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16 RÉSEAU / AUTOMNE 2001 Ainsi, en cinq ans (1995-1999), les universités québécoises ont perdu en moyenne 87 professeurs par

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16 RÉSEAU / AUTOMNE 2001Ainsi, en cinq ans (1995-1999), les

universités québécoises ont perdu

en moyenne 87 professeurs par

RÉSEAU / AUTOMNE 2001 17

L’AVENIR DE L’UNIVERSITÉ

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Quête du savoir ou«macdonalisation»

de l’enseignement supérieur?

Quelque neuf cents ans plus tard,cette liberté est devenue somme touterelative. Après avoir été entre les mainsdes étudiants, puis des professeurs,l’université est de plus en plus assujet-tie aux objectifs utilitaires de la société.Jadis à l’avant-garde du développementdes connaissances et de la pensée criti-que, l’institution devient aujourd’hui deplus en plus inféodée aux impératifspolitiques et économiques qui gouver-

nent la nouvelle « société du savoir ».S’inscrivant dans le courant du néolibéralisme, ce

changement de cap provoque des tensions entre ceuxqui ont une conception humaniste de l’université et ceuxqui en ont une vision «utilitaire». En bref, les premiers laconçoivent comme un lieu de réflexion privilégiée, in-dépendant des pouvoirs économiques et politiques. Lesseconds la perçoivent comme une institution destinée àformer des gens capables de répondre aux besoins dumarché.

Cette seconde conception tend actuellement às’imposer au Québec. Cela se traduit, notamment, parl’emprise croissante du secteur privé sur les universités.Alors qu’autrefois on donnait aux salles des universités lenom d’universitaires émérites tels que Édouard Montpetit,elles portent aujourd’hui les noms de Bell, Téléglobe,Industrielle-Alliance. Autre exemple : l’augmentation dunombre de programmes de subvention repose sur uneparticipation croissante du secteur privé. En témoigne,entre autres, le Fonds canadien pour l’innovation (FCI).

Bologne, début du 12e siècle. La première université voit le jour.

L’institution jouit d’un statut d’extra-territorialité qui la soustrait à

l’influence du prince et de l’Église. Cette distance lui permet de jeter

un regard critique sur le monde. Il s’agit du fondement de l’autonomie

universitaire ou encore de la liberté académique. Ce sujet fait encore

couler beaucoup d’encre. Et pour cause.

Ce rapprochement avec les entreprises privées a sus-cité bon nombre de critiques. Comme les effectifs profes-soraux sont limités, des universitaires craignent que larecherche commanditée se fasse au détriment de la recher-che fondamentale et de l’encadrement des étudiants. Deplus, ils estiment que ce mode de financement a desrépercussions négatives sur l’autonomie des universités.Bref, ils croient que l’université est en train de reléguerau second plan le rôle central qu’elle joue dans l’élabo-ration des connaissances et leur diffusion.

Pourtant, et c’est préoccupant, la majorité des person-nes interrogées dans le cadre de ce dossier tiennent despropos rassurants sur les transformations en cours. Cetteévolution risque pourtant de se faire au détriment de lamission première des institutions de haut savoir, soit formerdes citoyens capables de faire preuve d’esprit critique.

L’emprise croissante du secteur privéNe devrait-on pas s’inquiéter du rôle de plus en plusimportant que joue l’entreprise privée dans les universi-tés ? Benoît Godin, professeur en urbanisation à l’Insti-tut national de recherche scientifique (INRS), expliquequ’il n’y a pas encore lieu de s’alarmer. « Les professeursqui font de la recherche commanditée figurent parmiles plus actifs en recherche fondamentale et en ensei-gnement. Ces professeurs ne substituent pas un modede recherche à un autre, mais établissent des liens entreles deux. Si dichotomie il y a, ce n’est pas entre la recherchefondamentale et la recherche appliquée, mais entre lesprofesseurs qui font seulement de la recherche fonda-mentale et ceux qui font les deux à la fois. »

DossierDossier

PAR CLAIRE HARVEY

18 RÉSEAU / AUTOMNE 2001

Recherche universitaireDes effectifs et des structuresLa recherche universitaire au Québec se

fonde sur les compétences d’environ

neuf mille professeurs-chercheurs actifs

dans tous les domaines du savoir, sans

compter les chercheurs, les profession-

nels de la recherche et les étudiants de

2e et 3e cycles. Cette recherche est

réalisée dans vingt établissements

universitaires, dans les centres de

recherche hospitaliers et dans les

centres de recherche et de transfert en

partenariat. On compte plus de trois

cents laboratoires, centres ou regroupe-

ments de recherche universitaires et

hospitaliers, et près de cinquante

chaires industrielles.

Directeur du Groupe de recherche sur l’ensei-gnement supérieur (GRES) et professeur en socio-logie des sciences et en technologie à l’INRS,Michel Trépanier abonde dans le même sens.« Il y a trois ans, nous avons mené une recherchesur les laboratoires universitaires travaillant en col-laboration avec l’industrie pharmaceutique. Dansle cadre de cette étude, nous avons réalisé que lamajorité des chercheurs universitaires réinvestis-saient l’argent des commandites dans des activitésde recherche fondamentale, soit dans les équipe-ments des laboratoires ou encore pour financer enpartie les travaux de doctorat et de post-doctorat. »

Cependant, poursuit Benoît Godin, égalementdirecteur de l’Observatoire des sciences et destechnologies (OTS), il ne faudrait pas que les recher-ches appliquées ne constituent que la moitié del’effort total de recherche. « Si c’était le cas, lesuniversités deviendraient un peu comme de gran-des boîtes de consultants. » À son avis, l’augmen-tation des fonds d’aide à la recherche, tantfédéraux que provinciaux, peut contribuer à main-tenir un équilibre. «Mais comme une partie de larecherche doit être utile au marché, il y a lieu deregarder de près l’évolution de la situation.»

Les contrats de performance :La réussite dangereuse?À ce contexte s’ajoutent les nouvelles règles dujeu introduites par le ministre de l’Éducation,François Legault. En février 2000, celui-ci publiela «Politique québécoise à l’égard des universités».Une politique qui exerce une grande pression surles gestionnaires universitaires. Il faut dire que leversement des deux tiers des investissements de600 millions de dollars promis lors du Sommet duQuébec et de la jeunesse est conditionnel à l’at-teinte par les établissements des objectifs qu’ils sesont fixés dans les contrats de performance. Au

nombre de ces objectifs figure, entre autres, l’obli-gation d’augmenter le taux de réussite des étu-diants, soit le taux d’obtention des diplômes.

À cela s’ajoute un autre point d’interrogation.« Sommes-nous en train de définir la réussitescolaire en fonction d’un seul critère : l’obtentiondes diplômes?», se demande Pierre Doray, pro-fesseur de sociologie à l’Université du Québec àMontréal et directeur du Centre interuniversitairede recherche sur la science et la technologie(CIRST). «Pour avoir une meilleure idée de la situa-tion, il faudrait savoir ce qui arrive aux étudiantsaprès qu’ils aient quitté l’université avec un diplômeou non, dit-il. Bon nombre d’étudiants vont trou-ver un emploi et utiliser au travail le savoir acquis àl’université, même s’ils n’ont pas obtenu leur di-plôme. Cela veut dire qu’il y a une valeur ajoutéeparce qu’ils ont été à l’université. »

Pierre Doray souscrit toutefois à l’idée qu’il fautaméliorer la réussite scolaire. « Les contrats de per-formance ne changent rien pour les étudiants quiont de bonnes notes. Cette formule de finance-ment pose toutefois l’enjeu suivant : il faut accor-der un meilleur soutien aux étudiants qui éprouventde la difficulté. »

Même son de cloche de la part de GuyMassicotte, directeur du bureau de la planificationà l’Université du Québec. « Les contrats de perfor-mance ont l’intérêt de recentrer l’université sur sespriorités, soit de faire en sorte que les étudiantscomplètent leur formation », dit-il en ajoutant quel’Université du Québec se préoccupe de cette ques-tion depuis une bonne dizaine d’années.

Clément Lemelin, professeur au Départementdes sciences économiques de (UQAM), explique quele ministère de l’Éducation cherche ainsi à évaluerla gestion des universités. « Le Ministère veut queles gestionnaires des universités lui rendent descomptes parce qu’il est lui-même imputable auprèsde la population de la façon dont il dépense les

LES DÉFIS DE LA FORMATION SUR MESURELa formation sur mesure (souvent appelée formation con-tinue) est une façon pour les universités d’être au servicede la collectivité. Le développement de cette formation pré-sente toutefois de nombreux défis.

Denis Rhéaume, professeur invité à l’Université du Québecà Trois-Rivières (UQTR) et professeur-chercheur à l’INRS,estime que cette formation devrait devenir un axe reconnude la formation universitaire. « La formation sur mesure estnon seulement importante pour la société québécoise, mais aussi pour les institutionsd’enseignement supérieur. Elle constitue une avenue formidable pour favoriser un rap-prochement sain entre les universités et les milieux d’emploi. » Selon lui, un tel rappro-chement pourrait avoir des retombées positives sur les plans de la pertinence et dela diffusion de la recherche et du développement professionnel des professeurs,ainsi que sur le plan de l’amélioration des programmes de formation initiale.

Denis Rhéaume explique toutefois qu’il est utopique de croire que l’université pourrarépondre à tous les besoins en la matière; elle n’a pas les ressources humaines pourle faire.

Michel Trépanier

Pierre Doray

Guy Massicotte

Benoît Godin

RÉSEAU / AUTOMNE 2001 19

fonds publics. » Selon lui, « le Ministère aurait puvouloir contrôler les moyens de production, ce quiaurait donné à l’uniformisation. Il a plutôt choiside contrôler les résultats, ce qui apparaît préférable. »

Clément Lemelin signale toutefois que cettefaçon de faire peut donner lieu à des comporte-ments opportunistes. « Ainsi, des professeurs pour-raient abaisser les exigences des cours afind’atteindre le taux de performance requis par leministère. Cela augmenterait la sanction des étu-des, mais conduirait à une dévaluation des diplô-mes. » Autre exemple : les universités pourraientécrémer leurs clientèles en n’acceptant que les étu-diants très performants. Cela porterait un dur coupaux principes de démocratisation.

La marchandisation de l’universitéCertains chercheurs n’hésitent pas à dire que l’uni-versité est en train de vendre son âme. C’est le casde l’Équipe de recherche sur la gestion des orga-nisations scientifiques, universitaires ou multi-universitaires (ERGOSUM) rattachée à la Téluq età l’Université Laval. Dans deux textes intitulés Lesgestionnaires universitaires : serviteurs dans l’ambi-valence et Connivence inquiétante, l’ERGOSUMutilise les données d’une recherche d’enverguresur les administrateurs des universités québécoi-ses pour mettre en relief l’adoption de plus en plusconfirmée de la logique marchande par les uni-versités.

À la lumière de ces données, l’équipe derecherche déplore, entre autres, la « vision essen-tiellement utilitariste et réductrice qui a inspiré larécente politique publique à l’égard des universi-tés et (…) le modèle d’une université asservie auxpriorités des pouvoirs publics et aux intérêts despouvoirs économiques ». Elle estime que l’onassiste «à l’avènement d’une université où les con-naissances et les diplômes aussi bien que les per-sonnels et les diplômés semblent de plus en plusréduits au seul statut de marchandises devant ré-pondre à des critères d’excellence et à la standar-disation ».

Interrogée au sujet de ce constat, LyndaGosselin, « chercheure» à l’ERGOSUM, expliqueque l’université est devenue un instrument dedéveloppement économique comme les autres.« Raffermie par le phénomène de la mondialisa-tion, cette transformation se traduit par le fait quel’université endosse désormais un discours axé surla compétitivité, la performance, la concurrence. »Pour elle, l’exemple des « contrats de perfor-mance» est éloquent. «Comment peut-on préten-dre qu’on augmentera le taux d’obtention desdiplômes parce que cette augmentation est ins-crite dans un contrat? se demande Lynda Gosselin.Comment peut-on avoir une conceptionaussi étroite du savoir ? C’est comme si on

exigeait que les hôpitaux augmentent leurtaux de guérison ou réduisent leur taux demortalité. Que penseraient les patients etles médecins d’une telle conception de lasanté ? »

Lynda Gosselin fait observer une autre grandetransformation des universités québécoises. «Alorsque traditionnellement les fonctions administrati-ves étaient intégrées au cheminement de carrièredes professeurs-chercheurs, elles sont aujourd’huiassumées par des gens qui ne proviennent pas desuniversités. On assiste donc à une professionna-lisation de l’administration universitaire et à l’adop-tion de valeurs et de façons de faire étrangères à latradition académique.» Selon Lynda Gosselin, cephénomène n’est pas une cause mais un reflet destransformations en cours. « Celles-ci seraient plu-tôt attribuables à un consensus des acteurs, quicroient qu’il faut accorder priorité à un rendementquantifiable et prévisible. »

Peut-on renverser la vapeur? « Cela dépend, ditla “ chercheure” . En éducation comme ailleurs, ilsemble actuellement difficile d’exercer une résis-tance face à cette logique et de faire valoir d’autresvaleurs. » Difficile peut-être, mais pas impossible.«C’est étonnant, mais le milieu économique pour-rait être à l’origine d’un renversement de la situa-tion ou de la recherche d’un meilleur équilibre,poursuit-elle. Si l’on se fie aux récentes allocutionsdes gens d’affaires, certains d’entre eux commen-cent à en avoir assez d’une université qui se cloi-sonne dans le court terme et le sur mesure, audétriment de ses assises humanistes. »

L’université : les professeurs, les étu-diants et la connaissanceL’université a été très souvent définie comme étantla somme des relations entre les professeurs et lesétudiants. Est-ce encore vrai ? En quelque neufcents ans, le rôle des professeurs a considérable-ment évolué.

Ce n’est qu’au 19e siècle, à l’Université deBerlin, qu’est apparu le professeur-chercheur. Cemodèle s’est rapidement étendu en Angleterre etaux États-Unis. Au Québec, il est apparu à l’Univer-sité McGill au début du 20e siècle, et s’est vraimentimplanté dans l’ensemble de la province vers

L’exode des cerveaux ! Faux.On a dit et redit que le Canada et le Québec étaient aux prises

avec un important problème de « fuite des cerveaux » vers les

États-Unis. Des milieux d’affaires ont sonné l’alarme mettant en

cause le C. D. Howe Institute et le Conference Board.

Faux ! ont pourtant affirmé les chiffres de Statistique Canada et

de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST). L’émi-

gration des chercheurs se présente comme un phénomène tout à

fait normal de mobilité du personnel hautement qualifiée,

conclut l’OST qui situe à environ 1 % par année le taux de ces

départs.

Lynda Gosselin,

Pierre Gagné

Clément Lemelin

Denis Bertrand

20 RÉSEAU / AUTOMNE 2001

les débuts des années 70. Parallèlement, l’uni-versité est passée d’une institution culturelles’adressant à une élite à une institution à voca-tion économique et sociale fréquentée par lesmasses.

Cette transformation s’est traduite par unemutation profonde du rôle des professeurs. Autre-fois, les professeurs avaient d’abord pour rôle defaire avancer les connaissances et de transmettrecet idéal aux étudiants. En tant qu’intellectuelsdésintéressés, les professeurs faisaient la recherchedite « fondamentale », libre des contraintes dumarché.

TROUVER UN MEILLEUR ÉQUILIBREPrésident de l’Université du Québec, PierreLucier estime que le discours dominant autourde « la nouvelle économie du savoir » doit trou-ver son équilibre et se conjuguer avec le res-pect de la liberté de la démarche scientifique,des exigences de la recherche fondamentale,de la mission culturelle et éducative de l’uni-versité, dans le cadre de partenariats avec lessecteurs public, privé et communautaire.

M. Lucier fait observer que l’on parle souvent unilatéralement de partena-riat avec le secteur privé, au détriment du nécessaire apport de l’universitéau développement des individus, de la collectivité et de ses partenariatsavec les autres secteurs. « Les universités subissent des pressions voulantqu’elles répondent aux besoins ponctuels et immédiats du marché du tra-vail. C’est de la courte vue. En témoignent des entreprises de la nouvelleéconomie qui congédient actuellement des milliers de personnes », dit-il.

Selon M. Lucier, les gens semblent en avoir assez d’entendre parler desuniversités seulement pour des questions d’argent. « Il nous faut parlerd’autres sujets. Ce n’est pas que les contrats de performance aient toutréglé au chapitre du financement des universités, mais il existe beaucoupd’autres enjeux, encore plus importants à long terme. » Parmi ceux-ci, il y aévidemment ceux de l’apprentissage et de la formation, ceux de la néces-saire pensée critique, ceux de l’avancement des connaissances, ceux dubon discernement des voies porteuses d’avenir, etc. «L’université est d’abordau service de la société », poursuit-il. « C’est un endroit où les personnes,jeunes et moins jeunes, vont chercher une formation. Ce ne serait pas latrouvaille du siècle de la réduire à n’être qu’un des bras séculiers de la mondia-lisation marchande, d’autant plus que cette dernière ne réussit pas encore àéviter l’exclusion de millions de personnes et la répartition terriblementinégale de la richesse. Les lois du marché ne répondent pas à tous lesbesoins et ne détiennent pas toute la vérité, loin de là. »

Devrait-on mettre un holà ? «Non, et encore moins bouder! Il s’agitplutôt de faire entendre d’autres sons de cloche », affirme le président, cons-cient de la difficulté de la tâche.

Un réseau bien positionnéQuant au réseau de l’Université du Québec, M. Lucier croit qu’il est bienpositionné pour promouvoir cet équilibre. « Depuis sa création, le réseau atoujours mis l’accent sur la formation des jeunes et des adultes en privilé-giant l’accessibilité et la démocratisation de l’enseignement supérieur,notamment en faveur des régions et des classes populaires ; il a contribuéau développement du savoir en étant branché sur les besoins des collectivi-tés et les caractéristiques du territoire et des communautés du Québec.» Entémoignent les quelque 300 000 diplômes décernés au cours des trentedernières années, et dans toutes les régions du Québec.

Cet engagement dans les milieux, fait observer M. Lucier, n’a pas empê-ché l’Université du Québec de développer l’enseignement et la recherche,et d’atteindre de hauts niveaux d’excellence. « L’occupation du territoire etl’engagement dans le développement économique ne s’opposent pas à lamission de l’université ! » C’est pourquoi, dit le président, l’Université duQuébec doit continuer à se définir en fonction des priorités de développe-ment de la société québécoise et des besoins des populations, y comprisdes moins bien nanties.

Pour les années qui viennent, ajoute M. Lucier, le réseau s’emploieranotamment à hausser le taux d’accès au diplôme, comme il en a été con-venu dans les contrats de performance. Ceux-ci relèvent d’une approchefondamentalement saine, qui est déjà pratiquée ailleurs depuis un bonmoment. « Cette approche contractuelle n’est pas une panacée – elle necrée pas le génie ! Mais elle a l’avantage de clarifier les engagements réci-proques des établissements et du gouvernement. L’enjeu à plus long termeest de savoir si on peut en faire le point de départ d’un véritable contratsocial », conclut-il.

L’université virtuelle. Bien réelle.Fini le temps où la formation à distance

(FAD) était vue comme un succédané des

études sur le campus. En 2001, la FAD

est non seulement en train de révolution-

ner la pédagogie, par la recherche d’une

articulation plus fine des stratégies

éducatives avec les besoins des apprenants,

mais elle est aussi en voie de combler les

fossés séparant les universités les unes des

autres.

Optimiser un cheminement de formation

en arrimant les atouts de différents

établissements deviendra bientôt

possible. Et pour cause. L’horloge de la

planétarisation ne s’enfarge pas dans les

chapelles. Pas de mondialisation du

savoir sans FAD. Pas de FAD sans réseaux.

Pas de réseaux sans partage et sans

harmonisation. Au-delà des beaux con-

cepts rassembleurs qui ont fouetté le

milieu universitaire québécois au cours

des dernières années, il faudra sans doute

convenir, encore une fois, que c’est la

fonction qui crée l’organe.

Dans le répertoire du Réseau d’enseigne-

ment francophone à distance du Canada

(REFAD), on retrouve une cinquantaine

d’établissements d’enseignement qui

offrent plus de mille cinq cents cours en

français. Lentement, mais sûrement, le

partage de cours s’ancre dans la toile

universitaire tout comme les accrédita-

tions complémentaires tant attendues.

Des fonds de Patrimoine Canada soutien-

nent actuellement l’enracinement du

Réseau d’enseignement francophone à

distance du Canada destiné à offrir des

services communs en français à tous les

étudiants, de la Colombie-Britannique à

Terre-Neuve en passant par le Yukon. Si

le Québec profite moins que les autres

provinces de ces subsides, il se situe très

bien au niveau des fournisseurs du

savoir, notamment par le biais de la

Télé-université.

RÉSEAU / AUTOMNE 2001 21

Aujourd’hui, la situation est fort différente. Bonnombre de professeurs ne sont plus à la tête depetites équipes, mais dirigent plutôt de véritablesPME de recherche, qui comptent parfois plus decent personnes, et dont le financement repose engrande partie sur les entreprises privées. Autreénorme changement : au lieu de former des « éru-dits », les professeurs doivent désormais formerdes gens capables de répondre aux besoins du mar-ché. Par ailleurs, dans l’esprit de satisfaire surtoutles besoins des étudiants adultes, l’université offreaussi la formation à distance.

Pierre Gagné, professeur à l’unité d’enseigne-ment et de recherche science et technologie à laTéluq, précise que le modèle élaboré par l’institu-tion a modifié en profondeur la relation entre lesprofesseurs et les étudiants en séparant l’acte d’en-seigner de celui d’apprendre. « Lorsque l’étudiantcommence son apprentissage, le professeur, lui, aterminé son cours. À toute fin pratique, ce profes-seur n’aura plus à intervenir contrairement à soncollègue qui donne un cours à chaque semainesur le campus. »

De l’avis de Pierre Gagné, la plus grande raisond’être de ce modèle est l’accessibilité. «La forma-tion à distance rapproche le savoir des étu-diants. De plus, l’apprentissage se fait dans lacommunauté. Cela permet de mettre la théorieen pratique dans un contexte qui ne sera pas dif-férent de celui où l’on devra l’utiliser. À cela s’ajou-tent la diversification des interactions, ainsi que laflexibilité que cette formule procure sur le plan dela gestion du temps d’apprentissage. En forma-tion à distance, l’étudiant a accès aux ressourcesde sa communauté, de son milieu professionnel,de son milieu familial et de son milieu social, touten pouvant avoir recours à des ressources de typeindividuel, comme ses pairs, par l’intermédiaire desnouvelles technologies de l’information et descommunications. »

Historien et professeur au regroupement Orga-nisation et gestion des ressources humaines àl’École des sciences de gestion de l’UQAM, DenisBertrand estime qu’il y a lieu d’abandonner notreconception du rôle du professeur axé seulementsur l’enseignement et la recherche au profit d’unevision plus réaliste. « Dans les universités moder-nes, il n’y a pas un type, mais une dizaine de typesde professeurs : professeur-chercheur, professeur-entrepreneur, enseignant, gestionnaire académi-que, etc. En tenant compte de la richesse de laréalité, on comprendrait peut-être mieux ladynamique réelle de l’université où il y a un be-soin pour tout. »

Une université coupée en deuxLa réalité universitaire est aujourd’hui infinimentcomplexe. Pour cette raison, bon nombre de cher-

cheurs, dont ceux de l’ERGOSUM, souhaiteraientmieux comprendre les différentes fonctions qu’as-sume aujourd’hui l’université. Selon ces chercheurs,la poursuite de recherches sur l’université s’avèreindispensable.

On observe actuellement d’importantes ten-sions qui provoquent bon nombre de ruptures ausein de l’université, par exemple entre l’enseigne-ment et la recherche, la recherche fondamentaleet la recherche appliquée ou encore entre la for-mation fondamentale et la formation profession-nelle. « L’université est véritablement coupée endeux, note Lynda Gosselin. En témoigne l’évolu-tion de la nature de l’université. Par exemple, lesdisciplines valorisées aujourd’hui en raison de leurpertinence sociale, comme le génie, étaient consi-dérées de haut par les universitaires il y a cinquanteans, signale-t-elle. À l’inverse, après avoir été laraison d’être de l’université, les sciences humaineset sociales se retrouvent aujourd’hui marginalisées,voire menacées, parce qu’elles n’arrivent pas à fairela preuve de leur utilité et de leur valeur. »

Ce changement de cap peut certainement ren-dre certaines personnes nostalgiques. Mais il peutaussi, croit Lynda Gosselin, être à l’origine d’unedémarche qui permettra à l’université de préser-ver sa spécificité et de la faire valoir auprès despopulations auxquelles elle appartient.

L’université doit tenir compte des nouvelles règlesdu jeu. Elle est révolue l’époque où l’institutionétait à l’abri du prince et de l’Église. Les forces éco-nomiques et politiques tirent désormais de nom-breuses ficelles. Et mondialisation oblige, ces forceschercheront à accroître leur emprise. Reste donc àsavoir quelle forme prendra la résistance.

Utiles les universitaires ?Au niveau de la formation et de l’enseignement, l’opinion

publique soutient généralement les universités et mise sans

réserve sur leur utilité dans une société. En ce qui a trait à la

recherche, les bémols sont souvent très imagés. Les « Professeurs

Tournesols » et les « Pelleteux de nuages » habitent encore les discours.

Il est vrai que certains projets de sciences peuvent paraître

fous. Par exemple, à la fin de 1995, les responsables du téles-

cope spatial Hubble ont pris une initiative jugée démente et

démesurément onéreuse par des gestionnaires du projet en

pointant le télescope sur « rien », c’est-à-dire la partie du ciel la

plus vide qui soit. Cette extravagance a permis de voir quelque

trois mille objets, chacun étant une galaxie composée de

centaines de milliards d’étoiles, et, la même année, les physi-

ciens enthousiasmés ont annoncé la découverte d’une particule

élémentaire qui leur échappait : le légendaire quark top. Par

contre, d’autres découvertes qui relèvent de travaux effectués

sur le coin d’une table, comme l’assemblage du premier transis-

tor, ont eu des impacts spectaculaires.

Chose certaine, il faudra continuer à vivre avec l’imprévisibilité

de l’entreprise scientifique en sachant que les résultats et les

applications qui en découlent dépassent pratiquement toujours

les attentes de leurs initiateurs.