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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2008) 32, 653—655 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com LETTRE À LA RÉDACTION Adénocarcinome pancréatique compliquant une dystrophie kystique sur pancréas aberrant de la région ampullaire Pancreatic adenocarcinoma complicating a cystic dystrophy on an ectopic pancreas in the ampullar region L’apparition d’un adénocarcinome au sein d’une hétéro- topie pancréatique est exceptionnelle. Elle a été rapportée essentiellement pour des pancréas aberrants de localisa- tion gastrique [1]. Nous rapportons un cas d’adénocarcinome pancréatique développé au sein d’une dystrophie kystique sur pancréas aberrant (DKPA) de la région ampullaire. Un homme de 77 ans aux antécédents de diabète de type II, d’hypertension artérielle et de dyslipidémie était hospitalisé en juillet 2006 pour un ictère isolé. Sa consom- mation d’alcool était estimée à 20g/j. L’examen clinique ne montrait rien d’autre que l’ictère. Le bilan biologique montrait une activité de l’ALAT à 579UI/mL (n < 60 UI/mL), une bilirubinémie totale à 138 mol/L (n < 18 mol/L), des phosphatases alcalines à 637 UI/mL (n < 130 UI/mL) et des gamma-GT à 2137 UI/mL (n < 50 UI/mL). L’échographie abdo- minale montrait une dilatation des voies biliaires intra- et extrahépatiques jusqu’à une zone hypoéchogène de 35 mm considérée en tomodensitométrie comme un processus expansif nécrosé de la tête du pancréas. En échoendoscopie, le parenchyme pancréatique était homogène avec un canal de Wirsung céphalique harmonieusement dilaté à 4 mm. La voie biliaire principale état mesurée à 13 mm en amont d’une lésion ampullaire se présentant comme une formation liquidienne de 16 × 24 mm, naissant d’un dédoublement de la couche musculaire (Fig. 1a), prolongée vers le bas par un épaississement de la paroi duodénale mesuré à 9 mm, englo- bant la région papillaire (Fig. 1b). Au regard, la muqueuse duodénale était érythémateuse, irrégulière et érosive mais sans anomalie spécifique sur les biopsies. Une ponction à l’aiguille fine permettait de prélever 4 ml d’un liquide citrin, dépourvu d’élément suspect. Une cholangiopancréato-IRM montrait un kyste de la paroi interne du second duodé- num et une dilatation harmonieuse des voies biliaires et du canal de Wirsung (Fig. 1c). Un mois après la ponction, bien que le bilan hépatique se soit amélioré, le malade restait ictérique et avait perdu 4 kg. Un contrôle endosco- pique montrait un aspect villeux, infiltré et rétracté de la papille s’étendant dans la région sus-infundibulaire avec cette fois-ci des lésions adénomateuses en dysplasie de bas grade sur les biopsies. L’attitude retenue en réunion de concertation pluridisciplinaire était la réalisation d’une duo- dénopancréatectomie céphalique compte tenu de l’aspect endoscopique d’extension aux plis duodénaux adjacents. L’examen macroscopique de la pièce opératoire montrait une tumeur bourgeonnante et infiltrante de la papille de 15 mm de diamètre, située au sein d’un territoire de 4 cm de grand axe contenant de multiples formations kystiques mesurant jusqu’à 20 mm de diamètre. La tumeur correspon- dait à un adénocarcinome moyennement différencié de type excrétobiliaire développé dans la région péri-ampullaire, envahissant la paroi duodénale jusqu’à la muqueuse, mais respectant la papille et la lumière ampullaire. Cette lésion était intriquée en amont avec des lésions de DKPA possédant une bordure épithéliale majoritairement carcinomateuse du même type que la lésion solide mais gardant par endroit un épithélium cylindrique non carcinomateux, tantôt normal tantôt dysplasique (Fig. 1d). Il était mis en évidence deux métastases ganglionnaires péricholédociennes et quelques extensions tumorales périnerveuses. Les suites opératoires immédiates étaient simples. Le patient recevait six cycles de Gemzar en traitement adjuvant. Six mois après la fin de la chimiothérapie le patient était asymptomatique et le scanner thoracoabdominopelvien ne montrait pas de récidive. Les séries autopsiques ont montré que du tissu pancréa- tique ectopique était présent dans le tube digestif chez 2 à 15 % des malades, le plus souvent dans la région antro- pylorique (30 % dans l’antre et 30 % dans le duodénum), plus rarement dans le jéjunum (20 %) et dans un diverticule de Meckel (5 %) [1]. Ces lésions sont susceptibles d’évoluer de la même fac ¸on que le pancréas orthotopique, notam- ment vers des lésions kystiques, définissant la DKPA, et vers la dégénérescence, comme en témoigne la vingtaine d’observations documentées rapportée dans la littérature [1]. Il s’agit alors le plus souvent de tumeurs solides, très majoritairement gastriques [1—3]. En plus de notre obser- vation, seuls deux autres cas, anciens, décrivent une forme kystique de la région ampullaire [4,5]. La physiopathologie de la DKPA est mal connue; elle est principalement ren- contrée chez des hommes alcooliques et est associée dans deux tiers des cas à une pancréatite chronique suggérant 0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2008.02.029

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Page 1: Adénocarcinome pancréatique compliquant une dystrophie kystique sur pancréas aberrant de la région ampullaire

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2008) 32, 653—655

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

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LETTRE À LA RÉDACTION

Adénocarcinome pancréatique compliquantune dystrophie kystique sur pancréas aberrantde la région ampullaire

Pancreatic adenocarcinoma complicating acystic dystrophy on an ectopic pancreas in theampullar region

L’apparition d’un adénocarcinome au sein d’une hétéro-topie pancréatique est exceptionnelle. Elle a été rapportéeessentiellement pour des pancréas aberrants de localisa-tion gastrique [1]. Nous rapportons un cas d’adénocarcinomepancréatique développé au sein d’une dystrophie kystiquesur pancréas aberrant (DKPA) de la région ampullaire.

Un homme de 77 ans aux antécédents de diabète detype II, d’hypertension artérielle et de dyslipidémie étaithospitalisé en juillet 2006 pour un ictère isolé. Sa consom-mation d’alcool était estimée à 20 g/j. L’examen cliniquene montrait rien d’autre que l’ictère. Le bilan biologiquemontrait une activité de l’ALAT à 579 UI/mL (n < 60 UI/mL),une bilirubinémie totale à 138 �mol/L (n < 18 �mol/L), desphosphatases alcalines à 637 UI/mL (n < 130 UI/mL) et desgamma-GT à 2137 UI/mL (n < 50 UI/mL). L’échographie abdo-minale montrait une dilatation des voies biliaires intra- etextrahépatiques jusqu’à une zone hypoéchogène de 35 mmconsidérée en tomodensitométrie comme un processusexpansif nécrosé de la tête du pancréas. En échoendoscopie,le parenchyme pancréatique était homogène avec un canalde Wirsung céphalique harmonieusement dilaté à 4 mm. Lavoie biliaire principale état mesurée à 13 mm en amontd’une lésion ampullaire se présentant comme une formationliquidienne de 16 × 24 mm, naissant d’un dédoublement dela couche musculaire (Fig. 1a), prolongée vers le bas par unépaississement de la paroi duodénale mesuré à 9 mm, englo-bant la région papillaire (Fig. 1b). Au regard, la muqueuseduodénale était érythémateuse, irrégulière et érosive maissans anomalie spécifique sur les biopsies. Une ponction àl’aiguille fine permettait de prélever 4 ml d’un liquide citrin,dépourvu d’élément suspect. Une cholangiopancréato-IRMmontrait un kyste de la paroi interne du second duodé-

num et une dilatation harmonieuse des voies biliaires etdu canal de Wirsung (Fig. 1c). Un mois après la ponction,bien que le bilan hépatique se soit amélioré, le maladerestait ictérique et avait perdu 4 kg. Un contrôle endosco-

kdcd

0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.gcb.2008.02.029

ique montrait un aspect villeux, infiltré et rétracté de laapille s’étendant dans la région sus-infundibulaire avecette fois-ci des lésions adénomateuses en dysplasie de basrade sur les biopsies. L’attitude retenue en réunion deoncertation pluridisciplinaire était la réalisation d’une duo-énopancréatectomie céphalique compte tenu de l’aspectndoscopique d’extension aux plis duodénaux adjacents.’examen macroscopique de la pièce opératoire montraitne tumeur bourgeonnante et infiltrante de la papille de5 mm de diamètre, située au sein d’un territoire de 4 cme grand axe contenant de multiples formations kystiquesesurant jusqu’à 20 mm de diamètre. La tumeur correspon-ait à un adénocarcinome moyennement différencié de typexcrétobiliaire développé dans la région péri-ampullaire,nvahissant la paroi duodénale jusqu’à la muqueuse, maisespectant la papille et la lumière ampullaire. Cette lésiontait intriquée en amont avec des lésions de DKPA possédantne bordure épithéliale majoritairement carcinomateuse duême type que la lésion solide mais gardant par endroit un

pithélium cylindrique non carcinomateux, tantôt normalantôt dysplasique (Fig. 1d). Il était mis en évidence deuxétastases ganglionnaires péricholédociennes et quelques

xtensions tumorales périnerveuses. Les suites opératoiresmmédiates étaient simples. Le patient recevait six cyclese Gemzar en traitement adjuvant. Six mois après la fine la chimiothérapie le patient était asymptomatique ete scanner thoracoabdominopelvien ne montrait pas deécidive.

Les séries autopsiques ont montré que du tissu pancréa-ique ectopique était présent dans le tube digestif chez 215 % des malades, le plus souvent dans la région antro-

ylorique (30 % dans l’antre et 30 % dans le duodénum),lus rarement dans le jéjunum (20 %) et dans un diverticulee Meckel (5 %) [1]. Ces lésions sont susceptibles d’évoluere la même facon que le pancréas orthotopique, notam-ent vers des lésions kystiques, définissant la DKPA, et

ers la dégénérescence, comme en témoigne la vingtaine’observations documentées rapportée dans la littérature1]. Il s’agit alors le plus souvent de tumeurs solides, trèsajoritairement gastriques [1—3]. En plus de notre obser-

ation, seuls deux autres cas, anciens, décrivent une forme

ystique de la région ampullaire [4,5]. La physiopathologiee la DKPA est mal connue ; elle est principalement ren-ontrée chez des hommes alcooliques et est associée danseux tiers des cas à une pancréatite chronique suggérant

éservés.

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654 Lettre à la rédaction

Figure 1 Aspect de la lésion en échoendoscopie (a : partie haute à prédominance kystique ; b : partie basse à prédominancetissulaire), en résonance magnétique nucléaire (c) et microscopie (d : hématéineéosinesafran : # lumière duodénale ; ¤ infiltrationa oscoa carci

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tic dystrophy in heterotopic pancreas. Am J Gastroenterol

dénocarcinomateuse ; * kyste). Lésion’s appearance at echoendt MRI (c) and microscopy (d : HES : # duodenal lumen, ¤ adeno

n rôle de l’alcool [6]. D’autres facteurs sont probablementmpliqués car elle est observée également chez des patientson alcooliques et sans pancréatite chronique [5,6] comme’était le cas chez notre malade. L’affirmation de la trans-ormation carcinomateuse d’une hétérotopie pancréatiqueequiert habituellement l’identification de cellules pancréa-iques encore normales au sein de la tumeur et de pouvoirxclure un envahissement pariétal (gastrique ou duodénal)ar un adénocarcinome primitif pancréatique [2]. Ce dernieroint est bien sûr plus délicat à affirmer pour la localisationériampullaire du fait de la contiguïté avec le paren-hyme pancréatique. Ainsi, dans notre observation, plusu’une forme kystique d’adénocarcinome pancréatique,eu probable compte tenu de l’examen anatomopatholo-ique qui confirmait la localisation intrapariétale de kystesossédant manifestement un épithélium par endroit nonarcinomateux, on pourrait envisager l’association fortuite’un adénocarcinome pancréatique et d’une DKPA. Toute-ois, il faudrait admettre une improbable colonisation dea DKPA par voie épithéliale pure, respectant le paren-hyme adjacent. Notre observation souligne les difficultésiagnostiques de ces lésions kystiques périampullaires, enarticulier le risque de méconnaître une transformation car-inomateuse. En effet, en raison de leur localisation intra

ariétale, la muqueuse reste longtemps normale si bienue la malignité est rarement prouvée avant la chirurgie1—4]. De plus la présentation clinique n’est pas spécifiquear une DPKA sans adénocarcinome peut s’accompagner’un ictère et d’un amaigrissement [6,7]. Il est donc

[

py (a) upper part mainly cystic, b : lower part mainly tissular),nomatous proliferation, * cyst).

mportant de connaître ces lésions et leurs complications ;a présence d’un contingent tissulaire à l’imagerie et à’échoendoscopie doit alerter sur une possible transforma-ion néoplasique.

éférences

1] Makhlouf HR, Almeida JL, Sobin LH. Carcinoma in jeju-nal pancreatic heterotopia. Arch Pathol Lab Med 1999;123:707—11.

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6] Rebours V, Levy P, Vullierme MP, Couvelard A, O’Toole D, AubertA, et al. Clinical and morphological features of duodenal cys-

2007;102:871—9.7] Adsay NV, Zamboni G. Paraduodenal pancreatitis: a clinico-

pathologically distinct entity unifying ‘‘cystic dystrophy of hete-rotopic pancreas’’, ‘‘paraduodenal wall cyst’’, and ‘‘groovepancreatitis’’. Semin Diagn Pathol 2004;21:247—54.

Page 3: Adénocarcinome pancréatique compliquant une dystrophie kystique sur pancréas aberrant de la région ampullaire

Lettre à la rédaction

V. Labat-Debelleix ∗

L. d’AlterocheService d’hépato-gastroentérologie, hôpital Trousseau,

CHRU de Tours, 37044 Tours cedex, France

Z. Abidine BenchellalService de chirurgie viscérale, hôpital Trousseau,

CHRU de Tours, France

T. DuboeufService d’hépatogastroentérologie, hôpital Trousseau,

CHRU de Tours,France

655

S. GuyétantService d’anatomopathologie, hôpital Trousseau,

CHRU de Tours, France

É. Henry MetmanService d’hépatogastroentérologie, hôpital Trousseau,

CHRU de Tours, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : valerie [email protected]

(V. Labat-Debelleix).

Disponible sur Internet le 16 mai 2008