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Briser l'omerta historique : entretienavec les auteurs du nouvel ouvrage
"La guerre du Cameroun"
BILLETSD'AFRIQUE N
OVE
MBRE
2016
N°26
2
2€30
Congo-K / Congo-B / Affaire Sankara / Centrafrique
MENSUEL D'INFORMATION SUR LA FRANÇAFRIQUE ÉDITÉ PAR L'ASSOCIATION SURVIE
Promesses pri-maires
RFI (07/10) a interrogé les candidats desprimaires de la droite : « S'ils accédaient àl'Elysée, quelles relations établiraientilsentre la France et le continent [africain] ? ».Evidemment, ils sont tous pour une relation« d’égal à égal », « équilibrée », « respectueuse » avec les pays africains, et tous pouren faire une priorité. Ils sont tous d’accordpour dire que c’est aux Africains de déciderde leur avenir, et tous pleins de bons conseilspour leur expliquer ce qu’ils devraient faire :à commencer par choisir des entreprisesfrançaises si l’on en juge par l’obsession queconstitue la perte de parts de marché face àla concurrence. Copé se distingue un peu :pour lui, la « Françafrique » ne veut tout simplement rien dire et « sa priorité est donc derendre à la France l'influence qu'elle a perdue ces dernières années en Afrique ». Lesautres se contentent de gloser sur les relations ou le lien « particuliers », « historiques », « indissoluble », « sentimental » etnotre « destin lié ». Sarkozy promet « un gigantesque plan Marshall de développementde l’Afrique » et s’indigne : « Je n’accepte pasqu’il n’y ait pas un seul pays africainmembre du Conseil de sécurité [de l'ONU].Membre permanent, pas membre élu. Dansmon esprit, il en faudrait au moins deux. »Son esprit a dû oublier qu’il aurait pu menercette bataille quand il était aux affaires...
Valls en cam-pagne
Valls n’est bien sûr pas candidat, mais ils'est offert fin octobre une nouvelle tournéeafricaine : Togo, Côte d'Ivoire et Ghana, pourfaire moins françafricain. L'occasion pournous de rappeler que son programme, dévoilé un mois plus tôt à JeuneAfrique.com(26/09), peine à se distinguer de celui de ladroite . Priorité numéro un : « la France doitêtre encore plus présente à travers ses entreprises, qui doivent saisir toutes les opportunités ». Pour le bien des Africains et de leurdéveloppement, bien sûr. L’histoire colo
niale riche en massacres : « Ces faitsdoivent être rappelés et commémorés » mais « laissons les historiens mener les travaux et
cessons de vivre dans la culpabilité, le ressassement et la repentance ». On avait bienremarqué à quel point la classe politiquefrançaise était dévorée de culpabilité et derepentance. La Françafrique ? « Certes,quand je vois un certain nombre d’individus qui parcourent encore le continentpour le compte de tel ou tel candidat, je nepeux pas nier qu’il reste encore quelquesvieilles pratiques. Notre relation avec lecontinent ne peut pas être banalisée » mais« la Françafrique, c’est terminé ! ».D’ailleurs « Nous avons changé d’époque :lorsqu’il y a des élections, la France ne semêle pas des résultats, elle en prend acte ».On voit bien la différence au Congo, à Djibouti, au Tchad, au Gabon, etc.
L’esclavage sympaA l’occasion de l’exposition « The color
line » au musée du Quai Branly depuis le 4octobre, une jolie brochure pédagogiqueavait été élaborée pour le jeune public parles éditions « Quelle histoire », spécialiséesdans les ouvrages historiques pour enfants.Face aux protestations qui ont suivi le vernissage, la brochure a été retirée in extremisavant l’ouverture de l’exposition au public.On y apprenait en effet, au sujet des esclavesafricains déportés en Amérique que « certains étaient très malheureux et maltraités,alors que d’autres avaient une vie plusagréable. » L’esclavage, c’est le Club Med ! Labrochure minimisait également la responsabilité des Européens puisque « la plupart[des esclaves] avaient été vendus par desAfricains ». La maison d’édition a regretté« un concours de malheureuses circonstances qui a abouti à la nonprise encompte de corrections lors de l’impression ». Comme une simple coquille oubliée ?Elle précise que le livret a été préparé pardes rédacteurs « qui travaillent habituellement pour Quelle Histoire » et relu par l’historienne Patricia Crété, ancienne rédactriceen chef de la revue Historia (LeMonde.fr,06/10). Comme le rappelle Lou ConstantDesportes, rédacteur en chef du site Afropunk, qui a aussitôt réagi, la brochureillustre surtout « un argumentaire très envogue dans certains cercles politiques français ».
Crash le mor-ceau
La rubrique « faits divers » de la Défenseest décidément plus instructive que lesauditions du ministre devant les commissions parlementaires. Après un « accident » qui avait révélé la présence desforces clandestines françaises en Libye(cf. Billets n°261 et 260), des agents de la
DGSE (3 militaires et 2 « civils ») se sont crashés, cette fois à Malte. La Libye pourrait êtrel'objectif de ce vol, ce qui n'aurait rien d'unscoop. Mais les agents français volaient dansun avion de CAE Aviation, l’entreprise préférée des services français pour compensercertains moyens aériens. « Le statut de CAEAviation, basée au Luxembourg, immatriculant ses avions aux ÉtatsUnis, avant deles louer aux armées françaises, est extrêmement curieux, s'agissant de missionsaussi périlleuses engageant la souverainetéde l'État français », relève Jean Guisnel (LePoint.fr, 25/10). « Selon des acteurs du petitmonde des ESSD (Entreprises de services desécurité et de défense), ces acrobaties pourraient s'expliquer par la volonté d'échapperaux règles trop normatives des autoritéstechniques françaises ». Et puis les servicesont toujours eu un faible pour l’opacité et ladiscrétion des paradis fiscaux...
La DGSE à nuAprès les rapports élaborés par Human
Right Watch à l’occasion du procès d’Hissène Habré, Claude Silberzahn, ancien patron de la Direction générale des servicesextérieurs français, confirme leur contenuet se livre sur RFI : quand les services français découvrent que les Américains entraînent les troupes du (pas encore)général Haftar sur le sol tchadien avec lacomplicité d’Habré, pour attaquer la Libye,il se rend au Tchad : « La France, à ce momentlà, est plutôt sur une ligne de réconciliation avec Kadhafi. Nous ne sommespas du tout d’accord pour redéstabiliser leTchad en faisant partir, depuis le Tchad,une "armée" destinée à renverser monsieur Kadhafi ». Mais « dans ce long entretien que j’ai eu avec lui (…) HissèneHabré ne m’en a absolument pas parlé.(...) Hissène Habré a joué, dans notre dos,avec les Américains et c’est en sortant quej’ai décidé de l’éliminer. ». La vie est parfoissi simple ! « D’éliminer Hissène Habré ? »,s’inquiète le journaliste. « De l’éliminer dupouvoir », se reprend Silberzahn. » Et c’estainsi que Déby est arrivé au pouvoir. Cedernier n’était par ailleurs pas un inconnudes services, et Silberzahn confirme unautre aspect des mœurs françafricaines :« Le travail de la DGSE est fondamentalement de savoir qui est dans l’opposition,qui aura le pouvoir peutêtre demain, etles oppositions auxquelles les pouvoirs actuels sont confrontés. Nous avons eu doncdes contacts permanents avec Idriss Déby,depuis qu’il a pris le maquis ». A garder enmémoire lorsque la France a prétendu ouprétendra ne pas connaître une rébellion, àcommencer par la Côte d’Ivoire en 2002…
Bulletin fondé en 1993 par FrançoisXavier Verschave Directricede la publication Odile Biyidi Awala Directeurs de la rédactionMathieu Lopes, Thomas Noirot Comité de rédaction R. De Benito,R. Granvaud, D. Mauger, O. Tobner, F. Tarrit, Y. Thomas, R. Doridant Ont participé à ce numéro B. Jaffré, G. Desgranges, Illustrationsphotos sous licence CC de Cameroon Discover (couv.) et du gouvernement zambien(p.4) Édité par Association Survie 47 avenue Pasteur 93100 Montreuil Tél. (+33)144610325 Web http://survie.org ethttps://twitter.com/billetsdafrique Commission paritairen°0216G87632 Dépôt légal novembre 2016 ISSN 2115 6336 Imprimé par Imprimerie 3 A, 7 rue Marie Pia 91480 Quincy/ssSénart
2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE3 ÉDITO Anniversaires et pertes de mémoire4 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Kabila s'accorche au pouvoir
5 CAMEROUN « C’est ainsi que la Françafrique futinventée »
8 CENTRAFRIQUE «Ils font la guerre làbas et ils neveulent pas que les gens viennent chez eux !»
9 CONGO Le retour de l'ennemi intérieur10 CAMEROUN Un pays immergé dans le ravin11 FRANC CFA Sortir l'Afrique de la servitude
monétaire
BRÈVES
Sommaire
Le 26 octobre, François Mitterrand aurait eu100 ans : un anniversaire que s’est empressé decélébrer le pouvoir socialiste actuel, en mal de
reconnaissance. Au Cameroun, il faudra attendre 2033pour fêter les 100 bougies du dictateur Paul Biya :2033, c’est seulement 2 ans avant l’émergence qu’il apromise à son pays, annoncée sans rire pour 2035.Mais dès ce 6 novembre, on a pu célébrer le 34èmeanniversaire de son accession au pouvoir – seulementun an et demi après celle de Mitterrand en France –,lui qui disait ouvrir l’èredu « renouveau ». Untiers de siècle plus tard,ce renouveau prend unefois de plus un visagemacabre, aujourd'hui celui d’une catastrophe ferroviaire impliquant l’unedes sociétés de son grandami français Vincent Bolloré.
Le 3 novembre, l’Elysée aurait pu commémorer un autreanniversaire : celui del’assassinat à Genève deFélix Moumié, empoisonné par un agent des services français. Mais celeader indépendantiste,éliminé par la Francecomme son compagnonde lutte Ruben Um Nyobè deux ans plus tôt, n’a pas le droit à d’autres hommages que celui de quelques militants camerounaisqui doivent, le plus souvent, autant se battre pourjoindre les deux bouts que pour résister à un systèmepolitique pervers, où la corruption et la prime à l’incompétence remplacent le plus souvent la matraque.Cette dernière n’est jamais bien loin pour autant :pour preuve, une semaine après le « vendredi noir »de l’accident de train, une quarantaine de personnesont été arrêtées à Yaoundé lors d'une conférence organisée par Sand up for Cameroun, mouvement dontles membres s'habillent depuis des mois en noir tousles vendredis, et appellent la population à faire de
même pour exprimer leur rejet du système Biya. Maisle silence continue de s’imposer et, sans surprise, aucun officiel français n’a évoqué le souvenir de FélixMoumié : les quelques secrets qui entourent encoreson élimination, comme tous ceux liés à la guerred’indépendance du Cameroun, restent avec tous lesautres cadavres de la Françafrique, dans le placard desarchives classifiées.
Alors, avec le pouvoir socialiste actuel, rendonshommage au palmarès françafricain de François Mit
terrand. Rappelonsqu’avant même l’assassinatde Sankara ou la complicitéde génocide au Rwanda, ilfut le président français quipermit, en novembre 1982,qu’Ahmadou Ahidjo cèdeson fauteuil de dictateur àPaul Biya, aujourd’hui octogénaire qui a dû ouvrirune bonne bouteille à lamémoire du centenaire. Ilfaut dire que « Tonton »était déjà le ministre de laFrance d’outremer qui, à34 ans, avait convaincul’ambitieux leader ivoirienFélix HouphouëtBoignyd’abandonner le panafricanisme et les mouvementsde luttes émancipatricesdes autres pays, dont le Cameroun, pour se rallier à la
France coloniale. Comme l’écrivaient en 2011 les auteurs de Kamerun ! : « Ce retournement discret, quimarquera l’avenir d’un continent, n’est le fait que dequelques hommes. "J’ai conduit ma politique enAfrique noire jusqu’à un seuil de nonretour grâce àl’indifférence des milieux métropolitains et à l’inattention générale", analysera Mitterrand quinze années plus tard »1. Un grand homme dont s’inspirenttoujours les gouvernants actuels.
Thomas Noirot1 Deltombe, T., Domergue, M., Tatsitsa, J. [2011] Kamerun ! Uneguerre cachée aux origines de la Françafrique (19481971), La Découverte, Paris (page 132).
ANNIVERSAIRESET PERTES DEMÉMOIRE
ÉDITO
2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE3 ÉDITO Anniversaires et pertes de mémoire4 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Kabila s'accorche au pouvoir
5 CAMEROUN « C’est ainsi que la Françafrique futinventée »
8 CENTRAFRIQUE «Ils font la guerre làbas et ils neveulent pas que les gens viennent chez eux !»
9 CONGO Le retour de l'ennemi intérieur10 CAMEROUN Un pays immergé dans le ravin11 FRANC CFA Sortir l'Afrique de la servitude
monétaire
Sommaire
Contact de la rédaction : billetsdafrique@survie.org Site internet : http://survie.org
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
La crise politique congolaise ne datepas d’hier. Depuis sa réélectioncontestée en 2011, Joseph Kabila, au
pouvoir depuis l’assassinat de LaurentDésiréKabila en 2001, cherche par tous les moyensà contourner l’interdiction constitutionnellede briguer un troisième mandat.
Retarder la présidentielleLa stratégie de Kabila consiste à empê
cher la tenue des élections. Le pouvoircongolais n’a rien fait pour enregistrer efficacement et à temps les électeurs pour lescrutin présidentiel. En particulier, il a refuséde décaisser les sommes d’argent nécessaires. C’est cet argument – la nécessaire révision du corps électoral – que laCommission électorale nationale indépendante (CENI) a mis en avant pour justifier lereport du scrutin à avril 2018. Au grand damde l’opposition organisée au sein du Rassemblement de l’opposition mené parEtienne Tshisekedi.
Le Rassemblement a d’ailleurs refusé departiciper au « dialogue national » qui aréuni, du 1er septembre au 20 octobre, leparti présidentiel et un seul parti de l’opposition, l’UNC de Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale. Les autrespartis ont décidé de boycotter ce qu’ilsnomment le « monologue » des proKabila.Pour sa part, Etienne Tshisekedi proposaitce qu’il nommait un « vrai dialogue », incluant toutes les parties, à certaines conditions : la libération des prisonnierspolitiques, l’arrêt des poursuites judiciairescontre Moïse Katumbi (exgouverneur duKatanga, aujourd’hui en exil), la dissolutionde la CENI, responsable du report des élections, mais surtout l’engagement de JosephKabila de quitter le pouvoir au soir du 19décembre prochain, date officielle de la finde son mandat.
49 mortsPour appuyer cette revendication, le
Rassemblement de l’opposition a appelé lapopulation à manifester, le 19 de chaquemois, d’ici au 19 décembre 2016. Les 19 et20 septembre derniers, à Kinshasa, unegrande marche a été violemment répriméepar la police ; elle a été suivie d’émeutes et
d’attaques de sièges de partis politiques. LesNations unies ont fait état d’un lourd bilan :49 morts. Un mois plus tard, le 19 octobre,était organisée une journée « ville morte »,très suivie à Kinshasa, mais bien peu à Lubumbashi, le fief de Moïse Katumbi, et Bukavu, celui de Vital Kamerhe.
Ces protestations populaires, dont lessuivantes sont prévues en novembre et surtout en décembre, suffirontelles à déstabiliser un président déterminé à se maintenirau pouvoir ? Le « dialogue national » s’estsoldé par un fragile accord sur la tenued’élections présidentielle, législatives et provinciales en 2018. En attendant, un gouvernement avec un premier ministre issu del’opposition serait mis en place. La Courconstitutionnelle ayant autorisé le présidentsortant à rester en poste jusqu’au prochainscrutin présidentiel, Joseph Kabila paraîtavoir gagné la partie.
Le pari de KabilaL’émotion suscitée par la répression san
glante des manifestations du 19 septembre acertes amené les EtatsUnis, l’Union européenne et la France, entre autres, à réagir.Les EtatsUnis ont ciblé plusieurs responsables congolais dont ils ont gelé les avoirset qui se voient interdits de séjour sur le solétatsunien. Washington somme aussi JosephKabila de « respecter la Constitution et dequitter le pouvoir au soir du 19 décembre. »L’Union européenne demande l’organisationdes élections présidentielles au plus tard en2017, brandissant la menace de sanctions.Quant à JeanMarc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères, il a indiqué :« Aujourd’hui, il y a un semblant d’accord
qui est accepté par une petite partie del’opposition qui ne fait pas consensus.Donc nous mettons en garde et si rien n’estfait, alors la communauté internationaledevra prendre ses responsabilités. »
Cette déclaration du ministre français nepeut que laisser dubitatif au moment où,réunis à Luanda, les chefs d’État de la régionou leurs représentants ont approuvé l’accord signé entre les partisans de Kabila etune fraction de l’opposition congolaise. Parmi ces chefs d’Etat, deux grands démocratessoutenus par la France et tout juste revêtusde l’onction populaire dans les conditionsque l’on sait : le Tchadien Idriss Déby et leCongolais Denis Sassou Nguesso.
Selon le journaliste spécialisé Christophe Rigaud (Afrikarabia, 21/09), si Kabilareste en place, « la RDC risque de plongerdans un scénario à la burundaise, avec lemaintien au pouvoir du président Kabila,assorti d’une possible modification de laConstitution qui lui permettrait de briguerun troisième mandat, tout comme PierreNkurunziza au Burundi ou Denis SassouNguesso, le président du CongoBrazzaville.Pour ces deux présidents, la stratégie del’épreuve de force avec la rue a été gagnante… au prix de plusieurs dizaines demorts. Au final, la communauté internationale a raté le coche sur ces deux crisesen n’intervenant pas, ou très mollement.Seratelle aussi passive en RDC ? Joseph Kabila est en train d’en faire le pari. »
Reste à savoir si la population congolaisele laissera remporter la mise.
Raphaël Doridant
SALVES RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
KABILA S’ACCROCHE AU POUVOIRMariant manœuvres politiques et répression sanglante, le président congolais JosephKabila, qui devait quitter ses fonctions le 19 décembre prochain, semble parvenu àprolonger de facto son mandat. L’élection présidentielle, normalement prévue avant cettedate, pourrait en effet être reportée à 2018... si le peuple congolais patiente jusquelà.
Joseph Kabila. Photo CC gouvernement Sudafricain.
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
ENTRETIEN
Billets d'Afrique : Votre ouvrage de2011, Kamerun ! Une guerre cachéeaux origines de la Françafrique, étaitle résultat d'un travail colossal de recherches d'archives et d'entretiens avecdes témoins, français et camerounais,de cette époque. Il est devenu de factoun ouvrage de référence sur cetteguerre volontairement oubliée de noslivres d'histoire. Qu'estce qui a motivéce nouveau livre ?
Comme dirait Paul Biya, nous avons de« grandes ambitions » avec ce petit livre.L’idée de départ était de répondre à la demande des lecteurs qui souhaitaient s’informer sur ce sujet important sans avoir à seplonger dans un livre de 750 pages commeKamerun !, assez dense et détaillé, quis’adressait à un public plutôt averti. D’oùl’idée d’un livre plus court et plus accessible,240 pages en format poche.
Par ailleurs, la publication de Kamerun !nous avait mis sur des nouvelles pistes de recherche. Des lecteurs nous ont contactéspour apporter leurs témoignages sur cetteguerre ou nous signaler de nouveaux témoins. C’est comme cela que nous avons parexemple retrouvé la trace de Max Bardet, cefameux pilote d’hélicoptère qui a participé àdes massacres au Cameroun dans les années1960 et dont il est question dans l’introduction du nouveau livre. Nous avions envie departager ces nouvelles découvertes, qui nousont permis au passage d’affiner et de musclernos analyses.
Troisième motivation, et non desmoindres : la situation a quelque peu changédepuis 2011. Alors que nous étions à l’époquedans une situation de négation totale de laguerre du Cameroun de la part des autoritésofficielles françaises, les déclarations de François Hollande, lors de sa visite à Yaoundé enjuillet 2015, changent partiellement la donne.Certes, ses déclarations sur ces « événementstragiques » sont floues, molles et en partiemensongères. Mais elles marquent une étape
dans la reconnaissance de ce crime d’État quefut la guerre du Cameroun. Maintenant qu’unprésident de la République a officiellementavoué qu’il s’était bien passé « quelque chose »au Cameroun au moment de la décolonisation, il nous a semblé utile de raconter ce quis’est réellement passé. Et de remettre au passage un petit coup de pression sur nos chersdirigeants pour les inviter à tenir les promesses de Hollande : ouvrir les archives et aider ainsi les chercheurs à faire toute la lumièresur ces « événements ».
À cela s’ajoute une seconde nouveauté : depuis plusieurs années, des mouvements s’activent à travers le monde pour réclamer auxanciennes puissances coloniales, non seulement la reconnaissance de leurs crimes, maisdes mesures de compensation ou de réparations. Le cas le plus emblématique est celui desanciens « Mau Mau » du Kenya qui ont été réprimés, torturés, spoliés par les autorités britanniques dans les années 1950, au cours d’uneopération de répression très similaire à cellequ’ont menée leurs homologues français au Cameroun à la même période. Ces anciens « Mau
Mau » ont intenté un procès à Londres, et ontgagné : de nouvelles archives ont été ouvertes,plus de 20 millions de livres sterling ont été distribués aux victimes, etc. C’est dans ce contextenouveau que s’inscrit la parution de La Guerredu Cameroun.Kamerun! revenait de façon argumentée et convaincante sur la genèse de laFrançafrique, en explorant les stratégies des administrateurs ou personnalités coloniales qui avaientprogressivement théorisé une relationde dépendance, à la France ou à l'Europe, pour que l'avènement d'une nouvelle légalité internationale (lesindépendances formelles) ne se traduise pas par une perte d'influence dela France sur son empire, de l'Europesur le monde, et de ses milieux coloniaux sur les sociétés dans lesquelles ilsvivaient. En cela, votre travail approfondissait utilement ce qui a posteriori apparaît comme un résumé, un peusimplifié, d'un Jacques Foccart grandcerveau des différents mécanismes dedomination que FrançoisXavier Verschave a appelé la "Françafrique" :votre analyse replace plus finement cesmécanismes et leur mise en place dansle système de relations préexistant, etdans sa fragilisation par les dynamiquesémancipatrices. Mais cette fois, dans lesoustitre, vous ne parlez plus des « origines de la Françafrique » mais carrément de son « invention ». Pourquoi ?
Le soustitre vient du fait que ce nouveaulivre, s’il est centré sur le Cameroun, traite enfait d’un sujet bien plus large. Car la guerredu Cameroun ne peut pas se comprendrehors de son contexte colonial et international. Nous ne la traitons pas comme un conflits’arrêtant aux frontières de ce pays maiscomme une étape décisive dans la mise enplace de la Françafrique. C’est peutêtre cequi nous distingue d’autres chercheurs quitravaillent sur ce sujet : alors qu’ils ont ten
ENTRETIEN
CAMEROUN : « C’EST AINSI QUELA FRANÇAFRIQUE FUTINVENTÉE »Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, auteurs en 2011 de Kamerun ! Une guerrecachée aux origines de la Françafrique, 19481971, un ouvrage colossal par ses apports et par sataille (744 pages...), viennent de publier aux éditions La Découverte un nouvel ouvrage pluscondensé et actualisé sur le même sujet : La guerre du Cameroun L’invention de laFrançafrique (19481971). Ils ont accepté de répondre ensemble à nos questions.
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
ENTRETIEN
dance à appréhender ce conflit comme unépisode strictement francocamerounais,voire camerounocamerounais, pour les plusconservateurs d’entre eux, nous l’analysonscomme un conflit francoafricain.
La réunion du comité de coordination duRassemblement démocratique africain(RDA), qui s’est tenue du 8 au 10 juillet 1955à Conakry, est un bon exemple de la dimension francoafricaine de cette affaire. Vous savez peutêtre que c’est au cours de cetteréunion que Félix HouphouëtBoigny a utilisé le terme « Françafrique ». L’idée était d’inviter les leaders africains à travailler en bonne« amitié » avec les Français en cette périodede décolonisation. Mais c’est également aucours de cette réunion que furent exclus duRDA les mouvements locaux récalcitrants, àcommencer par l’Union des populations duCameroun (UPC), qui rejetaient le collaborationnisme d’Houphouët. Deux voies étaientainsi tracées : celle qui amènerait les leaders« amis de la France » à négocier une autonomie partielle qui ne profiterait qu’aux élitesafricaines ; et celle qui invitait au contraire lesAfricains à se battre pour obtenir une indépendance véritable permettant l’émancipation réelle des peuples du continent. Cetteseconde voie obligeait ceux qui l’empruntaient à subir la répression française. Troisjours après son exclusion du RDA, l’UPC étaitinterdite par le gouvernement français.
Cet exemple indique que la guerre duCameroun n’est pas un conflit strictement local, ni « accidentel » : il faut l’inscrire dansune logique systémique, continentale et internationale. C’est pour cette raison que nostravaux tentent toujours d’inscrire cetteguerre dans son contexte historique. Si laFrance s’acharne sur le Cameroun à la fin desannées 1950, c’est parce que Paris subit àcette période plusieurs revers sur le continent africain : une guerre en Algérie à partirde 1954, des revers électoraux au Togo à partir de 1956 et une humiliation en Guinée en1958. Les autorités françaises tentent doncd’éviter un scénario comparable au Cameroun, qui a le même statut juridique que leTogo, où nombre de militants de l’UPC interdite initient une résistance armée comme enAlgérie et où les leaders nationalistes sont aumoins aussi charismatiques que le GuinéenSékou Touré. Si la France lance une vasteopération de répression au Cameroun, cen’est donc pas seulement pour « garder leCameroun » mais aussi pour donner un coupd’arrêt à l’effritement de son « empire africain » et montrer aux autres colonies qu’il n’ya pas d’autre voie que l’« amitié » françafricaine chère à HouphouëtBoigny.
Le Cameroun, souvent décrit dans lesguides touristiques comme une « Afrique en
miniature », est ainsi devenu une sorte de« Françafrique en miniature ». C’est dans cepays que, pour la première fois, la France aréussi à imposer le système françafricain, quin’est pas seulement un système d’exploitation néocoloniale mais également un système d’oppression permanente fondé surdes techniques contresubversives. C’est auCameroun que ce système a été initié dès lemilieu des années 1950, quelques annéesavant l’arrivée de De Gaulle et Foccart à l’Élysée. Le régime gaulliste s’est dans une largemesure contenté de poursuivre le processusinitié par la IVe République et dont le Cameroun était le laboratoire. Et comme la Franceet ses alliés locaux ont peu à peu gagné laguerre du Cameroun, le système instaurédans ce pays a créé un précédent et en partieinspiré le processus d’accession à l’« indépendance » des autres colonies. C’est ainsique la Françafrique fut inventée.
L'omerta sur cette guerre tente d'en effacer les victimes, directes (les populations et résistants d'alors) et indirectes(toute la population du Cameroun, paysdont l'indépendance a été volée). Surles victimes directes, Kamerun! tentaitde démêler le vrai du faux sur l'ampleurdes crimes commis par l'armée française, puisque le silence imposé surcette période est propice aussi à des extrapolations excessives. Mais parmi lesquestions restées en suspens, il y avaitl'estimation, forcément délicate, dunombre de morts. Avezvous de nouveaux éléments sur ce pointlà ?
Non. Et, pour tout vous dire, il noussemble peu probable que l’on trouve un jourdes chiffres précis sur ce point. À moins quedes archives inédites et incontestables neviennent nous éclairer, nous pensons que lebilan humain de cette guerre restera toujours flou. C’est terrible à dire, mais la mortdes colonisés, et en particulier des Africains,semble avoir tellement peu d’importanceque peu de gens se préoccupent d’en faire ledécompte précis. Au point qu’il devientpresque impossible d’établir le bilan d’uneguerre, de surcroît secrète, un demisiècleaprès les faits.
Notez qu’une controverse similaire a lieuactuellement à propos de la répression des« Mau Mau » dont nous parlions tout àl’heure. L’historienne américaine Caroline Elkins, spécialiste de ce conflit, a été accuséed’exagérer le nombre de morts provoquéspar la répression britannique. Mais ceux quil’accusent sont également incapables dedonner des chiffres incontestables…
Tous les historiens qui s’intéressent à cesguerres coloniales sont donc pris entre le
marteau et l’enclume, c’estàdire entre lesbilans officiels, qui minimisent généralementles pertes, et les discours mythologiques, quitendent à les surestimer. Au Cameroun, onentend des gens parler de 2 millions demorts, ce qui est totalement invraisemblabledans un pays qui comptait à peu près 4,5 millions d’habitants en 1960. Notre méthodologie consiste donc simplement à citer lesdifférents chiffres fournis par des sourcescrédibles, qui font état d’au moins 75 000morts. Ce qui est d’autant plus colossal queces chiffres ne prennent pas en compte lesautres victimes du conflit. Combien de personnes ont été blessées ? Combien defemmes ont été violées ? Combien d’enfantssont restés orphelins ? Combien de gens ontété torturés, emprisonnés, traumatisés ?...
À ce sujet, vous faites bien d’évoquer lesvictimes indirectes de cette guerre. Il noussemble en effet que les débats sur le bilanhumain du conflit, évidemment cruciaux, nedoivent pas pour autant occulter les mécanismes politiques que les autorités françaiseset leurs auxiliaires camerounais ont installépar la violence. Ces mécanismes continuant,pour une grande part, de broyer quotidiennement les Camerounais, c’est par millionsque se comptent les victimes « indirectes »de la guerre du Cameroun.
Depuis 2011, que retenezvous des réactions, notamment d'officiels françaisou camerounais, au sujet de votre travail ?
Bien peu d’officiels ont réagi à notre travail ! À notre connaissance, cela n’est arrivéqu’à deux reprises, lorsque des députés français se sont saisis du livre Kamerun ! pourdemander au gouvernement français quelleétait la position officielle de la France sur cesquestions et lorsqu’un journal camerounais ainterrogé l’ambassadeur de France au Cameroun sur notre livre. La réaction du gouvernement français à l’Assemblée nationale aété scandaleuse et peut se résumer de la façon suivante : l’histoire appartient aux historiens...
Quant à l’ambassadeur, il s’est montréplus pervers. Tout en reconnaissant le sérieux de notre travail, il a cherché à minimiser la responsabilité de la France enexpliquant que les torts étaient « partagés ».Il s’agissait en d’autres termes de transférerune partie des responsabilités sur « les Camerounais ». Et, là encore, il appelait à la rescousse la corporation des « historiens », et enparticulier ceux qui cherchent à gommer lesrapports de domination qui caractérisent paressence les relations françafricaines.
De façon tout aussi perverse – maispeutêtre involontaire –, la déclaration de
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
François Hollande en juillet de 2015 procédait de la même logique. En ne mentionnantque les événements qui se sont déroulés« après l’indépendance », cette déclarationocculte le début de la guerre du Cameroun,qui a été lancée par la France avant l’indépendance. Et en laissant entendre que le Cameroun jouissait d’une « indépendance »véritable une fois celleci proclamée, le 1erjanvier 1960, les propos de Hollandecherchent à dédouaner les dirigeants français en faisant peser la plus grande part possible des responsabilités sur les homologuescamerounais.
Personne ne nie que le régime d’Ahmadou Ahidjo a une lourde responsabilité dansce qui s’est passé au Cameroun. Mais ceuxqui « oublient » de dire que ce régime a étéinstallé par la France avant l’indépendance etqu’il est largement resté sous la tutelle de Paris après l’indépendance participent au révisionnisme historique que les actuelsdirigeants français appellent de leurs vœuxpour éviter ce qu’ils qualifient, de façon absurde, de « repentance ».
En juillet 2015, à l'occasion de sa visiteà Yaoundé, François Hollande s'est ditouvert à l'ouverture des archives.Quelles ont été les suites, jusqu'à présent, à cette déclaration ?
À notre connaissance, cette déclarationn’a pas eu de suites concrètes. Au cours de larédaction de La Guerre du Cameroun, nousavons contacté l’Élysée et le Quai d’Orsay quinous ont donné cette réponse : « Les modalités de mise en œuvre de l’annonce du président de la République sont en cours dedéfinition. Notre objectif est bien de faciliterautant que possible l’accès des chercheurs,notamment camerounais, aux ressourcesdocumentaires en cours d’inventaire. » Onsent dans cette réponse toute la motivationet l’empressement de nos responsables àfaire la lumière sur les « épisodes extrême
ment tourmentés » qu’évoquait le chef del’État...
Audelà de la petite phrase de Hollande,on a l’impression en lisant les (rares) déclarations officielles que les autorités françaisescherchent par tous les moyens à faire croireque cette guerre du Cameroun n’est toujourspas documentée. Or nous disposons d’oreset déjà de milliers de documents et il existede nombreux travaux sur cette question !Sans même citer les innombrables travauxuniversitaires réalisés par des chercheurs camerounais, français, américains ou britanniques, il existe plusieurs livres sur ces sujets,depuis ceux de l’écrivain camerounais Mongo Beti jusqu’à ceux de l’historienne nordaméricaine Meredith Terretta, en passant parceux de Richard Joseph, d’Achille Mbembe,d’EugèneJean Duval, d’Abel Eyinga, etc.
Certes, beaucoup d’archives restent inaccessibles. C’est le cas par exemple de cellesdu SDECE (ancêtre de la DGSE) ou celles duSCTIP (coopération policière). Selon toutevraisemblance, ces archives recèlent des informations importantes et sordides sur la façon dont la France a mené cette guerre :c’est pourquoi nous demandons leur ouverture immédiate et leur numérisation intégrale, de façon à ce que les chercheurs dumonde entier – et en particulier les Africains,qui sont pour la plupart privés de visas –puissent les consulter à distance.
Il faut cependant se méfier du piège quise profile. En parlant dans le flou de l’« ouverture des archives », sans préciser lesquelles, les autorités françaises cherchentselon nous à jeter le doute sur les travauxexistants. C’est dans ce sens que nous interprétons les déclarations de l’ambassadeur deFrance que nous citions tout à l’heure : « Kamerun ! est un ouvrage sérieux qui apportecertes un éclairage intéressant. Sans doutepeutil y en avoir d’autres… »
En faisant ainsi un clin d’œil à d’« autres »historiens, les autorités françaises ne
cherchent pas seulement à susciter une historiographie plus conforme à leur vision deschoses mais tentent également de jouer lamontre. Elles attendent en particulier la disparition des derniers témoins de ce conflitpour éviter d’avoir à leur rendre descomptes.
Ce travail de mémoire intervient alorsqu'existe au Cameroun un fort sentiment antifrançais : issu à la fois de lamémoire collective et de la perceptionde la complicité de la France avec le régime d'Ahidjo (19601982) puis celui dePaul Biya (1982..), il est depuis deuxans discrètement réactivé par lesproches de Biya pour faire passer leurchampion pour une victime de la Françafrique, et masquer ainsi son incurie àempêcher l'effondrement de la régionde l'Extrême Nord sous les assauts dugroupe armé Boko Haram. Ne craignezvous pas, paradoxalement, que votretravail puisse être instrumentalisé parle clan Biya ?
Il est vrai que Biya, conscient que laFrance n’est pas en odeur de sainteté au Cameroun, a donné l’impression dans une déclaration télévisée, en février 2014, qu’ilcherchait à récupérer le combat de l’UPCpour faire passer un message aux dirigeantsfrançais. Le message disait en substance : « Sivous m’embêtez, je favoriserai le sentimentantifrançais en m’appuyant sur le souvenirdes combats nationalistes des années 1950. »
Reste que Biya aura sans doute du mal à sefaire passer pour une victime de la Françafrique : lui qui fut Premier ministre d’Ahidjodès 1975 et qui est vissé sur le fauteuil présidentiel depuis 1982 en est le pur produit ! Et sid’aventure le système françafricain qui lui atant profité venait à se retourner contre lui età entraîner sa chute, le sentiment antifrançaisdont vous parlez seratil plus puissant que lesentiment antiBiya ?
Puisque vous parlez de Boko Haram :n’estce pas le même Paul Biya qui, toujoursen 2014, dressait un parallèle indécent entreles djihadistes armés qui attaquent actuellement le nord du Cameroun et la résistancede l’UPC contre le néocolonialisme dans années 1960 ? Ne reculant devant aucune incohérence, Biya cherche tous les argumentspossibles pour rester au pouvoir. Il a peur dedisparaître : cela arrive à beaucoup d’octogénaires…
Propos recueillispar Thomas Noirot
Visite d'étudiants et de militants sur la tombe du leader indépendantiste Ruben Um Nyobe, assassiné par l'arméefrançaise le 13 septembre 1958. La mémoire des martyrs de la guerre du Cameroun n'est pas honorée officielle
ment, mais uniquement par de telles initiatives (photo sous licence CC Florette Sokeng, 5 août 2016).
ENTRETIEN
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
TÉMOIGNAGE
Il décrit l’action de la force Sangaris enCentrafrique comme ayant ouvert lavoie aux massacres menés par les anti
Balaka contre les musulmans. « La plupartdes Balaka, c’est des anciens FACA2,proches du régime de Bozizé. L’armée française utilise ces miliceslà pour leur montrer là où se trouverait la Séléka. Or cesmiliceslà, ils sont malins. Ils viennentmontrer les commerçants musulmans centrafricains. Ils montrent ceux qui ont del’argent. Après, quand ils ont détruit cesmusulmans et leurs biens, ils ont montrétous les autres musulmans, affirmant quece sont des Séléka. » Yérima a assisté directement à plusieurs épisodes qui l’illustrent.
« Courant 2014, j’étais dans l’enclavemusulmane, au PK53. Nous étions protégéspar les casques bleus burundais, au niveaudu commissariat du 3ème arrondissement.Un jour, les contingents de Sangaris sontvenus, derrière eux, il y avait les Balaka,avec leurs machettes, avec leurs armes. [...]Les Burundais ont dit à l’armée française :"Non, il faut que vous partiez, on n’a pasbesoin de vous, ça c’est notre zone, nousavons des ordres de l’ONU pour protégercette minorité". Il restait alors moins de1000 personnes dans cette enclave ! Il y aeu "un tiraillement" entre le contingent burundais et les soldats de Sangaris. Nousétions en colère, nous sommes aussi sortisen groupe. On leur a dit : "Soit vous partez,soit vous nous tuez !" Certains leaders ontappelé l’ambassadeur pour lui dire quel’armée française était là, qu’ils étaient encore venus avec les Balaka. Les Balakaavançaient derrière les soldats de Sangaris,ils savaient qu’ils n’allaient pas être inquiétés. A notre grande surprise, aucun médiane parlait de ça. »
Yérima raconte aussi que des soldats
français ont euxmême tué des musulmans.« À l’arrondissement de Miskine, après PK5,il y avait aussi beaucoup de musulmans là.Moi et quelques autres, on est allé voir.Beaucoup de gens avaient été tués ouavaient fui. On n’a trouvé que 14 personnes. Ils attendaient leur mort. Certainsavaient des machettes, des arcs, pour seprotéger. Ils tremblaient. Il restait quelquesmaisons. Ils disaient qu’ils ne pouvaientpas fuir en laissant leurs maisons et leursbiens. Un jeune homme du nom de Pahanous a dit qu’ils étaient capables de résistermais qu’ils n’avaient pas à manger, à boire.On est revenu au PK5. On a pris du riz, despains, des choses à manger, on leur a donné. On leur a dit : "Si vous voyez que c’estvraiment très risqué, il vaut mieux abandonner et venir vers nous au PK5". Il a dit :"Non, on va voir demain, aprèsdemain, sila situation ne change pas." Le lendemain,les Balaka sont venus avec les soldats français. Paha est sorti. Quelquesuns avaientdes kalashnikovs pour se défendre. Directement, l’armée française a tiré sur ce jeunehomme là, Paha. Il a été abattu par l’arméefrançaise. Quelqu’un nous a appelé avecson téléphone. On a pris un véhicule, auPK5, pour y aller : c’est pas loin, à 500mètres. En y allant, on a vu son corps avecles autres. Et c’était fini. Miskine était tombé. »
« J’ai un cousin qui a été abattu parl’armée française, avec 4 autres personnes.Ils étaient organisés en autodéfense, lanuit, ils montaient la garde. C’est vers 1hdu matin que la Sangaris est venue. Les soldats français avaient bu.Les jeunes leur ont ditqu’ils ne voulaient pasd’eux, qu’ils devaient partir, parce que "là où vousvenez, vous nous amenezles Balaka. Et nous on veutpas." D’autres étaient entrain de regarder des vidéos pour passer le temps,sans s’endormir. Il y a eu
une altercation et un militaire français aouvert le feu, directement. Il a tué 5 jeunesmusulmans. C’était vers la fin 2014. »
Mobilisations contrel'intervention française
Pour protester contre l’action de Sangaris, les habitants du PK5 ont organisé plusieurs manifestations, auxquelles Yérima aparticipé. « Aux manifestations, il y avaitbeaucoup de monde. Les seuls qui restaient, à l’enclave du PK5, c’est des jeunesqui défendaient le quartier. Ils assuraientla sécurité. Les quelques femmes et enfantsqui restaient ont rejoint les manifestations.On était tous ensemble. » Il montre unephoto d’une de ces mobilisations. « C’est lastatue d’un personnage qui s’appelle Koudoukou, un ancien combattant, il a combattu en Indochine avec la France, poureux c’est un symbole. On avait mis unepancarte dessus : "Hollande, Mafia, Non àla France". Il y avait aussi pas mal d’insultes sur Hollande. L’ambassadeur a dit : "Non, c’est pas bien de faire des trucs sur cesymbole, c’est un Centrafricain qui a marqué l’Histoire, vous dénigrez l’image decette personne", or c’est un Centrafricain,on ne voit pas le mal, s’il s’agit de le ridiculiser ou quoi, c’est à nous, Centrafricains.Et même cette crise c’est une crise entrenous, centrafricains, pourquoi cette ingérence de la France ? »
« On a organisé une autre manifestation de PK5 jusqu’à la Mission des NationsUnies. » Durant cette marche, « il y avait unhélicoptère français à 10 mètres audessus
CENTRAFRIQUE
«ILS FONT LA GUERRE LÀ-BASET ILS NE VEULENT PAS QUELES GENS VIENNENT CHEZ EUX !»Yérima Baja1, musulman, était commerçant en Centrafrique. Il a fui la guerre et estactuellement réfugié en France. Il raconte une partie de ce qu’il a vécu : les musulmansmassacrés après l’intervention française, les manifestations organisées contre Sangaris et sacolère face à l’accueil qui lui est fait ici.
«J’ai un cousin qui a étéabattu par l’armée
française...»
Tags "Non à la France" sur les murs de Bangui. Photo GNRD
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
Arrestations politiquesDepuis le 20 mars 2016, lors duquel Sas
sou s’est modestement attribué 60 % dessuffrages1, les arrestations arbitraires se multiplient. Le principal candidat à « l’élection »,le général Jean Michel Mokoko, est en détention pour atteinte à la sûreté de l’État depuis mijuin. D’après ses partisans, on luiaurait proposé la liberté en échange d’unereconnaissance de la victoire de Sassou à laprésidentielle, marché qu’il aurait refusé.
Les groupes d’opposition n’en finissentplus de se recomposer, et vont devoir faireface à une nouvelle manœuvre : la créationd’un statut officiel de chef de l’opposition,qui reviendra au chef du parti arrivé secondaux législatives prévues pour juillet 2017(Rfi.fr, 28/10).
D’ici là, l’État n’a de mots que pour le« vivre ensemble », le dialogue et l’apaisement. Le Premier ministre appelle l’opposition à « mettre de l’eau dans son vin », aunom de l’intérêt général.
Le Pool,une nouvelle fois martyrÀ l’image de sa puissance tutélaire qui
n’en finit plus de consolider l’arbitraire del’État en s’inventant des ennemis intérieurs,Sassou a trouvé la menace qui justifie sonpouvoir. L’armée congolaise est une nouvelle fois en guerre dans la région du Pool.Officiellement, contre la rébellion du pasteur Ntumi, exrebelle disputant à Sassou latyrannie dans le Sud (20022003), puis alliéde ce dernier, avec rang de ministre ; pourfinalement fort opportunément reprendreles armes contre son maître début avril2016, juste après « l’élection ».
On ignore ce qui se passe précisémentdans cette région. Ce qui est sûr : il y a desdizaines de morts, civils, militaires, ninjas2 ;des milliers de déplacés ; des mercenairessont impliqués dans les combats – ukrainiens, notamment. Dans un courrier adresséà Sassou, le Collectif des partis de l’opposition s’interroge : des militaires affirment que« ceux qui les attaquent portent les mêmes
uniformes militaires qu’eux et combattentavec les mêmes armes »3. Si le pouvoir amédiatisé les funérailles de 18 victimes le11 octobre dernier4, il n’a pas permis lamarche silencieuse de l’opposition qui souhaitait rendre hommage aux mêmes morts,une semaine plus tard.
Fin de règneL’UNICEF a annoncé le 31 octobre une
augmentation alarmante de la malnutritioninfantile en Afrique centrale. Un quart desenfants de moins de cinq ans souffrent demalnutrition chronique au CongoBrazzaville.
Les cas de torture et les exécutions extrajudiciaires se multiplient5, l’impunité desauteurs est totale. Le budget de l’État, quisubit de plein fouet la baisse des cours dupétrole, est en berne, les salaires des fonctionnaires, de plus en plus aléatoires, provoquent régulièrement des mouvements degrève (récemment, l’université, les chantiersnavals, la morgue de Brazzaville).
Malgré la guerre et les appels à l’unité, leclan Sassou n’abuse plus personne.
Guillaume Desgranges
1. En l’absence de liste électorale, le simple fait d’annoncer un résultat est un exercice périlleux. Cela n’impressionne pas un pouvoir coutumier du fait.2. partisans de Ntumi3. Lettre ouverte du Collectif des partis de l’oppositioncongolaise, le 14 octobre 2016.4. Laurent Larcher, « Nouvelle dégradation sécuritaireau Congo », La Croix, 13 octobre 2016.5. On lira notamment les communiqués de l’Officecongolais des droits de l’homme, ocdh.org
SALVESCONGO-BRAZZAVILLE
LE RETOUR DEL’ENNEMI INTÉRIEURAprès le laborieux passage de vernis électoral du printempsdernier, qui, malgré les efforts du tyran et la bienveillance de sesprotecteurs, France en premier lieu, n’a trompé personne, DenisSassou Nguesso mise sur le seul domaine de gouvernement qu’ilmaîtrise vraiment : la terreur.
«Ce qui est sûr : il y a desdizaines de morts, civils,
militaires, ninjas ; desmilliers de déplacés ; desmercenaires sont impliquésdans les combats. »
de nos têtes, pour nous impressionner,pour ne pas qu’on dise "Non à la France".Du PK5 à l’ONU, on sentait le vent de l’hélicoptère ! On leur a dit que soit ils nous tiraient dessus, soit on continuait. Ils ont vuqu’on était déterminés. L’hélicoptère nous asuivi jusque devant les Nations Unies et ilest parti. [...] J’ai parlé à une dame deFrance 24, qui m’a demandé pourquoi onfaisait cette manifestation. Je lui expliqueque c’est contre l’intervention française.Quand j’ai comparé ce qui se passait aujourd’hui avec l’intervention de Mitterandau Rwanda, elle a retiré le micro. Lesjeunes qui étaient là m’ont dit qu’il fallaitarrêter de parler à ces journalistes, quiparticipent à la politique française. Cettemanifestation était suivie par tous les médias français. Jusqu’aujourd’hui on n’a pasvu d’information publiée sur cette manifestation. »
« Arrivés ici, onest encore maltraités. »Depuis, Yérima a fui le pays. « Là où je te
parle présentement, j’ai du mal à rejoindrema famille. Mes parents, on est disperséscomme ça un peu partout dans la nature.J’ai des problèmes à voir ma famille et jene suis pas le seul, c’est le cas de plusieursCentrafricains musulmans, nombreux, queje connais. » Il a fini par se réfugier enFrance. « Arrivés ici, on est encore maltraités. » Tout en ayant peur des représailles, ildécrit « l’humiliation totale » qu’il vit dansses démarches administratives. « Récemment je suis allé à la préfecture, pour retirer une carte de séjour. » Après avoir étérenvoyé de guichet en guichet pendant desheures, une fonctionnaire lui lâche : « C’estpas ici, dégagez d’ici. » « Elle m’a traitécomme un mendiant. Elle s’imaginait queje voulais faire ma vie en France, commeeux le disent souvent dans les médias. Orsans l’intervention de leur pays, je ne serais pas ici. » Les Balaka ont « découpé desgens en morceaux ! [...] On a tous perdunos maisons, nos biens. L’élevage qu’on a,tout a été pillé. Tout ça c’est à cause decette intervention. [...] Nous sommes sousla colonisation ! Nous sommes dominéschez nous ! Pourquoi tout ça ? Et une foisarrivé ici, ils nous maltraitent. [...] Il fautqu’ils arrêtent avec la guerre ! En Centrafrique, s’il n’y avait pas eu la guerre, pasun centrafricain ne serait parti ! Cette intervention a vraiment créé une haine envers les Français. »
Propos recueillis par Mathieu Lopes1. Son nom a été modifié.2. Forces armées centrafricaines.3. Un des quartiers musulman de Bangui, la capitale.
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Billets d'Afrique 262 - novembre 2016
SALVES
Depuis une enquête a été confiée aujuge d’instruction François Yaméogo.Le juge aurait déjà auditionné une
centaine de personnes dont l’actuel président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo,qui se trouvait avec Blaise Compaoré le 15octobre 1987, jour de l’assassinat1. Unepreuve s’il en est que le juge entend poursuivre son enquête en toute indépendance.Quatorze personnes ont déjà été inculpées dont Gilbert Diendéré, ancien chef durégiment de sécurité présidentielle, véritablenuméro 2 du régime de Blaise Compaoré etauteur du coup d'Etat manqué de septembre 2015. Les éléments relatifs aux relations entre BlaiseCompaoré et Charles Taylor, issus du procès deCharles Taylor devant leTribunal spécial sur laSierre Leone auraientaussi été versés au dossier.Dans un documentaire del’italien Silvestro Montanaro, plusieurs compagnons de Charles Tayloraffirment avoir été présents lors de l’assassinat etavoir reçu le soutien de laFrance et de la CIA2. SiThomas Sankara a probablement été assassiné par des militaires burkinabè, l’hypothèsed’une entente entre plusieurs pays se précise.
Le gouvernement du Burkina vatil semontrer très combatif pour exiger l’extradition de Blaise Compaoré ? On peut légitimement en douter, d’autant plus que, de soncôté, il avait annoncé sa volonté de régler lesquestions relatives au séjour de Blaise Compaoré en Côte d'Ivoire par la voie diplomatique. Ainsi, la demande d'extraditionconcernant l'affaire Sankara lancée en mars2016, n’a reçu jusqu’ici aucune réponse officielle des autorités ivoiriennes.
Depuis plusieurs années, le « réseau international justice pour Sankara justice pourl'Afrique », dont fait partie Survie, aux côtésde nombreuses autres associations, mène
campagne pour l'ouverture d'une enquêteparlementaire en France sur l'assassinat deThomas Sankara. Les députés écologistes etceux du Front de gauche ont déposé unedemande en 20113.
De nombreuses initiatives sont venuesl’appuyer : un meeting à Paris, de nombreuxdébats publics, deux campagnes de signatures, conférences de presse au Burkina enFrance, venue de Mariam Sankara et de sonavocat, Maitre Bénéwendé Sankara à l’Assemblée nationale à Paris. Il a fallu attendreprès de 5 ans et plusieurs courriers de députés burkinabè pour que le président de l’assemblée nationale française, Claude
Bartolone, daigne répondre. Dans une lettreadressée aux membres du réseau international « Justice pour Sankara justice pourl'Afrique », il justifie ainsi son refus : « unetelle commission d’enquête n’aurait aucunpouvoir pour conduire des investigationsdans un autre État » et « la procédure judiciaire désormais ouverte au Burkina » luisemble « l’instrument juridique le plus approprié pour rechercher les responsables decette affaire ». Pourtant la commission d’enquête avait pour objectif d’enquêter enFrance, bien sûr, sur un éventuel complot !
Les déclarations n’ont pas manqué pourjustifier ce refus. Ainsi Gilles Thibault l’ambassadeur de France au Burkina déclaredans une interview au quotidien burkinabèSidwaya le 1er juin 2015 : « Je suis désolémais vous êtes dans le fantasme d’un rôleque nous avons pu jouer ». Pour François
Loncle, député PS et président du grouped’Amitié France Burkina Faso à l’Assembléenationale française, « cette commission d’enquête (NDLR parlementaire) n’aura paslieu. Ce n’est pas notre rôle. Le cas Sankararelève des chercheurs, des historiens et surtout des Burkinabè euxmêmes ! »4. Et Maurice Braud, conseiller aux relationsinternationales du Parti socialiste d’ajouter:« La France n'est pas compétente sur lefond du dossier. Ça n'a rien à voir avec desenquêtes sur des affaires où la France étaitimpliquée de près ou de loin. Je sais qu'onveut voir la main de la France partout.Mais on est vraiment dans autre chose.
Seule la justice du Burkina qui vient de s'en saisirpeut apporter une réponse aux familles endeuillées. »5
C’est du Burkina quevient la réponse à toutesces déclarations. Aujourd’hui, « l’instrumentjuridique le plus approprié », selon Bartolone, àsavoir une enquête d’unjuge burkinabè, menéedepuis près de deux ans,se tourne vers la France et
lui demande par commission rogatoire, lalevée du secret défense. Voilà qui remet lespendules à l’heure. Il est grand temps que laFrance se penche sur ses actions passées enAfrique, plutôt que de s'enfermer dans ledéni.
Bruno Jaffré1. Selon un témoignage recueilli par Ludo Martensauteur de Thomas Sankara, Blaise Compaoré et larévolution burkinabè, édition EPO, 1989, 332 pages.2. Ombre Africaine diffusé le 13 janvier 2013 sur laRAI3. Les retranscriptions des parties concernant lesoutien français et américain sont disponibles àhttp://thomassankara.net/?p=7943. Voir la proposition de résolution n°3527 tendant àla création d’une commission d’enquête relative à larecherche de la vérité dans l’assassinat de ThomasSankara, disponible sur le site de l'Assemblée nationale.4. Propos rapportés dans un article du Monde Afrique,"Yauratil une enquête française sur la mort de Sankara?" 30/06/20155. Idem
AFFAIRE SANKARA
LE JUGE DEMANDE À LA FRANCELA LEVÉE DU SECRET DÉFENSEL’insurrection qui a chassé Blaise Compaoré en octobre 2014 a réveillé la justice burkinabè.La revendication de vérité et de justice, à propos de l’assassinat de Thomas Sankara, portéepar les insurgés, a été une des premières prises en compte par le pouvoir issu de l’insurrection. Aujourd’hui, avec une demande officielle de déclassification par le juge en charge del’instruction, les soupçons se rapprochent officiellement de la France.
Sépulture supposée de Thmas Sankara. Photo Lexaeus 94.
SALVES
Une telle catastrophe était prévisible.Un ensemble de circonstances l'ontrendue inéluctable. L'effondrement
d'un pont a d'abord rendu l'axe routierYaoundéDouala impraticable, alors que laplupart du transport de voyageurs se fait parautocars, en raison de l'insuffisance de laliaison ferroviaire : un seul train par jour, extrême lenteur, nombreuses pannes. Le ministre camerounais des Transports a doncdemandé à Camrail d'ajouter des wagons, audépart de Yaoundé, au train venant deNgaoundéré, au nord du Cameroun, pourgagner Douala. Sept certains disent huit wagons ont donc été ajoutés au train qui encomptait dejà neuf. Selon des informationsrévélées par des cheminots, ces wagons supplémentaires, de fabrication chinoise, necomportaient pas de système de freinageadapté. Entre Yaoundé et Douala, il y a uneforte déclivité. En descendant la collineavant Eseka, à 200 km de Yaoundé, le train apris de la vitesse. Sur la voie, de faible écartement, restée aux normes coloniales duXIXème siècle, cela a provoqué le déraillement d'abord des sept wagons de queue,dont quatre sont tombés dans un ravin, puisde huit des neuf autres.
Les riverains ont secouru les blessés etse sont occupés des corps des morts, tant
bien que mal. Les premiers secours publicsne sont arrivés que vers 18 heures, soit cinqheures après l'accident. L'hôpital d'Eseka,dépourvu de médicaments, n'était pas enétat d'accueillir les blessés qu'il a fallu évacuer vers Douala et Yaoundé. Plusieurs joursaprès la catastrophe, les secours n'ont toujours pas pu extraire tous les cadavres desquatre wagons enfoncés dans un marécageau fond du ravin. Ils risquent donc d'y resterabandonnés avec les épaves que l'État camerounais s'est révélé incapable d'évacuer.
Cameroun moderneL'ensemble de ces circonstances dévoile
crûment l'état dans lequel se trouve le Cameroun en 2016. Déshérence et vétusté de"l'axe lourd" routier qui relie les deux villesprincipales du Cameroun, Douala, officiellement deux millions d'habitants et Yaoundépresque autant. Pourtant cet "axe lourd" estsillonné quotidiennement par un trafic intense, multiples cars et minibus de transports en commun, innombrables grumiersdraînant le bois, première richesse du Cameroun, vers le port de Douala, poids lourds etvoitures particulières. Les accidents mortels,sur lesquels on ne dispose d'aucune statistique fiable, sont quasi quotidiens au pointqu'on appelle cette voie "la route de la
mort", chacun ayant de ses proches ouconnaissances qui y ont perdu la vie. Le chemin de fer quant à lui est au diapason : tortillard antédiluvien, équipé de matérielsdésuets achetés au rabais, il a été privatiséen 1999, dans la vague des Plans d'Ajustements Structurels imposés par le FMI. C'estle groupe Bolloré qui en a obtenu la concession. Alors que la société publique Régifercam, bien que minée par la corruption et endéficit chronique, fournissait encore dansles années 1990 un service voyageurs décent, depuis la privatisation les exigences debénéfices du libéralisme ont réduit presquetotalement ce service au profit du trafic marchandises bien plus rentable. L'acheminement des matériaux pour la construction del'oléoduc DobaKribi dans les années 2000,puis le transport des équipements lourdspour les interventions de l'armée françaiseau Tchad et en Centrafrique, avec l'évacuation des matières premières vers le port deDouala, ont certes dégradé l'antique infrastructure coloniale on ne compte plus lesdéraillements récurrents qui affectent letronçon YaoundéNgaoundéré mais ontsuffit à assurer des bénéfices substantiels, cequi permet notamment à Bolloré de fairejoujou avec ses médias en France. Le servicevoyageurs est devenu un appendice négli
geable. Il y a belle lurette qu'on ne va plusde Yaoundé à Douala qu'en autocar.
Ce tableau est celui du "développement"en Afrique francophone, c'estàdire développement colossal des fortunes accumulées par une classe dirigeante compradore,avide, servile, irresponsable, incompétente et nuisible, développement concomitant l'un ne va pas sans l'autre desbénéfices des multinationales exploitant lepays matière presque exclusive de lacroissance du PIB tant vantée , absencecriante ou délabrement des infrastructures, qui témoignent jusqu'à l'obscénitédes quelques sous jetés à une populationmendiante ; le tout sous la paternelle sollicitude de la France, bien sûr.
Odile Tobner
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CAMEROUN
UN PAYS IMMERGÉ DANS LERAVINLe vendredi 21 octobre à 13 heures, le train Camrail reliant Yaoundé à Douala a déraillé enarrivant à Eseka. Le bilan réel des morts (officiellement 76) ne sera probablement jamaisétabli. Il pourrait s'élever à plusieurs centaines de victimes. On compte plus de cinq centsblessés.
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Sortir l'Afrique de laservitude monétaire.À qui profite le francCFA ?
Sous la direction de KakoNabukpo, Martiel Ze Belinga,Bruno Tinel, Demba MoussaDembele.
La Dispute, 2016, 15 euros
Cet ouvrage, qui réunit les contributionsde dix auteurs, hommes politiques,philosophes, historiens, politologues,
tous voués à l'économie, fait suite au colloqueorganisé à Paris le 17 septembre 2015 par lesfondations Gabriel Péri et Rosa Luxemburg(Allemagne) sur le thème : « L'avenir du francCFA en question ». Les quatre principaux intervenants ont joint aux leurs les articles d'auteurs qui ne participaient pas au colloque,pour aboutir dans ce livre à un tour d'horizoncomplet de la question.
Question épineuse, réputée hermétiqueau profane, la monnaie concerne pourtantdes problèmes vitaux, dont les enjeuxéchappent la plupart du temps aux principauxintéressés, qui en sont réduits, en ce domaineplus que tout autre, à ce que leur racontentles gouvernants.
Bruno Tinel expose le fonctionnementsingulier du « compte d'opération », mécanisme de base du fonctionnement de la zone
franc, que Tchoundjang nommait« une expression curieuse, mystérieuse, inconnue du monde des économistes, mais bréviaire de tous lesfinanciers des États membres », encitant un économiste anglais : « Lesystème a donné à la France unhaut dégré de contrôle sur les économies de la zone franc ». NadimMichel Kalife expose l'historique decette monnaie dans son article : « La
genèse du franc CFA ».Kako Nubukpo et Ndombo Demba Sylla,
dans leurs interventions respectives : « Lefranc CFA et le financement de l'émergenceen zone franc » et « Émergeravec le franc CFAou émerger du franc CFA ? » constatent les difficultés de développement des économies assujetties à ce système. Demba MoussaDembélé quant à lui expose « La nécessité dela souveraineté monétaire dans les pays de lazone franc », pointant des atouts hypothétiques et des inconvénients flagrants, pourconclure : « Il ne peut y avoir de développement pour les pays africains avec une monnaie qui n'est pas la leur ». JérômeMaucourant, dans « des rapporte entre monnaie et souveraineté : une analyse sociohistorique » confirme l'importane primordiale dece principe de souveraineté, qui s'impose plusque jamais à l'heure de la mondialisation.
Martial Zé Belinga dans : « Institutionsfranc CFA : colonialités, incohérences, accu
mulations prédatrice » rappelle opportunément que l'Afrique précoloniale, depuisl'Égypte antique, a connu diverses formes demonnaies et une prospérité riche d'échangesinternes, alors que l'économie actuelle est entièrement extravertie, fondée sur la prédation.Massimo Amato, avec « De quoi la monnaieestelle le nom ? », ouvre la réflexion et réaffirme, après Keynes, le rôle éminemment politique, et non uniquement mercantile, de lamonnaie, comme instrument de la prospéritécollective de l'ensemble des peuples et dechacun en particulier. Enfin Denis Durand etHédi Sraieb rappellent dans « EuropeAfrique :des sociétés bien différentes, un même besoinde s'émanciper du capitalisme mondialisé » lanécessité de changer le système monétaire international pour sortir des griffes du Léviathan qui entretient chaos et pauvreté dans unculte du profit le plus monstrueux, commeseule fin.
Ce livre est riche et stimulant par toute lesréalités qu'il décrit et les perspectives qu'ilouvre. À ceux qui persistent à proclamer que lefranc CFA est fait pour « protéger » les Africains,dans la supposition implicite et raciste qu'ils seraient incapables de gérer leur monnaie, onrappelle le mot amer de Tchoudjang « Non, aucun pays non peuplé de Noirs ne peut accepter ce genre de plaisanteries ».
Odile Tobner
FRANC CFA
SORTIR L'AFRIQUE DELA SERVITUDE MONÉTAIRE
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