Line. C’est
con mais leur logo…ils ont pas d’identification visuelle.
Christophe : Et puis moi je pense qu’ils manquent d’un vrai designer de fringues pour faire des fringues
qui puissent être plus jolies. Au niveau des matériaux c’est très très bien, c’est hyper agréable, mais…
Manu : La gamme n’est pas renouvelée ! Ils restent comme tout un tas de marques techniques, une
niche. Enfin, je vais être méchant avec eux mais ils sont trop confortables. Après s’ils veulent se
développer, va falloir qu’ils se remettent en question et qu’ils soient plus dynamiques ! Qu’ils prennent
des risques ! Ils sont confortables. Ils sortent une fringue, ils font une fringue, ils ont essayé des trucs
bodybuildés mais bon voilà c’est pas… Ils n’ont pas d’identifiant visuel !! Une pancarte, des bandes
comme Adidas… ou alors je le connais pas.
Christophe : Et puis même, de ne pas utiliser d’avantage le mot aviron sur leurs fringues, tu vois, juste
un gros truc aviron ou… parce que comme tu dis tu vas courir, tu mets ton machin aviron, mais comme
c’est ton sport et que tu aimes bien ben t’es content de porter des fringues et que ça se voit, enfin moi
ça serait ça tu vois, d’avoir un gros truc aviron de marqué sur la manche ou rowing, enfin…, ou une
pelle, quelque chose qui rappelle vraiment le sport mais de manière très visible.
Manu : Ils restent sur des niches de vêtements techniques donc un marché captif, finalement, où ils
sont bons mais du coup il y a pas de visuel et tu veux acheter une chemise un peu originale ya pas, un
vêtement en lin identifié aviron ya pas, un jean identifié aviron ya pas, mais bon s’ils veulent grandir
faut qu’ils prennent des risques ! Après moi je suis fonctionnaire donc je ne vais pas leur apprendre la
gestion des risques ! (rires) ça ronronne leur truc.
Christophe : Mais ils pourraient le développer ! Tu vois les jeunes, ils sont de gros consommateurs, ils
pourraient en acheter d’avantage. Tu vois des sweets comme t’as là, ce que vend Crew Line comme
sportswear c’est pas terrible.
Manu : Franz il est arrivé, il a voulu identifier, vendre des fringues technique via le club, c’est lui qui a
pris contact avec eux, il a vu ce qui se faisait, il a fait leur taff. A leur actuel, Crew Line, ils n’ont pas de
marque, ya pas de marque au sens marque, au sens commercial, ya pas d’identifiant, ya pas de logo,
ou je le connais pas.
Christophe : Tu compares avec Godfrey, pareil c’est le même genre de produit, sauf que c’est plus gros
à mon avis. Ben chez Godfrey, n’importe qui peut acheter les fringues de n’importe quel club en ligne
directement. Je veux acheter ceux qui fournissent l’ACBB, ou le Kway de l’ACBB, je peux le faire en 2
clics ! C’est le 1er distributeur de fringue techniques en France.
Entretien avec Françoise
Comment es-tu devenue rameuse ?
Par alliance ! (rires) C’est Bruno qui m’a fait découvrir l’aviron quand je l’ai rencontré, j’avais 23 ans,
mais moi j’ai passé une grosse partie de ma jeunesse à Marseille et il se trouve que je faisais que de la
voile à Marseille, c’est plus logique ! Quand j’ai rencontré Bruno, il s’entrainait beaucoup donc le week-
end, au début je suis allé l’accompagner et puis sa ma tout de suite rappeler les sensations que j’avais
pu avoir quand j’étais en bateau à marseille donc j’ai commencé à en faire et puis je ne voulais pas en
faire en yolette donc je me suis investi un peu plus avec quelqu’un en double, j’avais vraiment envie
de connaitre la technique et puis voilà je me suis fait embarqué dans le truc, ça m’a plu tout de suite !
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Je pense que c’est aussi le fait que j’ai fait pas mal de bateau quand j’étais jeune ; le fait d’avoir habité
au bord de l’eau, une fois que tu arrives en région parisienne pour faire tes études, ya plus d’eau et là
tu redécrouvres l’eau.
Pourquoi est-ce que ça te plait d’être sur l’eau ?
D’abord parce que t’es libre, tu fais ce que tu veux, bien sûr quand tu es tout seul mais aussi en
équipage, c’est une sensation de liberté. J’aime beaucoup le contact avec l’eau, les sensations de
glisse, même si mon bateau glisse de moins en moins (rires). On recherche tout le temps la sensation
des petites bulles qui sont sur le bateau.
Décrit moi cette sensation
C’est quand tu fais tout comme il faut, que ya pas beaucoup de vagues, tu sens ton bateau qui vibre,
ça fait des petites bulles, ya un petit bruit. Même après 25 ans d’expérience, toute seule dans mon
skiff avec mes petits moyens, c’est le même plaisir d’entendre ce bruit-là que quand je faisais des
compétitions, que j’étais en équipage et t’attendait que ça, d’entendre ce bruit. Parfois tu pouvais
passer des sorties entières à chercher les bonnes sensations et sur les 10 derniers coups t’as les bonnes
sensations et là c’est bon, t’as réussi ta sortie.
L’aspect technique, pourquoi est-ce que c’est dur de bien ramer ?
Pour moi, il y a 2 catégories de personnes qui font de l’aviron : ceux qui veulent juste se promener et
qui ne font donc pas trop attention à la technique – ils peuvent aussi se faire plaisir comme ça ; mais
moi j’avais envie d’avoir tout de suite le bon geste technique pour pouvoir en profiter et aussi être
autonome, ne pas dépendre d’une yolette.
C’est quoi le bon geste technique ?
Ça s’apprend, ça s’apprend avec des entraineurs et j’ai eu la chance d’en rencontrer des très bons.
Après s’être marié, on a déménagé à Corbeil et on est arrivé dans un club où il y avait une émulation
très forte, un très fort esprit de famille, avec un entraineur super compétent et en même temps qui
était très fort pour créer une émulation de groupe. Du coup moi j’ai accroché tout de suite, et comme
je ne travaillais pas à l’époque, il m’a dit « toi là, je te prends et je te mets dans un bateau », à la fin de
l’année je faisais les championnats, j’avais 25 ans et je venais d’accoucher d’Arthur. Au début je l’ai
pris pour un fou ! Et en fait j’ai progressé super vite parce qu’il a pris le temps de m’apprendre le bon
geste technique, c’est-à-dire de ne pas y aller comme un bourrin. Les gens ont l’habitude de dire que
« si tu fais de l’aviron t’es musclé » mais en fait ce n’est pas forcément les gens très musclé qui vont
très vite. Savoir faire le bon geste pour attraper l’eau et faire vivre ton bateau autant que possible.
Pourquoi les gens les plus forts ne réussissent pas forcément à l’aviron ?
Parce que les gens les plus forts, ils veulent utiliser leurs muscles ! Si tu prends un boxeur, qui a des
gros bras ou un gars qui fait de a musculation de manière intensive, tu le mets en bateau, il va juste
chercher à pousser comme une mule ! L’image qu’on m’a expliqué au tout début, c’est que le bateau,
c’est comme le vélo : si tu pédales de manière continue mais souple tu vas avancer très vite, alors que
si tu pédales en appuyant très fort tout d’un coup tu vas de faire très mal aux jambes et tu ne vas pas
avancer beaucoup. C’est cette sensation là qu’il fait essayer d’avoir en bateau : un geste continue,
souple, léger et dynamique. Le dynamisme parfois, si tu mets un gros costaud, il va chercher à planter
les pelles, et en fait il va arrêter le bateau net. Ces techniques là ça s’apprend et quand t’as la chance
de tomber sur de bons entraineurs, c’est vraiment appréciable. En yolette, je pense que les gens se
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prennent moins la tête à vouloir faire ça techniquement, proprement, préparer ses pelles, ne pas
toucher l’eau sur le retour, ces toutes ces petites choses qui font que tu as les bonnes sensations.
Pourquoi est-ce que l’ambiance du club de Corbeil t’a plu ?
Moi c’était vraiment comme une famille, il y avait déjà un bon groupe de jeunes filles et de jeunes
garçons qui étaient assez performant. A l’époque, le club était 5ème au national alors que c’était un tout
petit club ! En fait, il y avait une dizaine de personnes mais qui doubalient leurs courses aux
championnats : elles faisaient 2 courses et elles gagnaient des titres ou des médailles aux 2 courses
donc tu récoltais pas mal de points. Et très sincèrement l’entraineur contribuait aussi à ce bon esprit ;
on allait tous les dimanches chez l’entraineur, il y avait tout le temps des bouffes d’organisées. Il y aavit
aussi d’autres clubs qui venaient les week-ends parce qu’il était entraineur en ligue. Moi je faisais
parfois la bouffe, par exemple. Ce qui fait que tu passais des heures au club ! Arthur il était tout petit
à l’époque, il avait 3 mois, et n’importe quand en semaine, si j’avais personne pour le garder, j’arrivais
au club, je le mettais dans un lit et il y avait toujours quelqu’un pour le surveiller ; Donc lui il a fait ses
premières nuits au club. Il y avait aussi un super Président qui est très connu dans le monde de l’aviron,
Marcel Salé. Et il y avait aussi les anciens qui tenaient la baraque, avec un grand respect pour eux.
C’était 5/6 années géniales qui se sont arrêtées quand l’entraineur a été muté à Toulouse et du coup
il y a plein de gens qui sont repartis à droite, à gauche.
Tu as retrouvé cet esprit ici au Cercle Nautique de Melun ?
J’ai mis du temps parce que quand je suis arrivé on était que 2 filles ! Et parès, je me suis investi un
peu en entrainant le 8 avec Cyril, quand ils étaient cadet. Je les avais entrainé tous les week-end. J’étais
pas tout seul ! Je les entrainais une fois par semaine et le reste du temps c’était Manu.
Ce que tu as aimé dans cette partie entraineur ?
Transmettre ce qu’on m’avait appris et avec des jeuens c’est chouette aussi. Les jeunes quand ils osnt
minimes/cadet, il faut pas trop les laisser tout seul sur l’eau parce qy’ils peuvent faire les andouilles,
c’est rapide, et puis là c’était un huit donc c’était sympa de leur transmettre des dimensions d’équipe.
Christiophe Dekker avait parlé de l’importance de « l’œil extérieur »
Ah oui c’est hyper important parce que toi quand tu es dans ton bateau, tu as l’impression que tu fais
tout bien et puis là t’as un gars qui arrive et qui te dit « fais comme si » alors que toi tu le faisais pas.
Surtout dans un bateau long, ça permet d’avoir une vue d’ensemble.
Pourquoi l’aviron est un sport très exigeant ?
Oui c’est exigeant parce que si tu veux être bon il faut s’entrainer beaucoup, c’est dur, c’est dehors,
c’est très technique, il y a des jours tes fatiguer et si t’es en équipage tu ne peux pas dire à non je ne
viens pas. Ça demande de la rigueur, c’est dur, en hiver, quand il fait froid, tu prends la pluie sur la
tête, et tu sais que si tu veux faire tes compets au mois de juin, t’as pas le choix, tu dois t’entrainer en
hiver. Et puis en équipage, tu ne peux pas dire « bon moi je m’entraine 2 fois par semaine » alors que
les autres s’entrainent 5 fois et monter dans leur bateau, ce n’est pas possible vis-à-vis d’eux.
Pourquoi être resté toutes ces années ?
Parce que j’ai la passion ! Parce que petit à petit j’ai réussi à transmettre ça à mes enfants qui sont tous
passés par là, ils ont tous aimé, ça a duré plus ou moins longtemps. Je ne voulais pas les forcer parce
qu’on ramait souvent donc ils auraient pu avoir un rejet. Bruno et moi, on est passé pour des fous
pendant un moment parce qu’on ramait tous les 2, on avait notre propre bateau et Bruno venait ramer
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le matin à 8h, moi j’arrivais avec tous les gosses à la fin de sa sortie et je montais dans le bateau pendant
que lui repartait s’occuper des enfants.
Le team building idéal
Au boulot ils nous font tous des débats sur le team building mais moi j’ai envie de leur sortir une vidéo
d’aviron et je leur dire « regardez les gars, ça c’est du team building ! ». Parce que dans un 8, celui qui
est le plus faible c’est celui qu’il faut aider pour continuer à avancer. Donc si toi tu veux avancer t’es
obligé de l’aider à progresser. Et ça que tu en ais fait 1 ans, 2 ans, 25 ans, ce sont des choses qui restent.
L’esprit aviron ?
Moi-même sur l’eau, à chaque fois que je monte sur l’eau, j’essaie de rattraper le gars qui est derrière,
ou de larguer le gars qui est devant ! C’est une compétition saine, ce n’est pas malsain, ce n’est pas
pour lui faire mal. C’est pour moi en fait, ça me fait une motivation.
En aviron, qui est l’adversaire : soi-même ou l’autre ?
Tu en as plusieurs des adversaires ! T’as le temps, le courant, toi-même, mais c’est surtout toi-même.
Et puis quand tu fais des courses, c’est pour aller plus vite que les autres mais c’est des gens que tu
respectes, tu ne fais pas ça pour les écrabouiller.
Les éléments naturels
Quand tu rames longtemps, t’as connu pas mal de phénomènes. Avant je ramais la nuit, je apratais sur
l’eau à 17h en hiver, tu revenais il faisait nuit ! Et puis des éclairs, j’en ai pris. Je me souviens d’une fois
j’étais sur l’eau en plein miieu d’un orage et là j’ai eu peur parce que mon aile était en métal. Je me
suis recroquevillée et j’ai attendu que ça passe parce que de toute façon on ne voyait plus rien.
Crew Line : comment-tu perçois cette marque aujourd’hui ?
Heureusement que c’est de la bonne qualité parce que à chaque fois que mes enfants me demandent
des combis, je fais aïe. C’est très cher ! Pas beaucoup de choix en terme de design. Et puis comme ils
n’ont pas de boutiques, tu ne peux pas essayer.
Eléments caractéristiques de l’aviron
Un bout de bateau, la pointe avant, les coulisses.
Entretien avec Philippe
Comment es-tu devenu rameur ?
Suite à un problème médical, le kiné que je voyais pour un problème de scoliose m’a recommandé de
faire un sport plus complet que le judo et le rugby. Comme il y avait un club d’aviron, j’ai testé l’aviron.
Pourquoi es-tu resté dans l’aviron ?
J’en ai fait pendant 3 ou 4 ans d’abord, puis j’ai repris el rugby et après j’ai arrêté tout le sport
pendant mes études. Je n’ai repris l’aviron que plusieurs années plus tard, lorsque j’étais à Paris. A un
moment j’ai eu envie de reprendre l’aviron mais comme il n’y avait pas de club dans Paris, je suis allé
en faire sur la Marne, au club de Lancout à Neuilly sur Marne, sur l’île au Loup.
Pourquoi ce club ?
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Je cherchais un club à proximité de Paris et c’était un coin un peu mythique, tout ce coin de Lagny sur
Marne, Joinville, Le Perreux.
Pourquoi c’était mythique ?
Dans le milieu de l’aviron, on entendait parler de tous ces clubs, Joinville notamment. Alors pour moi
ça raisonnait avec Bataillon de Joinville, donc le côté sport de bon niveau…et puis le côté Marne
m’intéressait, le côté un peu bucolique, tout le folklore qu’il y a autour de la Marne, les guinguettes
et tout ça, des clubs d’aviron qui sont par là, tous les bords de l’eau.
Ce qui te fait rêver dans le bord de l’eau ?
Le côté naturel, la rivière c’est un milieu de nature. L’eau c’est la vie, les villes se sont faites au bord
de l’eau et puis indépendamment du sport d'ailleurs, j’ai jamais pensé qu’on puisse habiter dans une
ville qui ne soit pas au bord de l’eau. Du coup ici en Seine-et-Marne, il y a des endroits comme Nangy
qui sont nul parts parce qu’il n’y a pas d’eau. Ça me semble quelque chose de naturel. Dans le temps,
l’eau était la principale voie de communication donc c’est autour des ports que ce sont fait les villes,
le commerce s’est d’abord établi à ces endroits là, sur des lieux de passage, donc je pense
qu’inconsciemment il y a ce rapport. Et puis c’est ce côté nature, en largeur il y a des largeurs
variables mais en longueur tu te dis que depusi la source ça peut aller loin. C’est un espace qui n’a
pas les mêmes limites que pour prendre l’exemple d’un autre sport, l’athlétisme où une piste c’est
400 mètres. Moi ce qui me plait dans l’aviron c’est qu’on ne sent pas cette limite ! Même s’il y a des
barrages mais il y a beaucoup longueur, il y a un peu côté un peu non défini.
Le folklore de l’histoire des clubs de la Marne
Je trouvais intéressant de voir qu’il y a des clubs qui ont un passé, qui s’inscrivent dans le temps, avec
bien évidemment des nouveaux rameurs à chaque saison, des gens qui découvrent, qui vont faire un
temps, qui à un moment vont s’arrêter, mais le club il est toujours là, il y a un côté permanence, en
lien aussi peut-être avec l’eau. Sur la Marne, ça fait un peu rêver de voir des clubs centenaires, qui
cultivent la tradition, la mémoire, c’est toujours sympa de voir la salle d’honneur de ces clubs, de voir
toutes ces coupes alignées, voilà tu te dis il y a une histoire.
Quel est ton sentiment lorsque tu rentres dans la salle d’honneur du CNM, quand tu vois toutes ces
coupes ?
Je me dis que ce sont de grands moments pour les rameurs qui sont sur les photos mais aussi pour
l’entraineur du moment, que ça a été des moments de fêtes comme dans chaque compétition,
quand tu arrives au bout et que tu décroches un médaille. C’est l’aboutissement d’une année
d’efforts donc ça ce sont des traces, des témoignages de tout ça. C’est sympathique de voir toute
cette histoire, des gens qui sont passés au même endroit, qui ont ramé sur la même rivière, pas
forcément sur les mêmes bateaux mais… c’est ça qui est sympa aussi c’est que tu te dis que tu es
dans les mêmes conditions que eux ont pu vivre. Bon bien sûr ces gars ils ont fait 1 saison ou
plusieurs saison jusqu’à un moment gagner des médailles mais tu fréquentes le même endroit, tu es
dans le même club, tu partages les mêmes vestiaires, la même salle d’honneur, c’est pas un lieu
anonyme.
Plus spécifiquement, que représente le Club de Melun ?
Avec les années, je me sens mieux là que dans un autre club, je ne me verrai pas changer de club
tous les ans. Et puis bon c’est un club qui a eu des champions, encore récemment avec l’époque de
JD, en plus cette période-là, ça faisait écho à Laure Manaudou dans la piscine d’à côté, tu te dis que
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tu fréquentes les mêmes installations de des champions de niveau mondial. C’est un club qui n’est
pas ridicule. Chaque année, le club amène des gens à un bon niveau, voire dans une catégorie ou
l’autre, ya souvent un champion de France ou finaliste, c’est quand même un club de bon niveau.
En terme d’image, quelles images te viennent en tête ?
Plutôt le plan d’eau. Sur le parcours qu’on emprunte habituellement, c’est le côté très nature. SI on
prendsdes photos on peut ne pas voir de maisons sur une bonne partie du parcours. Très aéré, la
Seine est assez large à cet endroit là. Ça renforce le sentiment de liberté, pas trop de limite, de
nature. Quand je pense à l’aviron, je vois d’abord ces sensations, de rapport à l’eau, être au ras de
l’eau, c’est ça aussi qui est sympa dans ce sport c’est qu’on cherche à glisser sur l’eau le plus possible,
donc voilà on communique avec la nature, on est au contact.
Décrivez-moi les sensations de glisse
C’est le fait qu’avec l’effort qu’on déploie, on fait filer le bateau. Quand il y a le moins…ce que
cherche à faire quand je suis en skiff ou comme ça… c’est d’avoir le moins de perturbations possibles
sur l’eau, faire le moins de vagues, le moins de traces, de pas plumer, de pas… pour qu’il y est juste le
contact minimum du bateau et que ce soit juste l’appui des pelles dans l’eau…de pas faire de vagues,
de pas faire d’écumes…le silence parfait quoi. Le glissement, le frottement de l’eau qu’on perçoit un
petit peu.
C’est ce que tu recherches quand tu fais des sorties ?
Ah oui, quand il y a un plan d’eau lisse, pas de vent, pas de vague, c’est comme un miroir, lorsque les
conditions sont réunies, je cherche à faire ce mouvement qui perturbe le moins possible le plan
d’eau, c’est le summum. Ce sont de grands moments !
L’aviron est aussi un sport très technique, la glisse est conditionnée à un geste techniquement précis
C’est ça aussi que je trouve intéressant dans ce sport, c’est qu’à un moment il faut déployer des
efforts – tirer sur les avirons, pousser sur la barre de pieds, etc – mais tout ça doit être fait dans un
contrôle total, à la fois dans l’enchaînement du geste, dans la transmission de l’énergie entre le corps
et le bateau pour que le bateau glisse avec le moins de frottements, de perturbations possible. C’est
ce contrôle global que je trouve intéressant. Il nécessite de rester concentrer sur tous ces gestes en
permanence, d’un bout à l’autre de la sortie si on veut être au maximum d’efficacité, de glisse, il
faut rester concentrer sur tous ces gestes, sans se crisper…c’est tout cet ensemble à qui n’est pas
facile à atteindre mais c’est motivant.
Réussir à faire le geste parfait…
Ah ouais, quand tu arrives à la faire sur 5 ou 10 coups de suite, tu te dis ouha c’est le nirvana ! Mais
après ça se gâte en général… C’est la motivation aussi, à chaque fois qu’on fait une sortie, est-ce
qu’on va revivre ça ! C’est ça qui est motivant. En tout cas c’est ça qui me plait, c’est moins la
performance physique, ce n’est pas aller le plus vite possible… c’est plus…alors en se dépensant
quand même physiquement…mais dans cet équilibre-là.
Qui est l’adversaire en aviron : l’autre bateau, soi-même, l’environnement ?
Dans les courses ? Heu, ben quand on…parce que j’ai eu fait un peu de compétition, forcément
l’adversaire c’était l’autre bateau, après…
Tu as fait de la compétition au club de Peyrehorade ? Après aussi ?
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Oui après aussi, 2 ou 3 fois on s’est inscrit au biathlon de Lagny, il y a avait ce côté compétition mais
c’était une épreuve différente, on partait les uns après les autres, on était chronométré, donc tu te
bats un peu contre toi-même, tu n’as pas trop de repères, tu vas à fond, ce n’est pas comme les
courses en ligne où tu as les autres bateaux pour te repérer.
Ton meilleur souvenir d’aviron ?
J’ai des images du plan d’eau à certaines époques, à l’automne ou comme ça. Des fois on a ramé
avec le brouillard qui se levait sur le plan d’eau, là c’est très…beau à voir. Deux fois j’ai fait la
traversée de Paris, le fait de pratiquer ce sport, d’être sur ces bateaux au milieu de Paris, c’est
mémorable !
Crew Line : as-tu déjà acheté des produits ?
Oui, la dernière acquisition que j’ia faite c’est un polo manche longue, que j’avais acheté pour al mi-
saison, enfin un t-shirt manche longue…en supplex. C’est proche du corps, c’est bien fait parce que
ça a des manches longues, ça descend bien au niveau des reins, ça te gêne pas parce que c’est
proche du corps, c’est le vêtement adapté au sport. Sinon pour l’hiver j’avais acheté une
combinaison, avec des bretelles et des jambes collant, tu sens que c’est le truc adapté parce que ça
tient, ça colle au corps, c’est un genre de fuseau.
C’est quoi un fuseau ?
C’est le pantalon, ça remonte jusqu’aux épaules.
Pour toi c’est une marque technique…
Oui je vais sur ce site pour regarder les vêtements, si je veux me rééquiper je vais plutôt aller là aprce
que je sais que c’est spécialisé, que c’est adapté. Après ce que je mets souvent, je l’avais trouvé à
Décthlon dans des articles…rayon cyclisme, une veste que je mets par-dessus l’hiver, c’est un truc de
cycliste parce qu’il a des trous pour le pouce au bout des manches, mais pareil c’est un vêtement
avec des manches biens longues, qui descend un peu dans les reins aprce que dans le cyclimse je
pense que tua s un peu les mêmes besoins…comem tues un peu courbé tu as besoin d’un vêtemnt
qui vienenent te couvrie les reins, et puis pour le guidon il faut des manches assez longues donc à
cette époque quand je cherchais j’étais pas allé voir sur Crew Line amsi si demain j’ai besoin de
racheter ce v^^etement aprce qu’il est un peu usé, j’irai voir sur le site de Crew Line et je susi
quasiment certain que j’arriverai à trouver.
Comment as-tu découvert Crew Line au début ?
On a dû m’en parler au club, j’ai peut-être vu une pub au club mais je m’en rappelle plus… Je pense
qu’on m’en a parlé.
Du coup tu n’es pas très équipé Crew Line ?
De toute façon il ne faut pas grand-chose !
Et ce t-shirt manche longue, tu le mets en ce moment ?
Non en ce moment je mets un petit t-shirt que j’ai eu par le club, en coton très léger je pense. Je n’ai
pas un super équipement au final. Sinon j’ai une très ancienne combi du club mais je ne la porte pas
pour m’entrainer. S’il y a une occasion je la mettrai mais je vais être en décalage avec la combi
actuelle
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Après tu n’as pas besoin de grand-chose pour ramer, short, t-shirt et casquette. Crew Line c’est bien
dans les maillots ou dans la combi, c’est un peu particulier parce qu’il faut qu’ils collent au corps,
qu’ils descendent au niveau du dos et qui remontent sur la nuque, il faut qu’ils s’adaptent ai
mouvement qu’on a. C’est pour ces vêtements là que je regarde pour Crew Line. Le reste, les
chaussettes tout ça, tu peux trouver. Le short ce n’est pas si évident que ça finalement. Pareil un que
je mets encore aujourd’hui, j’avais un peu chaud avec, c’est un que j’ai trouvé dans un rayon cycliste,
après un autre short Décathlon qui est encore plus léger. Peut-être que chez Crew Line j’aurai trouvé
quelque chose de mieux.
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Annexe 3 : Liste des principaux sites internet et vidéos en ligne
consultées
VIDEOS Youtube
The pursuit of perfection - https://www.youtube.com/watch?v=v_kHUE_UiFc
The Pain Contest - https://www.youtube.com/watch?v=MbPOe9ACXzc
The Gold Brother - https://www.youtube.com/watch?v=lZ3_ajuVF8Q
Wake up and row - https://www.youtube.com/watch?v=HxB-exk768Q
Rowing: it’s good for your brain - https://www.youtube.com/watch?v=yCp6DZqrdSs
Cambridge University Rowing - https://www.youtube.com/watch?v=t1heynT_3FY
En 8 majeur (reportage Canal +) - https://www.youtube.com/watch?v=8AwyHTgjagQ
Marlow Rowing Club – Train, Guide, Win - https://www.youtube.com/watch?v=pv8UMZJHekk
SITES INTERNET
Blog des Amis de l’aviron - http://www.rowinghistory.net/
The BNY Mellon Boat Race - http://theboatraces.org/
The official site of World Rowing - http://www.worldrowing.com/
Rowing and sculling for rowers and scullers - http://www.row2k.com/
Fédération Française des Sociétés d’Aviron - http://avironfrance.fr/
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Annexe 4 : Observations photographiques lors de la
phase terrain au Cercle Nautique de Melun
Le garage à bateaux Mise à l’eau du bateau
Installation des avirons Départ sur l’eau
Quatre en plein effort collectif Concentration et engagement physique
Course entre deux bateaux Fin de sortie, retour au ponton
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