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Académie en éthique appliquée :
Les enjeux éthiques dans la question d’expulsion des habitants de la favela
de Vila Prudente à São Paulo :
Comment mener de manière éthique la construction
d’un train impliquant l’expulsion d’une partie des
habitants de la favela de Vila Prudente ?
Juliane Butty
HEG-FR
Septembre 2014
Sous la direction du professeur Marlise Colloud
2
Table des matières
1. Présentation du cas p. 3-6
1.1 La favela de Vila Prudente et son évolution urbaine p. 3-4
1.2 La ligne 15 du train – prochaine étape
de l’histoire urbaine de la favela p. 4
1.3 Les différents acteurs et leur position p. 4-6
2. Enjeux éthiques p. 7-9
3. Analyse des alternatives p. 10-12
4. Conclusion et prise de position p. 13
5. Sources p. 14
3
1. Présentation du cas
1.1. La favela de Vila Prudente et son évolution urbaine
La favela de Vila Prudente est située dans la zone Est de São Paulo. Il s’agit d’une de plus
anciennes favelas de la ville. Formée aux environs de 1940 par des immigrés principalement
originaires du Nordeste venant en tant que main d’œuvre pour l’industrie naissante, la favela compte
aujourd’hui environ 1'500 familles.
De 1940 jusque dans les années 90, le quartier de Vila Prudente où se trouve la favela était
essentiellement un quartier industriel où résidait une population appartenant à la classe ouvrière,
soit à faible revenu. Cependant, au début des années 90, le secteur industriel touché par
l’augmentation des prix (prix de la terre, salaires, etc.) s’est délocalisé dans la région Nord du pays.
Ainsi durant la décade de 90, le profil économique de la région a changé et le secteur des services a
gagné du terrain. Une des principales conséquences de cette mutation a été l’installation de la
bourgeoisie dans la région. L’arrivée de cette classe plus aisée a engagé une transformation du
paysage urbain de la région. Cette époque correspond à l’arrivée des « condominios fechados »1 -
quartiers privés sécurisés de haut standing inspirés de la Californie du Sud. Par ailleurs, pour
encourager la consommation et répondre aux attentes de cette nouvelle population, deux centres
commerciaux sont construits. Ces deux centres représentent encore aujourd’hui une réelle
opportunité pour les habitants de la favela de Vila Prudente et des favelas alentours qui représentent
la majorité des employés2.
Mais cette mutation du paysage eut également des conséquences néfastes pour les habitants de
la favela. En effet, l’arrivée de cette population plus aisée a coïncidé avec une augmentation du coût
de la vie et surtout à la flambée du marché immobilier. En conséquence, certains occupants de la
favela se sont vus expulsés car incapable de payer leur loyer. Par ailleurs, le plan urbain basé sur la
construction des condominios – décrite comme « architecture de la peur » par Tunde Agbola,
professeur d’urbanisme de l’université d’Ibadan au Nigeria - a contribué à l’accentuation de la
fraction sociale entre « riches et pauvres ».
En 2011, une seconde modification urbaine a eu un impact notable sur la population des
environs : l’inauguration de la station de métro de Vila Prudente et de la station de train Ipiranga
(situé à 5 min à pied de la favela). Alors qu’auparavant, il fallait 1h30 pour se rendre au centre-ville,
l’usager du métro l’atteint dès lors en 10 minutes seulement. Ce nouveau moyen de transport a
impliqué une hausse de l’attractivité de la région. Ainsi, de nombreuses entreprises privées ont
financé la construction d’universités, de bars, d’entreprises et d’immeubles résidentiels3. Bien que ce
développement ait une nouvelle fois signifié une hausse du coût de la vie, les changements
engendrés par le métro et le train dans la région se révélèrent principalement positifs :
accroissement des opportunités de travail, rapprochement du centre et de son offre culturelle,
amélioration de la mobilité, etc.
L’urbanisation n’est donc pas forcément synonyme d’expulsion ou ségrégation pour les
habitants des quartiers précaires. Cependant, il est vrai que dans son contexte historique,
l’urbanisation au Brésil tend généralement vers un phénomène de gentrification – terme créé dans
les années 60 par la sociologue britannique Ruth Glass pour parler de l’appropriation d’un quartier
1 Mike Davis, Planeta Favela, chapitre 5, version 2006
2 Kassia Bobadilla, Trilhos em trajetorias: impacto e transformação no cotidiano de uma favela paulistana
e partir da obra do monotrilho, 2014 3 Ibidem
4
urbain populaire au profit d’une classe sociale supérieure. Son usage s’étend aujourd’hui à une forme
d’élitisme géographique favorisant l’absence de mixité sociale. Les habitants des quartiers précaires
sont pour cette raison, souvent réticents à tous projets architecturaux ayant un impact à priori
négatif sur leur habitation.
1.2. La ligne 15 du train – prochaine étape de l’histoire urbaine de la favela
Les habitants de la favela de Vila Prudente s’apprêtent aujourd’hui à faire face à une nouvelle
étape d’urbanisation. La construction d’une nouvelle ligne ferroviaire au moyen d’un système
innovant de monorail, Bombardier Innovia 300, a été annoncée par la Companhia Metropolitano de
São Paulo. L’intention est de relier les stations de la ville de Tiradentes aux stations de la région de
Vila Prudente. Les travaux ont déjà commencé et devraient se terminer en 20174. La technologie
INNOVIA monorail offre une grande capacité de transport (1'000 personnes) et permet une
circulation à grande vitesse5. Autre avantage, son installation ne requiert pas d’importants travaux
d’infrastructure ou de génie civil6. Cette technologie s’avère en harmonie avec l’objectif de mobilité
« durable » du nouveau plan directeur urbain de la ville, approuvé cette année – Plano Diretor
Estrategico do Muncípio de São Paulo :
« Expandir as redes de transporte coletivo de alta e média capacidade e os modos nõ motorizados,
racionalizando o uso de automóvel. »7
Le problème est que le parcours du monorail passe directement sur la favela de Vila Prudente.
Selon le Movimento de Defensa do Favelado (MDF), le tracé prévu affecterait quelques 200
habitations. À ce jour, aucune proposition détaillée et claire n’a été émise pour les 200 ménages
menacés d’expulsion. La procédure commune dans le cas d’expulsion est la suivante. La compagnie
de métro, Companhia Metropolitana de São Paulo, contacte la compagnie du développement urbain
et d’habitat (CDHU). Il revient ensuite à cet organisme de chercher un terrain pour reloger les
familles. Bien souvent, la solution proposée implique un déplacement hors de la région d’habitat. En
conséquence, les habitants concernés doivent laisser amis, familles et surtout leurs histoires.
Beaucoup sont contraints de quitter leur emploi ou, pour les plus jeunes, leurs écoles.
Le cas révèle ainsi de véritables enjeux éthiques au carrefour des différents intérêts des acteurs
concernés.
1.3. Les différents acteurs et leur position
Le tableau suivant liste les principaux acteurs concernés par la construction du monorail. Il
définit leurs attentes prioritaires de chacun et présente les valeurs éthiques défendues par chaque
groupe d’intérêt.
4 Governo do Estado de São Paulo, www.metro.sp.gov.br, (28.08.2014)
5 Ibidem
6 Bombardier, www.bombardier.com, (28.08.2014)
7 Câmara Municipal de São Paulo, Para conhecer o subsitutivo do plano diretor estrategico de São Paulo,
PL 688/13, 2013. Traduction en français par moi-même : « Etendre le réseau de transport public de moyenne et grande
capacité et les moyens non-motorisés, permettant de rationnaliser l’usage de l’automobile »
5
Outre la population d’expulsion, l’amélioration de la mobilité semble être un intérêt commun
des différents acteurs. Les habitants de la favela y compris recherchent une expansion de l’offre en
matière de transport publics. Outre réduire le temps de déplacement, l’édification d’un système de
transport correspond généralement à une amélioration de l’infrastructure environnante, une
incitation d’implantation de nouvelles entreprises et ainsi de nouvelles opportunités de travail. Pour
la compagnie de métro et les compagnies privées directement ou indirectement liées au projet,
l’intérêt économique prédomine avant tout : accroissement potentiel des parts de marché, nouvelle
8 Companhia do Metropolitano de São Paulo – Metrô, Relatório da Administração 2013, 2013
9 Kassia Bobadilla, Trilhos em trajetorias: impacto e transformação no cotidiano de uma favela paulistana
e partir da obra do monotrilho, 2014
Acteurs
Attentes Valeurs défendues Valeurs négligées
La compagnie de métro8
a. Intérêt économique b. Etendre la mobilité urbaine c. Image
Progrès Innovation Modernité Mobilité
Dignité Non-Discrimination
La Préfecture de VP a. Intérêt économique b. Population satisfaite c. Développement Urbain
(Plan Directeur)
Mobilité Bien-être Croissance économique Protection Durabilité
Responsabilité
Les entreprises privées
a. Intérêt économique Croissance économique Mobilité Progrès&Innovation Richesse
Bien-être Non-discrimination Dignité
La population alentours
a. Meilleures desserves b. Rapidité et proximité c. Alternatives aux
embouteillages d. Amélioration de
l’infrastructure
Mobilité Sécurité Confort Autonomie Qualité de vie
Dignité et bien-être des minorités Non-discrimination
Les habitants de la favela de VP9
a. Menacés d’expulsion
a. Non-expulsion ou, b. Etre relogés dans les
alentours c. Communication
Dignité Autonomie Famille et Amie « Son chez-soi » Qualité de vie Non-discrimination
Progrès Bien-être général
b. Non menacés a. Urbanisation de la favela b. Mobilité c. Solution pour leurs confrères
menacés d. Communication
Dignité Autonomie Solidarité Qualité de vie Non-discrimination
6
clientèle, opportunité de réseautage, etc. Ils recherchent avant tout le profit. La demande des
habitants pour ce type de transport est forte mais ils exigent un système fiable, de qualité et à un
prix abordable. Un conflit d’intérêt entre la recherche de rentabilité des compagnies et les exigences
des habitants existe. La préfecture en tant qu’organisme étatique a pour devoir de trouver l’équilibre
entre ces divers intérêts. D’une part, elle promeut le développement économique de la région.
D’autre part, elle se doit de protéger l’habitant et répondre aux besoins de sa population. De plus,
elle a pour devoir de veiller à la bonne exécution du nouveau plan directeur. Ce plan engage une
gestion du processus de croissance et transformation de la Mégapole en équilibrant les dimensions
environnementales, économiques, sociales, culturelles et immobilières10. Ainsi, outre la promotion
de la mobilité douce et collective, il s’engage à répondre aux besoins de logements des populations
de rentes faibles en déclarant certaines zones spéciales d’intérêt social (ZEIS). Ces zones ont pour
objectif d’éviter la marginalisation et la discrimination. Elles ont 3 principaux dessins : promouvoir
l’urbanisation et la régularisation des quartiers informels, obliger le développement des logements
vides ou sous-utilisés et exiger des propriétaires immobiliers qu’ils construisent des logements
sociaux dans les zones définies comme ZEIS11. La favela de Vila Prudente a été indiquée comme ZEIS.
Ses habitants misent sur cette protection pour que leurs intérêts soient pris en compte. Enfin, les
intérêts de la population menacés diffèrent notablement. Dans le meilleur des cas, ils espèrent
encore échapper à la destruction de leur logement. Du moins, si cela s’avère impossible, ils
requièrent une relocalisation dans la région de Vila Prudente mettant en avant des valeurs telles que
la famille ou l’attachement à « son chez-soi ». Leurs confrères habitants la favela se voient divisé
entre l’espoir d’une amélioration du cadre de vie grâce à l’arrivée de ce système ferroviaire et
l’expulsion des 200 familles impliquée par ce projet. Par solidarité, la majorité des habitants se sont
engagés à défendre les intérêts de leurs voisins menacés. Ils attendent avant tout un dialogue avec
les autorités pour trouver une alternative qui satisfassent, dans la mesure du possible, les intérêts de
chacun.
En résumé, ce projet présente deux grands conflits d’intérêts et de valeurs:
- Intérêts commerciaux des entreprises contre intérêts de l’individu comme consommateur.
- Développement urbain (Utilitarisme, Bentham) contre droit à l’habitation de chacun (Dignité,
Kant).
10
Ibidem 11
Samora & Hirata, Participatory urban plans for « Special Zones of Social Interests in São Paulo : fostering dense central areas, june 2012
7
2. Enjeux éthiques
En analysant, le tableau des acteurs ont peut voir que différentes valeurs entrent en jeu dans la
problématique étudiée. Ce chapitre tient dans un premier temps à situer ces valeurs et dans un
second temps à formuler les questions éthiques qui en découlent.
Le Progrès
Aujourd’hui, le terme progrès est compris comme progrès technique et/ou économique. On lui
apparente les valeurs de la croissance, de la rentabilité et de l’innovation. Ensemble, ils définissent
l’idée de « transformation vers le mieux dans un domaine particulier » 12 Ces valeurs sont avant tout
mises en avant par les entreprises et les investisseurs. Ils défendent leur point de vue en utilisant la
modernité et l’amélioration du niveau de vie comme arguments. Actuellement, le terme d’innovation
semble très populaire et se présente comme une condition sine-qua-none à la survie des
entreprises13.. Malgré la connotation plutôt positive de ces divers termes, des voix s’élèvent pour
dénoncer la dominance du progrès technique sur le progrès moral et social. Aux siècles des lumières,
le progrès incarnait la croyance dans le perfectionnement de l’humanité en terme scientifique,
économique, technique mais aussi sociétal. Aujourd’hui, l’idée que le progrès et le chemin « vers le
mieux, vers l’idéal» se quantifient par la richesse matérielle semble empiéter sur le progrès social et
le chemin vers le mieux-être ou du moins bien-être. Déjà à l’Antiquité, Sénèque critiquait le progrès
technique car son moteur est l’amour du luxe14. En conclusion, le progrès n’est pas synonyme
d’avancement vers le bonheur si on lui impute sa dimension sociale.
« Le progrès technique est une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe »
Albert Einstein
La Dignité
Du latin dignitas, signifie le respect et la considération que mérite l’être humain en tant
qu’individu. Cette valeur est pleinement défendue par Kant dans la troisième définition de son
approche dite d’impératif catégorique. Kant exige de traiter l’être humain comme une entité
intrinsèque et non comme un instrument15. Le respect de la dignité est un des droits fondamentaux
énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à l’article premier :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent
agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Le droit au respect de la dignité et à être pris en considération, c’est justement ce que
demandent les habitants de la favela de Vila Prudente en vertu du principe de non-discrimination.
L’Autodétermination
L’autodétermination découle du principe fondamental, introduit dans la Charte de Nations Unis
en 1951, que les peuples ont le droit de disposer d’eux même. Ce terme inclut le concept de la
liberté, d’autonomie et de liberté d’expression de son opinion sous l’égide du respect16. La liberté17
peut se définir négativement par une « absence de soumission, de servitude et de contrainte ». Les
12
Larousse, www.larousse.fr, (29.08.2014) 13
Confédération suisse, http://www.kmu.admin.ch/kmu-betreiben/03195/03196/03197/index.html?lang=fr, (29.08.2014)
14 Pierre Hadot, Le voile d’Isis, 2004
15 Marlise Colloud, Scripte Introduction à l’éthique appliquée, 2014
16 Jonhatan Klein, Scripte Technologie et Santé: quels défis éthiques?, 2014
17 Höffe, 1993, p.194 (scripte Introduction à l’éthique appliquée, voire note bas de page 13)
8
habitants de la favela menacés d’expulsion perdent leur liberté en étant contraints de partir.
Positivement, la liberté se définit comme une « autonomie par laquelle, on se détermine soi-même à
agir, en se donnant le contenu de cette action ». Le MDF en proposant son soutien aux habitants des
favelas et dans le cas étudié, en proposant un contre-projet (voire chapitre suivant), prend en main
sa liberté.
L’accès à la mobilité caractérisant une des rares valeurs communes des acteurs entre également
dans ce concept d’autonomie et de liberté. Favorisant les interactions, la mobilité correspond
également à une éthique intégrante de l’hospitalité et de la citoyenneté18.
La solidarité
La solidarité se définit comme un sentiment de devoir moral envers l’autre, fondé sur l’identité
de situation, d’intérêts19. Elle amène l’homme à se comporter comme s’il était directement
confronté aux problèmes des autres. Dans notre cas, elle conduit les habitants de la favela à soutenir
leurs confrères menacés, car sans quoi c’est l’avenir de la communauté et à plus grande échelle de la
communauté slum qui est menacé. La solidarité équivaut à la justice dans son sens éthique. Dans
son livre éthique à Nicomaque, Aristote définit la vertu de la justice comme celle « qui accomplit, ce
qui est avantageux à un autre », ce qui tend vers le principe de solidarité. Selon le philosophe grec, la
justice représente avec l’amitié la vertu la plus importante. Il choisit la justice car elle est la mère des
vertus du faite que « celui qui la détient peut même se comporter vertueusement envers autrui » et
l’amitié car elle unit les personnes de bien et tisse le lien ultime : « quand les hommes sont amis, il
n’y a plus besoin de justice ». 20
« Le chez-soi »
Valeur proclamée de la population menacée de délocalisation, le logement est un droit
fondamental mentionné dans la Déclaration des Droits de l’Homme (art.25) et dans la Constitution
Brésilienne (art.6). À priori, le logement pourrait être considéré comme une valeur désuète par son
aspect purement matériel. Mais la notion de logement va au-delà de l’actif mobilier. Il a également
une valeur sentimentale, identitaire et d’ancrage pour son usager, d’où le choix du terme « chez
soi ». Dans son article « J’habite donc je suis », Larceneux attribue quatre fonctions principales au
« chez-soi ». Premièrement, il cite la fonction de délimiter qui s’apparente à l’expression de
l’individualité. Il s’agit d’une projection de soi dans l’espace. Cette fonction se voit souvent entraver
dans le cas des logements collectifs. Deuxièmement, il offre un sentiment de sécurité. Dans son
étymologie, le verbe allemand wohnen exprime cette notion d’abris : « mettre une clôture autour de
soi »21. Le besoin de sécurisation s’étend du logement à l’environnement ce qui explique le
développement des condominios fechados et des systèmes de sécurité et des clôtures.
Paradoxalement, cette angoisse du danger peut être intensifiée par un surplus de systèmes
sécuritaires. Ainsi, mettre des clôtures autour de chaque immeuble peut laisser penser que le
quartier n’est pas sûr. De même que créer des quartiers en fonction des classes sociales accroît la
peur de l’autre, de l’inconnu et renforce la sensation d’insécurité. Troisièmement, le logement relie.
Une fonction de lien définit par le lien communautaire avec ses voisins, sa famille. En outre, ce lien
s’étend à l’espace public proche de l’habitat car il peut être considéré par « une zone de chez
soi étendue ». L’espace public étant un bien commun, l’individu ne peut le transformer aux grés de
ses attentes. La responsabilité d’aménager ces lieux partagés en tentant de répondre aux attentes
18
Jacques Levy, La mobilité comme bien public, 2011 19
Larousse, www.larousse.fr, (29.08.2014) 20
Marlise Colloud, Scripte Introduction à l’éthique appliquée, 2014 21
Ivo Frei, Scripte Ethique et Architecture 2014, 2014
9
des individus revient donc au pouvoir publique. La préfecture de Vila Prudente se retrouve face au
dilemme de l’aménagement du monotrilho et de la favela. Finalement, le logement rassure et
contribue au bien-être. Il doit contribuer à l’épanouissement personnel (wohnen signifie également
être content/en paix). Ces différentes fonctions démontrent la difficulté pour l’homme de renoncer à
son habitat, à son « chez-soi ». Cela permet de mieux comprendre l’enjeu pour les habitants risquant
d’être délogés de la communauté de Vila Prudente. Le problème se caractérise par le faite que pour
édifier des constructions favorisant le bien-être, la sécurité voire l’identification (ex : lors d’un
changement de régime politique, l’urbanisation de la ville, voire du pays se voit souvent également
changer), il faut souvent passer par la destruction22. Dans notre cas, il s’agit de détruire deux cents
maisons pour permettre la construction du monotrain. D’un point de vue éthique, il convient de
trouver comment détruire en préservant le bien. Comme le dit, l’architecte Luigi Snozzi, il s’agit de
détruire avec rationalité et connaissance :
«Tout intervention présuppose une destruction, détruis avec conscience, et avec joie »
Ainsi, il paraît difficile d’atteindre un optimum assurant toutes ces valeurs. Le projet de mono-
train INNOVIA va permettre de répondre en partie au problème de la mobilité de la Mégapole. En
outre, en mai 2014, le système bombardier INNOVIA monorail a remporté le prix de l’innovation au
congrès mondial de de l’UITP23, donnant ainsi au projet une renommée internationale et donnant du
poids à la valeur du progrès technique. Enfin, son installation devrait être synonyme d’implantation
de nouvelles entreprises à proximité et d’une amélioration de l’infrastructure. Cependant, le progrès
technique et la croissance économique n’impliquent pas forcément le progrès social menant entre
autre vers la non-discrimination, l’autonomie et la dignité pour tous. Dans le cas, où le projet
permettrait une certaine évolution des mœurs, la minorité expulsée se verrait tout de même toucher
dans sa dignité et son bien-être. Bentham dans sa conception dite d’Utilitarisme, justifierait la
construction du mono-train par le fait qu’elle maximise le bien-être du plus grand nombre. Au
contraire, Kant s’opposerait au projet tant qu’il ne portera pas d’égard à aux personnes menacés
d’expulsion puisqu’il s’agit d’une entrave à leur dignité. Les dilemmes éthiques sont les suivants :
- Peut-on expulser 200 familles de leur « chez-soi » au nom du bien-être général et du
progrès ?
- Comment réaliser ces expulsions de manière éthique ?
Pour suivre une démarche éthique, j’estime qu’il convient réfléchir aux questions suivantes :
1. Quelles sont les conséquences du projet et la manière dont il est réalisé (scénario) sur
chacun des acteurs ? Ces conséquences favorisent-elles le bien-être général ?
2. Les intérêts des autres acteurs sont-ils préservés par le scénario proposé?
3. Est-ce que le scénario respecte les valeurs de chacun ?
22
Ibidem 23
Bombardier, http://www.bombardier.com/, (28.08.2014)
10
3. Analyse des alternatives
Comme expliqué précédemment, aucune proposition claire et définie n’a été faite pour les
familles qui seront expulsées. À ce jour, trois scénarios ont été proposés pour résoudre le cas du
mono-train INNOVIA. Ils vont être étudiés à l’aide de la grille de résolution de problèmes éthiques
développée par le professeur Hubert Doucet. La méthodologie Doucet a pour avantage de suivre une
démarche éthique en considérant entre autre les questions définies sous le point précédent.
Etape 1 : définir les trois scénarios
Scénario proposé par la Companhia Metropolitana de São Paulo - Metró Comme vue sous le point 1, dans le cas d’expulsion, les compagnies se réfèrent au CDHU. Cet
organisme se charge ensuite de trouver un endroit pour reloger les foyers expulsés. La compagnie du métro a donc contacté le CDHU. Selon lui, il n’existe pas de projets d’habitation d’intérêt social dans la région. Le lieu le plus proche pour reloger les familles serait le quartier de Guaianazes, situé à environ 25 km. 24
Scénario proposé par le MDF et l’association des habitants de la favela de Vila Prudente Conscients de la difficulté de stopper un tel projet mais aussi des éventuelles opportunités
qu’amèneraient le mono-train, le MDF et l’association des habitants de la favela de Vila Prudente ont décidé de proposer un contre-projet à l’alternative proposée par la compagnie du métro. Il revendique le droit au logement immédiat des familles expulsées, sous une forme non-temporaire et dans un environnement proche25. Ils proposent ainsi à la préfecture et au métro de racheter un terrain vide situé juste derrière la favela pour reloger les familles. En outre, au vue de sa grandeur, ce terrain pourrait être placé en zone ZEIS et permettrait l’édification de nombreuses habitations d’intérêts sociales pouvant accueillir des habitants des favelas voisines. 26
Scénario proposé par un groupe d’habitants de la favela de Vila Prudente Contrairement aux deux autres scénarios, celui-ci vise l’annulation du projet de mono-train.
Pour contrer le projet, le groupe ambitionne de créer un centre patrimonial de la favela dans un des bâtiments situé dans la zone menacé d’expulsion. La favela de Vila Prudente étant l’une des plus anciennes de la ville, les initiateurs de ce projet tentent actuellement de récolter divers matériaux relatant l’histoire de la favela afin de pouvoir ouvrir ce centre. La création d’un tel centre permettrait de placer le terrain en zone protéger du à sa valeur patrimoniale. Ainsi, le projet de mono-train se verrait obligé de se déplacer et de faire passer sa ligne sur un autre endroit.
24
Kassia Bobadilla, Trilhos em trajetorias: impacto e transformação no cotidiano de uma favela paulistana e partir da obra do monotrilho, 2014
25 Ibidem
26 Informations obtenues lors d’un entretien avec André Silva, président du MDF.
11
Etape 2 : Etude des scénarios en examinant a) les conséquences prévisibles pour les habitants menacés d’expulsion b) les conséquences urbaine c) les conséquences pour les autres acteurs et la société.
a) Expulsion et relogement dans une région n’étant pas à proximité de la favela. b) Construction du mono-train amenant certainement une amélioration de l’infrastructure
alentours car la région va attirer des entreprises, des investisseurs immobiliers, etc. Il est probable que cela amène une population appartenant à une classe social supérieur avec pour conséquences des projets immobiliers plus luxueux mais aussi une augmentation des coûts de la vie.
c) Le métro et les entreprises voient de nouvelles opportunités commerciales. Les habitants jouissent d’un système de transport rapide et novateur. L’état voit une réussite dans sa transition vers la mobilité douce et sa politique durable. Mais la marginalisation des populations de basse rente persiste au niveau de la société.
a) Expulsion et relogement sur le terrain voisin de la favela. b) Construction du mono-train amenant certainement une amélioration de l’infrastructure
alentours car la région va attirer des entreprises, des investisseurs immobiliers, etc. Cependant, avec le projet d’aménagement du terrain situé derrière la favela, les opportunités de logement très abordable seront préservées. Cela donnerait également une opportunité de réaménager la favela, soit d’améliorer son urbanisation (fermeture des égouts, rénovation des maisons, etc.)
c) Les entreprises voient de nouvelles opportunités commerciales. Les habitants jouissent d’un système de transport rapide et novateur. L’état voit une réussite dans sa transition vers la mobilité douce et sa politique durable. Ce projet devrait accroître les coûts pour le métro et la préfecture. La construction d’habitations sur le terrain proposées coutera certainement plus chère que le terrain proposé par la CDHU. Le terrain étant actuellement privé, le contre-projet prévoit son rachat par la préfecture. Selon André Silva, le montant n’est pas défini mais devrait être conséquent. Cependant, la préfecture ferait office de pionnière dans la préservation des intérêts des habitants des favelas. Un pas vers la non-discrimination et la mixité sociale serait fait, amenant peut-être, avec le temps, la société a changé ses mœurs.
a) Les habitants peuvent rester dans leur maison et évite l’expulsion. b) Le mono-train se voit stopper jusqu’à ce qu’il trouve un autre itinéraire. Au vue de
l’histoire du Brésil en matière d’infrastructures de transports, il y a un risque que le chantier reste en plan, soit à moitié fini avec des rails au milieu de nulle part…
c) Perte en temps et en argent pour le métro. Cependant, le gain de cause obtenu par les habitants de la favela serait historique. L’affaire serait certainement médiatisé et pourrait amener la société à repenser sa politique urbaine qui jusqu’alors à plutôt tendance à marginaliser cette couche de la population
12
Examiner pour chaque scénario : a) les principes éthiques privilégiés b) les principes éthiques négligés
a) Le progrès technique et les opportunités économiques sont les principes privilégiés.
L’autonomie en matière de mobilité est accrue. b) L’autonomie au sens de liberté de décision et d’autodétermination n’est pas respectée vis-
à-vis des habitants de la favela. En les relogeant dans un quartier lointain, on porte atteinte à la valeur sentimentale et d’identité du « chez-soi ». La dignité de cette minorité est dédaignée. La compagnie de métro, le CDHU et l’état néglige leur responsabilité vis-à-vis du peuple.
a) Ce scénario met avant tout l’accent sur la lutte pour la dignité et la considération de
l’attachement social et historique de l’habitant à sa favela, « sa tribu ». Ce scénario à l’avantage de permettre le progrès sous ces trois dimensions : économique, technique et social/sociétal. La solidarité est préservée car ce scénario lutte pour les intérêts d’autres personnes, ici la minorité menacée d’expulsion.
b) On pourrait dire que la valeur d’autonomie est partiellement négligée car au final l’habitant menacé d’expulsion n’a pas vraiment le choix. Il ne peut pas rester et bien que relogés sur le terrain voisin. Il doit abandonner sa maison.
a) Cette option met clairement en avant la valeur patrimoniale de la favela. En effet, une
grande partie des familles menacées d’expulsion réside dans la favela depuis plus de 40 ans, où sont établis leurs réseaux de sociabilité et de parenté ; leur lieu de travail et principalement leur histoire.27
b) En bloquant la construction du train, cette option néglige la valeur du progrès et va à l’encontre du principe de Bentham de maximisation du bien-être de la majorité.
27
Kassia Bobadilla, Trilhos em trajetorias: impacto e transformação no cotidiano de uma favela paulistana e partir da obra do monotrilho, 2014
13
4. Conclusion et prise de position
Au vue de l’analyse éthique faite, il s’avère difficile de trouver une solution qui fasse l’unanimité.
Expulser une famille apparaît comme éthiquement impensable. Il semble, en effet, que cet acte
néglige la condition humaine au profit d’intérêts économiques. L’option d’action de la companhia do
métro de São Paulo qui prévoit d’expulser sans dialoguer avec les partis concernés en se contentant
de reloger les habitants sur un quelconque terrain, manque au respect de deux droits
fondamentaux : le droit au respect de la dignité et le droit au logement. En outre, imposer le lieu du
nouveau logement équivaut à négliger l’autodétermination de l’individu. Cependant, il est vrai que le
projet du monotrilho peut amener une réelle plus-value à la région et aux habitants de la favela
également : mobilité, opportunité d’emploi, amélioration de l’infrastructure. Le projet répond à la
vision durable du plan directeur d’aménagement de la ville qui passe en outre par un renforcement
de l’offre en transport public. Ce nouveau plan directeur considère divers intérêts dont celui des
minorités avec les zones ZEIS. Il a été fait en dialoguant avec divers groupes d’intérêts28. De plus, il
promeut un développement durable de la ville. Par conséquent, j’estime que ce plan directeur et à
plus bas échelons, le projet du monotrain conviennent à la visée éthique qu’est la « vie bonne ».
C’est pourquoi, je pense que l’abandon du projet comme prévu dans le scénario trois (voir grille
doucet) n’est pas non plus optimale. Il néglige selon moi le bien-être général. Si les habitants des
favelas veulent réussir à briser la fracture sociale fortement présente au Brésil, il vaut mieux tenter
de trouver un accord avec la population des couches plus aisées. Par ailleurs, pour être réaliste,
l’ouverture d’un centre du patrimoine dans un délai de un an paraît difficile. En prenant en compte
les trois scénarios étudiés avec la grille de Doucet, je pense que le deuxième scénario considère tous
les acteurs et respecte plusieurs valeurs importantes telles que le progrès dans sa définition
complète, la valeur de l’habitat et surtout la dignité des individus. Au-delà du faite qu’il représente,
d’un point de vue éthique, le meilleur des trois scénarios ; c’est la démarche entreprise par le MDF
qui m’amène à défendre ce scénario plutôt qu’un autre. En effet, cette option d’action suit une
démarche éthique car elle se conçoit sur la base du dialogue et de la coopération29. Les habitants de
la favela se sont dans un premier temps réunis pour discuter les intérêts de chacun et définir ce qu’ils
voulaient vraiment pour leur communauté. Ce raisonnement a mené à l’élaboration du contre-
projet. Dans un second temps, ils se sont réunis avec le Secretário do transportes metropolitanos afin
de présenter leur contre-projet. Cette manière de faire a pour avantage de considérer chaque acteur.
La démarche de raisonnement participatif rappelle les propos d’Aristote qui affirme que le bonheur
ne signifie pas ce qui suffirait à combler un homme solitaire mais un homme défini comme un animal
politique, autrement dit en tant qu’acteur de la société dans une cité en vue de bien vivre30. J’ose
espérer que cette option d’action permettra de trouver un consensus parfait, qui se définit comme
un compromis acceptable ne recueillant aucune opposition31. En conclusion, je pense qu’il est bon
pour la majorité que le métro soit construit. Néanmoins, j’affirme qu’il n’est pas éthique et humain
de délocaliser des individus, quelques soit leurs nombres, sans écouter leurs besoins et considérer
leurs requêtes. Il s’agit là d’une faute éthique car on néglige le droit à l’autonomie et au respect de la
dignité de l’individu. C’est pourquoi, j’estime que la meilleur manière est d’organiser des séances de
discussions et réflexions avec la présence de représentants de chaque groupe d’acteurs pour arriver
dans l’idéal à trouver un consensus préservant le bien et le bonheur de la société, minorités
comprises.
28
Câmara Municipal de São Paulo, Para conhecer o subsitutivo do plano diretor estrategico de São Paulo, PL 688/13, 2013
29 Informations obtenues lors d’un entretien avec André Silva, membre du MDF.
30 Marlise Colloud, Scripte Introduction à l’éthique appliquée, 2014
31 La Toupie – dictionnaire politique, www.toupie.org/dictionnaire (09.09.2014)
14
5. Sources
5.1. Bibliographie
Bobadilla Kassia, Trilhos em trajetorias: impacto e transformação no cotidiano de uma
favela paulistana e partir da obra do monotrilho, 2014
Câmara Municipal de São Paulo, Para conhecer o subsitutivo do plano diretor estrategico
de São Paulo, PL 688/13, 2013
Companhia do Metropolitano de São Paulo – Metrô, Relatório da Administração 2013,
2013
Davis Mike, Planeta Favela, chapitre 5, version 2006
Hadot Pierre, Le voile d’Isis, 2004
Levy Jacques, La mobilité comme bien public, 2011
Samora & Hirata, Participatory urban plans for « Special Zones of Social Interests in São
Paulo : fostering dense central areas, june 2012
5.2. Scripte du cours
Colloud Marlise, Scripte Introduction à l’éthique appliquée, 2014
Frei Ivo, Scripte Ethique et Architecture 2014, 2014
Klein Jonhatan, Scripte Technologie et Santé: quels défis éthiques?, 2014
5.3. Webographie
Bombardier, www.bombardier.com
Confédération suisse,
www.kmu.admin.ch/kmu-betreiben/03195/03196/03197/index.html?lang=fr
Larousse, www.larousse.fr
Governo do Estado de São Paulo, www.metro.sp.gov.br
5.4. Entretien
Silva Andre, membre du MDF, entretien réalisé le 13 août 2014 à São Paulo
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