ah les vieux jours - leproscenium.com · ah les vieux jours ! bernard di marcko. 1 ... georges : -...

42
Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko

Upload: dinhthuy

Post on 16-Sep-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

Ah les vieux jours !

Bernard Di Marcko

Page 2: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

1

Les personnages :

Marguerite : ... Une dame âgée, peut-être sourde.

André : ............ Un monsieur âgé, possiblement aveugle.

Georges : ......... Un autre monsieur âgé, éventuellement paralysé.

Page 3: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

2

Trois personnes âgées, une femme et deux hommes, sont assises dans le parc d’une maison de retraite. La femme, dans un fauteuil de jardin imposant et confortable, parcourt un magazine. De temps en temps elle grignote un biscuit qu’elle trempe dans une tasse de thé posée sur une table à ses côtés. À ses pieds, un cabas laissant apparaître un ouvrage de tricot en cours. Les hommes sont installés dans des fauteuils roulants. L’un d’eux est assoupi. L’autre parait agité, il porte des lunettes noires. Après quelques instants d’hésitation il s’adresse fébrilement à la cantonade.

André : - Quelle heure il est ? (Silence) - Quelle heure est-il ?

Marguerite : - Pardon ?

André : - Il est quelle heure ?

Marguerite : - Qu’est ce que vous dites ?

André : - Je demande l’heure qu’il est.

Marguerite : - Parlez plus fort ! Je ne vous entends pas distinctement.

André : - Je demandais … Rien. Ça va !

Marguerite : - C’est volontiers.

André : - T’es devenue sourde ou quoi ?

Marguerite : - Ne vous donnez pas cette peine.

André : - Tu parles que je vais m’en donner de la peine. Vieille carne !

Marguerite : - Tant mieux, tant mieux !

André : - Si tu te lavais autant les oreilles que le cul, t’en serais pas là.

Marguerite : - Ah ! Vous aussi ? C’est intéressant !

André : - C’est vrai que tu t’en sers plus que de tes oreilles, hein ? Roulure !

Marguerite : - Georges ? Il s’est encore assoupi. Ce n'est pas très bon à notre âge.

André : - Je m’en fous de ton âge. Ça me donne pas l’heure à moi... Et l’autre abruti qui roupille, là. (Il va chercher son voisin à tâtons puis se met à le secouer violemment) - Hé machin ! Tu sais l’heure qu’il est ? (Le secouant d’avantage) - Dis, tu vas te réveiller, vieux sournois ? Tu crois que je le sais pas que tu fais semblant de dormir ! Pour pas me répondre, hein ? Saleté !

Georges - Non ! Non ! Ah ! Je tombe !

André : - Tu vas me répondre ?

Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André) - Qu’est-ce qu’il y a ? Mais arrête de me secouer. Arrête !

André : - Mais tu vas me répondre, dis ?

Page 4: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

3

Georges : - Arrête !

André : - Réponds moi !

Georges : - Mais arrête ! Qu’est-ce que tu veux ?

André : - Tu le sais parfaitement.

Georges : - Qu’est ce que je sais ?

André : - Ne fais pas celui qui entend pas toi aussi.

Georges : - Je t’entends là, mais je ne comprends pas ce que tu veux ?

André : - Tu comprends pas ce que je veux ?

Georges : - Non.

André : - Tu comprends pas ce que je veux ?

Georges : - Puisque je te le dis.

André : - Tous les jours à la même heure je me pose la même question, et toi tu te demandes ce que je veux ?

Georges : - Ah bon ! Et c’est l’heure de ta question ?

André : - C’est justement ce que je voudrais savoir, figure-toi.

Georges : - C’est ça que tu veux savoir ?

André : - Oui.

Georges : - L’heure ?

André : - Oui !

Georges : - C’est pour ça que tu m’as réveillé en hurlant, et en me secouant comme un flipper.

André : - Oui.

Georges : - Mais tu es complètement malade toi !

André : - Oui !

Georges : - J’aurais pu en crever moi.

André : - Un peu plus tôt, un peu plus tard… « Tilt » !

Georges : - Tu ne te rends pas compte.

André : - Non. De toute façon tu dormais pas.

Georges : - Comment ça je ne dormais pas ?

André : - Non ! Tu faisais semblant.

Georges : - Pas du tout ! J’étais même en train de rêver que…

André : - Je m’en fous de ce que tu rêvais ! Et en plus je te crois pas, alors…

Page 5: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

4

Georges : - Et pourquoi je ferais une chose pareille ?

André : - Pour pas me répondre. Pour me laisser dans l’angoisse.

Georges : - Mais l’angoisse de quoi ?

André : - De l’heure. Je veux savoir l’heure qu’il est.

Georges : - Eh bien, tu n’as qu’à regarder ta montre.

André : - Tu veux que je regarde l’heure à ma montre ?

Georges : - Oui ! C’est quand même plus simple, non ?

André : - Salaud !

Georges : - Quoi, salaud ? Tu as bien une montre ?

André : - Oui.

Georges : - Tu sais lire l’heure ?

André : - Oui.

Georges : - Alors, pourquoi tu viens sauvagement briser mon rêve pour me demander l’heure. A moi ! Qui ne l’ai pas.

André : - Qu’est-ce que tu n’as pas, toi ? Qu’est-ce qui te manque, à toi ?

Georges : - L’heure. Je n’ai pas de montre, moi.

André : - Et alors ? T’as qu’à appeler, aller voir, demander à quelqu’un, je sais pas moi… Tu peux pas te rendre utile au lieu de passer ton temps à rêvasser ?

Georges : - Mais enfin, pourquoi veux-tu que je demande l’heure à quelqu’un pour te la dire ensuite ? Alors qu’il te suffit de consulter ta propre montre.

André : - Je peux pas.

Georges : - T’as bien une montre, non ?

André : - Oui.

Georges : - Alors pourquoi tu ne peux pas ?

André : - Parce que !

Georges : - Parce que quoi ?

André : - Ça te regarde pas.

Georges : - Si ça ne me regarde pas, je ne vois pas pourquoi…

André : - Ecoute, c’est un truc privé, j’ai pas envie d’en parler.

Georges : - Donc ce n'est pas que tu ne peux pas, mais que tu ne veux pas.

André : - Ce que je veux pas c’est en parler. Ce que je peux pas c’est … voir. Je peux pas voir l’heure, là ! T’es content ?

Page 6: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

5

Georges : - Tu n’as qu’à mettre tes lunettes de vue.

André : - Tu parles ! Ça sert à rien, lunettes ou pas, j’y vois rien.

Georges : - Tu n’y vois rien ? C’est nouveau ça !

André : - Peut-être, mais c’est comme ça. J’y vois rien.

Georges : - Et depuis quand tu n’y vois rien ?

André : - Depuis ce matin. En me réveillant j’ai vu que j’y voyais plus.

Georges : - Tu n’y vois plus… plus… plus du tout ?

André : - Rien ! J’y vois plus rien je te dis. Là, je te parle mais je te vois pas. Je vois même pas mes mains. Je vois que du blanc.

Georges : - C’est toujours ça !

André : - Qu’est-ce que tu veux dire par « c’est toujours ça » ?

Georges : - Eh bien, par exemple, tu pourrais n’y voir que du bleu. Ou pire que du noir. Du blanc, … c’est plus gai.

André : - Tu te fous de ma gueule ? Je veux pas voir gai, moi. Je veux voir tout court !

Georges : - Bien sûr ! Pour savoir l’heure…

André : - Oui pour savoir l’heure ! C’est trop demander ?

Georges : - Ça dépend.

André : - Ça dépend de quoi ?

Georges : - Ça dépend quand même un peu de ce que tu demandes à voir.

André : - Tu peux préciser ta pensée ?

Georges : - Oui. Si on y réfléchit bien, demander à voir simplement pour connaître l’heure… c’est du gaspillage.

André : - Du gaspillage ! Tu trouves que c’est exagéré toi ?

Georges : - Quand même, un peu… Enfin il me semble…

André : - Eh bien imagine que tu te réveilles en sursaut, comme tout à l’heure. T’y vois plus rien. T’es seul. Un tas de questions te passent par la tête. Où t’es ? À l’hospice ou à la morgue ? Dans ta chambre ou au réfectoire ? Tu viens juste de t’endormir ou c’est le milieu de la nuit ? C’est le matin ou tu finis ta sieste ? Tu vas te rendormir ou l’infirmière va passer dans une minute pour te réveiller ? Qu’est-ce que tu attends ? Le thermomètre, ton goûter ou rien ? Ton seul repère c’est l’envie de pisser, et encore, avec la prostate tu peux même pas t’y fier.

Georges : - Vu sous cet angle…

Page 7: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

6

André : - Eh ben justement, moi, même sous cet angle, j’y vois rien.

Georges : - Non mais, tu pouvais demander à Marguerite.

André : - J’ai essayé figure-toi.

Georges : - Et alors ?

André : - Alors rien !

Georges : - Elle n’a pas de montre elle non plus ?

André : - Si.

Georges : - Alors ?

André : - Elle fait comme si elle entendait pas.

Georges : - Tu crois ?

André : - Puisque je te le dis. Trois fois je lui ai demandé l’heure !

Georges : - Alors ?

André : - Alors elle me répond pas, ou bien des conneries.

Georges : - Refuser de donner l’heure, Marguerite ? Là, permet moi d’en douter. Ce n’est vraiment pas son genre.

André : - Ça je le sais que c’est pas son genre de refuser. A part pour l’heure ! Je te dis qu’elle a fait la sourde oreille quand je lui ai demandé. Et si elle était pas du genre à se taper des types dans le tien de genre, tu me croirais. C’est pour ça que je t’ai réveillé. En te secouant, parce que je commençais à paniquer. Et c’est pas près de s’arranger. Parce que, tu ergotes, tu te défiles, tu essayes de noyer le poisson avec l’eau du bain. Et moi, je sais toujours pas l’heure qu’il est. Je suis au bord là ! Tu le comprends ça ? Je suis au bord !

Georges : - Je ne peux pas te laisser insinuer que Marguerite et …

André : - C’est toi qui t’es insinué dans cette morue. Moi je lui ai juste demandé l’heure.

Georges : - Entre Marguerite et moi c’est uniquement platonique.

André : - Tu me prends pour un abruti ? Je vous ai vu. Pas plus tard que ce matin dans sa chambre, juste avant le repas. Tu lui servais d’apéritif. Elle avait même déposé son dentier dans un verre. C’est vrai qu’elle en avait pas besoin de son verre, de son dentier non plus. Elle buvait directement au goulot, si tu vois ce que je veux dire !

Georges : - Ce que je vois surtout, c’est que tu es un menteur !

André : - Je suis un menteur, moi ?

Georges : - Parfaitement, un menteur et un affabulateur !

Page 8: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

7

André : - Ça c’est la meilleure. Monsieur refuse d’admettre qu’il s’est fait pomper par une vieille bique édentée. Alors que j’ai assisté de mes propres yeux à cette scène répugnante. Et c’est moi le menteur ?

Georges : - Oui, je le maintiens. Tu es un menteur !

André : - Et qu’est-ce qui te permet d’être aussi affirmatif ?

Georges : - Ce n’est pas compliqué. Soit tu as vraiment perdu la vue ce matin, et tu mens en disant nous avoir surpris Marguerite et moi à midi. Soit tu nous as bien vus, mais tu mens en disant que tu as perdu la vue.

André : - Ah, tu vois ?

Georges : - Qu’est ce que je vois ?

André : - Tu avoues !

Georges : - Je n’ai rien avoué du tout.

André : - Si, t’as avoué.

Georges : - Non, j’ai seulement mis le doigt sur le fait …

André : - … que je vous ai bel et bien vus toi et l’autre goulue. Et t’y a pas mis que le doigt.

Georges : - Mais pas du tout.

André : - Quoi ? Tu es en train de me dire que tu t’es jamais fait sucer par la Marguerite.

Georges : - Non, je n’ai pas dit ça.

André : - Ah quand même ! Tu reconnais que j’ai pas la berlue.

Georges : - Tu ne m’écoutes pas.

André : - Mais si je t’écoute. Je t’écoute et je viens à l’instant de t’entendre admettre que tu t’étais bel et bien fait …

Georges : - Oui, c’est possible ! Mais c’était il y a longtemps, très longtemps. Bien avant qu’on soit ici nous trois. Non, je voulais seulement mettre en évidence la contradiction entre tes différentes affirmations et…

André : - Quand tu dis : « il y a longtemps ». Tu veux dire, du temps où nous étions mariés avec Margot ?

Georges : - Mais je ne sais pas moi ! Je ne m’en souviens plus. Après tout, ce n'était pas moi le mari.

André : -Tu veux dire le cocu.

Georges : - Oh ça va ! Et quand bien même. Il y aurait prescription, non ?

Page 9: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

8

André : - Quelle prescription ? Où tu as vu qu’il y avait prescription, toi ? Quand ma femme t’a pris comme amant, c’était sans ordonnance ! Tu voudrais pas que je ferme les yeux non plus ?

Georges : - Ouverts ou fermés tes yeux, si tu n’y vois plus, qu’est-ce que ça change, hein ? Et puis si ça se trouve, vous étiez déjà séparés.

André : - Mais si ça se trouve, c’était pas le cas.

Georges : - Ça fait trente ans que vous avez divorcé, peut être même plus alors…

André : - Alors ça change tout. Tu m’entends, tout !

Georges : - Je voudrais bien t’aider, mais je ne m’en rappelle pas.

André : - Le contraire m’aurait étonné. Tu parles !

Georges : - Ecoute, si c’est tellement important pour toi, tu n’as qu’à le lui demander.

André : - A Marguerite ?

Georges : - Oui.

André : - Qu’est-ce que tu veux que je lui demande ?

Georges : - Eh bien… Si on a couché ensemble avant ou après votre séparation.

André : - Ah, tu vois ? Tu ravoues !

Georges : - Tu vas pas recommencer, dis ?

André : - Et pourquoi je recommencerais pas ? C’est moi le cocu. J’ai tous les droits !

Georges : - Mais puisque ce n’est pas sûr. Renseigne-toi d’abord, tu exerceras tes droits ensuite.

André : - Mais où tu veux que je me renseigne, hein ? Où ? A l’accueil ? Parce qu’avec Margot c’est pas gagné. Y a pas dix minutes elle était pas foutue de me donner l’heure, et tu voudrais qu’elle me donne la date de votre première… (André fait un geste explicite).

Georges : - Non ! Pas la date exacte quand-même. Quoiqu’il en soit, la première ça ne compte pas.

André : - Et pourquoi elle compterait pas la première ? C’était pour rire ? Elle a simulé ?

Georges : - Non, ce n’est pas ça… mais au moment de notre première fois, Marguerite et moi… vous n’étiez pas encore mariés. Tu ne la connaissais même pas.

André : - Tu es en train de me dire que tu as été avec Marguerite avant moi ?

Page 10: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

9

Georges : - Oui. Et ça, j’en suis absolument certain.

André : - Mais alors… c’est toi le cocu, Georges !

Georges : - Tiens c’est vrai ! Je n’y avais pas pensé, mais tu as raison. Ça aurait pu être moi le cocu initial.

André : - Comment « ça aurait pu être toi » ? Y a pas de « ça aurait pu ». C’est toi le cocu. Le cocu initial, final, intégral, définitif. Le cocu éternel quoi !

Georges : - Mais ce n’est pas…

André : - Si ! Quand on a été cocu, c’est pour la vie.

Ils parlent en même temps sans s’écouter.

Georges : - Non mais, ce que j’ai voulu dire…

André : - Tu peux tourner la chose comme tu veux…

Georges : - … c’est que ça aurait pu, oui …

André : - … Ce qui est fait est fait…

Georges : - … mais comme j’étais au courant, …

André : - … Si tu as été trompé, tu as été trompé…

Georges : - … On ne peut pas à proprement parler de « tromperie ».

André : - … Sauf erreur judiciaire tu ne peux pas revenir en arrière. (Un temps) - Ça veut dire quoi « j’étais au courant » ?

Georges : - Ecoute, ça m’embête de ressortir ces vieilles histoires qui n’ont plus d’importance.

André : - Plus d’importance, qui a fait cocu qui ?

Georges : - Pardon !

André : - T’es sourd toi aussi ? Je disais que c’était quand même important de savoir qui de toi ou moi avait fait l’autre cocu.

Georges : - Mais je n’ai fait cocu personne, moi. Si quelqu’un t’a fait cocu c’est Margot. Débrouille-toi avec elle.

André : - Et d’abord tu étais au courant de quoi, toi ?

Georges : - Moi ? … Et bien… mais… pour Margot et toi… enfin…

André : - Arrête de l’appeler Margot ça m’agace.

Georges : - Comme tu veux. Marguerite m’avait annoncé qu’elle avait l’intention de se marier, et…

André : - …et donc qu’elle te quittait.

Georges : - Non pas exactement…

Page 11: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

10

André : - Elle t’a dit qu’elle était tombée amoureuse de moi, que je l’avais demandée en mariage et que tout était fini entre vous.

Georges : - Non… En fait, au début je ne savais pas que c’était toi, et …

André : - Elle a voulu te ménager. Donc tu ne savais pas que j’étais l’heureux élu.

Georges : - Non… Elle non plus d’ailleurs.

André : - C’est normal, ça été si rapide ! Le coup de foudre, les bans, la mairie, Venise…

Georges : - Oui je sais. Mais le pont des Soupirs, la place St Marc, les pigeons tout ça… ça ne me disait rien. Et puis…

André : - Pourquoi tu me parles des pigeons ? On s’en fout que t’aimes pas les pigeons. Qu’est-ce que qu’ils viennent foutre dans mon histoire avec Marguerite, les pigeons ?

Georges : - C’est qu’elle insistait, et…

André : - Elle insistait sur les pigeons ?

Georges : - Ecoute André, j’aimerais mieux que tu parles de ça avec Margot. (Regard appuyé d’André) - Pardon, avec Marguerite. Moi ça me gêne.

André : - Ce qui me gêne moi, c’est toi. Vous nous feriez pas une petite bouffée de canicule, les pigeons et toi ?

Georges : - Je la prendrais volontiers délirante, ma bouffée. Tu n’as pas idée !

André : - Et comment tu veux que je m’en fasse des idées ? Je comprends rien à ce que tu racontes. Tu es confus Georges. Tu t’en rends peut-être pas compte, mais t’es confus.

Georges : - Aussi, tu compliques tout !

André : - Parce que c’est moi qui complique ?

Georges : - Oui tu compliques ! Tu n’écoutes rien de ce que je dis, tu ne me laisses même pas finir mes phrases. Déjà que ce n’est pas facile.

André : - Et pour moi, tu crois que c’est facile, dis ? Tu crois que c’est facile de finir sa vie entre son ex-femme sourde et son amant gâteux.

Georges : - D’abord je ne suis pas gâteux. Et puis… je ne suis l’amant de personne.

André : - Eh, oh ! A d’autres, hein ? Je vous ai vu avec Marguerite. Pas plus tard que… je sais plus, mais je vous ai vu. Et puis t’as avoué.

Georges : - Je ne peux pas être son amant.

André : - Ah oui ! Et pourquoi ?

Page 12: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

11

Georges : - Parce que je suis son mari ! (Pendant un court instant Georges apprécie la stupeur d’André) - Marguerite et moi, nous nous sommes mariés six mois après votre divorce, voila ! Donc…

André : - Marguerite et toi ?

Georges : - Oui ! Nous nous sommes…

André : - Toi et Marguerite, vous vous êtes… ?

Georges : - Oui ! Nous nous sommes. C’est pour ça que…

André : - …que vous me prenez pour un con depuis trente ans !

Georges : - Mais André, il ne faut pas le prendre comme ça.

André : - Et comment tu veux que je le prenne ? En suppositoire ? Quand je pense, mais quand je pense…

Georges : - C’est ça ton problème André, tu penses deux fois. C’est trop.

André : - Quand je pense que je m’inquiétais pour elle. Non mais quel con ! Tu comprends, elle était plus toute jeune quand je l’ai quittée. Je me disais qu’à son âge, elle serait pas facile à caser. Sans compter le terrible choc de la rupture. Elle était anéantie… Si, si, elle était complètement anéantie…

Georges : - Oui bien sûr ! Complètement … Mais tu sais, dans la vie… il arrive parfois que le cours des choses ne soit pas à la hauteur de nos illusions, et que…

André : - …et que six mois après un divorce « douloureux » on s’envoie en l’air, en pleine ménopause, avec le premier venu.

Georges : (Qui commence à être agacé) - Oui, elle s’est envoyée en l’air ! D’ailleurs il y avait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Et oui, c’était effectivement avec le premier venu, puisque je te le rappelle, je l’ai connue avant toi.

André : - On le saura que tu te l’es tapée en premier, cette salope !

Georges : - Si elle a attendu six mois pour se remarier, la salope, c’est par égard pour toi. Au cas où tu l’aurais appris.

André : - Tu voudrais pas que je la remercie en plus.

Georges : - Ce n’est pas la peine. Parce que comme toute bonne salope qui se respecte, elle n'a pas attendu la nuit de noce pour consommer. Et c’est heureux !

André : - Je vois !

Georges : - Tu y vois maintenant ? Ça va mieux alors, ta « cécité ». Profites-en parce que tu n’as encore rien vu !

André : - Ne te moque pas de mon infirmité !

Page 13: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

12

Georges : - De laquelle ? Tu t’en découvres une nouvelle tous les matins.

André : - Quand on vit entouré de traitres, hypocrites et cyniques, ça infecte le système humanitaire 1.

Georges : - Ça doit taper aussi sur le système « verbeux ». Parce que depuis tout à l’heure, tu m’as l’air bien agité de la langue. Tu cherches à culpabiliser tout le monde, tu me harcèles avec tes questions. Et tout ça pour une histoire qui remonte à des siècles.

André : - J’ai quand même le droit de savoir la vérité, non ?

Georges : - Méfie-toi André ! Méfie-toi de la vérité. Et surtout, évite de poser des questions dont tu ne supporterais pas la réponse.

André : - Je m’en fous ! Je veux savoir, ça me ronge ! Et puis d’abord, qu’est-ce qui te dit que je les supporterais pas les réponses, hein ? Qui le dit ?

Georges : - Mon petit doigt.

André : - Tu sais où tu peux te le mettre ton petit doigt ?

Georges : - Oui, merci. Mais après le repas, si tu n’y vois pas d’inconvénient.

André : - Ne tarde pas trop quand même. Il pourrait te suggérer d’autres conneries.

Georges : - Dans quel genre ?

André : - Dans le genre : « Ce pauvre André, il faut le ménager. Il est si soupe au lait. Surtout qu’avec sa petite santé il pourrait nous faire un malaise fatal. Ce serait dommage ! On lui a tenu si longtemps le bec dans l’eau, il pourra bien tenir encore un peu… le peu qui lui reste ».

Georges : - Ça veut dire quoi « on t’a tenu le bec dans l’eau » ? Tu étais au courant de notre vie, tu ne nous lâchais pas.

André : - Vous m’avez menti !

Georges : - Seulement sur la question du mariage… C’était pour ton bien… Et puis tu t’es toujours intéressé à la vie aquatique, non ?

André : - Oui, et qu’est-ce que ça a à voir ?

Georges : - La vie aquatique… le bec dans l’eau… C’est une boutade… pour détendre un peu.

André : - Ah oui ? Et bien ça détend pas, ça crispe ! J’en ai soupé du poisson. Tu comprends ? Je veux de la vérité. Je veux en respirer, en bouffer de la vérité. Je la veux, nue, crue, sanguinolente !

1 André a sans doute voulu parler « d’affecter le système immunitaire ».

Page 14: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

13

Georges : - Bien ! Monsieur va être servi. Pour la digérer ce sera une autre affaire.

André : - On arrête avec les sémaphores maintenant !

Georges : - Avec les métaphores aussi ?

André : - Oui, aussi ! Je t’écoute.

Georges : - Allons-y ! (un temps) - Marguerite et moi filions le parfait amour depuis, quoi… trois ans ? Un soir, alors que nous écoutions l’adagio d’Albinoni, enlacés sur mon vieux canapé, blottis sous une couverture - Il faisait un froid de canard et nous n’avions plus de pétrole pour alimenter le poêle…

André : - Epargne-moi, les détails, le mélo, et la bande son. Tu veux ? Tu t’en tiens à l’essentiel et à ce qui me concerne.

Georges : - Ne t’inquiète pas, ça va venir. Donc, nous étions - je passe les détails - quand Marguerite me dit :

Marguerite : - Tu sais Chouchou…

Georges : - A l’époque elle m’appelait « Chouchou ».

André : - Si tu pouvais éviter aussi les diminutifs. Ça risque de m’embrouiller, et puis ça m‘énerve !

Marguerite : - Tu sais, Georges… Je voudrais me marier…

Georges : (À Marguerite) - Te marier ? Mais, ma puce… (À André) - Pardon ! (À Marguerite) - Mais Marguerite ! Tu sais bien que ce ne serait pas raisonnable pour le moment. Nous sommes jeunes, nous avons le temps. Je n’ai pas terminé mes études et toi tu as des difficultés à les poursuivre. On n’a pas le sou, nos parents ne roulent pas sur l’or. Qu’est-ce que ça changerait si on se mariait ?

Marguerite : - Absolument rien.

Georges : - Alors, tu vois ?

Marguerite : - C’est bien pour ça que je ne veux pas me marier avec toi, Georges.

Georges : - Mais ma pu… Mais Marguerite, tu viens à l’instant de dire…

Marguerite : - …que je voulais me marier - tu ne m’as pas laissée finir - avec un autre homme.

Georges (À Marguerite) et André : (À Georges) - Avec un autre homme ?

Marguerite : - Oui !

Georges (À Marguerite) et André : (À Georges) - Qui ?

Marguerite : - Je ne sais pas.

Page 15: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

14

Georges : - Comment ça, tu ne sais pas ?

André : (À Georges) - Comment ça, elle sait pas ?

Marguerite : - Je ne sais pas encore, je vais chercher.

Georges : - Mais, Marguerite, ce n’est pas possible ! Tu ne peux pas me quitter comme ça sur un coup de tête. Ce matin encore tu me disais que tu m’aimais. Il n’y a pas un quart d’heure tu me l’as prouvé…

André : - On avait dit pas les détails…

Georges : (À André) - Excuse-moi. (À Marguerite) - Qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce qui nous arrive ?

Marguerite : - Il m’arrive, Georges, que je viens de prendre conscience - là, à l’instant - que je ne supportais plus la misère. Je ne veux plus vivre sous une couverture. Tu comprends mon chéri ?

Georges : - Marguerite, je t’en prie ne me quitte pas, il faut oublier, tout peut s’oublier. Tu t’enfuis déjà… Ne me quitte pas, ne me quitte pas, ne me …

André : - Tu lui as vraiment dit ça ?

Georges : (À André) - Arrête de m’interrompre, tu me fais perdre le fil. Où j’en étais ?

André : - Ne me quitte pas.

Marguerite : - Je n’ai jamais eu l’intention de te quitter, Georges.

Georges : - Mais, Marguerite, tu veux épouser un autre homme !

Marguerite : - Oui, Georges. Pour l’argent ! Le confort, la sécurité, peut-être le luxe qui sait ? Toi, je veux te garder pour l’amour, seulement pour l’amour.

Georges : - Mais moi aussi, un jour, je serai riche, Marguerite.

Marguerite : - J’en suis persuadée, Georges. Mais un jour, c’est trop loin. C’est maintenant que je veux être riche et en profiter. Pas quand je commencerai à flétrir.

André : - Elle avait pas tort. « À jour trop loin, jours en moins ».

Georges : (À André) - Qu’est-ce que c’est que ce proverbe ?

André : - C’est de moi. Ça veut dire que dans la vie il vaut mieux pas trop compter sur l’avenir.

Georges : (À André) – Oui. Eh bien, sur le passé non plus. Attend la suite... (À Marguerite) - Et quand tu dis que tu veux me garder pour l’amour, Marguerite …?

Marguerite : - Ça veut dire, Georges, que nous resterons amants. Tu seras toujours à mes côtés. Tu m’accompagneras partout. Même en voyage de noce si ça te fait plaisir.

Page 16: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

15

André : - Là, elle pousse un peu le bouchon. C’est pas très correct. Surtout vis-à-vis du futur (hilare)… cocu.

Georges : (À André) - Mais c’est ce que je lui ai dit. (À Marguerite) - Tout de même Marguerite, ce n’est pas très correct vis-à-vis du futur… de ce pauvre garçon sur lequel tu vas jeter ton dévolu.

Marguerite : - Justement il ne le sera pas, pauvre. Il sera riche Georges, très riche. Et je sens qu’il est là quelque part, tout près. Je vais me mettre immédiatement à sa recherche.

Georges : - Quoi, là maintenant, Marguerite ?

Marguerite : - Oui, Georges.

Georges : (À André) - Elle m’a embrassé passionnément. Elle s’est levée et elle est partie.

André : - Et alors ?

Georges : - Et alors… Une semaine après elle faisait ta connaissance. En ce temps là tu étais encore riche, André !

André : - Ah ! Et c’est comme ça que…

Georges : - …que je suis devenu le meilleur ami de votre couple. Mais en tout bien tout honneur. J’ai tenu à faire les choses proprement. La situation était … délicate et…

André : - On peut dire qu’elle était extrêmement ambidextre, la situation.

Georges : - Euh… oui ! Pourquoi pas ? Et Marguerite aussi, en quelque sorte.

André : - Faut dire qu’elle l’avait bien prise en main la situation !

Georges : - Oui ! Et nous avec… Donc, j’ai jugé préférable de rompre avec ta femme.

André : - C’était délicat de ta part.

Georges : - Elle en a été très affectée d’ailleurs.

André : - J’en doute pas. Mais elle a dû prendre sur elle, parce que tu vois, j’ai rien remarqué.

Georges : - Bien sûr qu’elle a pris sur elle ! Tu te rends compte que j’ai même catégoriquement refusé de vous accompagner à Venise.

André : - Oui ! Les pigeons… oui, oui, oui, je… (Il fait signe qu’il vient de comprendre) - Mais, il y a quelque chose que j’ai du mal à comprendre.

Georges : - Si je peux t‘aider.

André : - Voila. Vous aviez rompu Marguerite et toi. Comment ça se fait que tu étais toujours fourré avec nous ?

Page 17: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

16

Georges : - C’est très simple. Nous avions rompu, mais uniquement sur le plan sentimental. Enfin, surtout moi.

André : - Ah bon ! Et sur le plan … (André fait un geste explicite).

Georges : - Sexuel ? Il n’en était pas question. Surtout pour moi.

André : - Pardon. Mais quand tu dis « il n’en était pas question ». Tu veux dire de rompre ou de continuer à… (André refait le geste explicite).

Georges : - De continuer à… bien sûr. On a sa fierté !

André : - Donc si je comprends bien, vous êtes restés bons amis, puisque…

Georges : - Voila !

André : - Surtout toi.

Georges : - Voila !

André : - Mais ça te faisait rien de savoir que Marguerite et moi…

Georges : - Quoi Marguerite et toi ?

André : - Eh bien tu sais… (André refait à nouveau le geste explicite).

Georges : - Ah ça ?

André : - Oui ! Quand même un peu, non ?

Georges : - Au début, oui.

André : - Au début seulement ?

Georges : - Oui, mais ça n’a pas duré. Marguerite me racontait tout, alors…

André : - Elle te racontait tout… Tout ?

Georges : - Dans les moindres détails. Pour, selon ses dires, me faire « participer ».

André : - Comme chez les « échangeurs » ?

Georges : - Si tu veux. Sauf que je me contentais d’observer.

André : - Tu nous matais ?

Georges : - Mais non ! Qu’est-ce que tu vas chercher. Je « participais » sur rapport uniquement.

André : - Tu m’as fait peur !

Georges : - D’après ce quelle me disait, il n’y avait pas de quoi.

André : - Mater ?

Georges : - Non ! Avoir peur.

André : - Et ça a duré longtemps ta « participation » ?

Georges : - Six mois, un an tout au plus.

Page 18: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

17

André : - Six mois sur vingt ans ! Pas plus ?

Georges : - Non. Je me suis lassé. Je ne voudrais pas te vexer, mais passé l’effet de la nouveauté, ce n’était pas très excitant, ni même très intéressant ce que vous faisiez au lit, Marguerite et toi.

André : - Comment ça, pas intéressant ? Elle t’a raconté la fois où elle m’a obligé à…

Georges : - Oui !

André : - … et que j’ai dû …

Georges : - Oui aussi ! Mais tu vois, ce genre de truc, il faut y croire. Sinon…

André : - Sinon, quoi ?

Georges : - Sinon, ça fait plutôt rire. Et encore, la première fois. Après…

André : - Bon d’accord ! Et la fois où je lui ai…

Georges : - Ce n’est pas la peine de chercher. Non, le récit de vos ébats m’a toujours ennuyé profondément

André : - Au fond tu as raison. C’est vrai que c’était ennuyeux. Même pour moi.

Georges : - Ben oui, forcément !

André : - Pourquoi forcément ?

Georges : - Bon, déjà vous vous vouvoyiez.

André : - Ah mais ça c’est Marguerite ! Elle trouvait que ça faisait plus chic. Même dans l’intimité.

Georges : - C’est pour ça qu’on n'y croyait pas. Le porte-jarretelle, ce n’est déjà pas facile à porter…

André : - C’est vrai que je me sentais un peu…

Georges : - … alors, le vouvoiement par-dessus… c’était grotesque ! Et puis ce n’était pas ton genre.

André : - Le porte-jarretelle ? Non ! Pour rien te cacher, j’ai toujours préféré les collants.

Georges : - Ce que je veux dire, c’est que Marguerite n’était pas ton genre.

André : - Ah, Marguerite ? … Maintenant que tu en parles… C’est bien possible. C’est drôle que tu me dises ça, parce que je me suis longtemps posé la question.

Georges : - Eh oui ! That is the question!

André : - Est-ce que Marguerite était mon genre ?

Page 19: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

18

Georges : - Si tu ne peux pas répondre toi-même à la question, on peut s’en poser.

André : - Oui ! Hein ? (Incompréhension visible d’André).

Georges : - Des questions !

André : - Ah ! Oui, bien sûr, bien sûr… En fait, je serais curieux de savoir ce qu’elle en pense, elle.

Georges : - Qui ça, Marguerite ?

André : - Oui. J’aimerais bien savoir ce qu’elle pense de tout ça finalement.

Georges : - Tu n’as qu’à le lui demander.

André : - Penses-tu ! Elle entend rien. Et je suis pas certain qu’elle ait encore toute sa tête.

Georges : - Qu’est-ce que tu risques ?

André : - Après tout… demain elle aura tout oublié. (Il se rapproche en tâtonnant de Marguerite qui feuillette imperturbablement son magazine, puis se met à lui parler très fort). - Qu’est-ce qu’elle en dit Margot ? Elle était mon genre ? (Silence). - Hé ! Ho ! Vieille toupie ! Qu’est-ce que t’en penses toi, hein ? (Silence). - Dis, après tout ce temps, t’en penses quoi de tout ça ? (Silence). (À Georges) - Qu’est-ce que je te disais !

Georges : - Tu pourrais peut-être lui écrire.

André : - Est-ce qu’elle sait encore lire ?

Georges : - Quand même ! Elle lit des magazines.

André : - Elle les regarde… Est-ce qu’elle les lit ? (De plus en plus fort à Marguerite) - Tu les lis les magazines ? … Tu reconnais les petits signes autour des images ?

Georges regarde avec attention Marguerite qui vient de poser sa revue et donne des signes d’exaspération.

Georges : - Par moment on dirait qu’elle veut…

Marguerite : - Ce que je voudrais surtout, c’est qu’il arrête de me crier dans les oreilles.

André : - Mais j’ai pas crié dans ses oreilles !

Georges : - Quand-même ! Tu parlais un peu fort, André.

Page 20: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

19

André : - Evidemment que je parlais un peu fort. Elle est sourde comme un pot. Mais j’ai pas crié dans ses oreilles !

Marguerite : - Il ne crie pas, il gueule.

Sur ces paroles, Marguerite récupère son ouvrage de tricot dans le cabas à ses pieds et entreprend de le poursuivre.

André : - Et voila ! Elle exagère. Elle a toujours exagéré. D’ailleurs tu as dû t’en rendre compte, non ?

Georges : - Oh tu sais, moi… je n’attache pas trop d’importance à ce genre de choses.

André : - Ah ? Parce que « Monsieur » est au-dessus de ça ! « Monsieur » s’en fout des élucubrations de son épouse, puisqu’épouse il y a désormais. Du moment que « Monsieur » bénéficie quotidiennement de sa petite gâterie apéritive, il est content.

Georges : - Tu fais une fixation sur cette histoire d’apéritif alors qu’en réalité, je te jure…

André : - Ne jure pas malheureux. Surtout ne jure pas !

Georges : - Pourtant…

André : - Mais puisque je vous ai vu !

Georges : - Ce n’est pas possible. Tu dois confondre.

André : - Confondre ? Confondre avec qui, avec quoi ?

Georges : - Mais je ne sais pas, moi. Avec l’infirmière au moment des soins…

André : - Eh, oh ! À d’autres, hein ? Au moment des soins, moi, c’est l’infirmière qui me prend la température et pas l’inverse.

Georges : - Tu es en plein délire, André.

Marguerite : - Il ne délire pas. Il se souvient.

André : - Ah, tu vois !

Georges : - Il se souvient de quoi ?

Marguerite : - Il se souvient, d’avant. Du bon vieux temps !

André : - Qu’est-ce que je te disais !

Marguerite : - Mais tu as raison, Georges, il confond. Il a beaucoup joué à l’infirmière.

Georges : (À André) - Qu’est-ce que je te disais ?

Page 21: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

20

André : - Tu vas pas écouter cette sourde sénile ? Elle comprend rien. Et puis pour comprendre il faudrait encore qu’elle entende.

Marguerite : - Hélas !

André : - Tu vois ? Elle dit n’importe quoi. Les mots lui viennent en vrac. Elle dit « hélas » comme elle dirait… « biscuit », « ficelle », « gentil coquelicot »…

Marguerite : - Ou « pauvre André ».

André : (s’adressant toujours à Georges) - Ou « pauvre André »… (Réalisant) - Pourquoi « pauvre André » ?

Marguerite : - Parce que les coquelicots ne sont pas « gentils », mais qu’André est vraiment un pauvre type.

Georges : - Elle dit que tu es un pauvre…

André : - Ça va, j’ai entendu ! Je ne suis pas sourd, moi. Ni pauvre d’ailleurs. Du moins pas trop… Bon, ce n’est plus comme avant. Que veux-tu, j’ai fait des mauvais placements. Et puis on m’a beaucoup trompé. Enormément ! Si tu vois ce que je veux dire.

Georges : - Elle non plus.

André : - Elle non plus, quoi ?

Marguerite : - Elle n’est pas sourde.

André : (S’adressant toujours à Georges) - Comment ? (Mezzo voce) - Georges… (Articulant sans parler) - Elle entend ?

Georges : - Oui.

André : - Tu en es sûr ? Elle nous entend là ?

Georges : - Oui. Si tu écoutais un peu, au lieu de gueuler.

André : - Je ne gueulais pas ! Je parlais un peu fort, c’est tout.

Georges : - Tu gueulais ! Et c’est pas tombé dans une oreille charitable.

André : - Mais c’est pas possible ! Depuis quand ? Pas plus tard que tout à l’heure…

Georges : - Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Tout à l’heure elle était sourde, toi tu étais aveugle…

André : - Mais je le suis toujours, moi… Enfin… je crois.

Georges : - Moi il y a longtemps que j’ai renoncé à croire. Je me contente d’espérer.

André : - Tu espères quoi ?

Georges : - Ne pas être paralysé.

Page 22: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

21

André : - Tu as des doutes ?

Georges : - Oui.

André : - C’est vrai que tu bouges pas beaucoup.

Georges : - Je n’ose pas. J’ai peur. J’ai peur de ne pas y arriver. Tu comprends ? Je préfère m’abstenir.

André : - Dans le doute…

Georges : - Oui.

André : - Je comprends. Je me demande si c’est pas pour ça que je suis aveugle.

Georges : - Par peur de le devenir ?

André : - Oui.

Georges : - Mieux vaut prendre les devants.

André : - Oui. Pour pas être pris au dépourvu.

Georges : - Voila.

André : - Comme ça on est tranquille.

Georges : - C’est juste !

André : - Et tu crois que c’est pareil pour elle ?

Georges : - Pour Marguerite ? Il y a des chances.

André : - Elle aurait donc peur de plus entendre ?

Georges : - Sans doute.

André : - Je crois pas. Moi par exemple, je préfère fermer les yeux plutôt que de me rendre compte que je suis aveugle. Toi, tu bouges plus par crainte de te réveiller un matin, cloué au lit avec une bonne amie plégique 2.

Georges : - Ou pire, avec une bonne amie… sphérique 3 !

André : - Mais tout à fait, Georges. Figé dans ton jus… pour toujours !

Georges : - C’est horrible !

André : - Horrible ! Mais tant qu’on fait semblant, on peut pas savoir. Il suffit de tenir, et ce qu’on redoute le plus arrivera jamais. Et même si ça arrive, on s’en rendra pas compte.

Georges : - Tu crois ?

André : - Bien sûr ! Parce que ça fera pas de différence.

2 André évoque ici à sa manière la terrifiante « hémiplégie ». 3 Georges lui, aurait plutôt tendance à arrondir les angles.

Page 23: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

22

Georges : - Si par exemple on a peur de mourir, on a qu’à faire le mort ?

André : - C’est un peu ça l’idée. Mais là, il faut vachement y croire. En tout cas pour Marguerite c’est une autre histoire. Elle a jamais écouté qui que ce soit. Pourquoi choisir le monde du silence ?

Georges : - En hommage au Commandant Cousteau, peut-être ?

André : - Non ! Elle, elle a pas peur… Elle fait semblant.

Georges : - Comment tu le sais ?

André : - D’abord, elle a peur de rien. Et puis, on peut rester immobile, on peut fermer les yeux, mais on peut pas fermer ses oreilles. Si tu te les bouches pas…

Georges : - …tu entends !

André : - Tout !

Georges : - Et pourquoi elle ferait ça ?

André : - Va savoir ! Avec les femmes…

Georges : (Après un temps de réflexion) - Ça ne serait pas à cause de nous ?

André : - Non ! Pourquoi ? Y a pas de raison… Hein, Georges ?

Georges : - Non ! C’est les femmes…

André : - Oui ! Surtout celle là…

Georges : - Surtout Margot ! Elle a toujours été…

André : - Oui ! On est bien placé pour le savoir.

Georges : - C’est vrai qu’on était bien placés tous les deux.

Marguerite : - Moi aussi. Et pourtant…

André : - Elle a parlé là. Qu’est-ce qu’elle à dit ?

Georges : - « Moi aussi ».

André : - Quoi « toi aussi » ? T’as parlé toi aussi ?

Georges : - Non. C’est elle qui a parlé. Elle a dit « moi aussi », et...

André : - Elle a dit « moi aussi » ? Mais « moi aussi » quoi ?

Georges : - Je n’ai pas bien saisi la suite.

André : - Qu’est ce que ça veut dire « moi aussi » ?

Georges : - Je suppose qu’elle à voulu dire qu’elle aussi était bien placée.

André : - Ah oui ! « Madame » était bien placée, et alors ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre qu’elle soit bien placée, elle. Et puis bien placée pour quoi d’abord ?

Page 24: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

23

Georges : - Je ne sais pas, c‘est une façon de parler. Comme toi parfois…

André : - Certainement pas comme moi. Oh non, certainement pas !

Georges : - Mais ne t’énerve pas comme ça André.

André : - Je m’énerve si je veux ! Tu crois que je vais me laisser impressionner par ses insinuations vénériennes.

Georges : - Mais quelles insinuations ? Elle a juste dit…

Marguerite : - Que j’étais aux premières loges. Et ce n’est pas la meilleure place !

André : - Tu as entendu ! C’est pas moi qui invente là. Tu l’as entendue comme moi.

Georges : - Oui, j’ai entendu. On dirait qu’elle insiste...

André : - Mais c’est évident !

Georges : - Tu disais à l’instant qu’il n’y avait pas de raison…

André : - Et bien, je me trompais. Pas dans le sens où il y aurait des raisons en rapport avec nous. Non ! Puisqu‘il y en a pas eu de … rapport. Pas vrai, Georges ?

Georges : - Si tu le dis, André…

André : - Mais dans le sens où elle a pas de raison.

Georges : - De nous en vouloir ?

André : - Mais non ! Quel con, il faut suivre un peu ! Non, dans le sens où elle a plus « sa » raison. Elle l’a perdue.

Georges : - Ah bon ? Et c’en est une ?

André : - De raison ? Oui ! Elle est plus sourde. Elle est folle !

Marguerite : - Je ne suis pas la seule.

André : - Je rêve ou elle a encore bavé ?

Georges : - Non tu n’as pas rêvé André. Elle a dit…

André : - J’ai parfaitement entendu ce qu’elle a dit. Tu vois bien qu’elle déraille.

Georges : - Elle a sans doute voulu dire…

André : - Qu’est-ce qu’elle peut vouloir dire de sensé, hein ? Tu en vois beaucoup des folles ici toi, à part elle ?

Georges : - Non, mais…

Marguerite : - Moi j’en vois deux.

André : - Où ça deux ? Comment ça deux ?

Page 25: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

24

Marguerite : - Deux grandes.

Georges : - Marguerite !

Marguerite : - Deux grandes folles. Ou du moins, ce qu’il en reste.

André : - Tu entends ça Georges, non mais tu entends ça ? Comment ose-t-elle ? Comment ? … Après tout ce qui s’est passé !

Georges : - Arrête, André !

André : - Mais enfin tu ne vas pas la laisser insinuer…

Georges : - Arrête ! Elle sait.

André : - Qu’est-ce qu’elle sait ? Qu’est-ce qu’elle peut bien savoir cette connasse. Elle y voit pas plus loin que le bout de son cul.

Georges : - Pour nous… Elle sait.

André : - Pour nous ? Qu’est-ce qu’il y a à savoir pour nous ? Il n’y a rien à savoir pour nous. Rien ! Et quand bien même il y aurait quelque chose à savoir, hein ? En quoi ça la regarderait elle, hein ? En quoi ça la regarderait, si - et je dis bien « si » - si il s’était passé quelque chose entre nous. Ça la regarderait pas. Non ! Absolument pas ! Surtout… surtout, si c’était arrivé qu’une fois. Ça la regarderait encore moins si c’était arrivé qu’une fois. Non ? Parce que si c’était arrivé qu’une fois, ça voudrait dire que ça n’a pas eu d’importance et ça vaudrait même pas la peine de… Ou alors, si c’était arrivé qu’une fois mais que ça avait de l’importance, ce serait une erreur. Une terrible erreur… mais qui pourrait se comprendre. Parce que si c’est arrivé qu’une fois, alors qu’on avait bu et que sans qu’on sache pourquoi, une chose entrainant une autre, il s’est passé entre nous quelque chose d’important, ça peut en choquer certaines… mais ça peut aussi se comprendre. Si on veut bien s’en donner la peine. Qu’est-ce qu’elle en sait elle, de ce qui s’est passé entre nous ce soir là, Georges ? Qu’est-ce qu’elle en sait ? Est-ce qu’elle se l’est donnée la peine de comprendre ? Non ! Même moi je ne suis pas certain d’avoir compris. Et pourtant, je me la suis donné la peine. Je me la suis donnée, pendant toutes ces années. (Un long silence) - Comment elle a su ?

Georges : - C’est moi. Ça m’étouffait. Je lui ai tout raconté la veille de notre mariage.

André : - Tu lui as tout raconté ?

Georges : - Oui, André, tout !

André : - Quand tu dis tout…

Marguerite : - …c’est tout ! Et j’ai tout compris.

André : - J’espère que ça t’a fait du bien, Georges.

Page 26: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

25

Georges : - Sur le coup, oui. Je voulais que les choses soient claires entre Marguerite et moi, avant…

André : - …que la messe soit dite. Et… elles l’ont été, claires, vos choses ?

Georges : - Plus ou moins.

Marguerite : - C’était très clair. Il n’était plus question que cette grosse pédale me touche !

André : - Ah oui, quand même ! De son point de vue c’était limpide. Mais si ça la contrariait à ce point, pourquoi elle a accepté de t’épouser ?

Marguerite : - L’argent !

André : (À Georges) - Bien sûr l’argent ! Toujours l’argent. Si mes souvenirs sont bons, tu étais devenu riche, Georges. Très riche !

Marguerite : - Ça a bien changé.

André : (À Georges) - Mais toi, en voyant sa réaction tu aurais dû te méfier.

Georges : - Ah mais sur le moment, elle l’a très bien pris.

Marguerite : - Ce n’est pas grave Georges. Ce sont des choses qui arrivent plus fréquemment qu’on ne le pense. De nos jours il faut avoir l’esprit large. Et puis, avec ce pauvre André, d’une certaine façon, ça ne sort pas de la famille.

André : (À Georges) - Ça c’est gentil, je suis touché. Si, si, sincèrement.

Georges : - C’est après que ça s’est gâté. Après la fête. Le soir même, dans la suite nuptiale, en tenue affriolante, elle m’annonçait la bonne nouvelle.

Marguerite : - Surprise ! Georges chéri, désormais pour le sexe ce sera où tu veux, quand tu veux, comme tu veux, avec qui tu veux… mais sans moi.

André : - Au moins là, ça a le mérite d’être clair sans être vulgaire. Et elle a tenu longtemps ?

Georges : - Elle tient encore.

André : - Toutes mes condoléances.

Georges : - Je te remercie.

André : - Mais de rien, c’est normal. C’est pour ça que tout à l’heure tu…

Georges : - Oui.

André : - Je comprends… Excuse-moi !

Georges : - Tu n’as pas à t’excuser, tu ne pouvais pas savoir.

André : - Quand-même, nous étions très proches. Pratiquement parents. J’aurais dû deviner qu’entre elle et toi…

Page 27: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

26

Georges : - …les choses s’étaient clairement compliquées ? Non ! Tu étais trop proche, justement.

André : (Après un temps d’hésitation) - Et… entre toi et moi ?

Georges : - Quoi entre toi et moi ?

André : - Elles étaient comment les choses entre toi et moi ?

Georges : - Ce n’est pas pareil ! On n’était pas sur le point de se marier toi et moi.

André : - Certes, mais trop proches comme on était, peut-être qu’avant de te confier à ta future épouse, mon ex femme, tu aurais pu m’en toucher un mot. Non ?

Georges : - Tu as raison. J’y ai souvent pensé. C’en était même obsédant parfois. Mais c’était au-dessus de mes forces.

André : - Remarque, je te comprends. Tant qu’on en parle pas…

Georges : - … on peut continuer à parler d’autres choses.

André : - Oui ! Surtout que dans notre cas, il s’est passé des trucs, mais…

Georges : - … mais ce n’est pas comme si nous étions… Tu vois ?

André : - Je suis complètement d’accord avec toi Georges. Pour nous, c’est pas du tout, du tout, du tout…

Georges : - Tout à fait ! Pour nous, ce n’est pas la même chose. C’est ce que je me suis toujours dit.

Un temps.

André : - Tu aurais dû me le dire aussi, Georges.

Georges : - Ah mais si j’avais su André, tu penses ! Si j’avais su que toi aussi, tu pensais que… que pour nous ce n’était pas… Je t’en aurais touché un mot, tu peux me croire. Mais comme je l’ignorais que… que toi aussi tu pensais… Je… je ne t’en ai pas parlé.

André : - Je te crois Georges. De toute façon c’est du passé. Et le passé… c’est le passé. Ce qui compte c’est… aujourd’hui. C’est ce que nous sommes… aujourd’hui.

Georges : - Voila !

André : - Ici et maintenant !

Georges : - Voila…

Un temps.

André : - Parce qu’aujourd’hui… ça t’obsède plus ?

Georges : - Non ! Bien sûr que non. (Un temps) - Quoique…

Page 28: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

27

André : - Et oui, « quoique » ! Parce que, on peut quand même se demander…

Georges : - Oui ! Ce que nous sommes devenus… ici et maintenant.

Marguerite : - Deux vieilles tapettes honteuses et refoulées.

André : - Marguerite, je vous en prie !

Marguerite : - Tiens ! Il m’adresse la parole maintenant, le Stevie Wonder de la jaquette ?

Georges : - Laisse André. Elle n’a toujours pas digéré.

André : - Qui c’est Stevie Wonder ?

Georges : - Je t’expliquerai.

André : - Il est ... ?

Georges : - Stevie Wonder ? Non! Il n’est qu’aveugle, lui.

André : - Tandis que moi…

Georges : - Non ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

Marguerite : - Mais c’est ce qu’il a voulu faire.

André : - C’était un accident ! Pas vrai Georges ?

Georges : - Ce n’est pas Tchernobyl non plus !

Marguerite : - Pas de fusion des cœurs, alors ?

André : - Non ! Qu’est-ce que vous racontez ?

Georges : - Tout de suite les grands mots.

Marguerite : - Je vois. Du sexe, rien que du sexe.

André : - Mais pas du tout !

Georges : - Qu’est-ce qu’elle va chercher ?

Marguerite : - Pas d’amour, pas de sexe. Pas de cœur, pas de cul. Je serais curieuse de savoir ce que vous avez foutu dans ces conditions.

Georges : - C’est une excellente question, je te remercie de l’avoir posée, mais…

André : - Si on se la pose pas nous, je vois pas pourquoi elle le fait. Et puis c’est quoi cette question ?

Marguerite : - To be or not to be... gay ?

André : - Qu’est-ce que ça veut dire ?

Georges : - Etre ou ne pas être …

Page 29: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

28

André : - Eh, oh ! Ça va ! Je ne suis pas une lumière en anglais comme certaines, mais j’ai suffisamment de notions pour comprendre.

Marguerite : - S’il a compris, pourquoi il demande, le joyeux Ray Charles ?

Georges : - Il demande parce qu’il la trouve déplacée la question. N’est-ce pas André. Comme tes allusions graveleuses se référant à des personnalités mal voyantes.

André : - Tout à fait ! Merci Georges.

Marguerite : - Qu’à cela ne tienne. Je peux aussi faire allusion à deux personnalités mal baisantes. Moins connues, mais plus lourdement handicapées.

André : - De qui elle parle là ?

Georges : - De nous André, de nous.

Marguerite : - Bien sûr de vous ! Et de vos affligeantes gesticulations sexuelles, qui trahissaient déjà vos penchants sournois déplorables.

André : - Elle nous a traités de déplorables !

Georges : - Il n’y avait absolument rien de sournois dans nos penchants, comme tu dis. Puisque nous avons été pris à notre insu dans une sorte de… maelström émotionnel - et sensuel je te l’accorde - mais par surprise et à notre corps défendant.

André : - J’en reviens pas. Elle nous a traités de déplorables. Elle !

Georges : - C’est normal, elle est vexée.

Marguerite : - Il aurait préféré que je le traite de quoi, Oedipe reine ?

André : - Mais de rien. Vous avez pas à me traiter de quoi que ce soit.

Marguerite : - Même pas de pédéraste ? Parce que son corps défendant, il ne l’a pas défendu bien longtemps.

André : - Puisque Georges vous a dit que c’était le… le machin, là…

Georges : - Le maelström.

André : - Oui le minestrone. Et le minestrone c’est le bordel. Quand c’est le minestrone on sait plus ce que… (Réalisant soudain) – Georges, j’hallucine ou elle m’a traité de pédé ?

Georges : - Mais moi aussi André, moi aussi, elle m’a traité.

André : - Je m’en fous que toi aussi. Tu as peut-être l’habitude, mais moi je vais me la faire cette salope. (André cherche frénétiquement Marguerite à l’aveuglette) - Tu entends Georges ? Je vais me la faire !

Marguerite : - Ce qui est fait n’est plus à faire. Surtout quand c‘est mal fait.

Page 30: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

29

André se heurte aux éléments de décors.

André : - Tu vas la fermer ta gueule ? Où elle est cette saloperie que je lui fasse fermer sa grande gueule.

Georges : - Calme-toi André.

André : - Je me calmerai quand j’aurai buté cette mauvaise langue de pute de merde.

Georges : - Mais enfin André, tu ne vas pas commettre l’irréparable pour une peccadille ? En plus dans ton état tu risques l’accident majeur.

André : - Je m’en fous ! Je vais lui mettre le majeur, moi et pas par accident. Juste avant de lui faire l’irréparable. Puis je roulerai sur son cadavre. Ça lui apprendra la peccadille!

Dans sa fureur aveugle André tourne en rond. Il finit par se heurter au fauteuil de Georges qu’il cogne obstinément comme un robot fou.

Georges : - Arrête André ! Tu vas me faire tomber… En plus tu es ridicule.

Marguerite : - « Le précieux ridicule » ! Il ne lui manquait plus que ça.

André : (Il pousse un grand cri de rage impuissante) - Aaaahhhrrrgggg ! (puis s’effondre sur son fauteuil).

Georges : - Arrête toi aussi, Marguerite, de le provoquer. Tu sais très bien qu’André et moi-même ne sommes pas…

Marguerite : - Des tarlouses ? C’est possible. Mais s’il en était vraiment sûr, il ne se mettrait pas dans des états pareils.

Georges : - Voila ! Tu vois André, Marguerite est moins affirmative. Elle évoque seulement la possibilité. Mais elle n’a pas tout à fait tort de souligner que ce n’est pas normal que tu en arrives à de telles extrémités. Tu t’es vu ? Qu’est ce qui t’a pris ?

André : (Se redressant épuisé et hébété) - Je sais pas.

Georges : - Parce que bon ! Tu sais aussi bien que moi ce qui s‘est passé entre nous.

André : - Oui.

Georges : - Et même si ce n’est arrivé qu’une fois, Marguerite était en droit de se poser des questions. Comme nous d’ailleurs.

André : - Oui.

Georges : - Toi-même tu as avoué que cela te tracassait.

André : - Oui.

Page 31: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

30

Georges : - Moi aussi cela me tracasse et moi aussi j’ai fait l’autruche. Mais après ce qui vient de se produire, je pense que si nous ne voulons pas sombrer dans le fait divers malsain, il est grand temps de crever l’abcès.

André : - Oui. Il est grand temps.

Georges : - Sans doute que Marguerite a exprimé son ressentiment, au demeurant compréhensible, d’une façon un peu trop appuyée.

André : - Sans doute.

Georges : - Ton agressivité latente et ton obstination à refuser d’aborder le sujet de front, l’ont poussé à y faire allusion de plus en plus crûment. Mais la connaissant, c’était prévisible.

André : - Oui, ça l’était.

Georges : - Qu’est-ce qui s’est passé André pour que tu t’emportes comme ça ? Aussi soudainement… aussi farouchement.

André : - C’est quand elle m’a traité de « pédé ».

Georges : - « …raste », André, de « pédéraste ». C’est moins…

André : - Peut-être, mais j’ai entendu que « pédé ». J’ai pas supporté. J’ai vu rouge et…

Georges : - Ça a dû te changer…

André : (Incompréhension d’André) - ???

Georges : - … du blanc.

André : - ???

Georges : - Non, je disais que si tu avais vu rouge, ça devait te changer un peu… par rapport au blanc… parce que tout à l’heure, tu sais… tu me disais que tu ne voyais que du…

André : - ???

Georges : - Je n’ai rien dit… Donc, tu as vu rouge.

André : - Le poids du mot…

Georges : - …le choc des fauteuils.

André : - Je suis désolé.

Georges : - Nous sommes tous désolés. Même Marguerite, je suis sûr qu’au fond, elle aussi est désolée.

Marguerite : - Si Georges en est sûr, alors … du bout des lèvres et tout au fond.

André : - Je suis pas un pédé, hein Georges ?

Page 32: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

31

Georges : - Mais non ! Pas vraiment. Juste un petit peu, comme tout le monde. Marguerite te taquine.

André : - Tu le penses vraiment ?

Georges : - Mais bien sûr ! Elle a beau jouer les outragées, Marguerite est mal placée pour donner des leçons de morale hétérosexuelle.

André : - Tu crois ? Parce que je me sens terriblement gêné. Si on doit en parler devant elle …

Georges : - Mais il ne faut pas, André, au contraire ! N’est-ce pas Marguerite ? (silence de marguerite) - N’est-ce pas Marguerite, qu’il ne faut pas ?

Marguerite : - Georges ! Tu avais juré.

André : - Moi aussi j’avais juré ?

Georges : - Je ne sais pas André, peut-être. Cela n’a plus d’importance. Il est un temps pour jurer, un autre pour changer d’avis.

André : - Et quel temps il fait aujourd’hui ?

Georges : - Celui de la vérité. Tu vois, André, il y a trente ans j’ai fait un serment à Marguerite. Je lui ai juré que je ne révèlerai jamais l’avoir surprise un matin, avec son esthéticienne, dans une position un tantinet scabreuse. En pleine séance d’épilation mutuelle du maillot.

André : - On les avait pas gardés non plus nos maillots, nous. Hein, Georges ?

Georges : - Ce n’est plus de nous qu’il est question là, mais de Marguerite qui a eu une relation brève, mais néanmoins ardente, avec une spécialiste patentée de l’extermination du poil pubien.

André : - Ah ? Elle aussi elle a eu son accident !

Georges : - Oui, André.

Marguerite : - Tu avais juré !

Georges : - Oui, eh bien je ne me sens plus du tout engagé par ce serment. Le Georges qui a juré, en échange de ton silence sur ses propres « écarts », n’existe plus. C’est quasiment un étranger pour moi.

André : - C’est drôle ce que tu dis, parce que ça me fait pareil. Depuis un moment je me reconnais plus.

Georges : - Mais c’est évident, regardez-vous ! Regardons-nous ! Nous ne sommes plus ce que nous étions.

Marguerite : - Oui ! Comme des papillons redevenus chrysalides… quasiment larves.

Page 33: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

32

André : - Le papillon qui m’avait séduit n’existe plus ?

Georges : - Non.

André : - La marguerite non plus ?

Georges : - Non plus. Le temps du butinage est révolu, André.

André : - C’est dommage. Moi j’en garde un bon souvenir.

Georges : - Mais moi aussi j’en garde un agréable souvenir de nos butinages. Un peu encombrant, mais agréable.

André : - Tout d’un coup, j’ai l’impression que vous me manquez.

Georges : - Marguerite et moi te manquons ?

André : - Oui. La fleur et son papillon me manquent beaucoup !

Georges : - Peut-être nous as-tu aimés.

André : - C’est bien possible.

Georges : - Nous étions inséparables tous les trois.

André : - Je pourrais pas dire lequel des deux j’ai le plus aimé.

Georges : - Tu es sérieux ?

André : - Je l’espère. Tu sais, les trucs me viennent un peu comme ça…

Georges : - Et tu t’en es rendu compte quand ?

André : - Là, maintenant. En le disant.

Marguerite : - Ce doit être le choc spatio-temporel.

Georges : - Mais, quand tu parles « d’aimer »… tu parles d’amour ?

André : - Ah oui, tiens c’est vrai ! J’y avais pas pensé, mais maintenant que tu le dis…

Georges : - Alors ?

André : - Oui. Je crois bien que je vous ai aimé d’amour.

Georges : - Tous les deux ?

André : - Oui. Tous les deux… à la fois.

Georges : - Tu veux dire, en même temps.

André : - Non ensemble. J’ai l’impression que les meilleurs moments de ma vie sont ceux que nous avons passé ensemble, tous les trois. Je vous aurais certainement pas aimés l’un sans l’autre.

Georges : - Et notre… accident?

André : - Quoi notre accident ?

Page 34: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

33

Georges : - Tu sais bien, le soir où nous nous sommes… retrouvés en tête à tête tous les deux.

André : - Oui notre… « accident », et alors ?

Georges : - Eh bien, comment tu l’as vécu ? C’est le moment ou jamais de dire les choses.

André : - Bien ! Très bien ! Passé le premier instant de …surprise, très très bien. Tu avoueras qu’il y avait de quoi être surpris.

Georges : - Mais bien sûr ! Moi-même j’ai été pris au dépourvu…

André : - Ah ? Pourtant, il m’a semblé que tu l’étais énormément… pourvu, Georges. C’est pour ça, sur le coup j’ai été un peu… ébranlé. Mais j’ai… apprécié. Si, si, vraiment.

Georges attend une suite qui ne vient pas.

Georges : - Je suis heureux que tu aies « apprécié-si-si-vraiment », André. Et… c’est tout ?

André : - Je suis navré Georges. C’est terriblement difficile pour moi. J’ai du mal à exprimer.

Georges : - Ce n’est pas grave. C’est l’émotion. Pour moi c’est pareil, je ne trouve pas de mots.

André : - Pour trouver il faudrait...

Georges : - Oui, mais on n’est pas obligés. Ce qui compte c’est d’accepter.

André : - Accepter ce qui s’est passé entre nous?

Georges : - Oui. Même si on ne se l’explique pas. Même si cela nous trouble encore aujourd’hui. Nous n’avons pas à en avoir honte.

André : - Non ! Tu as parfaitement raison, Georges. Pas de honte.

Georges : - Et pas de regret ! Voila… (Un temps) - Ça va mieux, non ?

André : - Oui. Je me sens plus léger.

Georges : - Moi aussi ! Décidément, C’est… comme si nous entrions en symbiose, André. Tu ne trouves pas ?

André : (Dubitatif) - Ouais… On s’en sortira ?

Marguerite : - Ta symbiose a des relents de vieille soupe, Georges. Vous n’allez pas remettre le couvert tous les deux ? Dans votre état !

Georges : - Le fait de ne pas regretter le passé, Marguerite, n’implique pas qu’on veuille le revivre.

André : - À propos de regrets…

Georges : - Tu as des regrets, André ?

Page 35: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

34

André : - C’est un peu délicat à dire, je m’emberlificote la symbiose.

Marguerite : - Au point où vous en êtes André, la délicatesse ne devrait pas trop vous emberlificoter … ni vous étouffer.

André : - Vous avez raison Marguerite, au point où j’en suis je dois aller au bout. Alors je me lance : Quand je repense à ce fameux soir - le soir de… l’accident - et ça m’arrive pratiquement tous les jours, je regrette que vous n’ayez pas été présente.

Marguerite : - Moi ?

Georges : - Marguerite ? Pourquoi faire ? Pour empêcher… l’accident ?

André : - Non, pour se joindre à nous.

Georges : - Qu’est-ce que tu entends par « se joindre à nous » ?

Marguerite : - Il entend, « participer ».

Georges : - C’est vrai André ?

André : - Oui. J’aurais voulu qu’on partage tout tous les trois.

Marguerite : - Vous auriez voulu me partager avec Georges, André ?

André : - Oui Marguerite. Et Georges avec vous. J’ai honte, mais je crois bien que c’est pour ça que notre vie amoureuse me paraissait fade. Il y manquait Georges.

Marguerite : - Pourquoi ne pas m’en avoir touché un mot à l’époque ?

André : - J’ai pas osé.

Marguerite : - Et bien vous auriez dû.

André : - Je pensais que ça se faisait pas. Et puis il y avait Georges. Qu’est-ce qu’il aurait dit Georges ?

Georges : (ironique) - Il aurait été choqué Georges !

André : - Ah vous voyez ! C’était pas une bonne idée.

Marguerite : - Il plaisante. Sur le moment il aurait été étonné. Puis il aurait réfléchi, et il se serait dit : « Dans le fond, pourquoi pas ? J’aime Marguerite… ». C’est une évidence il m’aimait. « J’ai beaucoup d’affection pour ce pauvre André qui, ça ne gâte rien, n’est pas mal de sa personne… ». (Georges regarde André avec une moue dubitative) - Si Georges, à l’époque André était joli garçon. Bref ! « Pourquoi ne pas profiter des deux. Cela nous fera gagner du temps et évitera bien des histoires ». Georges est un érotomane qui s’ignore. Il était aussi pragmatique et a toujours eu horreur des complications.

André : - C’est vrai ce qu’elle dit, Georges ?

Georges : - Elle schématise un peu, mais en gros oui.

Page 36: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

35

André : - Tu me trouvais joli garçon, Georges ? Quand tu étais… dramatique.

Georges : - Tu n’étais pas mal. Mais ce qui me plaisait le plus en toi, c’était… ta femme. Et quand nous nous sommes…

André : - … aimés ?

Georges : - Ce n’est pas le mot que j’aurais employé, mais pourquoi pas ? Donc quand nous nous sommes…

André : - Quel mot tu aurais employé toi ?

Georges : - Mais je ne sais pas. Il faudrait que j’y réfléchisse…

Marguerite : - Tu auras moins réfléchi pour le faire que pour le dire.

Georges : - Je te remercie Marguerite pour tes encouragements. Je suis parfaitement conscient que malgré mes airs décomplexés j’ai encore du mal à regarder la… la réalité en face, et tes réflexions m’aident beaucoup. Merci ! D’autant que…

André : - Il faut absolument lui trouver son mot. Il finit pas ses phrases, c’est d’un pénible ! Moi ça m’étouffe.

Marguerite : - Lui aussi, mais ce sont ses scrupules.

Georges : - Peut-être. En attendant, pour en revenir à ce que je voulais dire, quand nous nous sommes…

Marguerite : - Biiiip !

Georges : - Qu’est-ce qui te prend ?

Marguerite : - Rien. Je fais « bip ».

Georges : - Pourquoi tu fais « bip » ?

André : - Oui, c’est curieux ça. Pourquoi vous faites « bip » ?

Marguerite : - Pour aider Georges à finir ses phrases. Je remplace les mots qu’il censure par un « bip ».

Georges : - Ce n’est pas que je censure, je ne trouve pas mon mot.

Marguerite : - Ça revient au même. Autant mettre un « bip ». Tu pourras au moins finir ta phrase et nous pourrons passer à autre chose.

André : - Elle a raison Georges. Qu’est-ce qu’il s’est passé quand nous nous sommes « bip » ?

Georges : - Quand nous nous sommes « bip »… J’ai beaucoup pensé à Marguerite.

André : - Alors toi aussi !

Marguerite : - Tu culpabilisais ?

Page 37: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux

36

Georges : - Oui d’une certaine façon. À travers André j’ai eu le sentiment bizarre de te retrouver, Marguerite. En même temps, je couchais avec ton mari.

Marguerite : - Tu vois quand tu veux.

André : - Rassure-toi Georges. Question sentiments, moi aussi ça m’a fait bizarre, qu’en plein « bip », tu m’appelles Margot.

Marguerite : - S’il y a eu confusion... Alors là… Je m’incline !

Georges : - Tu ironises Marguerite. Mais à partir de ce jour, quelque part dans ma tête une idée à germé. Et au fil du temps, elle a fini par s’imposer comme une évidence : Nous avions pour ainsi dire déjà couché ensemble tous les trois, certes deux par deux, mais le plus gros était fait…

André : - Le plus gros c’était moi ?

Georges : - Alors, pourquoi pas…

Marguerite : - …le faire trois par trois…

André : - …avec un quatrième !

Georges : - Mais non ! Quel quatrième ?

André : - Je pensais à la diététicienne.

Georges : - La diététicienne ?

André : - Tu sais bien (désignant discrètement Marguerite)… le régime sans poil.

Georges : - Ah, l’esthéticienne ?

André : - C’est ça. La championne du maillot.

Georges : - Mais c’est bien plus tard, l’esthéticienne ! Il faut rester concentré, un peu. Ça part dans tous les sens.

André : - Excusez-moi, y a des moments j’arrive plus à suivre la trame. Il faut que je me reprenne.

Marguerite : - Ce serait préférable. Nous devons garder une certaine cohérence.

André : - Je suis d’accord. Je vais aller pisser, après ça ira mieux.

Georges : - Tu ne vas pas nous abandonner comme ça en plein milieu.

André : - Non ! Je vais pisser et je reviens.

Marguerite : - Ça c’est pas sûr. Ça va prendre des heures. Entre temps il risque de nous avoir oubliés.

Georges : - Ça ne peut pas attendre un peu André ? On y était presque...

Page 38: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux
Page 39: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux
Page 40: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux
Page 41: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux
Page 42: Ah les vieux jours - leproscenium.com · Ah les vieux jours ! Bernard Di Marcko. 1 ... Georges : - Au secours ! (se réveillant en sursaut toujours secoué par André ... -Tu veux