algérie, histoires à ne pas dire : un film de souvenirs ... · quotidien : mercredi 27 février...

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Cin ma Critique de Thomas Sotinel "Algérie, histoires à ne pas dire" : un film de souvenirs, pas d'histoire LE MONDE | 26.02.08 | 18h41 Mis à jour le 26.02.08 | 19h05 "Algérie, histoires à ne pas dire", film documentaire algéro-français (2 h 40.) de Jean-Pierre Lledo. C'est un long et difficile voyage qui part de Skikda, à l'est de l'Algérie, pour finir à Oran. En quatre segments - Skikda, Alger, Constantine et Oran -, Jean-Pierre Lledo veut traverser la mémoire des Algériens. La mémoire des combats, celle des adversaires, celle la vie quotidienne avant et pendant le conflit. Cette exploration se révèle extraordinairement difficile et douloureuse. Les souvenirs qu'elle fait remonter au grand jour sont aussi difficiles à manier qu'un flacon de nitroglycérine - en Algérie, le film est devenu un instrument dans les querelles politiques. Ce débat, qui empêche la sortie d'Algérie, histoires à ne pas dire dans le pays qu'il évoque, ne doit pas dissimuler la grande force du film, qui montre comment une parole cherche à sortir du silence, avec ses hésitations, ses lâchetés, sa cruauté et son courage.

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Cin ma

Critique de Thomas Sotinel

"Algérie, histoires à ne pas dire" :

un film de souvenirs, pas d'histoire

LE MONDE | 26.02.08 | 18h41 • Mis à jour le 26.02.08 | 19h05

"Algérie, histoires à ne pas dire", film documentaire algéro-français (2 h 40.)

de Jean-Pierre Lledo.

C'est un long et difficile voyage qui part de Skikda, à l'est de l'Algérie, pour finir à Oran. En

quatre segments - Skikda, Alger, Constantine et Oran -, Jean-Pierre Lledo veut traverser la

mémoire des Algériens. La mémoire des combats, celle des adversaires, celle la vie

quotidienne avant et pendant le conflit.

Cette exploration se révèle extraordinairement difficile et douloureuse. Les souvenirs qu'elle

fait remonter au grand jour sont aussi difficiles à manier qu'un flacon de nitroglycérine - en

Algérie, le film est devenu un instrument dans les querelles politiques. Ce débat, qui empêche

la sortie d'Algérie, histoires à ne pas dire dans le pays qu'il évoque, ne doit pas dissimuler la

grande force du film, qui montre comment une parole cherche à sortir du silence, avec ses

hésitations, ses lâchetés, sa cruauté et son courage.

A chaque étape, Lledo a demandé à un Algérien de le guider dans la mémoire d'une ville. Les

quatre interlocuteurs n'ont pas été les acteurs des événements, qu'ils aient été trop jeunes ou

pas encore nés. A Skikda, Aziz Mouats, aujourd'hui agronome, est le fils de cultivateurs. Il

raconte comment un parent a protégé des fermiers d'origine française le jour où le FLN a

donné l'ordre d'exécuter tous les colons, femmes et enfants compris. A Alger, Katiba Hocine,

journaliste à la radio, se souvient de sa nourrice française et débat avec la militante Louisette

Ighilhariz des méthodes du FLN.

Le segment sur la ville de Constantine devait tourner autour de la figure de Cheikh Raymond,

grande figure de la musique arabo-andalouse, d'origine juive, assassiné quelques mois avant

l'indépendance. A la suite de la campagne qu'a suscitée le film en Algérie, le témoin qui

devait évoquer cet épisode a demandé que son image et ses propos soient retirés du film. Il ne

reste plus que quelques bribes, dont l'intervention glaçante d'un vieux militant qui explique

que l'artiste "ne valait pas la balle qui l'a tué".

HAINE ET NOSTALGIE

Enfin, à Oran, c'est un jeune metteur en scène de théâtre, Kheireddine Ladjam, qui découvre

une ville qu'il n'a jamais connue, peuplée d'Arabes, de juifs, d'Espagnols et de Français. Des

vieillards se mettent à parler en castillan, une grand-mère voilée chante doucement Besame

mucho. Kheireddine Ladjam exhume la tuerie qui suivit à Oran la déclaration d'indépendance.

Une tuerie qui fit des dizaines de morts dans la population française, dont il n'avait jamais

entendu parler qu'en termes vagues.

Vu de France, Algérie, histoires à ne pas dire laisse une infinité de questions sans réponse. Ce

n'est pas le moindre de ses mérites. Il y a les questions historiques : l'importance de la religion

dans la résolution farouche des indépendantistes, les divisions au sein du FLN sur la place à

accorder aux non-musulmans dans l'Algérie indépendante. Le film contribue à nourrir le

débat, sans le trancher, sans doute parce que sa raison d'être première n'est pas de faire oeuvre

d'histoire.

Le film de Jean-Pierre Lledo est plutôt comme une fenêtre d'où s'échappent des voix que l'on

n'avait pas encore entendues. Et ce sont les mystères de ce discours hésitant, empêché, qui

posent les questions les plus ardues. A commencer par celle-ci : comment faire la part de deux

éléments récurrents des discours, du plus simple au plus élaboré - la haine du colon qui n'a pas

le droit d'être là, et la nostalgie pour un monde où il arrivait que l'on vive en harmonie ?

Thomas Sotinel

QUOTIDIEN : mercredi 27 février 2008

L’Algérie aux Algériens Jean-Pierre Lledo confronte son pays à l’histoire de son indépendance.

ÉDOUARD WAINTROP

Algérie, histoires à ne pas dire

documentaire algérien de Jean-Pierre Lledo. 2 h 40.

Il faut prendre au sérieux le titre de ce film : Histoires à ne pas dire. Dans l’Algérie

d’aujourd’hui, où les préjugés régressifs renforcent les mensonges officiels, parler des liens

noués par les Algériens avec des pieds-noirs ne se fait pas.

Né à Tlemcen en 1943, ayant refusé de quitter l’Algérie car il soutenait sa révolution, Jean-

Pierre Lledo est, dès l’abord, un pied-noir de type particulier. Il a fait ses classes de cinéaste à

Moscou, ses premiers films en Algérie, avant de s’exiler en France lorsque la menace

islamiste s’est faite trop précise, en 1993. Puis il est retourné dans son pays une fois que le

malheur s’est éloigné. On ne vit pas une histoire personnelle aussi agitée sans réfuter à un

moment ou un autre les mensonges que le destin met sur votre route. Il a donc décidé de dire

des vérités peu confortables sous la forme de quatre récits vrais et dérangeants et de portraits

étonnants (1).

Larmes. Algérie, histoires à ne pas dire commence avec Aziz, un ingénieur agronome à l’air

tranquille. Il raconte à Lledo sa jeunesse passée dans un hameau au-dessus de Skikda,

autrefois Philippeville, en Kabylie. Il a du mal à retenir ses larmes quand il évoque le souvenir

de sa famille massacrée par les soldats du colonel Aussaresses, ordonnateur des basses œuvres

de l’armée française. L’émotion n’est pas moins forte quand il raconte comment son voisin,

un cultivateur français d’origine corse, l’a aidé à surmonter cette épreuve atroce et à continuer

à vivre. En 1962, l’agriculteur pied-noir est parti en France et Aziz est devenu un nostalgique

de cette cohabitation, de son côté quasi filial.

Ce premier témoignage a l’avantage de poser le contexte. Le deuxième brouille les cartes.

Nous suivons Katiba, une femme à la forte personnalité. Journaliste à la radio, elle continue

de défendre bec et ongles la geste de la libération nationale. Elle se souvient de la bataille

d’Alger, qu’elle a vécue, enfant, dans la Casbah. Elle raconte aussi sa jeunesse à Bab el-Oued.

Depuis les années de guerre civile, elle s’est éloignée d’Alger et vit à quelques lieues de là, à

Tipasa. Elle a eu raison car, quand elle ose se balader dans ses anciens quartiers, cette blonde

aux yeux clairs qui refuse de porter le voile se fait insulter par le menu peuple, qui la prend

pour une pied-noire…

Le film continue avec un voyage à Constantine, la ville qui fut, et reste, une capitale de la

musique arabo-andalouse. Lledo y suit un homme qui, toute sa vie, a entendu parler de

Cheikh Raymond, Raymond Leiris de son vrai nom, un joueur de luth légendaire. Leiris, dont

le portrait n’orne pas le mur où sont célébrés les musiciens les plus fameux de la ville. Leiris,

dont l’assassinat est attribué par la propagande officielle à l’Organisation armée secrète

(OAS), alors qu’il a sans doute été tué par le Front de libération nationale (FLN). Leiris, le

Juif, membre d’une communauté qui a disparu d’Algérie mais qui suscite encore une haine

féroce. Après cet épisode, qui a pâti de diverses pressions, de défections, nous sommes prêts à

tout entendre.

Massacres. Vient alors la quatrième enquête, peut-être la partie la plus déchirante du film.

Celle qui évoque les liens tissés dans les années 50 entre des jeunes Oranais, Arabes et fils

d’Espagnols. Leur amitié et leurs folles nuits de danse et de drague. Jusqu’en 1962. Pour se

souvenir de ces moments de bonheur, d’ex-jeunes du cru, devenus sexagénaires, reparlent

castillan entre eux. C’est inattendu et émouvant d’entendre ces vieux Algériens s’exprimer

ainsi et retrouver l’ombre de leur passé enfui. Que sont devenus leurs amis pieds-noirs,

souvent aussi pauvres qu’eux ? Certains sont partis, d’autres ont été victimes des massacres

(au moins 440 morts) perpétrés par des activistes du FLN le 5 juillet 1962, jour de

l’indépendance, dans ce quartier espagnol qui a été entièrement détruit. Il s’agissait de rompre

avec tout ce qui n’était pas purement algérien. «La désignation de l’Autre trahit parfaitement

cette pensée : il est le gaouri («gour», au pluriel), le non-musulman, explique Lledo sur son

blog (2). Ce type de pensée où l’ennemi est l’Autre en religion, qu’il soit démuni ou

possédant, sympathisant ou opposant au système colonial, n’a jamais été déconstruit après

l’indépendance. Ce qui explique aujourd’hui la gêne, en Algérie, à désigner le terrorisme

islamiste autrement que par l’euphémisme "décennie noire".»

Rappeler tout ceci ennuie évidemment les autorités. Algérie, histoires à ne pas dire a été deux

fois déprogrammé dans ce pays. Le film a été vilipendé par la ministre de la Culture, accusé

de tous les maux et accompagné d’une polémique malsaine. Le 3 février, toujours sur son

blog, Lledo a écrit : «Avec Mohamed Harbi (3), traîné dans la boue dans les années 80,

quand, le premier, il osa désacraliser le FLN de la guerre, je pense […] que les mythes, une

fois devenus instruments de légitimation politique, risquent d’hypothéquer le devenir de tout

un peuple.»

(1) Histoires à ne pas direconstitue le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers

sont Un rêve algérien (2003), sur le retour en Algérie d’Henri Alleg, journaliste d’Alger

républicain ayant le premier dénoncé la torture pendant la guerre d’Algérie ; le deuxième,

Algéries, mes fantômes (2003), est une réflexion personnelle sur l’exil suivie d’entretiens avec

des combattants pieds-noirs et des harkis.

(2) lledo2007.skyrock.com, et le site officiel : www.algeriehistoiresanepasdire.com

(3) Ancien militant actif de la révolution algérienne devenu historien lucide de celle-ci.

Humanit du f vrier

Pas à pas dans le vif de la mémoire

Algérie, histoires à ne pas dire,

de Jean-Pierre Lledo

Algérie-France. 2 h 40.

D’abord des photos en noir et blanc comme dans tous les albums. Visages aux sourires posés,

d’un autre temps, couples… Ils étaient d’origine française, italienne, maltaise… et vivaient en

Algérie au temps de la colonisation. Arrière-petits-enfants d’immigrés installés là depuis un

siècle, familles juives qui fuyaient les persécutions depuis le XVe siècle. Ils furent près d’un

million à quitter l’Algérie indépendante. Violences de fin de guerre ou épisodes plus

sinistres ? Que reste-t-il d’eux dans la mémoire des berbéro-arabo-musulmans de l’Algérie

contemporaine ? Comment retracer les figures des absents, amis, voisins, ouvriers agricoles

ou marchandes de poissons, propriétaires fonciers ou repasseuses à la tâche, partisans ou

opposants au colonialisme, un jour globalisés dans la formule « présence étrangère ». Jean-

Pierre Lledo invite donc quatre personnages à retisser leurs histoires personnelles que

l’histoire officielle condamne à l’oubli. Nostalgiques de l’Algérie française, chantres des

« bienfaits de la colonisation », passez votre chemin sanglant. Ici, des hommes et des femmes

entreprennent avec courage un trajet de vérité douloureux, chaotique. Le réalisateur leur

emboîte le pas, dans une proximité sensible. Tous sont fiers de l’indépendance de leur nation.

Et se souviennent. La confusion ne vient pas des souvenirs mais de ce que leurs sources

coulaient en souterrain. Les mots, formulés à l’air libre devant caméra et micro, ne sont plus

protégés de leur fugacité. Quel pays construire dans l’ignorance et le mensonge ? Les mots

qui volent à l’air libre devant micro et caméra, fumées de mémoires fixées sur pellicule pour

que les incertitudes s’élèvent jusqu’aux questionnements, que les contradictions pétrissent des

vérités humaines, il nous faut à notre tour arpenter le vif de l’histoire, succédant aux pas que

trace Jean-Pierre Lledo, cinéaste algérien, amoureux de la fraternité. D. W.

Jean-Pierre Lledo :

« Mes films sont des engagements humains »

Entretien r alis par

Dominique Widemann

Cinéma . Avec Algérie, histoires à ne pas dire, le cinéaste algérien Jean-Pierre Lledo

poursuit sa quête de vérités humaines en affrontant les histoires sombres de son pays.

Jean-Pierre Lledo, cinéaste algérien qui a dû quitter son pays sous la menace de l’islamisme

armé, vit en France depuis une quinzaine d’années. Il a composé une sorte de trilogie

cinématographique de l’exil entamée avec Un rêve algérien (2003), suivi de Algérie, mes

fantômes en 2005. Aujourd’hui, c’est Algérie, histoires à ne pas dire, troisième volet de cette

entreprise. Quelque quarante-cinq ans après l’exode massif des juifs et des pieds-noirs, le

réalisateur, d’origine judéo-berbère par sa mère et espagnole par son père, interroge à nouveau

la mémoire et l’identité au sein d’une histoire coloniale dans laquelle le nationalisme désigne

« l’autre » sans distinction.

Comment situez-vous Algérie, histoires à ne pas dire dans votre travail ? De quel

« indicible » est-il question ?

Jean-Pierre Lledo. Ce film se situe vraiment dans le prolongement des précédents. Je poursuis

mes interrogations sur l’identité algérienne dans le cadre de l’échec d’une Algérie qui n’a pas

su rester multiculturelle ou multiethnique après avoir conquis son indépendance. Des

populations entières sont parties, mais la mémoire de la cohabitation de la période coloniale

demeure chez ceux qui l’ont vécue. J’en ai pris conscience à l’occasion d’une projection de

l’un de mes films en France en 1996. Je m’étais présenté comme un cinéaste algérien en exil.

Une spectatrice s’est alors levée et a déclaré avec beaucoup d’émotion : « Je suis en exil

depuis 1962. » J’ai réalisé qu’il s’agissait d’un déchirement, d’une amputation et que ce

sentiment existait probablement chez les Arabo-Musulmans en Algérie. Je le pressentais mais

restais à le vérifier. Je me suis donc immergé dans mon pays. Je demandais aux gens ce qui

restait de cette mémoire chaque fois que je présentais mon film, Un rêve algérien, construit

autour du combat anticolonial mené par Henri Alleg, militant communiste. Je me demandais

si juifs et pieds-noirs avaient disparu de cette mémoire, qui est très culpabilisée comme tout

ce qui relève de la période de la colonisation et demeure très conflictuel, recouvert d’une

occultation officielle.

Comment dans ces conditions faire ressurgir la mémoire ?

Jean-Pierre Lledo. Il est frappant de constater que les enfants en Algérie ne savent rien de la

vie que menaient leurs pères et grands-pères à l’époque coloniale. Ils entendent parler des

tortures et répressions de la puissance coloniale, mais dans le cadre d’une image globalisante.

Les historiens algériens ont très peu abordé cette période de manière critique, à l’exception de

Mohammed Harbi, mais il vit en France. Ils sont sous surveillance. Pour trouver un peu de

vérité, c’est le vécu des gens qu’il faut tenter de faire ressurgir. J’ai pour parti pris d’éviter le

discours. J’essaie donc de trouver des « gens du commun », si l’on peut dire, pour trouver une

certaine vérité. Mes films pourraient peut-être servir de matériau aux historiens, mais je ne

revendique aucune approche scientifique.

Vous revendiquez un parti pris cinématographique qui consiste à placer vos pas dans ceux

de vos personnages en toute subjectivité…

Jean-Pierre Lledo. On associe parfois le documentaire à « l’objectivité ». Je revendique en

effet une manière subjective que j’apparente à la fiction. Je cherche des personnages qui ont

des histoires fortes, mais, une fois que j’ai à peu près saisi leurs problématiques, je leur

demande de se mettre en quête de ce qui est le plus important pour eux. Ensuite, je vais filmer

la manière dont ces personnages vont se comporter dans la réalité, devant les spectateurs.

L’interrogation existe pour moi aussi. Vais-je intervenir, garder mon retrait de réalisateur ?

Tout cela crée un défi, une sorte de suspens. La seule différence avec la fiction est qu’il ne

s’agit pas de comédiens. J’ai les mêmes angoisses qu’un réalisateur de fiction quant aux

décisions que je dois prendre, sinon que je dois les prendre, sur le champ, sans avoir travaillé

à partir d’un scénario.

Vous formez des « tandems » avec chacun des quatre personnages que nous suivons dans

le film. Quelle est la mesure de votre quête personnelle ?

Jean-Pierre Lledo. Il s’agit pour moi aussi d’une quête identitaire. Dans Un rêve algérien, je

montrais où j’avais vécu enfant, dans une modeste habitation d’Oran. Dans le film actuel, au

cours de la séquence tournée avec Louisa Ighilahriz, grande figure de la guerre

d’indépendance, j’interviens pour expliquer d’où je parle et cela donne une indication pour

l’ensemble du film. Ma grand-mère était une pauvre femme venue d’Espagne. En quoi

sommes-nous responsables de la colonisation telle qu’elle s’est faite ? Mon père, communiste,

était opposé au colonialisme. Pour convaincre les autres « européens » de sa position, je me

souviens qu’il leur parlait d’une Algérie indépendante « dans laquelle chacun aura sa place ».

Syndicaliste, il prenait les coups de matraque du pouvoir colonial tous les 1er mai. Lorsque je

jouais au foot, petit, dans notre quartier à dominante arabo-musulmane, tout le monde me

connaissait. Mais, si j’allais un peu loin, je devenais le « gaouri », le non-musulman, l’autre.

J’ai donc très tôt senti que j’étais stigmatisé sur des critères ethnico-religieux. Ce sentiment

s’est vérifié, mais je n’ai jamais pu en parler. Aujourd’hui encore, les écoliers algériens

ignorent que les communistes étaient contre la colonisation. Ils ne sont pas répertoriés dans le

mouvement de la révolution. Avec Un rêve algérien, j’apportais la démonstration que des

juifs, des musulmans, chrétiens, européens, etc., avaient réussi à travailler ensemble au sein

du Parti communiste algérien, notamment avec le journal anticolonial Alger républicain. La

composition multiethnique de l’équipe du journal constituait le fondement même de

l’anticolonialisme.

Que s’est-il passé ?

Jean-Pierre Lledo. À peine l’Indépendance prononcée, la première Assemblée met au point un

code de la nationalité : « Algérien de confession musulmane ». Toute autre personne doit

entamer des démarches pour obtenir la nationalité algérienne sans garantie de succès. La

pensée politique de ce nationalisme fondé dans les années trente a guidé le FLN durant toute

la guerre d’indépendance. La société algérienne aurait été arabo-musulmane avant la

colonisation et devait donc le redevenir. Si l’on applique cela à la France, cela revient à une

identité chrétienne, mensongère comme tous les mythes identitaires. Il s’agit d’une idéologie

de la « pureté » qui ne tient pas compte des modifications de l’histoire. La colonisation est

une intervention violente et c’est l’État français qui va créer cette réalité coloniale. Reste que

la société algérienne s’est modifiée durant la colonisation. On peut faire avec cette réalité ou

se référer à cette « pureté » mythique. Je reproche au nationalisme de n’avoir pas eu le double

objectif de mettre fin à un système colonial discriminatoire tout en construisant un projet

d’État tenant compte des langues, des religions et des minorités.

De là proviennent les contradictions qu’exprime, chacun à sa manière, chacun de vos

personnages ?

Jean-Pierre Lledo. Comment peut-on dire la vérité tout en ne la disant pas ? Jusqu’où peut-on

se mentir à soi-même ? Mentir à ses enfants, aux spectateurs sachant aussi que parler devant

une caméra, c’est aussi parler à l’État. Un État qui n’est pas démocratique et pratique un

terrorisme idéologique sur l’histoire et vous stigmatise au rang des tenants du colonialisme si

vous contredisez l’histoire officielle. Je dis ce que je pense comme réalisateur et comme

citoyen. Je fais la différence dans ma façon de me comporter dans un film. Là, je me place

dans une attitude de respect total de la réalité, de sa diversité, de sa complexité. Les simples

gens sont prêts à parler de ce qu’ils ont vécu. Ce sont les pouvoirs autoritaires post-coloniaux

qui ont établi cette histoire officielle qui leur permet de gouverner au présent. Je ne refais pas

l’histoire. Je ne dis pas que la transition démocratique aurait pu se faire d’emblée. Il y a donc

une légitimité à avoir participé à la révolution. Cette légitimité est tissée de vérités mais

également de silences et de non-dits. Et la carapace s’épaissit. Je souhaite dire que ces

« tandems », ces « couples » formés dans le film font partie de ces communautés qui étaient

en guerre. Sommes-nous capables, au nom de valeurs universelles, de revenir sur ces histoires

qui liaient les différentes communautés durant la colonisation ? Je ne vois que le chemin de

l’humanisme qui prône qu’un être humain vaut un autre être humain pour y parvenir de

manière pacifique en dépassant les idéologies meurtrières, dont je rappelle qu’elles sont à

l’oeuvre en Algérie. J’ai pu y tourner mon film entre 2005 et 2006, mais cela n’aurait pas été

possible à peine quelques années plus tôt.

Le film y est pourtant censuré alors que vous avez pu le réaliser…

Jean-Pierre Lledo. C’est la résultante d’une petite percée démocratique, de l’existence de

productions indépendantes. Bien que mes idées rencontrent beaucoup de résistances, des

journaux algériens publient mes propos, qui sont identiques à ceux que je vous tiens. Je refuse

le double langage. Le film est censuré mais je l’ai montré à des groupes de gens en organisant

des projections privées. La censure demeure mais le contexte change. J’ai été chassé par les

islamistes en 1993 et je ne me suis remis de cet arrachement qu’il y a à peine quatre ou cinq

ans. Chacun de mes films a constitué un pas pour sortir de l’interdit en entrant dans le temple

sacré pour en interroger les gardiens. J’ai pu sortir de l’inexprimable. Mes films sont des

engagements humains, forcément douloureux. J’ai cette utopie de cinéaste de croire que ce

qui est thérapeutique pour moi peut l’être pour d’autres.

Mathilde Blottière

Samedi 01 mars 2008

Algérie, histoires à ne pas dire

Film algéro-français de Jean-Pierre Lledo

Skikda, Alger, Constantine, Oran. Quarante-six ans après l'indépendance, le documentariste

Jean-Pierre Lledo, auteur de plusieurs documentaires sur l'Algérie, traque un mystérieux

fantôme aux quatre coins de son pays natal. Le spectre d'une Algérie lointaine où juifs,

chrétiens et musulmans cohabitaient et parfois même s'entraidaient. Balayé par l'exode massif

des pieds-noirs, en 1962, le multiculturalisme continue pourtant à hanter les consciences.

Plutôt que de s'en remettre à l'histoire officielle, le documentariste a donc choisi de sonder les

mémoires.

En compagnie d'Algériens épris de vérité, à la fois témoins et enquêteurs, il réveille en quatre

chapitres le souvenir d'une fraternité ensevelie sous la haine. Ainsi, Katiba, animatrice d'une

émission de radio, raconte le Bab el-Oued de son enfance, où pieds-noirs et « musulmans »

marchaient sur le même trottoir. L'agronome Aziz, dont la famille a été en partie massacrée

par l'armée française, évoque avec émotion le colon qui l'a sauvé. Mieux encore que leurs

souvenirs, leur langue témoigne d'une mixité aujourd'hui disparue : étonnant babélisme qui

brasse des sonorités françaises, espagnoles, arabes.

Pourquoi l'Algérie a-t-elle dilapidé cet héritage d'identités multiples ? Sans jamais occulter le

contexte de l'occupation, Jean-Pierre Lledo ose briser les tabous. Devant sa caméra, une ex-

combattante justifie les attentats contre les civils au nom de la libération nationale. Un ancien

fellaga raconte en détail la tuerie aveugle des colons de Philippeville, le 20 août 1955. Un

Oranais soupire au souvenir du massacre des Espagnols, le 5 juillet 1962 : « C'était eux ou

nous. »

Parfois, les tabous résistent. L'annulation par le ministère de la Culture algérien d'avant-

premières prévues en juin 2007 (pour « apologie du colonialisme ») a ainsi poussé l'un des

quatre témoins du film à s'autocensurer. Pour que ce dernier n'apparaisse plus à l'écran, Lledo

a dû tronquer la troisième partie de son film, qui revient sur le meurtre d'un chanteur juif à

Constantine, en 1961. Sans crainte ni brusquerie, Algérie, histoires à ne pas dire tient

pourtant, envers et contre tout, le courageux pari de l'examen critique.

Algérie, histoires à ne pas dire (Films en salle)

27 février 2008

De JEAN-PIERRE LLEDO

Enquête troublante sur des épisodes sanglants de la guerre d’Algérie narrés par leurs

protagonistes. Un document fort.

Algérie, histoires à ne pas dire

Dernier acte d’une trilogie sur la guerre d’Algérie, ce long film en quatre parties tire sa

richesse de son approche. Le film révèle le caractère shakespearien de la guerre, qui fut un

Macbeth à l’échelle d’un pays. Pour la première fois, ou presque, des Algériens racontent,

sans fard et in situ, ce qu’ils ont vécu ou commis. Non seulement on touche du doigt

l’horreur, mais on comprend que la guerre civile des années 1990 fut une réplique du

conflit des années 1950-1960.

La proximité des lieux et des protagonistes provoque un choc électrique. En traitant de cas

précis, on dévoile les multiples facettes de cette guérilla chaotique. Le documentaire ne

fait pas d’angélisme, accumulant sans hiérarchie les témoignages. La complexité fratricide

de la guerre d’Algérie ne fait qu’émerger.

VINCENT OSTRIA

[La version longue des critiques issues du journal paraît sur les Inrocks.com Cinéma deux

mois après publication.]

Le Blog de Serge Toubiana

Directeur de la Cinémathèque française

Algérie, histoires à ne pas dire

Posté dans Cinéma le 28.02.2008 par Serge Toubiana

Hier soir, j’avais le plaisir d’accompagner le cinéaste Jean-Pierre Lledo au Reflet Médicis, rue

Champollion, pour une soirée autour de son nouveau film sorti le jour même : Algérie,

histoires à ne pas dire. Présentation, puis débat après la projection d’un film qui dure 2h40,

pendant lequel on n’entend pas une mouche voler. Salle comble, public attentif, concerné,

motivé, ému. Mais, dès que le débat commence, la salle est en folie : on s’invective, on ne

s’écoute plus, l’on s’interrompt ou l’on s’indigne du fait que le film ne parle pas de la Kabylie

ou des Berbères… La grande majorité des spectateurs disent leur émotion et remercient le

cinéaste pour son courage et son honnêteté. D’autres moins nombreux sont visiblement venus

non pour voir le film tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Etonnant d’être devant un public

qui, plus de quatre décennies après les événements liés à l’Indépendance de l’Algérie, ne s’est

pas encore réconcilié avec l’Histoire. Son histoire.

Cette passion qui est au rendez-vous du film est à mettre au crédit de Jean-Pierre Lledo. Ce

dernier a en effet l’audace de revenir sur la guerre d’Algérie, non par la (grande) porte

officielle mais par celle plus étroite mais ô combien plus juste et émouvante des gens qu’il a

décidé de filmer, de rencontrer, de faire parler. Les Algériens que l’on découvre dans ce film

n’ont pas la parole dans leur propre pays. Lorsqu’ils la prennent, c’est pour ne plus la rendre,

tellement leur frustration est grande. Aziz, agronome à Skikda (ex-Philippeville), Katiba,

animatrice de radio à Alger ou Kheïreddine, jeune metteur en scène de théâtre qui vit à Oran

et qui interroge les anciens sur cette journée historique du 5 juillet 1962. Parmi lesquels Tchi-

Tchi, personnage bouleversant. La vérité officielle ne recouvre pas exactement la leur. La

parole qui se dit là, libre, mouvementée, chahutée et ballottée par l’Histoire, ou par des

retrouvailles souvent douloureuses avivant les plaies familiales, cette parole-là est essentielle.

Nous n’avons pas souvent l’occasion ou la chance de l’entendre venant d’Algérie. C’est ce

qui fait le prix et l’importance du film de J-P. Lledo, à voir coûte que coûte.

De film en film, Jean-Pierre Lledo revient sur un thème qui lui tient à cœur : cette idée que

l’Algérie, avant l’Indépendance conquise de haute lutte le 5 juillet 1962, était une terre de

paix où les différentes communautés, espagnoles, maltaises, juives, italiennes et autres, et

toutes les religions, vivaient en harmonie. Lui-même d’origine espagnol, tout en clamant son

identité algérienne, Lledo se veut le témoin, sinon nostalgique du moins mélancolique de cette

période bénie. Entre-temps, l’Histoire a passé. Et elle a fait des ravages. Attentats, crimes de

l’OAS, massacres, luttes violentes pour conquérir une Indépendance méritée, justifiée. Mais à

quel prix ? C’est la question qu’ose poser le film, faits ou témoignages à l’appui. Les

communautés sont parties, dans les conditions que l’on sait, en juillet 1962. Exil massif,

laissant le pays face à sa propre histoire. Sentiment d’une absence : où sont-ils partis ?

Aurions-nous pu vivre ensemble, une fois l’Indépendance conquise ? Impossible de répondre

à une telle question.

Très différents les uns des autres, les personnages du film de Lledo, filmés à Skikda, Alger,

Oran ou Constantine, sont des témoins occasionnels, subjectifs et passionnés, qui ont vécu les

événements et leur donnent une interprétation à hauteur d’homme. Algérie du passé, Algérie

d’aujourd’hui, le choc est frontal, vibrant et passionnant. Katiba revisitant la Casbah d’Alger

où elle a grandi, retournant à Bab El Oued dans sa rue natale, se fait apostropher par un jeune

du quartier : « Ta réalité n’est pas la mienne, tu appartiens au passé, notre réalité est plus

importante… Tu dois vivre notre réalité ! ». Violence à fleur de peau, mémoire qui ne tisse

aucun fil… Coproduit par l’ENTV (Télévision algérienne), Algérie, histoires à ne pas dire est

pour le moment dans un placard. Peut-on parler de censure officielle ? Plusieurs avant-

premières, au cours des derniers mois, ont été annulées. Et la Télévision algérienne n’a

visiblement pas l’intention de diffuser le film. Est-ce à dire qu’il est encore des choses qu’il

ne faut pas dire en Algérie, en 2008 ?

Pour plus de renseignements sur le film, consulter le site :

www.algeriehistoiresanepasdire.com

cinema

Algérie, histoires à ne pas dire

de Jean-Pierre Lledo (Algérie)

Olivier Barlet

publié le 06/03/2008

Il en va de Jean-Pierre Lledo comme de tout un chacun : nous nous réveillons tous un matin

avec des souvenirs marquants que nous ne pouvons évacuer, histoires d'enfance dont nos

rêves nous rappellent qu'elles sont encore traumatisantes et qu'il serait utile de les regarder en

face pour crever l'abcès de la douleur rentrée et nous permettre d'avancer. Il en va d'un pays

comme d'un individu. Lledo reste discret sur sa propre histoire (né à Tlemcen d'une mère

judéo-berbère et d'un père espagnol, exil en 93 sous menace islamiste) mais c'est à ce pays

qu'il veut donner la parole car c'est aussi ce pays qui va mal. Et donner la parole veut dire

trouver ceux qui ont à témoigner. Ce choix est forcément subjectif, issu de ses propres

démons (cf. Algérie, mes fantômes, son précédent film), de ses propres interrogations, surgies

de son vécu et des tourments de l'Histoire récente.

Que ce choix implique de mettre en avant ceci en négligeant cela est évident, mais c'est bien

ce qu'on lui reproche en Algérie. Ce préambule est donc sans doute nécessaire pour évoquer la

violente attaque dont ce film est l'objet dans ce pays, au point d'y être encore interdit à ce jour.

La désinformation va bon train et le blog de Jean-Pierre Lledo (http://lledo2007.skyrock.com)

en rend compte précisément, tandis qu'une pétition circule pour demander la levée de la

censure (murmure n°4366 sur africultures.com).

Que reproche-t-on à ce film qui s'attache à la mémoire de la cohabitation entre communautés

avant l'exode d'un million de personnes de souche européenne et/ou juive en 1962, soit 10 %

de la population de l'époque ? De ne présenter qu'un bout de la lorgnette : pourquoi n'évoquer

que les massacres de l'ALN et du FLN sans parler des atrocités françaises ? pourquoi

questionner le terrorisme comme action de libération quand on n'avait pas les moyens de

lutter autrement ? pourquoi insister sur des cas de bon voisinage et de solidarité entre les

communautés alors que la généralité était la séparation et l'humiliation ? Le film rentrerait

ainsi dans le procès fait à la révolution algérienne par une série de films financés par la France

et revenant, selon l'écrivain et journaliste Mohamed Benchicou qui s'élève par ailleurs contre

la censure du film, à "des entreprises de "déligitimation" et de dévalorisation de la résistance

algérienne, soumise à un ignoble parallèle avec la "décennie noire"".

Ces questions sont parfaitement légitimes, même si l'objectivité n'est jamais le fait du cinéma,

et ouvrent un intéressant débat. Mais la condamnation ne se justifierait que si Lledo se posait

en procureur accusateur. Ce n'est pas le cas : il se contente d'ouvrir un espace de réflexion et

de mémoire, de poser des questions sans en apporter les réponses. Aussi est-il important de

s'intéresser à sa méthode autant qu'aux contenus du film.

Algérie, histoires à ne pas dire est bâti sur quatre témoignages autour de quatre villes :

l'agronome Aziz Mouats dont le père a été tué par les représailles françaises à l'insurrection

meurtrière de l'ALN en 1955 à Philippeville (devenue Skikda) mais dont l'oncle Lyazid a

épargné des Européens alors que tous étaient massacrés ; Katiba Hocine, qui anime une

émission sur la Mémoire à la radio d'Etat, exaltant le nationalisme, mais qui se souvient de sa

nourrice française à Alger ; un troisième, tronqué car le témoin ne voulait plus apparaître

après les interdictions du film, qui devait évoquer l'assassinat à Constantine de Cheikh

Raymond, célèbre chanteur juif de musique arabo-andalouse, dont la mémoire est depuis

gommée ; et à Oran, le jeune metteur en scène de théâtre Kheïreddine Ladjam qui retrouve

des vieux évoquant la fraternité entre Espagnols et Arabes mais aussi les tueries d'Européens

le jour même de l'Indépendance. Ces témoignages chargés d'émotion sont ponctués de la voix

magnifique d'Hayet Ayad, qui interprète des chants sacrés dans toutes les langues de

l'Andalousie historique.

La voix d'Hayet Ayad ne résonne pas seulement aux douleurs exprimées et aux révoltes, elle

est un écho aux images et au rythme de ce film sensible. Car Algérie, histoires à ne pas dire,

se démarque nettement par exemple de Le Chagrin et la pitié, ce film qui remua la France de

1969 en brisant le tabou qui entourait la mémoire de la collaboration durant la dernière guerre

: Lledo n'a pas la violence de Marcel Ophüls et André Harris qui développaient un regard

inquisiteur en jouant du montage et de la caméra, multipliant les gros plans et les plans de

coupe, comme s'il s'agissait d'extorquer un aveu, généralisant ainsi le soupçon. Au contraire,

Lledo cadre de face ses personnages dans leur environnement, souvent en milieu d'image, en

caméra fixe, sans gros plans indiscrets, dans la durée, en de légères contre-plongées qui les

campent en dignité. Son commentaire dit d'une voix posée alterne avec les témoignages pour

les situer. Sans s'étirer inutilement, le film prend le temps de la remontée de la mémoire, de

ces riens de la vie qui enrichissent la parole transmise. C'est une mosaïque qui se met en

place, qui nous force à raccorder les bouts, à saisir les tenants des destins, à essayer de

comprendre ce qui anime chacun, à nous connecter à leurs interrogations autant qu'à celles du

réalisateur.

C'est par ce respect des sujets et du sujet que Lledo échappe à l'accusation de manipulation de

la pensée dont on veut l'accabler. Et c'est grâce à ce respect que son film dépasse la singularité

algérienne pour interroger deux questions d'une brûlante actualité : celle des conséquences

pour son Histoire future des moyens utilisés par un mouvement de libération et celle du

nationalisme qui se construit dans une définition identitaire excluant la diversité.

Avec Algérie, histoires à ne pas dire, Lledo ne fait pas œuvre d'historien mais s'intéresse aux

hommes et aux femmes qui partagent une Histoire commune, celle d'un pays meurtri qui a,

tout comme la France, bien du mal à regarder en face ses contradictions. Un autre devenir

aurait-il été possible ? Peut-être, mais ce que semble nous suggérer Lledo est que pour le

futur, il est encore temps de remettre la question sur le tapis.

Olivier Barlet

La Nouvelle République — N° 3090 — Samedi 19 avril 2008

CULTURE

12

Le documentaire eststructuré en quatre parties. Il sedécline sous forme d’enquêtemenée par quatre personnagesdans quatre régions d’Algérie.Pourquoi le choix de cespersonnages et de ces régions ?

Le documentaire s’est fait entandem car dans chacune desquatre parties, la caméra et moi-même suivons le personnageprincipal dans sa quêtepersonnelle. Cette démarche meten lumière deux idées. Il s’agissait,d’une part, de montrersymboliquement que l’union entreMusulmans et non-Musulmansétait possible même si l’Histoire ena décidé autrement. Et que d’autrepart, notre génération est capable ;quarante années après, de revenirsans œillère vers un passé qui avaitopposé les communautés. Cespersonnages devaient répondre àtrois critères. Ils devaient avoirc ô t o y é « l ’ A b s e n t » . L e u rproblématique devait être forteafin que le public ait envie de lessuivre. Leur histoire familialedevait servir de porte d’entrée dansla grande Histoire. Ce derniercritère a servi de base pour la miseen place d’un «contrat moral»entre les personnages principaux etmoi-même.

�� Aziz. Premier personnage.Hameau de Béni Malek. Skikda(ex Philippeville). Insurrectiondu 20 août 1955.

Aziz avait habité le hameau deBéni Malek, sur les hauteurs deS k i k d a ( e x - P h i l i p p e v i l l e ) .Comment l’ai-je connu ? En 1998,à Grenoble, après la projection dufilm «Lisette Vincent, une femmealgérienne», je rencontre RogerBalestriéri, un Pied-noir qui avaitété agriculteur à Béni Malek. Cethomme avait voulu rester enAlgérie après l’indépendance maisses terres furent nationalisées.C’est alors qu’il me raconte lescirconstances de son départd’Algérie. Un soir, on lui demandede quitter sa ferme. Il a fallu queses ouvriers interviennent pourqu’il reste passer la nuit. Le matin,il n’avait même pas pu prendre lesdraps brodés par sa mère. Ilsemblait être traumatisé par cetévénement. C’est alors qu’il m’amontré une lettre que lui avaitenvoyée le fils de l’un de sesanciens ouvriers. En la lisant, ils’arrête sur la phrase suivante Cepays qui est le nôtre mais aussi levôtre…». Il ne peut s’empêcher depleurer

L’auteur de cette lettre étaitfacilement identifiable car il étaitprofesseur à Mostaganem. Au fildes discussions, il me raconte quele 20 août 1955, l’ALN. avaitdonné l’ordre d’attaquer les civilseuropéens et que dans ce hameauaucun pied noir n’avait été touché.Son oncle Lyazid qui était membrede l’ALN. avait demandé que lapopulation des pieds noirs duhameau soit épargnée. Le 23 août

1955, les parachutistes françaisattaquent le hameau, brûlent lesmaisons et embarquent tous leshommes, laissant femmes etenfants complètement démunis.Roger Balestriéri leur apporte dupain et de l’eau et leur offrel’hospitalité dans sa ferme, et ce,jusqu’à l’indépendance. Il veille àce que les enfants aillent à l’écoleet suit leur scolarité. Il devient, enquelque sorte, leur père.

Aziz accepte donc de participerau film pour rendre hommage àRoger Baliestriéri. Il voulaitégalement en savoir plus sur lamort suspecte de son oncle Lyazid.

�� Katiba. Second personnage.Bab El Oued. Alger. «La Batailled’Alger», 1957.

Afin que le film ne soit pasexclusivement masculin, il mefallait trouver un personnageféminin qui ait grandi à Bab ElOued, symbole du quartier pied-noir et juif. Il fallait également quecette femme ait eu un lien avec laCasbah afin qu’elle puisse parlerde «la Bataille d’Alger». C’est versla fin du tournage qui a duré 10mois, que j’ai pu trouver celle quicorrespondait à mes critères. Deplus, elle était journaliste etanimait à la radio une émissionprécisément sur le thème de laMémoire. Une chance !

��X. Troisième personnage.Constantine. Assassinat deRaymond Leyris. 22 juin 1961.

Je nommerai ce troisièmepersonnage X car il a demandé à neplus apparaître dans le film à lasuite des interdictions de juin2007. Dans mon scénario, il étaitimportant que chaque histoirereprésente une communauté de«l’Absent». Et comme il fallaitparler des Juifs, j’ai tenu à situer latroisième histoire à Constantine,ville où vivait et a été assassinéCheikh Raymond, le maître de la

musique andalouse. C’était en1961, une année avantl’indépendance. Dans ce contexte,le personnage devait avoir eu unerelation avec Cheikh Raymond. EtX m’avait raconté que son pèreavait été marié par CheikhRaymond et que pendant toute sonenfance, à la maison, ilsn’écoutaient que ce chanteur aupoint qu’il croyait qu’il était le seulchanteur au monde !

��Kheireddine . Quatr ièmepersonnage. Oran. 5 juillet 1962.

Kheireddine est metteur enscène. Il a 30 ans. Il n’avait pasmon âge mais c’était une exceptionà la règle. J’ai rencontré cepersonnage par hasard, à la ;airied’Oran où tous deux étions enquête de soutien. Il travaillait à lamise en scène de la pièce d’AlbertCamus «Les Justes». Encore unechance ! Le thème de cette piècefaisait écho à l’une des questionsposées dans mon film : la violencerévolutionnaire peut-elle s’exercersans limite ? Kheireddine n’avaitpas vécu la guerre mais il m’avaitraconté que dans sa famille, on luiavait souvent parlé de massacresde non-Musulmans, le 5 juillet1962, à Oran et des cadavres jetésdans la Sebkha du Petit Lac.

Cette partie a été tournée à SidiEl Houari, anciennement «LaMarine», quartier où il avait uneforte concentration de populationsd’origine espagnole et arabe. Lesenfants de pêcheurs, marins, oudockers étaient presque tous sœursou frères de lait ! Et Kheireddine aaccepté ma proposition de devenirle personnage principal de cettequatrième partie car cette plongéedans la mémoire était pour luivitale et allait lui servir pour sontravail théâtral.

Comment dans un contextede colonisation, deuxpopulations, l’une indigène sous

domination, et la seconde,française, bénéficiant de laprotection et des privilèges dusystème colonial, pouvaient-ellesvivre en harmonie ?

En Algérie, le thème de lacohabitation entre les troiscommunautés durant la périodecoloniale relève du tabou. Lorsquece thème est abordé, il est fait demanière caricaturale. Les rapportshumains sont dépeints en fonctiond’une grille de lecture binaire :colonisateur/ colonisé. Or lamémoire populaire, lorsqu’ellereste proche du vécu, nous restitueles mille et une nuances etcontradictions.

Depuis quelques années, deplus en plus de Pieds noirs et deJuifs retournent en Algérie. J’aiassisté, par hasard, à Mers El Kebirà une scène de retrouvailles aprèsplus de 40 ans de séparation. Ilsn’arrêtaient pas de s’embrasser, dese toucher et de se remémorer lessouvenirs du temps ancien. Par lebiais du net et à travers les sites desvilles et des lycées, des enfants detoutes origines, devenussexagénaires, tentent de renouerdes liens. Personne ne tient comptede cette réalité. Ni la presse. Ni latélévision. Encore moins lescinéastes et les historiens.Pourquoi ? Sans doute parce quecette démarche ne correspond pasaux schémas dominants de pensée.

Le retour au passé se fait surla base de témoignagesd’hommes et de femmes ayantsoit assisté soit entendu parlerdes exactions commises àl’encontre des populations desPieds noirs et des Juifs. N’y a-t-ilpas risque de problème defiabilité et de crédibilité desinformations recueillies ?

Non, vous ne pouvez pas direça ! Dans mon film, il n’y a pas queles exactions. Il y a aussi lesconnivences, les solidarités etl’amour ! Rappelez-vous Aziz etBalestrieri, Katiba et Tata Angèle,Darsouni et Raymond, Tchi Tchi etses copains d’origine espagnole.

Quant à la fiabilité et lacrédibilité des informations, jepeux donc vous garantir quelorsqu’un témoin raconte ce qu’il avu ou lui-même fait, j’en ai eu laconfirmation par des dizainesd’autres, recueillis et souventfilmés avec ma petite caméra derepérage. Cette technique derecoupement a permis de limiterles risques de la reconstructionmémorielle. Que les journalistesaillent interviewer les Skikdis etles Oranais de plus de 60 ans. Ilsen sauront autant que moi sur cequi s’y est passé en 1955 et en1962.

Ce film ne préconise-t-il pasune vision manichéenne ? D’uncôté, les nationalistes musulmansqui apparaissent comme des«tueurs» ? Et de l’autre côté, lescivils non musulmans, victimes

des exactions commanditées parl’ALN. ?

C’est la question qui estmanichéenne, pas le film ! Car àl’inverse de l’histoire officielle, lamémoire populaire n’est pasunivoque. Dans le film, il y a aussides nationalistes qui épargnent desEuropéens, comme l’oncled’Aziz ! Idem pour Tchi Tchi àOran. Quant à l’Oranaise en haïkblanc, elle pousse des youyous dejoie en voyant défiler lesmoujahidines le matin du 5 juillet1962, mais pleure aussi en voyantpartir les Européens de sonquartier car dit-elle : «Ils ne nousont fait que du bien». AConstantine, un violoniste qui seprésente comme un fidaï, affirmebien que «Raymond ne valaitmême pas la balle qui l’a tué».Mais on voit aussitôt CheikhDarsouni quitter la loge du théâtre,en guise de désapprobation. Etdans la séquence qui suit, il nousdécrit Raymond avec beaucoupd’amour.

En mettant en lumière laresponsabilité des nationalistesalgériens dans les exactionscontre les civils européens, n’y-a-t-il pas risque de démystifiervoire de «désacraliser» la luttenationaliste algérienne ?

Sacralité et vérité sont deuxchoses bien différentes. MohamedHarbi, qui a tenu à défendre monfilm, a témoigné lors d’un débatqui a suivi une projection de monfilm à Paris, le 14 mars dernier,qu’il y avait eu «des dirigeantsnationalistes partisans dunettoyage ethnique». Le témoind’El Alia affirme bien que seschefs leur ont expliqué qu’il :«fallait tuer femmes et enfants,pour que les gouars s’en aillent enFrance». Celui de Skikda, tout ensachant que Balestrieri ravitaillaitl’ALN : «Si je l’avais trouvé surmon chemin, je l’aurais tué. C’étaitles ordres !». Celles d’Alger : «lesbombes visaient la populationétrangère». Celui de Constantine :«l’assassinat de Raymond visait àfaire partir la communauté juived’Algérie». Et ceux d’Oran : «Si iln’y avait pas eu le 5 Juillet 1962,les Européens seraient restés».

Ces témoignages et tous cestermes qui désignent l’autre enreligion, l’étranger «gaouri»,«roumi», «yahoud» indiquent bienqu’il y a eu à l’œuvre une penséede type ethnique fondée sur uneidée de pureté de l’identité et de la«race».

Après des décenniesd’héroïcisation de l’Histoire, etaprès les deux décennies «noires»,n’est-il pas temps que l’ons’habitue à l’idée que tous les paysont aussi leurs histoires sombres etque l’Algérie ne fait pasexception ?

(Suite et fin)Entretien réalisé à Paris

par Nadia Agsous

Jean-Pierre Lledo : Algérie, histoires à ne pas dire (Unspoken Stories)

Au cœur d’une démarche de réhabilitation de l’Absent

D. R

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La Nouvelle République — N° 3089 — Jeudi 17 avril 2008

CULTURE

12

La Nouvelle République : Tues né en Algérie où tu as grandiet vécu. Ton nom a uneconsonance européenne. Qui estJean-Pierre Lledo ?

Jean-Pierre Lledo : Je suis néà Tlemcen en 1947. Six moisaprès ma naissance, ma familleest allée vivre à Oran. En 1957,nous avons rejoint mon père àAlger. Il était interdit de séjourdans le département d’Oran, enraison de ses activités politiques.Il était communiste et pro-indépendantiste.

Ma mère est issue d’une trèsvieille famille de Tlemcen,d’origine berbèro-juive,implantée dans cette région bienavant l’arrivée des Arabes et del’Islam. Elle a quitté l’école àl’âge de onze ans pour travaillerdans l’usine de tapis (MTO). Attiaest son patronyme, un nomrépandu aussi bien chez lesmusulmans que chez les juifs. Safamille était ancrée dans la sociététlemcénienne. Son oncle et soncousin jouaient dans l’orchestrede cheikh Larbi Bensari, le grandmaître de la musique arabo-andalouse. C’est d’ailleurs auxsons de cet orchestre que lemariage de mes parents futcélébré.

Ma famille paternelle estd’Oranie. Elle a des originescatalanes. Lledo, mon nom defamille, signifie le micocoulier,un arbre de la Méditerranée. Sesbranches servent à fabriquer desbadines dont se servent lesjockeys. Selon les récits de monpère, c’est une arrière grand-mèrequi a migré à Oran à la recherched’un travail. Puis, elle a fait venirsa famille. Mes deux grand- pèresétaient ouvriers.

Une enfance partagée entreOran et Alger. Dans quelleambiance ?

Mon père était athée. Et mamère très peu pratiquante. Je neconnais ni les rites de la religionjuive ni ceux des chrétiens. Avecregret, je dois avouer, car cesdeux religions font partie dupatrimoine de l’humanité.

Mon père était ouvrier,membre du parti communistealgérien (PCA) et responsablesyndical à la CGT., organisationoù se regroupaient sansdistinction aucune desmusulmans, des chrétiens et desjuifs communistes. Il étaitpartisan de l’indépendance del’Algérie. Cette position étaitmienne également. Et dans malogique d’enfant, je rétorquais àtous ceux qui soutenaient lecontraire que «l’Algérie devaitêtre algérienne, comme la Franceétait française, l’Italie italienne,l’Allemagne allemande !». A lamaison, c’était le mélange. LeParti communiste algérien sedistinguait des autresmouvements politiques par le faitque sa composante était multi-ethnique. Des juifs, desmusulmans et des chrétiens s’ycôtoyaient pour lutter ensemble.Ils prenaient des coups de bâton et

allaient en prison ensemble. J’aibaigné dans cette ambiance.Comment peut-on, plus decinquante années plus tard, metraiter de «nostalgérique» ? Jesuis plutôt nostalgique de cettepériode où prédominait un espritfraternel et solidaire. D’ailleurs,de nos jours, le mot «nostalgie» atendance à prendre unesignification passéiste ouculpabilisante. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de revenir sur sonpassé ? Notamment quand on n’arien à se reprocher !

1962. L’indépendance del’Algérie. Ta famille a fait lechoix de rester en Algérie.

Dès l’indépendance, lasituation change. Les juifs et lesPieds noirs qui représentaient plusd’un million, soit un dixième de lapopulation algérienne totale,quittent l’Algérie subitement. En1962, la nouvelle Assembléeconstituante adopte la premièreConstitution algérienne quiinstitue l’Islam comme religiond’Etat. Puis le Code de lanationalité est adopté. Il stipuleque l’on est automatiquementAlgérien si l’on un grand-père etun père nés en Algérie…musulmans... Ces deux textesfondateurs instituent l’exclusiondes populations non musulmanes.Les Pieds-noirs et les juifsdeviennent ainsi des étrangers etce, malgré leur enracinement surcette terre. Pour obtenir lanationalité algérienne, il fallaitfaire la demande au ministère dela Justice. Certains l’ont obtenueau titre de l’article 8,(participation à la lutte pourl’indépendance de l’Algérie).C’est le cas de mon père. Maisbeaucoup de communistes qui ontrisqué leur vie pour l’Algérie, quiont été emprisonnés et torturésont pourtant vu leur demanderefusée ! Ils ont quitté l’Algérie.Humiliés !

Avec le départ de cespopulations, nous n’étions plusque «quelques particules» commel’a si bien dit le peintre algérien

d’origine espagnole, DenisMartinez dans mon film l’Oasisde la Belle de Mai. En juillet1962, je n’avais pas encore 15ans. Malgré le fait que ma famillesoit restée en Algérie, j’ai vécu ledépart de ces populations commeun profond traumatisme que j’airefoulé pendant de très longuesannées. Et c’est en quittantl’Algérie en 1993 pour desraisons essentiellementsécuritaires que j’ai pu me libérerde ce lourd fardeau en réalisantdes films dont les personnagesprincipaux sont d’origineeuropéenne : Denis Martinez,Lisette Vincent, Henri Alleg,Eliette Loup, Maurice Baglietto,Vincent Ivorra, Jean-Pierre Saïd,Yvette Maillot, Lucette Hadj Alinée Larribère, Juliette et GeorgesAcampora, Denise et RenéeDuvallet … A travers eux, jeretrouvais mes constituantsidentitaires. Jean Pelegri disaitavant sa mort : «On m’a refusé lanationalité algérienne. Maisj’espère au moins qu’on meconsidérera comme un écrivainalgérien…». La question d’unenouvelle société sur des basesmultiethniques qui aurait pupermettre aux différentescommunautés de vivre ensemblen’a jamais été pensée nienvisagée. Le nationalismealgérien repose sur des critères denature ethnique et religieuse. Et àtravers mes films, je tente dedéfendre l’idée toute simple selonlaquelle «l’algérianité» ne selimite pas à être arabe ou/etmusulman.

Algérie, histoires à ne pasdire est un film documentairequi semble s’inscrire dans unelogique de continuité de tesr é a l i s a t i o n scinématographiques.

Algérie, histoires à ne pas direest le troisième film d’une trilogiequi a un lien avec ma trajectoirebiographique. Algéries, mesfantômes a été tourné en France.Caméra sur l’épaule, j’ai sillonnéla France pendant une année. J’ai

ainsi filmé une vingtaine depersonnes qui avaient un lien avecl’Algérie. Un rêve algérien a étéconstruit sur la base d’unpersonnage principal : HenriAlleg. Ensemble, nous avons faitun voyage en Algérie afin qu’il yretrouve les copains qu’il n’avaitpas revus depuis plus de 40 ans.Ce sont ces rencontres que j’aifilmées. Je souhaitais tournerAlgérie, histoires à ne pas dire enAlgérie, sur le modèle du premierfilm mais pour des raisonssécuritaires, j’ai dû y renoncerpour adopter le modèle narratifd’Un rêve algérien.

Quel est le thème central dece documentaire d’une durée de2h40 ?

Algérie, histoires à ne pas direest un film sur la manière dontl’Absent - c’est-à-dire les Pieds-noirs et les juifs - est représentédans la mémoire collective enAlgérie. Il n’a pas la prétentiond’être un documentaired’historien. C’est une immersiondans la mémoire des hommes etdes femmes, âgés de plus decinquante ans, vivant en Algérieet qui ont vécu la périodecoloniale. L’objectif était derecueillir leurs récits relatifs à leurcohabitation avec les juifs et lesPieds-noirs et d’essayer decomprendre, au travers de cesrécits, les raisons de leur l’exode.

Quelle est la genèse de cefilm ?

Je voulais avant tout aller àl’encontre des idées dominantes.Et dans le cas des rapports entreles Pieds noirs, les juifs et lesmusulmans, l’idée qui prévautaussi bien en France qu’enAlgérie, c’est que les relationsentre les trois communautésétaient essentiellementconflictuelles. Les musulmansétaient des «colonisés» et lesseconds, des «colonisateurs» ! Jevoulais rompre avec cesstéréotypes. Et cela ne pouvait sefaire qu’en allant recueillir laparole de ceux et celles qui ontvécu cette période et qui ontcôtoyé cet «Absent». Deux idéespuisées dans la pensée del’écrivain pied-noir Jean Pélegriont inspiré ma démarche. D’unepart, l’idée de la complémentaritédes mémoires qui consiste à direqu’on n’a jamais la mémoire desoi-même mais que le Berbéro-Arabe a la mémoire du Pied-noiret du juif, et vice versa. Laseconde étant que sous l’histoireapparente et cruelle car faite deguerres et de conflits, il y al’histoire souterraine qui foisonnede rapports amicaux, de bonvoisinage, de connivence, voired’amour. Et du point de vue de cetécrivain, l’histoire souterraine estcomplètement occultée, voire niéepar l’histoire apparente. A traversmon film, j’ai voulu mettre enlumière ces deux histoires.

(Suivra...) Entretien réalisé à Paris

par Nadia Agsous

Jean-Pierre Lledo : Algérie, histoires à ne pas dire (Unspoken Stories)

Au cœur d’une démarche de réhabilitation de l’Absent

CCF

Conférence Philosophie –mondialisation

Jeudi 17 avril à 14h30 au centreculturel français d’Alger, sera

organisée une conférence autour duthème Justice et violence, animéepar Francisco Naishtat, directeur duprogramme au Collège internationalde philosophie à Paris, professeur àl’ Université de Buenos Aires.On partira de la discussion chezDerrida (Force de Loi, Galilée, 2005)d’un excès de la justice par rapportau droit, dans le sens où lademande de justice débordetoujours le monde institué et codifiédes lois. La discussion chez WalterBenjamin (Critique de la violence)d’une violence politique (noncausale) qui n’est ni moyen en vued’une fin ni violence fondatrice dudroit (violence constituante) maisune certaine puissance du Noncomme capacité de déjouer lepouvoir sera revue en filigrane autexte de Derrida. Y sera discuté laquestion dérivée de l’existence ounon d’une violence performative etillocutionnaire, au sens d’uneviolence non causale, non adresséeà ses coups d’effets mais d’unemanière plus performative à lademande (inconditionnelle etactuelle) de justice ou, ce quirevient au même, au refus(inconditionnel et actuel) d’injustice.Ici sera examiné l’exemple de ce quis’est produit en Argentine en 2002avec le «Que se vayan todos», enscrutant ses puissances et seslimites. Enfin, la position de WalterBenjamin sera confrontée auxthèses sensiblement différentes deHannah Arendt, qui éradique laviolence de la sphère politique. Parmi ses publications : Philosophiepolitique et horizon cosmopolitique,Paris, Cahiers de l’UNESCO,sélection d’articles de la journéed’étude sur le cosmopolitisme ducollège international de philosophie,sous la direction de FranciscoNaishtat, dans le cadre de la journéede la philosophie de l’UNESCO de2004, édité à Paris, UNESCO, 2006.

R. C.

Salle Ibn Zeydoun / CCF

Concert de jazzLe CCF organisera, aujourd’hui à19h30, à la salle Ibn Zeydoun, unconcert de jazz avec laremarquable saxophoniste SophieAlour, accompagnée de DonaldKontomanou (batterie), SylvainRomano (contrebasse) et LaurentCoq (claviers).Prix du billet : 200 DA, en vente àla salle Ibn Zeydoun.

D. R.

Algérie, histoires à ne pas dire.

Un film qui dérange

mardi 25 mars 2008,

Le libertaire

Ce film du cinéaste algérien Jean Pierre Lledo a déjà fait couler beaucoup d’encre (d’encre

d’imprimerie s’entend ) car en Algérie les débats se pratiquent presque uniquement par voie

de presse. Ce serait une erreur de penser qu’ils intéressent le grand public. Ce dernier est

accaparé, stérilisé par ses problèmes de vie chère, de transport de logement, d’emploi et de

lourdeurs bureaucratiques. Dans l’Algérie actuelle, seule une minorité politisée se sent

concernée par les problèmes de mémoire, de repentance, de séquelles de la guerre d’Algérie,

la première, la guerre d’indépendance. La nouvelle guerre – encore en cours – qu’on pourrait

appeler guerre de réislamisation ne suscite guère de polémiques. Pour le citoyen lambda, il

s’agit de sauver sa peau, pour les autorités d’éliminer un terrorisme d’autant plus difficile à

éliminer qu’il a recours depuis quelque temps aux kamikazes que l’endoctrinement par l’école

publique et les mosquées d’un pays où l’islam est la religion de l’Etat, joint au désespoir

social (pire que la misère du même nom) permet de recruter sans difficultés (mais nous voici

hors du sujet.) Cela a-t-il à voir avec le film de J.-P. Lledo ? A priori non. Et pourtant, le

principal obstacle à la fusion entre les communautés, avant l’indépendance, a été

l’incompatibilité des religions. Ce préambule tout juste pour dire que si vous interrogez

l’homme de la rue, vous découvrez qu’il n’a même pas entendu parler du film. Restons donc

au niveau des intellectuels.

Ce film devait être projeté en 2007 à Alger à l’occasion de la manifestation appelée, de façon

surréaliste « Alger capitale de la culture arabe. » Non seulement il ne l’a pas été mais il ne le

sera jamais parce qu’il affiche des vérités qui dérangent, parce qu’il égratigne un mythe bien

ancré dans la vulgate officielle et enseigné aux écoliers : celui de la glorieuse révolution

algérienne, de l’héroïque peuple algérien qui s’est levé comme un seul homme pour recouvrer

son indépendance et qui a réussi, au prix de un million et demi de morts, à vaincre une

puissance coloniale soutenue par l’OTAN, le mythe d’une Algérie humiliée et exploitée par

un million de colons enrichis en exploitant le burnous. C’était une Algérie sans Algériens. En

chiens de faïence, d’un côté les Européens tous catalogués racistes et exploiteurs, de l’autre

les musulmans (on avait cessé de dire les Indigènes connotés Indigents et les Arabes tellement

discrédités par la terminologie coloniale).

Et voilà que le film de Jean Pierre Lledo jette un pavé dans la mare, interpelle les esprits

soucieux de vérité. Il s’est appuyé sur des témoignages d’individus pour présenter d’autres

aspects de la réalité, avec ses lumières et ses ombres.

Il évoque d’abord la tragédie du 20 août 1955. Sur ordre de Zighout Youcef ; chef ALN du

Nord Constantinois, des civils arabes, encadrés par des militaires de l’ALN, ont massacré tous

les civils français qui leur tombaient sous la main (sans épargner les femmes, les enfants et les

vieillards.) En réaction à ce peu glorieux fait d’armes, l’armée française, fidèle à ses méthodes

inhumaines, a massacré quelques milliers de civils algériens, en majorité innocents.

L’originalité du film est de montrer l’intervention de colons français de la région qui ont

sauvé de la mort quelques centaines d’Algériens. Il se trouve aussi que Lyazid, un officier de

l’ALN, avait sauvé du massacre des civils français. Par la suite, cet officier trouvera la mort

dans des circonstances non éclaircies.

Le film interroge aussi des survivants sur l’assassinat de Raymond Leyris, ce maître du

malouf, une musique arabo-andalouse. A-t-il été tué pour creuser un fossé entre les communautés

juive et arabe de Constantine ? Est-ce sur ordre du FLN ou des services secrets français ? Toujours est-

il que les portraits de 5 musiciens arabes figurent sur un mur du centre de la ville mais pas celui de

Raymond Leyris.

La caméra nous transporte ensuite à Alger pour aborder le problème du terrorisme urbain par

les réseaux FLN de la zone autonome d’Alger. Intervention de Louiza Ighilahriz arrêtée et

sauvagement torturée Elle évoque la célèbre réplique attribuée à Larbi ben Mhidi : « Donnez-

nous vos tanks et nous vous donnerons nos couffins » ceci pour justifier les bombes dans des

cafés fréquentés par des Français.

Cela me fait penser que, selon Albert Camus : « Seule est juste une cause dont les moyens

sont justes. » Hélas ! l’Histoire fourmille de causes justes qui ont employé des moyens

injustes.

Cela étant, les bombes dans des cafés ne sont justifiées ni moralement – elles tuent surtout des

innocents - ni politiquement, elles ont entraîné une répression sauvage qui a anéanti les

réseaux FLN à Alger et débouché sur la bleuite dont ce n’est pas le lieu de parler ici. A la

rigueur pourrait-on présenter ces attentats comme une réponse au dynamitage en pleine nuit

d’un immeuble de la rue de Thèbes, dans la Casbah d’Alger par des terroristes français : il y

eut 55 civils algériens tués (hommes, femmes et enfants.) Encore que la barbarie des uns ne

justifie pas celle des autres.

Le quatrième drame évoqué dans le film ne bénéficie d’aucune justification. C’est de la

barbarie absolue, de la lâcheté inexcusable. Le 5 juillet 1962, le jour de l’indépendance de

l’Algérie, des familles françaises se préparaient à plier définitivement bagages, et beaucoup

d’autres voulaient rester ! Des Algériens d’Oran, qui n’avaient pas affiché une bravoure

exceptionnelle pendant la guerre de libération, ont-ils voulu jouer aux combattants de la

25ème heure ? Toujours est-il qu’Oran fut la ville d’Algérie où la cohabitation entre les

communautés d’origine différente fut la mieux réussie. Peut-être y ajoutera-t-on à Alger les

quartiers populaires de Bab el Oued et de Belcourt et aussi, pour la minorité juive, les

Casbahs d’Alger et de Constantine. Le film montre de façon émouvante la cohabitation

chaleureuse dans certains quartiers populaires d’Oran.

En définitive, le film de J.-P. Lledo souffle une bouffée d’oxygène mental. Il a le mérite et le

courage de dire des vérités, même celles qui dérangent, même si certains détails appellent la

contestation. Du côté algérien, il est le seul à l’avoir osé pour le grand public, par le son et

l’image. Si maintenant vous écoutez les survivants civils de la guerre, vous entendrez des

témoignages qui ne sont pas à l’honneur de l’ALN, non pas en tant que corps constitué, mais à

travers le comportement arbitraire voire criminel de certains de ses éléments. Laissez tomber,

diront certains ; la guerre est finie, le rideau tiré, laissons venir l’oubli. Attitude impossible.

La nouvelle génération veut savoir, demande des comptes, n’accepte plus le mythe. Combien

de fois ai-je entendu des jeunes nous reprocher « d’avoir chassé les Français » pour les

remplacer par le système actuel bien pire ?

A ceux qui doutent qu’une Algérie pluriethnique eût pu être possible, je conseillerais d’aller

rendre visite à monsieur Georges Pisani qui continue à vivre à Kouba, dans la banlieue

d’Alger où il se lève à l’aube, chaque matin, pour traire sa quarantaine de vaches laitières.

Lorsqu’il s’est décidé à épouser sa compagne musulmane, les autorités tant algériennes que

françaises s’y sont opposées (pour les premières, le fiancé n’est pas musulman, pour les

secondes la dame ne réside pas en France.)

De toute façon, la plupart de ceux qui ont critiqué le film s’indignent de son interdiction en

Algérie. Le pouvoir actuel reproduit fidèlement des gestes coloniaux. Il continue à considérer

le peuple comme incapable de juger. Il fait fi tout bonnement de ce proverbe populaire : « On

ne peut pas cacher le soleil avec un tamis. » Surtout pas à l’ère d’Internet et des DVD. J’ai vu

le film à Paris, en avant première, dans la salle du Reflet Médicis au cœur du quartier Latin :

elle était archicomble ; un débat a suivi, passionné. Pourquoi en priver, en Algérie, un public

soumis par ailleurs à tant d’autres privations ?

Le Libertaire

SUITE AUX ANNULATIONS DES 3 AVANT-PREMIERES

à ALGER,CONSTANTINE, ET ORAN, les 13, 14, 15 juin 2007

JEAN-PIERRE LLEDO ORGANISE les 29 et 30 juin 07

3 PROJECTIONS PRIVEES A ALGER

Compte-rendus de 4 journalistes de la presse algérienne…

3 Projections privées du film de JP LLEDO, El Watan, 3 juillet 07

Edition du 3 juillet 2007 > Culture Documentaire de Lledo Projections privées Le réalisateur Jean Pierre Lledo a fini par recourir à des projections privées pour montrer son film documentaire intitulé Ne reste dans l'oued que ses galets. Trois séances organisées vendredi et samedi, réunissant lors de chaque projection une quarantaine de personnes, ont permis à un public d'invités de découvrir le documentaire qui a déjà fait couler beaucoup d'encre avant que son contenu ne soit connu. Le film d'une durée de trois heures revient avec des témoignages d'Algériens vivant actuellement en Algérie sur des périodes douloureuses de la lutte de Libération nationale en s'attaquant à un tabou jusque-là inviolé : la guerre d'Algérie n'a pas fait des victimes uniquement du côté des colonisés. De nombreux civils d'origine européenne dont des femmes, des enfants et des vieillards sont tombés soit lors d'attentats à la bombe perpétrés dans des lieux publics, soit lors de massacres à grande échelle, comme ce fut le cas lors des événements du 20 août 1955 dans la région de Skikda ou en juillet 1962 dans certains quartiers de la ville d'Oran. Et, fait encore plus regrettable, certains parmi ces derniers vivaient en bonne intelligence avec les musulmans, voire ont soit protégé des musulmans, soit aidé d'une manière ou d'une autre la révolution. Une autre partie du film aborde, mais sans le percer, le mystère de l'assassinat du chanteur constantinois d'origine juive Raymond Leyris qui a été tué d'une balle dans la tête à Constantine en 1961. J. P. Lledo est le premier réalisateur algérien à oser aborder des sujets qui fâchent parce qu'ils évoquent des aspects de la révolution qui sont occultés depuis l'indépendance. Le film, notamment concernant les événements de Skikda d'août 55 et d'Oran le 5 juillet 1962, n'hésite pas à parler, à travers les témoignages, de l'implication des responsables locaux (Zighoud Youcef pour le cas de Skikda) dans le terrible sort fait à la population d'origine européenne. Avant le début de la projection, J. P. Lledo a pris la parole pour faire un rappel du conflit qui l'oppose depuis près de trois semaines aux responsables de la manifestation culturelle Alger, capitale de la culture arabe représentant le ministère dirigé par Mme Khalida Toumi. La projection de samedi a été suivie d'un débat durant lequel le documentaire a été soumis à des critiques parfois assez sévères qui ont porté aussi bien sur le contenu que sur la manière avec laquelle a été mené le film. Ce que l'on peut retenir notamment des réactions de ceux qui ont vu le film, c'est que les autorités n'avaient pas à se substituer au public en recourant à la détestable pratique de la censure. A. Ancer

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Sur les traces de l'absent, Info Soir, 2-3 juillet 07

Arts et Culture Edition du 2/7/2007 «Ne restent dans l'oued que ses galets» Sur les traces de l'absent Par Yacine Idjer

Histoire n Une projection privée du long-métrage de Jean-Pierre Lledo a eu lieu, vendredi, à la maison d'édition Lambda, à Hydra. Le film, un documentaire long de trois heures, s'ouvre d'emblée sur l'indépendance de l'Algérie. C'est aussi le départ précipité, l'exode massif des pied-noirs. Plus de quarante ans après, le réalisateur, Jean-Pierre Lledo, cherche à comprendre les raisons de cette rupture – une tragédie historique. «Le film traite de la mémoire», a dit le réalisateur, avant de préciser : «je ne suis pas historien.» Et d'ajouter : «la question de la mémoire m'intéresse», car elle permet de dépister les vérités et, du coup, de comprendre, selon lui, les réalités du présent. Le réalisateur met en scène trois personnages. Aziz, Katiba et Hamid reviennent sur leur passé. Ils évoquent avec nostalgie les lieux de leur enfance. Ils racontent leurs rapports de bon voisinage avec l'autre, le pied-noir, chrétien ou juif, d'origine française ou espagnole. Ces trois personnages, à Skikda, à Alger ou à Constantine, vont d'une rencontre à l'autre, d'un témoignage à l'autre. Des personnes rencontrées évoquent les «bons rapports avec les pieds-noirs», et nombreux sont ceux qui, parmi eux, ont soutenu la cause algérienne. Ils se disaient Algériens. Il se trouve, toutefois, que ces Français, chrétiens ou juifs, eux aussi Algériens, sont absents de la mémoire collective algérienne. D'où la question : pourquoi ? Quant au quatrième personnage, Kheïredine, un jeune Oranais, il va, lui, à la rencontre de l'ancienne génération, de ces hommes et de ces femmes qui ont vécu en bon voisinage avec les pieds-noirs. Tous disent qu'il existait, malgré le conflit armé, une entente entre musulmans, chrétiens et juifs, entre algériens et européens (espagnols). «On vivait bien ensemble, on était heureux», dit un témoin. «On a pleuré leur départ», dit un autre. Mais tous s'accordent à dire que «l'OAS a rompu les liens entre algériens et pieds-noirs. «Cela revient à dire que si la France n'avait pas joué l'ultime carte, celle de l'OAS, les pieds-noirs seraient restés en Algérie et seraient devenus algériens», ont-ils dit. L'histoire aurait alors pris une autre tournure et il y aurait eu moins de déchirements. Les témoignages recueillis, çà et là, font état d'une cohabitation entre les trois communautés. Ce n'était certes pas une cohésion sociale, mais une coexistence humaine. En dépit des inégalités sociales, chacune des communautés a pu transcender les préjugés ethniques, les différences religieuses et les clivages culturels. Info Soir Yacine Idjer

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INTERDIT DE DIFFUSION, LLEDO LE PROJETTE QUAND MÊME, L'Expression, 2 juillet 07

INTERDIT DE DIFFUSION, LLEDO LE PROJETTE QUAND MÊME

Et la polémique est lancée... Malgré le mauvais sort qui lui est jeté, le film Ne restent dans l'oued que ses galets a été finalement projeté en cercle fermé, samedi dernier, à Alger. En présence de Mohamed Harbi et quelques privilégiés curieux, le film qui fait près de 3 heures, a soulevé autant de questions qu'il a suscité un vif débat au sein du public. Quoi penser? L'auteur de ce film, entamé en 2005, dit d'emblée ne pas avoir voulu recourir aux images d'archives qui peuvent prêter à manipulation. Or, ces dernières n'apparaissent qu'au début. Il s'agit des Français, juifs ou pieds-noirs que Lledo pose, d'emblée, comme des victimes. La caméra suit quatre personnages algériens sur la trace de la «vraie vérité». Mais ce qui compte pour Lledo est non pas l'histoire avec un grand H, mais les histoires...personnelles. Les vérifier, dit-il, par souci de mémoire. Ne restent dans l'oued que ses galets étant la dernière partie qui clôt une sorte de trilogie d'exil, qui a pour unité temporelle, l'Histoire coloniale algéro-française, pour approche, la fraternité et pour sujet principal, la mémoire et l'identité. Jean-Pierre Lledo suit ses quatre alter ego, en quête de leur enfance ou jeunesse durant les années de guerre qui furent aussi les dernières décennies de la colonisation française...Aziz Mouats, à Skikda, se demande pourquoi 23 membres de sa famille furent tués à l'époque, où son oncle, chef d'un groupe, veillait sur les colons voisins...Il est aussi décrit, dans ce portrait, la manière sauvage dont on assassinait les Français, femmes et enfants. Cela rappelle un peu les actes barbares du terrorisme...Fille de Bab El Oued, Katiba Hocine anime une émission radiophonique sur l'histoire coloniale de l'Algérie et revient sur les lieux de son enfance. Elle est mal accueillie, et confondue avec une gaouria. L'ex-directeur de l'Oref, Hamid Bouhrour, retourne avec son petit-fils à Constantine et soulève la polémique autour de l'assassinat de cheikh Raymond. Enfin, à Oran, le jeune metteur en scène qui s'apprêtait à adapter Les justes d'Albert Camus, Kheïreddine Lardjam, n'a qu'une idée en tête: confirmer les dires de sa cousine, selon lesquelles au moment des liesses du 5 juillet 1962, à Oran, on a tué des centaines de Français pour se venger. Des vérités que d'aucuns savent mais que tout le monde nie car n'ayant rien vu ni entendu. Tchtitchi, de son nom de jeune premier de l'époque, est aujourd'hui un vieux sur une chaise roulante. Il se remémore ses souvenirs et pleure le bon vieux temps où il allait danser et chanter avec ses copains espagnols...«a-t-on le droit de tuer n'importe qui, au faciès, c'est la problématique de mon film qui porte essentiellement sur l'autre». Idéaliste et par-dessus tout humaniste, Lledo, cela justifie-t-il le fait de harceler une Louisa Ighil-Ahriz pour savoir pourquoi tuait-on des civils innocents, devant une katiba confuse? Louisa, n'est-elle pas non plus une victime innocente de cette bêtise humaine qu'on appelle «la guerre»? Lledo part du constat qu'il y eut échec de la logique coloniale qui a visé le fossé, selon lui. Aussi, lors du débat, s'agissant des nationalistes, Lledo qualifie leur acte d'ethnocide. «Le personnage principal est mon alter ego, impliqué personnellement dans l'Histoire évoquée, et donc sachant écouter d'une oreille active, non complaisante, comme un homme qui cherche à comprendre plus qu'à juger, et dont la démarche est plus une quête qu'une enquête...», explique dans le dossier de presse, Lledo. Je considère que l'Algérie s'est fait déposséder d'une richesse extraordinaire: le mélange des origines et des civilisations...et je vis cela comme un drame personnel. La colonisation n'était certes pas la forme idéale pour que s'effectue ce mélange, mais l'idéal n'est pas une catégorie de l'Histoire réelle. De tout temps et presque partout, le mélange s'est fait par la guerre, la conquête, les migrations de la pauvreté et du désespoir. Les 4 couples du film, d'une certaine manière, transforment l'échec de l'Histoire, en son contraire. Ils démontreront, en tout cas, que l'Histoire aurait pu se faire autrement. Et de renchérir: «J'aimerais que le film fonctionne comme une tragédie shakespearienne. Plus on se rapproche les uns des autres et plus le sang coule et plus le sang coule, plus on se rapproche...» Cependant, au-delà des idéaux pacifistes incontestés de l'intellectuel Lledo qui «rêve» de paix, de mélange et de fraternité, reste le sentiment de gêne, de culpabilité et d'ambiguïté qui plane sur ce film en étant aussi palpable que le sang sous-entendu. Et comme toute vérité n'est pas bonne à dire, selon le vieil adage, et d'autant plus vrai pour les «officiels», il ne serait pas étonnant que Ne restent dans l'oued que ses galets soit, effectivement, cette fois, censuré. Or, toutes les guerres sont sales par essence! D'où la volonté du réalisateur d'inscrire ce film dans l'universel et sortir de la dimension algéro-algérienne, ou algéro-française...Mais 43 ans après l'indépendance, sommes-nous prêts réellement à tout entendre? La réponse serait-elle seulement dans le camp de «Alger,

capitale de la culture arabe?». Et l'avis des autres Algériens alors? * L' Expression O. Hind

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Lledo accuse les dirigeants de la révolution d'exterminer les civils européens.Ech Chourouq,1-7-07

Ceci est une traduction littérale d'un article d'un quotidien arabophone à grand tirage, Ech Chourouk, connu pour cultiver le sensationnel, et amalgamer antisionisme et

antisémitisme. Cet article est un tissu de mensonges, du début à la fin. Je l'ai dit à cette journaliste, Zahia Mancer, lors de la conférence de prese que j'ai tenue devant plus d'une dizaine de journalistes, à Alger le 3 Juillet 07.

La « Villa » d'Hydra est une jeune Maison d'édition qui nous a courageusement accueilli pour 3 projections non « secrètes » mais « privées » où notamment tous les journaux sans exception étaient invités. Public : il y avait peut être des spectateurs affiliés à des partis, mais ce sont des individus qui étaient invités. Quant aux « Pieds-noirs », il y en avait 2 : la sœur d'Henri Maillot,

communiste, tué dans les maquis par l'armée française en 1956, et un compagnon de Fernand Yveton, communiste, guillotiné en1957 à Alger. Mais la journaliste a reconnu ignorer l'identité de ces 2 partisans de l'indépendance algérienne. Contenu du film : personne ne parle d'Amirouche dans le film !!! (pour Skikda Aout 55, c'est Zighout Youcef, responsable de l'opération qui est cité)

Pour le reste, la journaliste est libre de ses opinions, bien que peu étayées, et pour Toronto, chacun aura rectifié. Jean-Pierre Lledo ............................................................... L'ARTICLE d'Ech CHOUROUQ, 01/07/2007 : "Jean-Pierre lledo blanchit l'image du colonialisme et accuse les dirigeants de la révolution d'exterminer les civils européens. Le film de Jean-Pierre Lledo « Ne restent dans l'oued que ses galets » a été projeté avant-hier dans une villa à Hydra, d'une façon presque secrète en la présence d'un nombre de médias et un groupe très choisi de Pieds-noirs en Algérie et quelques personnes comptées sur le parti MDS en plus de Monseigneur Teissier. Le film documentaire a duré 3H. Lledo repose a travers ce film le problème de la relation entre les civils européens, juifs, chrétiens, d'un côté et les musulmans d'un autre côté et cela à travers des souvenirs de quatre Algériens musulmans à Alger, Oran, Constantine et Skikda. Le côté technique du film est plus qu'une merveille, concernant l'effort sur la qualité du son et de l'image et de la musique qui correspondait aux critères du film documentaire, bien que quelques présents ont critiqué la longueur du film : 3H entières pour un film documentaire. Du côté du contenu, Jean-Pierre Lledo n'était non seulement imprudent, mais il est allé jusqu'au responsabiliser la révolution et ses dirigeants qu'il a accusé de donner des ordres pour exterminer les civils européens et de poser des bombes dans les lieux publics où il y avait une majorité européenne, le film décrit la relation entre les Juifs et les Chrétiens et les musulmans de normale et belle, et la fraternité et le respect régnait au point où quelque colons abritaient des familles algériennes, mais la révolution à changé ces choses et a installé la haine entre les deux côtés à un point où on ne comprenait pas pourquoi la révolution s'est déclenchée et le peuple l'a adoptée si les Européens et les Algériens étaient sur ce haut niveau de fraternité. Ce qui est dans le film peut être décrit comme dangereux car il dit que les Européens qui ont quitté l'Algérie n'allaient pas l'a quitter s'ils n'avaient pas été exposés à la tuerie des mains des Algériens et avec l'approbation des dirigeants. L'un de ceux qui parlaient dans le film à évoqué que Amirouche a donné son accord pour exterminer les civils européens : le 20 Aout 1955 à Skikda. Le dangereux dans le travail est que Lledo prétend que les exterminations qui ont été pratiquées en Algérie contre les Chrétiens et les Juifs et n'ont pas fait exception pour les enfants et les femmes, étaient égorgés sur les paroles de « Allahou Akbar pour le djihad pour Dieu ». Le réalisateur a voulu mettre un sens à l'appel à la prière ou la citation du Coran chaque fois qu'il s'agit de parler de tueries pratiquées contre les Européens ce qui peut donner l'idée que les pratiques contre les Européens avaient une légitimité de croyance et religieuse. De plus la majorité des personnes qui parlaient dans le film racontaient les histoires comme ils les avaient entendues des autres. Ces témoignages font croire que les témoins de ces histoires sont des personnes minutieusement choisis peut être parce que le travail a voulu innocenter la présence des Français en Algérie surtout lorsqu'on parlait des côtés positives de la colonisation et les événements des régions à Paris. Jean-Pierre Lledo a essayé de défendre son travail en disant que c'est un travail audacieux qui repose quelques affaires concernant la présence des Français en Algérie et il faut avoir le courage de poser toutes les affaires aux débats même si elles blessent. Lledo s'interroge au cours de sa discussion sur les raisons qui ont poussé le Ministère de la culture à annuler la projection à la salle d'Ibn Zeïdoun. Lledo a dit qu'il a présenté une copie du film à la commission, et sa volonté de sortir officiellement le film dans les salles de cinéma après les vacances et qu'il va participer dans plusieurs festivals comme le Festival de Toronto en Italie." Zahia Mancer. Ech Chourouq